COMMENTAIRE y M)
THÉORIQUE ET PRATIQUE
DE LA LOI DU 27
JUILLET 1884
SUR
LE DIVORCE
TAU
G. BAUORY-LACAflTINERIE
VBOFEiSEUR BE COBE CIVlE A LA FACULTE BE BROIT BE BOB BEAUX
PARIS
L. LA ROSE ET FORCEL
Libraires-Editeui'ri
.
22,
RUE SOUFFLOX.22
1885
iTERlE
Ails !
,ice,BORDEAUX
COMMENTAIRE
THÉORIQUE ET PRATIQUE
DE LA LOI DU 21 JUILLET 1884
SUR LE DIVORCE
COMMENTAIRE
THÉORIQUE ET PRATIQUE
DE LA LOI DU 27 JUILLET 1884
SUR
LE DIVORCE
PAR
G. BAUDRY-LACANTINERIE
PROFESSEUR DE CODE CIVIL A LA FACULTÉ DE DROIT DE BORDEAUX
PARIS
L. LAROSE ET FORGEL
Libraires-Éditeurs
22,
RUE SOUFFLOT, 221885
AVERTISSEMENT
L'auteur deceCommentairea continué à suivre la méthode par
lui adoptée dans le Précis de droit civil dont il vient d'achever
lapublication. La partie de l'ouvrage contenant
les
principes et les notions essentielles est imprimée
en gros caractères. Lesurplus de l'ouvrage, imprimé én caractères plus fins, contient les notions historiques d'ordre secondaire,
les
questions de détail et les questions controversées.
COMMENTAIRE
THÉORIQUE ET PRATIQUE
DE LA LOI DU 27 JUILLET 1884
SUR LE DIVORCE
PROLÉGOMÈNES
§ I. Définitions du divorce et de la séparation de
corps. —Différences qui les séparent.
1. Définitions. — Le divorce est la
rupture légale d'un mariage, prononcée
parl'officier de l'état civil
enexécution
d'une décisionjudiciaire qui admet le divorce.
La
séparation de
corpsest l'état de deux époux dispensés
parla jus¬
tice de
l'obligation de vivre ensemble
quele mariage leur imposait.
2. Différences entre le divorceet la séparation de corps. —
Les définitions
qui précèdent laissent
voir quele divorce dissout le mariage, tandis
quela séparation de
corpsle laisse subsister,
et en relâche seulement le lien endispensant les époux de l'une des obligations qu'il impose, celle de la vie
en commun, consacréepar l'art. 214 du code civil.Cette différence fondamentale en
engendre plusieurs autres. Nous
allonsindiquer les principales.
1° Le divorce est
prononcé
parl'officier de l'état civil
: le lien dumariage devait être
rompude la même manière qu'il
aété noué. Au
contraire laséparation de
corpsest prononcée
parle juge.
2°
L'incapacité dont la femme
estfrappée
en saqualité d'épouse
survità la
séparation de
corps ; uneautorisation lui
sera donc encore nécessaire pouraccomplir les divers actes de la vie civile,
àl'exception
2
de ceux
relatifs
àl'administration de
sonpatrimoine
;cette auto¬
risation
doit, conformément
auxrègles du droit commun, être deman¬
dée au mari
d'abord, et,
sur sonrefus, à la justice. Au contraire, au point de
vuede la capacité, la femme divorcée est assimilée à la
veuve;
le principe de l'autorisation maritale ne reçoit donc plus son
application.
3° Les enfants que
met
aumonde
unefemme séparée de corps,
naissentsousla
protection de la règle Pater is est quem nuptiœ demons-
trant,
sauf désaveu de la part du mari conformément à l'art. 313,
al. 2. Au
contraire, les enfants qui naissent d'une femme divorcée,
sont
étrangers à
sonancien mari,
aumoins lorsque leur conception
se
reporte à
uneépoque postérieure à la prononciation du divorce.
4° Le devoir de fidélité cesse ex
utroque latere, le divorce
unefois
prononcé. Il survit
aucontraire à la séparation de corps, et reçoit
encoreune sanction
pénale, du moins quant à la femme (P. art. 337).
5° La
séparation de
corpslaisse subsister entre les époux le devoir
de secours,
qui
setraduira pratiquement dans le droit pour l'époux
indigent de réclamer
unepension alimentaire à son conjoint. Au con¬
traire, l'obligation alimentaire n'existe pas entre époux divorcés.
Cependant l'art. 301 apporte à cette règle une exception que nous
étudieronsen son
temps.
6° La
séparation de
corpslaisse subsister entre les époux le droit
de successibilité
réciproque établi
parl'art. 767
;ce droit cesse entre
époux divorcés.
7°
D'après l'opinion générale, le divorce met fin à l'obligation ali¬
mentaire que
la loi établit entre chaque époux et les père et mère de
l'autre; la séparation de
corpslaisse subsister cette obligation.
8° Le divorce fait
subir
auxépoux certaines déchéances
que n'entraîne pasla séparation de
corps,notamment celle dont il est question dans l'art. 386.
9° Enfin, à
la différence des époux séparés de
corps,les époux
divorcés
peuvent, chacun de
soncôté, contracter
unnouveau mariage.
C'est surtoutcette
conséquence qui effraie les adversaires du divorce
; ilsl'accepteraient volontiers
sanscela.
§ II. Historique.
3. I. Anciendroit. Notre ancien droit
n'admettait
pasle divorce. Il
était
proscrit
parla religion catholique, et l'on sait qu'à cette époque
les
prescriptions de la loi religieuse s'imposaient au législateur civil.
Mais aucune
religion n'a la puissance d'empêcher les mauvais ména¬
ges,
et,
commeil fallait bien, à tout prix, offrir
unremède
auxépoux
3
pour
lesquels la vie
commune était devenueinsupportable, la religion catholique tolérait,
et notre anciendroitpratiquait la séparation d'ha¬
bitation
(séparation de
corps,divortium
a toro etmensa), qui détend
le lien dumariage
sansle
rompre.4. II. Droit intermédiaire. Œuvre de réaction violente contre l'an¬
cien état de
choses, la
loi du 20septembre 1792
admit le divorce etproscrivit la séparation de
corps.Partant de ceprincipe«qu'il fallait accorder laplus grande latitudeàla faculté duleconsentementdivorce, àcausedesde laépoux,natureetparce quedu contrat dela libertémariageindividuellequia pourne peutbase principalejamaisêtre aliénée d'une manièreindissoluble par aucune convention », le législateur de cette
époquemultiplia à l'infiniles causes de divorce. Il ne sebornapas à admettre le divorcepour causes déterminées (aliénation mentale de l'un des époux; condam¬
nation de l'un d'eux à des peines afflictives ou infamantes; crimes, sévices ou injuresabandon du mari pargraves del'un desla femmeépouxouenversde la femmel'autre;pardérèglementle mari pendant deuxnotoire des mœursans au; moins; absence de l'un desépoux sansnouvellespendantcinq ans au moins;émi¬
gration dans les casprévusparla loi),il admit en outre ledivorcepar le consente¬
ment mutuel des époux, etmême le divorce sur lademande de l'un d'euxpour incompatibilitéd'humeur.Les facilités déplorables que cette loi donnaitaudivorce, furentConventionencoreaugmentées par deux décrets des 8 nivôseet 14floréal an II,que la nationale dut abroger peu de temps aprèsles avoir édictés (15 thermi¬
dor an III), surun rapport de Mailhe, qui se terminaitpar ces mots : «Vous ne
sauriez arrêter troptôt le torrentd'immoralitéque roulent ces lois désastreuses ».
Sousl'empire de cet état dechoses, on vit le nombre desmariagesdiminuer pro¬
gressivement àmesure que celui des divorces augmentait. L'an VIeutà enregis¬
trer plus de divorces que demariages! L'unique bienfaitde cettelégislation a été d'apprendre aulégislateurdel'avenir que demauvaises lois portentnécessairement de mauvais fruits.
5. III. Code civil. Survint le code civil. On y
trouve,
ausujet de
cette délicate
question du divorce, l'empreinte de l'esprit de
concilia¬tion
qui est l'un des
traitscaractéristiques de
cette œuvreimmortelle.
Le
législateur de
1803 sutadopter
un moyenterme équitable
entrelejigorisme oiiixajhe-aQtEe-miicien
droit,qui,
sousl'empire de préoc¬
cupations d'ordre
exclusivementreligieux, avait proscrit
le divorce d'une manièreabsolue, n'offrant
auxépoux malheureux, quelles
que fussent leurs croyancesreligieuses,
quele
remède insuffisant de laséparation de
corps,et l'esprit de réaction violent^ passionné, qui
dominaitle
législateur de
lapériode révolutionnaire,
etqui le porta,
non seulement à admettre le
divorce,
àle faciliter
même outre mesure, augrand préjudice de la société, mais
encore,chose
regret¬table entre
toutes,
àsupprimer la séparation de
corps, cequi consti¬
tuait une mesure véritablement
tyrannique
àl'endroit
desépoux catholiques, dont la
foi repoussele divorce,,
etqui
setrouvaient
ainsil
■sans remède contre les horreursd'uhNe
cohabitation devenue intolé-\ rable.
4
"Voicien
quelques mots le système du code civil.
Il admetle
divorce, restreint dans de sages limites, et, parallèlement
àlui,
la séparation de corps.
Le divorce
peut avoir lieu pour causes déterminées ou par le con¬
sentement
mutuel des époux.
Lescauses
déterminées de divorce, qui peuvent servir aussi de fon¬
dement àune
séparation de corps,sont: 1°l'adultère de l'un des époux,
avec cette
particularité que l'adultère du mari doit avoir été accom¬
pagné d'une circonstance aggravante, l'entretien de la concubine dans
la maison
conjugale (art. 229 et 230) ; 2° les excès, sévices ou injures
graves
de l'un des époux envers l'autre (art. 231) ; 3° la condamna¬
tion devenue
définitive de l'un des époux à une peine afflictive ou
infamante
(art. 232).
Quant
audivorce
parconsentement mutuel, il n'est nullement ce
que son nom
donnerait à penser. Le législateur du code civil
n'admettait pas, comme
celui de 1792, que le consentement des par¬
tiesdoit
pouvoir dissoudre le mariage de même qu'il sert à le nouer,
conformément à
la règle Quae consensu contrahuntur contrario consensu
pereunt. Sur ce point il doit y avoir une différence entre le mariage
et les autres
contrats,
parce quele mariage engendre un état, et que
l'état des personnes
nous apparaît en principe comme étant irrévoca¬
ble. Dansla
pensée du législateur de 1803, le divorce par consente¬
ment mutuel
n'était qu'une forme particulière du divorce pour cause
déterminée.
Il avait été introduit pour certains cas exceptionnels, où
l'époux demandeur en divorce semble se trouver dans l'impossibilité
morale de
révéler publiquement devant la justice la véritable cause
dudivorce,
soit
parce quecette révélation pourrait avoir pour résultat
délivrerson
conjoint
auxsévérités de la justice criminelle, comme s'il
s'agit
parexemple d'une tentative d'assassinat, soit parce qu'elle pour¬
rait avoir pour
conséquence de couvrir de ridicule, de honte ou d'op¬
probre le demandeur ou sa famille, comme il peut arriver dans certains
cas pour une
demande en divorce fondée sur l'adultère. Cette pensée
apparaît bien à la simple lecture de l'art. 233 : « Le consentement
» mutuel et
persévérant des époux, exprimé de la manière prescrite par
» la loi, sous
les conditions et après les épreuves qu'elle détermine,
» prouvera
suffisamment que la vie commune leur est insupportable, et
»
qu'il existe, par rapport à eux, une cause péremptoire de divorce ».
D'ailleurs,
toutes les précautions avaient été prises par le législateur
de 1803 pour que
l'on ne pût pas abuser dans la pratique du divorce
par
consentement mutuel, et le détourner de sa destination véritable :
procédure longue et compliquée ; épreuves multiples ; sacrifices
divers
imposés aux époux, notamment obligation pour chacun d'eux
/\
defaire aux enfants du
mariage l'abandon de la moitié de
safortune.
Si bien que,
lorsque les époux avaient enfin satisfait
sansdéfaillir
aux nombreusesexigences de la loi, le juge pouvait
sedire
enlui-même,
suivant l'heureuse
expression du rapporteur de la nouvelle loi
surle
divorce à la chambre des
députés, M. Léon Renault
:Je
neconnais
pas
la
cause pourlaquelle le divorce est réclamé, mais je suis sûr qu'elle existe (1).
6. Loi du 8mai 1816. Nous avonsvécusous ce
régime jusqu'au
com¬mencement de la Restauration. A cette
époque survint
uneloi dont
l'art. 1
porte
: «Le divorce est aboli
».C'est la loi du 8 mai 1816, qui
fut une œuvre de réaction cléricale. La charte de 1814 avait déclaré la
religion catholique, religion de l'Etat;
orla religion catholique
n'admet pas
le divorce
;donc la loi civile
nepouvait
pasle
consacrer.Que telle aitété la cause de l'abolition du divorceen 1816, c'est cequi ne sau¬
rait être contesté. M. deTrinquelaguen'en indique pas d'autre dans son rapport
à
la chambre desdéputés. « Auxyeuxde notre religion sainte, dit-il, lemariage
n'est
point un simple contratnaturel oucivil; elleyintervient pour luiimprimer
un caractère plus auguste. C'est son ministre qui, au nom du créateurdu
genre humain etpour le perpétuer, unit les époux,consacre leur engagement.Le nœud
qui estformé prend dans le sacrementune forme célesteetchaque épouxsemble,
àl'exemple du premier homme,recevoirsa compagne des mains de
la divinité
même. — Une union formée par elle ne doit pas pouvoir être détruitepar
les
hommes, et de là son indissolubilité religieuse... — La loi civile, qui permetle
divorce,est donc en opposition avecla loi religieuse. Or, cette opposition nedoit
point exister, car la loi civile empruntant sa plus grandeforce de la loireligieuse,
il est contre sa nature d'induire les citoyens à la mépriser. —Il faut donc,pour lesconcilier, que l'une des deux fléchisse et mette ses dispositions en
harmonie
avec celles de l'autre. — Maisla loi religieuse appartient à un
ordre de choses
fixe, immuable, élevé au-dessus du pouvoir des hommes. La naturedes lois
humaines, dit Montesquieu, est d'être soumise à tous les accidentsquiarrivent et
de varier à mesure que les volontés des hommes changent. Au contraire,
la
nature des lois de la religion est dene varier jamais. C'est doncà la
loi civile de
céder, et l'interdiction du divorceprononcéepar la loireligieuse doit être respec¬tée parelle».
Ainsi, l'abolition du divorce en 1816 eut pourbut unique de mettre la
loi civile
en harmonie avec les prescriptions de la religion catholique devenue
religion
d'Etat.
Ilest
remarquable
queles articles du code civil, relatifs
audivorce,
n'ont pas
été abrogés expressément
parle législateur de 1816. On avait
sans doute senti la nécessité de les laisser subsister comme
complé¬
ment de la
séparation de
corps, quele législateur de 1803
arégle¬
mentée avec une sobriété toutevoisine de
l'obscurité, entendant,
sansdoute,
quesesnombreuses lacunes seraient comblées
pardes emprunts
faits avec discernement à la
législation du divorce. Effectivement la jurisprudence,
seconformant
sur cepoint
aux vuesprobables du
(1)Journalofficiel du 14juin1882.
6
législateur de 1803, éclaircies
en uncertain
sens parle législa¬
teurde
1816, appliquait
enmatière de séparation de
corpsde
nom¬breuxarticles relatifs au divorce. De telle sorte que
jusques à hier,
«c'estuneinstitution détruite
qui
acontinué à fournir des règles
pourl'application d'une disposition devenue
nonseulement principale mais unique
».Ce sont les paroles de M. Léon Renault, le rapporteur de la
nouvelle loi à la chambre des
députés. Il ajoute
un peuplus loin
: «Le
divorce est resté dans le monument de nos lois comme une statue momentanément
voilée, mais debout
àla place où elle avait été ori¬
ginairement élevée et qu'il est toujours facile de découvrir et de
mettre en lumière ».
Si lelégislateur de 1816 était allé jusqu'au bout dans la voie de
la logique,
ce n'est pas seulement le divorce qu'il aurait dû abolir, maisaussi l'institution du
mariage civil, qui, commele divorce, esten opposition avecles dogmes dela reli¬
gion catholique, d'aprèslesquels lemariage estun contrat exclusivement
religieux.
Logiquement aussi, il aurait fallumettresur biend'autres points les prescriptions
delà loi civile en harmonieavec celles de la loi religieuse, notamment en ce qui
concerne les nullités demariage. Ce n'est peut-êtrepaslabonne
volonté qui
a man¬qué pourtenter cetteentreprise; maison a bien senti qu'on se
heurterait à
une impossibilité! Le principe de la sécularisation dumariage était déjà tropprofondé¬
mententré dans lesmœurs pourqu'onpût espérer l'attaqueravec
succès.
La révolution de 1830
supprima la religion d'Etat. La conséquence logique aurait dû être le rétablissement du divorce, puisqu'il n'avait
été
supprimé
que commeincompatible
avecles dogmes de la religion
d'Etat.
Effectivement, de 1831
à1834, la chambre des députés vota, à quatre reprises différentes, le rétablissement du divorce
;mais
ses efforts furentparalysés
parl'obstination de la chambre des pairs qui
refusa de laisser passer
la loi.
En1848 un
projet de rétablissement du divorce fut déposé
surle
bureau de l'assemblée constituante;
mais il fut retiré
par sonauteur
etnevint mêmepas en
discussion.
7. Loi du 27
juillet 1884.
—Enfin le divorce vient d'être rétabli
parune loi décrétée le 19
juillet 1884, et promulguée le 27 du même mois.
M. Alfred
Naquet peut ajuste titre
enrevendiquer la paternité. Avec
l'ardente conviction d'un
croyant et l'infatigable ardeur d'un apôtre,
M.
Naquet
aréveillé dans le public la question du divorce, qui paraissait assoupie, et l'a promptement amenée à maturité. On
aparus'étonner
toutefois à
plusieurs reprises, dans les discussions auxquelles la nou¬
velle loi a donné
lieu,
quel'action si énergique de M. Naquet n'ait pas
soulevé dansl'opinion publique
unmouvement plus accentué en faveur
du
divorce, et les adversaires de cette institution n'ont
pasmanqué de
s'en
prévaloir
pourla combattre. Mais,
comme onl'a fort bien observé,
la
question du divorce n'intéresse qu'un petit nombre de personnes,
etil n'est pas
étonnant
quetous
ne sepassionnent pas pour elle.
7
Ceux
qui
nesont
pasmariés
ne sepréoccupent guère du divorce :
tous se
persuadent
que,s'ils
semarient, ils feront
unchoix tel qu'ils
n'auront
jamais à désirer la rupture de leur union. Et quant à ceux qui sont mariés, la très grande majorité
nesongent
pasà se séparer,
etla
question du divorce les laisse
assezfroids. On verrait l'opinion publique s'émouvoir dans de bien autres proportions
ausujet d'une proposition de loi touchant
auxintérêts de tous,
parexemple d'une
loi modifiant l'assiette de
l'impôt
oule service militaire.
Au
surplus, l'objection
queles adversaires du divorce tiraient de la
tiédeur de
l'opinion publique n'est
quetout à fait secondaire. Nous
allons maintenant examiner ces
objections dans leur ensemble.
§ III. Le divorce est-il
unbien, est-il un mal?
8. Le divorce a des adversaires
passionnés
;il
aaussi des partisans
convaincus. Les
premiers le considèrent
commemettant
enpéril l'ins¬
titution du
mariage, et
parsuite l'existence même de la société dont
le
mariage est
unedes plus fermes assises. Les autres,
aucontraire,
voient enlui unélémentde
moralisation,
et parsuite de perfectionne¬
ment social. Quia raison dans cedébat? Nous croyonsque ce
sont les partisans du divorce. Ce n'est
pas quele divorce
nousapparaisse
comme un bien; à notre
avis il
estplutôt
unmal. Mais c'est
unmal nécessaire,
en ce sensqu'il est le seul
moyend'éviter
unplus grand mal,
etnousremercions
àcetitre le législateur de l'avoir rétabli,
parcequ'il faut bénir le législateur
autantpourle mal qu'il
nousôte
que pourle bien qu'il
nousdonne.
9. Les adversaires du divorce sont dans le
vrai, quand ils disent
que lemariage est contracté dans
unesprit de perpétuité. Interrogez deux époux
aumoment
oùils viennent d'échanger leurs serments devant le
ministre de la loi etdevant le ministre de leur
culte, ils
vousdiront, le
souriresurles lèvres etla
joie dans le
cœur :C'est
pourtoujours. Les
adversaires du divorce ont raison encore
quand,
seplaçant à
unpoint
de vuediamétralement
opposé à celui du législateur de 1792, ils disent
que
le mariage n'est
passoumis à cette règle, qui
gouverneles
con¬trats en
général,
quele consentement des parties peut dissoudre le
lien que ce
même
consentement aservi
àformer, conformément à l'adage Quœ
consensucontrahuntur contrario
consensupereunt.
Mais souvent les
espérances des époux sont cruellement trompées.
Cette
union, dans laquelle ils rêvaient le bonheur, devient quelque¬
fois pour eux
la
sourcedes plus affreux tourments. L'épouse
atrahi
la foi
promise !
oubien le mari
selivre
surla
personnede la
femmeàde continuels
sévices, peut-être à des excès qui mettent
son8
existence en
danger. La vie
communeest devenue intolérable; sa
continuationne
pourrait être envisagée que comme une interminable
agonie. En pareil
cas,le lien du mariage est rompu en fait. La ques¬
tion est de savoir
si le législateur peut, dans l'intérêt social, en
prononcerl'indissolubilité, offrant seulement aux époux le triste expé¬
dient de la
séparation de
corps, ous'il ne doit pas plutôt, mettant le
droit d'accord avec le
fait, autoriser la rupture légale du mariage
par
le divorce. A notre avis, c'est ce dernier parti qui est préférable.
« En étatde
mariage,
comme entout autre, dit M. de Marcère (1), la
personnalité humaine est, dans tout ce qui constitue son essence,
au-dessus de la
loi civile. Droit de
penser,de croire, de chercher le
bonheur: en un mot
les facultés morales
nerelèvent que de la nature qui
nousles
adonnées; et lorsque, dans des cas extrêmes, la loi
reconnaît que
des époux
nesauraient continuer à vivre sous le même
toit, elle deviendrait abusive et serait tyrannique, si, contrairement
au droit
naturel, elle prétendait tenir
cesépoux enchaînés dans
des liens fictifs
qu'elle
aelle-même desserrés ».
10. De nombreuses
objections ont été soulevées contre le principe
mêmedu divorce.Les
principales sont tirées : 1° de considérations reli¬
gieuses; 2° de l'intérêt social; 3° de l'intérêt des enfants. Nous allons
les examiner
succinctement.
11. I.
L'objection tirée des considérations religieuses est la plus
puissante de toutes. La religion catholique, dit-on, est celle delà majo¬
rité des
Français;
orcette religion proscrit le divorce; l'admettre dans
nos
lois, c'est donc faire violence à la conscience des époux catholiques
qui pourront être obligés de subir les conséquences d'une mesure que
leur foi repousse.
Nous remarquerons
d'abord
quel'objection n'a plus aucune valeur
aucas
d'époux appartenant l'un et l'autre à un culte qui admet la
légitimité du divorce. Et même dans ce cas, l'objection se retourne en partie contre ceux qui la proposent. Car si, au nom de la liberté de
conscience,
onneveut
pas quele divorce puisse être imposé à des
époux catholiques,
aunom de cette même liberté, il faut admettre que
la loi civile doit
autoriser le divorcé
auprofit de ceux dont les
croyances
religieuses ne répugnent pas à ce mode de dissolution du
mariage. Le système qui prétendrait imposer à tous les citoyens le
principe de l'indissolubilité du mariage, parce qu'il est consacré par
la
religion catholique à laquelle appartiennent la majorité des Fran¬
çais,
serésumerait
en uneoppression de la minorité par la majorité.
Il
n'y
apasplus de difficulté, si l'on envisage le cas d'époux catholi-
(l)Rapportfait à lachambre des députésau nomde la commission chargée d'examiner la
proposition de
loi de M.AlfredNaquetrelativeaurétablissement du divorce.Journalofficiel du 30mars1882.
ques
l'un et l'autre. Ah!
sansdoute, ils pourraient criera la tyrannie,
si le
législateur civil leur offrait exclusivement le divorce
comme remède auxunions malheureuses;ils seraient
eneffet réduits à l'al¬
ternative,
oude subir
unecohabitation devenue intolérable,
oud'y échapper
par unmoyen queleur foi
repousse.Mais notre législateur
admet la
séparation de
corpsparallèlement
audivorce. Libre
auxcatholiques d'y recourir. Le législateur
proposele divorce à tous,
ilne
l'impose à
personne.Reste lecas oùun seul des
époux
ades convictions religieuses qui
lui interdisent
l'usage du divorce. Il
pourraarriver, dit-on,
quecet époux soit obligé de subir le divorce qui
serademandé et obtenu
parson
conjoint; le divorce lui
seradonc imposé, et le principe de la
liberté de conscience sera violé danssa personne. —
Le divorce
sera.
prononcé, oui. Mais qui oblige l'époux catholique à
userde la fatculté
de se remarier que ce
divorce lui confère? Libre à lui de respecter le
lien que sa
foi lui représente
commesubsistant toujours, et alors il
se trouveradansune situation
équivalente,
ouà
peuprès, à celle
que lui créeraituneséparation de
corps,situation qui n'a rien d'incompa¬
tible avec les
préceptes et les dogmes de la religion catholique.
Enrésumé,
le principe de la liberté de conscience est parfaitement respecté du moment
quele législateur, tout
enautorisant le divorce,
ne
l'impose à
personne,et le double d'une autre institution, la sépara¬
tion de corps,
qui est
enharmonie
avecles
croyancesdes époux dont
la
religion n'admet
pasle divorce.
D'ailleurs ilfaut remarquer que,
dans le mariage, le contrat civil est complètement distinct du sacrement. Or
ce quele divorce brise, c'est
le contrat civil
seulement, il laisse le sacrement intact. Donc le divorce
ne
porte
aucuneatteinte à l'indissolubilité du lien religieux.
«Ce qui
est indissoluble au
point de
vuecatholique, dit M. Naquet (1),
cen'est
pas
le mariage civil, les catholiques
nele reconnaissent
pas,ils
nele
considèrent que comme une
simple formalité qu'ils subissent, mais
contre
laquelle ils protestent
sans cesse.N'ai-je
pas,dès lors, le droit
de leur demander en
quoi ils pourront être blessés le jour où,
pour descas graveset déterminés,
nousbriserons le nœud dont ils contes¬
tentla validité au
point de
vuede la conscience?
»12. II.
Après l'objection prise des considérations religieuses, la plus
grave est
celle
quel'on puise dans les considérations d'intérêt social.
Le
divorce, dit-on, est de nature
àjeter dans la société
uneperturba¬
tion grave, parce
qu'il ébranle l'institution du mariage, qui est l'une des
bases
fondamentales
de l'ordre social. On sejouera de la sainteté du mariage, du
moment quele lien qu'il crée
ne seraplus indissoluble! Le
(1)Discours àlachambredesdéputés.Journal officiel du Sfévrier1881.
10
législateur,
organedes intérêts sociaux, doit donc proscrire le divorce.
Ildoit le
proscrire,
parce quel'intérêt des époux, qui demandent à
rompre une
union malheureuse dans laquelle ils se sont imprudem¬
ment
engagés, est
unintérêt particulier, et que l'intérêt particulier
doit être
sacrifié, quand il est
enlutte avec l'intérêt social qui est un
intérêt
général.
Il resterait à démontrerque
le divorce est
unélément de dissolution
sociale; or
les avis des philosophes sont très partagés sur ce point.
Bon nombre considèrent le
divorce, grâce auquel les époux peuvent
contracter une nouvelle union
légitime, qui servira de base à
unenou¬
velle
famille,
commebeaucoup plus moral
quela séparation de corps, qui
nelaisse le plus souvent
quele désespoir dans le cœur des époux,
parce
qu'elle les réduit à la dure alternative, ou de se sacrifier d'une
manière
complète,
enfermant leur
cœurà toute affection légitime, ou,
se
moquant des prescriptions d'une loi impitoyable et des sévérités de l'opinion publique, de
seréfugier dans les amères douceurs des liaisons
illégitimes. Il paraît
quec'est à
cedernier parti que les époux séparés
de corps se
résolvent le plus souvent. Nous le demandons, la moralité
publique
ygagne-t-elle?
«Ce qu'est la séparation de corps pour les
époux, dit M. de Marcère (1), le voici : c'est le dérèglement de la vie ou
lecélibat
forcé, c'est-à-dire
unétat contraire soit
auxlois sociales, soit
à la nature humaine ».
D'ailleurs, le divorce n'est
pas unenouveauté législative. Presque
tous les autres
peuples de l'Europe,
sansporter nos regards au delà,
l'ont inscrit dansleurs codes. Il
n'y
ad'exception
que pourl'Espagne,
le
Portugal et l'Italie; et
encoreil
nefaudra probablement plus
compter bientôt l'Italie, le pouvoir législatif étant actuellement saisi
dansce pays
d'un projet de loi, dû à l'initiative du gouvernement, qui
paraît être
surle point d'aboutir. Eh bien ! une longue expérience du
divorce chezcesdivers
peuples,
neconfirme nullement les appréciations
pessimistes de
ceuxqui voient dans cette institution un élément de dis¬
solution sociale. Le divorce a-t-il
démoralisé l'Angleterre, l'Autriche,
la
Russie, la Suède, laNorwège, la Hollande, l'Allemagne...? Bien plus,
sinous considérons unpays
voisin, qui nous a emprunté notre code
civil,
etqui pratique depuis longues années le divorce tel qu'il est orga¬
nisé par ce
code, la Belgique, nous voyons que le nombre total des
divorces etdes
séparations de
corpsréunis
yétait proportionnellement
moins
considérable, durant
cesdernières années, que le nombre des séparations de
corps enFrance. La statistique, dont les adversaires du
(l)Rapportfait à lachambre des députésau nomde lacommission chargée d'examiner la
proposition de
loi de M.AlfredNaquet,relativeaurétablissementdu divorce.Journalofficiel du 30 mars1882.
Chambre;
annexes, p.800.
11
divorce
négligent peut-être trop les enseignements, donne le chiffre de
11 sur1,000
pourla Belgique et de 26
sur1,000
pourla France, soit plus du double (1).
Yoici unedonnée
plus rassurante
encore,parcequ'elle est empruntée
à notrepays
lui-même. Nous
avonspratiqué, de 1803 à 1816,1e divorce
à peu
près tel
quevient de l'établir,
ouplutôt de le rétablir, la loi
nou¬velle; or,
il
neparaît
pas que,pendant cette période, l'usage du divorce
aitengendré d'abus, qu'il ait compromis l'institution du mariage. Aussi
leparti clérical, lorsqu'il
afait abolir chez
nousle divorce
en1816,
a-t-il
soigneusement évité de
seplacer
sur ceterrain
;il invoquait,
nousl'avons
déjà dit, des considérations d'ordre exclusivement religieux
et
politique.
Yeut-on
quelque chose de plus concluant
encore, parce quel'expé¬
rience est
plus récente? L'Alsace et la Lorraine,
cesdeux provinces françaises,
verslesquelles
nous ne cesseronsde tourner notre
cœuren attendant que nouspuissions leur tendre la main,
sesont
vu,depuis 1876, imposer
uneloi étrangère, la loi allemande, qui admet le divorce
àl'exclusion de la
séparation de
corps ;elles vivent donc depuis huit
ans sous le
régime du divorce. Eh bien! la statistique est là
encore pourle démontrer, le nombre des désunions entre époux
nes'en est
pas trouvéaugmenté
;il
ne se prononce pasaujourd'hui plus de divorces
dansces
provinces qu'il
nes'y prononçait autrefois de séparations de
corps.
Yoilà de quoi
rassurerles adversaires du divorce, qui croient
ou
feignent de croire
quele lien du mariage
seratrès affaibli, à
cause de la facilité quele divorce donnera
pourle
rompre,et de l'abus qu'on
fera de cette faculté.
Qu'importe après cela
que,dans
un, paysvoisin, la Suisse, il ait été fait, durant
cesdernières
années,unvéritable abus du
divorce?
Lafaute
en estau
législateur de
cepays,qui,
en1876,
amodifié in pejus la loi
sur la
matière,
en yintroduisant
unenouvelle
causede divorce très
peudéfinie, et
parsuite très élastique, l'atteinte profonde
auLien
con¬jugal. Tout le mal est
venude là. Auparavant il n'avait été fait
aucun abus dudivorce,
parcequ'il était sagement réglementé
:les
causes de divorce étaient cellesindiquées
parnotre code civil.
—L'exemple
de la Suisse ne prouve
qu'une chose, c'est qu'une mauvaise loi porte
de mauvais fruits.13. III. Nous arrivons à
l'objection tirée de l'intérêt des enfants.
Les adversaires du divorce insistent
beaucoup
surla situation
quele
divorce crée aux enfants issus du
mariage. On n'a
pasbeaucoup de peine à démontrer
quecette situation est déplorable. Nous répondrons
(l)Rapportausénat de M.Emile Labiche.Journal officiel du 21 février 1884,annexes, p.67.
12
avec Treilhard : Et
les enfants des époux séparés de corps ! ne sont-
ils pas
tout aussi à plaindre ? On ne prétend pas, sans doute, en sup¬
primant le divorce, supprimer aussi la séparation de corps. Eh bien !
si l'on refuse le divorce aux
époux malheureux en ménage, ils auront
recours àla
séparation de
corps,et la situation des enfants sera tout
aussi fâcheuse. Il est
vrai qu'après le divorce les enfants sont exposés
à tomber,
par.suite du
nouveaumariage de celui de leurs auteurs à
qui la justice les
aconfiés, sous la dure autorité d'un parâtre ou d'une
marâtre. Mais croit-on que
le spectre du parâtre ou de la marâtre
n'apparaisse
pasaussi
auxenfants des époux séparés de corps? Nous
le disions tout à l'heure, une
liaison illégitime
pourchaque époux, tel
estle fruit ordinaire de
la séparation de
corps.Dans la classe riche,
les
époux parviendront quelquefois à dissimuler aux yeux de leurs
enfants
l'irrégularité de leur conduite. Mais il n'en sera pas ainsi dans
la classe pauvre,
qui est la plus nombreuse. Là les enfants seront
témoins des relations
adultérines de leur père
oude leur mère avec qui ils vivent. Ils auront, eux aussi, un parâtre ou une marâtre, et ils
le verront ;
seulement
ce sera unparâtre ou une marâtre illégitime. En
sera-t-il
plus affectueux
pourcela? Mal pour mal, nous préférons encore
la situation des enfants dans
le divorce
:elle est plus franche et plus
digne
quedans la séparation de corps, où tout est faux et embarrassé.
En tous cas,
elle n'est ni plus ni moins fâcheuse que celle des enfants
d'un veufou d'une veuve
qui
seremarie.
En somme, onne
voit
pasquele divorce crée aux enfants des époux
une situation
pire
quela séparation de corps; la situation qui leur
est faite par
le divorce paraît même préférable. Alors quel argument
le sort des enfants
peut-il fournir
auxadversaires du divorce,
puisqu'il faut, de toute nécessité, accepter à tout le moins la sépara¬
tion de
corps?
14. Conclusion. Nous
concluons
quele législateur de 1884 a accompli
une œuvreavantageuse au double point de vue moral et
social,
enrétablissant dans
noslois le divorce. On aurait peut-être pu
se borner àunerestauration pure
et simple du code civil ; il aurait
suffi pour
cela d'abroger purement et simplement la loi du 8 mai 1816
abolitive du divorce. Notre
législateur
apréféré, tout en conservant
quant
aufond la législation du code civil, y apporter certaines modifi¬
cations
qu'il
aconsidérées
commedes perfectionnements. On aura
uneidée de ces modificationsdans
leur ensemble, enlisant la première partie de l'art. 1 de la loi nouvelle : « La loi du 8 mai 1816 est
»
abrogée.
—Les dispositions du code civil abrogées par cette loi sont
»
rétablies,
àl'exception de celles qui sont relatives au divorce par con-
» sentement
mutuel,
et avecles modifications suivantes, apportées aux
13
» articles
230, 232, 234, 235, 261, 263, 295, 296, 298, 299, 306, 307 et
» 310 ».
La
plus considérable,
enapparence tout au moins, des modifications
réalisées ouseulement
annoncées
parcet article,
concernel'abroga¬
tion du divorce par
consentement mutuel. Nous avons donné (supra
n°
5)
un aperçude cette institution qui, dans la pensée du législa¬
teur de
1803, était uniquement destinée à permettre aux époux de
dissimuler la
véritable
causedu divorce, la
causelégitime
quedes
considérations
d'humanité
oude pudeur
neleur permettaient pas de
révéler
publiquement. S'il est vrai, comme on le prétend, que le
divorce par
consentement mutuel est l'œuvre de Napoléon Ier, qui le fit
insérerdansle code
civil
envuedu divorce qu'il
seproposait d'impo¬
serbientôt à
l'impératrice Joséphine, s'il est vrai d'autre part qu'il est
demeuréà peu
près complètement ignoré dans la pratique pendant
les treize années
qu'ont vécu les textes qui l'organisaient, il ne faut
pas
beaucoup regretter
sasuppression. En Belgique, où l'on a con¬
servé sans modifications
la législation du code civil
surle divorce, il paraît
queles divorces
parconsentement mutuel ne dépassent pas la
proportion de 1
sur400.
§ IV. Division de la matière.
15. Nous diviseronsnotre étude sur
la loi nouvelle
en-quatre parties.
La
première
seraconsacrée
audivorce, la deuxième à la séparation de
corps,
la troisième
auxdispositions communes au divorce et à la
séparation de
corps,la quatrième
auxdispositions transitoires.
Pour que
le lecteur puisse
mesurerd'un coup d'œuil les diverses
étapes
que nousallons successivement parcourir, nous commençons
par
donner ici le texte de la loi dans son entier.
loi sur le divorce
Art. 1er. La loi du 8 mai 1816 est
abrogée.
Les
dispositions du code civil abrogées par cette loi sont rétablies, à
l'exception de celles qui sont relatives au divorce par consentement
mutuel, et
avecles modifications suivantes, apportées aux articles 230,
232, 234, 235, 261, 263, 295, 296, 298, 299, 306, 307 et 310.
Art. 230. La
femme
pourrademander le divorce pour cause d'adultère
de son mari.
Art. 232. La condamnation de
l'un des époux à
unepeine afflictive
et
infamante
sera pourl'autre époux une cause de divorce.
14
CHAPITRE II DE LA PROCÉDURE DU DIVORCE
Section 1
Des formes du divorce.
Art. 234. La demandeen divorce ne fourra
être formée qu'au tribu¬
nal de l'arrondissementdans
lequel les époux auront leur domicile.
Art. 233. Si
quelques-uns des faits allégués
parl'époux demandeur
donnent lieu àune
poursuite criminelle de la part du ministère public,
l'action en divorce restera
suspendue jusqu'après la décision de la juri¬
diction
répr essive
:alors elle
pourraêtre reprise sans qu'il soit permis
d'inférer de cette décision
aucunefin de non-recevoir ou exception préju¬
dicielle contre
l'époux demandeur.
Art. 261.
Lorsque le divorce
serademandé
parla raison qu'un des
époux est condamné à
unepeine afflictive et infamante, les seules forma¬
lités à observer consisteront à
présenter
autribunal de première ins¬
tance une
expédition
enbonne forme de la décision portant condamna¬
tion,
avec uncertificat du greffier constatant
quecette décision n'est plus susceptible d'être réformée
parles voies légales ordinaires. Le certificat
du
greffier devra être visé
parle
procureurgénéral ou par le procureur
de la
République.
Art. 263.
L'appel
ne serarecevable qu'autant qu'il
auraété interjeté
dans les deux mois à
compter du jour de la signification du jugement
rendu contradictoirement ou par
défaut. Le délai
pour sepourvoir à la
courde cassation contre un
jugement
endernier ressort
seraaussi de
deux mois à
compter de la signification. Le pourvoi
serasuspensif.
Section II
Des mesuresprovisoires auxquelles peut donnerlieu la demande en divorce.
Section III
Des fins de non-recevoir contre l'action en divorce.
CHAPITRE III des effets du divorce
Art. 295. Les
époux divorcés
nepourront plus
seréunir, si l'un
ou l'autre a,postérieurement
audivorce, contracté
un nouveaumariage
15
suivi d'un second divorce. Aucas de réunion des
époux,
unenouvelle
célébrationdu
mariage
seranécessaire.
Les
époux
nepourront adopter
unrégime matrimonial autre
quecelui qui réglait originairement leur union.
Après la réunion des époux, il
ne serareçude leur part
aucune nou¬velle demande de
divorce,
pourquelque
cause que cesoit, autre
quecelle
d'une condamnationà une
peine afflictive et infamante prononcée contre
l'un d'euxdepuis leur réunion.
Art. 296. La
femme divorcée
ne pourra seremarier
quedix mois après
quele divorce
seradevenu définitif.
Art. 298. Dans lecas de divorce admis en
justice
pour caused'adul¬
tère, l'époux coupable
ne pourrajamais
semarier
avec soncomplice.
Art. 299.
L'époux contre lequel le divorce
auraété prononcé perdra
tous les
avantages
quel'autre époux lui avait faits, soit
parcontrat de mariage, soit depuis le mariage.
CHAPITRE IV de la séparation de corps
Art. 306. Da?is lecas oùily a
lieu à demande
endivorce, il
seralibre
aux
époux de former
unedemande
enséparation de corps.
Art. 307. Elle sera intentée,
instruite
etjugée de la même manière
que
toute autre action civile.
Art. 310.
Lorsque la séparation de
corps auraduré trois
ans,le juge¬
ment pourra
être converti
enjugement de divorce
surla demande
formée
parl'un des époux.
Cette nouvelle demande sera introduite par
assignation, à huit jours francs,
envertu d'une ordonnance rendue
parle président.
Ellesera débattueenchambre du conseil.
L'ordonnancenommera un
juge rapporteur, ordonnera la communica¬
tionauministère
public et fixera le jour de la comparution.
Le
jugement
serarendu
enaudience publique.
Sont
abrogés les articles 233, 275 à 294, 297, 305, 308 et 309 du code
civil.
Art. 2.Le
paragraphe ajouté à l'article 312 du code civil par la loi
du 6décembre 1850 est
modifié
commeil suit
:«Encas de
jugement
oumême de demande soit de divorce, soit de séparation de
corps,le mari
pourradésavouer l'enfant qui
serané trois
cents
jours après la décision qui
auraautorisé la femme à avoir
un domicileséparé, et moins de cent quatre-vingts jours depuis le rejet définitif de la demande,
oudepuis la réconciliation. L'action
endésaveu
ne serapas
admise s'il
y a euréunion de fait entre les époux.
»16
Art. 3. La
reproduction des débats sur les instances en divorce ou en séparation de
corpsest interdite sous peine de l'amende de 100 à 2,000 fr.
édictée par
l'article 39 de la loi du 30 juillet 1881.
DISPOSITION TRANSITOIRE
Art. 4. Les instances en
séparation de corps pendantes au moment de
la
promulgation de la présente loi pourront être converties par les
demandeurs eninstances
de divorce. Cette conversion pourra être deman¬
dée mêmeencour
d'appel.
La
procédure spéciale au divorce sera suivie à partir du dernier acte
valable dela
procédure
enséparation de corps.
Pourront être
convertis
enjugements de divorce, comme il est dit à
l'article
310,
tousjugements de séparation de corps devenus définitifs
avant ladite
promulgation.
Art. 5. La
présente loi est applicable à l'Algérie et aux colonies de la
Martinique, de la Guadeloupe et de la Réunion.
PREMIÈRE PARTIE
DU DIVORCE
16.Conformément au
plan adopté
parle législateur lui-même,
nous traiterons successivement dans troischapitres
:1° des
causesdu divorce; 2° de la procédure du divorce; 3° des effets du divorce.
CHAPITRE I
DES CAUSES DU DIVORCE
17. Nous aurons à rechercher successivement
quelles sont les
cau¬ses du
divorce,
et parqui elles peuvent être proposées.
§ I. Quelles sont les
causesde divorce.
18. Les causes de divorce sontau nombre de trois : 1° adultère de l'undes
époux; 2° excès, sévices
ouinjures
gravesde l'un des époux
enversl'autre;
3° condamnation de l'un des époux à
unepeine afïlic-
tive etinfamante. C'estcequi résulte des
art.229-232 ainsi
conçus : Art. 229. Le mari pourrademander le divorce
pour caused'adultère
desa
femme.
Art. 230. La
femme
pourrademander le divorce
pour caused'adultère
de son mari.
Art. 231. Les
époux pourront réciproquement demander le divorce
pourexcès, sévices
ouinjures
graves,de l'un d'eux
enversl'autre.
Art. 232. La condamnation de l'un des
époux à
unepeine afflictive
etinfamante
sera pourl'autre époux
une causede divorce.
Etudions successivement ces diverses causes de divorce.
I. Adultère de Vun des
époux.
19.Ici le code civil consacrait une différence
importante
entrele
mari etla femme. L'adultère de lafemme,
enquelque lieu qu'il eût
étécommis, fût-ce
endehors de la maison conjugale, et alors
mêmequ'il constituait
unfait isolé, pouvait servir de base
à unedemande
en divorce formée parle mari (art. 229). Au contraire, l'adultère du
marinedevenait une cause de divorce pour
la femme qu'autant qu'il
était
accompagné de cette circonstance aggravante
quele mari
avait.2
18
« tenu sa
concubine dans la maison
commune » ou, commele dit
l'art. 339 du code
pénal,
endes termes équivalents « entretenu sa
concubine dansla maison conjugale
» : cequi constitue un spectacle particulièrement offensant pour la femme, ainsi réduite à voir son
titre et sesdroits
usurpés, qaod castas et pudicas maxime exasperat.
Le
législateur de 1884
afait disparaître cette différence, en suppri¬
mant dans l'art. 230
les
mots :«lorsqu'il
auratenu
saconcubine dans
la maisoncommune ».
Ettoutefois il enreste encore une
trace matérielle dans le texte de
/aloi. Dumoment que
l'on assimilait complètement, au point de vue
dontil
s'agit, la situation de la femme à celle du mari, il était inutile
de
régler cette situation dans deux articles distincts. Au lieu de dire :
« Le mari pourra
demander le divorce pour cause d'adultère de sa
femme »
(art. 229)
; «La femme pourra demander le divorce pour
cause d'adultère
de
sonmari
»(art. 230), il était bien plus simple de
dire : L'un des
époux
pourrademander le divorce pour cause d'adul¬
tère de l'autre,
de même
quel'art. 231 dit
: «Les époux pourront réciproquement demander le divorce pour excès, sévices ou injures
graves
de l'un d'eux envers l'autre.
»Pour
justifier l'innovation
surlaquelle nous venons de nous expli¬
quer,
M. Naquet disait en substance à la chambre des députés, et on
l'a
répété après lui
ausénat : Nous avons pensé qu'après avoir pro¬
clamé le
principe des devoirs égaux des époux dans le titre du mariage
(art. 212), il
nefallait pas immédiatement proclamer le principe con¬
traire dans le titredu divorce.
Il
yalà
unequestion de haute moralité.
Il a été ditque
la civilisation d'un pays se reconnaissait aux droits
dont
jouit la femme, à l'égalité plus ou moins grande qui existe entre
elle etl'homme. Consacrons
le principe de l'égalité morale entre les
deux sexes...
(1).
Ilesttrès douteux,ànotre avis,qu'en réformant notre
loi
sur cepoint, le législa¬
teur de 1884 l'ait améliorée. Nous n'entendons pas contester
qu'au point de
vue moral l'adultère dumari soit aussirépréhensible que celui de lafemme. Mais
ce n'est pas là la question, etle législateur aurait tort de
seplacer ici exclusivement
àce pointdevue.Il s'agit
de savoir si la blessure
quefait l'adultère du mari dans
le cœurdelafemme,estnécessairementaussigrave,
aussi profonde
quecelle résul¬
tant pour l'époux de
l'adultère de l'épouse; si, d'un côté
commede l'autre, l'adul¬
tèrerend nécessairementla vie commune insupportable, et doit
ouvrir à
cetitre
laporteaudivorce.
Or, si l'on
seplace à
cepoint de
vue,il est difficile de ne pas
admettre unedifférence desituation entre les deux époux. Nos mœurs,
à
tortouà
raison, sontplus indulgentes pour les
faiblesses du mari
que pourcelles de la
femme. D'unautrecôté, l'opinion publique établitun lien entrel'honneur
du mari
etla fidélité de sa femme,tandis qu'elle considère les
infidélités
dumari
comme laissant l'honneur de la femme intact. En troisième lieu, les conséquencesde
(1)Journalofficiel du 16juin 1882. Débatsparlementaires,p.918.