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Les apports des technologies de l’information et de la communication à l'apprentissage des langues distantes en eTandem

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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34(2) | 2018

Numéro spécial - printemps 2018

Les apports des technologies de l’information et de la communication à l'apprentissage des langues distantes en eTandem

Jue Wang-Szilas

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/ripes/1356 ISSN : 2076-8427

Éditeur

Association internationale de pédagogie universitaire Référence électronique

Jue Wang-Szilas, « Les apports des technologies de l’information et de la communication à l'apprentissage des langues distantes en eTandem », Revue internationale de pédagogie de

l’enseignement supérieur [En ligne], 34(2) | 2018, mis en ligne le 20 juin 2018, consulté le 08 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ripes/1356

Ce document a été généré automatiquement le 8 septembre 2020.

Article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle.

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Les apports des technologies de l’information et de la

communication à l'apprentissage des langues distantes en eTandem

Jue Wang-Szilas

NOTE DE L’ÉDITEUR

Cet article est issu d’une thèse de doctorat qui fera l’objet d’une publication chez Peter Lang.

1. Introduction

1 Depuis l’année académique 2010-2011, un cours eTandem chinois-français est proposé aux étudiants de deuxième année de l’Unité des études chinoises de l’Université de Genève (Suisse) et du Département de français de l’Université du Hubei (Chine). Depuis l’année académique 2012-2013, une trentaine d’étudiants du Département études chinoises de l’Inalco (France) ont rejoint ce cours. Après cinq années de développement, tant au niveau de l’ingénierie pédagogique que de l’institutionnalisation (2010-2015), le dispositif eTandem chinois-français s’inscrit aujourd’hui dans le cursus de ces trois établissements sous des conditions différentes.

2 L’objectif de ce dispositif est de permettre aux apprenants de pratiquer la langue cible avec des locuteurs natifs afin de développer leurs compétences de communication, leurs compétences interculturelles selon le Cadre européen commun de référence pour les langues (Conseil de l’Europe, 2001), ainsi que leur autonomie par un apprentissage guidé.

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3 Dès l’inscription au cours, une formation présentielle est organisée dans chaque établissement et ce, avant le début des échanges. Les participants doivent ensuite entrer dans le forum « tandem matching » de la plateforme Moodle1 pour trouver leurs partenaires. Ils se présentent l’un à l’autre en langue cible selon les règles de présentation données dans les consignes et cherchent à lier connaissance avec d’autres étudiants pour trouver leur partenaire.

4 Les échanges thématiques entre binômes sont effectués chaque semaine comme suit : avant l’échange en ligne entre partenaires, les apprenants consultent les consignes d’échange sur Moodle et préparent l’échange. Les consignes expliquent en détail les trois tâches à réaliser pendant l’échange en ligne. De plus, les documents illustrant le thème, composés de textes, fichiers audio, exercices etc. se trouvent aussi sur Moodle afin que les étudiants puissent consulter ce qu’a appris leur partenaire.

5 Pendant l’échange, les étudiants accomplissent trois tâches via les outils de visioconférence de leur choix (Skype, QQ et WeChat), pendant lesquelles ils sont encouragés à utiliser tous les outils à disposition (webcam, clavardage, moteur de recherche, Smartphone etc.) pour enrichir l’échange :

exposer (20 minutes) : les étudiants décrivent une personne ou un endroit, racontent une expérience etc. dans la langue étrangère (L2) de chacun ;

interagir (20 minutes) : les étudiants se posent mutuellement les questions tirées des consignes, en pratiquant les structures et le vocabulaire proposés en L2 ;

communiquer (20 minutes) : ils discutent autour d’un thème en langue maternelle (L1) et L2.

6 Après l’échange, chaque étudiant complète un questionnaire d’échange en ligne et écrit un résumé des propos de son partenaire en L1 dans le forum de Moodle ouvert à cet effet. L’évaluation du dispositif est effectuée par le système d’évaluation des cours officiel de l’Université de Genève. La crédidation est conçue selon les exigences institutionnelles de chaque établissement et comprend, pour chaque séance, le questionnaire sur le déroulement de l’échange et le résumé de l’échange en L1.

7 Pendant toute la procédure, une coordinatrice assure le tutorat, en asynchrone (par e- mail avant et après les échanges) ou en synchrone (par l’outil de visioconférence, pendant les échanges). La coordinatrice se connecte sur Skype et QQ pour répondre aux questions des apprenants pendant l’heure d’échange. Elle anime parfois les échanges en binôme pour aider les partenaires à communiquer.

8 Le projet eTandem chinois-français est à la fois un projet d’innovation pédagogique avec des nouvelles technologies et un projet de recherche de type Design-Based Research (Reeves, 2006). Dans ce projet, notre intérêt s’est porté tout particulièrement sur les interactions entre les binômes en ligne, qui, jusqu’à aujourd’hui, restaient un champ de recherche assez peu abordé. Comment les interactions entre interlocuteurs natifs et non natifs se déroulent-elles dans un contexte d’apprentissage virtuel en eTandem ? Comment les interlocuteurs réalisent-ils l’apprentissage à travers ces échanges via des outils informatiques ? Quels apports les technologies amènent-elles dans ce processus d’apprentissage ? Cet article traitera spécifiquement de cette dernière question. Nous abordons quelques aspects théoriques concernant les caractéristiques des interactions en eTandem en les comparant avec les interactions en tandem face-à-face. Ensuite, nous introduisons les méthodes que nous avons appliquées pour effectuer nos analyses. Nous présentons par la suite les résultats de ces analyses et nous proposons enfin quelques pistes de discussions.

1.

2.

3.

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2. Problématique et cadre conceptuel

9 L’apprentissage en eTandem, issu de l’apprentissage en tandem (face-à-face), permet à deux locuteurs de langue maternelle différente de communiquer pour mener ensemble leur apprentissage en s’aidant l’un l’autre. Il se fonde sur l’autonomie des participants et sur la réciprocité (Little et Brammerts, 1996). L’échange en tandem exige une (co-) construction de sens entres les interlocuteurs, ce qui implique également des stratégies de négociation du sens et de négociation de la forme (Degache et Mangenot, 2007 ; Zourou, 2009). Par ailleurs, comme la communication s’articule toujours entre personnes appartenant à des communautés de langues et de cultures différentes, avec une bonne ingénierie pédagogique, cet échange peut faciliter également l’apprentissage interculturel (Schenker, 2012) et la construction d’une dynamique d'autonomisation sociale (Lewis, 2014).

10 Cependant, quel changement s’opère quand les échanges en tandem passent du face-à- face à la distance ? Comment et dans quel mesure les potentialités offertes par les TIC, avec notamment la pratique de la visioconférence, modifient les interactions en Tandem face-à-face ? La communication en eTandem exige une certaine maîtrise (savoir-faire) des technologies chez les interlocuteurs. Ces mêmes technologies peuvent créer des ruptures dans la communication, à cause de problèmes techniques imprévus.

Les interlocuteurs se trouvent dans un espace virtuel où ils peuvent se voir partiellement mais non « se toucher physiquement ». Cette distance spatiale crée des difficultés d’établir un contact « oculaire », ce qui exige une formation des habitudes des utilisateurs. Enfin, les interactions en eTandem sont multimodales, à la fois synchrones (par le canal visuel, comme pour la conversation face-à-face et par le clavardage) et asynchrones (par e-mail ou message laissé sur Skype ou QQ). En ce qui concerne le canal visuel, les interlocuteurs peuvent contrôler leurs comportements par rapport aux images affichées à l’écran.

11 Dans la communication en ligne, il y a souvent des problèmes engendrés par les conditions matérielles de la transmission de message, par exemple la perturbation de la connexion Internet, problèmes que nous pouvons considérer comme des problèmes locutoires (Bouchard et De Nuchèze, 1987). Par exemple, dans notre corpus, nous avons observé que quand ces problèmes surviennent, les interlocuteurs sont obligés d’en parler : « Je n’ai pas bien entendu, tu peux augmenter le son ? », « Il y a des dérangements », « Mon casque ne marche pas bien, je l’ajuste un peu » etc. D’une part, les technologies amènent ces problèmes locutoires, qui donnent l’occasion aux interlocuteurs de parler de choses de la vie réelle, car ils essaient de résoudre de vrais problèmes plutôt que d’effectuer des tâches didactisées par l’enseignant. D’autre part, dans ces phases de résolution de problèmes locutoires (traitement métalocutoire), il y a des savoirs particuliers, notamment une terminologie propre aux technologies de l’information et de la communication (TIC), qui interviennent, par exemple « connexion », « débit »,

« dérangement » etc. Ces termes spécifiques sont utilisés dans une situation de communication à distance, mais pas dans une situation de communication face-à-face.

Nous pouvons faire l’hypothèse que la résolution des problèmes locutoires par les interlocuteurs peut engendrer des négociations métalinguistiques sur des termes spécifiques pour revenir ensuite sur des termes ordinaires.

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12 Dans les conversations présentielles, les interlocuteurs partagent le même contexte spatial. Mais dans les conversations en ligne, ce n’est pas le cas, il s’agit une présence à distance, c’est-à-dire, une présence partiellement virtuelle en raison de la distance physique, ce qui demande de prendre en compte les contextes spatiaux de chacun.

13 Les interlocuteurs qui communiquent en ligne ne se voient qu’au travers des images partielles de chacun sur leur écran respectif (Marcoccia, 2011). Comme les images de l’un et de l’autre apparaissent partiellement sur l’écran, les contextes spatiaux peuvent parfois devenir l’enjeu des échanges. Par exemple, les interlocuteurs, pour identifier le lieu d’échange, posent la question « tu es où ? ». Dans une communication en eTandem, la technologie de visioconférence permet à deux ou plusieurs interlocuteurs de se connecter depuis n’importe où et depuis n’importe quel support (PC, Mac, tablette, Smartphone ou système de visioconférence de salle de réunion). Comme ils voient non seulement l’image de leur partenaire mais aussi la leur, ils peuvent ajuster leur comportement devant l’écran.

14 Afin de se comprendre l’un et l’autre, les apprenants peuvent ralentir le débit, exagérer une prononciation, ou même commencer à clavarder. Le clavardage permet d’entraîner les rites de salutation et d’adieu, la gestion des malentendus, l’autocorrection, les changements de sujet, les reformulations et favorise la prise de parole des plus timides.

Son aspect ludique et polyphonique pousse les étudiants à démultiplier leurs interventions (Noet-Morand, 2003). Ces comportements sont très différents d’une conversation présentielle. La technologie de visioconférence n’est plus ici un simple média, elle est aussi l’agent qui change les moyens d’interagir entre les interlocuteurs ainsi que les habitudes (Develotte, Kern et Lamy, 2011). La production de sens se fait grâce à la médiation de la langue (interaction linguistique), du corps (mimiques, gestes etc.) et de la technologie (environnement matériel).

15 La multimodalité des conversations en ligne porte donc sur la communication multimodale et les compétences multimodales. Selon Bellik et Teil (1992), « une communication est dite multimodale si elle fait intervenir plusieurs modes de communication dans les échanges d‘information » (p. 1). Cependant, en informatique, ce qualificatif s’applique également pour les communications ne faisant intervenir qu‘un seul mode mais avec plusieurs modalités. Elle concerne à la fois les diverses modalités de communication (clavardage, blog, forum, visioconférence etc.) et les diverses compétences à travailler (compréhension orale, compréhension écrite, orale, lecture etc.) à travers ces modalités de communication.

16 Les technologies, d’une part, en tant qu’outillage d’organisation de l’interaction, médiatisent la communication à distance entre les interlocuteurs pour qu’ils puissent réaliser la co-construction de leurs connaissances. D’autre part, mises en place au service de l’interaction, elles prolongent et accompagnent l’apprentissage, ce qui amène d’autres modalités d’interaction asynchrones et synchrones.

17 La combinaison de modalités multiples dans la conversation en ligne ne constitue pas un obstacle à la participation des interlocuteurs, au contraire, elle encourage et soutient leur prise de parole (Charlier, Deschryver et Peraya, 2006 ; Betbeder, Ciekanski, Greffier, Reffay et Chanier, 2008). Selon Mondada et Dubois (2004), la notion de multimodalité contribue à l’analyse de la construction des tours de parole.

18 La distance se manifeste aussi dans la transition entre l’environnement d’apprentissage en eTandem (bilingue et biculturel) et la vie quotidienne de chacun (monolingue et

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monoculturelle), avant, pendant et après les échanges. Licoppe et Relieu (2007) définissent quatre environnements dans les interactions en ligne entre deux interlocuteurs A et B : « l’environnement réel d’A, l’image de cet environnement sur le moniteur de B, l’environnement réel de B, l’image de cet environnement sur le moniteur d’A » (p. 14).

19 Par ailleurs, dans les échanges en tandem face-à-face, les deux interlocuteurs se trouvent physiquement dans un même pays, donc dans le même environnement. Par contre, cet environnement ne se manifeste pas de la même façon pour chacun : l’environnement de la langue-culture maternelle pour l’un et l’environnement de la langue-culture cible pour l’autre. Le natif (celui qui réside dans le pays) et le non-natif (celui qui fait ses études dans ce pays) se retrouvent pour effectuer l’apprentissage en tandem, formellement ou informellement, pendant une courte période. Après l’échange, le natif retourne à sa vie quotidienne (dans sa langue-culture maternelle), peut-être continue-t-il à étudier sa L2, mais le contact direct avec la langue-culture cible s’interrompt dès la fin de l'échange. Une transition nette s’opère donc pour le natif. Au contraire, l’apprentissage du non-natif ne s’arrête pas, car il continue à vivre dans la situation cible et à communiquer avec les autres natifs dans sa vie de tous les jours, donc l’acquisition en immersion se poursuit.

20 Cette asymétrie de l’environnement langue-culture a un effet sur l’apprentissage des tandems. Nous pouvons même dire que, dans une certaine mesure, le non-natif profite davantage des échanges que le natif. Par exemple, ils se donnent rendez-vous dans un café (ce qui est souvent le cas). Pour commander la boisson ou la nourriture, ils doivent utiliser la langue locale. On suppose que c’est plutôt le natif qui aide le non-natif à faire la commande. Consciemment ou inconsciemment, le non-natif apprend à faire son choix (lexical) et à effectuer la commande (parler et interagir) en communiquant avec une troisième personne, le serveur. L’apprentissage se réalise dans cette situation.

Cependant, nous pouvons faire l’hypothèse que l’asymétrie de l’environnement d’apprentissage rend plus difficile la réalisation du principe de réciprocité dans le cas du tandem en présentiel, particulièrement pour le natif qui doit équilibrer son rôle entre « expert » et « apprenant ».

21 En revanche, dans les interactions en eTandem, les deux locuteurs se retrouvent en ligne pour effectuer l’apprentissage de la L2 de chacun. Après l’échange, chacun retrouve son propre espace réel. Ce parcours entre l’environnement en ligne et la vie réelle est, cette fois-ci, symétrique. Cette symétrie implique une organisation de la part des deux interlocuteurs pour vivre ces échanges à distance. Par exemple, ils doivent fixer les rendez-vous en consultant les décalages horaires et les agendas de chacun, ce qui peut créer de nouveaux sujets de discussion qui n’étaient pas été prévus. Ainsi, cette organisation demande un effort réciproque de chacun pour définir tout au long de l’échange les rôles « d’expert » et « d’apprenant ».

22 Marcoccia (2011) mentionne que l’environnement réel de chacun, un lieu formel (au bureau, dans une salle de classe, un laboratoire de langue) ou informel (domicile), peut conduire l’échange vers une conversation plus formelle ou informelle. Dans les échanges en tandem face-à-face, même institutionnalisé, les étudiants peuvent décider le lieu de rendez-vous, par exemple dans un café, ou même chez eux. Avec ces échanges, les étudiants peuvent développer une certaine amitié et ils peuvent également organiser des activités sociales. Il est possible que l’apprentissage devienne donc petit à petit plus informel et social. Dans le cas du eTandem, à cause de la distance

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physique, les interlocuteurs ne peuvent pas se trouver dans un lieu réel commun pour effectuer ensemble des activités sociales. Cependant, cette contrainte peut favoriser l’apprentissage car les interlocuteurs se focalisent plus sur les tâches didactisées.

23 Nous pouvons faire l’hypothèse que la déviation des tâches didactisées vers les tâches improvisées ne s’exerce pas de la même façon dans le cas du tandem présentiel que dans le cas du eTandem. Dans le cas du tandem présentiel, comme les partenaires partagent le même environnement, le même horaire, la même vie etc., ils se laissent plus facilement distraire. Par exemple, ils ont plus tendance à parler des évènements qui se déroulent autour d’eux. Par contre, dans le cas du eTandem, ce passage de la didactisation à l’improvisation se manifeste peut-être de manière moins évidente qu’en tandem présentiel. Les interlocuteurs ne sont pas connectés au même environnement, ils ont peut-être moins tendance à parler de sujets improvisés. Il est aussi possible que leur improvisation ou leur distraction reste liée aux tâches didactisées.

24 Les travaux sur les conversations en ligne nous fournissent des pistes pour réfléchir non seulement aux différences entre les échanges en tandem présentiel et en eTandem, mais aussi aux caractéristiques des interactions en eTandem. Nous constatons que les contextes spatiaux ne se présentent pas de la même manière dans les échanges en tandem face-à-face et les échanges en eTandem. Mais en quoi diffèrent-ils, en particulier dans le cas des langues-cultures distantes comme le français et le chinois ? De plus, comment l’organisation et la gestion de l’échange en eTandem se réalisent-t- elles à travers la distance ? C’est-à-dire, comment la distance influence-t-elle les comportements des interlocuteurs lorsqu'ils interagissent avec l’artefact ? Comment la relation interpersonnelle entre les interlocuteurs se construit-elle à distance ?

25 Nous abordons donc ici la question centrale de cet article : quel est l’impact des TIC sur ces échanges, au niveau de l’organisation, au niveau de la réalisation des rôles d’expert et d’apprenant, au niveau des compétences interculturelles etc. ? Cette question touche aux stratégies d’apprentissage liées aux TIC et à la réalisation des rôles d’expert et d’apprenant en lien avec les outils informatiques.

3. Méthodologie

26 Pour répondre à ces questions, nous avons effectué une analyse des interactions didactiques entre pairs. Elle s’inspire de l’analyse conversationnelle en milieu

« naturel », à savoir une étude du « parler-en-interaction » (Pekarek Doehler, 2000).

L’objectif de notre analyse est de savoir comment le natif et le non-natif arrivent à se faire comprendre avec leurs capacités linguistiques limitées, comment l’acquisition/

apprentissage des L2 se réalise ou non dans l’échange en ligne et surtout quel rôle jouent les technologies dans ces processus.

27 Un corpus oral et multimodal a été constitué pour effectuer cette analyse. Ce corpus contient 11 séances d’interaction que nous avons filmées (environ 60 minutes par vidéo) dans le laboratoire de langue ou qui ont été filmées par les étudiants (à domicile). Ces séances sont transcrites avec des conventions adaptées aux besoins de notre recherche (Gajo et Mondada, 2000) et à la spécificité de la langue chinoise (tableau 1). Les parties en chinois ont été traduites en français (en couleur grise et en italique pour rendre le contenu plus accessible aux non-sinophones).

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28 Nos données comprennent, en plus de la transcription des vidéos, les résumés produits par les apprenants en langue maternelle et les questionnaires remplis après chaque séance d’échange.

Tableau 1. Convention de transcription (à partir de la convention de Gajo et Mondada, 2000)

29 Parmi les nombreux outils pour effectuer une analyse des interactions entre les pairs, nous nous sommes particulièrement intéressée aux séquences potentiellement acquisitionnelles (SPA) proposées par De Pietro, Matthey et Py (1989). La SPA nous fournit un moyen d’analyser les processus au cours desquels les interlocuteurs jouent respectivement les rôles « d’expert » et « d’apprenant ». La SPA aide à « préciser les circonstances dans lesquelles l’apprenant est susceptible de saisir un fonctionnement de la langue cible » (Véronique, 1992, p. 9). Gajo et Mondada (2000) résument le schéma d’acquisition observable entre le natif (N) et le non-natif (NN) avec la SPA :

NN : manifestations d’une difficulté N : donnée

NN : prise

N : ratification, évaluation, confirmation NN : saisie.

30 Dans ce processus, l’apprenant produit des énoncés en utilisant les moyens offerts par son interlangue, puis le natif réagit en lui donnant une réponse adaptée : confirmer ou corriger/reformuler les énoncés de l’apprenant. L’apprenant prend en charge la correction/la reformulation et produit de nouveaux énoncés en utilisant les formulations adéquates proposées par le natif. Ces prises peuvent être en écho, en usage immédiat ou à distance des énoncés. C’est par la saisie ou la prise à distance que l’apprentissage se réalise vraiment.

4. Résultats

31 Ce que nous observons, c’est que dans le processus de résolution des problèmes mis en œuvre lors de l’apprentissage, les TIC, au-delà de leur rôle en tant qu’outil de communication, jouent un rôle particulier dans les échanges. Ceci constitue le résultat

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principal de l’analyse que nous allons détailler ici en quatre points : (1) les problèmes locutoires, (2) l’outil de clavardage comme prolongement des stratégies de communication, (3) la thématique de l’espace dans les conversations et enfin (4) les éléments culturels comme sujet de discussion.

4.1. Problèmes locutoires

32 Dans notre corpus, nous avons souvent observé des problèmes locutoires, par exemple la perturbation de connexion Internet, les problèmes pour utiliser certains logiciels etc.

33 Dans l’Extrait 1, les interlocuteurs rencontrent un problème de connexion, ce qui les oblige à parler des « dérangements » (329). En raison de la mauvaise connexion, D la sinophone comprend « rangement » (330) au lieu de « dérangements ». C’est seulement plus loin que D entend et répète le mot « dérangement » (338), mais elle ne trouve pas ce mot dans son dictionnaire (340). La francophone B réfléchit et donne à D les mots « Il y a un problème »2et « technique » (341). D devine alors ce qu’elle voulait dire et trouve finalement le mot en chinois « 技

术问题

» et l’annonce à B (342). B prend ce mot en employant l’équivalent de « problème technique » en chinois (359). Nous voyons bien ici une réflexion métalinguistique du côté de B et une co-construction de connaissance entre D et B.

34 Plus loin dans cet extrait, comme le problème de connexion n’est toujours pas réglé, B propose de « reconnecter » sur Skype (351 et 355). D ne comprend pas le mot

« reconnecter », du coup elle cherche un mot plus ordinaire (« recommencer », 356) pour tester sa compréhension. B voit sa difficulté et lui donne une contextualisation

« reconnecter le Skype » (357). D finit par comprendre le mot « reconnecter » (358).

Extrait 1 : francophone B et sinophone D

323 B : 我听不见,有,有 Je n'entends pas, il y a, il y a,((geste de la main gauche sur son oreille))

324 D : ((geste des mains sur son casque)) Tu m’entends ? 噪音吗,有噪音吗 Il y a de la friture sur la ligne, de la friture...

325 B : Euh, il y a, il me coupe toujours.

326 D : ((vérifie son ordinateur)) 327 B : Allo ?

328 D : Oui ((s’approche de l’ordi))

329 B : Ok, c’est mieux maintenant ! Je crois. Il y a toujours des dérangements. Allô ? Tu ne m’entends pas ?

330 D : ((tête baissée, puis lève la tête)) Oui ! C’est quoi le rangement ? Ran-ge-ment /

331 B : Ah, comment ?

332 D : Tu dis, tu dis le mot rangement, c’est quoi ? / 333 B : ((fronce les sourcils)) Euh, quoi ? /

334 D : Tout à l’heure, tu as dit le mot range-ment, n’est-ce pas ? / 335 B : Euh, 我听不见je n'entends pas。

336 D:你刚刚, 刚刚说了一个单词 Tu viens juste de dire un mot, rangement, c’est quoi ? /

337 B : Dérangement ! \ 338 D : Ah, dérangement, oui.

339 B : Dérangement.

340 D : ((cherche dans son dico)) dérangement, c’est quoi ? /

341 B : ((baisse la tête, regarde dans son dico)) 有问题,嗯,技术, Il y a un problème, euh, technique。

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342 D:哦,技术问<jìshù wèntí> , Oh, un problème technique。Tu m’entends maintenant ?

343 B : ((retourne vers l’écran)) Euh, oui.

344 D : Ok.

345 B : Ok. Tu disais quoi avant ?

346 D : Je dis que tu as dit un mot, mais je ne comprends pas.

347 B : 我听不见,有,有这个, Je n'entends pas, il y a, il y a ce

348 D :技术问题<jìshù wèntí> un problème technique, maintenant je sais. Tu m’entends, tu m’entends maintenant ?

349 B : 有问题, il y a un problème, il coupe toujours, euh-euh-euh ((geste des mains pour signifier couper)) 就是我听不c'est que je n'entends pas。((geste de la main droite sur son oreille))

350 D : 哦,哦 Oh, oh

351 B : Euh, attends, peut-être, je vais reconnecter peut-être.

352 D : Oui.

353 B : Allo ?

354 D : Oui ! oui, oui. Qu’est-ce que XXX ((D continue la question, n’a pas compris ce que B a dit))

355 B : Euh, je vais reconnecter.

356 D : Reconnecter ? c’est recommencer ? 357 B : Reconnecter le Skype.

358 D : Ok.

359 B : Euh, parce que je, il y a de problème,有...(3s),嗯,遇到了技术问题 Euh, il y a eu un problème technique

360 D:哦 Oh,ne t’inquiète pas.

361 B : Ok attends, je vais te rappeler. Je vais te rappeler.

362 D :Ok. 技术问题un problème technique。...(5s) Ok ?

35 L’extrait ci-dessus montre bien que la résolution des problèmes locutoires amène les interlocuteurs vers un travail de négociation métalinguistique qui favorise l’acquisition des langues.

36 Ces moments de négociation métalocutoire font intervenir des savoirs linguistiques particuliers, notamment une terminologie spécifique aux TIC, par exemple

« dérangement » dans cet extrait. On n’utilise ce terme que dans une situation de communication au téléphone ou avec un ordinateur.

37 La négociation métalocutoire concerne la résolution des problèmes matériels de la communication. Alors quelles solutions métalocutoires les interlocuteurs appliquent-ils pour résoudre ces problèmes ? En analysant les séquences suivantes de cet extrait, nous remarquons que la résolution de ces problèmes exige de la part des apprenants des compétences multimodales, entre autres techniques et langagières.

4.2. Clavardage comme stratégie de résolution de problèmes

38 Nous avons observé dans notre corpus que les échanges en binôme amènent les apprenants à développer des stratégies d’apprentissage liées aux outils numériques pour résoudre les problèmes de communication. Pour résoudre ces problèmes, les interlocuteurs utilisent le clavardage, des moteurs de recherche, des applications téléphoniques (WeChat, WhatsApp) et réalisent les rôles d’expert et d’apprenant (toujours sur la dimension langagière) tout au long des échanges.

39 Toujours dans le même échange entre B et D, B se reconnecte sur Skype. Skype fonctionne pendant trois minutes mais le problème surgit de nouveau. B coupe à nouveau et relance Skype plus tard. Mais la connexion ne marche toujours pas très bien

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et elle s'interrompt encore une fois. B continue d’essayer de se connecter sur Skype, D s’inquiète toujours. Voici son monologue : « j'ai découvert qu'elle se trouve carrément en rupture de connexion et moi alors? ».

40 Elle essaie de contacter B via le clavardage sur Skype. B propose qu’elles continuent l’échange via un autre logiciel, QQ. D est d’accord et elle se connecte sur QQ pour vérifier que B est là. Mais elle découvre que B n’est pas dans sa liste d’amis. Du coup, elle recontacte B via Skype pour l’informer que cette dernière n’est pas dans sa liste d’amis.

41 L’Extrait 2 présente le clavardage sur Skype entre les deux filles.

Extrait 2 : francophone B et sinophone D 420 B : 怎么了? Qu’est-ce qu’il y a ?

421 B : 我上 QQ。Je me mets sur QQ.等一等。 Attends.

422 D : Ok. 上QQ. Sur QQ.

423 D : 你没有加我啊。Tu ne m'as pas ajoutée à tes contacts.我们怎么对话?Comment on communique ?

42 B reprend le contact avec D 20 minutes plus tard sur Skype (voir l’Extrait 3)

Extrait 3 : francophone B et sinophone D

423 B : Ok, c’est beaucoup mieux maintenant. ((sourit)).

424 D : Oui, oui, oui, ok. On CONTINUE ((rit)) 425 B : Ok, on continue. Alors, tu disais quoi avant ?

43 Ces séquences de communication nous montrent bien les stratégies que les deux interlocutrices appliquent. L’outil clavardage, les messageries instantanées QQ, MSN sur ordinateur et les applications téléphoniques, notamment WeChat et WhatsApp, viennent compléter ce choix et peuvent se substituer à la visiocommunication quand celle-ci est interrompue pour raisons techniques.

44 Notre analyse montre que l’outil de clavardage en tant que stratégie de résolution de problèmes, a été utilisé très fréquemment par les interlocuteurs pour réaliser le rôle d’expert. Le clavardage facilite l’intercompréhension au travers d’une démarche de clarification par écran interposé et sert d’outil d’explication et de transmission des données linguistiques. Pour les sinophones, il aide à l’acquisition de l’orthographe et pour les francophones à la reconnaissance des sinogrammes, à la lecture de leur pinyin et donc à l’attribution d’une prononciation au sinogramme étudié. Cependant, ceci n’est pas appliqué de la même façon par les interlocuteurs. Par exemple, les interlocuteurs qui se focalisent plus sur la négociation du sens n’utilisent pas le clavardage aussi fréquemment que les interlocuteurs qui se focalisent plus sur la négociation de la forme.

45 Dans l’Extrait 4, le francophone R utilise souvent le clavardage pour fournir des données linguistiques à son partenaire sinophone (81, 225).

Extrait 4 : francophone R et sinophone Y

78 Y : Euh, euh, nous habitons, nous sommes, nous avons habité, euh, à un petit l’hôtel, à un petit hôtel

79 R : Ah, petit hôtel, 小旅馆un petit hôtel ?/

80 Y : Oui, oui.

81 R: 小旅馆un petit hôtel, d’accord. Petit hôtel. ((prend des notes)) Euh, on peut dire aussi, nous sommes, nous sommes restés ((clavardage))

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82 Y : ((lit le message sur l’écran)) Nous sommes restés dans un petit hôtel.

……

224 Y : ((rire)) Oui, il y a beaucoup de Chinois. Hem, euh, je espère, je suis, j’espère, j’irai, j’irai à l’étranger un jour.

225 R : Oui, c’est juste, oui, oui. On dit aussi j’espère ((clavardage)) 226 Y : ((lit l’écran)) J’espère aller à l’étranger un jour. ((sourit))

46 Cependant, dans un autre échange du même binôme, la sinophone Y, contrairement à son partenaire francophone R, n’utilise pas le clavardage en priorité, comme le montrent les séquences SPA des extraits 5 à 7.

47 Dans l’Extrait 5, le francophone bute sur le mot « visiter » (227). Il demande à la sinophone comment dire ce mot en chinois. Elle lui fournit le mot en chinois seulement à l’oral (228).

Extrait 5 : francophone R et sinophone Y

227 R : Hem, comment on dit visiter en chinois ? 228 Y : Visiter, 参观 <cānguān> visiter。

229 R : 参观 <cānguān> Visiter。嗯,你想参观什么国家Euh, tu aimerais visiter quels pays ?

48 Un peu plus tard dans la conversation (Extrait 6), le francophone oublie le mot et redemande à la sinophone (267). La sinophone lui fournit le mot par une expression (274).

Extrait 6 : francophone R et sinophone Y

267 R : ((s’approche de l’écran)) Comment on dit visiter en chinois ? Visiter 中文怎 么说 Comment on dit en chinois?

……

273 R : Oui, visiter un musée.

274 Y : 参观博物馆。Visiter un musée.

275 R : Ah, d’accord. 参观博物馆。Visiter un musée.

49 Plus loin dans la conversation (Extrait 7), il bute une troisième fois sur ce mot (377).

Cette fois-ci, la sinophone corrige aussi sa prononciation et lui fournit le mot écrit par clavardage (380-382).

Extrait 7 : francophone R et sinophone Y

377 R : … tu sais comment on dit visiter en chinois ? visiter 用中文怎么说 en chinois, comment dit-on ?

378 Y : 参观<cānguān>,参观<cānguān> Visiter, visiter。 379 R : 参观<cànguān> visiter,ah, d’accord.

380-382 Y : (améliore sa prononciation) cān,参观。灿<càn> brillant, 参<cān>

participer。 (clavardage)

383 R : Ah, d’accord. 参观。我喜欢参观大城市Visiter, j'aime visiter les grandes villes

。J’aime visiter des grandes villes. Euh, c’est ça. 参观。

50 Ces extraits ne sont pas suffisants pour dire que le francophone a acquis ce mot参

<cānguān> . Nous pouvons estimer qu’il ne suffit pas d’une SPA pour apprendre ou acquérir. Il faut plusieurs SPA, ou un prolongement d’une SPA, pour effectuer l’apprentissage. Cependant, ces extraits rendent visibles les diverses stratégies, surtout l’utilisation du clavardage, dans la réalisation du rôle d’expert.

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4.3. Thématique du temps dans les conversations

51 Nous avons observé que les décalages temporels propres à ces échanges virtuels, à certains moments, peuvent devenir des sujets de discussion en soi. Ces sujets peuvent être liés au moment ou au lieu de communication, quand il y a des choses à négocier, par exemple le décalage horaire.

52 Dans l’Extrait 83, la sinophone a constaté qu’à certaines tranches horaires, le réseau Internet était surchargé et les connexions défaillantes. Pour cette raison, elle propose à la francophone O de changer de manière définitive leur heure d’échange. Ce sujet de discussion implique des enjeux linguistiques particuliers. Par exemple, il y a un vocabulaire autour du temps : « à quelle heure » (510), « avant midi » (511), « Avant 10 heures », » de sept heures à douze heures » (615) et plus loin dans l’échange (hors de l’extrait 8), « De 12 heures, de midi à 5 heures l'après-midi », « Le matin », « l'après-midi de deux à quatre heures », « Vendredi soir », « Jusqu'à 11 heures 30 », « avancer d'une heure

», » décaler d'une heure » etc.

53 Nous avons aussi pu observer, dans les échanges qui suivent l’extrait 8, des expressions qui montrent la gestion de la modalité : » peut-être », « c’est possible… ? », « des fois »,

« pouvoir », « je ne peux pas », « je peux », « c’est possible », « ça ne peut pas aller », « je dois » etc.

Extrait 8 : francophone O et sinophone W

509 W :Euh, ah, je me souviens de quelque chose, euh, est-ce que tu es libre jeudi, jeudi l’après-midi ?

510 O :Euh ((geste de la main droite sur son épaule)) à quelle heure ?

511 W : Euh, euh ((regarde au ciel, réfléchit)) en France c’est avant midi, l’avant midi. Oui, de, de, de, de 两点十分 2h10, de sept heures à douze heures, oui ? Tout l’après-midi, est-ce que, à quelle heure, est-ce que vous, est-ce que tu as le temps ? 512 O :((O n’a pas bien compris)) A quelle heure à Wuhan ?

513 W:武汉,就是整个下午 À Wuhan, l'après-midi entière。从十二点,从中午十 二点到下午五点 De 12 heures, de midi à 5 heures l'après-midi。我们的时差现在是七个 小时,对吧 À présent nous avons bien 7 heures de décalage horaire, c'est ça?

514 O :((regarde à côté, l’air de calculer)) 哦,对 Oh, c’est ça!

515 W:十二点就是七点,就是从你早上起床,从七点到中午十二点都可以 12

heures, c’est-à-dire de 7 heures, c’est-à-dire depuis le matin quand tu te lèves, de 7 à 12 heures, c'est possible。你有时间吗 Tu as le temps?

516 O :((regarde au ciel, main droite sur le menton)) 十点以前可以 Avant 10 heures c'est possible

517 W:十点以前可以 Avant 10 heures c'est possible 518 O:嗯 Euh!早上Le matin XXX。

519 W:你早上有时间,是吧 Tu as le temps le matin, c'est ça?/ 520 O:嗯 Euh ((regarde quelque chose))

521 W:你早上十点就是,到这边就是五点 10 heures du matin pour toi ça, ça correspond de mon côté à 5 heures.

522 O:是五点,前 C'est avant 5 heures。

523 W : Oui, 我们做这个对话的时间可以改到星期四吗 ?Est-ce que nous pouvons reporter au jeudi le moment où nous faisons notre échange ?

524 O:可以啊 C’est possible

……

561 W:星期四的三点到四点,星期四下午,就是,到你们那边就是,十五减 七,就是八点到九点,早上八点到九点,可以吧? Le jeudi de trois à quatre heures,

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le jeudi après-midi, donc ça correspond pour chez vous là-bas à quinze moins sept, c'est donc de huit à neuf heures, le matin de huit à neuf heures, c'est possible ?

562 O:嗯,可以 Euh, c'est possible!((fait un signe d’accord avec la tête))

4.4. Éléments culturels comme sujet de discussion

54 Quand elles sont sujet de discussion, les technologies apportent des éléments culturels.

Par exemple, les interlocuteurs peuvent négocier les tranches horaires pour fixer l’heure de l’échange. Cette discussion leur permet de comparer l’emploi du temps des étudiants universitaires entre la Chine et la Suisse. Elle peut aller plus loin jusqu’à la comparaison entre l’éducation supérieure en Chine et en Suisse. Par ailleurs, les technologies elles-mêmes peuvent aussi devenir des sujets de discussions interculturelles. Par exemple, dans l’Extrait 9, les deux interlocuteurs discutent des différents outils numériques utilisés en Chine et en Suisse : mini blog, WeChat, messagerie instantanée, Skype etc. Cet échange offre aux apprenants l’occasion de vivre une expérience interculturelle.

55 Dans l’Extrait 9, les outils informatiques mentionnés par les interlocuteurs apportent des éléments culturels. Par exemple, la présentation des TIC n’est pas nécessairement la même entre la Suisse, la France et la Chine. Les interlocuteurs ont des préférences, des outils informatiques différents : Micro blog (210, 211, 214) et WeChat (218, 220) pour les Chinois, Skype et MSN pour les Suisses et les Français. On voit bien que les vecteurs technologiques ne sont pas tout à fait les mêmes dans les différentes cultures. Plus loin dans l’échange (hors de l’extrait 9), WhatsApp et Facebook sont aussi abordés, en ce qui concerne les Européens.

56 Nous remarquons ici que le sujet de discussion implique ou exige certains aspects linguistiques particuliers liés à ces outils de communication. Par exemple, nous constatons que la sinophone utilise les mots « bavarder » (222, 242), « camarades » (240),

« partenaire » (240) pour décrire les outils de communication qui désignent plutôt le côté émotionnel et social. Le francophone quant à lui utilise des mots plus neutres comme « application » (219), « un système avec une vidéo » (233), « un système de messagerie instantanée » (225), « un système pour communiquer avec les amis » (241),

« système de mini chat » (239) pour le même objectif. Il se peut que la différence soit liée à la différence entre homme et femme. Dans notre corpus, il apparaît que les femmes utilisent un vocabulaire plus émotionnel, les hommes un vocabulaire plus neutre. Mais notre corpus étant très réduit pour tirer de réelles conclusions, une étude spécifique devrait être menée.

Extrait 9 : francophone R et sinophone Y

210 Y :Est-ce que tu aimes le blog, tu sais, le micro blog ?

211 R :Micro blog, non, je n’ai pas de blog. ((hoche la tête pour dire non)) ((rire)) 212 Y :Ah, oui ((rire))

213 R :Blog, 中文怎么说Comment dit-on ‘blog’ en chinois?

214 Y :Micro blog, c’est 微博 <wēibó> micro blog。

215 R:微博<wēibó> micro blog,ah, ok. 你有一个微博吗Est-ce que tu as un micro blog

216 Y :Oui, oui.

217 R :((rire)) 微博。我没有微博Micro blog, non je n'ai pas de micro blog。

218 Y :((demande à quelqu’un d’à côté : 微信怎么说comment dit-on ‘Weixin’ WeChat

?)) Euh, en Chine, on utilise aussi le WeChat, tu sais ?

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219 R :WeChat, c’est comme une application, non ? / 220 Y :En chinois, c’est 微信 <Wēixìn> WeChat。

221 R:微信<Wēixìn> WeChat。

222 Y :Oui. C’est aussi un moyen pour bavarder avec nos amis.

223 R : Ah, ok. ((regarde son dico)) C’est 即时通讯 <jíshí tōngxùn> une messagerie instantanée?即时通讯Une messagerie instantanée?

224 Y:通讯工具 <Tōngxùn gōngjù> Un outil de messagerie。

225 R:通讯 <Tōngxùn> Messagerie。C’est un système de messagerie instantanée.

226 Y :Euh ? Est-ce tu peux répéter ?

227 R :C’est un système de messagerie instantanée ((ralentit le débit)). Euh, je vais écrire. ((clavardage))

228 Y :((lit l’écran)) Messagerie instantanée.

229 R :C’est un peu difficile. Je crois en chinois c’est 即时通讯<jíshí tōngxùn> une messagerie instantanée。

230 Y :Hem. Peut-être oui.

231 R :Oui, instant message ((il parle anglais)) 232 Y :Hem, euh, il, c’est, il ressemble à Skype.

233 R :Skype, d’accord. C’est un système avec une vidéo ? 234 Y :Non, on peut écrire.

235 R :Ah, d’accord. 我们可以写Nous pouvons écrire

236 Y :Euh, d’après mon ami, euh, 他们也有很多,有很多国外的人也用微信ils ont aussi beaucoup, il y a beaucoup d'étrangers qui utilisent aussi WeChat。

237 R:微信是什么意思Weixin qu'est-ce que ça veut dire 238 Y : WeChat.

239 R :Beaucoup de gens utilisent ce système de mini chat ?

240 Y :Oui. Euh, 我同学,他们的-国外的朋友,搭档,e搭档, mes camarades - leurs amis étrangers, leur tandem, leur eTandem etandem

241 R :C’est un système pour communiquer avec les amis, c’est ça ? 242 Y:他们也会用那个聊天ils l’utilisent aussi pour bavarder

243 R:聊天bavarder, ah, d’accord. C’est pour communiquer avec les amis ? 244 Y :Oui, oui, communique avec, avec des amis étrangers. Donc, euh, je te pose de question.

245 R :Ah, d’accord. Ok. Comment ça s’appelle ? 246 Y :En chinois, c’est 微信WeChat。((clavardage))

247 R :Ah, d’accord ((lit l’écran)). Ah, OUI. Comme micro, MSN, non ? C’est ça ? / 248 Y : Oui.

5. Discussion

57 Notre analyse montre que les TIC offrent l’opportunité de formater et d’enrichir la communication à travers les quatre aspects susmentionnés : (1) problème locutoire, (2) clavardage comme stratégie de résolution des problèmes de communication, (3) thématique du temps dans les conversations et (4) éléments culturels comme sujet de discussion. Tous ces éléments favorisent l’apprentissage.

58 Les problèmes locutoires sont ici des problèmes engendrés par les technologies. Ils donnent non seulement l’occasion aux interlocuteurs d’en parler, mais font aussi intervenir des savoirs particuliers, notamment les termes spécifiques aux TIC.

59 Le recours aux supports/aux ressources numériques différents s’observe dans la réalisation du rôle d’expert. Parmi ces supports, nous avons remarqué que l’outil clavardage est utilisé très fréquemment par les interlocuteurs. Cependant, le clavardage comme stratégie de résolution de problèmes n’est pas appliqué avec la même priorité par tous.

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60 Notre analyse montre que les TIC constituent un apport non seulement en matière d’outils de résolution de problèmes et de construction métalinguistique, mais aussi en termes d’interculturalité. Les technologies peuvent susciter des discussions ou même devenir des sujets de discussion, par exemple une négociation des horaires de rencontre ou une comparaison des outils informatiques utilisés en Suisse et en Chine.

De plus, les TIC peuvent apporter des éléments culturels directement dans la discussion. Comparer des outils informatiques est en soi très interculturel. En effet, cela permet aux interlocuteurs de se rendre compte des utilisations différentes d’un même outil ou l’utilisation d’outils différents pour communiquer. Par exemple, les étudiants suisses et français utilisent beaucoup plus l’e-mail pour communiquer entre eux que leurs partenaires sinophones. Les étudiants chinois préfèrent créer un groupe QQ ou WeChat pour communiquer entre eux. De plus, l’enseignant l’utilise aussi pour diffuser des annonces ou des informations formelles aux étudiants en Chine. Ainsi, des étudiants francophones pourraient mieux comprendre, dans leur vie professionnelle future, pourquoi les collègues sinophones utilisent QQ ou WeChat.

61 Les technologies rendent la communication exolingue en eTandem possible, ce qui donne l’occasion aux étudiants à la fois de développer leurs compétences communicatives et d’expérimenter leurs compétences interculturelles. Les deux compétences se développent en parallèle avec les diverses compétences à travailler (compréhension orale et écrite etc.). Une convergence est observée entre les technologies et le développement de ces deux compétences, car les TIC interviennent comme prolongement des ressources de résolution des problèmes pour gérer le travail métalinguistique.

6. Conclusion et perspectives

62 La co-construction de compétences linguistiques et la prise de conscience interculturelle via des outils informatiques en mode eTandem montrent non seulement les caractéristiques multimodales de ces échanges, mais aussi des expériences interculturelles vivantes.

63 D’une part, au niveau de l’apprentissage, les TIC permettent aux étudiants de construire de nouvelles stratégies de communication et de prolonger les stratégies de négociation. Ceci nous amène à reconsidérer la théorie des SPA, qui n’a pas encore inclus l’application des TIC dans le schéma d’acquisition de l’apprenant en communication avec le natif, notamment dans les communications exolingues en ligne.

Il sera intéressant de continuer la recherche dans cette voie, surtout des analyses des interactions multimodales dans les communications exolingues entre les langues et les cultures distantes.

64 D’autre part, au niveau de la didactique, les apports des TIC nous amènent à reconsidérer la construction des activités d’apprentissage relevant des perspectives actionnelle et interculturelle.

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NOTES

1. Moodle est une plate-forme d'apprentissage en ligne sous licence libre servant à créer des communautés s'instruisant autour de contenus et d'activités pédagogiques. Le mot est l’abréviation de Modular Object-Oriented Dynamic Learning Environment en anglais, et « Environnement orienté objet d'apprentissage dynamique modulaire » en français (Brandl, 2005).

2. Dans ce qui suit les mots/les phrases en gris italique sont les mots/les phrases traduits en français du chinois.

3. La négociation des horaires entre ces deux interlocutrices a duré 7 minutes. Nous citons ici qu’un court extrait de cette conversation.

RÉSUMÉS

A partir de l’analyse de 11 vidéos filmées d’un cours universitaire eTandem chinois-français, cet article s’intéresse aux apports des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans la situation particulière du eTandem pour l’apprentissage des langues-cultures, à travers les quatre aspects suivants : (1) résolution des problèmes locutoires, (2) clavardage comme stratégie de résolution de problèmes de communication, (3) thématique du temps dans les conversations et (4) élément culturel comme sujet de discussion. L’analyse montre que les problèmes technologiques donnent non seulement l’occasion aux interlocuteurs d’en parler, mais font aussi intervenir des savoirs particuliers, notamment les termes spécifiques aux TIC. Les stratégies de résolution de problèmes sont prolongées et enrichies par les outils informatiques, en particulier l’outil de clavardage. Les TIC peuvent ainsi apporter des éléments culturels directement dans la discussion ou susciter des échanges ou même devenir des sujets de discussion.

Based on a detailed analysis of 11 videos filmed from a university Chinese-French eTandem course, this article explores the role of Information and Communication Technologies (ICTs) in the particular situation of eTandem for language-culture learning through four aspects : technical problems, chat as problem-solving strategy, “time” in the conversation and cultural elements as discussion topics. The analysis shows that technological problems give not only the

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opportunity for the interlocutors to talk about them but also involve specific knowledge, in particular the specific terms related to ICTs. Problem solving strategies are extended and enhanced by digital tools, especially the Chat. ICTs can bring cultural elements directly into the discussion, trigger other exchanges or even become topics for discussion.

INDEX

Mots-clés : eTandem, chinois langue-culture étrangère, français langue-culture étrangère, technologies de l’information et de la communication (TIC)

AUTEUR

JUE WANG-SZILAS

Faculté des lettres, Université de Genève, Genève et PLIDAM, Inalco, Paris jue.wangszilas@unige.ch

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