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Observer le travail enseignant.

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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N°19 - Juin 2014

De l’observation des pratiques enseignantes

Numéro coordonné par Line NUMA-BOCAGE Jean-François MARCEL Philippe CHAUSSECOURTE

Recherches

Éducation en

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Dossier

De l’observation des pratiques enseignantes

Coordonné par Line Numa-Bocage

Jean-François Marcel & Philippe Chaussecourte

LINE NUMA-BOCAGE, JEAN-FRANÇOIS MARCEL

PHILIPPE CHAUSSECOURTE 3

Édito - De l’observation des pratiques enseignantes

MARC BRU 7

Le choix de l’observation pour l’étude des pratiques enseignantes

CHANTAL AMADE-ESCOT 18

De la nécessité d’une observation didactique pour accéder à l’épistémologie pratique des professeurs

THIERRY PIOT 30

Observer les pratiques enseignantes : la psychologie historico-culturelle, un cadre pour caractériser les dimensions visibles et invisibles du travail enseignant

LINE NUMA-BOCAGE 40

De l’observation comme instrument psychologique pour le chercheur et l’enseignant

CHRISTINE FELIX, RENE AMIGUES & 52 LAURENCE ESPINASSY

Observer le travail enseignant

PHILIPPE CHAUSSECOURTE 63

Une observation clinique d’orientation psychanalytique des pratiques enseignantes

JEAN-FRANÇOIS MARCEL 82

Les pratiques enseignantes mises en récit

ALAIN JEAN 96

Observations de pratiques de professeurs-stagiaires Quelles évolutions des savoirs professionnels ?

CORINNE MERINI, SERGE THOMAZET & 108 PASCALE PONTE

Un cadre théorique et méthodologique pour l’observation des pratiques collaboratives des maîtres E

YVES LENOIR 119

L’observation des pratiques d’enseignement : une approche à caractère sociologique

Recherches en Éducation

N°19 - Juin 2014

Varia

GUILLAUME AZEMA & SERGE LEBLANC 134 À propos de l’intérêt de questionner l’activité

improvisationnelle des jeunes enseignants

MARIELLE BOISSART 147

Le mémoire en formation infirmière en France : exemple d’un dispositif à visée socioconstructiviste

REMI BONASIO & PHILIPPE VEYRUNES 164 Les « devoirs » : une pratique sociale à la croisée

des espaces éducatifs ?

ALFRED ROMUALD GAMBOU 175

L’approche métamorphique de l’éducation : l’éducation comme souci de soi

ELISABETH MENOUAR & DANIEL BART 184 Les évaluations nationales de CM2 :

modes de passation et spécificités disciplinaires

MARIE-PAULE POGGI & MATHILDE MUSARD 195 Rapport au savoir en EPS à l’école primaire

Recensions

À l’innocence, à la gravité et à la noblesse d’âme de 208 mon époque et de ma patrie.

JOHANN HEINRICH PESTALOZZI Recension par Jean-Marc Lamarre

La Pédagogie traditionnelle. Une histoire de la

Pédagogie, suivi de « Petite histoire des savoirs 212 sur l’éducation »

JEAN HOUSSAYE Recension par Michel Fabre

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Observer le travail enseignant Christine Félix, René Amigues, Laurence Espinassy

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Résumé

Le but de ce texte est de présenter le rôle que joue l’observation dans l’analyse de l’activité enseignante du point de vue du travail. Il vise à montrer comment le cadre méthodologique des

« autoconfrontations » constitue un milieu à partir duquel l’expérience incorporée des professionnels se trouve « désincorporée » par l’observation soumise à une co-analyse entre praticiens et chercheurs. Auparavant seront présentés les fondements épistémologiques et théoriques de l’observation conçue comme méthode d’intervention et source de production de connaissances. Son rôle dans l’analyse de l’activité sera situé au regard des diverses formes et postures de l’observateur et de l’observé, ce qui permettra d’interroger le statut épistémologique de la vidéo dans l’observation instrumentée auprès de professionnels. Sera ensuite présenté le rôle de la vidéo comme artefact dans un cadre méthodologique conçu pour susciter l’autoconfrontation des professeurs, activité qui n’a rien de spontané. A partir de l’analyse de quelques extraits, nous montrerons le caractère socialement construit des ressorts et mécanismes à l’œuvre dans l’autoconfrontation en lien avec le développement de l’expérience professionnelle. Pour terminer, la discussion reviendra sur les objets, le temps et les milieux de l’observation dans laquelle le corps du professeur demeure un objet encore mal identifié.

Le but de ce texte est de présenter la place de l’observation et le rôle qu’elle joue dans l’approche ergonomique de l’activité des professionnels de l’éducation (ERGAPE dans la suite).

Considérer l’enseignement comme un travail (Amigues, 2003) consiste à ne pas réduire l’activité enseignante à la réalisation concrète d’une tâche prescrite ou à son résultat. Si comprendre le travail ne se limite pas à « regarder l’activité réelle, comme un comportement ou une conduite observable et réalisée » (Clot, 1995, p.3) et si « les activités suspendues, contrariées ou empêchées, voire les contre-activités, doivent être admises dans l’analyse » (Clot, 1999, p.120), l’analyse de l’activité enseignante pose la question de l’articulation du « visible » et de

« l’invisible ». Si cette dernière est commune aux travaux conduits dans le Réseau OPEN (Observatoire des Pratiques Enseignantes), les rapports entre observation directe et observation indirecte diffèrent selon que l’analyse porte spécifiquement sur les pratiques enseignantes dans des situations d’enseignement-apprentissage ou sur l’activité enseignante en situation de travail.

Le périmètre conceptuel des unes ne recouvre pas le périmètre conceptuel des autres, de même que les objets mobilisés (savoirs, élèves, interaction…) n’ont pas le même statut dans un cas comme dans l’autre.

Plus précisément, nous chercherons ici à examiner les ressorts méthodologiques de l’observation susceptibles de permettre aux professionnels de « prendre la mesure de ce qu’il faut changer dans l’activité pour remettre le geste en mouvement dans le dialogue professionnel entre les connaisseurs que sont les opérateurs » (Fernandez, 2009, p.277). Dit autrement, il s’agit de regarder dans quelle mesure et de quelle manière l’observation de son activité par l’entremise de la vidéo est « reprise » par l’enseignant observé. Que fait-il de l’observation dans son travail ? Plus largement, quel est le statut de l’observation dans l’analyse de l’activité enseignante ? Tourner « en positif », ou objectiver, une réaction subjective à l’observation suppose de redonner la parole aux observés. Ce qui revient à s’intéresser non seulement à ce que disent les professionnels sur ce qu’ils font, mais aussi à ce qu’ils font de ce qu’ils disent (Bruner, 1991). C’est ce « résidu » de l’observation (Clot, 2006) qui, selon nous, peut servir de

1 Christine Felix, maître de conférences ; René Amigues, professeur des universités ; Laurence Espinassy, maître de conférences, Aix Marseille Université, Écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE).

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ressort à l’analyse de l’activité, à condition, toutefois, que l’aménagement d’un milieu de travail organise des conditions permettant à « l’observé » – ici l’enseignant en activité dans son établissement scolaire – de devenir « l’observateur » de sa propre activité.

Après avoir précisé notre positionnement épistémologique, nous montrerons comment, par l’entremise du cadre méthodologique des autoconfrontations, nous nous efforçons d’offrir un milieu à partir duquel l’expérience incorporée des professionnels se trouve désincorporée par l’observation soumise à une co-analyse entre pairs et/ou chercheur.

1. Méthode indirecte et prise de conscience

La théorie de l’activité de Vygotski est considérée « au plan méthodologique comme le lien entre le monde externe et la conscience » (Moro, Rodriguez & Schneuwly, 1990, p.8). La conscience individuelle est reliée aux mécanismes sociaux de communication verbale. L’action matérielle reconstruite verbalement dans l’interaction sociale sur le plan de la conscience se transforme en une action qui s’organise sur de nouvelles bases. C’est en cela que la conscience est considérée comme « l’expérience vécue d’une expérience vécue » (Vygotski, 1925/1994, p.78) ; un processus de « traduction d’une activité en une autre activité, [une] liaison entre activités » (Clot, 2003, p.12). Dans notre cadre méthodologique, la transition d’une activité première (vidéoscopée) en une activité à venir est rendue possible par la relation avec une troisième : l’activité dialogique proposée. Elle représente en quelque sorte ce que Vygotski nomme le

« contact social avec soi-même » (1925/1994, p.91).

C’est ce mouvement de tension entre le subjectif et le social, entre le sens et l’objet de l’activité qui, pour reprendre les mots de Léontiev, « fait de la conscience ce qu’elle est : un développement possible ou impossible de l’activité du sujet » (1984, p.108).

L’activité artefactuelle considérée comme relation entre les hommes n’est pas faite que de consensus ou de compréhension mutuelle ; elle est surtout faite d’incompréhensions, de divergences, de malentendus. Si l’activité est un trait d’union, c’est « l’unité des contraires » et

« leur interprétation » qui relient les interlocuteurs (Sève, 2002). Comme le note Bronckart, « les apports externes ne sont générateurs de développement que dans la mesure où les conflits qu’ils engendrent sont “traitables” par la personne » (2008, p.240). C’est en cela que nous insistons sur le caractère potentiel du développement de l’expérience professionnelle dans l’intervention. « En ce sens la méthode [instrumentale et développementale]2 est simultanément le présupposé et le résultat du processus de connaissance, non pas quelque chose d’auxiliaire à celui-ci » (Vygotski, 1930/1987, p.100, cité par Scheller, 2001).

2. L’observation dans l’analyse de l’activité

Dans le débat scientifique porté par le Réseau OPEN, il s’agit pour nous de regarder les pratiques effectives, non pas comme l’exécution d’une action prescrite, mais comme le résultat d’une construction historique : observer une classe qui « tourne » ou dire du professeur qu’il ne recourt à aucune sanction, par exemple, ne nous dit rien ni sur les évènements possibles qui ont été écartés ni sur ce que ce professeur a dû construire au cours du temps pour que les choses se passent de la sorte. Si l’observation de l’action ne suffit pas à rendre compte des processus et mécanismes sous-jacents, elle peut en constituer le point de départ pour « remonter » à l’activité, dès lors que l’on peut confronter cette action réalisée à l’expérience vécue qui l’a engendrée.

C’est le but poursuivi par les méthodes dites « indirectes » auxquelles nous recourons dans une perspective historico-culturelle. Elles supposent que ces situations du travail enseignant soient

2 Souligné par nous.

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Recherches en Éducation - n°19 Juin 2014 - C. Félix, R. Amigues & L. Espinassy

construites avec soin non seulement parce qu’elles reposent sur la participation des professionnels à l’analyse de leur travail (Amigues, 2010 ; Félix & Saujat, 2008, 2012) mais parce que solliciter l’expérience professionnelle n’est pas forcément gagné d’avance. Ce parti pris reprend une question récurrente dans les sciences humaines et sociales, liée aux diverses modalités d’observations et à la difficulté de saisir les caractéristiques des pratiques enseignantes. Dans les visées épistémologiques et méthodologiques d’ERGAPE, l’observateur joue un rôle actif, tout comme l’observé qui devient l’analyste de sa propre pratique ; la situation est spécialement construite pour rendre compte du travail en train de se faire ; il ne s’agit pas de rendre compte des pratiques effectives, mais de considérer ces dernières comme un champ de possibles et d’impossibles effectivement lié aux possibilités de passer des compromis face aux dilemmes de métier ; il s’agit de partir du terrain plutôt que de la théorie, ce qui tranche avec des positions épistémologiques antérieures (Postic, 1977 ; Postic & de Ketele, 1988) qui présentaient l’observation comme un outil de formation des enseignants, dès lors que les catégories objectives produites par les chercheurs pouvaient leur servir d’aide à la décision et à l’action.

Comme d’autres travaux conduits dans le Réseau OPEN, notre approche s’inscrit dans l’évolution des méthodes soulignée par Altet, Bru et Blanchard-Laville (2012), marquée par le recours à la vidéo qui tend à se banaliser, mais avec des usages variés selon les auteurs. Cette évolution a d’ailleurs conduit à la création du réseau VISA3 qui se centre sur des questions d’instrumentation et de méthodologie d’analyse des données vidéo dans une perspective interdisciplinaire d’analyse de séances de classe. Toutefois, au-delà du caractère pratique et de la facilité d’emploi (Piot, 2012), le statut de la vidéo ou de l’image filmique comme artefact méthodologique (Faïta, 2007) est rarement présenté avec précision dans de nombreuses publications. Tantôt elle sert de complément à une observation in situ ; on pourrait parler d’une observation assistée par vidéo qui permet d’affiner l’observation première ou de revenir sur des détails particuliers. Tantôt elle vient en appui à des entretiens post observation avec l’enseignant qui permettent d’éclairer les données par des informations supplémentaires ou des éléments de contexte. Cet entretien peut porter sur la vidéo d’une séance ou sur des extraits sélectionnés par le chercheur qui souhaite obtenir le point de vue du professeur pour documenter certaines variables qu’il va ensuite confronter à un modèle établi a priori. On peut alors se demander en quoi et comment l’entretien de recherche, par l’entremise de l’auto-observation d’un professeur qui répond aux questions d’un chercheur, permet la confrontation de celui-ci à sa propre expérience. Les commentaires du professeur à partir de l’auto-observation suffisent-ils à constituer une autoconfrontation ? Poser cette question revient, à nouveau, à mettre en débat les objets et les méthodes d’analyse, évoqués en introduction, qui se fondent sur les « pratiques effectives » et, au-delà, interroge les rapports entre les résultats de recherches et les pratiques effectives des enseignants ; en effet, de nombreux exemples témoignent que ces derniers ont du mal à s’y retrouver, même en ayant participé à ces travaux.

3. De l’auto-observation à l’autoconfrontation : un milieu à construire

Partir du terrain plutôt que de la théorie signifie que l’observation des situations concrètes ne repose pas sur des hypothèses a priori. Elle est au service de l’analyse du travail réalisée avec le concours de celles et ceux qui le font. Elle vise à construire une réponse à la demande qui est à l’origine de l’intervention. Il ne s’agit pas d’évaluer cette réponse à l’aune d’une vérité scientifique, mais de sa pertinence au regard de la demande. C’est la première phase, celle de l’intervention, dans un processus d’intervention-recherche. La seconde, la recherche, se réalise, après l’intervention et son but est de construire des connaissances sur le processus de développement de l’expérience professionnelle. Ces deux moments distincts et consécutifs constituent la double visée d’ERGAPE, à la fois transformative et épistémique. C’est dans ce sens qu’on peut dire que l’observation des activités de travail est « la partie centrale et originale de l’analyse ergonomique du travail » (Wisner, 1994, p.82).

3 VISA : Vidéos de situations d’enseignement et d’apprentissage (visa.ens-lyon.fr).

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L’effet de l’observation sur les professionnels observés est connu depuis longtemps. Il a été mis en évidence dans les années 30, par une étude dans un atelier de la Western Electric, qui fut au fondement de la psychologie sociale et des processus d’influence (effet Hawthorne). Les opératrices observées performent mieux que leurs homologues qui ne participent pas à cette observation. Ce n’est pas tant ce qu’observe l’enquêteur (caractéristiques des situations, conditions d’exécution…) qui affecte la conduite des sujets, que le fait d’être observé. Wallon (1983) souligne que « l’attention que le sujet sent fixée sur lui […] l’oblige à s’observer » et déclenche « un besoin de s’adapter à la présence d’autrui qui se superpose à l’acte d’exécution » (p.287). Cette « sensibilité » à l’auto-observation, déclenchée et négligée par l’observation de recherche, sert de levier d’action dans la mise en place de l’autoconfrontation.

Toutefois, faire en sorte que l’observé devienne l’observateur de son action (Clot & Leplat, 2005) ne va pas de soi. Cette transformation n’est pas immédiate, elle est artificiellement médiatisée par la vidéo ; médiée de bien des manières (voir Faïta, 2007), notamment par l’intervenant, dont le rôle est de susciter de la controverse entre les protagonistes confrontés à leur propre activité concrète (par le biais de la vidéo), à celle des autres et aux points de vue mis en débat ; inscrite dans le temps long d’une intervention qui se déroule sur plusieurs mois et plusieurs contextes, selon un « contrat de confiance » qui rend possible de confronter son travail à celui des autres (Felix & Saujat, 2012 ; 2008 ; Felix & Espinassy, 2011 ; Mouton, 2007).

Cette situation artificiellement construite par l’intervention vise à surmonter deux difficultés : le difficile à dire, le professionnel sait et fait beaucoup plus que ce qu’il est capable de dire, et le difficile à voir qui font que l’observé ne peut devenir spontanément l’observateur de sa propre action. Notre expérience clinique en la matière nous permet d’avancer que l’adhérence au vécu est telle, que se voir agir par l’entremise de la vidéo ne permet pas au premier regard de

« séparer le vécu de ce qui est vu » (Amigues, 2003). D’une certaine façon, regarder le « déjà- là » ce n’est pas observer l’action. Le « faire familier » n’a pas de relief particulier qui permettrait de saisir ce faire, mais il renvoie le sujet à sa propre expérience enfouie dans la situation et dans son activité psycho-corporelle. C’est l’expérience dans laquelle « il y a l’histoire de nos échecs, de nos souffrances, de nos réussites, de nos engagements avec les uns et les autres, traversés par nos rapports aux valeurs, et notre corps porte cette histoire sans que nous le sachions très bien » (Schwartz, 2004, p.8). C’est parce que « les instruments subjectifs sont incorporés non pas au corps physique mais au corps agissant dont ils sont constitutifs » (Rabardel, 2005, p.15) que le professeur ne se tourne pas d’abord vers les actions concrètes qui se succèdent, comme le ferait un observateur extérieur doté d’outils externalisés. Il réagit émotionnellement à ce qui fait événement pour lui dans ce qu’il se voit faire pour ou avec les autres. L’auto-observation déclenche d’abord une activité émotionnelle, comme le rire, par exemple (Werthe, 2001), qui pointe sur un conflit du réel et qui peut engendrer un dégagement. En d’autres termes, le passage de l’auto-observation à l’autoconfrontation repose sur l’émotion qui permet de réagir aux images. Comme l’a bien repéré Clot, c’est la capacité d’être affecté qui se trouve à l’origine des transformations possibles : ce n’est que lorsque je me vois faire que je me vois aussi faire autrement !

Si le travail se voit, l’activité ne se laisse pas toucher du doigt (Hubault, 1996). Cette dernière reflète les conflits présents dans la construction d’une histoire en train de se faire chez un sujet agissant et qui doit composer entre le travail prescrit et le travail réel pour trouver un compromis opératoire entre plusieurs issues possibles. Cette activité qui échappe « à l’observation extérieure et à la description spontanée » (Prot, 1998) ne peut être saisie que de manière indirecte (Clot, Faïta, Fernandez & Scheller, 2001 ; Santiago-Delfosse & Rouan, 2001 ; Amigues, Faïta & Saujat, 2004 ) à travers des traces historiques de l’activité : « ce qui s’est déjà passé, déjà fait et qui justifie ce que l’on voit, ce qui doit advenir ensuite et impose aux actes telles caractéristiques, ce qui pourrait être fait autrement, par d’autres ou par le sujet lui-même… » (Faïta, 2007, p.7). C’est en cela que l’autoconfrontation ne peut être considérée comme le recueil de représentations ou de significations utiles au chercheur, mais comme un cadre méthodologique de sollicitation de l’expérience professionnelle, dans lequel la co-analyse (intervenant-praticiens) devient un instrument de sa formalisation et de l’étude de son développement potentiel.

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Recherches en Éducation - n°19 Juin 2014 - C. Félix, R. Amigues & L. Espinassy

4. L’autoconfrontation :

Solliciter l’expérience et la développer

Entrons plus en détail dans l’étude d’un cas afin de préciser la place et le rôle accordés à l’observation dans l’analyse du travail enseignant, selon un cadre méthodologique dont nous rappelons succinctement les étapes. « La première phase, généralement qualifiée d’autoconfrontation “simple” est suivie de l’autoconfrontation dite “croisée”, au cours de laquelle le sujet se voit confronté à l’évaluation par un pair de ses actes de travail aussi bien que de ses commentaires. C’est au cours de cette phase initiale qu’est mise à l’épreuve sa capacité à trouver les moyens de mettre en discours non seulement les actes qu’il se voit accomplir, mais aussi ce qui précède, conditionne ces actes, les explique ou explique qu’ils s’accomplissent de telle façon et non d’une autre » (Faïta, 2007, p.6).

Dans l’autoconfrontation simple, une jeune enseignante, néotitulaire, professeur d’histoire- géographie (Guillemette) se découvre en train de tenter d’enseigner « les zones de peuplement en France » à une classe de 6e. Elle se dit « horrifiée » de se voir « malmener des petits 6e» mais dont elle reconnait avoir, par ailleurs, bien « du mal à maîtriser leur comportement » afin de

« les mettre le plus rapidement au travail ». Or, à la vidéo « ils se montrent plus dociles » que ce qu’elle pensait au moment de l’action. Elle en est d’autant plus affectée qu’elle décrit et qualifie le démarrage de son cours comme « un grand n’importe quoi », « le prototype même du cours qui démarre mal ! ».

Dans la phase d’autoconfrontation croisée avec sa collègue (Frédérique, professeur de français) et le chercheur, Guillemette tente d’expliquer et de s’expliquer avec ce qu’elle se voit faire : G : […] alors moi ce que je trouve intéressant dans mon cours c’est que c’est l’archétype du cours qui commence mal parce que c’est trop… cela demande une attention à ces gamins qui ne peuvent pas donner tout de suite… il y a eu trop de moments de flottements au début, on n’est pas encore installés et c’est vrai que… projeter un document […] où il y a quelque chose à regarder, un support, quelque chose qui les accroche… mais là ce que je trouve intéressant c’est cette mise en activité si longue car il faut rappeler le cours précédent, parce qu’il faut faire attention à vérifier le travail… alors que tout ça je pourrais le dire plus vite et d’une autre manière… c’est tellement long à mettre en place que tous ces gamins qui ont besoin de visualiser des supports, tu vois je m’interromps sans arrêt, je dois dire à cet élève de se mettre au travail… là ça va mieux mais la première fois que j’ai vu ça j’étais horrifiée par…

F : et ça tu t’en es vraiment rendue compte en…

G : … en regardant ouais ouais, à quel point c’était long… à quel point il y avait du brouhaha au début du cours et c’est vrai que cela m’a vraiment aidé… »

Ce bref échange ramasse une « tranche de vie » où Guillemette rappelle, non sans douleur, son émotion initiale et, à la suite de la question de Frédérique, l’étonnement avec lequel elle a ensuite découvert, grâce à la vidéo (en regardant), la longueur de la mise en route et le brouhaha qui l’accompagne. Mais cet échange témoigne aussi d’un déplacement du point de vue de Guillemette entre le premier visionnage et l’actuel (« là ça va mieux »). Le passage de l’autoconfrontation simple à l’autoconfrontation croisée montre le rôle de contexte que joue la première phase de ce processus. Ce qui importe est alors le fait que ce « contexte » n’est pas seulement un ensemble de références, « ce dont on parle », mais surtout une part déterminante de ce que les opérateurs font de ce qu’ils voient au moment où ils le voient. On entend par là le fait que les actes de travail saisis par le film ne sont pas seulement prétexte à « commentaire ou explication dirigés vers autrui mais prennent sens d’une façon souvent insoupçonnée jusqu’alors, par leurs propres auteurs » (Faïta, 2007, p.6). Ce déplacement dans des contextes différents est à l’origine du développement de l’expérience ; il ne s’agit pas seulement de dévoiler cette expérience par le cadre de l’autoconfrontation mais de créer un milieu qui permette le réinvestissement potentiel de ce déplacement vers une nouvelle expérience. Le film reprend et quelques secondes plus tard Guillemette arrête la vidéo :

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G : quoi ? Je dicte encore !

F : avance, avance ne te fais pas souffrir

G : en fait je comprends pourquoi ils sont silencieux… en fait je l’avais pas vu comme ça la première fois… en fait je ne leur demande rien alors ils écrivent ils écrivent… sans penser…

Le film reprend, arrêté quasiment dans l’instant suivant par Guillemette qui enchaine :

G : et du coup je me rends compte après coup qu’ils étaient bien indulgents de continuer à m’écouter… relativement…

Ces extraits témoignent de la co-évolution de l’activité subjective et du repérage de « détails » sur l’activité extérieure, rendue possible artefactuellement par la conjugaison de deux processus dans le déroulement de l’autoconfrontation :

1) Les arrêts, retours en arrière et répétitions permis par la vidéo. Le premier visionnage (retour sur l’action) permet à Guillemette de se rendre compte « …à quel point c’était long…». Avec ce deuxième retour, elle découvre un nouvel événement « quoi je dicte encore ? » passé inaperçu jusqu’à présent « en fait je l’avais pas vu comme ça la première fois… », avec sa conséquence :

« je comprends pourquoi ils sont silencieux […] je me rends compte après coup…». Dans le cadre de l’autoconfrontation, l’image animée joue son rôle de révélateur, dans le sens de Faïta (2007). Face au défilement du film de la séance, l’observé ne voit pas forcément le déroulement de son action. S’enclenche alors un processus d’observation répétée qui va permettre de rendre visible un nouvel évènement qui avait échappé au professeur. Guillemette dira, lors de ce deuxième visionnage, « mais là, ce que je trouve intéressant, c’est cette mise en activité si longue… alors que tout ça je pourrais le dire plus vite et d’une autre manière ».

2) L’évolution émotionnelle qui polarise l’observation subjective sur des évènements différemment accessibles dans le temps. Dans le premier visionnage, Guillemette se focalise sur la longueur et le brouhaha ; dans le second, ce qu’elle trouvait « long », devient « intéressant » et entrevoit qu’elle « pourrait dire plus vite et d’une autre manière ». Elle se focalise davantage sur son action et les conséquences sociales de son acte (« ils écrivent sans penser »). Mais ce nouvel étonnement place Guillemette face à ses hésitations et à une contradiction entre le fait de dicter et d’écrire en silence (ce qui était le but recherché) et le fait que les élèves écrivent « sans penser ». Elle se trouve confrontée à une discordance entre le but visé et ses effets cognitifs recherchés chez les élèves. Mais ce qui l’affecte ce n’est pas tant de « dicter encore » que ce qu’elle ne parvient pas à faire faire aux élèves, soit : qu’ils écrivent pour penser. Les « problèmes de conscience » grandissent, la responsabilité endossée en première ligne est celle d’une activité où « bien faire » et « faire le bien » peuvent devenir antagonistes dans le moindre geste, où la discordance créatrice entre affects et concepts court toujours le risque de se renverser en discordance destructrice » (Clot, 2007 p.88).

Se pose ici la question du sens, entendu comme rapport de valeur entre l’activité extérieure telle qu’elle est « objectivée » par cette enseignante et ses autres activités possibles. La subjectivité s’actualise à travers le raffinement des détails de son activité concrète et résulte d’une co- évolution du prélèvement d’indices sur les images et de la genèse des « dire ». Cette co- évolution conduit le professeur impliqué dans un processus progressif de recatégorisation de son action qui ouvre sur une possibilité à venir.

La co-analyse établit un rapport dynamique entre activité et subjectivité, mais aussi entre activité et inter-subjectivité, qui se manifeste notamment par l’alternance dans l’adressage du discours.

Dans les échanges, Frédérique qui avait ressenti l’émotion de Guillemette, même si cette reconnaissance s’était faite sur le mode familier de la plaisanterie (« avance, avance, tu te fais du mal »), prend la main pour embrayer sur ses propres difficultés, en faisant appel à son expérience antérieure au regard de l’enseignement de l’histoire.

F : alors là moi c’est un truc j’ai tellement la phobie du cours magistral que… parce que moi les cours d’histoire j’ai jamais aimé parce que j’ai toujours eu des cours comme ça…

G : c’est clair

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Recherches en Éducation - n°19 Juin 2014 - C. Félix, R. Amigues & L. Espinassy

F : et j’avais un mal fou à essayer de rester concentrée une heure… c’est une phobie que j’ai ; alors moi j’ai le problème inverse, tu vas voir tout à l’heure, c’est tellement… ouais c’est la fête, on dialogue et machin qu’à la fin… qu’à un moment la trace écrite on la fait au cours suivant…

parce que je me suis emballée et qu’il n’y a plus rien et du coup j’ai rien dicté et puis la gestion du temps… moi je merde complètement, tu verras la sortie de classe c’est quelque chose alors après… c’est le problème inverse.

Frédérique saisit la situation par son histoire personnelle « les cours d’histoire j’ai jamais aimé » et « la phobie du cours magistral » pour exprimer son choix actuel (le cours dialogué), rendu tellement vivant « c’est la fête, on dialogue, je me suis emballée » qu’elle ne parvient pas à y mettre un terme et déclare rencontrer le problème inverse de Guillemette qui avait déclaré :

« c’est l’archétype du cours qui commence mal ».

C’est l’expérience de Frédérique qui s’interpose entre l’expérience de Guillemette et la situation initiale qualifiée de « cours qui démarre mal » ; cette médiation permet d’ouvrir sur la situation qualifiée par Frédérique de « problème inverse » et de « cours qui finit mal » puisqu’elle « n’a rien dicté ». Frédérique introduit ainsi un nouvel objet-évènement « la trace écrite » qui renvoie à une prescription : chaque cours doit être ponctué d’un écrit. Cet événement dans le cours du dialogue pointe un dilemme professionnel : arrêter une activité d’échange oral dans laquelle le professeur et les élèves sont engagés, non sans plaisir, pour noter ce qu’il est important de retenir du cours ou reporter cette trace écrite au cours suivant ? Un dilemme qui ne se pose pas exactement dans les mêmes termes pour Guillemette qui, nous l’avons vu, est davantage préoccupée par la fonctionnalité de cet écrit : « ils écrivent en silence, sans comprendre ». Est évoquée ici une difficulté liée à la gestion du temps et au conflit de critères auquel chaque professeur est confronté : comment situer, à point nommé, dans le décours temporel de la séance, cette activité dirigée par le professeur afin d’assurer la fonction recherchée par ce dernier (écrire pour retenir l’essentiel, pour apprendre…) ? Quel compromis opératoire passer entre le travail prescrit et le travail réel qui soit « viable » pour les professeurs et les élèves ? Ce faisant Frédérique resitue la difficulté éprouvée par Guillemette dans un questionnement professionnel. De personnelle, l’activité de cette dernière devient impersonnelle. Pour autant, la difficulté éprouvée par une débutante est négociée différemment selon les professeurs, la discipline, le tempo de l’activité, d’autant que la trace écrite se présente comme une obligation à satisfaire à chaque cours. Obligation à laquelle doit se conformer une débutante, mais avec laquelle composent ses homologues plus expérimentés.

La co-analyse de l’activité des enseignants met en avant la dimension « créative » du travail entendu comme processus de renormalisation « où se jouent des rapports entre l’agir et les valeurs » (Schwartz, 2001, p.76) à travers la découverte de l’« usage de soi » à partir duquel le métier (le genre professionnel) s’entrevoit dans la variabilité entre les manières de faire des professeurs. Le dilemme concernant « la trace écrite du cours » se retrouve identifié par d’autres enseignants, dans d’autres disciplines qu’ils soient débutants ou expérimentés, par exemple chez les professeurs d’arts plastiques (Espinassy, 2008) ou des professeurs des écoles (Mouton, 2007).

Mais cet échange témoigne aussi de la « motricité du dialogue » (Clot & Faïta, 2000). Frédérique s’appuie sur l’activité de Guillemette pour introduire un nouvel objet-événement (la trace écrite), mais aussi pour annoncer ce que cette dernière verra de l’activité de Frédérique dans la prochaine autoconfrontation croisée relative à son cours de français « tu vas voir tout à l’heure ».

Le processus de recatégorisation de l’action initié par les échanges se poursuit en se projetant d’ores et déjà dans le futur de leur co-analyse. Le dialogue devient une ressource pour l’observation et pour le développement des acteurs et des situations professionnelles.

L’analyse proposée dans ces extraits montre l’évolution historique par laquelle passe Guillemette. Le dialogue porte les traces historiques d’un avant, d’un présent et d’un futur dans les relations à des objets (la trace écrite), à soi et aux autres. Cette évolution repose sur des réactions émotionnelles qui se transforment en moyen d’agir autrement. Elle montre aussi comment l’expérience singulière d’une débutante rejoint les difficultés professionnelles

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qu’éprouvent les professeurs, en particulier à passer des compromis qui soient les meilleurs possibles pour les élèves et eux-mêmes.

Au regard d’un ergonome de l’activité, la trace écrite est considérée comme une tâche prescrite.

Ce qui va l’intéresser c’est, d’une part, le traitement différentiel qu’en font celles qui la reconçoivent. À travers les traces de l’activité respective de Guillemette et de Frédérique et leur écart, il est ainsi possible de reconstruire le processus d’élaboration du prescrit pour mettre à jour les conflits et les compromis opératoires qui peuvent en résulter. D’autre part, c’est la manière dont les élèves reçoivent cette prescription, dans le milieu de travail proposé par le professeur de façon à ce que ces derniers en fassent quelque chose du point de vue de leur propre activité.

Comment cette tâche renormalisée peut-elle, ou pas, devenir un instrument du professeur pour agir pour et avec les élèves et en quoi peut-elle devenir un instrument d’action pour les élèves eux-mêmes ? La question qui travaille Guillemette est bien que la tâche prescrite se fait sans les élèves, voire même contre eux. Pour Frédérique, cette tâche est remise à plus tard. Peut-être aura-t-elle plus d’impact sur des élèves dynamiquement enrôlés dans une activité préalable (?).

Conclusion

Le but de ce texte était de présenter le rôle de l’observation dans le cadre de l’autoconfrontation utilisé pour analyser l’activité enseignante. Nous avons distingué l’observation de recherche et l’observation au service des professeurs observés, dans le cadre d’une intervention et avons soulevé la question de l’usage de la vidéo dans l’observation de recherche. Nous avons tenté de montrer que l’autoconfrontation ne s’inscrit pas naturellement dans le prolongement de l’auto- observation initiée par l’observation. Nous avons souligné l’importance de l’aménagement du milieu de l’intervention dans la production de traces indirectes de l’activité. Dans une perspective historico-culturelle, le but de l’approche compréhensive est de saisir la manière dont les professeurs s’approprient la situation sociale et subjective qui est la leur ; comment ils interprètent cette situation pour orienter leur choix d’action face au travail prescrit, rarement évoqué dans l’analyse des pratiques effectives. En revenant à nos considérations de départ, nous organisons notre propos en trois points : l’objet de l’observation, le temps et le corps du professeur.

L’observation ne porte pas sur un objet défini a priori par le chercheur, mais sur les traces de l’activité du professeur qui « pointent » sur un objet prescrit et qui aurait pu être autre dans une autre situation. Ces traces témoignent des arbitrages conscients ou pas, passés ou pas, des actions non seulement réalisées, mais aussi suspendues, contrariées, évitées (Clot, 2008). C’est en ce sens que les méthodes indirectes sont particulièrement pertinentes pour l’analyse de l’activité enseignante : les gestes professionnels incorporés n’ont pas besoin d’être pensés pour être efficaces ; on pourrait même ajouter que cet « impensé » est la condition même de leur efficacité. Leur automatisation repose sur le gommage de leurs conditions de construction. C’est à cette déconstruction des automatismes, des allant de soi, et à la reconstruction consciente des gestes que s’attaquent les méthodes indirectes.

Le temps de l’intervention et le temps de la recherche ne se superposent pas. Il s’agit pour le chercheur de deux activités distinctes. Une orientée vers la production d’observables pour nourrir la réflexion du collectif de travail et l’autre orientée par la production de connaissances pour contribuer un débat de la communauté scientifique. L’approche instrumentale de Vygotski dans laquelle le développement est à la fois la méthode et l’objet peut ajouter à la confusion. D’autant plus que dans la perspective historico-culturelle le temps dont il s’agit, n’est pas le temps de l’intervention ou de celui de la recherche, mais le temps comme instrument du développement (Clot & Leplat, 2005). Il s’agit moins du temps physique, celui de la situation actuelle, que de l’histoire qui ouvre sur la situation future (Daniellou, 2007). Envisager des situations nouvelles, c’est aussi reconsidérer le rapport aux autres, qu’ils soient les élèves pour Guillemette ou les pairs (Frédérique ici ou ultérieurement le collectif élargi à quelques enseignants du même établissement, engagés avec nous dans ce processus) et dont le jugement professionnel de

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Recherches en Éducation - n°19 Juin 2014 - C. Félix, R. Amigues & L. Espinassy

reconnaissance du travail individuel constitue une source potentielle de coopération ou de coordination de règles de travail.

Le corps du professeur. Apparemment première évidence de l’observation, le corps du professeur est largement ignoré par la recherche en éducation, ou parfois pris en compte dans la distinction entre comportements verbal et non verbal. Même avec l’usage de la vidéo, le corps est rarement mobilisé par les travaux sur les pratiques effectives du professeur alors qu’il représente son premier outil et que c’est par l’intermédiaire de ce corps agissant que le professeur réagit aux images vidéoscopées. Siège des compétences incorporées (Leplat, 1997), les gestes du corps fonctionnent comme un langage soumis à la constitution sociale et historique et non à une subjectivité biologique. Les techniques du corps, pour reprendre les mots de Mauss, constitutives de la personne et instrument de son action sur l’environnement, échappent essentiellement à la conscience. C’est à cela que se heurtent les méthodes directes.

L’intelligence des situations précède souvent la conscience de sorte que pour saisir le sens d’une action, il faut inventer des moyens d’intervention comme l’autoconfrontation (dans le sens qui est le nôtre). On a vu combien l’ébranlement émotionnel produit sur Guillemette est nécessaire pour établir une relation consciente à des objets de travail. Pour exprimer ce rapport émotionnel aux objets, Damasio (2003) parle d’« objets émotionnellement compétents » qui resituent l’activité dans la redécouverte de rapports à ces objets (par des inattendus, surprises…), aux autres (élèves et collègues) et à soi. Ce développement n’est rendu possible que si les praticiens s’approprient à la fois l’usage de la vidéo et le questionnement professionnel. En d’autres termes, l’autoconfrontation telle que nous l’entendons n’affecte pas une activité dans sa subjectivité propre mais affecte une activité singulière d’appropriation, par laquelle on peut reconstituer la construction subjective de l’efficacité en lien avec les gestes de métier.

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