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Place du bestiaire dans le corpus de graffitis gravés aux murs des églises du Bassin parisien aux XVI

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Texte intégral

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du Bassin parisien aux XVI

e

-XVIII

e

siècles

Christian MONTENAT Marie-Laure GUIHO-MONTENAT

IGAL – Institut Polytechnique Saint-Louis 13 bd de l’Hautil, F-95092 Cergy-Pontoise cedex (France) christian.montenat@nordnet.fr

Montenat C. & Guiho-Montenat M.-L. 2006. — Place du bestiaire dans le corpus de graffi- tis gravés aux murs des églises du Bassin parisien aux XVIe-XVIIIe siècles.

Anthropozoologica 41 (2) : 171-187.

RÉSUMÉ

Le riche corpus de graffitis gravés aux murs des églises, dans de nombreuses régions du Bassin parisien accorde une place modeste au bestiaire. Trois figurations sont présentées : le coq, le cheval et le cerf, qui possèdent des caractéristiques très différentes quant à la constitution de leur valeur symbo- lique. Croyances populaires et iconographie religieuse sont sollicitées pour tenter de comprendre le sens à donner à ces figures animales.

ABSTRACT

The role of animals in the corpus of engraved graffiti on church walls in the Paris Basin (16th-18thcent.)

Animals are only modestly represented in the rich corpus of graffiti engraved on church walls in numerous areas of the Parisian basin. Three animal repre- sentations are presented here: the cock, the horse and the deer, which are very different in their symbolic value. Popular beliefs and religious iconography are called upon in the attempt to understand the meaning of these animal figures.

INTRODUCTION

Les églises anciennes du grand Bassin parisien, bâties en pierres tendres (craie et calcaires divers) portent souvent de nombreux graffitis anciens, gravés sur leurs murs extérieurs. Pour l’essentiel, les gravures ont été exécutées aux XVIIe-XVIIIesiècles. Plusieurs études leur ont déjà été consacrées (par exemple : Cahinght 1961 ; Jorn & Glob 1964 ; Cinquabre 1980 ; Ramond 1980 ; Lefebvre 1981, 1982 ;

MOTS CLÉS Bestiaire, graffiti, Bassin de Paris, cheval,coq, fer à cheval, cervidé, piété populaire, Contre-Réforme

KEY WORDS Animal figures, graffiti, Paris basin, cock, horse, horseshoe, deer, popular devotion, Counter-Reformation

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Bonnet 1982 ; Bucherie 1982 ; Auffret & Auffret 2001 ; Leblond 2001 ; Wurmlinger 2004, Bucherie & Van Belle 2006, etc.). Souvent, c’est la catégorie très riche et abondamment documen- tée des graffitis de bateaux qui a été privilégiée, même si les autres figures n’ont pas été oubliées.

Un inventaire récemment publié (Montenat &

Guiho-Montenat 2003) concerne surtout les régions de Picardie, Normandie et Île-de-France.

Il vise à donner une description systématique du corpus des graffitis d’églises et à replacer celui-ci dans son contexte historique, religieux, écono- mique et social. L’inventaire s’est ensuite étendu à d’autres régions : Touraine, Puisaye et nord de la Bourgogne, Berry, Champagne et Barrois (Fig. 1).

L’information porte sur environ un millier d’églises à laquelle s’ajoutent les données bibliographiques.

On dispose donc d’une vue d’ensemble assez large permettant de dégager un certain nombre de carac- tères spécifiques, du point de vue iconographique autant que chronologique. Nous nous proposons d’explorer ici le domaine du bestiaire.

LE CORPUS DES GRAFFITIS COMPOSITION

Les gravures sont très variées : une vingtaine de thèmes majeurs regroupent une soixantaine de types iconographiques (Fig. 2). L’ensemble est

d’une grande homogénéité : les figures se retrou- vent à l’identique dans des régions différentes, à des centaines de kilomètres de distance. On note cependant des particularismes régionaux. Les graffitis sont surtout abondants sur les murs sud et au chevet des églises de paroisses rurales qui furent, et qui restent souvent, entourées de leur cimetière. Les édifices bâtis ou reconstruits à la Renaissance sont souvent les mieux fournis.

Les gravures, généralement exécutées avec soin, ne sont presque jamais à caractère anecdotique ou narratif. De ce fait, les compositions (associations de dessins formant une scène) sont rares. Il s’agit, pour une grande part, de signes religieux (divers types de croix, calvaires, monogrammes, etc.) accompagnés de nombreux groupements de petites cupules ou « perles », quelquefois dispo- sées de manière explicite, c’est-à-dire en chapelet, et interprétées comme les marques de prières dites sur place (Montenat & Guiho-Montenat 2003). Sans détailler davantage l’inventaire (voir Fig. 2), on notera cependant la diversité des figu- rations, constructions, objets manufacturés (outils et instruments divers, souliers, etc.) dont le caractère symbolique ne fait guère de doute, à défaut d’être, dans tous les cas, intelligible aujourd’hui. Le bestiaire qui nous intéresse plus particulièrement ici, occupe en fait une place modeste dans le corpus en question.

DATATION.

Les gravures se placent dans un intervalle de temps qui s’étend du XVIe au début du XIXe siècle, avec une fréquence maximale aux XVIIeet XVIIesiècles. Ces datations procèdent de plusieurs voies :

— La plupart des types iconographiques com- portent des représentations dont l’association avec une date ne fait guère de doute (Figs 4 ; 5 ; 14, par exemple).

— Le relevé systématique, site après site, des centaines de dates gravées permet de construire une sorte d’histogramme qui, région par région, ou globalement, présente la même configuration (Fig. 3). Ces dates se rapportent à toutes sortes d’événements non précisés, des décès sans doute pour partie. L’histogramme montre que l’utilisa-

FIG. 1. — Situation des régions étudiées dans le Bassin parisien.

Infographie Montenat C. & Guiho-Montenat M.-L.

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FIG. 2. — Principales catégories de graffitis, incluant le bestiaire (d’après Montenat & Guiho-Montenat 2003).

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tion des murs d’églises à des fins lapidaires était rare jusqu’à la fin du XVIesiècle, croissante tout au long du XVIIe, atteignant sa plus grande fré- quence au XVIIIeet disparaissant rapidement au début du XIXesiècle. Les graffitis millésimés sui- vent évidemment la même évolution.

– L’observation classique de recoupements des traits de dessins et de dates fournit aussi des élé- ments de chronologie.

– Enfin le graphisme ancien (dessin, lettres, dates) présente des caractéristiques, une patine (calcin) et des formes d’érosion qui les distin- guent clairement des tracés récents.

Les auteurs de monographies régionales, Cahingt (1961), Lefebvre (1980) dans l’Orne, Bonnet (1982) en Argonne placent ces mêmes gravures dans le même intervalle de temps.

INTERPRÉTATION

Ce foisonnement de signes n’a pas d’équivalent semble-t-il, dans les siècles antérieurs, et pas davantage ultérieurement, bien sûr. Les XVIeet XVIIesiècles correspondent à une période de grande intensité lapidaire que les graffitis soient muraux, rupestres ou pariétaux. Le XVIIesiècle fut sans doute la « grande époque » des graffitis, en contexte religieux ou profane (Bucherie 1982).

Sur les édifices religieux étudiés, de nombreux exemples montrent un même type iconogra- phique (soulier, fer à cheval, outil, clé, moulin à vent, etc.) gravé au même endroit, un grand nombre de fois, pendant une longue période (gra- dient de patine et de corrosion des incisions). Le corpus a « fonctionné » de manière continue et homogène, dans l’espace et dans le temps, pen- dant environ deux siècles.

L’intervalle de temps considéré se place dans la période de « relance » des pratiques religieuses qui fit suite au Concile de Trente. La Contre- Réforme a mis fortement l’accent sur la quête du Salut, la relation aux « âmes du Purgatoire » et les cultes des Saints. La piété populaire s’est appro- prié ces pratiques et les graffitis en sont un des modes d’expression. Les murs de l’église, au

FIG. 3. — Histogramme des dates relevées sur les murs des églises portant des graffitis.

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contact du cimetière, sont le lieu privilégié de leur manifestation. On y trouve des éléments de l’iconographie religieuse de l’époque (croix, cal- vaires, objets cultuels, voire tableaux), des signes symboliques se rapportant aux cultes des défunts, des saints guérisseurs et protecteurs, ou encore des saints patrons de confréries ou de corpora- tions. Ainsi se trouvent mêlées diverses marques de croyances, de superstition, ou relevant même de la pensée magique (Montenat & Guiho- Montenat 2003). On ne peut manquer d’être surpris par le caractère « intemporel » de certaines figures (les tracés de mains ou de pas gravés, par exemple) qui renvoient à une lointaine antiquité et même à la préhistoire des signes symboliques.

TROIS REPRÉSENTANTS DU BESTIAIRE Le bestiaire prend place modestement, on l’a dit, dans ce contexte général. Les poissons sont raris- simes (à peine une demi-douzaine parmi des mil- liers de signes) bien que les représentations de bateaux (marine ou batellerie) soient localement abondantes. Il n’y a pas de serpents identifiables et les oiseaux (hormis le coq) sont rares, formant un groupe hétérogène sans identité marquée. Les animaux de la ferme, volaille ou bétail, et les ani- maux domestiques sont pratiquement absents.

Le cheval est représenté, sporadiquement, dans des styles très divers. En revanche, son attribut le plus évident, le fer à cheval, occupe une place importante dans le corpus. Restent finalement les cervidés, très abondants dans certains sites de Normandie. Chacun de ces exemples, coq, che- val, cerf, fournit une illustration particulière de la manière dont s’est constituée une représentation symbolique.

LE COQ

Ses représentations sont fréquentes et ubiquistes (Figs 4 ; 5). Certains sites montrent une relation explicite avec le coq du clocher. Dans quelques cas, le coq de métal a d’ailleurs été plaqué contre le mur et gravé par détourage avant sa mise en place ; une telle figuration est datée de 1636 à Tilleul-Dame-Agnès, (Eure ; Figs 4E & 5A-B).

D’autres graffitis exécutés à main levée gardent l’allure générale du coq de clocher (Fig. 4E-F).

Les gravures d’édifices religieux, d’ailleurs assez courantes, églises voire cathédrales (Paillart, Oise), sont toujours surmontées d’un coq aux lignes très schématisées. Quelquefois, le dessin sommaire d’un clocher semble n’être qu’un pré- texte pour figurer le coq et souvent les cloches. Là où les représentations sont nombreuses (plusieurs dizaines sur l’église de Paillart, Oise), il est inté- ressant de suivre l’évolution de cette schématisa- tion qui aboutit à une simple ligne ondulée (Fig. 4B).

Il existe une seconde catégorie, la plus courante, qui, à l’inverse, accentue les attributs les plus saillants de l’animal : panache de la queue, ergots, crête sur la tête (Figs 4D, G-J ; 5D).

Quelles significations donner à ces représenta- tions ? Que dit le coq du clocher ? Depuis l’Antiquité, avec Apollon, le coq est associé au jour qui naît. Son chant, au point du jour, dissipe les ténèbres et les maléfices de la nuit. Il annonce le retour de la lumière et, au-delà, la venue du Christ et la Résurrection (Mozzani 1995). C’est le Moyen Âge qui l’a placé sur les clochers des pays de l’ancienne Gaule, comme symbole de vigilance, de hardiesse et de constance. Pourtant, il n’apparaît guère dans les Écritures, hormis l’épisode du reniement de saint Pierre, mais la tradition lui accorde une meilleure place (nom- breuses représentations sur les sarcophages des premiers siècles de la chrétienté ; par exemple, ceux dits de Saint-Maximin et de Saint-Sidoine ; IVeet VIesiècles, dans la basilique de Saint- Maximin-la-Sainte-Baume, Var ; Fixot 2001).

Les graffitis figurant des édifices religieux mon- trent l’association quasi systématique du coq et des cloches (Fig. 4B-C). Leur mise en valeur intentionnelle pourrait être comprise comme un recours aux fonctions protectrices et d’appel qu’exercent le coq et les cloches, chacun dans son domaine.

Et quand le coq quitte le clocher ? Les figurations lui donnent alors une allure plus avantageuse : ergots puissants, panache flamboyant, souvent démesuré, crête provocante (cf. Fig. 4D). On se souvient alors d’anciennes croyances, bien vivaces

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FIG. 4. — Quelques exemples de figurations de coq. A. Andainville (Somme) ; B. Paillart (Oise) ; C. Saint-André-Farivillers (Oise) ; D. Louversey (Eure) ; E. Tilleul-Dame-Agnès (Eure) ; F. Hadancourt-le-Haut-Clocher (Oise) ; G. Friaucourt (Somme) ; H. La Bonneville-sur-Iton (Eure) ; J. Montreuil-sur-Epte (Val-d’Oise). D’après Montenat C. & Guiho-Montenat M.-L (2006).

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au temps des graffitis que nous étudions. La crête de coq protégeait des cauchemars ; manger ses testicules avait une action érotique et donnait aux femmes des garçons ; sa présence facilitait les accouchements. « …son agressivité […] à défendre son territoire et sa disposition perma- nente à l’accouplement, en font une figure sym- bolique nettement masculine » (Cazenave 2004).

On parlait aussi à l’époque, avec un brin d’envie, du « coq de la paroisse » ou, jusqu’il y a peu, du

« coq du village », désignant un homme impor- tant, entreprenant et séducteur : une sorte de clo- cher, de point de mire, pour ses pairs. Le coq

perché sur ses ergots fait-il mémoire de tels per- sonnages ? Il n’est pas rare qu’un nom ou un pré- nom figure à proximité des gravures. À l’église de Romaines (commune de Ramerupt, Aube), nom et prénom gravés surmontent un coq ; l’ensemble est inclus dans un cartouche, comme une sorte d’épitaphe. Plus étonnante est une gravure au chevet de l’église de Marson (Marne) montrant un coq ultérieurement « décapité » par deux coups obliques portés avec un objet coupant (Fig. 5E). Les deux estafilades sont anciennes d’après la patine qu’elles portent et sont inten- tionnelles (absence d’éraflures analogues au

FIG. 5. — A, B. Exemples de graffitis exécutés en détourant de véritables coqs de clocher (Tilleul-Dame-Agnès, Eure) ; C, D. Gravures de Louversey (Eure) et de Saint-Lumier-en-Champagne (Marne) montrant bien les apanages du coq (panache, crête, ergots) ; E. Le coq décapité de Marson (Marne) ; noter le prolongement des coups obliques vers le bas par des traces dues à un objet coupant. Clichés Montenat C. & Guiho-Montenat M.-L.

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voisinage). Ces deux derniers graffitis, le car- touche et « l’agression », laisseraient penser que la figure du coq pourrait être reliée à une personne dont le souvenir est évoqué avec plus ou moins d’aménité.

On rencontre dans l’art mobilier des campagnes (panneaux sculptés d’armoires, de buffets, etc.), aux XVIIe-XIXesiècles, un certain nombre des thèmes iconographiques communs aux graffitis.

Les animaux y sont peu représentés ; le coq et le cerf comptent parmi les plus courants. Un exemple intéressant de cet art populaire, souvent

« naïf », est donné par les gaufriers gravés qui montrent, à l’occasion, le coq au milieu de diffé- rents symboles (calvaires, ostensoirs, échelles, cœurs, étoiles, etc.), les mêmes qui sont invento- riés dans le corpus (Fig. 2) (Montenat & Guiho- Montenat 2003). Ces gaufriers étaient souvent offerts lors des noces…

Coq protecteur, annonciateur de la lumière du Christ ou coq phallocrate ? Rien de définitif, en fin de compte. Sans doute peut-on faire, ici, la constatation déjà faite à propos d’autres signes : les symboles sont souvent « à double fond », à double sens et même à sens multiples, religieux et profanes. Ces différents sens ne s’excluent pas ; ils peuvent même se conforter ou se promouvoir mutuellement.

LE CHEVAL ET LE FER À CHEVAL

Les figurations de chevaux ne sont pas rares, sous des formes et dans des styles variés (Figs 6-8).

L’animal n’est jamais attelé, assez souvent monté (près de la moitié des figures), le dessin du cava- lier étant alors, presque toujours, très approxima- tif. Les représentations réalistes, ou voulant l’être, plus ou moins maladroites, ne semblent respecter aucun « canon » particulier ; elles ont donc un intérêt limité (Fig. 7). Les gravures adoptant un parti résolument schématique sont plus intéressantes (Figs 6 ; 8) car elles témoignent d’une réelle maîtrise graphique, faisant resurgir certaines affinités avec des représentations beau- coup plus anciennes (Fig. 8). Réaliste ou schéma- tique, le dessin donne souvent une importance particulière aux sabots, voire aux fers (Wurmlinger 2001), (Fig. 8B).

Ceci nous conduit à un autre aspect de la figura- tion chevaline : le fer à cheval dont les murs d’églises montrent de nombreuses gravures (Figs 9 ; 11). Elles sont particulièrement abon- dantes en Picardie, notamment au sud d’Abbeville où certains sites en comptent plu- sieurs dizaines (Wanel, Boëncourt) (Fig. 9). Avec une moindre densité, ce signe est présent dans toutes les régions inventoriées. La gravure est exé- cutée à main levée ou, plus souvent, par détou- rage d’un véritable fer plaqué contre la pierre du mur. Les branches sont dirigées vers le haut ou vers le bas, rarement sur le côté, sans qu’on puisse attribuer à ce sens de lecture une signification particulière. Néanmoins, de vieilles superstitions veulent que la position « branches en l’air » soit la

FIG. 6. — Cheval et cavalier : petite figuration schématique sur l’église Saint-Martin de Villers-en-Arthies (Val-d’Oise). Clichés Montenat C. & Guiho-Montenat M.-L.

FIG. 7. — Exemple de représentation réaliste : le cheval de Berthecourt (Oise). Clichés Montenat C. & Guiho-Montenat M.-L.

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plus favorable pour « garder la chance ». Mais il ne s’agit pas, ici, de banal porte-bonheur. Divers accessoires accompagnent la figure : des cupules ou perles figurant les trous des étampures pour le passage des clous, des traits fermant les branches ou disposés verticalement entre celles-ci, des croix, etc. Le fer peut aussi être représenté par un simple trait ou par une succession de cupules. Le nombre des trous destinés aux clous n’est pas conforme à la réalité : souvent une dizaine, voire davantage, au lieu des cinq ou six sur les vrais fers (Fig. 9). Les cupules peuvent aussi montrer une disposition quelconque à l’intérieur des branches.

Suivant une hypothèse évoquée plus haut, ces cupules ou perles pourraient être des marques de prières (voir sur la figure 9). On observerait alors la contraction « fer à cheval + marques de prières » en un seul et même signe. La collection

Vasseur-Loiseau exposée à la Maison du Parc de Théméricourt (Parc naturel régional du Vexin français, Val-d’Oise) compte de nombreux objets représentatifs de l’art et de la piété populaires, parmi lesquels un fer à cheval à l’intérieur duquel est placée une représentation d’ostensoir décou- pée dans une plaque de métal. Cet objet proba- blement votif est très comparable à certaines gravures. Malheureusement, le fer de Théméricourt n’est pas précisément daté (XVIIIe ou XIXesiècle ?).

Faisant le pendant en quelque sorte aux gravures, quelques portails d’églises ont conservé (en tout ou partie) les fers véritables de toutes tailles, y compris des fers orthopédiques, dont ils ont été couverts. Les exemples de Brosville (Eure) (Fig. 10) ou de Chablis (Yonne) sont particulière- ment spectaculaires.

Que dire de la symbolique de cet ensemble ? On sait le rôle déterminant qu’a joué le cheval dans le développement des civilisations. Plus tard, et jus- qu’à une époque récente, le cheval a gardé une importance sociale majeure qui s’est exprimée de deux manières (hors du domaine militaire) : – le « laboureur », propriétaire de son cheval, occupe un rang social honorable, bien au-dessus du commun des « manouvriers » ;

FIG. 8. — Représentations schématiques de chevaux. A. Avesnes (Somme) ; B. Tilleul-Dame-Agnès (Eure) (noter la figuration des sabots) ; C. Huppy (Somme) ; D. Villers-en-Arthies (Val d’Oise).

D’après Montenat C. & Guiho-Montenat M.-L. (2003).

FIG. 9. — Graffitis au mur sud de l’église de Villers-Vicomte (Oise) : nombreux fers (ici avec branches dirigées vers le haut et nombre de « trous » irréaliste) et autres signes gravés : croix, calvaires avec instruments de la Passion, chapelets et cruche.

Clichés Montenat C. & Guiho-Montenat M.-L.

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– le cheval, seul moyen efficace de déplacement, offre la liberté du voyage (Figs 11 ; 12).

Curieusement, en dépit de son rôle capital dans la société, le cheval alimente assez peu le monde des mythes et des symboles, au moins depuis les débuts de l’ère chrétienne. Le bestiaire médiéval est quasiment muet à son sujet (Tesnière 2005) et ceci n’est pas sans surprendre. Les légendes le sol- licitent davantage. Il a alors le rôle maléfique du

« cheval noir », du « cheval Bayard, Gobelin ou Gauvain », ou, plus rarement celui bénéfique du

« cheval blanc » (Chesnel 1856 ; Malrieu 1987 ; Chevalier & Gheerbrant 1989 ; Oesterreicher 1992 ; Hall 1994). Il est aussi le compagnon insé- parable des fameux « saints cavaliers » (Martin, Georges, Hubert, etc.), comme une sorte de sym- bole de la propagation rapide de la foi chrétienne.

D’une manière générale, son destin paraît assez inséparable de celui de l’Homme. Les croyances relatives à la santé des chevaux et à leurs relations avec leur entourage, sont innombrables (Hall 1994 ; Mozzani 1995). Ce qui ramène d’ailleurs à cette réalité première : l’importance écono- mique et sociale du cheval.

Le fer, attribut et équipement indispensable du cheval est au centre d’un grand nombre de légendes et de superstitions, celle du « porte-bon- heur » étant la plus banale (Mozzani 1995). Pour le sujet qui nous occupe, il est important de noter que, finalement, le fer se substitue à la représenta-

tion de l’animal lui-même. C’est donc la figura- tion du fer, gravé au mur de l’église ou fer réel cloué au portail (Figs 9 ; 10), qui soutient les évo- cations du cheval et des activités qui lui sont liées : bonne santé des coursiers et des attelages, protection lors des voyages, mais aussi marque attestant l’accomplissement d’un pèlerinage, etc.

L’importance ainsi donnée au fer rejaillit sur celui qui le forge : le « febvre », le maréchal-ferrant, souvent un peu guérisseur lui aussi.

Deux saints patrons se partagent les demandes d’intercession. En premier lieu, saint Martin.

Beaucoup d’églises portant des fers, gravés, cloués, voire sculptés (Villers-en Arthies ; Val- d’Oise) sont dédiées à Saint-Martin. Celui-ci était invoqué notamment pour le bon accomplis- sement des voyages (et aussi contre le « mal caduc », l’épilepsie ; Delaunay 1930). Deux graf- fitis de fers figurent sur un mur intérieur, près de

FIG. 10. — Fers cloués sur le portail de l’église Saint-Martin de Brosville (Eure), incluant des fers orthopédiques. Clichés Montenat C. & Guiho-Montenat M.-L. (2003).

FIG. 11. — Nombreux fers gravés (avec dates des XVIIeet XVIIIesiècles) sur les murs de l’escalier de la crypte exposant les reliques de Marie-Madeleine (Basilique Sainte-Marie-Madeleine de Saint- Maximin, Var). Clichés Montenat C. & Guiho-Montenat M.-L.

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l’autel de Saint-Martin, dans l’église d’Herblay (Val-d’Oise). Sur ce sujet, l’abbé Lebeuf note dans son « Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris » (1755-1758) : « …cela suppose une dévotion particulière pour ce lieu de la part de ceux qui voyageoient à cheval, afin d’obtenir par l’intercession de S. Martin d’être préservés d’acci- dens ; ou bien cela doit être pris pour une espèce de marque de reconnoissance de la part de ces personnes au retour de leur voyage » (citation aimablement communiquée par M. G. Forget).

La basilique Sainte-Marie-Madeleine à Saint- Maximin-la-Sainte-Baume, déjà citée pour ses figurations de coqs, offre un des exemples les plus spectaculaires de graffitis de fers gravés au terme d’un voyage ou lors d’un pèlerinage. La présence des reliques de Marie-Madeleine en fait, avec la grotte homonyme située plus au nord, un lieu de pèlerinage très fréquenté. Les gravures sont abon- dantes à l’extérieur (porches latéraux de la façade ouest) et plus encore à l’intérieur (mur ouest à l’entrée de la basilique ; escalier descendant à la crypte qui abrite les reliques de Marie-Madeleine) (Fig. 11). Une croix est assez souvent tracée entre les branches dirigées vers le bas. Les dates asso- ciées sont du XVIIeet surtout du XVIIIesiècle.

Les graffitis autres que les fers sont peu nom- breux : on compte deux petites figures de chevaux

(dont une avec cavalier) parmi des centaines de signes.

Saint Éloi, patron des « febvres » est donc aussi celui du maréchal-ferrant. Le « bouquet de Saint- Éloi », une gerbe de fers à cheval plus ou moins artistement assemblés, servait d’enseigne à la forge. Sans doute par assimilation, saint Éloi devint-il aussi le protecteur des chevaux. Au XVIIesiècle et bien plus récemment encore, la Saint-Éloi était l’occasion de « fêter » les chevaux dans certaines campagnes. Nombre de formules et de traditions attestent le patronage de Saint- Éloi (Chesnel 1856).

Ainsi, sans que sa silhouette apparaisse souvent dans le bestiaire, le cheval a fourni, par l’intermé- diaire du fer souvent représenté, la marque sym- bolique de diverses manifestations à caractère votif ou propitiatoire. On peut rapprocher cette abondance du signe en fer à cheval gravé sur les murs des églises de la réappropriation aux périodes historiques des rochers portant des signes en arceau (l’idole des Néolithiques, Hameau 1989), souvent appelés « rochers de Saint-Martin », « pas de la mule » [de Saint- Martin], quand ce n’est pas aussi « pieds du Diable » (comm. pers. Ph. Hameau).

LES CERVIDÉS

Les cervidés sont les représentants les plus signifi- catifs du bestiaire. Surtout fréquents en Normandie (Eure), ils sont présents de manière ponctuelle dans toutes les régions considérées. Il s’agit dans la totalité des cas d’une figuration schématique, pouvant souvent passer pour

« naïve » ou simpliste. Le graphisme varie nota- blement d’un site à l’autre ; il est toujours homo- gène sur un même site ce qui peut indiquer qu’un modèle préexistant a été plus ou moins reproduit.

À La Haye-Aubrée (Eure), où les figurations sont les plus nombreuses (une cinquantaine), elles montrent une maîtrise et une originalité parti- culière dans la stylisation (Fig. 13A). La ramure est l’élément majeur de la représentation : les bois, souvent démesurés, sont dessinés à la manière de branchages. Les autres traits anatomiques sont

FIG. 12. — Le cheval et le cavalier : des relations fortes, parfois orageuses… Marqueteries de silex, mur sud de la nef de Saint- Grégoire-du-Vièvre (Eure). Clichés Montenat C. & Guiho- Montenat M.-L.

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variables (hauteur du cou, forme de la tête, posi- tion et longueur des membres) ; les oreilles ne se distinguent pas. Une seule petite gravure est à caractère plutôt réaliste (Normanville, Eure ; Fig. 13C). Bon nombre d’animaux, traités dans un même style, ne portent pas de ramures sur la tête mais seulement deux traits plus ou moins longs, souvent terminés par une perle qui repré- sentent non pas des cornes mais de longues oreilles de biches (Figs 13 ; 14) à moins qu’il ne s’agisse des dagues de jeunes mâles, brocards ou daguets (ce qui paraît moins probable).

Les dessins incluent quelquefois des éléments imaginaires au niveau des pattes ou de la queue souvent figurée en « battoir » à La Haye-Aubrée (Figs 13A, F ; 14F-H). À Germigny-l’Exempt (Cher), le cerf gravé sur une colonne du narthex porte, outre ses ramures, trois rameaux branchus sur le dos (Fig. 14C). À noter aussi sur l’église du

Bout-de-Haut (Eure), une curieuse trace de sabot d’ongulé (sabot fendu) profondément creusée qui reproduit l’empreinte que laisserait un cervidé (Fig. 13J).

Les cervidés apparaissent dans deux des rares compositions rencontrées parmi les graffitis. À Tilleul-Dame-Agnès (Eure) (côté gauche de la façade ouest), une composition sans doute gravée en une seule fois, montre neuf cervidés (biches et cerfs) en mouvement. Ce n’est pas une scène de chasse comme il est indiqué dans un guide touris- tique, mais bien la représentation d’une harde car cavaliers et chiens sont absents (Fig. 15). À Vallières (Aube) (également au côté gauche de la façade ouest), le cerf est cette fois bien poursuivi par deux cavaliers accompagnés de chiens de chasse, probablement des lévriers. Le cerf se retourne montrant la croix entre ses bois qui prennent l’allure de rameaux de palmes (Fig. 16).

Il s’agit à l’évidence de l’épisode célèbre de saint Hubert, ou de celui assez semblable mais moins connu, de saint Eustache. L’allure très « étudiée » de la composition, fait penser, non à une gravure spontanée, mais à un graffiti inspiré de l’icono- graphie de l’époque (tableau ?).

Le cerf a un passé très « chargé » dans le domaine des symboles, des mythes et des légendes. Des recherches récentes révèlent que, dès le Néolithique final (3000 ans av. J.-C.), les outils faits de bois de cerf sont réservés à des usages masculins (Beugnier & Maigrot 2005). On pense aussi, bien sûr, à la représentation du dieu celte aux bois de cerfs du Val Camonica, datée du 1ersiècle av. J.-C. ou bien encore au personnage, accompagné d’un cerf, donné comme le dieu gaulois Cernunnos, divinité de la prospérité, sur le fameux chaudron en argent doré de Gundestrup (même époque) (Bémont 1983) (Fig. 17). Le cerf est reconnu pour sa longévité exceptionnelle. Il est souvent lié aux cultes des

FIG. 13. — Exemples de figurations de cervidés. A. La Haye- Aubrée (Eure) ; B. Sentelie (Somme) ; C. Normanville (Eure) ; D. Sébécourt (Eure) ; E. Le Chesne (Eure) ; F. Condé-sur-Iton (Eure) ; G. Sainte-Opportune-la-Campagne (Eure) ; H. Anet (Eure-&-Loir) ; J. Le Bout-de-Haut (Eure). Clichés Montenat C. &

Guiho-Montenat M.-L.

FIG. 14. – Sélection de gravures de cervidés montrant en parti- culier différents exemples de couples, des cervidés avec croix ou pourvus d’attributs irréalistes. A, F-H, K. La Haye-Aubrée (Eure) ; B. Collandres (Eure) ; C. Germigny-l’Exempt (Cher) ; D. Blangy-sous-Poix (Somme) ; E. Romilly-la-Puthenaye (Eure) ; J. Saint-Grégoire-du-Vièvre (Eure). Clichés Montenat C. &

Guiho-Montenat M.-L.

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morts et à la résurrection. Il est un symbole de fécondité, des rythmes de croissance et des renais- sances, à l’image de ses bois qui se régénèrent, chaque année au printemps, toujours plus impo- sants en fonction de son activité sexuelle. C’est donc aussi un exemple de virilité et d’ardeur sexuelle dont le langage populaire a gardé le sou- venir… Le moment du brame du cerf, donc du rut, est un temps fort du calendrier rural, trans- formé aujourd’hui en valeur touristique : des groupes sont conviés à l’entendre sous la direc- tion de guides forestiers.

La pharmacopée ancienne et les préparations magiques (qui se rejoignent souvent) usent com- munément de la « corne » de cerf. Les évangiles des Quenouilles, recueil de superstitions datant de la fin du XVesiècle (Lacarrière 1987), se fait l’écho des valeurs bénéfiques qui s’attachent aux cervi- dés : « Lorsque les cerfs, biches et daims viennent paître près des villages et des maisons, c’est un signe d’abondance et de tout bien » (Fig. 15). Les épisodes légendaires évoqués plus haut : saint Hubert, saint Eustache ou encore saint Gilles (en relation avec une biche cette fois), d’origine

FIG. 15. — Figuration de harde de cervidés. Tilleul-Dame-Agnès (Eure). Clichés Montenat C. & Guiho- Montenat M.-L.

FIG. 16. — Vallières (Aube). Graffitis figurant l’épisode de saint Hubert. Clichés Montenat C. & Guiho-Montenat M.-L.

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ancienne sinon bien datés, sont probablement des

« récupérations » tardives et christianisées de ces valeurs symboliques. Le cerf garde une place des plus importantes dans le bestiaire médiéval (Tesnière 2005) et jusqu’à la Renaissance. Au milieu du XVIIesiècle, Browne (1646 [2004], traduction de Hoepffner) auteur du monumen- tal, Pseudodoxia epidemia ou examen de nom- breuses idées reçues et de vérités généralement admises, discute les pouvoirs fantastiques attri- bués au cerf afin de mieux les réfuter. De telles croyances étaient donc encore couramment admises à cette époque.

Quelle interprétation proposer pour ces graffitis de cervidés ? Une référence à la légende de Saint- Hubert ou de Saint-Eustache est très peu vrai- semblable. Cinq ou six animaux seulement (sur une centaine) portent une croix, plus souvent sur le dos qu’entre les bois d’ailleurs. Saint Hubert, invoqué jadis pour guérir de la rage, n’est devenu qu’assez récemment le patron des chasseurs.

Deux éléments sont davantage susceptibles d’orienter notre recherche :

– Une belle gravure de cerf à Sébécourt (Eure) est accompagnée de la date 1753, tracée à l’évi- dence d’un même trait (Fig. 18) : la représenta- tion de l’animal a donc un caractère temporel ; elle est en relation avec une cérémonie ou un évé- nement particuliers.

– D’assez nombreux exemples, dans différents sites normands, montrent les figurations dispo- sées par couples. Ceci est particulièrement signifi- catif à La Haye-Aubrée (Eure) où l’on relève cinq ou six couples cerf-biche (Fig. 14).

Ces différents éléments : événement daté, mise en scène de couples, évocation de grands principes de la vie, la fécondité, la virilité, la prospérité, la longévité ou la renaissance, peuvent assez logi- quement orienter nos hypothèses en matière de symbolisme vers la célébration des noces ou des accordailles et vers les rites propitiatoires prati- qués en de telles circonstances.

CONCLUSION

Quelques remarques préalables, d’ordre général, sont nécessaires pour mieux comprendre le sens de ces figures animales.

La pérennité de certains thèmes (mains, traces de pas, cerf, etc.) au long des siècles, voire des

FIG. 17. — Le dieu celte Cernunnos « qui a le sommet du crâne comme un cerf ». Détail du chaudron de Gundestrup (Iersiècle av. J.-C.) (©AKG).

FIG. 18. – Cerf daté de Sébécourt (Eure) (graphisme proche de celui de la figure 13D). Clichés Montenat C. & Guiho-Montenat M.-L.

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millénaires, les conditions dans lesquelles ces signes ont traversé le temps et sont arrivés jusqu’à nous, restent une énigme et demandent à être précisées. La qualité de certains graphismes montre la capacité populaire à retrouver sponta- nément la maîtrise d’une expression schématique intemporelle (Figs 4 ; 6 ; 8). Quelques traits bien observés suffisent souvent à camper l’animal, voire une attitude particulière de celui-ci. Il serait donc vain de rechercher les traces de lointaines influences stylistiques comme ce fut tenté jadis, par exemple entre les graffitis d’églises normandes et les gravures runiques (Jorn & Glob 1964). En revanche, quelques tableaux d’église ont pu servir d’aide mémoriel au tracé des figures.

Les symboles sont polysémiques et admettent plusieurs lectures qui se superposent ou s’inter- pénètrent. Il est donc difficile de mettre en évi- dence la ou les significations des signes que le graveur a voulu immortaliser sur le mur. De toute façon, les vocations des gravures exécutées sur les murs d’églises sont déjà très diverses : mémento de défunts, support matériel des prières (chape- lets), expressions à caractère votif ou propitia- toire, voire pratiques prophylactiques (prélèvements de poudre de pierre à usage

« médical »), mémorations diverses, etc. Dans le même temps, on observe des murs qui se spéciali- sent, des espaces qui sont « dédiés » à tel ou tel type de signes, gravés en ces endroits à de mul- tiples reprises, pendant un siècle ou plus.

Finalement, nous constatons avec surprise que ce corpus de signes, riche, homogène et largement répandu, encore en usage il y a deux siècles, s’est évanoui sans laisser de traces écrites. À bien des égards, son interprétation est devenue aussi pro- blématique que celle des signes datant de loin- tains millénaires. La pérennité des signes nous étonne ; tout aussi surprenante est la brusque rupture du lien culturel qui leur donnait sens.

Les trois exemples pris dans notre maigre bes- tiaire permettent d’illustrer trois situations diffé- rentes.

La symbolique du coq est, dans une large mesure, conventionnelle : elle est le fruit d’une longue tra- dition dans l’Église, confortée par le pouvoir royal (promotion du gallus gallican). La culture

populaire se l’est appropriée, probablement en la modifiant. Certains graffitis peuvent avoir une connotation religieuse évidente. D’autres sont plus équivoques, probablement plus « profanes », enracinés dans une vieille terre de superstitions.

Argumenter sur le sujet du symbole « à double fond » allongerait à l’excès cette présentation. La question est néanmoins importante. Elle est posée dans le cadre de ce corpus récent, comme sans doute à propos de périodes beaucoup plus anciennes.

Le cheval offre un bon exemple de « dérive » figu- rative. L’image de l’animal est remplacée par son attribut fonctionnel majeur, le fer, selon un parti souvent adopté en art suivant lequel la partie vaut le tout. La gravure du fer à cheval est donc utili- sée, selon une pratique courante, comme média pour les demandes d’intercession auprès des saints patrons et des saints protecteurs et guéris- seurs. C’est un cas typique de symbole à caractère votif-propitiatoire. C’est dans le même contexte que le fer est utilisé comme une sorte d’« attesta- tion » ou de mémorial d’un pèlerinage réalisé.

Le cerf appartient typiquement à cette catégorie d’« animaux bons à penser », selon la formule de Lévi-Strauss rappelée par Ph. Hameau en intro- duction au Colloque sur les Animaux peints et gra- vés. La pérennité du recours à ce type de représentation ne peut manquer d’attirer l’attention (Fig. 18). La symbolique immémoriale du cerf : virilité, fécondité, longévité, prospérité, est celle- là même à laquelle on a encore recours ici, vrai- semblablement à l’occasion des noces. C’est aussi un exemple intéressant de christianisation d’un ensemble symbolique fort, que la piété populaire s’est appropriée avec sa propre sensibilité.

Aucune de ces trois figures animales n’est vrai- ment liée aux textes bibliques. Si certaines s’intro- duisent assez tôt dans l’iconographie chrétienne, c’est très vraisemblablement par le biais des sym- boliques anciennes (coq, cerf). Il s’agit vraiment de symboles anciens, revitalisés et « retravaillés », pour éviter toute dérive de survivance païenne.

On comprend mieux ainsi que ces figures abon- dent sur les murs d’églises au moment d’un regain religieux. Du XVIeau XVIIIesiècle, les hommes ré-utilisent des symboles, animaux dans

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le cas présent (mais il en existe d’autres catégo- ries), dont les sens sont pluriels et qui n’ont peut- être que l’apparence de témoignages de la foi chrétienne.

Remerciements

Les auteurs sont très reconnaissants à Philippe Hameau pour ses remarques et suggestions qui ont notablement contribué à enrichir ce manuscrit.

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