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II. REVUE DE LA LITTERATURE

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CHAPITRE 1

TISSAGE D’UN ENVIRONNEMENT MATERNANT

I. LE DESIR D’ENFANT

Qu’ils soient éthologue (Cosnier, 1980) ou psychanalyste (Bydlowski M. , 1997), les auteurs conviennent que le désir de se reproduire constitue une manifestation du besoin de l’espèce au niveau de l’individu. Une dimension sociale soutient le désir d’enfant : « le désir a affaire avec le social, au départ et à l’arrivée, dès son

surgissement et dans son accomplissement » (Revault d'Allones, 2004, p. 53). De

même, Quentel (2001) considère que le nouveau-né s’inscrit d’emblée dans une finalité naturelle qui se trouve sans cesse reconduite. Il ne constitue qu’un maillon d’un processus en apparence infini : la perpétuation de l’espèce. Ainsi, Bydlowski (1997) admire cette force pulsionnelle universelle qui pousse les humains à procréer, et ce, malgré l’adversité (guerres, famine). « Le désir d’enfant serait la traduction naturelle

du désir sexuel dans sa fonction collective d’assurer la reproduction de l’espèce et dans sa fonction individuelle de transmission de l’histoire personnelle et familiale.» (p.139).

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le lien premier à la mère. Contrairement à la fille, le garçon ne devra pas changer d’objet d’amour comme devra le faire la petite fille. La rivalité que le garçon connaît avec son père à l’adolescence viendra renforcer l’attachement à la mère et le désir d’enfant avec une femme qui lui ressemble. Le désir d’être père serait plus prégnant que le désir d’enfant pour l’homme (Fourez, 2004).

L’articulation entre désir sexuel et désir d’enfant n’est plus « naturelle », et ce, depuis que la sexualité est coupée de la procréation par la contraception (Fourez, 2004). Mais l’enfant naît avant tout du désir d’un homme et d’une femme l’un pour l’autre. Si l’enfant n’est pas conçu uniquement pour soi, par pure jouissance narcissique, le désir des parents va pouvoir inscrire l’enfant dans un désir de le concevoir avec cet homme-là, son père ; cette femme-homme-là, sa mère, appartenant à une autre lignée que la sienne. Cet amour pour l’autre parent installe le désir de procréer dans une fonction symbolique. Laquelle impose l’enfant à venir comme étant aussi un enfant de l’autre avec lequel il a été conçu (Dolto, 1981). C’est peut-être dans cette fonction symbolique que les familles qui manifestent des troubles relationnels précoces avec leur bébé, nécessitant une hospitalisation, sont en difficulté. Avant de développer les troubles relationnels précoces, étudions ce qu’il en est lorsque le tissage des interactions entre le bébé et son environnement maternant est « suffisamment bon » (Winnicott D. W., 1969).

II. LES BOULEVERSEMENTS INTRAPSYCHIQUES CHEZ LA FEMME DEVENANT MERE

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d’interpréter avec une efficacité extrême. L’auteur compare cet état à une dissociation, voire à un état schizoïde, une « maladie mentale normale » dont la mère se remettra. Il s’agit de la préoccupation maternelle primaire propre à la mère suffisamment bonne (Winnicott D. W., 1956). Selon Dethiville (2008), la traduction acceptée en français ne reflète pas assez à quel point Winnicott se refusait à la sentimentalité et à l’idéalisation. Ainsi, il serait plus adéquat, en référence à la traduction de « good enough mother », de parler de mère « passable, juste acceptable », au sens d’une mère qui donne juste ce qu’il faut, sans plus. C’est seulement à la fin de sa vie que Winnicott parlera enfin de mère-environnement. Cet environnement est composé du père, de la famille, de la réalité sociale, etc. Il va de soi mais émerge lorsqu’il fait défaut. Dans la perspective winnicottienne, ce n’est pas le « bon » ou le « mauvais » maternage qui prévaut mais plutôt « la vision d’un petit humain qui vient au monde ‘doté d’un pouvoir organisateur

de son monde, monde qu’il va falloir reconnaître pour le faire sien’ (Roustang, 1994, cité par Dethiville, 2008) » (Dethiville, 2008, p. 21). La vision du petit d’homme capable

d’organiser le monde est la vision d’un bébé-sujet. Bydlowski (2000) parle de la transparence psychique qui caractérise le temps de la grossesse et mène la femme à être très proche de son inconscient. Des fantasmes préconscients ou inconscients et des éléments du passé peuvent venir se représenter aisément, notamment le souvenir de l’enfant que la mère a été (Bydlowski M. , 2000).

Labilité émotionnelle, inconscient à fleur de peau, ou encore forme de « maladie

mentale normale », les remaniements psychiques exigés par la grossesse et la mise au

monde d’un petit d’homme sont intenses pour une femme. Partant du bébé, objet considéré comme éminemment narcissique, Bydlowski et Golse (2001) déplient le passage de la transparence psychique vers la préoccupation maternelle postnatale en quatre étapes :

1. La période prénatale de transparence psychique convoque une certaine concrétude de l’enfant mais celui-ci n’a pas encore le statut d’objet externe repérable. « En tant

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qu’elle croit avoir été et qui était jusque-là demeuré enfoui tout au fond de sa psyché »

(p.3). Le bébé est un objet purement interne.

2. Durant le dernier mois de la grossesse, caractérisé par la période prénatale de la préoccupation maternelle primaire, le fœtus continue d’être inclus dans le corps maternel tout en étant davantage considéré sous un statut plus extérieur, petit-à-petit, il s’objectalise. Il est un objet intérieur physique mais déjà psychiquement externalisé. 3. Lorsqu’il naît, le bébé nouveau-né est externe. La mère est en relation avec lui grâce aux traces mnésiques profondément enfouies et massivement réactivées du bébé qu’elle a elle-même été. Le bébé est ici un objet externe physique mais psychiquement encore internalisé.

4. Ce n’est que plus tard seulement que le bébé sera un véritable « objet externe », « c’est-à-dire non plus comme pur représentant de l’objet interne, mais désormais

comme un interlocuteur externe et n’ayant son correspondant interne qu’au niveau des représentations mentales qui s’y attachent » (p.4).

Certaines femmes ne passent pas par ces étapes de façon si nettes et restent dans le rêve de grossesse, « rêvant de l’objet interne perdu – alors que, mû par la force de son

besoin de conservation, le bébé externe la stimule au dialogue » (Bydlowski & Golse,

2001, p. 4).Certaines mères parviennent à cet état avec un enfant et pas avec un autre. D’autres encore ne pourront jamais accéder à cet abandon (Winnicott D. W., 1956). Pour que ce passage s’effectue, le regard du père est primordial. « L’important est que

le père regardant la mère la tire de son rêve de grossesse et l’encourage à regarder le bébé. Le regard de ce dernier s’en ira plus tard vers un ailleurs qui n’est ni la mère, ni le père » (Bydlowski & Golse, 2001, p. 4). La fonction symbolique de tiers séparateur de

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On reproche d’ailleurs souvent à Winnicott de ne pas inclure le père dans sa notion de

mère suffisamment bonne. Cependant, il a toujours affirmé : « Quand je parle de la mère, j’inclus toujours le père » (Winnicott, 1966, 1992 trad. fr.). Et il souligne le rôle prépondérant du père, non pas tellement le père de la réalité mais celui qui est inscrit dans la réalité psychique de la mère. » (Dethiville, 2008, p. 76). Il est vrai que Winnicott

(1969) se centre principalement sur la femme devenant mère. Les termes choisis n’incluent pas le père. Cela a-t-il mené à des dérives, comme le questionne Harrus-Révidi (2006) ? Quel est l’impact d’une telle conception sur la psychiatrie des années 1965-1980 ? La mère y était rendue responsable de tous les maux de son enfant, sans tenir compte de l’implication (ou non) du père. La littérature et encore davantage les pratiques cliniques, restent très imprégnées par une centration majeure sur la relation mère-nourrisson. Pourtant, la psychanalyse s’intéresse dès le départ à l’organisation de la psyché individuelle en référence au groupe dans lequel elle se développe. Freud, puis Lacan, intègrent à leur théorisation du développement psychique la structure sociale. La structuration psychique intime en serait l’écho (Houzel, 1999). Nous reviendrons également plus loin sur ces questions.

Le profond bouleversement que vit une femme devenant mère explique sans doute cette difficulté à se décentrer de la dyade mère-bébé dans les pratiques. Pour la femme, ce processus est si intense que Cramer et Palacio Espasa (1993) n’hésitent pas à parler d’un néo-fonctionnement psychique ou néo-topique mère-bébé, faisant suite aux deux premières topiques freudiennes. Cette nouvelle topique « inclut la

représentation mentale de l’enfant comme une adjonction au territoire psychique parental. » (Cramer & Palacio Espasa, 1993, pp. 373-374). Au nouveau parent revient

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sous une forme revisitée. « Les vicissitudes normales et pathologiques des relations

précoces tiennent à la nature de cet effet de rencontre entre le nouveau de l’enfant et l’infantile des parents, entre l’étrangeté du bébé et la familiarité des imagos anciennes. » (Cramer & Palacio Espasa, 1993, p. 374).

Avec la constellation maternelle, Stern (1995) considère également que les changements sont si importants qu’ils relèguent au second plan les organisations ou complexes précédents, tels que l’organisation œdipienne. Dans cette configuration, c’est non pas la triade père/mère/bébé qui est centrale mais l’axe qui organise cette nouvelle psyché maternelle est la triade mère de la mère/mère du bébé/bébé. Selon lui, outre les facteurs biologiques, les influences socioculturelles avec les idéaux et les contraintes imposées à la mère sont fondamentales. Quatre thèmes principaux composent la constellation. Le premier, la croissance de vie, sollicite la capacité de la mère à faire vivre et grandir son bébé. Le suivant, la relation primaire, concerne l’engagement émotionnel avec le bébé, indispensable au développement psycho-affectif de l’enfant. Le troisième, nommé la matrice de soutien, nous intéresse particulièrement puisqu’elle relate la capacité qu’a la mère à créer un réseau lui offrant un soutien protecteur et bienveillant, et ce, dans le but de réaliser les deux premières tâches. D’une part, le réseau protège la mère, lui assurant ses besoins vitaux, et d’autre part, il assure une fonction de soutien pour la mère en l’accompagnant et en la valorisant dans son apprentissage. Le dernier thème, la réorganisation identitaire est liée au thème précédent puisqu’il est « à la fois la cause et la conséquence du

réinvestissement des figures maternelles de la matrice de soutien » (Cailleau, 2011, p.

165). La femme doit réorganiser sa place dans l’axe intergénérationnel. Elle revit toute l’histoire de ses identifications non seulement avec sa mère mais aussi avec d’autres figures parentales/maternelles afin de se procurer les modèles nécessaires.

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parent, et ce, afin que les contenus pulsionnels, fantasmatiques et affectifs ne soient pas trop destructeurs. Selon Houzel, « la constellation de la maternité est à

comprendre comme une configuration particulière de cet équilibre des rôles parentaux, dans lequel les aspects paternels ne sont pas absents, mais plutôt tamisés par les aspects maternels, auxquels en retour ils servent d’appui. » (Houzel, 1999, p. 144).

D’après nous, il est non seulement indispensable que la mère accepte d’introduire le père auprès de leur enfant, comme le théorise la psychanalyse. Mais il faut aussi que le père soit prêt à prendre sa place pour réguler l’agressivité inhérente à la relation dyadique, comme le considèrent les théories développementales et systémiques. Un mouvement psychique ne va pas sans l’autre. En tenant davantage compte des dimensions plurielles et processuelles du devenir parent, il est commode de parler de parentalité. Voyons comment ce concept est défini.

III. LA PARENTALITE

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d’objet à l’enfant, que celui-ci soit imaginaire ou réel (Stoléru, Vandrell, Magnin, & Spira, 1998; Missonnier, 2008a).

La parentalité se décline donc en représentations mentales et affects. « La parentalité

résulte d’expériences successives qui, tout en pouvant construire l’identité du parent, constitue l’enfant. » (Mellier, 1999, p. 19). C’est la création de liens, dans la réalité, qui

permet qu’adviennent le devenir père et le devenir mère, tout en permettant à l’enfant sa construction. « Il s’agit pour des parents de répondre aux besoins vitaux de l’enfant

et de lui permettre d’acquérir, chemin faisant, un sentiment de sécurité le plus solide et le plus rémanant possible lorsqu’il sera confronté à des situations difficiles. »

(Marciano, 2004, p. 11). Lorsqu’on la définit, la notion de parentalité vient immédiatement questionner les capacités des parents à répondre aux besoins de l’enfant. Aussi, la parentalité partielle (Dayan, 2000) se met en place lorsque toutes les fonctions de la parentalité ne peuvent être assumées par le ou les parents. Car il importe que le parent puisse exercer, de sa parentalité, ce qui n’est pas destructeur pour l’enfant. L’accompagnement de la parentalité dite partielle nécessite des moyens et des méthodes spécifiques.

C’est à Houzel (1999) que l’on doit un modèle définissant la parentalité selon trois axes complémentaires et indissociables : l’exercice, l’expérience et la pratique de la parentalité.

L’exercice de la parentalité renvoie aux règles qui structurent la parenté, au niveau symbolique et « définit les cadres nécessaires pour qu’un groupe humain, une famille

et un individu puissent se développer » (Houzel, 1999, p. 115). Les droits et les devoirs

attachés à la fonction parentale sont concernés tout comme les places données à chacun (père, mère, enfant) dans une filiation et une généalogie. Il s’agit de l’identité

de la parentalité. L’organisation des liens de parenté fait partie de ce premier axe. C’est

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organisateur transcende l’individu, s’étend au groupe social auquel il appartient et contribue à le constituer. Les liens d’appartenance, nommés affiliation par Houzel (1999), les liens de filiation (parent/enfant) et d’alliance (mari/épouse) le fondent. Il ajoute à ces deux derniers liens celui de lien de consanguinité (frère/sœur). Le droit regroupe la trace historique des us et coutumes qui ont construits nos groupes sociaux mais il permet également de définir des règles d’organisation et de transmission, tout en s’adaptant aux mouvances sociales (Procréations médicalement assistées, recomposition familiale, etc.). Les textes juridiques ne peuvent se borner uniquement à inscrire des mœurs liés à une époque et ils ne sont pas non plus rigides face au mouvement évolutif de la société. Ainsi, de profonds bouleversements sont survenus dans la définition même de la filiation au sens juridique du terme, avec la nécessité de clarifier la filiation dans le cadre des procréations médicalement assistées par exemple.

L’expérience de la parentalité renvoie aux aspects subjectifs conscients et inconscients de la parentalité. Cet axe est nourri de mécanismes psychiques et des fantasmes conscients et inconscients des parents concernant le père, la mère, l’enfant et eux-mêmes en tant que parents. Les processus psychiques à l’œuvre lors du processus de parentification sont la préoccupation maternelle primaire (Winnicott D. W., 1956), la transparence psychique (Bydlowski M. , 2001) et la constellation maternelle (Stern D. , 1995) évoquées plus haut. Relation affective et imaginaire se joue pour chaque parent sur cette scène de l’expérience de la parentalité, venant confronter les bébés fantasmatique, imaginaire et réel. À travers cet axe, les fonctions de la parentalité sont mises en jeu. Deux rubriques définissent l’expérience de la parentalité : le désir d’enfant et la parentification. Stoléru (1989) décrit la parentification comme résultant de processus psychiques se déroulant lorsqu’on devient père ou mère. La notion de

parentalité a été introduite dans le vocabulaire psychologique spécifiquement pour

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La pratique de la parentalité concerne les qualités observables des relations en présence, il s’agit des tâches quotidiennes remplies auprès de l’enfant. Cet axe se réfère ainsi aux qualités de la parentalité. Pour le décrire, Houzel (1999) s’inspire du modèle de l’attachement, comme support aux relations qui se nouent dans les interactions parents-enfant. Le rôle du bébé est souligné : il est le déclencheur du processus de parentification et y prend un part active. L’intersubjectivité (Trevarthen, 1980), la mère utilisée par l’enfant comme référence sociale (Emde, 1983) et l’accordage affectif (Stern D. , 1985) décrivent les processus sous-jacents à la pratique de la parentalité, partie le plus souvent déléguée en cas d’impossibilité parentale à l’assumer. C’est donc la pratique de la parentalité qui détermine principalement une situation de parentalité partielle. Ce qui se passe dans l’ici et maintenant des interactions est fondamental pour le développement de l’enfant. Les interactions in vivo sont déterminées par des processus psychiques sous-jacents comme nous allons le voir à présent.

IV. LE BEBE ET LES INTERACTIONS AVEC SES PARTENAIRES

Il n’est pas simple de situer l’origine historique du concept d’interactions parents-bébé ni même les concepts fondateurs de cette notion. Ils sont multiples et selon l’importance accordée à l’un ou l’autre, les auteurs varient dans leur position. Ainsi, avec le concept de « relation tonico-affective », Golse (2011) considère que Wallon (1949) est le précurseur des études sur les interactions précoces développées par la suite. Ajuriaguerra (1974) reprend plus tard cette notion sous le terme de « dialogue

tonique ». Mellier (1999), quant à lui, situe la notion d’interactions parents-enfant suite

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satisfaction éprouvée lors de ces échanges, le bébé pourra répéter seul, à sa manière et avec ses moyens, la satisfaction des échanges avec ses figures parentales (Mellier, 1999). Selon Lamour et Lebovici (1991) enfin, l'étude des interactions en psychologie et psychopathologie prend ses racines dans la théorie des systèmes, plus précisément dans le modèle cybernétique inauguré par Von Bertalanffy (1972). Il décrit la dialectique qui organise les organismes vivants comme étant à la fois fermés et ouverts. Lorsque les organismes interagissent entre eux, c'est selon une détermination génétique, la plasticité de la régulation neuronale et les modifications temporelles. La théorie des systèmes se caractérise par trois principes : le système est un tout qui vaut plus que la somme de ses parties, il cherche l'homéostasie et les effets y sont circulaires par l'interaction et la rétroaction.

Grâce à ce nouveau regard, toute la conception des liens parent-enfant se modifie : on passe d'une théorie où la mère organisait les échanges à une reconnaissance du bébé comme étant un réel acteur dans la relation. Il en va de même de la théorie transactionnelle de Sameroff (1984) qui inclut le bébé comme un partenaire actif. L'environnement et le nourrisson s'influencent l'un l'autre dans un processus continu de développement et de changement, modifiant ainsi l’interaction. Lebovici (1983) considère que la mutualité et la réciprocité (présence, absence, degré) des interactions peuvent qualifier les différentes interactions observées. Les deux partenaires sont acteurs de cette interaction et de son degré de mutualité et de réciprocité.

Dans l’étude des interactions, on s’intéresse à la sensibilité maternelle, « conceptualisée comme étant la justesse de la mère dans la perception et

l’interprétation des signaux de son bébé » (Dominguez, Apter, & Devouche, 2014, p.

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Actuellement, les auteurs (Kreisler & Cramer, 1981 ; Lamour & Lebovici, 1991 ; Mellier, 1999) s’accordent sur le caractère circulaire des interactions parent-bébé et sur les compétences du bébé (Brazelton T. B., 1973), envisagé comme partenaire actif de cette interaction.

En conclusion, les interactions, dans le contexte périnatal, peuvent être définies comme « l’ensemble des phénomènes dynamiques qui se déroulent dans le temps entre

le nourrisson et sa mère ». Trois types d'interactions parent-enfant sont

communément admises : les interactions comportementales, affectives et fantasmatiques (Lamour & Lebovici, 1991, p. 180). Nous-mêmes nous référons à ce modèle dans notre travail. Avant de les définir, il nous paraît judicieux de reprendre succinctement les étapes majeures du développement du nourrisson de zéro à huit mois. En effet, les bébés issus de notre population clinique sont âgés de maximum huit mois.

i. DEVELOPPEMENT DE LENFANT DE 0 A 8 MOIS : PRINCIPALES ETAPES

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vie aura des répercussions sur le devenir de la personne qui en bénéficie. Car la discontinuité propre à la réalité est l’espoir aussi d’une possible intervention.

Ainsi, une bonne connaissance du développement « normal » de l’enfant est indispensable pour permettre qu’une intervention judicieuse puisse orienter autrement le développement en cas de difficultés. Voyons brièvement les principales étapes du développement de l’enfant.

A. LE LANGAGE

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ÂGE CAPACITES

Naissance Pleurs, grognements, soupirs, petits cris

Entre 1 et 2 mois Apparition de gazouillis ; vocalisations de voyelles surtout, puis de consonnes

Entre 3 et 6 mois Émergence du babillage : combinaisons simples consonne-voyelle Babillage dupliqué : répétition de la même combinaison consonne-voyelle

Entre 9 et 12 mois Babillage diversifié : combinaisons complexes consonnes-voyelles Vers 12 mois Production des premiers mots

Calendrier de développement de la production des premières vocalisations aux premiers mots (Tourrette & Guidetti, 2004, p. 214)

Les trois premiers mois de la vie sont réservés à l’écoute des voix, de leurs intonations fluctuantes. À partir du second mois de vie, l’enfant émet des gazouillis. Vers 4-5 mois, le bébé se sert des informations écoutées pour créer lui-même ses premières syllabes : c’est le babillage (Cabrejo Parra, 2010). Il est aujourd’hui acquis que le babillage possède un statut linguistique. Comme l’auteur le souligne, « pour avoir de la voix, pour

produire des syllabes, il faut avoir entendu parler quelqu’un » (p.148). Ainsi, lorsque le

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16 B. LA MOTRICITE

Le nouveau-né voit le jour armé d’un ensemble d’habiletés motrices nommées

réflexes : marche automatique, succion, agrippement, retrait (douleur). Ceux-ci sont

définis par Vauclair (2004), comme « des mouvements involontaires, automatiques et

rapides en réponse à des stimulations sensorielles spécifiques. (…) Présents dès la naissance, ces montages comportementaux disparaissent ou s’intègrent ensuite dans des montages plus complexes. » (p.61). Deux réflexes sont posturaux : le réflexe

tonique asymétrique du cou (tourner la tête entraîne l'extension du bras regardé et la flexion de l'autre, comme pour tirer à l'arc) et le réflexe de Moro (une stimulation effrayante entraîne l'abduction des bras et de la tête). Si le nouveau-né a un visage à regarder, il pourra également soutenir sa tête quelques secondes (Dan, 2011). Si ces réflexes restent persistants au cours du second trimestre, cela peut être un signe d’alerte quant à une problématique développementale (Mazet, 2004). Sont repris les grandes étapes du développement de la motricité dans le tableau ci-dessous.

ÂGE Habiletés locomotrices Habiletés posturales Habiletés manipulatrices

2-3 mois En position ventrale,

redresser la tête à 90°

Tenter de saisir les objets en vue

5-8 mois Ramper Se tenir assis sans support

Atteindre et saisir unimanuellement un objet

5-10 mois Marcher à 4 pattes Pointer du doigt en direction des objets

Réaliser des pinces fines par opposition pouce-index

10-13 mois Marcher verticalement Combiner des objets Utiliser la cuillère

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Durant les quatre premières semaines, c’est l’immaturité du système nerveux pyramidal qui gère la motricité encore incoordonnée et involontaire (David, 1960). Le système moteur devenant plus mature, les réflexes font place à un certain contrôle moteur, lié alors à l’apprentissage. La maturation anatomique des systèmes neuromusculaires est liée à la myélinisation des fibres nerveuses. Elle obéit à deux lois : tout d’abord la loi céphalocaudale, caractérisée par une maturation qui s’opère de la tête vers le bas du corps ; c’est ainsi que le nouveau-né exerce un contrôle de plus en plus grand sur les muscles oculaires puis du cou (redressement de la tête) puis du dos (position assise). La seconde loi est proximodistale : la maturation s’opère du tronc vers les extrémités, par un contrôle des grands muscles avant un contrôle des plus petits. Ainsi, les gestes deviennent de plus en plus précis (Vauclair, 2004 ; Tourrette & Guidetti, 2004).

Posture et tonus apparaissent étroitement liés. À la naissance, le nourrisson présente une forte tonicité musculaire (faible extensibilité des muscles). Selon les muscles concernés, ce tonus va évoluer différemment : le tonus axial (muscles du tronc) augmente tandis que le tonus des fléchisseurs (bras et jambes) diminue, de sorte que l’enfant se redresse petit-à-petit au cours de son développement (Tourrette & Guidetti, 2004).

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À partir de 3 mois, son intérêt grandit pour les objets qu’il sait tenir quand on les approche contre sa main qui s’ouvre spontanément pour s’en saisir. Même s’il sait tenir l’objet, il ne semble pas en être conscient, des mouvements involontaires des bras agitent l’objet tenu. À 3-4 mois, il peut libérer ses bras. Le geste de préhension est encore maladroit mais se précise : il regarde l’objet logé dans sa main, en suit les mouvements et il en tire un grand plaisir qui se manifeste également par des frétillements de tout son corps. Ainsi, il aime rester assis si on le soutient dès 4 mois. Le plaisir à observer ses mains s’intensifie par une agitation active vers 3 – 4 mois associée à une respiration accélérée et l’émission de sons.

Vers 4 mois, la coordination visuo-manuelle est suffisamment mature pour en arriver à un geste d’atteinte intentionnelle. De manière plus précise, vers 5-6 mois, la prise est cubito-palmaire (objet saisi entre les trois premiers doigts, du côté du cubitus, et la paume). Vers 4-5 mois, le nouveau-né, couché sur le ventre ou en appui sur l’épaule, réalise de gros efforts pour soulever sa tête et ses épaules. À 6 mois, le redressement axial arrive au bas du dos, ce qui lui permet de tenir assis seul. A ce moment, le dos de l’enfant, de rond, devient bien droit, le buste penche en avant et l’enfant utilise alors ses deux bras tendus pour ne pas tomber en avant (Tourrette & Guidetti, 2004).

C. LA SENSORIMOTRICITE

Piaget (1936) est le premier à avoir utilisé le terme sensorimotricité en référence à une période du développement de l’enfant allant de la naissance jusqu’à 18-24 mois :

l’intelligence sensori-motrice. Selon lui, lors de cette période, les matériaux sensoriels

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fonctionnements vont être modifiés par ces invariants, caractéristiques de l’activité psychique. Selon Bullinger (2004), « dans cette boucle cognitive, l’objet de

connaissance n’est ni l’objet matériel, ni l’organisme, pas plus que l’espace qui les contient, c’est l’interaction elle-même qui est objet de connaissance. » (p.25). Lorsque

les coordinations se mettent en place, se constituent des représentations plus ou moins stables de trois entités : le corps, l’objet représenté et l’espace.

Fonctionnement et activité doivent également être distingués en ce qu’elle corresponde soit au psychique soit au comportemental : «Le fonctionnement relève

des interactions matérielles que l’organisme entretient avec son milieu. Ces fonctionnements sont observables par des moyens techniques variés. Le terme activité va être réservé au psychique ; l’activité ne peut être enregistrée, on ne peut que l’inférer à partir de la modification des fonctionnements que l’on observe. » (Bullinger, 2004, p.

24). Le fonctionnement, fait des comportements observables, est profondément lié à l’activité psychique sous-jacente. Les « capacités » de l’enfant révélées par son fonctionnement donnent des éléments quant à son activité psychique.

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mobilisation de la musculature dorsale qui peut entraîner une hyperextension : « Cet

état tonique propre à la réaction d’alerte supporte la réponse d’orientation de l’organisme : sur la base d’un recrutement tonique adéquat, des moyens posturaux se déploient ; le regard, la tête et le buste s’orientent vers ou se détournent d’une source de stimulation. » (Bullinger, 2004, p. 30). La musculature du nourrisson et son tonus

constituent donc un indicateur important des réactions du tout-petit aux stimuli de son environnement. Avec le concept de Moi-peau, Anzieu (1984) conceptualise la peau comme un contenant, « élément appartenant à la réalité fantasmatique de l’individu

et assumant un certain nombre de fonctions, tout en bordant l’appareil psychique individuel » (Vollon & Gimenez, 2015, p. 171). La peau du nourrisson entourée du corps

de l’adulte est une surface de sensations qui permet au nourrisson de se sentir rassemblé. La peau tient ensemble les différentes parties du corps, « élevant ainsi le

conteneur à la fonction contenante » (Delion, 2002, p. 104). L’introjection de la

fonction contenante servira de support à la construction d’un espace interne. Si le nourrisson rencontre un environnement qui ne lui permet pas d’éprouver cette sensation d’être rassemblé, en appui sur un autre corps, il usera de sa musculature pour tenir ensemble toutes les parties de son corps. Il se crée une « seconde peau

musculaire » (Bick, 1968), soit en positif par l’hypertonie, soit en négatif par

l’hypotonie. « Cette seconde peau musculaire tient lieu de peau au sens où justement

Anzieu en parle avec ses nombreuses fonctions, notamment contenante et maintenante » (Delion, Du souci du corps au soin psychique. Un détour par le packing,

2002, p. 104). Ainsi, le bébé manifeste le besoin d’éprouver « une matrice possible pour

une expérience de rassemblement « psychique », pour que cette expérience prenne sens et fournisse l’une des expériences d’étayage du travail d’intégration et de synthèse, il est nécessaire qu’elle soit libidinalisée, qu’elle soit pulsionnellement investie » (Roussillon, 2013, p. 41). La question du plaisir éprouvé mais surtout partagé

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l’afflux pulsionnel qui émerge nécessairement au contact de son bébé. La théorie de la régulation mutuelle des affects contribue à conceptualiser ce processus de régulation pour le bébé lui-même.

ii. THEORIE DE LA REGULATION MUTUELLE DES AFFECTS

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Tronick et Weinberg (1998) décrivent les routines interactives qui socialisent les bébés, leur permettant d'incorporer culturellement des pratiques sociales et émotionnellement acceptables. Ces routines interactives peuvent être considérées comme des structures narratives. Ces narratifs sont des actions communicatives et non des mots. De son côté, Stern (2008, 1999 1ère parution) développe la notion d’enveloppe prénarrative comme un « schéma d’événement ressenti » qui figurerait la réalité psychique infantile du nourrisson dans les douze premiers mois de sa vie. Cette enveloppe se construit à partir de la répétition dans le temps d’expériences subjectives organisées dans le cadre des relations d’objets. Les interactions typiques mère-bébé sont caractérisées par des allers-retours entre des états coordonnés et des états dyscoordonnés, sur fond d'affects variés. Il s’agit des interactions de réparation. La régulation mutuelle comprend ce processus de réparation ainsi que la dynamique de régulation des états homéostatiques. Ainsi, les interactions mère-bébé « normales » sont un processus continu de réparation.

On doit ainsi à Schore et Schore (2008) d’avoir proposé que la théorie de la régulation

des affects supplée la théorie de l’attachement. Grâce aux recherches en

neurosciences, ils ont étudié les répercussions des troubles de l’interaction précoce sur le cerveau droit (surtout le système limbique et paralimbique) et sur la constitution de l’attachement. Les processus d’attachement seraient sous-tendus par le développement de structures cérébrales. Cette hypothèse avait déjà été formulée par Bowlby lui-même. Les auteurs postulent que les expériences traumatiques précoces pourraient avoir des effets, au travers du processus d’ontogenèse, sur le développement de ces structures cérébrales. « A travers les séquences d’ajustement,

de désajustement et de réajustement, le bébé devient une personne, achevant une « naissance psychique (Mahler, Pine, & Bergman, 1975) » (Schore & Schore, 2008, p.

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par exemple, l’enfant utilise ses expressions faciales et ses comportements comme des signaux (par exemple un sourire signifie « continue ! », alors que des pleurs ou un détournement du regard signifient « stop ! »). Il faut donc que la mère soit apte à comprendre les signaux que l’enfant lui adresse, lorsqu’il tente de s’autoréguler »

(Tissot, Frascarolo, Despland, & Favez, 2011, p. 623). Mère et bébé oscillent entre des états synchronisés dans l’interaction et d’autres non synchronisés. Ces erreurs de communication mènent à des affects négatifs. Le fait que l’enfant puisse expérimenter de bonnes réparations de ces erreurs et des états synchronisés engendre des affects positifs. Ces processus se régulent dans l’interaction, par le partage des états affectifs. (Tronick & Weinberg, 1997). L’ajustement mutuel permet de soit maintenir des états coordonnés soit de réparer les erreurs de communication. « En apprenant ces

réparations, l’enfant apprend des stratégies qui lui permettront de ressentir qu’il peut être efficace dans l’interaction, que ces interactions sont positives et réparables et que la personne qui s’occupe de lui est digne de confiance. Dans ces processus, la mère apporte donc à l’enfant ce qui lui manque, par des phénomènes de boucles rétroactives. » (Tissot, Frascarolo, Despland, & Favez, 2011, p. 623).

L’interaction sociale serait en outre motivée par « la réussite » de l'augmentation de la complexité et de la cohérence, via la mise en place du système de conscience dyadique. Cet état dyadique comprend l’état de conscience du bébé et de la mère. Si cette mise en place réussit, chacun des partenaires va « dilater » son état de conscience pour atteindre plus de complexité et de cohérence comme explicité dans la théorie des systèmes. « À ce moment de création dyadique et pour la durée de son existence, il doit

y avoir quelque chose proche d'un puissant sentiment d'accomplissement alors que l'on devient, de façon paradoxale, plus vaste que soi-même. (…) La dépression maternelle empêche l'établissement d'un système dyadique bébé/mère. L'enfant est privé de la possibilité de dilater son état conscience conjointement avec celui de sa mère. »

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déprimées, on peut s’attendre à ce que le bébé incorpore des éléments à valence négative : tristesse, retrait, désengagement,… L’établissement de l’intersubjectivité est ainsi caractérisé par un certain mode d’entrée en relation, en cherchant à augmenter la complexité de ses propres états par la rencontre intersubjective avec l’autre. Pour les auteurs, c’est le départ d’une répétition de relations négatives et d’attachement affaibli.

Les états émotionnels de la mère au contact de son bébé sont induits par sa vie fantasmatique et une répétition de mode relationnel intégré. Avec la notion d’intersubjectivité, « on désigne, tout simplement !, le vécu profond qui nous fait

ressentir que soi et l’autre, cela fait deux. » (Golse, 2010, p. 162). Sous cette définition

simple, l’auteur considère pourtant que les processus d’accès à l’intersubjectivité sont complexes. Deux perspectives apparaissent : les auteurs français, particulièrement les psychanalystes, considèrent que l’accès à l’intersubjectivité est lente et graduelle là où les anglophones (Stern, 1989, 2003 trad. Française ; Trevarthen, 1980) la considèrent comme acquises d’emblée. Golse (2010) défend quant à lui une troisième voie qui se situe dans une position intermédiaire : « L’accès à l’intersubjectivité ne se joue pas en

tout-ou-rien, mais il se joue au contraire de manière dynamique entre des moments d’intersubjectivité primaire effectivement possibles d’emblée, mais fugitifs, et de probables moments d’indifférenciation, tout le problème du bébé et de son entourage étant, précisément, de stabiliser progressivement ces tout premiers moments d’intersubjectivité en leur faisant prendre le pas, de manière plus stable et plus continue, sur les temps d’indifférenciation primitive. » (p.163). Les recherches sur

l’intersubjectivité mettent en leur centre le nourrisson et son potentiel relationnel inné. Roussillon (2004) rappelle que la pulsion et le sexuel sont intégrés à la question de l’intersubjectivité.

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l’intersubjectivité implique pour lui deux compétences chez le nourrisson. D’une part, le bébé aurait une certaine conscience individuelle et intentionnelle ; il s’agit là de la subjectivité. D’autre part, il serait muni de la capacité d’ajuster son contrôle subjectif à la subjectivité des autres pour pouvoir communiquer. Cela nous renvoie à la notion de « conscience dyadique » développée plus haut.

Brazelton (1973) avait inauguré cette idée selon laquelle les bébés développent une capacité à s’autoréguler au cours des quatre premiers mois de vie. Actuellement, il est non seulement admis que « le bébé des neurosciences est un bébé complexe, actif bien

que dépendant, constamment en transformation, extrêmement social » (Dayan, 2015,

p. 22), mais de plus en plus d’auteurs se rejoignent pour penser que le bébé a une certaine forme de conscience de soi. L’extraordinaire plasticité de son cerveau le rend extrêmement sensible à son environnement (Dayan, 2015).

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Les études menées dans le champ des neurosciences démontrent que les stimuli maternels spécifiques entraînent de nombreuses modifications du système physiologique chez le bébé : la chaleur corporelle maternelle, le toucher maternel, le lait maternel,… Tout autant d'interactions corporelles qui touchent le corps du bébé et qui impactent le développement de son cerveau : conséquences sur le système neuroendocriniens du bébé, production d'hormones de croissance, modification du rythme cardiaque, ... La qualité des soins dispensés modifie le fonctionnement, la structure et l'architecture neurochimique du cerveau du bébé (Lester & Tronick, 1994). Ainsi Lyons-Ruth (2005, cité par Rochette-Guglielmi, 2015) démontre qu’un attachement désorganisé est le plus préjudiciable pour l’enfant. « L’absence d’un

donneur de soins disponible et sensible conduit à des élévations significatives des niveaux de glucocorticoïde en réponse aux stresseurs, élévations plus fortes que celles que l’on observe chez les enfants plus âgés ou les adultes » (Lyons-Ruth, 2005 cité par

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Les soins précoces sont donc fondamentaux pour instaurer, entre autres, des réponses stables au stress dès le début de la vie et assurer le développement du cerveau dans de bonnes conditions. Avant de nous pencher sur les études concernant les interactions de la triade père-mère-bébé, nous vous proposons de considérer la théorie psychanalytique des interactions mère-bébé, caregiver-bébé. Car l’étude des interactions dyadiques restent fondamentales dans la compréhension du tissage des premiers liens.

iii. LES INTERACTIONS COMPORTEMENTALES

Les interactions comportementales sont « la manière dont le comportement de

l'enfant et le comportement de la mère s'agencent l'un par rapport à l'autre. » (Lamour

& Lebovici, 1991). Elles se déploient à travers les différents canaux de communication comportementale : les interactions corporelles, visuelles, vocales et les comportements de tendresse qui se superposent aux interactions affectives vu le climat affectif qui s'en dégagent. On pourrait dire qu’elles se réfèrent au

fonctionnement, relevant des interactions matérielles que l’organisme entretient avec

son milieu, au sens de Bullinger (2004). Lebovici (1983) considère que les modalités de communication comportementales ont pour objectif de communiquer l’état émotionnel des partenaires, bien plus que des pensées ou encore des représentations. Il est en ainsi de l’interaction visuelle, mode privilégié de communication non-verbale dans notre culture occidentale. Le bébé se voit dans le regard de sa mère en train de la regarder. Ce phénomène de spécularité qualifierait sans doute aussi les autres modalités sensorielles (Lebovici, 1983), avec des variations selon la culture : « dans

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pas. » (Moro, 2010, p. 21). Les interactions comportementales se rapportent au

« holding » (Winnicott D. W., 1969) : « Winnicott désigne par le terme de holding

(maintien) l’ensemble des soins de la mère donnés à l’enfant pour répondre à ses besoins physiologiques spécifiés selon ses propres sensibilités tactile, auditive, visuelle, sa sensitivité à la chute et qui s’adaptent aux changements physiques et psychologiques de l’enfant. L’aspect essentiel du maintien, souligne-t-il, est le fait de tenir physiquement l’enfant. Le centre de gravité du nourrisson ne se situe pas dans son propre corps, mais entre lui et sa mère. » (Boukozba, 2003, p. 64). Ces contacts

physiques permettent à l’enfant de se vivre dans une continuité d’être.

Nous avons vu plus haut que Golse (2011) considère le dialogue tonique comme le « véritable ancêtre épistémologique du concept d’interaction, et qui convoque le

fonctionnement corporel et psychique des deux partenaires de l’interaction, ce qui s’avère, on le sent bien, résolument moderne » (p.99). Le dialogue tonique, cette façon

dont les partenaires vont s’ajuster l’un à l’autre implique un corps en relation. D’emblée, Ajuriaguerra (1974) considère que les corps en relation tonique et dialogique amène le sujet tout entier dans la communication affective.

iv. LES INTERACTIONS AFFECTIVES

Les interactions affectives constituent « l'influence réciproque de la vie émotionnelle

du bébé et de celle de sa mère. » (Lamour & Lebovici, 1991, p. 180). Durant les six

premiers mois de la vie du bébé, parent et bébé vivent dans un véritable « bain

d'affects » (Lebovici, 1983). Au cours des 18 premiers mois de la vie de l'enfant, on

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L'accordage affectif (Stern D. , 1985) a un rôle majeur à jouer dans le développement psycho-affecif de l’humain. Par cet accordage transmodale, le partenaire retransmet au bébé la qualité perçue de ses états affectifs internes via un autre canal sensori-moteur. Imaginons un bébé, couché sur le dos, battant les jambes en rythme, l’adulte lui répond : « houplà ! houplà ! houplà ! Comme tu es content ! ». Il reprend, vocalement, le même rythme que le bébé l’avait fait corporellement. Le partenaire change de modalité et traduit quelque chose de la vie affective du tout-petit. Subséquemment, le bébé fait l'expérience que sa vie émotionnelle peut être partagée et comprise par le monde qui l'entoure : il parle avant même de pouvoir s'exprimer avec des mots. Dans le processus des interactions affectives, vers la fin de la première année, la référence sociale joue également un rôle structurant. Ce processus est celui où on cherche chez l'autre une information émotionnelle, information qui agira sur nos conduites (Emde, 1983).

Avant cela, dès 1 mois, les bébés sont capables de reconnaître les expressions faciales de leur partenaire. Ils modifient leur propre expression faciale dans un délai d’une seconde suite à la modification expressive de leur mère. À 6 mois, il apparaît que leurs réponses sont davantage différenciées. Ceci suppose que les bébés acquièrent progressivement la capacité de donner un sens spécifique aux expressions faciales de leur partenaire. Les données cognitives perçues et retraduites sur leur propre faciès alimenteraient chez les bébés la capacité à mettre en forme leurs éprouvés au sein des échanges affectifs. Les chercheurs mettent ainsi en évidence la capacité extrêmement précoce du bébé non seulement à discriminer les émotions mais aussi à les imiter (Lavallée, Cossette, Seidah, & Bégin, 2011).

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v. LES INTERACTIONS FANTASMATIQUES

Kreisler et Cramer utilisent cette notion pour la première fois en 1981 (Kreisler & Cramer, 1981). Elle fût précisée par Lebovici deux ans plus tard. Les interactions fantasmatiques représentent « l'influence réciproque du déroulement de la vie

psychique de la mère et de celle de son bébé. » (Lamour & Lebovici, 1991, p. 180). Elles

doivent être envisagées comme un mode de fonctionnement intersubjectif de deux psychés portant la marque chacune de leur intrasubjectivité personnelle. Un bébé au contact de sa mère suscite chez elle des pensées, sensations et images issues de son propre passé. Lorsque la mère se met à parler de ces contenus, le bébé lui formule des réponses motrices, expressives et toniques qui auraient valeur de préfantasmes. Ces réponses pourraient laisser penser qu'il comprend sa mère mais il s'agirait plutôt d'une compréhension corporelle via des tensions affectives saisies par son système sensoriel (Lebovici, 1983).

Lebovici considère les interactions fantasmatiques selon les entendements suivants. Tout d’abord, pour la mère, le bébé serait l’enfant œdipien, enfant offert au grand-père maternel. Deuxièmement, la mère en relation avec son bébé en a une représentation imaginaire et fantasmatique. Ensuite, le bébé investit sa mère et se la représente avant de la percevoir. Enfin, le bébé contribue à agir sur ses parents et à les parentaliser, il est ainsi l’objet d’un déplacement transférentiel du grand-père maternel sur lui. De ce fait, le bébé est parentalisé, et peut devenir l’objet d’investissements narcissiques, amoureux et haineux (Lebovici, 1998).

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entendre la présence de ce bébé narcissique qui comble le narcissisme parental. Il est censé tout accomplir et tout réparer.

Ces bébés se croisent et/ou se superposent dès la grossesse. Soulé (1982) considère que l’enfant imaginaire est le fruit du désir œdipien, il est investi d’une part importante de projection narcissique, au sens où cet enfant rêvé par la petite fille est celui dont la mère rêvait elle-même et que sa fille n’a pas été. Lebovici différencie l’enfant imaginaire de l’enfant fantasmatique. L’enfant imaginaire est défini de façon similaire à l’exposé de Soulé, mais Lebovici insiste sur la notion de transmission des conflits inconscients. Le bébé imaginaire est un bébé subjectif, s’il est né du passé du parent, il prépare aussi l’arrivée d’un vrai bébé (Lebovici, 1994). Le bébé que le parent s’imagine se construit « à partir de ce qu’on a vécu en tant que bébé, de ce que l’on

aurait voulu vivre, de ce que l’on croit avoir manqué, tout au début. » (Golse, 2000b, p.

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Dans son dispositif thérapeutique, Lebovici utilise l’interprétation avec des nourrissons, formulant des propositions d’interprétation de leurs éprouvés en lien avec l’histoire parentale. Le but étant de dégager le mandat transgénérationnel qui pèse dans les interactions et fige la circulation de matériel inconscient. Nous définissons ce concept plus loin. L’« enaction » ou « enactment » est une mise en forme que propose le thérapeute dans la consultation conjointe parents-bébé à partir du matériel clinique amené par les différents partenaires, notamment via les affects déposés en la personne du thérapeute, y compris ceux du bébé. Ceci suppose d’attribuer une forme d’inconscient au bébé (Lebovici, 1994a). De son côté, Stern (1989, 2003, trad. fr.) a toujours voulu se démarquer des reconstructions psychanalytiques au sein des consultations conjointes jusqu’à ce que le bébé atteigne l’âge de 18 mois, âge d’acquisition d’un langage articulé. Selon cet auteur, l’organisateur central du lien interpersonnel est le « sens de soi » qui se met en place au cours des deux premières années de la vie. Il le conçoit comme un équipement cognitif qui permet à l’enfant de faire la différence entre soi et l’autre. Le « sens de soi » se déploie en différents temps. Le « sens de soi émergent » permet qu’un sentiment continu d’exister émerge à partir des expériences de soins quotidiens : nourrissage, éveil, endormissement. Ensuite, le « sens de soi noyau », entre 3 et 8 mois, permet plusieurs tâches : d’une part, il organise la socialisation en expérimentant l’effet produit sur l’autre via la mimique et la motricité volontaire et d’autre part, il permet que s’intègre une représentation de l’autre comme régulateur de soi. Le « sens

de soi subjectif » s’appuie sur les expériences « d’accordage » et permet au bébé

d’interpréter les affects qu’il lit dans l’expression et le comportement de l’autre. Enfin, selon Stern, « les fantasmes n’émergent qu’avec le « sens de soi verbal » et s’étayent

sur les « schémas d’être avec », généralisations des souvenirs d’expériences maintes fois répétées. Les divers « sens de soi » à la fois organisent l’expérience du « moment d’être avec » et sont organisés par elle. » (Lemaître, 2002, p. 112). Dès lors, ces

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utilisons l’interprétation de ressentis chez le tout-petit en espérant susciter une identification des parents à leur bébé et une possibilité de lui prêter une vie affective. Si Lacan a dit « l’inconscient est structuré comme un langage » (Lacan, 1966, p. 14), nous aurions envie d’ajouter : il est aussi relations et interactions. Les relations de corps-à-corps s’inscrivent dans les premières semaines de la vie au cours des interactions adulte-nourrisson. Ces traces corporelles participent à la structuration psychique et restent actives dans la vie de l’adulte. Elles resteront difficiles à mettre en mots. La naissance à la vie psychique du bébé se réalise dans un tissage corporel et psychique entre les partenaires. Nous avons vu que le nourrisson répond aux sollicitations de son partenaire par le tonus, entre autres. C’est pourquoi il nous semble plus approprié de parler d’interactions tonico-fantasmatiques ou encore d’interactions sensori-fantasmatiques. Cette terminologie permet selon nous de mieux rendre compte des niveaux d’élaborations psychiques différents chez l’adulte et chez le nourrisson. Elle permet de garder bien vivante la notion selon laquelle le psychisme et les scénarios fantasmatiques du parent agissent sur le bébé. Ce dernier y étant extrêmement réceptif, il y répond par son tonus, son regard, ses vocalises et a le pouvoir de modifier les scénarios fantasmatiques chez son parent à son contact. Les réponses données à son parent par le tout-petit s’inscrivent dans son corps propre. Elles se traduisent à partir des éprouvés du bébé au contact des fantasmes parentaux traduits eux aussi dans le corps du parent. Cette vision implique que le bébé se vit comme un sujet différencié de son partenaire, et ce dès sa naissance. Les recherches de ces dernières décennies concernant l’intersubjectivité permettent de le penser.

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réduisant les interactions parents-enfants à un simple échange « animal », en oubliant l’aspect fondateur des organisations fantasmatiques et narcissiques. Dans ces organisations, il nous semble que l’on ne tient pas suffisamment compte de l’aspect groupal de la parentalité. Nous rejoignons donc Moro (Moro & Mazet, 1998; Moro, 2003) quant à l’importance des interactions culturelles élaborées et ajoutées au trépied lebovicien ou encore Denis Mellier lorsqu’il propose avec Nezelof de « changer

de focale » (Mellier & Nezelof, 2014) en s’intéressant à la famille lors de la naissance.

Avec l’arbre de vie, traduction française de « tree of life », Lebovici (1998) interroge la dimension familiale du devenir parent. « Cette expression image le double processus

de filiation-parentalisation qu’on met en évidence en étudiant le destin transgénérationnel à la lumière du génogramme. » (p.223). L’arbre de vie est aussi le

génogramme psychique qui renvoie aux quatre enfants dans la tête de la mère : l’enfant imaginaire, fantasmatique, mythique et narcissique. Cet arbre donne sens au présent à travers une narration du quotidien qui revisite le passé, construisant un mandat transgénérationnel pour l’enfant. « Le processus de parentalisation comporte

un enfant imaginé, l’enfant imaginaire est le fruit de l’histoire transgénérationnelle de la mère et du père, histoire qui constitue un mandat du destin de l’enfant, ce mandat peut se modifier dans l’avenir, heureusement, si les conflits ne sont pas trop rigides. Tout cela constitue l’arbre de vie. L’arbre de vie peut s’épanouir lorsque les conflits ne sont pas trop fixés. Il va permettre à l’enfant de s’intégrer à la société, de s’affilier au groupe social. » (Lebovici, 2002, p. 12). C’est notamment par le choix du prénom que

les premiers indices peuvent être donnés, non seulement sur l’arbre de vie du bébé, mais aussi sur les secrets de familles. En outre, « l’étude des génogrammes des deux

parents dégage des lignes de force qui permettent de définir le mandat transgénérationnel de chacun d’entre eux. De cette étude micro-analytique, on peut déduire la nature du mandat transgénérationnel du bébé » (Lebovici, 1998, p. 124).

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réagi à l’éducation reçue, ce qu’ils imaginent que leurs parents pensaient d’eux en tant qu’enfant. La rencontre conjugale est également abordée avec le couple. « L’arbre de

vie dessine ainsi les contours d’un enfant dont certains traits de caractère reproduisent ce qu’ont vécu ses parents. Les conflits infantiles de ces derniers déterminent la nature des identifications de l’enfant à ses parents. » (Lebovici, 1998, p. 138). Le mandat

transgénérationnel est véritablement la résultante des deux filiations parentales ; même si celles-ci peuvent se montrer conflictuelles, il n’existe pas de transmission transgénérationnelle paternelle ou maternelle. La transmission du mandat se fonde sur le maillage du narcissisme des parents et sur la construction de soi de l’enfant (Golse, 1998). D’après Lebovici : « les grands conflits des enfants avec leurs parents se

reflètent dans la mentalité des enfants. Les enfants vont être utilisés pour corriger quelque chose du destin de la relation parents - grands-parents. » (Lebovici, 1998, p.

138). L’arbre de vie doit rester vivant et ouvert pour que l’enfant s’affilie à sa culture. Si l’arbre de vie est fermé, l’enfant sera condamné à revivre sans cesse les conflits de ses propres parents pour les résoudre.

Aussi, Eiguer (1983) met en évidence le lien entre le monde fantasmatique des parents et celui des enfants : « Lors de la venue de l’enfant, les objets du monde intérieur

inconscient de la famille sont projetés sur lui. Les aspects non résolus par la relation maritale des complexes infantiles des père et mère interviendraient partiellement dans la constitution de l’être infantile et de son monde objectale et fantasmatique. » (p. 31).

S’appuyant sur de multiples auteurs (Lebovici, Kaës, Golse, Bowlby, Main, Fonagy, Mazet, Abraham et Török, Baranes, Enriquez, Guyotat, Fraiberg1) et principalement sur les travaux concernant la psychothérapie brève de Cramer (Cramer & Palacio Espasa, 1993; Cramer, 1974). Manzano, Palacio Espasa et Zikha (1999) ont théorisé les scénarios narcissiques de la parentalité qui proposent un modèle pour comprendre

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les interactions fantasmatiques se nouant entre parent et enfants, menant à une symptomatologie chez ce dernier. Quatre éléments constituent ces scénarios.

La première est une projection des parents sur l’enfant, plus spécifiquement une

identification projective. C’est une représentation de soi du parent qui est projetée sur

l’enfant : soit elle est projetée en tant que telle (l’enfant idéal que le parent aurait voulu être) soit c’est un objet interne du parent qui est projeté (l’image d’un parent décédé), objet qui porte toujours une part narcissique puisqu’une identification avec cet objet s’était opérée au préalable. « Nous pouvons dire en paraphrasant Freud que

l’ombre de soi des parents est tombée sur l’enfant, soit directement, soit à travers l’ombre de ses objets internes » (Manzano, Palacio Espasa, & Zilkha, 1999, p. 6). Le

second élément consiste en une identification complémentaire du parent, c’est une

contre-identification avec une autre représentation interne : par exemple le père idéal

qu’on aurait voulu avoir. Les scénarios sont également constitués d’un but spécifique avec une dimension de satisfaction narcissique, dans tous les cas. D’autres buts peuvent s’y surajouter tel un déni de la perte ou la satisfaction de pulsions œdipiennes refoulées. Enfin, l’interaction agie reflète ces projections et identifications, à l’instar des interactions comportementales et affectives ajouterions-nous. La dynamique relationnelle agie prend ici tout son sens car c’est dans l’interaction que l’enfant réagit aux pressions fantasmatiques de ses parents.

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vi. LE TIERS, LA TRIADE, LE SCHEMA DETRE A TROIS

Du point de vue psychanalytique, le père, dans sa fonction symbolique tierce, sépare mère et bébé d’une fusion corporelle archaïque et primitive. Le tiers conflictualise la dyade. « Les jeux de l’Œdipe sont constitués deux à deux » (Cupa, Deschamps, Michel, Genyk, & Valdes, 1998, p. 143). L’enfant est exclu du couple et c’est la mère qui introduit (ou non) le père dans la dyade primitive qu’elle forme avec son bébé, afin de contrer ses mouvements incestueux. Les théories systémiques et développementales considèrent elles que « le processus de triangulation est lié à l’inclusion du père (le

père). Le père contextualise la dyade » (Cupa, Deschamps, Michel, Genyk, & Valdes,

1998, p. 141). Ainsi, le père est un tiers réel qui contextualise la dyade (Cupa, Deschamps, Michel, & Lebovici, 2000). Une des fonctions contextualisantes du père serait par exemple la régulation de l’agressivité de la mère à l’égard de son bébé (Cupa, Deschamps, Michel, Genyk, & Valdes, 1998, p. 141). Dans ce même courant, Bowen (1960) et Haley (1967) considèrent que l’enfant ne réagirait pas seulement à ses parents en tant qu’individus mais plutôt à la relation entre eux. Cette conception reprise par Selvini et al. (Selvini Palazzoli, Cirillo, Selvini, & Sorrentino, 1988, 2013 trad. fr.) permettrait d’envisager les choses de façon non plus linéaire mais circulaire. Rappelons comment Bullinger (2004) considère que, pour l’enfant, c’est l’interaction qu’il vit avec son partenaire qui est objet de connaissance. Peut-être est-il intéressant de considérer qu’une interaction, observée et ressentie entre deux partenaires est également objet de connaissance ?

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d’être-38

à-trois définit le schéma œdipien. Les auteurs (Hervé, Lamour, Moro, Fivaz-Depeursinge, & Maury, 2000) rappellent que la notion « schéma d’être à trois » est issue du concept de Stern (1995) : « le schéma d’être avec ». Lors d’une réflexion concernant les processus de triangulation intrapsychique, plusieurs auteurs2 décident de s’appuyer sur cette notion. Pour Stern, « la représentation est construite à partir de

ce qu’il appelle « une expérience subjective d’être-avec une autre personne ». Cette expérience est structurée par les interactions réelles ou imaginaires qui lient le sujet à l’autre. L’expérience d’être avec quelqu’un inclut un schème sensori-moteur au sens piagétien, des schémas perceptifs, des schémas conceptuels, un script, une trame temporelle d’éprouvés et une enveloppe protonarrative. » (Stern, 1995, cité par Hervé,

Lamour, Moro, Fivaz-Depeursinge, & Maury, 2000, p. 41). C’est de ce groupe de réflexion qu’émerge la définition du schéma d’être à trois. Il s’agit d’une « image

mentale multimodale (visuelle, auditive, tactile, etc.) construite à partir d’une expérience subjective d’être avec deux autres personnes. » (Hervé, Lamour, Moro,

Fivaz-Depeursinge, & Maury, 2000, p. 42). Que ce soit dans une population clinique ou non clinique, la recherche montre que les schémas d’être-à-trois préfigurent en partie les interactions comportementales et affectives à trois. Cependant, même si une mère fait état de schémas d’être-à-trois, ce n’est pas pour autant qu’ils sont de nature œdipienne (Cupa, Deschamps, Michel, & Lebovici, 2000). Le processus développemental qui mène à la construction, au sein de la vie psychique, de ces schémas d’être à trois se nomme « triangulation primaire ». Pour Hervé et al. (2000), ce processus de triangulation primaire porte différents noms selon les théories : problématique œdipienne chez Freud, constellation maternelle (grand-mère maternelle, mère et bébé) chez Stern (1995) ou encore constellation paternelle (grand-mère paternelle-père-bébé et grand-père paternel-père-bébé) selon Cupa (Cupa,

2 Groupe « Interface » de recherche de la WAIMH (World Association of Infant Mental Health), mettant en

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Deschamps, Michel, & Lebovici, 2000). Les triangles interactionnels observables entre les partenaires seraient étroitement articulés aux triangles imaginaires (Hervé, Lamour, Moro, Fivaz-Depeursinge, & Maury, 2000).

Les travaux de Fivaz (Fivaz-Depeursinge & Corboz-Warnery, 1999; Fivaz-Depeursinge & Corboz-Warnéry, 2013), poursuivis par l’équipe de Favez étudient les interactions triadiques, père-mère-bébé, à l’aide du LTP (Lausanne Trilogic Play). Le paradigme du LTP permet d’étudier de façon microanalytique les interactions entre trois partenaires. Les parents sont installés avec leur bébé pour pouvoir échanger à trois facilement. Le bébé est positionné dans une chaise également élaborée pour ce dispositif. Lorsque l’enregistrement débute, les parents appliquent la consigne : un temps de dialogue bébé-mère, puis bébé-père, puis bébé-mère-père et enfin, un temps de dialogue en couple. Ces travaux présentent l’enfant capable dès le plus jeune âge (3 mois) d’investir une relation à trois. Les interactions triadiques seraient primaires et non secondaires aux processus dyadiques. Ils font l’hypothèse que les stratégies de triangulation élaborées par l’enfant à trois mois résulteraient d’une pratique des triangles dès son plus jeune âge (Fivaz-Depeursinge & Corboz-Warnéry, 2013).

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et ce, dès le départ. Cela s’oppose à l’idée d’une communication qui se développerait de deux personnes vers trois personnes ou plus. Le bébé est donc programmé pour interagir à trois, dans un partage d’intersubjectivité collective (Fivaz et al., 2010). Ces recherches proposent ainsi une révision du Complexe d’Œdipe. Ce dernier ne serait pas une émergence du psychisme de l’enfant, mais se construirait plutôt dans la réalité des interactions entre trois personnes. Stern (2010), commentant l’article de Fivaz et al. (Fivaz, Lavanchy-Scaiola, & Favez, 2010), approuve lui aussi une révision du Complexe d’Œdipe qui prendrait ses sources dans les interactions immédiates, dès la naissance.

Enfin, les auteurs expliquent que le nombre de moments de partage à trois va dépendre d’une part de la qualité de l’alliance familiale (Lavanchy, 2002, cité par Fivaz et al., 2010) et d’autre part, du processus de coparentage. Le tout-petit, dans les premiers mois de vie, commence à comprendre les relations et s’exerce à la sociabilité en groupe (McHale, Fivaz-Depeursinge, Dickstein, Robertson, & Daley, 2008). C’est donc vers le groupe que nous nous dirigeons, avec la présentation des interactions culturelles développées par Marie-Rose Moro.

vii. LES INTERACTIONS CULTURELLES

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