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LA RECONVERSION DE L'AGRICULTURE

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Academic year: 2022

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LA RECONVERSION DE L'AGRICULTURE

La reconversion, formule-clé de la nouvelle politique écono- mique, doit s'appliquer aussi, nous dit-on, à l'agriculture. On l'admet volontiers, mais sous condition que la reconversion porte d'abord sur un certain nombre de principes ou de réglementations erronés dont l'agriculture a été victime en ces dernières années et dont quelques-uns d'ailleurs s'effondrent tout seuls.

C'est ainsi que depuis deux ou trois ans, le système des prix agricoles garantis se délabrait. On peut même se demander s'il a jamais fonctionné dans l'esprit où il avait été conçu, décidé, imposé. Cette année, il s'est disloqué. Aux quelques morceaux de son décor, qui tiennent encore, il est bien difficile de se laisser tromper. Et comme la conduite de l'agriculture, dans ses principaux secteurs, avait été liée à ce système, sa faillite, maintenant ouverte, est un premier événement d'importance capitale.

Un second événement manifeste, pour l'agriculture comme pour l'industrie, la ruine de la mystique d'une productidh qui pourrait être développée et soutenue, indépendamment de son prix de revient, c'est-à-dire de ses débouchés. Défendable, sinon justifiée pendant la guerre, le blocus et les embarras initiaux de la reconstruction, la production coûte que coûte n'a plus désormais de sens, ni de chances. C'est un autre renversement, dont des illusions tenaces ont masqué quelque temps la certitude, mais dont il convient de mesurer les conséquences, pour s'y plier. /

Dans les deux cas, l'agriculture suit l'évolution de l'économie générale. Les disciplines dont elle subit la rigueur ne lui sont pas particulières. Pour elle, comme pour l'industrie, cette adaptation, qui est une loi souveraine de la vie économique, et qu'on a redécou-

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verte tout d'un coup, sous le n o m de reconversion, est inévitable et pressante. Dans cette tâche, elle connaîtra toutefois des diffi- cultés qui lui sont propres, parce qu'elles tiennent à la nature de son activité. Dans l'agriculture les hommes n'en sont jamais com- plètement maîtres. O n peut régler, avec une précision rigoureuse, le débit d'une chaîne moderne de production. D a n s une récolte, qui est faite pour u n an, des facteurs interviennent, qui sont incon- trôlables et qui déterminent des écarts énormes, dans u n sens ou dans l'autre. E n revanche, le fractionnement extrême de l'agricul- ture divise également ses problèmes, et supprime ceux que posent les concentrations, souvent inhumaines, de l'industrie. Enfin, les hommes qui y sont attachés lui portent une sorte de passion ; et la puissance de ce sentiment, qui rend possible des sacrifices, autre- ment inexplicables, garantit, par-dessus toute considération tech- nique, u n avenir dont il est opportun de chercher les perspectives nouvelles.

Dans ces calculs d'espérances raisonnées, on rencontre u n obs- tacle, sinon u n barrage, dont la malfaisance, que l'on s'accorde 'généralement pour tenir dans l'ombre, doit être, au contraire, mise

en pleine lumière. Ce barrage, c'est le statut du fermage, c'est le régime juridique imposé à la terre par des textes difformes, et que leurs perpétuels remaniements ne sauraient rendre meil- leurs, parée que ce sont leurs principes qui sont faux.

O n pourra ainsi prendre une vue d'ensemble de la crise agricole et des conditions de son déroulement. L'agriculture, pour sa part, n'a pas souffert directement des réformes qui, par les grandes nationalisations des années 45 et 46, ont profondément modifié la structure économique de la France. Mieux encore, les appareils techniques d'un certain collectivisme, qui lui avaient été appliqués et dont le mirage l'avait par instant séduite, n'ont pas résisté à l'épreuve décisive des faits, et ils sont en difficulté, sinon en liqui- dation. M a i s sa libération et sa renaissance restent menacées par u n régime dont il suffit, pour discerner le vice majeur et illustrer les conséquences fatales, de rappeler qu'il s'inspire, directement et point par point, de cette législation immobilière urbaine, dont l'effet automatique est, sous nos yeux, le drame du logement.

Telles sont les lumières et les ombres qui composent le tableau actuel de l'agriculture. Elles méritent l'attention et la réflexion de tous les Français. Les agriculteurs n'ont nullement la prétention d'en être les meilleurs. U s peuvent se flatter, avec u n orgueil légi-

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LA RECONVERSION DE L'AGRICULTURE 129 time, d'être, pour ainsi dire, les plus solides. Par l'âme, le corps et

les biens, ils se confondent avec la Patrie. Us ne pourraient se déta- cher d'elle sans cesser d'être eux-mêmes. E t c'est ce lourd privi- lège, ou cette magnifique servitude, qui donnent à leurs destins, sans même parler des chiffres, une importance supérieure.

Pour se former une idée nette de l'évolution suivie, le plus simple est de reprendre l'histoire de VOflice du blé, devenu Office Natiortal Interprofessionnel des céréales, ou, en bref : 1' Q. N . I . G. C'est une histoire relativement courte. Entre le moment où cette institution a été créée, et celui où elle est à peu près vidée, il ne s'est pas écoulé vingt ans. Encore est-on fondé à penser que son existence a été pro- rogée par la guerre et la pénurie, en l'absence desquelles sa condam- nation et son exécution par les faits eussent été plus promptes.

La date initiale est celle du 15 août 1936, où fut promulguée la loi portant création de l'Office. On peut se reporter utilement aux débats parlementaires dont elle fut l'objet. Ils sont d'une tenue remarquable. On doit en faire honneur, non sans quelque surprise, et au moins par contraste, à la dernière Chambre de la I I Ie Répu- blique. Les conclusions qui se dégagent de l'expérience ainsi com- mencée sont d'autant plus probantes.

Le marché du blé venait de subir les plus pénibles vicissitudes.

Elles s'exprimaient, à la fois, par la faiblesse des prix, et par leurs énormes variations. Dans le courant d'une seule campagne, on avait pu coter des prix extrêmes de 55 F . par quintal, au mois d'août, et d'autres, supérieurs à 100 F., au mois de janvier. De tels 'troubles étaient difficilement supportables pour les producteurs,

s'agissant d'un secteur important de l'économie générale, et dont la valeur symbolique, à travers le pain, était encore plus grande.

Pour les contenir, pour les supprimer, il eût été nécessaire de distinguer soigneusement ce qui, dans leurs sources, tenait aux désordres de l'économie internationale et ce qui procédait d'une mauvaise organisation du marché national. Aujourd'hui, cette dis- crimination est plus facile qu'elle n'était sur le moment. D'uoe part, la grande crise économique de 1929, qui s'était manifestée d'abord dans l'agriculture américaine, avait développé ses ravages jusqu'en Europe et en première ligne sur les marchés agricoles. C'était là un accident majeur, mais seulement un accident. Or, il se trouvait,

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d'autre part, que le marché français du blé n'avait pas encore remonté les mécanismes, qui avaient assuré son bon fonctionne- ment dans la période antérieure à 1914.

On se rappelle par quelle erreur capitale la culture du blé avait été découragée en France pendant la première guerre mondiale. Le prix en avait été bloqué, rigoureusement, comme celui des loyers.

Or les lois de maximum font totalement disparaître les vendeurs, c'est-à-dire les producteurs. Mais quand on est entré dans l'arbi- traire, on n'en sort pas facilement. E n l'occurrence, le redressement nécessaire exigea les interventions répétées de l'État. La fonction commerciale correspondante en fut gravement détériorée. E t de ces composantes diverses, la résultante était une situation dont tous étaient d'accord pour juger l'assainissement indispensable.

Comment s'y prendrait-on ? Deux thèses s'opposent d'une manière fondamentale. L'une est libérale, elle est soutenue par Paul Thellier, député du Nord. L'autre, qui va l'emporter, est socialiste et défendue par M . Georges Moflnet, ministre de l'Agri- culture du Cabinet de Léon Blum. A chacune de ces doctrines adverses, et qui sont exposées, je le répète, avec une sorte de séré- nité, correspondent également des techniques inconciliables.

Le libéral ne méconnaît nullement l'opportunité d'un redres- sement, qu'il appartient à l'État de promouvoir. Mais il entend limiter son intervention à des directives et à leur contrôle. L a tech- nique sera celle de l'intervention marginale. Pourquoi le marché du blé est-il déséquilibré ? Parce qu'un certain nombre d'agricul- teurs ont besoin d'argent, à l'instant même de la moisson. Une frac- tion de la récolte est donc jetée sur le marché, sans considération de prix. Pour régulariser les cours, l'achat et le stockage de ces quantités aberrantes seraient nécessaires mais suffisants. Sans»

doute s'agit-il de quelque 10. millions de quintaux. E t toutes ces considérations s'inspirent principalement de l'observation des faits.

Le fondement de la thèse socialiste relève d'une idéologie com- plètement différente. L a capacité de l'individu n'y est pas recon- nue. C'est de l'État, ou d'institutions émanant de lui, qu'il convient d'attendre le règne de l'ordre, dans la justice. Dans le cas du blé, un Ofïjce sera doté des pouvoirs nécessaires non pas pour régler le marché, mais pour le supprimer, en l'absorbant tout entier. C'est à dire qu'il aura la charge, en exclusivité, d'acheter et de vendre la totalité de la récolte, le tout à un prix qui sera cherché indépen- damment de la loi des marchés libres, et, au besoin, contre elle.

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LA RECONVERSION DE L'AGRICULTURE 131 C'est-à-dire qu'on prendra en considération les besoins des produc-

teurs et leurs prix de revient, nullement le rapport des quantités offertes et des demandes de la consommation.

Il n'est que juste d'ajouter que, dans l'esprit et les déclarations de ses inventeurs, l'Office ne serait pas totalement dans la main de l'État. Celui-ci ne ferait qu'arbitrer les professionnels, si c'était nécessaire. Mais cette réserve d'intentions, si sincère qu'on la suppose, ne pouvait rien changer au mécanisme du système.

L'Office du blé ne devait, d'ailleurs, en former qu'une pièce.

D'autres Offices, dans le programme annoncé, prendraient ulté- rieurement en charge tous les autres secteurs majeurs de l'écono- mie agricole. Les nationalisations, on le sait, leur correspondraient dans le secteur industriel ou bancaire. Enfin, les mêmes concep- tions prévaudraient, logiquement, dans le domaine de la monnaie.

Et c'est peut-être dans ce dernier domaine qu'on saisit le mieux son inspiration et ses moyens. A u lieu des interventions marginales d'une banque d'émission, soumise à l'État, mais indépendante de son bon plaisir, un Office des changes déterminerait la valeur de la monnaie, quelles que fussent l'offre et la demande.

Certains de ces projets ont pris corps, d'autres ont été abandon- nés ou ajournés. Chacun peut juger des résultats obtenus, en matière de monnaie spécialement, par la substitution d'un contrôle admi- nistratif du change à la manière traditionnelle des Instituts moné- taires. Mais c'est a l'égard du blé que l'illustration des faits est la plus frappante et, je crois, décisive.

De 1936 à 1954, les règles posées par la loi fondamentale insti- tuant l'Office du blé ont été appliquées dix-neuf fois. Quelles règles ? C'est ce qu'il n'est pas facile d'éelaircir : elles ont été changées d'année en année. E t cette constatation seule porte condamnation du système. Pratiquement, il a été arrangé au gré des circonstances pour des raisons totalement étrangères, sinon contraires à sa con- ception, à ses buts, à son mécanisme. C'est ce qui a permis à cer- tains de ses inventeurs de protester, de bonne foi, qu'ils n'avaient pas voulu cela. On le leur accordera volontiers* Mais les disposi- tions qu'ils avaient prises ne pouvaient pas ne pas produire les conséquences que nous avons subies.

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Par une contradiction cruelle, qui a surpris les fidèles de l'Office, nullement ses adversaires, toute cette machinerie montée pour protéger les producteurs de blé a tourné contre eux, sinon à tous les coups, au moins quatre fois sur cinq. E n d'autres termes, le prix garanti du blé, qui, d'après le sens des mots, devait l'être à leur profit, l'a été à leur détriment. Combien de fois exactement ? Il est difficile de calculer ce qui serait arrivé si le système n'avait pas été appliqué. Ce serait, comme disait Jacques Bainville, de l'Uchro- nie. Mais je ne crois pas me tromper en avançant que, dans seize cas sur. dix-neuf, les agriculteurs ont été les mauvais marchands de l'affaire. U n cas est douteux. Les deux derniers leur semblent favo- rables, ou très favorables. Est-ce là mieux qu'une apparence ? E n 1951, le prix officiel du blé a été relevé, d'un seul coup, de 40 %.

Par exception, la loi a donc été respectée. Les agriculteurs n'ont pas eu lieu de s'en louer. Une dénivellation aussi soudaine d'un prix, dont l'importance symbolique est encore plus grande que le poids réel, a provoquéj dans l'économie générale, de profondes perturbations. Tout le système des prix a suivi l'impulsion bruta- lement donnée. E n fin de compte, le pouvoir d'achat du producteur de blé a été ramené à très peu près à ce qu'il était. L a duperie est manifeste. E t le dommage causé à la communauté économique française ne l'est pas moins. Il en résulte que le bilan global de l'Office est désastreux.

Ne doutons pas que ces faits n'aient imposé, sinon sa liquidation déclarée, au moins des changements de structure et d'action si considérables que je suis fondé à dire qu'il ne reste plus grand chose de l'institution néfaste de 1936, sauf une arma- ture administrative, qui serait défendable, si elle n'était pas chargée de fonctions commerciales, à quoi elle est impropre par nature.

Où en sommes-nous ? D'abord, les céréales secondaires, qui avaient été conquises par l'Office dans sa période d'expansion, ont été abandonnées par lui. Ensuite, il a renoncé à la fixation du prix garanti par référence au prix de revient. Les nouvelles bases du calcul sont celles d'un prix de parité (coût de la vie et prix de diverses fournitures à l'agriculture). Après quoi, l'Office a dû quit- ter une position qui, dans sa conception initiale, était vraiment capitale, à savoir la rigidité du prix légal : depuis 1953, les repré- sentants de l'État se sont réservé la faculté de s'écarter, en plus ou en moins, des calculs mathématiques aboutissant au prix du blé.

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La différence, au total, peut être de 12 %. C'est le renversement de la constitution de 1936.

Est-ce tout ? Non. L'Office du blé a été le seul à être formé de toutes pièces et pourvu des moyens nécessaires à l'application du principe qu'il représentait. C'est-à-dire que la garantie de prix — dont nous venons de vérifier qu'elle n'avait été respectée que par exception — était assortie d'une part de l'obligation, pour l'Office, d'acheter la totalité de la récolte, d'autre part, de loger ses achats.

Quand les autres garanties de prix se sont défaites, sous la pression des réalités économiques, le statut du blé est apparu aux agricul-:

teurs comme un refuge. Ils se sont portés massivement sur lui. E t le résultat a été une récolte supérieure à 100 millions de quintaux, dépassant très largement les besoins nationaux, et dont l'exporta- tion est à la fois difficile et onéreuse, parce que la qualité du blé français est inégale (puisque l'Office depuis vingt ans ne s'en souciait nullement) et que son prix de base dépasse les prix pra- tiqués sur les marchés mondiaux. E n . conséquence, il a fallu, d'un côté, restaurer la notion de qualité, dé l'autre, renoncer à la garan- tie totale qui formait la base même et la justification déclarée du système : à compter de l'an prochain, l'Office ne garantit son prix d'achat qu'à concurrence de 68 millions de quintaux. Mais cette méthode, dite du quantum', c'est la négation du système de 1936.

On ignore, il est vrai, comment elle sera appliquée administra- tivement. On peut prévoir quels désordres elle provoquera écono- miquement. Le contingent de 68 millions de quintaux, réparti, Dieu sait comment ! sera évidemment livré à l'Office. L a seule menace d'un contingentement n'a d'ailleurs pas été étrangère à l'augmentation des emblavements, la tendance étant de se ménager les meilleures références possibles. Par corollaire, les droits à livrai- son au prix fort feront naître un marché noir, qui ne saurait satis- faire personne. Surtout, la question est de savoir quel sera le sort des excédents placés hors garantie. I l est aisé de deviner qu'ils seront employés par priorité, parce que leurs prix effondrés leur ouvriront'tous les débouchés possibles. E n fin d'exercice, l'Office gardera à sa charge des excédents qu'il n'avait,pas prévus, parce que ses calculs auront été bousculés par la fraude.

Quant au producteur de blé, le prix qu'il tirera réellement de sa récolte sera une moyenne entre le prix officiel du contingent et le prix de braderie du reste. E n dernière analyse, il est clair comme le jour que le mécanisme impitoyable du prix, par confrontation

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de l'offre et de la demande, est restauré en fait. E t qu'il le soit par un biais et hypocritement ne change rien à la réalité. C'est ce qui m'autorisait à affirmer, pltis haut, que l'Office serait comme vidé de sa substance.

A u delà d'apparences vaines et de complications onéreuses, c'est un procès désormais terminé.

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Aux résultats décevants et onéreux de notre politique du blé, il est intéressant d'opposer les enseignements qui se dégagent de la technique appliquée à la viande. Cette autre expérience a été beaucoup plus brève, puisqu'elle a pris corps depuis quinze ou seize mois seulement. Mais elle présente plusieurs caractéristiques fortement marquées et qui sont singulières : elle a été, dans son ensemble, heureuse ; elle a été très peu coûteuse ; un marché parti- culièrement difficile a manœuvrer a été régularisé par des opéra- tions qui ont porté sur de très faibles fractions des masses en jeu ; bref, c'est un modèle d'intervention marginale, qui mérite de rete- nir l'attention.

Après avoir laissé paraître des signes d'un désordre croissant, , le marché de la viande, qui, à vrai dire, était tout entier à refaire, était menacé, vers la fin de l'été 1953, d'un effondrement complet.

Comment empêcher un tel accident ? Le problème était d'une extrême difficulté, en raison de son objet d'une part, dans les cir- constances où il se posait, d'autre part.

A u premier examen, on reconnut que le marché de la viande est un de ceux dont la composition est la plus complexe. La diversité y est poussée à un degré extraordinaire. Deux bêtes, d'une même race, n'y sont jamais exactement pareilles. L'élevage du mouton n'a rien de commun avec celui du bovin. Le porc a un régime complètement distinct des autres. Ajoutons que les produits liés à l'élevage, c'est-à-dire le lait et ses dérivés ont, dans l'économie agricole et générale, une importance du même ordre que la sienne.

Enfin, si les porcs peuvent être rapidement livrés à la consomma- tion, il n'en est pas de même pour les bovins. Ici, il ne faut plus compter par mois, mais par années. S i une erreur a été commise, ses conséquences se développeront presque fatalement.

Pour des opérations d'assainissement, la fin de l'été, de sur-

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LA RECONVERSION D E L'AGRICULTURE 135 croît, ne forme pas une période favorable. A u fur et à mesure que la mauvaise saison avance, des bêtes seront vendues, parce qu'elle*

ne pourront pas être nourries, ni abritées. E t ces ventes forcées sont un puissant facteur aberrant contre la formation de prix stables.

Comme les mythes ne se défont pas facilement, on ne sera pas surpris que la formule magique de l'Office ait été proposée jus- qu'en 1953. Dans l'embarras cruel où ils se trouvaient, de nom- breux éleveurs ne se montraient pas inaccessibles à ses séduc- tions trompeuses. Ce qui en a empêché la réalisation, ce ne sont pas, apparemment, les conseils de la raison, ni les leçons de l'expé- rience, ce sont des considérations de fait : la difficulté extrême, sinon l'impossibilité de faire passer le plan d'un Office pour la viande, du papier qui souffre tout, dans la réalité qui est impi- toyable.

Quoi qu'il en soit, la remise en ordre d'un secteur agricole majeury et qui intéresse manifestement toute l'économie natio- nale, a été conçue et conduite selon des principes opposés, et qui ont fait leur preuve. L a conception a été, pour ainsi dire, empreinte de modestie, et résolument pragmatique, c'est-à-dire subordonnée à des circonstances mouvantes. On n'a pas élaboré de plan détaillé, vaine hypothèque sur l'imprévisible. On s'en est tenu à un petit nombre d'idées générales, qui relèvent du simple bon sens, et on les a appliquées avec méthode, non sans souplesse. Quant à la des- cription par le menu des opérations développées à partir de ces bases et dans cet esprit, elle déborderait le cadre de cette étude.

Réduites à l'essentiel, elles sont d'une simplicité frappante. Pour relever un marché renversé, on a agi simultanément sur les impor- tations, sur le stockage, sur l'exportation. On comprend que ces manœuvres aient paru primaires à certains technocrates, et qu'ils les aient jugées enfantines, sinon méprisables. Mais le fait est qu'elles ont bien réussi.

Les importations correspondaient principalement, ou exclu- sivement, à des achats de l'Intendance. Elles ont été immédia- tement arrêtées. Simultanément il a été demandé que les besoins de l'armée fussent couverts par des achats sur le marché national, et qu'ils fussent accélérés puisque, dans la mesure où le stockage était possible, il serait favorable à tous les intérêts en cause.

A u delà de ces premières opérations d'urgence, une Société Interprofessionnelle des Viandes a été créée, le 1e r décembre 1953,

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et agencée de manière a couvrir d'un réseau d'achat toutes les régions productrices. Son objectif était, d'un côté, d'utiliser à plein tous les moyens de stockage existants, voire de les étendre ; de l'autre, de développer les exportations françaises de viande.

De ce dernier point de vue, des résultats remarquables par leur importance et leur rapidité ont été obtenus. Sur une période de neuf mois, que couvrent les statistiques disponibles, la Société

Interprofessionnelle a exporté 17.000 tonnes de viande, en nombre rond, tandis que des marchés privés, qu'elle se gardait soigneu- sement d'éliminer, exportaient 14.000 tonnes. Le total, sur lequel nous reviendrons, a donc été, dans cette phase initiale, à peine supérieur à 30.000 tonnes.

E n même temps qu'un assainissement quantitatif du marché de la viande était ainsi cherché, une action parallèle visait l'amé- lioration de la qualité. Il s'agissait de dépister la tuberculose du bétail et de soigner d'autres maladies, dont la fièvre aphteuse.

Tout cela, qui est à longue portée, a été entrepris sans délai et poussé fortement.

Le résultat global, qui s'exprime par des chiffres irréfutables, est une stabilisation à très peu près satisfaisante et, en tous cas, inespérée d'un marché en perdition. U n point très important reste de savoir ce qu'il en a coûté. Sans être insignifiant, le coût de ces multiples manœuvres apparaît extrêmement faible. Une dotation initiale avait été formée par un. prélèvement de 10 % sur la taxe sur la viande (55 francs par kilo). Pour l'ensemble de l'année 54, le produit en serait de 6.600 millions. Or, c'est un fait caractéristique qu'il n'ait été ni dépassé, ni même épuisé, au point qu'un transfert à d'autres fins d'une partie du solde restant a pu être récemment décidé. Voici le bilan : à la fin de juillet dernier, le stockage avait demandé 3.155 millions, l'aide à l'exportation, 230 millions, la création de circuits courts de vente, entre la production et la consommation, 75 millions. Ce que nous avons appelé plus haut l'assainissement qualitatif avait, à la même date, coûté 650 millions.

Ainsi, des opérations c'oncernant .30.000 tonnes de viande, sur un marché qui porte sur 800.000 tonnes par an, et engageant des fonds à concurrence d'un peu plus de 4 milliards pour neuf mois, ont produit des résultats qui ne sauraient être parfaits, mais qui sont perfectibles, et qui ont déjà dénoué, dans le plus court délai, aux moindres frais, une crise aiguë.

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LA RECONVERSION DE L'AGRICULTURE 137 Telle est la leçon des faits. Elle est aussi claire dans le sens positif, en faveur des interventions marginales, que dans le sens négatif, contre la formule des Offices totalitaires. Si elle n'était pas comprise, si la conséquence logique n'en était pas tirée, il fau- drait désespérer du bon sens français, ce qui serait impie et absurde.

* * *

Cette évolution de l'agriculture, elle s'inscrit dans un cadre légal, qui a subi, il y a dix ans, une transformation fondamentale.

Or cette réforme s'ajuste mal aux traditions françaises. Elle ne répond pas aux exigences des faits actuels. I l est à craindre que ses conséquences, peu visibles, au premier regard, ne se dévelop- pent en profondeur dans le sens le plus défavorable aux intérêts indissociables de l'agriculture et de l'économie nationale. Une étude, même succincte, des problèmes posés par la reconversion agricole serait incomplète, c'est-à-dire fausse, si elle ne mar- quait pas fortement les erreurs funestes qui ont été alors com- mises, et que l'on convient, trop souvent, d'envelopper de silence.

Pour condamner le nouveau statut du fermage, un trait pourrait suffire. Depuis 1946, vingt-trois lois successives sont venues rema- nier l'ordonnance initiale qui l'a institué. A présent encore, le Parlement est saisi de multiples propositions qui ont le même objet.

Dans ce qui touche à la terre, cette prolifération, qui est fort opposée à l'esprit des lois, est sans précédent. Elle est la preuve saisissante d'une malfaçon de base, qu'aucun ajustement de détail n'a pu réparer. Dans la législation française, dont la dégradation est si préoccupante, on ne lui trouve qu'un équivalent qui éveille tout de *suite l'attention et l'inquiétude : celui de la législation des loyers, le Btatut de la propriété immobilière urbaine.

De celui-là, on mesure aujourd'hui trop clairement les effets désastreux. Il est inutile de les décrire. Ils. sont sous nos yeux. - Ils s'expriment par ce qu'on a pu appeler, sans forcer le sens des mots, le drame du logement. Drame affreux, dont les incidences sont incalculables, dans l'ordre économique comme sur le plan social. Ce qu'il aura coûté réellement à la communauté française, on ne pourra jamais le mesurer, même quand il aura été dénoué, dans une dizaine d'années peut-être, après trente ans de ravages.

On sait du moins, en gros, quels sont les postes chiffrables de cette écrasante faillite : un actif considérable anéanti, sans contre-

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partie discernable, une reconstruction difficile et onéreuse, un devis global largement supérieur au millier de milliards.

Quelles ont été les deux causes majeures de cette aventure insensée ? L'opposition au mouvement, expression de la vie, et la dépossession d'une classe économique, sans que son rempla- cement ait été prévu. Outre qu'elle est sujette à discussion du point de vue intellectuel, et même du point de -vue moral, cette double erreur, contraire à la nature même des choses, est de celles à quoi les faits ne pardonnent jamais. On l'a v u — à quel prix ! — pour le logement. On le verra tout de même pour la terre ; et les ruines qu'il faudra à la fin relever seront aussi immenses.

C'est que le statut du fermage s'inspire directement et, si l'on peut dire, ouvertement des mêmes principes. Son premier objectif est de consolider la position de l'occupant, quel qu'il s'oit, et simplement parce qu'il était en place à la date où s'est ouverte l'ère nouvelle. Par corollaire, le droit de propriété est démantelé.

La situation résultante sera insoutenable. Là-dessus expliquons- nous clairement. Tel qu'il était, avant la réforme de 1946, le régime des fermages ou du métayage n'était pas parfait. Il n'avait pas la prétention de l'être. Aucune institution humaine ne l'est jamais.

Toutes les formes d'immobilisme sont d'ailleurs condamnées.

E n l'occurrence, il était légitime et possible de favoriser le mou- vement par lequel le cultivateur accède à la propriété du sol.

Ce mouvement se développait normalement. On pouvait l'accé- lérer. Dans le cadre d'une réforme mal conçue, ce n'est plus qu'une duperie.

L'accès à la propriété est apparemment facilité. Mais cette propriété n'a plus de réalité. Il eût été concevable de supprimer la propriété privée du sol, de décider sa nationalisation ou sa collectivisation. L'échec éclatant de cette politique, en Russie sovié- tique, après trente-cinq ans de fer, de feu et de sang, laisse peu d'illusion quant au rendement pratique de tels jeux d'esprit.

Mais enfin, ils sont intellectuellement défendables. Encore fau- drait-il respecter, dans leur application, une règle éternelle de continuité, le vieil adage que le mort saisit le vif. E n l'occurrence, une catégorie économique est privée de certains de ses pouvoirs essentiels. Mais rien ne la remplace, ni l'Etat, qui recule devant une entreprise démesurée, devant une révolution qui n'est nulle- ment voulue, ni l'occupant, que l'on séduit par l'espérance d'une fausse promotion. A u terme de l'évolution engagée à contresens,

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LA RECONVERSION DE L'AGRICULTURE 139 on peut imaginer que cet occupant sera devenu propriétaire. Mais

il ne trouvera dans cette position nouvelle, par des servitudes inattendues, que des déceptions. A u vrai, il ne sera pas maître du sol. Il y sera seulement attaché. Distinction capitale 1 Par un détour imprévu, on aura ressuscité un servage.

La vérification n'est que trop facile. Depuis 1946, le proprié- taire de la terre, comme celui des immeubles urbains, a perdu la disposition de son bien. Il n'est plus libre de le vendre, ni de le louer, si ce n'est sous la réserve de restrictions dont la rigueur croît d'année en année. E t sa situation est même pire que celle de l'autre, puisqu'il n'a même plus la faculté, en aucun cas, de modifier la consistance de son exploitation : selon la loi, une loi que l'on feint d'oublier, tout doit demeurer dans l'état existant le 2 septembre 1939.

Peut-on imaginer une erreur plus complète, un contresens plus marqué ? L a vie économique exige une adaptation continue.

Longtemps retardée, celle de l'agriculture, toujours laborieuse, le sera, dans le courant des prochaines années, à un degré extra- ordinaire. Elle est ligotée. Qui commande, qui est responsable ?

Ce n'est plus le propriétaire, nous venons de le constater. Ce n'est pas davantage l'occupant ; et ce ne sera pas lui non plus quand il sera devenu « propriétaire ». Désire-t-il même encore le devenir ? C'est douteux. Ainsi, l'anarchie est comme organisée.

Délibérément réduites à l'essentiel, ces observations peu- vent sembler, à bon droit, trop sommaires. Mais elles suffisent, nous l'espérons, pour obtenir une certaine résonance. Dans son application, le statut de la terre est tempéré, nous ne l'ignorons certes pas, par les solides traditions de bon sens et de loyauté, qui survivent partout en France. Il est à craindre qu'elles ne dépé- rissent, à la longue, dans le carcan d'une loi contrefaite. A la fin, c'est elle qui l'emportera. Or elle est directement opposée aux inté- rêts légitimes qu'elle se propose, comme un leurre, de favoriser ; elle est totalement inconciliable avec les nécessités pressantes et impitoyables de la concurrence économique ; c'est une faute géante

contre l'agriculture française, et, par conséquent, contre la France.

Aussi longtemps que cette prétendue réforme de structure, malheu- reuse autant que vicieuse, n'aura pas été corrigée, on parlera vainement 'de reconversion ou de prospérité.

F. F . L E G U E U .

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