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Autour du sacrifice et de l'ambivalence du sacré dans les Bacchantes et dans le XptO''toç 7taO'xrov1.

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(1)

Une interprétation chrétienne des Bacchantes.

Autour du sacrifice et de l'ambivalence du sacré dans les Bacchantes et dans le XptO''toç 7taO'xrov1.

Le poème dramatique de

La Passion du Christ

2, entre un préambule présentant l'action et les personnages et une prière finale

à

la Vierge, couvre dans son texte dialogué non pas seulement

La Passion,

au sens étroit du mot, mais le temps qui va de la nuit de l'arrestation3

à

l'apparition du Ressuscité aux disciples pour leur envoi en mission salvifique de baptême4 ; autrement dit, il s'agit, comme le dit le préam- bule, de "l'aventure

(ou

"la Passion") qui sauve le monde"5, le

Triduum

de la Passion, de la Descente aux Enfers6 et de la Résurrection, étant étroitement relié

à

l'Incarnation virginale 7, Incarnation qui renvoie elle-

1 Le problème des rapports des Bacchantes et du Christus Patiens a généralement été considéré dans l'optique des corrections possibles au texte d'Euripide. C'est encore, en dépit du titre, l'orientation prinCipale de l'article d'Innocenza Giudice Rizzo "Sul Christus Pa tiens e le Baccanti di Euripide" Siculorum gymnasium, 30,1977,1-63; mais le caractère très fouillé de l'étude des modifications rend aussi l'article intéressant pour l'étude de la personnalité de l'auteur du Christus Patiens. C'est aussi sur ce problème de l'utilisation par un auteur chrétien que porte la thèse de Christian Neumann, que je ne connais que par son résumé "Le Christus Pa tiens de saint Grégoire de Nazianze à la lumière des Bacchantes d'Euripide" Lychnos. Connaissance hellénique, n° 31 : avril 1987, 63-65. Le présent article, issu d'exposés datant de 1996 et 1997, s'attache à un problème particulier de particulière utilisation chrétienne et se propose de considérer cette utilisation comme une interprétation.

2 Titre (XPI<1tOÇ 1tÛ<1XOOV ou en latin Christus Patiens) donné par le responsable de l'édition princeps, Antonius Bladus, en 1542 et tendant manifestement à résumer le titre le plus courant des manuscrits, qui, lui-même, est un résumé interprétatif des 30 vers de préambule. Editions critiques : Christus Patiens. Tragœdia christiana quae inscribi solet XPII:TOI: IIAI:XDN Gregorio Nazianzeno falso attributa. Rec. Dr. J. C. Brambs, Lipsiae, B. G. Teubner, 1885, in-8° (Bibliotheca scriptorum graecorum et romanorum Teubneriana) ; Grégoire de Nazianze, La Passion du Christ. Tragédie. Introduction, texte critique, traduction, notes et index par André Tuilier, Paris, Les Editions du Cerf, 1969 (Sources chrétiennes, n° 149). L'édition Brambs a pu garder, en particulier en son refus de l'attribution à Grégoire de Nazianze, une influence durable.

3 Chr. P. vv. 1-90 (spécialement 24-25).

4 Chr. P. vv. 2505-2531 (spécialement 2523-2524).

5 Chr. P. préambule, v. 4 : tO K0<1I!0<100tTjplOv ... 1tûOoç.

6 Evoquée Chr. P. vv.1505-1544; 1731-1740; 2025-2028; ...

7 Ainsi Chr. P. vv. 22-24.

(2)

même à l'aventure d'Eve et de la race humaine8, cependant que le vague de la chronologie de la Résurrection et de la fin de la pièce9 permet l'ouverture vers la Fin des temps et le Jugement10.

Les trois personnages principaux, par les yeux desquels tout est vu et qui seuls sont cités dans le préambule, sont Marie, la mère vierge11, la mère de Dieu

12,

en second lieu Jean l'Evangéliste, le disciple vierge13, le théolofJen14, en troisième le chœur des femmes qui accompagnent Marie 5; en dehors d'eux, il n'y a que quelques paroles de personnages individualisés mais surtout des récits de messagers16.

L'auteur de la pièce, disons maintenant Grégoire de Nazianze 17, a fait un ouvrage "selon Euripide" 18, un centon19 euripidéen ; ce centon

8 Chr. P. vv. 1 sqq.

9

Annonce de l'apparition en Galilée: Chr. P. v.

2106

et v.

2130

et apparition synthétique dans "la maison de Marie" vv.

2480-253l.

10 Ainsi Chr. P. vv.

1752

sqq. et prière finale. A noter aussi, dans les anticipations de jugement, la prise de Jérusalem par les Romains.

11

Chr. P. préambule, v. 6 : adjectif flTp:pomxpEkvoç repris au v.

29

du même préambule par fl1ltl1P mivuyvoç.

12 Le terme de OEOtOKoÇ ne figure que dans les interlocutions du Christus Patiens. Mais dans le préambule on a l'équivalent fl"t11P dSO'1totou (v.

25 ; 30).

13 Chr. P. préambule, v.

29

1tUpotvoç flUO'tl1Ç.

14

C'est le rôle qui est celui de Jean dans le Christus Pa tiens, et que soulignent les interlocutions OWÀOyoç ; l'allusion des vv. 5 et 7 du préambule, référence renvoyant à Jean 13, 23 et au final Jean 21, 20 + 24-25, est par là allusion à la théologie inspirée de Jean le théolOgien (cf. Chr. P. vv.

1761-1765).

15

Chr. P. préambule, vv.

29-30.

16

Sur les divers rôles dans le poème dramatique Christus Patiens, voir les articles de Francesco Trisoglio "1 deuteragonisti deI Christus Patiens "Dioniso. Rivista di studi sul teatro antico,

49, 1978, 119-187 ;

"La Vergine Maria come protagonista deI Christus Patiens" Marianum,

41, 1979, 199-266 ;

"La Vergine ed il coro nel Christus Patiens" Rivista di studi classici,

27, 1979,338-373.

17

Parmi les divers arguments employés contre l'authenticité grégorienne, la faible valeur de ceux tirés de la tradition manuscrite du Chr. P. est apparue avec l'édition Tuilier - voir aussi, pour une argumentaticn de tradition textuelle liée au texte d'Euripide, l'article d'A. Tuilier en Kentron

13, 1997, 119-131 ;

du point de vue du contenu et du style, voir Francesco Trisoglio, San Gregorio di Nazianzo e il Christus Patiens : Il problema dell'authenticità gregoriana del dramma. Casa Editrice Le Lettere, Firenze,

1996,320

p.

(Università degli Studi di Torino, Fondo di studi Parini-Chirio, Filologia.Testi e studi 7), qui montre que le Christus Patiens est plus proche du Grégoire de Nazianze non contesté que des œuvres des divers candidati impossibili byzantins - on peut aussi, si l'on ne dispose pas de l'ouvrage, se reporter au c.r. d'A. Tuilier dans la R.E.G.

10, 1997,632-647 -

voir encore, sur ces mêmes questions, l'article de J. Bernardi, Kentron, ibid.

139-147 ;

du point de vue de la métrique, 1. G. Rizzo, art. cit. p. 8, n.

17

(la note se poursuit jusqu'à la p.

12)

présente une bibliographie - en dépit des différences de métrique avec un poème du Nazianzène d'un autre genre littéraire, je ne crois pas qu'il y ait là preuve d'inauthenticité: J.-M. Mathieu, Kentron, ibid.

93-110 ;

pour la valeur réduite de certaines remarques morphologiques, syntaxiques et lexicales présentées comme objections à l'authenticité grégorienne, voir les remarques, importantes en dépit de leur rapidité, des notes

5

et

6

à sa préface en Fr. Trisoglio

1996,

cité plus haut. - Pour une revue des attributions autres, voir Francesco Trisoglio "Il Christus Patiens : Rassegna delle attribu-

(3)

n'est pas cependant un simple collage de vers ou d'hémistiches selon la technique préconisée par Ausone

2O

ou utilisée aussi dans les

Homéro-

centones ;

il

est rare que les vers empruntés ne soient pas modifiés et adaptés. Grégoire de Nazianze n'hésite pas à répéter plusieurs fois le même vers, à utiliser à la file plusieurs vers empruntés, mais aussi, inversement, à modifier les vers et à introduire des vers de son cru qui sont simplement de style tragique, et cela en proportion importante

21•

Comme l'a montré François Jouan à propos des expressions reprises au Rhésos

22,

la technique est surtout celle de la reprise de paquets de vers, avec, au besoin, interruption et modification. Cela transforme la techni- que, qui n'est plus celle du pur centon obéissant aux règles ausoniennes, en une technique de variation sur des passages ou des scènes. De ce point de vue des techniques de ce que Gérard Genette avait appelé la littérature au second degré 23, le XptcY'roç mxcrXffiv se situe quelque part entre les centons homériques, d'un côté, et, de l'autre, le Psautier homérique des deux Apollinaire et la Paraphrase

de

Saint Jean de Nonnos de Panopolis, où seuls la langue et le style sont empruntés.

Parmi les pièces d'Euripide utilisées dans le Christus Pa tiens, les Bacchantes sont l'une des quatre qui dominent. Si je me fie aux index de Tuilier un peu plus du cinquième des vers des Bacchantes sont plus ou moins repris

24 ;

cela situe les Bacchantes au troisième rang, après le

zioni" Rivista di studi classici, 22, 1974,351-423. Pour les premiers doutes sur l'authenti- cité, voir Michelle Lacore "Les Humanistes et les premiers doutes sur l'authenticité du Christos Paschôn " Kentron, 11 (fasc. 2) + 12 (fasc. 1), 1995-1996, 61-72. - Si la lecture de l'étude précise de Trisoglio 1996 a conflrmé l'impression que j'éprouve de plus en plus que le Christus Pa tiens dégage le goût d'une œuvre de Grégoire de Nazianze, manque peut- être encore, en dépit des remarques des notes de la préface de T. 1996, une étude linguistique aussi précise pour que l'authenticité soupçonnée soit prouvée au-delà de tout doute possible ; mais n'est-ce pas presque toujours le cas que qui veut trouver une certitude absolue dans le domaine d'une authenticité contestée doive conclure de façon hypercritique adhuc sub judice lis est?

18 Chr. P. préambule v. 3 Kat' EùputtOl]v.

19 Dans "La Datation et l'attribution du XptcrtQç 1tâcrxrov et l'art du centon" Actes du VIe Congrès international d'études byzantines, Paris 27 juillet-2 août 1948, t. 1, Paris, 1950, 403-409, André Tuilier a souligné (p. 406) que l'attribution à Grégoire de Nazianze situe le Christus Pa tiens au cœur de la grande période du centon.

20 Cento nuptialis. L'épître d'envoi en fait la théorie.

2146,73 % "di integra composizione dell'autore", 62G'0 "di sostanziale produzione dell'au- tore" selon Francesco Trosoglio "La Tecnica centonica nel Christus Patiens "Studi Sale- rnitani in memoria di Raffaele CANTARELLA, Universita degli Studi di Salerno, Isti- tuto di Filologia Classica, Pietro Laveglia editore, 1981,371-409. Voir spécialement p. 372.

22 Communication au Colloque de Caen de 1989, publiée en Synodia (= Mélanges GARZIA), Naples, 1997,495-505 (voir spécialement pp. 499-502).

23 Gérard Genette, Palimpsestes. La Littérature au second degré, Paris, Editions du Seuil (collection Poétique), 1982. Quelques mots sur le centon, pp. 54-55.

24 Sauf erreur de ma part 291 vers sur les 1392 de la partie conservée des Bacchantes sont plus ou moins repris dans le Chr. P. ; on ne peut évidemment tenir compte pour ce calcul

(4)

Rhésos'lfj et Médée dont presque le quart des vers sont repris, mais avant l'Hippolyte dont quelque 15

0/0

des vers sont repris. Si l'on fait le calcul en sens inverse et que l'on se demande quelle proportion du Christus Patiens est empruntée aux Bacchantes, cette pièce se situe au second rang des sources, un tout petit peu après Médée, fournissant nettement plus du septième du texte complet, soit environ le quart du texte si peu que ce soit centonique

26.

On comprend l'intérêt que peut avoir le Christi us Patiens pour la lecture moderne des Bacchantes, non seulement comme source textuelle, contribuant en particulier aux tentatives faites pour combler la grande lacune manuscrite située entre les vers 1329 et 1330 des Bacchantes, après que l'importance et l'emplacement de cette lacune aient été reconnus par la généralité de la critique

27,

mais aussi à titre d'élément de comparaison entre des drames figurant cette violence sacrée en quoi on peut être tenté de voir l'élément essentiel qui définirait le sacrifice.

C'est cette comparaison interprétative que je vais m'efforcer de traiter, écartant d'abord quelques illusions anciennes dues à une trop grande facilité dans des rapprochements qu'on ne doit pourtant pas, inverse- ment, traiter par le mépris.

C'est en effet une tentation naturelle que de rapprocher une tragédie dionysiaque et une tragédie chrétienne

28,

tragédies dont la première traite de la violence sacrée qui accompagne l'instauration du culte de Dionysios en Grèce et la seconde traite de la violence sacrée qui sert à l'instauration de la religion chrétienne. Si l'on estime que l'on peut faire une théorie générale du sacrifice selon laquelle le sacrifice consiste, essentiellement ou au moins éminement, dans la mise à mort du dieu suivie de sa consommation comme victime, rite sanglant de rétablisse- ment de l'unité après son violent déchirement, rite d'expiation du péché

preCIS des vers du Chr. P. dont on peut raisonnablement supposer qu'ils ont été empruntés à la grande lacune des Bacchantes.

'lfj Selon Jouan, art. cit., p. 496, 247 vers sur 996.

26 Il y a 325 vers venant plus ou moins du texte des Bacchantes transmis d'autre part par la tradition manuscrite (325 et non plus 291, à cause des vers répétés) ; on peut y ajouter 21 vers appartenant peut-être à la grande lacune. - Pour calculer les proportions, je me fie à l'article de Trisoglio dans les Mélanges CANTARELLA cité plus haut.

27 C'est Henri Grégoire qui, dans son édition de 1961 (Euripide, t. VI, fasc. 2, Paris, Belles Lettres 1961/Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l'Asso- ciation Guillaume Budé!) a poussé le plus loin cette tendance, n'hésitant pas à introduire à cette place, sous leur forme restituée par les critiques qu'il suit, les vers supposés empruntés par l'auteur du Christus Patiens. Les éditions critiques ultérieures (Kopff : Teubner 1982 ; Diggle : OCT 1994), ainsi que Jean Irigoin dans sa révision de l'édition CUF par Grégoire, sont revenus, pour ces vers supposés empruntés et adaptés, à la présen- tation en appendice, d'une plus grande prudence philologique.

28 Ou plutôt un poème dramatique chrétien destiné à une lecture effectuée par les pepai- deumenoi (cf. le dialogue dans le récit, qui rend particulièrement difficile une mise en scène, même en décor simultané).

(5)

dans la communion

29,

du coup, l'étude des reprises textuelles des Bacchantes dans le Christus Patiens apparaît comme une façon d'étudier éminemment, à l'intérieur d'une théorie générale du sacrifice, les nuances qui séparent le sacrifice dionysiaque et le sacrifice chrétien

30•

Point de départ dangereux

D'abord tous ne reconnaissent pas que l'on puisse former comme un objet bien défini et correspondant à une unique réalité un concept englobant de sacrifice. Celui-ci peut être une illusion, reposant sur un usage moderne

31

abusivement étendu du mot sacrificium et des termes savants qui lui sont empruntés ou qui le traduisent dans les langues modernes

32.

Il y a toujours eu des théologiens, philosophes ou anthropo- logues

33

qui se refusent à considérer comme opératoire un tel concept

29 J'entends résumer ainsi les idées développées par W. Robertson Smith dans ses Gifford Lectures Religion of the Semites 18901, 18942 et dans son article "Sacrifice" de l'Encyclopaedia Britannica de l'époque (9ème éd., vol. 21, 1889, pp. 132-138), plus connues maintenant par l'usage qu'en fit Freud. Mais, bien qu'Henri Hubert et Marcel Mauss déclarent en 1899 que "R. Smith fut le premier qui tenta une explication raisonnée du sacrifice" ("Essai sur la nature et la fonction du sacrifice" Année sociologique 2, 29-138, repris en Mauss, Oeuvres, t. 1, Paris, Editions de Minuit, 1968, 193-307. - Pour la phrase citée, voir p. 30 =194), Smith n'est pas sans précurseurs. - Bien que Smith date d'il y a un siècle, je préfère, pour la violence sacrée, me référer à lui qu'à Girard, car l'aspect manducation du schéma du sacrifice sanglant que l'on peut s'efforcer de tirer des sacrifices classiques et hébraïques n'intéresse pas Girard.

30 C'est encore une fois Henri Grégoire qui, dans son édition des Bacchantes, a peut-être le plus insisté sur les rapprochements entre le dionysisme des Bacchantes et le christia- nisme ; voir sa traduction des vv. 284-285 et sa note ad locum.

31 Je fais remonter ici la modernité de l'Occident aux théologiens scolastiques et à leurs héritiers, y compris critiques.

32 Je ne connais pas en français, langue romane, de dérivation populaire du terme sacrificium. L'Opfer allemand, qui n'a pas de rapport étymologique avec Heilige (contrai- rement à sacrificium, qui est lié à sacer, sacra, sacrum ), témoigne en compagnie de ce dernier mot d'une spécialisation théologique. Sacrifice et sacred (encore que, comme synonyme de ce dernier terme, il y ait aussi le théologique Holy ) sont en anglais des emprunts latins ...

33 Les discussions des théologiens catholiques au Concile de Trente témoignent entre autres de la difficulté de donner un sens unique au terme sacrificium supposé pourtant bien connu en théologie et dans l'usage liturgique: voir, par exemple, l'article du P. Angelo Gramaglia "La Sacraficalità della Messe nel Concilio di Trento" en Centro Studi Sanguis Christi VIII (Sangue e antropologia nel Mediaevo a cura di Francesca Vattioni I=Atti delle VII Settimane Roma 25-30 nov. 1991/ Roma 1993) tome 2, p. 1179-1996. Pour le refus, parmi les théologiens catholiques, de la théorie générale de W. Robertson Smith qu'il estime trop influencée par la théologie chrétienne du sacrifice (pourtant diverse), voir M.-J. Lagrange dans ses Etudes sur les religions sémitiques, 2e éd. 1905. Voir encore l'atti- tude de recueil de documentation de l'ouvrage d'A. Loisy Essai historique sur le sacrifice, Paris, Nourry, 1920. Enfin, plus récemment, voir Jonathan Z. Smith dans l'article cité à la note suivante. - Parmi les hellénistes, W. Burkert et J.-P. Vernant attribuent une valeur particulière pour la compréhension du sacrifice au sacrifice sanglant, le sacrifice prenant

(6)

englobant et qui, pour le dire peut-être un peu trop brutalement, sont bien contraints par l'usage d'admettre l'emploi confus du mot sacrifice pour désigner

les

sacrifices dans leur diversité, mais ne considèrent pas comme une réalité unique

le

sacrifice

34.

Ensuite

il

convient de rappeler aux hellénistes classiques que les notions de sacrifice sanglant ou de sacrifice d'expiation ne sont pas les seules

35

qui soient employées dès la première génération chrétienne pour interpréter la mort de "Jésus le Nazaréen, le roi des Juifs"36 comme salut universel, mais qu'il existe aussi des notions de victoire, de libération, de descente et de remontée

37.

Les théorisations des premiers siècles chrétiens, comme d'ailleurs celles des générations ultérieures, ont insisté, pour présenter une doctrine du salut, tantôt sur tel aspect, tantôt sur tel autre

38.

par là une certaine unité, malgré la façon différente qu'ils ont de concevoir le sacrifice sanglant; mais M. Detienne (voir note suivante) refuse toute unité à la notion de sacrifice.

34. Voir, dans la discussion du texte de Jonathan Z. Smith "The Domestication of Sacrifice", Violent Origins (=Walter Burkert, René Girard and Jonathan Z. Smith On Ritual Killing and Cultural Formation, edited by Robert G. Hamerton-Kelly, with an Introduction by Burton Mack and a Commentary by Renato Rosaldo), Stanford University Press, 1987, 191-205, la remarque (p. 214) de Cesareo Bandera "Jonathan seems to he ...

atomizing it (sc. sacrifice) into ... an infinite "dissemination" of meaning, because it appears that's the only way now in which it can he saved" - Plus anciennement, voir Marcel Detienne "Pratiques culinaires et esprit de sacrifice" en Detienne, M. et J.-P. Vernant (et alii) La Cuisine du sacrifice en pays grec, Paris Gallimard, 1979 (Bibliothèque des Histoires), 7-35 et spécialement la phrase de conclusion : "Aujourd'hui, dans la distance que creusent encore davantage les analyses publiées en ce volume, il semble important de dire que la notion de "sacrifice" est bien une catégorie de la pensée d'hier, conçue aussi arbitrairement que celle de totémisme - dénoncée naguère par Lévi- Strauss - à la fois pour rassembler en un type artificiel des éléments prélevés ici et là, dans le tissu symbolique des sociétés, et pour avouer l'étonnant empire que le christianisme englobant n'a cessé d'exercer secrètement sur la pensée de ces historiens et sociologues convaincus qu'ils inventaient une science nouvelle." (Contre certaines formu- les trop rapides de Detienne accessoires pour mon propos, noter que le caractère prégnant du vocabulaire de l'esprit de sacrifice ou du sacrifice pour désigner, après la disparition des sacrifices sanglants en Occident, ce que la tradition chrétienne nommait auparavant componction ou mortification n'est pas chose antérieure, mais contemporaine ou postérieure à W. Robertson Smith et à Mauss - voir les articles du D.T.C. ou du Dictionnaire de Spiritualité.).

35 Elles sont évidemment présentes dans les textes néotestamentaires (Ainsi : a) "Paroles de l'Institution" - de l'Eucharistie =1 Cor. 11, 25 cf. Matth. 26, 28 cf. Mc 14, 24 cf. Le 14, 20 ; b) le Christ comme agneau; c) Hébreux 9, 6-11 ; d) Hébreux 9, 18-21 ), mais il convient de se souvenir que ces textes renvoient à des sacrifices différents (la Pâque, l'Alliance et le Yom Kippour).

36 Texte de la pancarte indiquant le motif du supplice d'après Jean 19, 19 cf. Matth. 27, 37 cf. Mc 15, 26 cf. Le 23, 38.

37 Ainsi victoire 1 Cor. 15, 26 etc. ; libération Romains 6,18 etc. ; descente (et anéantis- sement: "kénose") et remontée Philippiens 2,6-11.

38 Hors liturgie eucharistique, la thématique sacrificielle joue surtout dans l'imaginaire du martyre, dans la critique des sacrifices sanglants liée à l'idée de sacrifice spirituel.

(7)

Enfin, du point de vue plus matériel du vocabulaire grec du sacrifice - cette notion fluente - ,

il

faut souligner que le vocabulaire varie à travers les âges, dans le grec homérique et classique, le grec septantaire et chrétien, sans qu'à aucune époque on dispose d'un terme vraiment englobant et unique désignant une notion unique de sacrificium ou de sacrifice

39.

Ces remarques préliminaires précautionneuses n'empêchent pas la nécessité de partir de l'aspect sacrificiel, ou, si l'on veut, du caractère sanglant et sacré de l'aventure, pour tenter d'étudier la lecture inter- prétative que l'auteur du Christus Patiens peut faire des Bacchantes dans son utilisation de la pièce d'Euripide. Mais nous ne serons pas étonnés qu'il n'y ait pas dans le Christus Patiens valorisation univoque du sacrifice sanglant.

Un examen lexicologique rapide concernant les expressions et termes sacrificiels conduit en effet à des constatations d'abord négatives.

L'expression sacrificielle des Bacchantes qui fait d'Agavè la "sacrificatrice ('u;pÉa) qui commence le meurtre"40 n'est pas reprise dans le Christus Patiens

41 ;

ni ne sont reprises et adaptées les libations de Dionysos-vin

(<r1tÉvoe'tat) 42.

Inversement, dans le vocabulaire du Christus Patiens, le sacrifice désigné par le verbe eUet v est, dans la tirade initiale de Marie où ce personnage principal joue aussi un peu le rôle d'un théos prol'1!izôn, son acceptation-sacrifice de sa maternité lors de l'Annoncia- tion ; le même discours de Marie oppose manifestement le sacrifice

Mais la sôtériologie est souvent marquée par la notion de divinisation et ce que l'on a appelé "la théorie physique de la Rédemption", ou l'Incarnation-Rédemption.

39 De ce point de vue du vocabulaire se reporter à Jean Casabona, Recherches sur le vocabulaire des sacrifices en grec des origines à la fin de l'époque classique (Publica- tions des Annales de,la Faculté des Lettres Aix en Provence, Nouvelle série n° 36), Editions Ophrys, 1966 - qu'on peut compléter d'un autre point de vue par Jean Rudhart, Notions fondamentales de la pensée religieuse et actes constitutifs du culte dans la Grèce classique. Etude préliminaire pour aider à la compréhension de la piété athé·

nienne au Ne siècle, Genève, Droz, 1958 ; d'un autre côté à Suzanne Daniel Recherches sur le vocabulaire du culte dans la Septante (Etudes et Commentaires 61), Paris, Klincksieck, 1966 - qu'on peut compléter par les trois derniers chapitres et les tableaux (concernant les traductions grecques - et latines - des termes sacrificiels hébraïques) de R. K. Yerkes, Le Sacrifice dans les religions grecque et romaine et dans le judaïsme primitif, trad. française, Paris, Payot.

40

Bacch. 1114.

41 Elle ne pourrait évidemment être reprise que sous forme modifiée et adaptée ; mais il n'y a là aucune difficulté pour l'auteur du Christus Patiens.

42 Bacch. 284 - c'est le vers que Grégoire commente en l'appelant "formule eucharis- tique".

43 Chr. P. v. 79 : s9uov ; cf. v. 83 9ûetv, avec au v. 82 l'allusion à l'autel des parfums et à l'osmè euôdias (9uTlcpUYov <jIÉpouaa 1:' euwôTl <jIÀ,oya) que les vv. suivants interprétent, selon les "inspirés" (manifestement des textes veterotestamentaires de spiritualisation des sacrifices tels que Ps. 51, 19

=

50, 17 SPT, littéralement cité au v. 84), comme le zèle, la componction et l'érôs, avant que 9uaiav revienne au v. 86. Mais l'allusion précise est, aux vv. 71 sqq., à l'Annonciation, décision qui mène à la continuité (l'imparfait ?) de cet amour

(8)

qu'elle a accompli, et qui est une décision, à la condition de

mpaywv

(être mortel que l'on va égorger plus que victime sacrificielle)44 qui serait celle de son enfant, condition qu'elle ne peut reconnaître au "roi de la terre et du ciel entiers"45 qu'il est; les autres emplois des mots dérivés de la racine de sphagein dans le Christus Patiens4{) désignent en effet une mort atroce subie injustement, que ce soit celle de Jésus ou de Jean Baptiste

47.

Il semble qu'il y ait non pas seulement une absence quasi totale de vocabulaire sacrificiel, mais une valorisation négative de la notion de sacrifice sanglant, même lorsque cette notion pourrait s'appliquer à la mort du Christ.

Une étude rapide de certains thèmes et motifs ou de certaines scènes comportant des reprises textuelles de passages des Bacchantes vient confirmer ce refus explicite par l'auteur du Christus Patiens de la notion de sacrifice comme violence sacrée positivement valorisée.

L'un des thèmes où les reprises sont le plus clairement marquées est celui de l'exil du peuple juif après la prise de Jérusalem

48,

où Thèbes victime de la vengeance de Dionysos devient Jérusalem prise

49,

Cadmos et Agavè exilés deviennent les juifs, y compris Joseph d'Arimathie

50•

Du point de vue de la technique des reprises, on peut toutefois constater qu'il n'y pas équation aussi simple mais

a) coalescence de personnages: Cadmos n'est pas seulement le peuple juif, il est aussi Adam

51 ;

b) fusion d'épisodes: l'exil des juifs est décrit tantôt en empruntant des vers à l'exil de Cadmos et d'Agavè et tantôt en retournant les vers

déchirant, qu'expriment aussi les évocations de la prédiction du vieillard Siméon qui encadrent (vv. 27-31 et et 87) ce développement.

44 Chr. P. v. 77.

45

Chr. P. v. 78. Ainsi le glaive qui tranche l'âme de Marie selon la prédiction de Siméon

(Le 2, 85 ), n'a-t-il pas seulement valeur affective, mais marque-t-il la division entre la compréhension de la Mère de Dieu (cf. Mathieu, Kentron 13,1997, 111-117) et l'incompré- hension de laphysis, de la nouvelle Eve qu'est aussi Marie (vv. 43 sqq.).

4{} Chr. P. vv. 583, 716, 1388 réexplicité 1391.

47 Mort explicitement injuste au v. 1391, et même en propres termes au v. 716. Seul le v. 1388 (préfiguration de la mort du Christ dans le sacrifice d'Abraham) pourrait donner valeur positive au sacrifice sanglant accompli par le père (Père ?) ; mais la préfiguration est surtout celle du sauvetage des morts (v. 1383 sqq. - sauvetage d'Isaac? en même temps que salut opéré par la remontée des enfers) ; et le passage à l'égorgement injuste de Jean Baptiste par le peuple des Hébreux semble souligner encore l'injustice qu'eût été celle du sacrifice d'Isaac, s'il avait été accompli, et exonérer le Père de l' "égorgement" du Fils.

48 Ainsi Chr. P. vv. 1560 sqq. ; 1668 sqq. ; 1700 sqq.

49 Ainsi Bacch. vv. 50-52 et Chr. P. vv. 1575-1577.

50 Ainsi Bacch. vv. 1330 sqq. et Chr. P. vv. 1668 sqq. et 1700 sqq.

51 Bacch. v. 265 repris en Chr. P. v. 195 avec simple substitution du nom d'Adam au nom de Cadmos; cf. encore Bacch. vv. 1314-15 et Chr. P. vv.1342-43.

(9)

qui décrivent la venue des Bacchantes dionysiaques depuis la Bactriane

52 ;

c) renversement de situations: c'est déjà le cas de cette venue qui se transforme en exil, mais on voit aussi les serpents dans lesquels sont transformés Cadmos et Harmonie devenir dans le Christus Patiens les serpents des enseignes des légions romaines qui s'emparent de Jérusalem

53•

Il nous faut cependant surtout remarquer

a) que cette violence de l'exil n'est de toute façon pas une violence sacrificielle ;

b) qu'il s'agit dans les Bacchantes d'une vengeance manifestant le divin, attitude contre laquelle proteste alors Agavè, au nom d'un sens humain de l'indignité d'une telle manifestation de colère chez les dieux

54 ;

quand ce même vers est repris dans la prière finale du Christus Patiens

55,

le

1tP&1tEl

d'Agavè, invitant la divinité à une justice sans colère, est devenu un

iÙ~EV

de l'auteur chrétien, certain d'une justice divine dépourvue de sentiment de vengeance et même, comme le montrent les vers qui encadrent cette reprise, persuadé de l'existence d'une disposition divine au pardon qui transcende la justice vengeresse;

c) que la justice de cet exil vengeur qui frappe les juifs demeure dans le Christus Patiens chose douteuse et mystérieuse :

il

faut noter la façon dont la prière de la Vierge qui demande à son fils d'épargner le crime à son peuple est approuvée par lui sans être sanctionnée5

6,

et la façon dont demeure dans l'incertitude la question du sort futur des descend- ants des criminels

57 ;

nous pouvons aussi remarquer les difficultés que rencontre l'auteur du Christus Patiens pour traiter du sort de Joseph d'Arimathie

58•

Bref l'auteur répugne à lier Dieu à une violence quelconque, même postulée juste ..

L'utilisation du récit de la mort de Penthée5

9

comprend certains traits analogues de renversement affectif ou de renversement de valeurs ; de même

il

marque encore un refus d'une notion de violence sacrée positivement valorisée.

52 Le prologue des Bacchantes, prononcé par Dionysos est particulièrement utilisé dans les vv. 1560 sqq. du Chr. P.

53 Bacch. 1330 sqq. et 1354 sqq. réutilisés en Chr. P. vv. 1683-84, vers où, en plus des emprunts textuels aux vers 1335 et 1360 des Bacchantes, l'AùcrovûJv OPUKûJV de Chr. P.

v. 1684 ne peut pas ne pas être un souvenir du OPUKûJV qu'est Cadmos en Bacch. vv. 1330 et 1358.

54Bacch. v. 1348.

55 Chr. P. v. 2563.

56 Chr. P. vv. 794-796.

57 Chr. P. vv. 790-792.

58 Chr. P. vv. 1700-1710 et1752-1765.

59Bacch. vv.1043-1152.

(10)

La scène est utilisée pour attribuer les actes et les paroles de Penthée à trois personnages, Jésus, Judas, l'auteur lui-même.

a) Passons rapidement sur le changement de locuteur qui fait attribuer la prière qu'adresse Penthée à sa mère à l'auteur lui-même, s'adressant à Dieu dans la prière qui termine la pièce

60.

Du point de vue de la thématique de la violence, c'est du moins une marque que certaines violences physiques trop fortes sont, autant que possible, éliminées du récit de la Passion

61.

Notons d'ailleurs que la douleur de la mère est, dans le Christus Patiens, toute morale6

2,

cependant que, en tant que personnage parlant du haut de la croix, Jésus

y

est plus juge que victime6

3.

b) Ce qui est essentiellement conservé dans le passage de Penthée à Jésus, c'est la montée vers le haut; le sommet c'est "le bois qui court vers le ciel"64 ; le sapin qui se redresse est transformé en ce bois qui "se trouve fixé tout droit, droit vers l'éther"65. Marque d'un imaginaire chrétien connu où le crucifié ne se distingue pas de sa croix qui est elle- même antenne et étendard victorieux

66•

Marque aussi d'une théologie qui est celle de la descente et de la remontée comme celle de la victoire et que l'on retrouve dans le Christus Patiens en particulier lorsqu'est évoquée la descente aux enfers

67.

c) Le troisième personnage en lequel se transforme Penthée, c'est Judas pendu qui tombe de son gibet, comme les Bacchantes font tomber Penthée de son sapin

68.

Cette utilisation successive d'un même personnage comme figure tantôt d'un héros positif et tantôt d'un héros négatif est chose moins étonnante pour l'imaginaire chrétien qu'il ne pourrait sembler à quelque rigide esprit de notre temps, puisqu'on connaît le bois maudit comme le bois sauveur et le serpent maudit

60 Bacch. vv. 1118-1121 et Chr. P. vv. 2564-2566.

61 Si la compositio membrorum peut jouer son rôle dans la descente de croix, la disjectio membrorum (Bacch. vv. 1122 sqq.) est éliminée - et non adaptée à la croix.

62 Ceci demanderait démonstration: je propose au lecteur du Christus Patiens de vérifier par lui même l'hypothèse selon laquelle, dans cet ouvrage, la virginité de Marie exclut tout pathos physique, aussi bien comme souffrance corporelle que comme plaisir physique.

63 Chr. P. vv. 727 sqq. ; 761 sqq. ; 796 sqq. ; 820 sqq. ; 834 sqq. : toutes paroles du Christ-Juge.

- Ce sont uniquement les réactions des assistants (Chr. P. vv. 838 sqq.) qui rapportent le cri du crucifié.

64 Christ. Pat. v. 660, reprise fortement modifiée de Bacch. v. 1064.

65 Christ. Pat. v. 662 = Bacch. v. 1073.

66 Imaginaire étudié il y a longtemps : ainsi par Jean Daniélou, Théologie du Judéo- Christianisme, Desclée, Tournai, 1958, 289 sqq. ; le thème de l'Antenna Crucis (Hugo Rahner) ...

67 Ainsi Chr. P. vv. 745-46; 1383-86; 1505-1529.

68 Bacch. vv. 1111-1113 repris en Chr. P. vv. 1430-32. Penthée est déjà Judas en Chr. P.

v. 191 reprenant et modifiant Bacch. v. 263. - Mais dans le nouveau recit de la mort de Judas (Chr. P. vv. 1690 sqq.), c'est Cadmos (dont la douleur n'aura pas de terme même en franchissant le cours de l'Achéron) qui peut figurer Judas et sa peine sans fin dans le fleuve de feu de l'Hadès où il tombe (Bacch. vv. 1360-62 et Chr. P. vv. 1695-1697).

(11)

pendu au bois comme l'antitype du Christ sauveur pendu à la croix69. La transposition imaginaire est aussi marquée par le renversement et le déplacement d'un thème néotestamentaire : Judas tombé "a crevé par le milieu et toutes ses entrailles se sont répandues"70 ; ce sort est évoqué discrétement dans l'une des descriptions de la mort de Judas figurant dans le Christus Patiens 71 ; mais la grande crainte de la mère de Dieu, et des femmes qui l'accompagnent, est que les entrailles de son fils se répandent, soit dans le chemin vers la croix72, soit depuis la croix73. Jeu de miroirs entre le Maudit et le Sauveur qui justifie bien l'usage d'une même figure euripidéenne pour les désigner tous deux74.

Que conclure de cette rapide étude?

1)

D'abord que, si la mécanique de la lecture d'un texte écrit transfor- mé en texte écrit a évidemment joué dans le dernier stade de compo- sition du XptO"'toç 1tClcrXffiV, l'origine de la composition me paraît la transposition affective et imaginaire faisant fonctionner ensemble des textes, les uns euripidéens, les autres chrétiens, connus par cœur et se

69 Typologie chrétienne banale du bois maudit et du bois sauveur. Le serpent d'airain (Nb 21, 8·9 ), figure de Jésus en croix dès Jean 3, 14, ce qui n'est pas sans poser des problèmes d'exégèse aux commentateurs chrétiens, étant donnée la symbolique usuelle chrétienne du serpent. Selon Grégoire de Nazianze (Or.

45,22)

'0 ... X<lÀ.KOÛÇ ocjnç Kps/-lâ'tut /-lèv ... OUX roç runoc; 'toû lmÈp l]/-lrov 1tu90v'toç aU' roç avrî TOnOe; ... ; et l'on voit que là antitype n'a point le sens (qu'il présente souvent) de "correspondant symbolique", mais de

"modèle inversé".

70Act. 1, 18 ÈÀ.aKllO'SV /-lÉcroç KUt È~sxu911 1tav'tu 'tà. cr1tÀ.anvu U\)'toû. Thème ravivé dans l'imaginaire chrétien du Nème s. par la tradition orthodoxe de la mort d'Arius, nouveau Judas, dans les latrines publiques de Constantinople où il rendit ainsi son âme par le bas.

71

Chr. P. v. 1694 aixu À.uKtcret. Noter, à propos des condensations de personnages, que les vers suivants utilisent Cadmos pour figurer Judas.

72 Chr. P. vv. 490-494 Oes femmes : le v. 494 évoque les entrailles qui pourraient être répandues sur le chemin : 6yKuw 1tUtaOç si À.swcjlopoç À.a~\1).

73

Chr. P. vv.

1071-1077

Oa Théotokos : texte d'expression très parallèle à

490-494).

la crainte précise demeure inexprimée dans ces vers, mais les vers suivants

(1078-1094)

marquent la douleur devenant joie devant la merveille qu'est le surgissement inattendu, sous le coup de lance, de sang et d'eau pure (v.

1082)

en onction purificatrice (v.

1094),

c'est-à-dire baptismale.

74

Dernière utilisation (avec renversement) de la mort de Penthée (mais renvoyant toujours, comme plus haut à l'équivalence PenthéelJésus), où la voix divine et le silence qui précèdent le châtiment de Penthée deviennent la voix divine et le silence qui suivent l'ouverture du tombeau du Christ: Bacch. vv.

1078-1085,

cf. Chr. P. vv.

2256-2261:

en somme Penthée montant est Jésus élevé et triomphant par la Croix ou par la Résurrection. - Les autres équivalences de personnages que marquent les reprises verbales de la scène (Ainsi les Bacchantes en face de Penthée dans l'arbre devenues les spectateurs de la crucifixion : Bacch. vv.

1086-1087

et

1095-1097

cf. Chr. P. vv.

666-673)

me paraissent intellectuellement moins intéressantes.

(12)

rassemblant dans le souvenir. Dans sa première étape, le travail du centon me paraît ressembler ici au travail du rêve.

2) Ensuite que l'usage principal des Bacchantes dans le Christus Pa tiens ne repose pas sur le rapprochement de deux cultes mais sur celui de deux histoires de famille : celle de Zeus, Cadmos et ses filles, Dionysos et Thèbes pour les Bacchantes ; celle de Dieu, Adam et Eve et Marie, Jésus et Jérusalem pour le XPtcr'toç nacrxrov.

3) Enfin qu'il y a, dans cette même pièce chrétienne, refus du sacri- fice, de la valorisation de la violence corporelle et sacrée; sauf quand il y a (ambivalence du sacré

?)

retournements, voire jeux de miroirs, entre le Bien et le Mal, le Maudit et le Sauveur.

Peut-on aller plus loin et donner une place importante à la lecture nazianzénienne des Bacchantes dans le Christus Patiens pour interpréter nous mêmes les Bacchantes?

Il me semble que, quels que soient les aspects à la fois personnels et chrétiens dans les paradoxes de l'ambiguité ou de l'ambivalence qui sont ceux que marque l'utilisation des dramatis personae des Bacchantes dans ce nouveau poème dramatique, cet usage nazianzénien de l'ambivalence souligne quelque chose qui existe déjà dans le texte euripidéen.

Jean-Marie MATHIEU Université de Caen

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