(Echinoderme) des côtes malgaches
par G u s t a v e C H E R B O N N I E R *
Résumé. — De nouvelles récoltes en plongée ont permis de capturer des exemplaires en bon état d'une Ophiure fouisseuse. L'appartenance au genre Amphioplus est confirmée et une nou- velle espèce est créée : A. polymorphus. La variabilité du bouclier buccal est décrite.
Abstract. — Several well preserved specimens of a boring Ophiurid have been captured by diving. It is confirmed they belong to the genus Amphioplus, and a new species, A. poly- morphus, is created. Mouth's shield variability is described.
A u cours de l'année 1969, p e n d a n t un séjour à Madagascar, le Dr F R I C K E , de l'Insti- tut M a x - P l a n c k , a c c o m p a g n é du Dr P L A N T E , du centre O R S T O M de N o s y - B é , récolta en p l o n g é e , à l'île N o s y - I r a n j a , située à 3 5 miles au sud-ouest de N o s y - B é , un certain n o m b r e d'exemplaires d'une espèce d ' O p h i u r e fouisseuse qu'il m e d e m a n d a de bien v o u - loir déterminer. Malheureusement, les n o m b r e u x exemplaires que l ' o n m e fit parvenir étaient en m a u v a i s état : bras séparés du disque, i n d i v i d u s entiers mais à face dorsale du disque arrachée et gisant, t o u t e r a c c o r n i e , au fond du récipient. L ' e x a m e n des pièces b u c - cales m e p e r m i t c e p e n d a n t de classer a p p r o x i m a t i v e m e n t cette espèce dans le genre Amphio- plus, au sens large. C'est sous ce seul n o m générique que le Dr F R I C K E publia, en 1970, une n o t e sur le c o m p o r t e m e n t assez singulier de cette Ophiure. Depuis, le Dr P L A N T E m ' e n fit parvenir un n o u v e a u lot, récolté au m ê m e endroit, d o n t d e u x exemplaires à p e u près intacts et bien étalés. Grâce à e u x , j ' a i p u avoir c o n f i r m a t i o n q u ' i l s'agissait bien d'un Amphioplus, mais assez aberrant, auquel j e d o n n e le n o m spécifique de A. polymorphus, p o u r souligner la variabilité de certains caractères.
Amphioplus polymorphus n. sp.
(Fig. 1 A - M )
T o u s les exemplaires o n t été capturés en p l o n g é e , à la benne o u à la « suceuse h y d r a u - lique », ces d e u x derniers p r o c é d é s e x p l i q u a n t le m a u v a i s état de la plupart des échantil- lons, les seuls dans un état à p e u près satisfaisant étant c e u x récoltés à la main.
* Muséum national d'Histoire naturelle, Laboratoire de Biologie des Invertébrés marins et Malacologie, 55, rue de Bufjon, 75005 Paris.
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L ' h o l o t y p e a un disque grisâtre d ' e n v i r o n 7 m m de diamètre, p o u r v u de bras attei- gnant 40 à 50 c m de l o n g . Sur le v i v a n t , les bras sortant du sédiment sont annelés de b l a n c , de rouge clair à brun ; ces d e u x dernières teintes sont plus foncées sur les portions de bras enfouies dans le sable corallien.
La face dorsale du disque (fig. 1 A ) est partiellement nue ; on y remarque cinq paires de longs et étroits boucliers radiaires, jointifs par leurs extrémités p r o x i m a l e et distale, mais séparés par un é v i d e m e n t médian ; chaque bouclier est réuni, en son milieu, au bouclier de l'autre paire, par un rang c o n t o u r n é de plaques de taille décroissante depuis le bouclier j u s q u ' a u milieu de l'interradius. La partie p r o x i m a l e des boucliers est entourée d'une touffe de petites plaques épaisses et imbriquées ; le reste du disque est t o t a l e m e n t d é p o u r v u de plaques.
La face ventrale du disque est c o u v e r t e de plaques minuscules si peu calcifiées qu'elles se présentent p l u t ô t c o m m e des amas de grains calcaires à c o n t o u r s imprécis.
La première p l a q u e brachiale dorsale et les trois à cinq suivantes sont ovalaires allon- gées (fig. 1 A ) ; ensuite, elles sont cordiformes p o u r prendre p r o g r e s s i v e m e nt une forme hexagonale (fig. 1 G ) .
Les plaques brachiales latérales, très étroites, sont armées de quatre piquants épais, de taille croissante depuis le premier dorsal j u s q u ' a u quatrième ventral ; le premier p i q u a n t dorsal est ventru, terminé par de fines pointes ; le p i q u a n t suivant est plus m i n c e , à b o r d s parallèles ; le troisième p i q u a n t , v u latéralement, paraît p o i n t u mais est, en réalité, en forme de « tête d'oiseau » ; le quatrième, le plus ventral, se termine par d e u x assez fortes pointes latérales (fig. 1 M, et de gauche à droite et de bas en haut, fig. 1 K, 1 L ) . Vus à un fort grossissement, ces piquants apparaissent couverts de fines aspérités et parcourus par une étroite rainure entièrement lisse, le p i q u a n t ventral a y a n t , en plus, une nette crête barbelée sur l'un des côtés. Ces piquants restent identiques en n o m b r e et dans leur forme jusque près de l'extrémité des bras o ù , réduits au n o m b r e de trois, ils deviennent très fins et de taille à peu près égale.
Les plaques brachiales ventrales sont o c t o g o n a l e s , plus longues que larges au d é b u t des bras puis, progressivement, aussi larges que longues (fig. 1 H , I ) . Les pores tentaculaires sont très grands ; la première paire porte d e u x écailles arrondies, l'interne plus grande que l'externe, les suivantes, une seule écaille rectangulaire ; celle-ci s'amenuise p o u r devenir très petite et circulaire au b o u t des bras (fig. 1 H ) .
Les boucliers b u c c a u x , un peu plus larges que hauts, ont une partie antérieure recti- ligne, un b o r d postérieur c o n v e x e . Les plaques adorales, larges et courtes, ne se rejoignent pas p r o x i m a l e m e n t . Les plaques orales, longues et étroites, sont séparées par une m e m - brane n o n calcifiée. La première papille b u c c a l e , placée au s o m m e t de c h a q u e plaque orale, est allongée et épaisse ; la d e u x i è m e est de taille m o y e n n e , à s o m m e t élargi ; la suivante est de m ê m e forme mais plus d é v e l o p p é e ; la quatrième, située sur la plaque adorale, est petite et arrondie ; sur un plan supérieur, il existe une papille triangulaire et p o i n t u e entre la première et la s e c o n d e papille orale (fig. 1 H ) .
A peu près la moitié de la trentaine de p a r a t y p e s p o s s è d e n t des pièces buccales ainsi constituées et réparties. Les autres o n t ces pièces tellement modifiées qu'il m e semble utile de les décrire. Le bouclier b u c c a l prend parfois un grand d é v e l o p p e m e n t (fig. 1 C), sa partie p r o x i m a l e devient c o n v e x e (fig. 1 B , E ) , son b o r d distal n e t t e m e n t l o b é (fig. 1 D ) . La première papille orale d'une des moitiés de la m â c h o i r e est remplacée par d e u x petites
K , L : och. 2 ; autres figures : éch. 1.
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papilles de taille inégale ; elles sont suivies de trois papilles, alors que l'autre moitié de cette m ê m e mâchoire ne porte, en plus de la première papille orale, q u ' u n e seule papille très large, à b o r d libre ondulé, résultat de la fusion de d e u x o u trois papilles (fig. 1 C ) . Sur certains exemplaires, la troisième papille est à s o m m e t b i l o b é (fig. 1 D ) . Trois échantillons o n t une mâchoire c o m m e figurée en E. Sur un m ô m e i n d i v i d u , chacune des c i n q mâchoires peut prendre l'aspect t y p i q u e (fig. 1 H) o u l'un de c e u x signalés plus haut.
D e u x des faces dorsales détachées du disque sont, dans leur région centrale, entière- m e n t recouvertes de plaques assez épaisses, alors qu'elles sont très petites et peu calcifiées dans l'aire délimitée par le c o r d o n des grosses plaques j o i g n a n t les boucliers o p p o s é s et le b o r d du disque (fig. 1 J ) . T o u s les intermédiaires existent entre des faces dorsales entière- m e n t écailleuses et celle partiellement nue de l ' h o l o t y p e .
Sur le m ê m e exemplaire on t r o u v e s o u v e n t une paire de boucliers radiaires identiques à c e u x de l ' h o l o t y p e , les boucliers des autres paires étant soit largement séparés depuis le tiers distal j u s q u ' a u s o m m e t , soit accolés sur t o u t e leur longueur.
Les faces ventrales sont, soit absolument nues, soit partiellement o u t o t a l e m e n t c o u - vertes de grains calcaires assemblés en plaques minuscules à contours peu nets.
S o u v e n t , sur un, parfois d e u x bras d'un m ê m e i n d i v i d u , les cinq à d i x articles p r o x i - m a u x ont une partie des pores tentaculaires a v e c d e u x écailles de c h a q u e c ô t é , ou d e u x écailles et une écaille, ou une écaille et pas d'écaillé (fig. 1 F ) .
Cette nouvelle espèce a été récoltée p r i m i t i v e m e n t à Nosy-Iranja, par — 12 à — 20 m , dans le sable corallien où, d'après le Dr F R I C K E , on en d é n o m b r e j u s q u ' à 130 au m2 ; puis à l'îlot de T a n y K e l y , p r o c h e de N o s y - B é , vers — 1 5 m , dans le sable corallien à A m p h i - podes (10 au m2) ; par la suite, elle fut retrouvée sur le b a n c de Pracel, au nord de Main- tinaro, par — 42 m (10 au m2) et à 40 miles à l'ouest de l'archipel des Mitsio, par — 40 m , sur un fond de sable propre (4 à 5 au m2) . D'après le Dr F R I C K E , elle v i t enfoncée j u s q u ' à 20-30 c m dans un système de galeries creusées dans le sédiment ; les sept à huit derniers centimètres de d e u x des bras sortent par une cheminée tubulaire, et b a l a y e n t l'eau et la surface du milieu a m b i a n t a v e c leurs p o d i a largement étendus ; les particules alimentaires ainsi capturées sont agglomérées en un b o u d i n sableux, b o l alimentaire qui doit vraisem- b l a b l e m e n t être dirigé vers la b o u c h e de l'animal par la cheminée tubulaire. P o u r plus de détails sur le c o m p o r t e m e n t de cette Ophiure, je renvoie au beau travail du Dr F R I C K E . C'est après bien des hésitations que j ' a i rangé finalement A. polymorphus dans le genre Amphioplus. En effet, cette Ophiure présente d'assez étroites affinités, n o t a m m e n t par l ' o r n e m e n t a t i o n de la face dorsale d u disque, a v e c Ophionephthys africana Balinsby, de l'île Inhaca, 0. octacanlha (= O. decacaniha) H . L. Clark, d'Australie, O. heptacantha Mor- tensen, du golfe Persique, et aussi a v e c Amphioplus coniortodes H . L. Clark, des côtes de
Floride.
D'après F E L L , les espèces du genre Ophionephthys L û t k e n sont caractérisées par quatre à cinq papilles orales subégales disposées le long du b o r d externe de la m â c h o i r e , la papille la plus distale placée sur o u près d u b o r d interne de la plaque adorale, la fente orale n o n close q u a n d les mâchoires sont fermées ; disque sans épines, nu dessus et dessous, à part les boucliers radiaires et une aire étroite d'écaillés les b o r d a n t ; une o u d e u x écailles ten- taculaires. Mais c o m m e les trois espèces citées plus haut o n t les d e u x premières papilles
orales séparées par une brèche laissant a p e r c e v o i r une papille interne, qu'elles o n t des b o u - cliers radiaires allongés, parallèles, contigus, et qu'elles sont dénuées d'écaillés tentaculaires, il les inclut dans le genre Ophiopeltis D ù b e n et K o r e n . Quant à Amphioplus coniortodes, il le place dans son n o u v e a u genre Ailsaria, considéré p a r A . M . C L A R K c o m m e s y n o n y m e de Amphioplus, car ne différant de celui-ci que p a r la face ventrale d u disque partiellement ou t o t a l e m e n t nue alors qu'elle est t o t a l e m e n t écailleuse chez Amphioplus.
Si l ' o n se reporte à la description de A. polymorphus, on s'aperçoit q u e cette espèce ne peut être rangée ni dans Ophionephthys, ni dans Ophiopeltis, alors qu'elle pourrait l'être dans Amphioplus, à c o n d i t i o n que Ailsaria en soit s y n o n y m e .
E n 1970, A . M . C L A R K fait paraître une note i m p o r t a n t e sur la famille A m p h i u r i d a e . Elle reprend, en la modifiant, l'ancienne classification de MATSUMTJTO, et en établit une nouvelle fondée essentiellement sur la forme et la répartition des papilles orales. S o n sys- t è m e , intéressant bien q u e très c o m p l i q u é , est sans doute valable p o u r des Ophiures en parfait état et d o n t les mâchoires sont identiques chez tous les individus ; mais p o u r celles, très nombreuses, qui ne présentent pas de tels caractères, le système élaboré par A . M . C L A R K devient difficilement applicable. D'après cet auteur, Ophiopeltis devient un sous-genre d'Amphiura, Ailsaria un s y n o n y m e d'Amphioplus ; Ophionephthys ne renferme plus q u e d e u x espèces, les autres étant placées dans Fellaria, sous-genre n o u v e a u d'Amphiura, caractérisé p a r des écailles du disque limitées à une petite aire latérale et p r o x i m a l e de chaque paire de boucliers radiaires, des épines brachiales au n o m b r e de sept à d i x , des pores tentaculaires d é p o u r v u s d'écaillés. E n c o n s é q u e n c e , A. polymorphus ne peut être rangé dans Fellaria. Heureusement, A . M . C L A R K garde coniortodes dans le genre Amphio- plus, et j e pense qu'elle a raison. Or, la formule dentaire de A. coniortodes est très p r o c h e de celle de A. polymorphus : sa face dorsale est également p o u r v u e d'une rangée transver- sale de larges écailles reliant entre e u x les boucliers radiaires, et ses pores tentaculaires o n t d e u x écailles, tout au moins au d é b u t des bras. C ' e s t p o u r q u o i j e range A. polymorphus parmi les Amphioplus, mais j e le considère c o m m e un intermédiaire reliant les Amphio- plus a v e c les espèces du sous-genre Fellaria o u du genre Ophinephthys, selon que l ' o n a d o p t e la classification de A . M . C L A R K o u celle de F E L L .
R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S
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Manuscrit déposé le le T avril 1971.
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Achevé d'imprimer le 15 octobre 1972.