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REVUE DE LA LITTÉRATURE
Données comparatives moléculaires,
précliniques et cliniques des différentes souches de bacille de Calmette-Guérin
(BCG) : revue de la littérature du Comité de cancérologie de l’Association franc ¸aise
d’urologie (CCAFU)
Molecular, preclinical, and clinical comparative data regarding different strains of bacillus Calmette-Guérin (BCG): Review by the French Urological Association Oncology Committee (CCAFU)
Y. Neuzillet
a,∗, F. Dubosq
b,c, E. Xylinas
d, P. Colin
e, E. Comperat
f, N. Houede
g, S. Larre
h,
A. Masson-Lecomte
i, G. Pignot
j, P. Puech
k, M. Roumiguie
l, A. Mejean
m, M. Roupret
naServiced’urologie,hôpitalFoch,universitéVersailles—Saint-Quentin-en-Yvelines,40, rueWorth,92150Suresnes,France
bServiced’urologie,cliniquedeMeudon,92360Meudon,France
cCliniquedel’Alma,75007Paris,France
dServiced’urologie,hôpitalCochin,universitéParisDescartes,75679Paris,France
eServiced’urologie,hôpitalprivédelaLouvière,généraledesanté,59000Lille,France
fServiced’anatomopathologie,groupehospitalierdelaPitié-Salpêtrière,université Pierre-et-Marie-Curie,75013Paris,France
gServiced’oncologiemédicale,CHUdeNîmes,30000Nîmes,France
hServiced’urologie,CHUdeReims,51000Reims,France
iServiced’urologie,hôpitalHenri-Mondor,universitéParis-Est,94010Créteil,France
jServiced’urologie,hôpitalBicêtre,universitéParis-Sud,94270LeKremlin-Bicêtre,France
kServicederadiologie,CHRUdeLille,59037Lille,France
lServiced’urologie,CHURangueil,31400Toulouse,France
∗Auteurcorrespondant.
Adressee-mail:y.neuzillet@hopital-foch.org(Y.Neuzillet).
http://dx.doi.org/10.1016/j.purol.2015.10.011
1166-7087/©2015ElsevierMassonSAS.Tousdroitsréservés.
122 Y.Neuzilletetal.
mServiced’urologie,hôpitaleuropéenGeorges-Pompidou,universitéParisDescartes, 75015Paris,France
nServiced’urologie,groupehospitalierdelaPitié-Salpêtrière, universitéPierre-et-Marie-Curie,75013Paris,France
Rec¸ule3septembre2015;acceptéle30octobre2015 DisponiblesurInternetle27novembre2015
MOTSCLÉS BCG; Vessie; Souche; Génome; Cytotoxicité; Réaction immunitaire; Efficacité; Tolérance
Résumé
Objectif.—Rapporterles différencesexistantes entreles différentessouches de BCG utili- séespourletraitementdestumeursdelavessien’infiltrantpaslemuscle(TVNIM)surleplan moléculaire,delacytotoxicité,del’immunogénicité,del’efficacitécliniqueetdelatolérance.
Matérieletméthode.—Une recherche bibliographique a été conduite à partir de la base dedonnéesbibliographiquesMedLineàpartirdesmotsclés suivants:BCG;vessie;souche; génome;cytotoxicité;réactionimmunitaire;efficacité;tolérance.
Résultats.—DesdifférencesgénétiquesentrelessouchesdeBCGontétémisesenévidence etcorréléesà leurdélaide différenciationdepuisleur miseen cultureinitiale,présumant d’unemoindrerésistanceaux défensesimmunitairesde l’hôtedes souches Ticeet danoise vis-à-visdelasoucheConnaught.Lesdonnéescomparativesprécliniquesontmontréuneffet cytotoxiqueetuneimmunogénicitésupérieuredelasoucheConnaughtparrapportauxsouches Ticeetdanoise.LesétudesdephaseIIIontmontréuneefficacitésupérieureduBCGConnaught vis-à-visduBCGTiceetduBCGdanoisvis-à-visduBCGTiceentermesdesurviesansrécidive.
Conclusions.—Parmilessouches deBCG utilisées enFrance pourletraitementdes TVNIM, l’efficacité préclinique et clinique de la souche Connaught a été supérieure à celle de la soucheTice.Lalimitedesétudesactuellementdisponiblesrésideprincipalementdansl’absence d’utilisationd’untraitementd’entretien.
©2015ElsevierMassonSAS.Tousdroitsréservés.
KEYWORDS BCG;
Bladder;
Strain;
Genome;
Cytotoxicity;
Immuneresponse;
Efficiency;
Safety
Summary
Objective.—Toreview thedifferences between the BCG strains used for thetreatment of non-muscleinvasive bladder cancer (NMIBC)at themolecular level, regardingcytotoxicity, immunogenicity,clinicalefficiency,andsafety.
Materialandmethod.—Asystematicreviewoftheliteraturesearchwasperformedfromthe databaseMedLine,focusedonthefollowingkeywords:BCG;bladder;strain;genome;cytotoxi- city;immuneresponse;efficiency;safety.
Results.—Genetic differences between BCG strains have beenidentifiedand correlated to theirtimetodifferentiationfromtheirinitialculturesstart,assumingalowerresistancetothe hostimmunedefensesofTiceandDanishstrainscomparedtotheConnaughtstrain.Preclinical comparativedatashowedsuperiorcytotoxiceffectandimmunogenicityoftheConnaughtstrain comparedtoTiceandDanishstrains.ThephaseIIItrialshaveshownsuperiorefficiencyofBCG ConnaughtcomparedtoBCGTiceandBCGDanishcomparedtoBCGTiceregardingrecurrence- freesurvival.
Conclusions.—AmongBCGstrainsusedinFranceinNMIBCtreatment,preclinicalandclinical efficiencyofConnaughtstrainwashigherthanthatoftheTicestrain.Thelimitsofthecurrently availablestudieslieprimarilyinthelackofuseofmaintenancetherapy.
©2015ElsevierMassonSAS.Allrightsreserved.
Introduction
En 1902, Edmond Nocard, vétérinaire et microbiologiste franc¸ais, a fourni à ses compatriotes Albert Calmette et CamilleGuérin,respectivementmédecinbactériologisteet vétérinairebiologiste,uneculturedeMycobacteriumbovis
isolée d’une vache tuberculeuse. Dixans plus tard,après 96misesenculturesuccessivessurdestranchesdepommes deterreglycérinéesetimmergéesdansdelabiledebœuf stérile,lasouchebactériennepartiellementatténuéedevint nonpathogènepourl’hommeetfutnommébacilledeCal- metteetGuérin(BCG)[1].Laméthodedecultureutilisée
Figure1. GénéalogiedessouchesdeBCG.Leschémamontrelapositiondesmarqueursgénétiquesidentifiésdansl’étudedeBrosch etal.[2],lesmarqueursderégiondedifférence(RD),certainessuppressionsspécifiquesauxsouchesetladistributiondessouchesdansles quatregroupesdeDU2.
a conduit à sélectionner des bactéries ayant une régula- tion de leur génome favorisant l’expression de gênes de protéines impliquées dans le métabolisme du glycérol et réprimantceuxdes protéinesresponsablesdelavirulence [2]. À partir de 1921, la souche de BCG a été distribuée
aux laboratoires qui en faisaient la demande. Dans cha- cundeceslaboratoires, lasoucheaétécultivée dansdes milieux de culture différents, conduisant à des pressions de sélection différenteset ainsià des adaptations géné- tiquesdifférentesdesbactériesdanschaquelaboratoire[3].
Tableau1 DéfinitiondesgroupesàrisqueévolutifderécidiveetprogressiondesTVNIM[7].
Risqueévolutif Caractéristiquestumorales Traitementadjuvant Faible PremierdiagnosticetTaetbas
gradeoulowmalignancypotential (LMP)(grade1)etuniqueet diamètre<3cm
Surveillancesimple
Intermédiaire TabasgradeouLMP(grade1—2) multifocaleet/ourécidivante, T1basgrade(grade1—2)
InstillationshebdomadairesdemitomycineC(MMC) sur6—8semainesconsécutivesaprèscicatrisation vésicale(4à6semaines)
LeBCGpeutêtrediscutéenalternativeaux
instillationsdeMMCdepremièreintentionouencas d’échecdutraitementparlamitomycine
Élevé Hautgrade(grade3)(quelquesoit lestade)ouT1récidivanteou carcinomeinsitu
SecondeRTUV,puisinstillationsendovésicalesde BCG(saufcontre-indications)aprèscicatrisation vésicale(4à6semaines)
SilesinstillationsdeBCGsontbiensupportées, intérêtd’untraitementd’entretien
Encasd’échecdutraitementparBCG,la
cystectomietotaledemeureletraitementdechoix AprèslaRTUV,unecystectomied’embléepeutêtre discutéeenRCPdanscertainesformesdemauvais pronosticchezdespatientsjeunes
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Dece fait, les diversessouches deBCG cultivées dans le mondese sont génétiquement différenciées (Fig.1):soit précocement (dénommées «souches anciennes»), parmi lesquelleslasouchejaponaise(BCGTokyo)utiliséeauJapon pour les instillations endovésicales; soit ultérieurement (dénommées«souchesintermédiaires»);soittardivement (dénommées «souches récentes»), parmi lesquelles les souchesRIVMduMédac®(MedacGmbH,Wedel,Allemagne), Ticedel’Oncotice® (Merck, Kenilworth,NJ,États-Unis)et Connaught de l’Immucyst® (Sanofi Pasteur, Lyon, France) [4].À partir de1960, latechnique de culturede produc- tionaétérévolutionnéeparl’usagedelalyophilisationqui apermisderéduiredrastiquementle nombredemises en culturesuccessives(ou«repiquages»),sourcesdevariations génétiques [5]. Ce changement a abouti à une stabilisa- tiondugénomedesdifférentessouches,tellesqu’ellessont actuellementcommercialisées.Les techniques deproduc- tionactuellesassurentetcontrôlentlastabilitédugénome [6].Initialementdéveloppédansunbutvaccinalcontrela tuberculose,leBCGaétéutilisépourlapremièrefoisenthé- rapeutiquehumaineantitumoraleparMathéen1969[7].En 1974,Zbaradémontrél’effetantitumoralduBCGadminis- trélocalementsurl’hépatocarcinomeducobayeetadéfini lesrèglesdel’immunothérapielocale.En1975,Bloomberg adémontré labonne tolérance des instillations endovési- calesdeBCGchezlechien.L’ensembledecesobservations ont conduit Morales, puis Martinez-Pineiro,à utiliser, dès 1976, le BCG en instillations locales dans le traitement prophylactiquedestumeurs delavessien’infiltrantpasle muscle (TVNIM) [7]. Au regard de l’hétérogénéité géné- tique des souches disponibles de BCG pour le traitement adjuvantàlarésectiontransurétraledestumeursdevessie (RTUV)desTVNIM (indicationrappelée dans leTableau 1) [8,9], l’objectifde cette revue de la littérature était de définir les différences moléculaires entre les différentes souchesutilisées en France (RIVM, Tice et Connaught) et leurs conséquences sur le plan préclinique et clinique en termesd’efficacitéetdetolérance.
Matériel et méthode
Les données sur les souches de BCG ont été explorées dans MedLine (http://www.ncbi.nlm.nih.gov) en utilisant lesmotsclésMeSHsuivantsouunecombinaisondecesmots- clés:BCG;vessie;souche;génome;cytotoxicité;réaction immunitaire;efficacité;tolérance.Lesarticlesobtenusont ensuiteétésélectionnésenfonctiondelacombinaisondes élémentssuivants:
• méthodologie: les études hors sujet ont été exclues d’emblée.Parmi lesarticleséligibles, seuleslesétudes comparatives ont été sélectionnées.Le caractère pros- pectifourétrospectifdurecueildesdonnéesn’étaitpas uncritèredesélection;
• languedepublication:anglais/franc¸ais;
• pertinenceparrapportausujettraité:lesétudescompa- ratives des données génétiques, moléculaires et de cytotoxicité in vitro ont toutes été prises en compte.
L’analyse des études comparatives des données sur l’inductiond’uneréactionimmunitaireetl’efficacitécli- nique a été restreinte à celles concernant les souches de BCG utilisées pour les instillations endovésicales
(exclusion des études concernant la vaccination anti- tuberculeuse);
• date de publication: de 1985, à ce jour (30dernières années).
Ainsi,265articlesontétérevuset27ontétésélectionnés (Fig.2).
Résultats
Différences moléculaires entre les souches de BCG
L’analyse génomique comparative des différentessouches de BCGa mis enévidence des variations à typede délé- tionetd’insertion[2].L’atténuationdelavirulenceduBCG comparativement à M.bovis est liée à la perte du gène delaprotéine ESX-1,dufait deladélétionnomméeRD1.
Néanmoins,laperted’ESX-1n’estpasseuleresponsablede l’atténuationdelavirulence.Eneffet,laréintroductionde RD1dansleslignées deBCGn’apas aboutià larécupéra- tiond’unevirulencecomplète,cequitémoigneducaractère multifactorieldel’atténuationdevirulenceduBCGvis-à-vis deM.bovis[10].Endépitdecettedélétion,legénomedu BCGcontientdavantagedebasesnucléotidiquesquecelui deM.bovisenraisondeladuplicationentandemdedeux régions,nommées«DU1»et«DU2»[11].Laduplicationde
«DU1»n’estobservéequedanslasoucheBCGPasteurutili- séeenvaccinationcontrelatuberculose.Laduplicationde
«DU2» estcommune àtoutes lesautressouchesdérivées duBCGdistribuéen1921,maisasubidespolymorphismes génétiques[2].Ainsi,dans lessouchesanciennes(souches japonaise), intermédiaires, et tardives (souches RIVM du Médac®,Ticedel’Oncotice®etConnaughtdel’Immucyst®), lesrégionsDU2sontdifférentes(Fig.1).LeDU2degroupeIII, qui caractérise les souches intermédiaires, présente une délétion de10paires debases au codon91dugène phoR, entraînantsoninactivation.Laperturbationdumétabolisme duphosphatequienrésulteaconstituéundésavantagepour lacroissancebactérienneinvivo[12].
L’analyse comparative des polymorphismes nucléoti- diques des souches de BCGutilisées pour les instillations endovésicales a été étudiée pour les souches Tice et Connaught[13].L’étudeamontréquelasoucheTiceàtrois polymorphismesspécifiques,deuxsurdesprotéinesdefonc- tioninconnue etun concernantlegène sodC,codant une enzyme impliquéedansla défensecontre lestress oxyda- tif.Lepolymorphismeprésentdanslegénomedelasouche Ticeestresponsabledelapertedecetteactivitéenzyma- tique,cequiréduitlarésistanceduBCGaumécanismede défenseimmunitaireinnéedel’hôteetainsiladuréedevie duBCGchezlepatienttraitéetdonc,potentiellement,son efficacité[14].
Par ailleurs, la structure des polysaccharidesmembra- naires des BCG de souches Tice, Connaught et Pasteur, responsables d’un effet cytotoxique direct,a été compa- rée [15].L’analyse a montréune similitudepour les trois souches.Ànotreconnaissance,aucuneanalysecomparative dumêmetypen’aétudiélasoucheRIVM.
Au total, les différences moléculaires entre les diffé- rentessouchesdeBCGsontlesconséquencesdedifférences
Figure2. Arbredécisionnelpourlasélectiondesarticles.
génomiques.Àcejour,lesdonnéescomparativesentreles souchesRIVM,TiceetConnaught,suggèrentqu’ilexisteune résistanceauxmécanismesdedéfenseimmunitaireinnéede l’hôtemoinsefficacepourlasoucheTice.
Différences de cytotoxicité induite par les différentes souches de BCG in vitro
Àcejour,troispublicationsontrapportél’étudecompara- tivede l’activitéantitumorale directedesouches deBCG sur deslignées cellulaires decarcinomeurothélial vésical [16—18]. Rajala et al. ont comparé la cytotoxicité sur la lignéecellulaire T24(dérivée de cellulesd’une TVNIMde haut grade) de 5souches: 1intermédiaires (i.e. porteuse d’un DU2de groupeIII) Glaxo-Evans et 4tardives (DU2de groupeIV)RIVM,Pasteur,TiceetConnaught[16].L’activité cytotoxiqueduBCGConnaughtétaitsupérieureàcelle du BCGTice.Lesautresdifférencesobservéesn’étaientpassta- tistiquementsignificatives.Schwarzeretal.ontcomparéla cytotoxicitésurleslignéescellulairesT24etCal29(dérivée decellulesd’unetumeurinfiltrantlemusclemétastatique) de la souche S4-Jena,de différenciation précoce (DU2du groupeII) avec la souche Tice, de différenciation tardive [17].L’activitécytotoxiqueduBCGS4-Jenaétaitsupérieure à celledu BCGTice surla lignéeCal29etcomparable sur lalignéeT24.Plusrécemment,Secanella-Fandosetal.ont comparél’effetinhibiteurdelaproliférationcellulairesur deslignéescellulairesT24,J82etRT4(cesdeuxdernières étantdérivéesdecellulesd’unetumeurinfiltrantlemuscle nonmétastatique,histologiquementpeudifférenciéepour J82etbiendifférenciéepourRT4),de8souches:3précoces, Japonnaise,Russe etMoreau;2intermédiaires,danoiseet Glaxo-Evans;et3tardives,Tice,ConnaughtetPhipps[18].
L’inhibitionde la prolifération de cellules J82par le BCG Connaught a été supérieure à celle liée au BCG Tice et l’inhibition de la prolifération de cellules RT4par le BCG Connaughtaétésupérieureàcelleliéeàlasouchedanoise.
Enpratique clinique,le tempsdecontactrecommandé entre le BCG et l’urothélium est de 2heures [9]. Dans lesétudes in vitro mentionnés,à l’exception de celle de Secanella-Fandosetal.(3heuresdecontactentreleBCGet lescellules),laduréedecontactaétépluslongue(1jour dansl’étudedeSchwarzeretal.etentre2et5joursdans celledeRajalaetal.).Cettedifférencedetempsdecontact entrelesconditionsexpérimentalesinvitroetcellesutili- séesen pratique clinique doitêtre prise en compte dans l’interprétationdesrésultats.
Autotal,ilexistedesdifférencesdecytotoxicitéentre lesdifférentessouchesdeBCG.LetypedeDU2dessouches n’apas été corréléà leureffet cytotoxique.Les données comparativesentrelessouchesRIVM,TiceetConnaughtont montréunecytotoxicitésupérieuredelasoucheConnaught parrapportauxsouchesTiceetRIVM.
Différences de capacité à induire une réaction immunitaire entre les différentes souches de BCG
Laproductiond’IL6etd’IL8orientelaréponseimmunitaire vers une réaction de type cellulaire TH1qui met en jeu les phénomènes de cytotoxicité impliqués dans le méca- nisme d’action de la BCG-thérapie [19]. Les phénomènes de cytotoxicité ont pour support les lymphocytesT CD8+
spécifiques des antigènes mycobactériens à l’origine de la réaction TH1 [20] et les lymphocytesT natural killer [21]. Secanella-Fandos et al. ont comparé la capacité à
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induirelaproductiondecytokinesIL6etIL8de8souchesde BCG [18]. La souche Connaught induisait une production d’IL6etd’IL8respectivement3,25et2,28fois supérieureà celleinduitesparlasoucheTiceetrespectivement3,42et 1,71fois supérieureà celleinduiteparla souche danoise.
Rentschetal.ontcomparélepourcentagedelymphocytesT CD8+spécifiquesdesantigènesduBCGinduitparlessouches deBCGTiceetConnaughtdansunmodèlemurininvivo[13].
LesinstillationsendovésicalesdeBCGConnaughtinduisaient untauxsignificativementplusélevédelymphocytesTCD8+
spécifiquesquelesinstillationsendovésicalesdeBCGTice administréesauxsouris.Cesauteursontégalementcomparé lenombredelymphocytesTnaturalkillercontenusdansla paroivésicaledessourisetontmontréquecenombreétait supérieuraprèsinstillationsdeBCGConnaughtcomparative- mentauxinstillationsdeBCGTice.Janaszek-Seydlitzetal.
ontcomparé la production d’IFN-␥, TNF-␣,IL-12, IL-10et d’IL-4induite par les souches Tice et RIVM [22]. La pro- ductiondeces moléculesinduiteparlasouche Ticeaété inférieureàcelleinduiteparlasoucheRIVM.
Au total, lesétudes comparatives publiées ont montré desrésultatsconcordantsenfaveurd’unesupérioritédela capacité àinduire une réaction immunitaire dela souche ConnaughtetRIVMparrapportàlasoucheTice.Cependant, àcejour,aucundesbiomarqueursimmunitairesétudiésn’a été directement corrélé à l’efficacité du BCG en termes desurviesansrécidiveoudesurviesans progression[23].
Lesétudesprécliniques in vitroetin vivo ontmontrédes différencesdecytotoxicité etd’immunogénicitéentre les souchessans relationlinéaire avecleurdélai dedifféren- ciationprécoce,intermédiaireoutardif.
Différences d’efficacité clinique des différentes souches de BCG
Àcejour,troisétudesprospectivesrandomiséescomparant l’efficacité clinique de souches de BCG ont été publiées [13,24,25].Rentschetal.ontcomparélasurviesansréci- dive et la survie sans progression de TVNIM après un premiertraitementd’inductionparBCGTiceetConnaught (60et71patientsrespectivement)[13].Lesuivimédiandes patientstraitésparBCGTiceetConnaughtaétéde47,6mois et51,4moisrespectivementetlesdeuxgroupesdepatients étaientcomparables quant au sex-ratio, l’âge, les carac- téristiques clinicopathologiques des TVNIM et le nombre deRTUVpréalables autraitement parBCG.Lasurviesans récidiveà 5ans despatients traitéspar BCGConnaughta étésignificativementsupérieureàcelledespatientstraités parBCG Tice (74,0% vs 48,0%; p=0,0108). Enrevanche, les survies sans progression à 5ans étaient comparables (94,1% vs 87,9% pour le BCG Connaught et Tice respec- tivement;p=0,3442).Sengikuet al.ontcomparé le taux deréponsecomplète etlasurviesansrécidive depatients traitéspour ducarcinomeinsituprimitifouassociéàdes TVNIMpapillaire par BCG desouches Tokyo etConnaught (66et63patients respectivement)[24]. Le suivimédian a étéde28,0mois.Une réponse complètea étéobservéeà unefréquencestatistiquementcomparableaveclessouches Tokyo(90,3%)etConnaught(85,0%).Lasurviesansrécidive à deux ans était également comparable (73,2% et 68,8% respectivement). Les caractéristiques démographiques et
clinicopathologiquesdespatientsétaientcomparablesdans les deux bras et les auteurs ont donc conclu à l’absence dedifférenced’efficacité cliniqueentrelesdeuxsouches.
Enfin,Vegtetal.ontcomparélasurviesansprogressionde TVNIM traitées soit par mitomycineC (148patients), BCG Tice (140patients) et BCG de souche RIVM (149patients) [25]. Le suivi médian a été de 36,0mois. La survie sans récidive à 5ans était comparable chez les patients trai- tés par mitomycineC etBCG de souche RIVM (57±5% et 54±5% respectivement) et était significativement infé- rieure(36±5%)chezlespatientstraitésparBCGTice.Ces trois études avaient deux limites: nepas avoir incorporé dans leur montage l’utilisation du traitement d’entretien parBCGetnepasavoiranalysélesdifférencesconcernant letabagisme.Parailleurs,l’absencededifférencesignifica- tiveconcernantlessurviessansprogressiondansl’étudede Rentschetal.pouvaitêtreliéeàundéfautdepuissancede l’étudeetaux traitementsrec¸uslorsdes récidives.Enfin, danscettemêmeétudeoùunedifférencesignificativedans lasurviesansrécidiveà5ansaitétémontréeenfaveurdela soucheConnaughtparrapportàlasoucheTice,lenombrede patientsàrisqued’avoirunerécidiveà5ansn’étaitquede 18et3patientsrespectivement.Ilseraitnécessaired’avoir aumoinsuneétudeprospectiverandomiséedeplusgrande ampleurpourconfirmercerésultatetentirerdesrecom- mandationsenpratiqueclinique.
LarevuedelalittératuredeSylvesteretal.avait,quant àelle,concluen2002àl’absencededifférenced’efficacité cliniqueentrelesdifférentessouchesdeBCG[26].
Au total, les résultats des 3études cliniques prospec- tivesrandomiséesactuellementdisponiblesontmontréune efficacité supérieuredu BCGde souches Connaughtvis-à- vis du BCG de souches Tice et du BCG de souche RIVM vis-à-visdu BCGde souche Tice entermes desurvie sans récidive.Cesétudessontinsuffisantes,quantitativementet qualitativement,pourconclureàlasupérioritéd’efficacité cliniqued’unesoucheparrapportàuneautre.Iln’yapas eudecomparaisondel’efficacitécliniqueduBCGdesouche Connaught vis-à-vis du BCGde souche RIVM.Par ailleurs, commeobservélorsdel’analysedesdonnéesprécliniques, l’efficacité cliniquedes souchesdeBCG n’a passuivi une relationlinéaireavecleurdélaidedifférenciationprécoce, intermédiaireoutardif.
Différences de tolérance du traitement par les différentes souches de BCG
La survenue d’effets indésirables liés aux instillations de BCG a été analysée comparativement en fonction des souchesutiliséesdans lestrois étudesprospectives rando- miséesprécédemmentcitées[13,24,25].Lesauteursn’ont pasdémontré dedifférencedefréquencedeseffets indé- sirables.Cependant,lestroisétudesavaientundéfautde puissance statistique pour pouvoir analyser correctement une éventuelle différence, d’autant plus que le recueil de données concernantces effets étaientinsuffisamment détaillé. L’analyse la plus précise a été celle de Rentsch etal.[13]:lesauteursontconcluàl’absencededifférence entrelessouchesConnaughtetTicedanslasurvenued’une pollakiurie, d’une hématurie et d’une hyperthermie. En revanche,unedysurieétaitplusfréquenteavecl’utilisation
deBCGTice(30%vs13%;p=0,0151).Legradedesévérité deseffetsindésirablesn’avaitcependant pasétédétaillé.
Les différences moléculaires observées entre les souches suggèrent qu’il existe une résistance aux mécanismes de défense immunitaire innée de l’hôte moins efficace pour les souches RIVM et Tice. L’efficience du système immu- nitaire est requise que la BCG-thérapie soit efficace et, inversement,lesdéficitsdel’immunitécellulaire,lesdéfi- citscombinésetlesdéfautsdelaphagocytoseconstituent des contre-indications à la BCG-thérapie (au même titre que les antécédents de réaction systémique au BCG, la tuberculoseactive,unefièvred’étiologie indéterminéeet nonexplorée,l’altérationdelabarrièreurine/sangparun traumatisme ouune cystite infectieuse ou radique [27]).
L’immunodéficience touchant les mécanismes d’immunité innée de l’hôte augmente le risque d’effets indésirables sévèresinfectieux[27].Théoriquement,unemoindrerésis- tancedelasoucheTiceàcesmécanismesdevraitréduirele risquedesurvenudecesévènements.Cependant,àcejour, lesdonnéesdisponiblesn’enfontpaslapreuve.
Autotal,lesdonnéesdisponiblesn’ontpasétédequalité suffisantepourdéterminers’ilexisteounondesdifférences detoléranceentrelesdifférentessouchesdeBCG.
Conclusions
LesméthodesdeproductionduBCGutilisées pourlavac- cination, puis les instillations endovésicales adjuvantes à la RTUV des TVNIM, a induit des différences génomiques qui se traduisent par une cytotoxicité, une immunogéni- cité et une efficacité clinique différente d’une souche à l’autre.D’unpointdevueréglementaire,lespréparations pharmaceutiquesdisponiblessurlemarchésontconsidérées commebiologiquementéquivalentes.Cependant,lesrésul- tatsd’étudesprécliniquesetcliniquessontenfaveurd’une cytotoxicité,d’uneimmunogénicitéetd’uneefficacitécli- niquesupérieureduBCGdesoucheConnaughtvis-à-visdu BCGdesoucheTice.Auniveauclinique,desétudesdebonne qualitéavecunepuissancesuffisantemanquentetseraient nécessairespourconclureàladifférenced’efficacitéd’une souchevis-à-visd’uneautre. Enfin,latolérance desdiffé- rentes souches n’a pas été correctement documentée et analysée.
Déclaration de liens d’intérêts
Y.Neuzillet,S.LarréetM.Roupret sontmembresduboard scientifiquedulaboratoireSanofi-Pasteur.
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