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Les associations féministes d’une guerre à l’autre

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Chapitre 1

Les associations féministes d’une guerre à l’autre

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En 1918 le féminisme entre de plain pied dans le XXe siècle. Pendant un bref moment, il présente un front uni, soudé par le climat d’union nationale et dans le désir unanime d’obtenir l’égalité politique des femmes. Mais il doit rapidement composer avec le nouveau contexte politique, économique et social né de la guerre, et adapter son programme aux nouvelles aspirations, surtout sensibles dans la jeune génération.

A la différence des mouvements de femmes avant 1914, la panoplie d’associations féminines (dont certaines s’affirment féministes, à tort ou à raison) s’élargit considérablement. Un mouvement associatif de masse se met en place, intimement lié aux différents partis politiques. Il contribue largement au développement d’un militantisme féminin, ancré surtout dans le secteur social, secteur traditionnellement dévolu aux femmes qui prolonge le bénévolat et la philanthropie d’avant 1914. Les associations « historiques » du féminisme, celles d’avant la guerre, se maintiennent difficilement et sont confrontées au renouvellement de leur personnel et de leurs dirigeantes. Seul le CNFB se développe en s’ouvrant, dans le climat d’union nationale, à toutes les tendances politiques et idéologiques.

Il devient ainsi le lieu de rencontre d’un féminisme modéré et de bon aloi. Parallèlement, de nouvelles associations émergent, qui répondent plus directement à la situation de l’entre- deux-guerres (ODI, GBPO, FBFU…etc), composées souvent de militantes plus jeunes, plus énergiques et plus combatives.

Deux époques se dégagent clairement, celle des années vingt qui constituent la remise en route d’un féminisme plus consensuel que celui d’avant 1914, puis celle des années trente où les divergences se marquent au contraire, parfois brutalement, et forment deux ailes distinctes au sein du mouvement.

1 Les informations biographiques font l’objet du chapitre 3. Néanmoins, elles sont développées dans les chapitres 1 et 2 si elles s’avèrent nécessaires à la compréhension du texte ou si elles ne sont plus traitées dans le chapitre 3.

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L’héritage du XIXe siècle

La création en 1892 de la Ligue belge du droit des femmes (LBDF) – sur le modèle de la Ligue française − par un petit groupe de personnalités progressistes bruxelloises2, dont Marie Popelin et Louis Frank, marque le début du mouvement féministe structuré en Belgique3. D’emblée une tendance assez radicale s’affirme, autour de la personnalité de Marie Popelin et d’Isabelle Gatti de Gamond, dont la plupart des membres féminins de la Ligue ont suivi les enseignements4. D’autres associations aux buts plus ciblés voient le jour dans le sillage de la Ligue, la Société belge pour l’amélioration du sort de la femme (ASF) en 1897 et en 1899, l’Union des femmes belges contre l’alcoolisme et l’Union des femmes belges pour la paix. Plus radicale que la Ligue, l’ASF, qui souhaite toucher un public plus populaire, propose une approche moins juridique et se centre surtout sur le travail des femmes5.

Après maints efforts, Marie Popelin parvient en 1905 (officiellement le 30 janvier 1905) à mettre sur pied le Conseil national des femmes belges (CNFB), société coupole destinée à représenter les femmes belges au Conseil international des femmes (CIF). Les sociétés signataires sont la Ligue belge du droit des femmes, la Société belge pour l’amélioration du sort de la femme et l’Union des femmes belges contre l’alcoolisme. Alors que le CNFB se

2 On peut citer Isala Van Diest, première femme médecin : GUBIN, E., JACQUES, C., PIETTE, V. et PUISSANT, J. (dir.), Dictionnaire des femmes belges XIXe-XXe s., Racine, Bruxelles, 2006, p. 556, DANGOTTE, C., « La première femme médecin belge : Isala Van diest (1842-1916 », Annales de la Société belge d’histoire des hôpitaux, t. V., 1967, p. 79-85 et KEYMOLEN, D., « Les premières femmes médecins en Belgique », Cahiers marxistes, août-septembre 1993, n°191, p. 126-146 ; mais aussi Henri Lafontaine et sa sœur Léonie : Dictionnaire des femmes…, p. 352-353 et Tracés d’une vie.

Henri La Fontaine. Un prix Nobel de la paix 1854-1943, Mundaneum, Mons, 2002 ; ou encore Hector Denis et son épouse Joséphine : Dictionnaire des femmes belges... , p. 180-181 et p. 396-397.

3 Sur Marie Popelin et l’affaire Popelin voir DE BUEGER-VAN LIERDE, Fr., « A l’origine du mouvement féministe en Belgique, l’affaire Popelin », RBPH, t. L., 1972, 4, p. 1128-1137, et Biographie Nationale, t. XXXIX, col. 733-742, sur Louis Frank, Biographie nationale, t. XXXIX, col. 372-378 et « Louis Frank pionnier du mouvement féministe belge », RBHC, IV, 1973, 3-4, p.

377-392 ; sur la Ligue belge du droit des femmes voir : VAN LIERDE, Fr., La Ligue belge du droit des femmes 1892-1897, mém. de lic. Histoire UCL, 1971 ; DE BUEGER-VAN LIERDE, Fr., « La Ligue belge du droit des femmes », Sextant. Revue du Groupe interdisciplinaire d’études sur les femmes, n°1 (Féminisme), Hiver 1993, p. 11-21.

4 Sur Isabelle Gatti et son œuvre voir : GUBIN, E. et PIETTE, V., Isabelle Gatti de Gamond (1839- 1905). La passion d’enseigner, GIEF/ULB, Bruxelles, 2004 et Dictionnaire des femmes belges…, p.

268-270.

5 VAN DEN DUNGEN, P., « Les divisions du féminisme belge avant 1914 », Sextant, n°1, p. 23-38 ; GUBIN, E., « Signification, modernité et limites du féminisme avant 1914 », Sextant, n°1, p. 39-56 et

« Féminisme et société en Belgique avant 1914 », Cahiers Marxistes, août-sept.1993, n°191, p. 11-21.

Avant guerre, l’ASF se composait de cinq sections : l’Impartiale, l’Art et enseignement, l’Effort féminin, l’Entraide sociale de la jeunesse, le Brussels Femina Club. « L’Impartiale » est un atelier de confection de vêtements pour enfants pauvres qui comprenait également un cours de raccommodage destiné aux filles indigentes du bas de la ville de Bruxelles. La section « Art et enseignement » promeut l’art féminin en offrant notamment un lieu d’exposition permanent. « L’Effort féminin » se destine plutôt à l’étude des différentes discriminations qui frappent les femmes et « l’Entraide sociale de la jeunesse » offre des bourses qui permettent à des femmes désargentées de poursuivre des études ou une formation. Le Brussels Femina Club fait de la propagande en faveur du sport féminin : JACQUES, C., « Le foyer de la femme », Encyclopédie d’histoire des femmes XIXe-XXe s., Racine, Bruxelles, 2007 (à paraître).

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dit apolitique, il fait figure de société laïque et libérale, sorte de contrepoids au Féminisme chrétien de Belgique, créé en 1902 par Louise Van den Plas6. De leur côté, les femmes socialistes, regroupées en fédération nationale en 1902, refusent de participer au CNFB, sous prétexte qu’elles ne veulent pas collaborer avec un « féminisme bourgeois ».

Principales associations fondées avant 1914

création Noms Fondatrices / fondateurs

1892 Ligue belge du droit des femmes Marie Popelin et Louis Frank 1897 Société belge pour l’amélioration du sort de la

femme (ASF)

Elise (Lily) Beeckman-Pousset 1899 Union des femmes belges contre l’alcoolisme Joséphine Keelhof

1899 Union des femmes belges pour la paix Léonie La Fontaine 1902 Féminisme chrétien de Belgique Louise Van den Plas

1902 Union féministe belge Julie Gilain

1905 Alliance des femmes contre les abus de l’alcool

Marie Parent

1905 Conseil national des femmes belges Marie Popelin

1906 Gentse Vrouwenbond Rosa De Guchtenaere

1906 Alliance des femmes belges pour la paix par l’éducation

Marie Rosseels et Claire Baüer

1908 Lyceum Club Marie Popelin et Elise Soyer

1909 Union pour le suffrage des femmes (ex Union féministe belge)

Céline Dangotte

1912 Union des femmes de Wallonie Léonie de Waha de Chestrée et Marguerite Horion-Delchef 1912 Ligue catholique du suffrage féminin (branche

du Féminisme chrétien)

Louise Van den Plas

1913 Fédération belge pour le suffrage des femmes (pluraliste)

Jane Brigode, Louise Van den Plas et Elise Soyer

1914 Union patriotique des femmes belges Jane Brigode et Louise Van den Plas

6 Sur Louise Van den Plas et les débuts du Féminisme chrétien de Belgique voir : GERIN, P., « Louise Van den Plas et les débuts du féminisme chrétien de Belgique », Revue belge d’histoire contemporaine, 1, 1969, p.254-275 et KEYMOLEN, D., Nouvelle biographie nationale, t. 1., p. 339- 343.

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Les remous politiques autour du suffrage universel revendiqué par le POB à la fin du XIXe siècle obligent les féministes à réorienter leur champ revendicatif et organisent plus encore les associations de femmes selon les lignes de partage politique7. Dans ce contexte, de nouveaux groupements voient le jour : l’Union féministe est créée en 1902 par Julie Gilain8, redynamisée en 1909 par Céline Dangotte-Limbosh et rebaptisée en Union pour le suffrage des femmes. Les efforts féministes sont coordonnés en 1913 au sein d’une Fédération belge pour le suffrage des femmes mais la guerre qui éclate le 4 août 1914 leur donne un coup d’arrêt9 : « Une fois la guerre déclarée et le pays envahi, ces dames ne songèrent plus qu’à la solidarité entre Belges, qu’à l’entraide, qu’à la bienfaisance »10. Les féministes suspendent leur combat au profit de la lutte patriotique. Jane Brigode11 et Louise Van den Plas organisent l’Union patriotique des femmes, rapidement intégrée au Comité national de secours et d’alimentation qui organise l’aide aux personnes durant les quatre années de guerre12.

Le féminisme à l’épreuve de la guerre

Dès le 3 août - au lendemain de l’ultimatum de l’Allemagne à la Belgique - Jane Brigode, et Louise Van den Plas exposent leur projet de regrouper toutes les forces féminines dans un esprit patriotique devant quelques dames du comité de la Fédération belge pour le suffrage des femmes. L’Union patriotique des femmes belges est fondée officiellement le 8 août. S’y retrouvent notamment Marie Parent13, les sœurs Eymael, Marguerite Nyssens14 et Adèle de Lhoneux15. La présidence d’honneur est confiée à la comtesse Jean de Mérode16.

7 Sur ce point se reporter au chapitre 4.

8 Julie Coenraets, épouse Bataille puis Gilain (1859- ?). Féministe radicale, elle est l’une des rares adeptes des méthodes des suffragettes anglaises, elle fonde et préside de 1902 à 1909, l’Union féministe belge qui lutte pour le suffrage universel : Dictionnaire des femmes.., p. 114.

9 Sur les luttes suffragistes avant 1914 : JACQUES, C. et MARISSAL, Cl., « Un combat difficile », GUBIN, E., et VAN MOLLE, L. (dir.), Dix femmes en politique. Les élections communales de 1921, Inbel, Bruxelles, 1994, p. 15- 22; GUBIN, E., JACQUES, C. et MARISSAL, Cl., « Une citoyenneté différée ? Le suffrage féminin en Belgique 1830-1940 », COHEN, Y. et THEBAUD, Fr. (dir.), Féminismes et identités nationales. Les processus d’intégration des femmes au politique, s. l., 1998, p.

94-97 et p. 104-108.

10 VAN DE WIELE, M., « Les femmes belges », 25 octobre 1920 (coupure de presse) : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB 48.

11 Sur Jane Brigode : JACQUES, C. et MARISSAL, Cl., « Jane Brigode 1870-1952). Une féministe », Dix femmes en politique. Les élections communales de 1921…, p. 69-89.

12 Plus de détails dans BOËL, M. et DUCHENE, C., Le féminisme en Belgique 1892-1914, éd. CNFB, Bruxelles, 1955.

13 Marie Parent (1853-1934), militante anti-alcoolique, elle est active dès 1890 dans la Ligue patriotique contre l’alcoolisme et en 1899, elle devient l’une des collaboratrices de l’Union des femmes belges contre l’alcoolisme. En 1905, elle fonde l’Alliance des femmes contre les abus de l’alcool qui prône non l’abstinence complète de boissons alcoolisées mais une consommation modérée. Egalement féministe, elle adhère dès 1892 à la LIBDF, elle milite également au sein de la libre pensée, de la Ligue des femmes rationalistes et de la Ligue belge des droits de l’homme : Dictionnaire des femmes.., p. 437-439.

14 Marguerite Nyssens (1858-1947). Nièce de Joséphine Keelhoff-Nyssens qui l’entraîne dans le militantisme antialcoolique et avec qui elle fonde l’Union des femmes belge contre l’alcool. Elle est également active au sein des mouvements féministes et pacifistes : Dictionnaire des femmes.., p. 427.

15 Adèle de Lhoneux (1886-1969), régente de formation, elle enseigne à l’école moyenne pour filles à Ixelles puis à celle de Molenbeek-Saint-Jean. Elle collabore avec Louise Van den Plas au Féminisme

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L’association s’installe dans La Maison du Livre, à Bruxelles, rue de la Madeleine, mise à sa disposition par Paul Otlet, sympathisant féministe17. L’Union « veut centraliser les bonnes volontés féminines désireuses de se dévouer d’une manière quelconque au service de la Patrie »18. La tournure des événements installe l’Union dans la longue durée : l’occupation du pays par l’armée allemande provoque rapidement un chômage généralisé et l’Union devient un lieu d’assistance par le travail. Elle est structurée en différentes sections : placement, vêtements, dentelles, atelier d’apprentissage et œuvre belge du jouet. Les responsables de l’Union travaillent en étroite collaboration avec le Comité national de secours et d’alimentation (CNSA) et procurent ainsi du travail et un soutien moral à des milliers d’ouvrières en Belgique.

La distribution du travail à domicile devient bientôt une de ses principales activités. La section Aide et Protection aux Dentellières, communément appelée Comité de la dentelle, est chargée de centraliser le travail des dentellières. Il devient rapidement l’activité la plus emblématique de l’Union mais la dégradation générale des conditions de vie y met fin en novembre 191719. Dans le cadre de ses activités, l’Union essaie également d’aider les ménagères, Marie Parent publie deux brochures qui connaissent un succès certain : le Fricot de la ménagère en 1915 prodigue maints conseils pour faire face aux restrictions alimentaires, et son complément Recettes de guerre en 1916 qui propose une centaine de recettes économiques20.

Si toutes les associations féministes d’avant guerre ont suspendu leurs activités, le CNFB entretient toutefois une correspondance avec le CN Suisse afin de garder des contacts entre Belges restés en pays occupé et ceux en exil, prisonniers en Allemagne ou combattants au front21. Beaucoup de féministes s’engagent, à titre personnel, dans des œuvres d’assistance ou participent à la résistance intérieure. Quelques-unes le paient au prix fort, arrêtées et condamnées, elles sont déportées le plus souvent à la forteresse de Siegburg en Allemagne.

Après 1918… Faire entrer le premier féminisme dans le XXe siècle

L’entre-deux guerres correspond à une période de grand réajustement pour les féministes tant au niveau interne qu’externe. Dès la fin des années 1920, le mouvement féministe se divise en une aile modérée autour de groupements déjà existants avant 1914 et une aile radicale formée de nouvelles associations. La structuration et l’expansion rapide d’un

chrétien. Après la première guerre, elle enseigne à l’école sociale catholique de Bruxelles : Dictionnaire des femmes.., p. 172.

16 Marie-Louise de Bauffremont-Courtenay ép. Jean de Mérode (1874-1955), dame d’œuvres, préoccupée surtout du sort des prisonniers et des réfugiés en 1914-1918, elle concentre ses efforts après guerre dans la réadaptation des invalides: Dictionnaire des femmes.., p. 136-137.

17 DE WEERDT, D., De vrouwen van de eerste wereldoorlog, Gent-Brussel, 1993, p. 82-84;

KEYMOLEN, D. et COENEN, M.-Th., Pas à pas. L’histoire de l’émancipation de la femme en Belgique, Bruxelles, 1991, p. 47; Sur Paul Otlet : Biographie nationale, 1964, t. XXXII, col. 545-558.

18 BRIGODE, J., Union patriotique des femmes belges. Rapport présenté au Comité National de Secours et d’Alimentation, 8 août 1914- 28 février 1915, Bruxelles, 1915, p. 1.

19 AGR, Fonds 14-18, Aide et protection aux Dentellières ; VAN DEN PLAS, L, « L’Union patriotique des femmes belges », La Femme belge, janvier 1915, p. 939-954.

20 Dictionnaire des femmes.., p. 439.

21 International féminin, janvier/février 1920.

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mouvement féminin de masse politique qui occupe l’espace ‘féminin’ oblige également les féministes à s’adapter et à repenser leur stratégie. En effet, à partir des années 1920, le succès de leur revendication dépendra, en grande partie, de leur capacité à mobiliser ces nouveaux groupements féminins. Elles doivent également tenir compte des associations féminines à vocation sociale et pacifiste. En réalité, pleinement conscientes de la nouvelle distribution des cartes dès les années trente, les féministes compensent en quelque sorte la faiblesse de leur nombre par leur capacité à mettre en action l’ensemble de ces réseaux, sorte de nébuleuse qui se met au service du droit des femmes.

Au lendemain du conflit, le mouvement féministe belge renaît principalement autour de deux axes. Le premier regroupe des associations militantes comme le CNFB, l’Union patriotique des femmes belges, la Fédération des femmes belges pour le suffrage et le Féminisme chrétien de Belgique et le second des associations qui convertissent leur féminisme en des activités à caractère philanthropique

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Après la guerre, l’absence de la présidente du Conseil, Léonie La Fontaine, réfugiée en Suisse, entraîne quelques flottements. Lors d’une première réunion en 1919, à la demande de Jane Brigode, toutes les décisions et actions sont reportées à l’année suivante22. En 1920, la première assemblée générale du CNFB décide de remplacer Léonie La Fontaine par Marguerite Van De Wiele. Cette dernière appartient à la première génération de féministes.

C’est une écrivaine reconnue, membre depuis toujours du CNFB, qui se distingue par une grande modération, accentuée encore par une certaine incapacité à s’adapter aux changements sociaux de l’après-guerre. Elle n’est guère favorable au droit de vote féminin sauf pour les femmes dotées d’un certain degré d’instruction23. Après la guerre, « la pauvre vieille dame avait une obsession, la dévaluation de la monnaie, qu’elle ne pouvait comprendre. Pour elle, un franc restait un franc (…), et la crainte d’engager des dépenses exagérées paralysait en elle toute initiative »24. Elle maintient le CNFB dans une voie très prudente, néanmoins, sous son impulsion, le champ de recrutement du CNFB s’élargit à des femmes issues du monde catholique.

Comme avant guerre, les activités du Conseil s’organisent au sein de commissions spécifiques: travail, paix, suffrage, lois, moralité, hygiène… etc., dont le dynamisme et l’orientation dépendent de la personnalité de leurs présidentes. Association coupole, le CNFB fédère une série de sociétés dont les buts et les idéaux s’éloignent quelquefois du militantisme féministe, ce qui ne manque pas d’entraver son action. D’autant plus que depuis 1920 « afin qu’aucune société ne se trouve impliquée dans une action contraire à ses principes (...), les résolutions du Conseil ne seront prises qu’à l’unanimité »25.

22 Correspondance entre Elise Soyer et Jane Brigode, 1919 et notes mss. d’Elise Soyer 1919 : Mundaneum, F. Féminisme CNFB 01.

23 Marguerite Van de Wiele (1857-1941). Elle suit les Cours d’éducation de la rue du Marais dès leur création en 1864. Elle publie son premier roman en août 1879 sous le titre de Lady Fauvette. Elle entreprend également une carrière de journaliste. Elle publie dans La Chronique, l’Indépendance belge, l’Echo du Parlement, l’Etoile belge ou encore dans Le Soir et le Petit bleu. A partir de 1907, elle dirige la section Livres du CNFB qu’elle préside de 1920 à 1935 : Dictionnaire des femmes…, p.

554-556. ; Lettre d’E. Soyer à Léonie La Fontaine, 15/06/1919 : Mundaneum, F. Féminisme, Papiers Léonie La Fontaine en cours de classement.

24 Bulletin du CNFB, juillet/août, 1955, p. 3.

25CNFB. Assemblée générale du 25 janvier 1920, Bruxelles, s. d. : AVB, F. Nyssens, 49.

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Si le CNFB réussit sa reconversion d’après guerre et retrouve une place sur la scène féministe nationale et internationale, il en va tout autrement du Féminisme chrétien de Belgique et de la Ligue belge du droit des femmes qui peinent à renouer avec leur dynamisme antérieur. Sous la présidence de Marie Parent, la Ligue se limite à organiser quelques conférences et semble disparaître complètement au début des années 193026. Par contre, le Féminisme chrétien de Belgique connaît un sort plus enviable grâce au dynamisme de sa présidente fondatrice, Louise Van den Plas. Il bénéficie aussi de sa position atypique au sein des milieux féministes et catholiques. A de nombreuses reprises, il sert en quelque sorte d’alibi ou de bonne conscience pour l’un ou l’autre camp.

Sous l’impulsion de Louise Van den Plas et Jane Brigode, soudées par l’épreuve de la guerre, l’Union patriotique des femmes belges poursuit ses activités27 en collaboration étroite avec la Fédération belge pour le suffrage des femmes. Les femmes ayant obtenu le suffrage communal en 1920, ces deux organisations donnent des conférences dans le pays en vue d’éduquer les femmes à leurs nouveaux devoirs politiques. Parallèlement, elles se lancent dans une vaste campagne de relèvement de la moralité publique. C’est, effectivement, un souci majeur de l’après-guerre. La crainte d’une dissolution des mœurs, sous l’effet délétère du conflit, s’observe partout. Il s’agit de sortir de la brutalisation de la guerre et d’imposer à nouveau un mode de vie policé. Parmi les revendications se retrouvent pèle-mêle l’abolition de la réglementation de la prostitution, la lutte contre la traite des femmes, une politique nataliste…etc.28.

Mais dès les années 1930, les activités de l’Union alliée à la Fédération belge pour le suffrage des femmes reposent sur un nombre infime de membres et elles s’apparentent en quelque sorte à des coquilles vides.

Toujours sous les auspices de l’Union, le Lyceum club de Belgique est réorganisé en 1923. Fondé en 1908, il avait cessé ses activités avec la guerre. L’Union lui apporte son renom mais aussi son appui financier : Jane Brigode en prend la présidence jusqu’en 1934 et Louise Van den Plas le poste de secrétaire générale. Le Lyceum est principalement une association à vocation culturelle. Situé à Bruxelles (22 place de l’Industrie), il propose à ses membres des conférences, des expositions ainsi que des concerts et accueille également des personnalités féminines étrangères de passage à Bruxelles29. Il constitue durant tout l’entre- deux-guerres un lieu privilégié de sociabilité pour les femmes de la moyenne et haute bourgeoisie bruxelloise et permet les contacts avec des féministes étrangères de passage dans la capitale. Mais il ne survivra pas au second conflit mondial.

Plus radicale à l’origine que la Ligue belge du droit des femmes, la Société belge pour l’amélioration du sort de la femme (1887) reconvertit pourtant son activité dans le champ

26 Cartons annonçant des conférences sous les auspices de la LBDF : AVB, F. Nyssens, 49.

27 Annexes au Moniteur belge. Recueil des actes concernant les associations sans but lucratif et les établissements d’utilité publique jouissant de la personnalité civile. Bruxelles, 1926, p. 277-279.

28 JACQUES, C., et MARISSAL, Cl., « Jane Brigode-Ouwerx », Dix femmes en politique, …, p. 69- 89; Pour le détail de ses activités : Féminisme chrétien de Belgique, février 1922, p. 27; avril 1922, p.

59-63; septembre/octobre 1922, p.129.

29 L’international féminin. n°3, 1934, p. 2. ; Lyceum Club de Belgique. Statuts. Règlements d’ordre intérieur. Liste des membres 1930-1931, Bruxelles, 1931; Lyceum Club de Belgique. Fondé en 1909.

Réorganisé en 1923 par l’Union patriotique des femmes belges, Bruxelles, 1923 : AVB, Fonds Nyssens, 49.

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social après 1914-1918. Mais les circonstances de la guerre modifient sensiblement ses objectifs. Dès 1916, Berthe Grandjean30 est frappée par la détresse des jeunes filles et des femmes isolées qui éprouvent de grosses difficultés à trouver des lieux d’hébergement, en dehors des couvents; elle crée une section sociale qui prend le nom de Foyer de la Femme31 :

« Malgré les difficultés suscitées par l’occupation, la Société poursuivit la réalisation de son but patriotique et humanitaire. Passant outre à toutes les censures, avec la foi en leur idéal, les membres de l’A.S.F. travaillèrent courageusement, avec la certitude que leur activité répondait à un besoin d’impérieuse nécessité sociale »32. Cette société gère à terme sept maisons acquises par l’association durant l’entre-deux-guerres. En 1924, elle se constitue en asbl sous la présidence d’honneur du bourgmestre de Bruxelles, Adolphe Max. Chaque institution porte le nom d’une héroïne de la guerre 14-18. Les quatre premières maisons s’implantent dans des communes bruxelloises.

La première à voir le jour est le Home Edith Cavell en 1919, destiné aux femmes et jeunes filles « travailleuses » qui cherchent à se loger à prix modeste. En 1920, le Foyer Gabrielle Petit s’ouvre sous la forme d’un restaurant populaire pour femmes. Deux ans plus tard, la Maison Elise Grandprez (1922) est destinée aux femmes seules de la petite et moyenne bourgeoisie ruinées par la guerre. En 1924, la Maison Yvonne Vieslet ouvre ses portes aux étudiantes sans fortune et leur permet ainsi d’avoir accès à l’enseignement supérieur de la capitale. En 1926 c’est à Gand qu’est construit un home pour femmes âgées, la Maison Prudence Preenen-de Smet, qui devient par la suite l’« Avondsterrre ». Quatre ans plus tard, un home pour étudiantes, travailleuses et personnes retraitées, la Maison Louise Derache, s’ouvre à Liège. Le Home Pauline Rameloo-Emilie Schatteman ou Villa mon repos à Lombardzijde propose des vacances aux mamans et à leurs enfants aux revenus modestes et clôture ces initiatives. Durant la Seconde Guerre mondiale, Berthe Grandjean fera usage de toute son influence pour que les différents homes ne soient pas fermés. Après 1945, l’ASF recentre ses activités sur la gestion de homes pour personnes âgées. Après plusieurs revers financiers, à partir 1958 seul le foyer de Gand n’est pas vendu33.

E n t r e f é m i n i s m e e t m i l i t a n t i s m e w a l l o n

Quelques féministes tentent d’allier régionalisme et défense des droits des femmes.

L’évolution de ces associations suit celle des mouvements flamand et wallon. Aucune ne développe une dialectique originale qui userait d’argument autre que celle des courants régionalistes qui les motivent et qui s’appuierait d’abord sur les droits des femmes. Après une brève tentative de restructuration, la Gentse Vrouwenbond, association féministe fondée à Gand par Rosa De Guchtenaere en 1906, disparaît définitivement en 1924, après la condamnation pour incivisme de sa présidente et d’autres membres34. Par contre l’Union des

30 Berthe Springael, épouse Grandjean (1881-1969). Régente de formation, elle dirige la Société belge pour l’amélioration du sort de la femme dont elle développe les activités tout en leur donnant un tour plus social. ; vice-présidente de la Ligue de l’Enseignement et membre du CNFB : Dictionnaire des femmes belges, …, p. 513-514.

31 DE GRONCKEL, Ch. (dir.) Répertoire des Œuvres et des Services d’assistance, d’hygiène et de solidarité, Bruxelles, 1925, p. 363.

32 Dépliant de présentation du Foyer de la femme, [1920] : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB 16.

33 BOËL, Baronne Pol et C. DUCHENE, C., Op.cit., p. 73-74 et p. 98; SOYER, E., «Historique du féminisme en Belgique », Sextant, n°5, 1996, p. 145-148; L’International Féminin, 1910-1934.

34 Sur la participation des femmes au mouvement flamand : BRACKE, N., « Mouvement flamand », Encyclopédie d’histoire des femmes… (à paraître).

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femmes de Wallonie prend son essor dans les années 192035. A ce titre, elle occupe une place tout à fait particulière dans le paysage féministe belge : elle est la seule association ouvertement féministe, située en dehors de Bruxelles et animée par des ‘non-Bruxelloises’36. L’Union des femmes de Wallonie voit le jour deux ans avant le début la guerre, le 28 octobre 1912. Le premier numéro de son Bulletin trimestriel paraît en février 1913. Sa présidente est Léonie de Waha de Chestrée37 et Marguerite Horion-Delchef38 en assure le secrétariat.

Militante du mouvement wallon, Marguerite Horion-Delchef est aussi la première diplômée de l’Université de Liège en 1900. En 1919, elle fait partie de l’Assemblée wallonne où elle est rejointe par une autre membre de l’Union en 1921, l’écrivaine Emma Lambotte39. Créée en réaction à la poussée du mouvement flamand, elle entend unir les femmes wallonnes dans la défense de la terre wallonne et se veut « féminine et féministe sans excès, sans outrance », apolitique et ouverte « à toutes les femmes qui pensent, à toutes celles que préoccupent le souci de l’équité, de la solidarité, l’amour du sol natal, l’orgueil de notre peuple énergique et vaillant »40.

Durant la première guerre, l’association a reconverti ses activités dans le social : aide aux accouchées, atelier de layettes,…etc., mais à la libération, elle élargit ses objectifs et met sur pied deux nouvelles sections, l’une destiné à la propagande anti-allemande et aux intérêts wallons et l’autre à la promotion de l’art féminin.

Une tentative de rapprochement avec la Société pour l’amélioration du sort de la femme échoue en raison des divergences d’opinion. En janvier 1921, le bulletin de l’Union prend le nom de Femme wallonne, il paraîtra jusqu’en décembre 1936. Les articles y traitent pour l’essentiel d’émancipation féminine (travail et enseignement), se font également le relais des actions de l’Union mais aussi de la Fédération belge des femmes universitaires dont

35 Lettre de Ledewijn à Léonie La Fontaine, 23/12/1918 : Mundaneum, F. Féminisme, LLF 66 ; Lettre de Ledewijn à E. Soyer 24/12/1924 : En 1918, la nouvelle présidente affirme que « La société est restée inactive pendant la durée de la guerre désormais, débarrassée des éléments exagérés qui faisaient partout intervenir la question des langues, elle pourra sans embarras se consacrer à son but.

L’Union des femmes gantoises est décidée à garder sur cette question, étrangère à son activité, la plus stricte neutralité et à ne plus se laisser entraîner à ses démarches.» : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB 01. Il existe également une Union féminine à Liège dirigée par Mme Fincœur mais qui n’est pas féministe. International féminin, mars 1914 ; FLOUR, E., JACQUES, C. et MARISSAL, Cl., Bronnen voor de vrouwen geschiedenis in België, t.2., Repertorium van de feministische en de vrouwenpers 1830-1994, Inbel, Bruxelles, 1995, p. 356-357.

36 La branche anversoise du CNFB créée en 1911 ne se relève pas de la guerre alors qu’elle comprenait près de 200 membres en 1914 : BRAUSS, M.-A., « CNFB. Branche Anvers. Pour le féminisme », La Ligue, n°3, 1911, p. 85-87. ; « Branche anversoise du CNFB », International féminin, mars 1914, p. 2-4.

37 Léonie de Waha (1836-1926), acquise aux idées des libéraux progressistes, elle fonde à leurs côtés le premier institut laïque pour jeunes filles à Liège en 1868 : Dictionnaire des femmes.., p. 143-144.

38 Marguerite Delchef, ép. Horion (1874-1964). Première étudiante et première diplômée en philologie romane de l’Université de Liège en 1900, elle épouse le juriste Alexandre Horion. Membre dès sa création de la Fédération belge des femmes universitaires, elle fonde une section locale en 1921 avec Marie Delcourt. Elle participe aussi à la fondation en 1912 de l’Union des femmes de Wallonie. Elle s’investit après 1919 dans le mouvement wallon : Dictionnaire des femmes…, p. 168-170.

39 Emma Protin, ép. Lambotte (1876-1963). Poète et critique d’art : Dictionnaire des femmes…, p.

468-469.

40 Cité par LIBON, M., « « L’Union des femmes de Wallonie » (1912-1936). Première approche », COURTOIS, L., ROSART, Fr. et PIROTTE, J. (dir.), Femmes des années 80. Un siècle de condition féminine en Belgique (1889-1989), Academia/ Crédit communal, Louvain-La Neuve, p. 185.

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Marguerite Horion-Delchef et Marie Delcourt41 animent une section à Liège, mais avec peu de succès42. En 1921, l’Union compterait près de 500 membres, par la suite plus aucune indication n’est fournie43. Toutefois au milieu des années 1930, le militantisme wallon semble prendre le pas sur l’engagement féministe, ce qui décide ses dirigeantes à mettre fin à l’Union: « Il n’y a point … de questions wallonnes essentiellement féminines : nos sociétaires trouveront dans les multiples organismes et journaux wallons de quoi continuer à s’intéresser aux problèmes qui nous ont préoccupés. Pour le féminisme, nous ne sommes point davantage en peine : nombreuses sont les sources auxquelles on peut puiser»44.

Les associations anciennes qui poursuivent leurs activités

Union patriotique des femmes belges Jane Brigode et Louise Van den Plas Fédération belge pour le suffrage des femmes Jane Brigode, Louise Van den Plas et

Elise Soyer

Union des femmes de Wallonie Marguerite Horion Delchef

Lyceum Club (réorganisé en 1923) Jane Brigode et Louise Van den Plas Conseil national des femmes belges Marg. Van de Wiele puis Marthe Boël

(1934)

Féminisme chrétien de Belgique Louise Van den Plas

Ligue belge du droit des femmes Marie Parent

Le réveil féministe et l’essor des nouvelles associations

Dès la fin des années 1920, de nouvelles associations féministes déploient leurs activités, doublant ainsi les plus anciennes. Elles se composent de femmes issues d’horizons sociaux, relativement différentes des militantes précédentes. Souvent universitaires, ces féministes formulent des revendications moins réformistes et plus radicales et portent sur les fonds baptismaux des groupements qui correspondent mieux à leur projet de société.

41 Marie Delcourt, ép. Curvers (1891-1979). Docteure en philologie classique de l’ULB en 1919. En 1922, elle est nommée professeure à l’Institut supérieur libre des demoiselles de la ville de Liège. En 1930, elle est la première femme chargée de cours à l’ULG : Dictionnaire des femmes.., p. 170-171.

42 FLOUR, E., JACQUES, C. et MARISSAL, Cl., Répertoire des sources pour l’histoire des femmes en Belgique, t. 1, Répertoire de la presse féminine et féministe en Belgique 1830-1994, Inbel, Bruxelles, 1994, p. 183.

43 LIBON, M., « « L’Union des femmes… », p.186.

44 HORION-DELCHEF, M., « P.P.C. », La Femme wallonne. Bulletin de l’Union des femmes de Wallonie, n°7, novembre-décembre 1936.

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Les nouvelles associations féministes

1921 Fédération belge des femmes universitaires (FBFU)

Marie Derscheid puis Germaine Hannevart 1932

1928 Groupement belge pour l’affranchissement de la femme (GBAF)

Louise De Crane –Van Duuren

1929 Groupement belge de la porte ouverte (GBPO) Louise De Craene-Van Duuren

1931 Egalité (ex- GBAF) Georgette Ciselet

Les premiers frémissements

Dans la foulée de l’International Federation of University Women (IFUW), créée en Angleterre en 1919, et dont le programme et les statuts sont fixés en 1920, la Fédération belge des femmes universitaires voit le jour en 1921. C’est une Gantoise, Paule Vanderstichele, résidant à Londres, qui après avoir assisté au premier congrès de l’IFUW, suggère à la doctoresse Marie Derscheid45 de créer une association similaire en Belgique.

Cette association regroupe, comme son nom l’indique, des femmes porteuses d’un diplôme universitaire ou équivalent. Elle espère créer une solidarité entre intellectuelles et contribuer ainsi à un monde meilleur et plus pacifiste. Sa présidente fondatrice, Marie Derscheid, féministe convaincue, souhaite que « …la femme ait une liberté plus grande, une dignité plus consciente, une vie intelligente et plus vaste »46. Cette association répond à une nouvelle réalité de l’entre-deux-guerres : un nombre accru de jeunes filles – toutes proportions gardées – entrent à l’université. A sa création la FBFU compte 119 membres et multiplie ce nombre par 6 pour atteindre 642 unités en 1940. Son recrutement s’effectue prioritairement parmi les diplômées de l’ULB ; celles de Gand et de Liège ne représentent que 38,5% du total en 1939. Elle ne compte pratiquement pas d’universitaires sorties de l’UCL, surtout que depuis 1935, une association concurrente l’Association des femmes universitaires catholiques (AFUC), existe. Mais elle n’aura jamais d’accents féministes47.

De nombreuses figures connues du monde féministe mais aussi politique et social se retrouvent à la FBFU. Sous l’impulsion de Marie Derscheid, la doctoresse Jeanne-Emile Vandervelde y anime une section belge des femmes médecins (1929) affiliée à l’Association internationale des femmes médecins48. Les premières femmes juristes comme Paule Lamy, Marcelle Renson, Georgette Ciselet y côtoient les premières scientifiques comme la sociologue Hélène Antonopoulo49, l’historienne Suzanne Tassier50 ou encore la chimiste

45 Marie Derscheid (1859-1932), médecin et féministe, elle obtient un doctorat en sciences naturelles en 1885 puis entame des études de médecine qu’elle termine en 1894. Elle se spécialise ensuite en orthopédie : Dictionnaire des femmes belges, … p. 188-189.

46 Bulletin de la FBFU, 1931-32/ 1932-33, p.5.

47 FLOUR, E. et JACQUES, C., Répertoire des sources du féminisme en Belgique…, p. 67-68.

48 « Congrès international de Paris, section belge des femmes médecins », Le Scalpel, n°12, mars 1929, p. 204.

49 Hélène Antonopoulo (1891-1944), sociologue du travail et professeur à l’ULB., Elle est docteure en 1921 avec une thèse relative aux différentes tendances de la législation protectrice du travail.

Dictionnaire…, p. 25-26.

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Lucia De Brouckère51, toutes trois enseignantes à l’ULB. Nombreuses sont celles qui, parmi elles, adhèrent à l’obédience maçonnique du Droit humain. La FBFU milite pour l’accès à l’ensemble des professions sans aucune discrimination sexuée52. En toute logique, la FBFU réclame la mise sur pied d’un enseignement secondaire de qualité permettant aux jeunes filles d’avoir accès à l’université sans devoir présenter l’épreuve préalable du jury central.

Elle se mobilise pour faire voter la loi de 1925, qui organise des lycées officiels pour jeunes filles et dont l’inspiratrice est l’une de ses membres, Suzanne Tassier53.

A la mort de Marie Derscheid en 1932, Germaine Hannevart, docteure en biologie de l’ULB et professeure au lycée Emile Jacqmain, en reprend la direction54. Véritable vivier d’une élite intellectuelle, la FBFU ‘fournira’ toutes les fondatrices des nouvelles associations radicales qui naissant à la fin des années 1920-début des années 1930.

Le CNFB … un second souffle

Ce regain de vitalité féministe s’observe aussi au CNFB. En 1928, il compte 31 sociétés affiliées55. L’arrivée de la baronne Boël amorce une période de restauration qui prend toute son ampleur après son élection à la présidence en 1934. Epaulée par Elise Soyer, elle impulse un nouveau dynamisme en élargissant le recrutement des commissions d’étude et en suscitant l’adhésion de nouvelles associations. Ces deux femmes peuvent également compter sur le prosélytisme de Mme Oedenkoven-De Boeck qui obtient au cours des années 1930, l’adhésion de l’Association des infirmières visiteuses de Belgique, dirigée par Cécile Mechelynck. A la même époque, elle sollicite Mlle Hellemans pour la Fédération des infirmières et Mme Lebœuf pour l’école d’infirmières Edith Cavell56.

Désormais, les activités du CNFB s’organisent autour de quatre objectifs principaux.

Premièrement, il « coordonne les efforts des différents groupements qui, en Belgique, s’occupent des intérêts économiques et sociaux des femmes, de leurs devoirs et de leur droits dans la société et la famille ». Deuxièmement, il s’engage à servir de relais à leurs revendications auprès des pouvoirs publics et à « s’opposer aux mesures qui (…) sont préjudiciables » aux femmes. Troisièmement, il se présente comme un centre d’étude des différentes questions qui ont trait à la famille et à la femme afin de faire connaître aux

50 Suzanne Tassier (1898-1956), première femme belge agrégée de l’enseignement supérieur.

Historienne, professeur à l’ULB et féministe : Dictionnaire des femmes belges..., p. 523-524.

51 Lucia De Brouckère (1904-1982), professeur à l’ULB et militante laïque, fille du socialiste bien connu Louis De Brouckère. Docteure en sciences chimiques en 1927 et agrégée de l’enseignement supérieur en 1933, elle sera la première femme en Belgique à enseigner dans une faculté de sciences . Dictionnaire…, p. 139-140.

52 Voir le chapitre 8.

53 Di TILLIO, V., « La Fédération belge des femmes universitaires. Naissance et essor (1921-1940), Sextant, n°9, 1998, p. 83-113.

54 Germaine Hannevart (1887-1977), naît à Leuze (Hainaut). Détentrice d’un diplôme de docteur en sciences biologiques, elle enseigne à l’Athénée pour jeunes filles de Bruxelles, futur lycée Emile Jacqmain (1931) jusqu’à sa mise à la retraire en 1948. Laïque et maçonne, marquée par les horreurs de la guerre, elle sera toute sa vie une ardente pacifiste et féministe. Elle préside notamment la Fédération belge des femmes universitaires de 1932 à 1952 et le GBPO à partir de1946 : Dictionnaire des femmes belge..., p. 307-309.

55 Bulletin du CNFB, juillet/août, 1955, p. 2.

56 Lettre de Mme Oedenkoven-De Boeck à Marthe Boël (?) 15/07/1931 : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB 01.

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pouvoirs publics les positions des femmes belges sur ces matières 57. En dernier lieu, il assure la représentation des femmes belges à l’étranger, par le biais du CIF auquel il est affilié. Il a ainsi accès aux instances internationales telles que la SDN et après 1945 l’ONU et ses agences spécialisées (UNICEF, OMS, …etc.) et le BIT. Ce mode de fonctionnement est toujours actuel. 58

Mais cette ouverture aux différents courants idéologiques et groupes d’intérêts a une contrepartie, parfois lourde. Les prises de positions du CNFB doivent tenir compte des sensibilités diverses et ses résolutions semblent parfois disparates. En réalité, elles reflètent la personnalité et le type d’engagement féministe des présidentes des commissions permanentes. Par ailleurs, Marthe Boël cherche à attirer des universitaires au sein du CNFB et à le rajeunir. Sous son impulsion, Jeanne Beeckman, épouse du leader socialiste, Emile Vandervelde59, devient l’une des vice-présidentes du CNFB en 1934. Les portes du CNFB s’ouvrent également à toute une génération de juristes fraîchement diplômées de l’ULB comme Georgette Ciselet, Fernande Baetens60, Paule Lamy ou encore Marcelle Renson.

Pleines d’énergie, ces jeunes femmes enrichissent le champ de revendications du CNFB grâce à leur formation. Elles connaissent également les langues étrangères, ce qui leur permet de reprendre des contacts plus suivis avec le mouvement international. Au lendemain de la guerre, c’est toujours Elise Soyer qui assiste aux réunions organisées par le Conseil international des femmes (CIF) mais elle maîtrise mal l’anglais! L’arrivée de Marcelle Renson et de Fernande Baetens permettent de renouer les liens, de sorte qu’en 1936 la baronne Marthe Boël est choisie pour succéder à Lady Aberdeen, présidente du CIF depuis plusieurs décennies. Cette présidence belge ajoute une dimension internationale au Conseil dont les activités s’insèrent et s’ajustent de plus en plus à l’agenda du CIF. Ses centres d’intérêt s’aligneront plus encore sur la vie internationale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

La naissance d’une aile radicale

Durant l’été 1926, un groupe de femmes anglaises créent l’Open Door Council (par la suite ODI, Open Door International) en vue de défendre le droit des travailleuses. Elles réagissent à la politique menée par l’OIT en matière de protection spécifique du travail féminin. En effet, elles estiment que cette protection constitue en réalité une entrave au travail féminin et revendiquent une stricte égalité entre hommes et femmes en matière de droit au travail. Lors du congrès de l’Alliance internationale pour le suffrage des femmes à Paris en 1926, l’ODC expose ses vues, met sur pied un « Comité parisien » qui comprend deux Belges: Marcelle Renson et Louise De Craene-Van Duuren. Trois ans plus tard, l’ODC organise son premier congrès une semaine avant celui de l’Alliance internationale pour le suffrage des femmes (AISF). Celle-ci fête son 25e anniversaire, et l’ODC espère ainsi bénéficier de l’afflux de féministes venues des quatre coins de la planète. L’invitation est

57 Le CNFB- statuts, novembre 1938, Bruxelles, 1938, p. 1: Mundaneum, F. Féminisme, CNFB 01.

58 Copie de la constitution du CNFB, 10 mai 1951 : Moniteur belge du 9 juin 1951.

59 Jeanne Beeckman (1891-1963). Docteure en médecine de l’ULB, elle épouse en secondes noces Emile Vandervelde, le leader du POB : Dictionnaire des femmes belges…, p.40-43

60 Fernande Baetens (1901-1977), Docteure en droit de l’ULB en 1926, membre de la FBFU et du CNFB : Dictionnaire des femmes…, p. 37-38.

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signée par quatre féministes belges : Louise De Craene61, Marcelle Renson62, Georgette Ciselet63 et Elise Soyer. Au cours de ce congrès, l’ODC est rebaptisé Open Door International et rédige sa charte et ses statuts ainsi qu’une série de résolutions relatives au travail de nuit et à la protection de la femme enceinte.

Entre-temps en Belgique, Louise De Craene-Van Duuren crée le Groupement belge pour l’affranchissement de la femme (GBAF), le 1er février 1928. Elle considère son pays comme

« un des plus arriérés parmi les pays (dits) civilisés »64. En conséquence, le but du GBAF est

« d’obtenir à la femme sa pleine et entière capacité politique et juridique »65 et de la «libérer, dans les domaines économique, social, intellectuel, des interdictions, entraves, restrictions, infériorités qui lui étaient encore imposées en tant que femme »66. Le GBAF propose un programme ‘mixte’ et « fait appel à toutes les femmes qui, dans la démocratie égalitaire de notre temps, ne veulent plus rester légalement asservies à tous les hommes équitables et clairvoyants qui refusent de les maintenir dans cette servitude inique »67. Marcelle Renson identifie cet « organisme merveilleux dirigé par une femme active, sincère, enthousiaste et surtout combattive » au réveil des femmes belges !68

La plupart des jeunes universitaires qui régénèrent l’action du CNFB s’engagent parallèlement dans un féminisme nettement plus radical. La menace qui pèse de plus en plus sur le travail féminin durant la crise économique des années 1930 incite les militantes du GBAF à scinder l’association en deux ailes : l’une s’occupant de la défense économique des femmes sous le nom de Groupement belge de la porte ouverte (GBPO) et l’autre axée sur la défense des droits politiques et civils, le Groupement belge pour l’affranchissement de la femme (GBAF).

Le GBPO est pris en charge par Louise De Craene-Van Duuren et s’affilie à l’ODI.

L’Affranchissement de la femme est dirigé par l’avocate Georgette Ciselet qui le rebaptise du nom d’Egalité, en mars 1931 et devient la section belge de l’Alliance internationale des

61 Louise Van Duuren, ép. De Craene (1875-1938). Après des études moyennes aux Cours d’Education, elle obtient en 1900 un doctorat en philosophie de l’ULB. Elle est mise à la retraite anticipée pour raison de santé en 1917 et se consacre dès lors au militantisme féministe. Elle a épousé entre-temps le docteur Ernest De Craene, professeur à l’ULB et franc-maçon. Déçue par la tiédeur du féminisme belge, elle fonde en 1928 le GBAF qui devient par la suite le GBPO et Egalité : Dictionnaire des femmes,…, p. 560-561.

62 Marcelle Renson (1894-1988). Elle commence ses études de droit à Paris et le 5 mars 1919, elle s’inscrit au barreau de Paris, un an plus tard elle rentre à Bruxelles, où elle présente les examens de doctorat devant le Jury Central, elle obtient le titre de docteure en droit en 1920. Elle est l’une des premières femmes à prêter serment en 1922 aux côtés de Paule Lamy et de Marguerite De Munter- Latinis. Féministe, elle milite à la FBFU, au CNFB et au GBPO. Dictionnaire des femmes, …, p. 479- 481.

63 Georgette Ciselet (1900-1983) : Docteure en droit de l’ULB en 1923, militante féministe dès l’entre-deux-guerres, membre du CNFB et de la FBFU, elle fonde avec Louise De Craene-Van Duuren le GBAF et Egalité. Membre de la Fédération nationale des femmes libérales qu’elle préside après la Seconde Guerre, elle est sénatrice cooptée par le parti libéral dès 1946. Son mandat n’est pas renouvelé en 1961. En 1963, elle est la première femme nommée conseillère d’Etat. Dictionnaire des femmes…, p. 100-103.

64 Bulletin trimestriel du Groupement Belge pour l’Affranchissement de la femme, n°1, 1929, p. 1.

65 Ibidem.

66 Ibidem.

67 Tract du GBAF [1928] : Carhif, F. Louise De Craene, 778.

68 RENSON, M., « Des femmes belges se sont réveillées », L’international féminin. mai/juin 1928.

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femmes pour le suffrage (remplaçant ainsi la Fédération belge pour le suffrage des femmes moribonde). Chaque association a son organe de presse, respectivement la Travailleuse traquée et Egalité.

Le groupe Egalité connaît un succès non négligeable : en décembre 1930, il compte déjà près de 500 membres. Les animatrices donnent de nombreuses conférences, notamment à la radio ce qui leur permet d’avoir une audience plus large. Des consultations juridiques sont aussi mises à la disposition des femmes. Chacune dans son domaine, ces deux associations affichent un féminisme radical.

Le GBPO reprend à son compte l’ensemble du programme de l’ODI et réaffirme son opposition à toute législation protectionniste du travail différenciée selon les sexes. Egalité revendique des droits identiques pour les hommes et les femmes dans le domaine politique et civil et exige la réforme du Code civil et l’abolition de la puissance maritale. Ces nouvelles associations féministes belges - que nous qualifierons d’ « égalitaires » - ne sont pas le fruit d’un épiphénomène belge mais découlent de l’influence du mouvement féministe international69. Elles représentent en quelque sorte une avant-garde féministe. Néanmoins certaines de leurs revendications sont soutenues, voire partagées, par des associations plus modérées comme le CNFB, surtout sous la présidence de Marthe Boël.

Ce n’est pas étonnant si l’on songe que les promotrices des nouvelles associations sont aussi membres des anciennes : Georgette Ciselet et Marcelle Renson sont affiliées au CNFB et à la FBFU, Germaine Hannevart, très active au GBPO qu’elle présidera après 1945, est présidente de la FBFU de 1932 à 1952. Cet ‘entrisme’ dans les associations féministes plus anciennes, qui ont pignon sur rue, ne s’effectue pas toujours sans tension ni réaction de la part de membres nettement plus modérées70. En revanche la rupture est nette avec les associations nées avant 1914 et dont les cadres ne se sont pas renouvelés, comme le Féminisme chrétien de Belgique ou encore la Fédération belge pour le suffrage des femmes.

L’apparition des associations féminines de masse

A la grande différence d’avant 1914, les associations féministes sont confrontées après la guerre à un phénomène totalement neuf : l’apparition et surtout l’expansion spectaculaire des associations féminines liées aux partis politiques. Le suffrage communal des femmes en 1920 pèse en effet fortement sur l’organisation féminine dans les partis politiques traditionnels. Les associations existantes sont restructurées voire remises au ‘pas’, et de nouvelles structures émergent au détriment des anciennes.

69 DE VOS, A., « Défendre le travail féminin. Le Groupement belge de la Porte Ouverte 1930-1940 », Sextant. Revue du Groupe interdisciplinaire d’études sur les femmes, n°5, 1996, p. 91-116.

70 Liste des membres du GBPO : Carhif, F. ODI, 772.

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Les associations féminines

1912

Unions professionnelles féminines chrétiennes puis Secrétariat général des œuvres sociales féminines chrétiennes (supplanté par les Ligues ouvrières féminines chrétiennes (LOFC) et Kristelijke arbeidersvrouwen (KAV)

Victoire Cappe (aile

francophone) et Maria Baers (aile néerlandophone)

1914 Fédération des femmes catholiques Mme Jules de Trooz puis Gabrielle Lutens Woeste 1920 Comité national d’action féminine du POB (CNAF) Isabelle Blume

1922 Femmes prévoyantes socialistes (FPS-SVV) Claire baril

1923 Ligue (Guilde) nationale des coopératrices belges Marie Spaak puisCatherine Ancion

1920/23 Fédération nationale des femmes libérales Jane Brigode et Marthe Boël 1937 Solidarité. Groupement féminin social libéral Gabrielle Wielemans

Femmes socialistes : dans ou hors du POB ?

Au POB, où de premières tractations apparaissent dès 1919, un Comité national d’action féminine (CNAF) voit le jour en 192071, spécifiquement chargé d’encadrer les femmes. Cet intérêt soudain est rapporté avec une ironie un peu grinçante par Claire Baril, militante socialiste et féministe de la première heure : « Je ne veux rien dire de désobligeant pour nos compagnons, mais il faut bien constater que dès que les femmes eurent obtenu un pouvoir électoral... elles devinrent pour le coup infiniment plus intéressantes… on constata de la part de nos collègues une vive recrudescence d’intérêt pour les œuvres destinées à protéger les femmes et les enfants»72.

Très vite le CNAF se fait supplanter par la section féminine de l’Union nationale des fédérations des mutualités socialistes, créée par Arthur Jauniaux en 1922 sous le nom des Femmes prévoyantes socialistes (FPS)73. Jauniaux est persuadé que les femmes ne s’intéresseront jamais à la politique, en dehors de quelques-unes: « Les femmes groupées politiquement ne seront jamais qu’une élite. La masse des femmes ne viendra à nous que si nous pouvons lui parler de tous ses intérêts propres familiaux et autres »74. Les FPS deviennent rapidement l’un des meilleurs canaux de propagande féminine lors des élections.

71 Sur l’organisation politique des femmes au sein du POB : JACQUES, C. et MARISSAL, Cl.,

« L’apprentissage de la citoyenneté au féminin. Les élections communales dans l’agglomération bruxelloise 1921-1938 », Cahiers d’histoire du temps présent, n°4, 1998, p. 89-93.

72 BARIL, Cl., « Deux grandes manifestations internationales. Le suffrage des femmes et la Société des Nations. La situation des femmes en Belgique », Revue de l’Union française pour le suffrage des femmes, 1922-1923, p. 92.

73 GUBIN, E. et VAN MOLLE, L. (dir.), Femmes et politique en Belgique, Racine, Bruxelles, 1998, p. 139-140 ; VERBIEST, J., Regards sur les Femmes prévoyantes socialistes, Bruxelles, [1986] et DE WEERDT, D. (dir.), De Dochters van Marianne. 75 jaar SVV, Amsab/Hadewijch, Anvers, 1997.

74 GOLDSTEIN, E., « Une heure avec Arthur Jauniaux », La femme prévoyante, II, 1947.

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A la même époque, la Ligue Nationale des coopératrices belges est mise sur pied75. En développant une action de type mutualiste et coopérative, le POB aménage un espace de propagande féminine qui correspond à son option familialiste. Pour les socialistes, la distribution spécifique des tâches suivant le sexe est perçue comme une garantie de mieux- être pour la famille ouvrière. A ce titre, il se prononce pour le retour ou le maintien de la femme au foyer qu’il assimile à une victoire sur le système capitaliste et sur l’exploitation des ouvrières. Ecartelées entre la lutte de classe et leurs convictions féministes, les militantes socialistes sont obligées de suivre la ligne du parti mais tentent de l’influencer de l’intérieur.

Cette situation schizophrénique éclaire les attitudes contradictoires, voire quelquefois les volte-faces, de certaines personnalités féminines socialistes, telles qu’Isabelle Blume et Claire Baril76.

Durant tout l’entre-deux guerres le POB dispose donc de trois organisations féminines : les femmes socialistes s’occupent en principe de politique, les FPS sont chargées des activités mutuellistes et les Guildes des coopératrices encadrent les ménagères. Cette organisation tricéphale ne manque pas de générer des tensions et des luttes d’influence d’autant plus que les FPS et les Guildes sont régulièrement sollicitées à prendre part aux campagnes électorales et à s’immiscer dans les questions politiques77.

La FNFL, une initiative féministe ou libérale ?

Le parti libéral adopte, quant à lui, une série de résolutions au Congrès d’octobre 1920 et appelle les femmes à former une section féminine centrale et à susciter des associations féminines dans tout le pays. Comme le POB, il suggère de déléguer à ces associations les

« questions qui concernent directement les femmes, telles que la réforme de la bienfaisance, la protection de la maternité et de l’enfance, de la santé, de la moralité publique, du travail féminin, de l’enseignement à tous les degrés »78.

En 1923 (ou 1920, selon les sources), Marthe Boël, Jane Brigode, Alice De Keyser- Buysse et Suzanne Lippens-Orban mettent sur pied la Fédération nationale des femmes libérales. Précédemment, l’Union des femmes libérales avait vu le jour dans l’arrondissement de Bruxelles (février 1921), sous l’impulsion de Jane Brigode et Marthe Boël, toutes deux auréolées de leurs actions patriotiques durant la guerre. Cette association réunit pour l’essentiel des femmes formées et éduquées dans les établissements laïques d’Isabelle Gatti de Gamond79 dont un certain nombre ont des sympathies féministes, comme Marguerite Van de Wiele, Gabrielle Rosy-Warnant, Georgette Ciselet, Marguerite

75 KOG, C., « Vrouw en coöperatie tijdens het interbellum. De evolutie van de Ligue nationale des coopératrices tussen 1923 en 1940 », BTNG, XXII (1991), 1-2, p. 187-228.

76 JACQUES, C. et MARISSAL, Cl., « L’apprentissage de la citoyenneté au féminin… », p. 89-93.

Claire Monot, ép.Baril (1890-1973), militante socialiste, membre du comité d’action féminine depuis 1926, elle est échevin des affaires sociales de 1935 à 1944 dans la commune d’Ixelles. Proche de Henri De Man, elle démissionne du POB le 4 octobre 1944 : Dictionnaire des femmes, ..., p. 409-410.

77 Sur la Ligue nationale des coopératrices : KOG, C., op. cit. et sur la manière dont la LNC s’insère dans le mouvement coopératif socialiste : LEGROS, H., « Les structures de la coopération socialiste 1900-1940», RBHC, XXII, 1991, 1-2, p. 73-127 ; Femmes et politique.., p. 143-144.

78 Conseil national du parti libéral. Résolutions votées par le Congrès libéral des 16, 17, 18 octobre 1920, Bruxelles, 1920, p. 13-14 : AVB, F. Fauconnier, carton 1.

79 GUBIN, E. et PIETTE, V., Isabelle Gatti de Gamond. La passion d’enseigner, Bruxelles, GIEF- ULB, 2004.

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Jadot80,…etc. Mais les relations ne sont guère faciles entre les sections féminines et les dirigeants du parti, qui demeurent hostiles à tout élargissement du suffrage féminin81.

La FNFL possède un Secrétariat des Œuvres sociales libérales qui se transforme en une association indépendante le 16 novembre 1937 sous le nom de Solidarité. Groupement social féminin libéral82. Georgette Ciselet en rédige les statuts. Le but général de l’association est de « créer et de soutenir des oeuvres de l’enfance, de la jeunesse, d’intervenir partout où des calamités, des catastrophes se produisent »83. A l’inverse du parti socialiste et catholique, les dirigeants libéraux n’y verront qu’occasionnellement un moyen de propagande électorale. Il n’existe donc pas dans le monde libéral d’organisation de masse féminine, au même titre que celles existant dans les familles catholique et socialiste. Cela tient aux structures mêmes des partis, le parti libéral restant un parti d’individualités alors que les deux autres se constituent en partis de masse. Sur le plan politique, les libéraux sont dans une position assez délicate à l’égard des femmes. Longtemps hostiles à l’octroi de la citoyenneté féminine, à quelques rares exceptions près, les libéraux estiment qu’il faut dans un premier temps « commencer par assurer » à la femme « son émancipation civile et l’associer de plus près aux préoccupations de la vie publique et administrative, avant de lui abandonner, de fait la direction dans un pays comme la Belgique, où la population féminine est en majorité »84. Dans les rangs catholiques

Les remous sociaux qui agitent l’Europe après la première guerre, la ‘démoralisation’

supposée des esprits et la désorganisation des familles au sortir du conflit mais aussi le suffrage masculin pur et simple (1919) qui ravit définitivement aux catholiques l’hégémonie politique détenue depuis 1884, donnent dans les années 1920 une urgence particulière à l’encadrement massif des femmes. Afin de rallier l’électorat féminin jugé potentiellement conservateur, le parti catholique valorise le rôle de mère et d’épouse, prôné dans les messages pontificaux et entreprend de réorganiser à son profit les différentes associations féminines catholiques, dont beaucoup trouvent leur fondement dans l’action caritative et syndicale.

Le parti catholique s’est réorganisé après 1918 sur de nouvelles bases corporatives, les

« standen » (groupements d’intérêts), représentant respectivement la paysannerie (Boerenbond), les classes moyennes, le mouvement ouvrier chrétien (Ligue nationale des travailleurs chrétiens) et l’ancienne fédération politique des cercles catholiques. Chaque

« stand » est à son tour quadrillé en fonction du sexe et de l’âge. Dans ce type

80 Marguerite Jadot, ép. Vermeire (1896-1977). Germaniste de l’ULB en 1931, professeure au lycée de Schaerbeek. Résistante armée durant la guerre de 1945, elle s’engage en politique à la fin des hostilités et collabore à la réorganisation de la FNFL. Sénatrice provinciale de 1965 à 1968. Membre active du CNFB et de la FBFU, elle préside le CECIF : Dictionnaire des femmes belges..., p. 331-332.

81 Sur l’organisation politiques des femmes au sein du parti libéral : JACQUES, C. et MARISSAL, Cl., op.cit., p. 93-98.

82 DE LOOF, L., Contribution à l’histoire des femmes en Belgique. Solidarité. Groupement social féminin libéral 1937-1969, Mém. lic. Hist., ULB, 2000.

83 DE WYNTER, Y., « Solidarité, groupement social féminin libéral, a.s.b.l. a 30 ans », Bulletin du CNFB, mars/avril 1968, p. 32-34 ; « Solidarité. Groupement social féminin libéral. 50 ans d’activités : 1937-1987 », Informations sociales de Solidarité, n°158, janv/fév/mars 1988, p. 4-9 et n° 159, avril/mai/juin, 1988, p. 3-14.

84 COENS, L., Le parti libéral et la question féminine, Bruxelles, 1924, p. 6.

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d’organisation, les associations de femmes bénéficient paradoxalement d’avantages et de désavantages. En effet, le parti catholique étant la somme d’intérêts très diversifiés, chaque

« stand » est seul habilité à défendre ses intérêts particuliers. Il est donc admis que les femmes ont des intérêts spécifiques à défendre, en tant que femmes, qui ne peuvent être défendus que par des femmes. Mais cet avantage relatif est contrebalancé par leur atomisation, puisqu’elles doivent rester strictement au sein de leur « stand » et ne peuvent conclure des accords entre elles. De plus, toutes les associations féminines sont subordonnées au pouvoir masculin et sont conseillées par un aumônier85. Ainsi les fermières sont regroupées au sein des Cercles de fermières en Wallonie et des Boerinnenbonden, en Flandre, sous la houlette du Boerenbond.86. Les ouvrières et épouses d’ouvriers sont regroupées d’abord au sein du Secrétariat général des œuvres sociales féminines chrétiennes, puis au sein des LOFC/KAV, elles-mêmes intégrées au MOC (mouvement ouvrier chrétien).

En 1919, le Secrétariat général dirigé par Victoire Cappe87 et Maria Baers sort renforcé des années de guerre grâce à son action caritative88.

Indépendamment des associations féminines intégrées dans les standen, la Fédération des femmes catholiques qui regroupe les femmes des classes sociales supérieures, ambitionne (mais en vain) de les chapeauter toutes, sous prétexte qu’elle émane de l’Action catholique censée coordonner toute l’action apostolique des laïques. Créée en janvier 1914 par le cardinal Mercier, la Fédération est présidée jusqu’en 1936 par l’épouse du ministre Jules de Trooz, puis par Gabrielle Lutens-Woeste, fille du leader de la frange conservatrice avant 1914, le comte Charles Woeste89.

Quant à la jeunesse, elle est encadrée par l’Association belge de la jeunesse catholique (ABJC) dont la branche la plus importante est celle des jocistes90. De manière paradoxale, le Féminisme chrétien de Belgique, seule structure à vocation politique, reste totalement isolé.

Si Louise Van den Plas est saluée comme fondatrice « historique » du mouvement en faveur des femmes, elle n’a pratiquement aucune influence au sein de son parti. Proche à l’origine

85 JACQUES, C. et MARISSAL, Cl, op. cit., p. 98-104.

86 GUBIN, E., « Femmes rurales en Belgique. Aspects sociaux et discours idéologiques 19e-20e siècles », Sextant, n°5, 1996, p.81 ; pour plus d’informations se reporter à GUBIN, op. cit., p. 59-89 ; VAN DEN DUNGEN P., « Les Cercles de fermières, une solution catholique à l’exode rural », Cahiers marxistes, n°191, VIII-IX, 1993, p. 101-112 ; VAN DEN DUNGEN, P., et COHEN, Y., « A l’origine des cercles de fermières. Etudes comparée Belgique-Québec », Revue d’histoire de l’Amérique française, 1994, XLVIII, n°1, p. 29-56 ; VAN MOLLE, L., Chacun pour tous. Le Boerenbond belge 1890-1990, Kadoc-studies, IX, Louvain, Boerenbond, 1990, p. 30 et sv.

87 Victoire Cappe (1886-1927). Agée de 21 ans, elle fonde une Union professionnelle pour travailleuses de l’Aiguille à Liège. Elle initie le mouvement des femmes ouvrières chrétiennes.

Amenée à collaborer avec Maria Baers, elle s’oppose à celle-ci sur le retour des travailleuses au foyer.

Mais dépassée, elle sombre dans une dépression chronique et fait preuve d’une soumission complète aux autorités religieuses : KEYMOLEN, D., Victoire Cappe (1886-1927). Une vie chrétienne, sociale, féministe, (KADOC-Studies, 28), Leuven, 2001 et Dictionnaire des femmes belges…, p. 89-92.

88 OSAER, A., DE DECKER, A., ISTA, N. et KEYMOLEN, D., « Le mouvement ouvrier chrétien féminin », Histoire du mouvement ouvrier chrétien en Belgique, (dir.) GERARD, E. et WYNANTS, P., Kadoc-studies 16, t. 2, Leuven, 1994, p. 339-368.

89 Sur Gabrielle Lutens-Woeste : JACQUES, C. et MARISSAL, Cl., «Gabrielle Lutens- Woeste », Dix femmes en politique,.., p. 127-136 ; ROSART, Fr., « La Fédération des femmes catholiques (1914- 1960) », Encyclopédie d’histoire des femmes, (Racine), à paraître.

90 Pour plus de détails : JACQUES, C. et MARISSAL, Cl., « L’apprentissage de la citoyenneté… », p. 93-104.

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