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QU EST-CE QUE LA RÉALITÉ DU PASSÉ HISTORIQUE? RÉFLEXIONS À PARTIR DE LA THÉORIE DE L HISTOIRE CHEZ PAUL RICŒUR

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QU’EST-CE QUE LA “RÉALITÉ” DU PASSÉ HISTORIQUE ? RÉFLEXIONS À PARTIR DE LA THÉORIE DE L’HISTOIRE CHEZ PAUL RICŒUR

Jeffrey Andrew Barash

Presses universitaires de Caen | « Le Télémaque » 2017/1 N° 51 | pages 89 à 106

ISSN 1263-588X ISBN 9782841338535 DOI 10.3917/tele.051.0089

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2017-1-page-89.htm

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L’IDENTITÉ NARRATIVE ET LA TRANSMISSION Qu’est-ce que la “réalité” du passé historique ?

Réflexions à partir de la théorie de l’histoire chez Paul Ricœur

Résumé : Au cours des dernières décennies, la question de la réalité du passé historique suscite un vif débat qui concerne non seulement l’historiographie ou la théorie de l’histoire, mais aussi la critique littéraire. Ce débat a été posé d’estomper la distinction entre la représentation historique et le récit fictif, ce qui met ainsi en question la prétention de l’historien de trouver une mesure de la “réalité” du passé historique. Cet article analyse la réponse critique que Paul Ricœur propose, dans les différentes périodes de son œuvre, au défi soulevé par le scepticisme historique. Il met en relief la manière dont Ricœur, à la suite de sa lecture critique de la philosophie de Heidegger au cours des années 1980 et au début des années 1990, emprunte dans son ouvrage tardif La mémoire, l’histoire, l’oubli un certain nombre de concepts clés proposés par Heidegger dans Être et temps, pour étayer sa théorie de la réalité du passé historique. L’objectif de cet article est moins de proposer une exégèse du travail théorique de Ricœur que de soumettre à l’examen critique le rôle des concepts heideggériens dans son interprétation du passé.

Mots clés : scepticisme historique, connaissance historique, imagination historique, sché- matisme transcendantal.

Qu’entendons-nous lorsque nous nous référons à la “réalité” du passé historique ? Par-delà le bref laps de temps qui correspond à l’époque contemporaine, le passé historique concerne les sources documentaires et autres traces d’actions et d’évé- nements d’une période révolue, hors de la portée de toute mémoire vivante. La question concernant la réalité du passé historique porte à la fois sur son statut en tant que passé, son caractère d’être passé et sur le sens de la continuité de son existence dans et pour le présent.

Au cours des dernières décennies, la question concernant la réalité du passé historique a suscité un renouveau d’intérêt, non seulement dans le domaine de l’historiographie ou de la théorie de l’histoire, mais surtout dans celui de la critique littéraire. Une tendance s’est manifestée dans ce dernier domaine qui porte à souligner l’aspect rhétorique et littéraire de la représentation historique. Dans son expression la plus extrême, elle conduit à estomper la distinction entre la représen- tation historique et le récit fictif en littérature. Au-delà d’une simple recherche de similarités entre les productions de la littérature et de l’histoire, la comparaison entre les deux modes de représentation met ainsi en doute la prétention de l’historien de faire apparaître la “réalité” du passé historique.

Cette question est d’une importance centrale pour la philosophie de l’éducation.

L’éducation s’occupe de la transmission de la connaissance du passé à plusieurs

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niveaux, à la fois de l’apprentissage d’un ensemble de savoirs et de pratiques hérités du passé, comme de l’étude de l’histoire des institutions, mentalités et événements du passé. Lorsqu’il s’agit de l’étude d’un héritage, l’on peut légitimement s’interroger sur l’importance pour nous de l’enseignement d’un passé qui n’existe plus et qui, au premier abord, ne semble pas avoir un lien intrinsèque avec nos préoccupations immédiates. En outre, là où le passé nous touche de près, il se présente souvent comme un fardeau ou une source d’angoisse suscitée par le caractère traumatique d’un grand nombre d’événements du passé récent, si bien que l’on peut s’interroger sur le bien-fondé de la volonté de transmettre une connaissance de cet aspect du passé.

À cette réserve, l’on peut rétorquer que les faits historiques et la trame tissée par l’enchevêtrement des événements du passé existent encore indépendamment de notre volonté, au moins sous forme de traces. L’attestation du passé par les témoignages documentés, par les signes symboliques des mentalités du passé et leurs expressions institutionnelles est bien trop manifeste pour être tout simplement effacée. Les connaître, c’est prendre conscience d’une dimension incontournable du passé qui nous appartient, même lorsqu’on l’ignore ou le refoule.

Toutefois, le sceptique n’est pas convaincu par de tels arguments. Avant toute question de la signification du passé pour notre actualité, avant tout souci concernant la possible gêne ou angoisse que la connaissance des faits pourrait occasionner, son doute relève d’un problème plus fondamental encore, puisqu’il concerne le statut des faits eux-mêmes qui font l’objet d’une interprétation. Comme nous le verrons par la suite, le sceptique insiste sur la multiplicité si complexe des faits et une diversité si grande des points de vue à partir desquels ils sont interprétables que toute prétention de recouvrer une mesure de la réalité du passé est d’ores et déjà condamnée à l’échec. C’est en ce sens, pour le sceptique, que le récit historique se rapproche de la fiction littéraire qui, de manière analogue, peut donner l’impression de porter sur la “réalité des faits”. Le défi du scepticisme historique pose ainsi un problème sérieux à la fois pour l’historien et pour l’enseignant qui est chargé de transmettre une connaissance de l’histoire.

Ce courant sceptique, que nous analyserons plus en détail par la suite, a suscité une contre-critique à notre époque chez un certain nombre de philosophes et d’historiens. À travers l’analyse de la différence spécifique entre la représentation historique et la fiction en littérature, cette contre-critique vise à identifier en quel sens l’historien pourrait légitimement prétendre, même de manière limitée, recou- vrer ce qu’on pourrait appeler la réalité du passé historique. Dans l’analyse qui suit, j’examinerai la réponse que Paul Ricœur donne à cette question. En même temps, mon but sera moins de faire une exégèse de sa théorie de l’histoire que de soumettre sa conception de la réalité du passé historique, telle qu’il l’a élaborée dans les différentes périodes de son œuvre, à l’examen critique.

Fiction et représentation historique

La question concernant le rapport entre la représentation historique et la fiction, et le problème que soulève ce rapport pour la prétention de l’historien à saisir la

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réalité du passé historique, fait l’objet d’un débat passionné depuis les années 1970.

Néanmoins, la tendance à comparer la fiction avec la représentation historique afin de porter le soupçon sur la prétention de l’historien n’est pas récente. Au XVIIIe siècle, par exemple, au moment de l’émergence du roman moderne, de telles comparaisons ont souvent véhiculé ce que l’on a traditionnellement appelé le pyrrhonisme historique. Denis Diderot, par exemple, dans son éloge du romancier anglais Samuel Richardson, écrivit : « O Richardson, j’oserai dire que l’histoire la plus vraie est pleine de mensonges, et que ton roman est plein de vérités » 1. Et Jean-Jacques Rousseau, en émettant une opinion semblable, a écarté les écrits des historiens modernes du programme d’éducation élaboré dans son ouvrage Émile.

En comparant les ouvrages d’histoire avec ceux de la fiction romanesque, Rousseau a pu écrire : « Je vois peu de différence entre ces romans et vos histoires, si ce n’est que le romancier se livre davantage à sa propre imagination, et que l’historien s’asservit plus à celle d’autrui » 2.

Au début du XIXe siècle, une forme de scepticisme similaire concernant la prétention de l’historien à représenter les faits réels du passé a été articulée dans une perspective philosophique par Arthur Schopenhauer dans son ouvrage Le monde comme volonté et comme représentation. Il a mis l’accent sur la singularité irréductible des faits qui, dans leur nombre infini, échappent aux efforts de l’historien de leur imposer un ordre conceptuel. Plus l’historien cherche à cerner la singularité des faits du passé au moyen de concepts généraux, plus il s’éloigne de leur réalité.

En revanche, les représentations historiques qui visent à la singularité dans l’espoir de saisir la réalité des faits, notamment lorsqu’il s’agit de récits biographiques et autobiographiques, sont condamnées à l’incertitude dans l’organisation du récit, étant donné la vaste multiplicité des faits et la contingence qui marque leurs rapports. Cependant, ces récits biographiques et autobiographiques constituent pour Schopenhauer le genre le plus intéressant de l’histoire puisque c’est tout particulièrement ici qu’elle se rapproche du roman 3.

Enfin Friedrich Nietzsche, à partir de sa manière singulière de comparer la représentation historique avec le roman, a lancé le défi le plus radical à l’égard de l’entreprise historiographique. Sa critique bien connue met en question les méthodes modernes de réflexion historique qui reflétaient à ses yeux une orientation de la pensée moderne vers le passé qui masquait son incapacité à mettre la pensée au service de la vie en vue de créations futures. Dans la perspective de ce qu’il prenait pour des exigences vitales, Nietzsche n’hésitait pas à identifier la tâche de la réflexion historique moins avec la recherche de la réalité des faits qu’avec un élan créatif capable d’adapter les faits à la force plastique de l’imagination : « C’est seulement », écrit-il, « quand l’histoire supporte d’être transformée en œuvre d’art, de devenir

1. D. Diderot, « Éloge de Richardson », in Œuvres, Paris, Gallimard (Pléiade), 1951, p. 1067.

2. J.-J. Rousseau, Émile ou de l’éducation, Livre IV, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p. 310.

3. A. Schopenhauer, « Über Geschichte », in Die Welt als Wille und Vorstellung, vol. 2, 2, Zurich, Diogenes, 1977, p. 519-522.

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un produit de l’art, qu’elle peut conserver des instincts et peut-être même éveiller des instincts » 4.

À une époque plus récente, de nouvelles expressions du scepticisme historique se sont manifestées au cours des années 1970 et 1980 à la suite du “tournant lin- guistique” poststructuraliste. Ce mouvement a pris pour point de départ la distance entre la signification linguistique et la réalité des faits qu’elle vise afin d’avancer l’hypothèse d’une radicale incapacité du discours historique dans sa tentative pour cerner le passé historique. Le récit historique, selon cette hypothèse, par le langage même qu’il emploie, produit la signification qu’il ne fait que projeter sur le passé. « […] Il n’y a pas de fait en soi », comme l’écrit Roland Barthes, « Toujours il faut commencer par introduire un sens pour qu’il puisse y avoir un fait ». Et il en conclut : « Le fait n’a jamais qu’une existence linguistique » 5. Cette même phrase sert d’épigraphe pour la collection d’essais de Hayden White, The Content of the Form. Narrative Discourse and Historical Representation – un fait que Paul Ricœur note dans son analyse de ce thème dans La mémoire, l’histoire, l’oubli 6 – et, en effet, elle touche au cœur du problème du scepticisme historique dans sa forme actuelle.

Toutefois, cette phrase de Roland Barthes est ambiguë. D’un côté, il tenait à souligner le fait que les actions et les événements, pour être rappelés et communi- qués à autrui, doivent nécessairement assumer une forme linguistique qui simplifie leur complexité réelle. En les déplaçant de la multiplicité sensible de l’expérience immédiate aux catégories générales du langage, leur réalité est obligatoirement transformée. Cependant, comme Ricœur le rappelle à juste titre dans un essai de 1994 intitulé « Les philosophies critiques de l’histoire : recherche, explication, écriture », puis à nouveau dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, le défi de Roland Barthes ne se limite pas à ce constat. Son radicalisme va bien plus loin. Puisque, selon Barthes, la réalité du passé historique se situe à un niveau entièrement extralinguistique, le discours de l’historien ne peut jamais l’atteindre 7. En mobilisant la théorie lin- guistique du référent, du signifiant et du signifié de Ferdinand Saussure, Barthes affirme que l’historien tend à oublier le statut extralinguistique du référent réel, en mettant à sa place ce qui est linguistiquement signifié. Loin de recouvrer la réalité des faits, l’historien, par un acte de l’imagination, constitue lui-même ce qu’il prend pour réel. Au moyen du discours, selon Barthes, l’historien peut dans le meilleur des cas produire un “effet du réel”, c’est-à-dire l’impression illusoire que ce n’est

4. F. Nietzsche, Vom Nutzen und Nachteil der Historie für das Leben, Stuttgart, Reclam, 2009, p. 66 ; Seconde considération intempestive. De l’utilité et de l’inconvénient des études historiques pour la vie, trad. fr. H. Albert, Paris, Flammarion, 1988, p. 133. Excepté lorsque le nom du traducteur est indiqué, toutes les traductions sont les miennes.

5. R. Barthes, « Le discours de l’histoire », in Le bruissement de la langue. Essais critiques IV, Paris, Seuil, 1984, p. 174-175.

6. H. White, The Content of the Form. Narrative Discourse and Historical Representation, Baltimore – Londres, The Johns Hopkins University Press, 1987, p. ii ; P. Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 364.

7. P. Ricœur, « Les philosophies critiques de l’histoire : recherche, explication, écriture », in Philo- sophical Problems Today, vol. 1, G. Fløistad (éd.), Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 1994, p. 168-169 ; La mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 322-323.

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pas ce qui a été reconfiguré au moyen du langage, mais le passé lui-même qui est l’objet du récit. Le passé réel cependant est radicalement différent du discours à partir duquel l’historien le décrit. En effet, le travail de l’imagination qui organise le discours de l’histoire produit un résultat qui n’est pas moins fictif que les histoires racontées dans le roman. Comme Barthes le note dans ses essais « Le discours de l’histoire » et « L’effet du réel », la prétention illusoire de l’historien de recouvrer la réalité du passé historique révèle en dernière analyse moins une vérité du récit que son statut comme expression “idéologique” de l’époque de l’historien lui-même.

« Le discours historique », comme l’écrit Barthes, « est essentiellement élaboration idéologique, ou, pour être plus précis, imaginaire, s’il est vrai que l’imaginaire est le langage par lequel l’énonçant d’un discours (entité purement linguistique) “remplit”

le sujet de l’énonciation (entité psychologique ou idéologique) » 8.

Le défenseur américain d’un type similaire de théorie sceptique, Hayden White, a reformulé les idées principales de Roland Barthes dans la perspective d’une théorie générale de l’historiographie, qu’il a élaborée notamment dans son livre Metahistory (1973), comme dans ses recueils d’articles Tropics of Discourse. Essays in Cultural Criticism (1978) et The Content of the Form. Narrative Discourse and Historical Representation (1987). Il a consacré ses efforts à une analyse du discours historique qu’il a rapporté à différentes formes rhétoriques ou tropes. Sur la base des formes rhétoriques, White, comme Barthes, a identifié ce qui était pour lui un abîme qui sépare le langage de la représentation historique de la réalité de l’histoire.

En prenant pour épigraphe de son recueil la phrase de Barthes, « le fait n’a jamais qu’une existence linguistique », White a assimilé, de manière analogue, le travail de l’historien aux créations de la fiction littéraire. Selon lui, les récits historiques sont essentiellement « des fictions verbales, les contenus desquels sont autant inventés que trouvés » ; en outre, les contextes des récits historiques seraient selon lui « les produits de la capacité fictive des historiens qui les ont étudiés » 9. Il faut néanmoins reconnaître que Hayden White, dans un article intitulé « The Question of Narrative in Contemporary Historical Theory » datant de 1984, a hésité à identifier son projet théorique avec celui de Roland Barthes et il a même pris sa conception de l’inter- prétation historique pour « un amas fort problématique de théories du langage, du discours, de la conscience et de l’idéologie » 10. Toutefois l’affinité claire qu’il désigne entre le travail de l’historien et les créations de la fiction littéraire l’a conduit à adopter une attitude sceptique tout à fait semblable à celle de Barthes. L’inspiration nietzschéenne que Hayden White trouve à la source de la conception de l’histoire chez Barthes est tout aussi caractéristique de sa propre méthodologie que de celle que Barthes adopte. Le scepticisme historique qui, dans un courant important de la pensée moderne, a alimenté la tendance à assimiler l’historiographie à la fiction

8. R. Barthes, « Le discours de l’histoire », in Le bruissement de la langue…, p. 174.

9. H. White, « The Historical Text and Literary Artifact » [1974], in Tropics of Discourse. Essays in Cultural Criticism, Baltimore – Londres, The Johns Hopkins University Press, 1978, p. 82-89.

10. H. White, « The Question of Narrative in Contemporary Historical Theory », in The Content of the Form…, p. 36.

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littéraire, a trouvé un appui puissant à la fois dans la critique que Barthes dresse contre le langage idéologique de la représentation historique et dans l’analyse que White propose des formes rhétoriques du discours historique.

L’imagination et la connaissance du passé

Paul Ricœur a développé sa réflexion critique sur le scepticisme historique contem- porain dans une série d’écrits élaborés au cours de plusieurs décennies, notamment dans le troisième tome de Temps et récit, Le temps raconté (1985), dans l’essai publié en 1994 « Les philosophies critiques de l’histoire : recherche, explication, écriture », dans un article publié en 1998 dans la Revue de métaphysique et de morale intitulé « La marque du passé » et enfin dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, qui date de l’année 2000 11.

La discussion initiale de ce thème se trouve dans une section du troisième tome de Temps et récit qui s’intitule « La réalité du passé historique ». Ce thème, comme Ricœur l’écrit, concerne la possibilité d’affirmer non seulement que le discours historique « représente » le passé dans le sens qu’il en désigne une image descriptive, mais aussi qu’il est capable, au moyen de cette représentation, d’attester ce qui a véritablement eu lieu dans le passé. À partir d’une multiplicité de faits hétérogènes du passé, il est certes possible de produire toutes sortes de représentations diffé- rentes (la représentation ou Darstellung) mais, au-delà de la structure narrative que l’historien confère aux événements, il s’agit de la production d’un récit fidèle, même si sa perspective est limitée, concernant ce qui s’est “réellement” passé. Au- delà de la représentation, l’historien prétend présenter un signe qui prend la place de cette réalité, et cet acte de “prendre la place de”, de “lieutenance” ou Vertretung, que Ricœur nomme la “représentance”, correspond à une revendication plus forte, que le scepticisme historique récuse, selon laquelle la représentation peut indiquer une réalité passée se situant au-delà du discours de l’historien.

La “représentance”, dans sa capacité à tenir la place des événements passés et d’en attester la réalité, fournit un leitmotiv bien connu qui traverse l’œuvre de Ricœur, de Temps et récit jusqu’à la période tardive de La mémoire, l’histoire, l’oubli.

L’interprétation qu’il propose de ce thème a néanmoins fait l’objet de remaniements successifs entre les parutions de ces deux ouvrages. Cette métamorphose dans son interprétation met en évidence un important déplacement théorique. Dans Temps et récit, Ricœur insiste sur la fonction de l’imagination historique dans son travail d’organisation temporelle comme source d’interprétation de la réalité du passé. Plus tard, dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, sans nier l’importance de l’imagination historique, Ricœur met davantage l’accent sur le rôle de la mémoire et du témoignage comme source de l’attestation de la réalité du passé historique.

11. P. Ricœur, Temps et récit III. Le temps raconté, Paris, Seuil, 1985 ; « Les philosophies critiques de l’histoire… », p. 139-201 ; « La marque du passé », Revue de métaphysique et de morale, n° 1, janvier-mars 1998, p. 7-31 ; La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000.

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Comme nous le verrons, ce déplacement est d’une grande importance pour la théorie de l’histoire qu’il propose.

Dans une section de Temps et récit intitulée « La réalité du passé historique », Ricœur a analysé le thème de l’imagination historique par rapport à ce qu’il qualifie d’une pluralité de conceptions de la représentation historique, chacune desquelles rendant compte de manière incomplète de ce qu’il nomme l’« énigme » de la « repré- sentance » dans sa prétention à saisir quelque chose de réel dans le passé historique.

Dans son investigation bien connue de ce thème, Ricœur a regroupé les différentes voies d’approche du passé historique en trois genres : le « Même », l’« Autre » et l’« Analogue », qui s’inspirent des grands genres de l’Être proposés dans Le Sophiste de Platon (245b-259d) et (pour l’Analogue) dans la Rhétorique d’Aristote. Ces trois genres correspondent à trois attitudes fondamentales à l’égard du passé : le Même, représenté par le théoricien de l’histoire Robin G. Collingwood, souligne le rôle central de l’imagination historique pour surmonter la distance temporelle qui sépare l’historien du passé et qui, sur la base de données documentaires et de la reconstruction imaginative, permet de le reproduire (reenact) dans le présent.

L’Autre, exemplifié par les théoriciens français Paul Veyne et Michel de Certeau, a mis l’accent, au contraire, sur le caractère insurmontable de la distance temporelle entre présent et passé, ce qui rend le passé dans son sens originel essentiellement étranger et opaque. Le troisième genre, l’Analogue, caractérisé par Hayden White, a mis en avant une attitude qui se rapporte au passé “comme si” on pouvait le faire réellement correspondre au récit de l’historien. Hayden White cependant, comme Ricœur le fait remarquer, interprète l’Analogue sous forme d’exercice de l’imagi- nation historique qui, loin de s’avérer capable de reproduire le passé au sens de Collingwood, se limite aux images rhétoriques et aux représentations linguistiques construites par l’activité narrative de l’historien. Aussi plausibles et cohérents que puissent être ces récits, le mode analogique de l’interprétation ne peut jamais saisir selon White la multiplicité hétérogène d’histoires possibles qu’on pourrait extraire du passé lui-même. De son côté, Ricœur, tout en acceptant la proposition selon laquelle l’historien, en conférant une forme narrative au passé, le considère

“comme si” il avait réellement existé, cherche à dépasser les limites imposées par White sur le discours historique afin de redonner à l’analogie sa densité réelle et de nous permettre d’avancer une revendication limitée, attestée par l’analyse critique des données documentaires, concernant la “représentance”, la capacité de dévoiler un sens recelé dans le passé lui-même 12. La voie d’approche analogique du passé, lorsqu’elle est correctement dégagée, nous permet de naviguer entre le genre du Même qui, de manière trop facile, présuppose que l’imagination historique est capable de reproduire le passé, et le genre de l’Autre pour lequel la réalité du passé se situe entièrement en dehors de sa portée.

Sans faire une exégèse de la théorie de Ricœur, mon but ici, au-delà de ce qu’il a lui-même explicitement reconnu, est d’en clarifier les enjeux. Dans cette perspective,

12. P. Ricœur, Temps et récit III, p. 225.

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si Ricœur s’est référé aux théories de l’imagination historique élaborées par Robin G. Collingwood ou par Hayden White, il n’a jamais évoqué les différences spécifiques qui distinguent ces théories l’une de l’autre. En outre, il n’a pas mentionné le fait que Hayden White a élaboré sa théorie de l’imagination historique qui, à partir de l’affinité qu’il a trouvée entre l’histoire et la fiction, l’a conduit au scepticisme, en termes d’une critique de la théorie que propose Collingwood de cette même faculté.

Je tenterai ainsi de montrer que c’est à la lumière de telles nuances interprétatives qu’une série de présupposés tacites se manifestent, qui nous permettront d’examiner de plus près la théorie que Ricœur propose de la réalité du passé historique.

C’est dans une note se trouvant dans la section du troisième tome de Temps et récit intitulée « La réalité du passé historique », où Ricœur se réfère à l’acte de l’imagination historique qui, selon Collingwood, rend possible la reproduction (reenactment) du passé dans le présent, que Ricœur évoque la source principale de cette théorie chez Collingwood. Dans cette note, Ricœur indique en passant la référence de Collingwood dans son ouvrage The Idea of History 13, à la théorie kantienne de l’imagination transcendantale. C’est cette théorie, comme Ricœur le constate, que Collingwood a appliqué plus spécifiquement dans le champ de l’entendement historique 14.

La théorie kantienne du schématisme transcendantal, pour rappel, concerne l’imagination pure dans sa capacité à conférer une structure à l’expérience tem- porelle. Selon la célèbre interprétation de Kant, c’est le schématisme, la faculté de l’imagination pure, qui permet de soumettre l’hétérogénéité des données sensibles à une forme conceptuelle générale et de leur conférer ainsi une structure temporelle.

Dans le second des épilogomènes présenté dans The Idea of History, Collingwood a étendu l’interprétation kantienne de l’imagination transcendantale au champ de l’interprétation de l’histoire. Il a conçu l’imagination notamment en termes de sa capacité de prêter une structure au temps historique. C’est sur cette base que Collingwood a élaboré sa théorie célèbre : en accordant une structure temporelle à l’expérience historique humaine, l’imagination transcendantale se trouve à la source non seulement de la cohérence possible des événements factuels de l’histoire, mais également des créations imaginaires de la fiction. Néanmoins, cette structure temporelle commune qui se situe à la racine de l’histoire et de la fiction ne conduit pas Collingwood à les assimiler à une même fonction ; bien au contraire, c’est l’acti- vité temporalisante de l’imagination transcendantale, lorsqu’elle est correctement comprise, qui nous donne la possibilité de distinguer le récit historique de la fiction.

À partir de cette interprétation de la différence spécifique qui distingue les créations de la fiction de la représentation historique, le raisonnement de Col- lingwood poursuit un chemin déjà frayé par la logique transcendantale de Kant qu’il applique au champ plus spécifique de la connaissance de l’histoire. En effet, dans l’Analytique transcendantale de la Critique de la raison pure, Kant s’est posé

13. R.G. Collingwood, The Idea of History, Oxford, Oxford University Press, 1956.

14. P. Ricœur, Temps et récit III, p. 209 n.

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la question de savoir comment il serait possible, dans la mesure où l’activité de l’imagination transcendantale sous-tend toute expérience, de distinguer le rêve ou l’hallucination de la réalité. Et, dans sa réponse très détaillée à cette question, Kant a déterminé que c’est la cohérence et la régularité nécessaires en termes desquelles toute notre expérience s’articule qui nous permet de distinguer la réalité du rêve.

À partir d’une logique analogue, Collingwood a proposé trois règles générales nous permettant de distinguer la réalité historique de la fiction littéraire : 1. La cohérence de la manière dont l’historien situe les représentations dans un cadre spatio-temporel ; 2. La logique intrinsèque de la représentation historique ; 3. La fidélité à l’égard de l’évidence historique 15. Dans son examen, il me semble que Paul Ricœur a négligé cet aspect de l’analyse de Collingwood, puisqu’il parvient à la conclusion fort curieuse que Collingwood aurait procédé jusqu’à une « quasi- identification du travail de l’historien avec celui du romancier » 16.

Pour son ouvrage principal, Metahistory, Hayden White a choisi comme sous- titre : L’imagination historique au XIXe siècle. Néanmoins, le terme d’ “imagination historique” revêt une signification très différente de celle proposée par Collingwood.

Dans ses essais, White a critiqué par la suite cette théorie chez Collingwood et il l’a entièrement reformulée. Dans son essai The Historical Text as Literary Artifact, White a pris à partie la théorie de l’imagination chez Collingwood, notamment à cause de la manière dont il étend la conception kantienne de l’imagination transcen- dantale au fonctionnement de l’imagination historique. Tout comme la logique et la structure temporelle que le schématisme transcendantal transmet à l’expérience, les principes constructifs de l’imagination historique chez Collingwood, comme White l’indique, présupposent un sens général auquel différents types de situations humaines peuvent être adaptés. Il est ainsi légitime d’inférer la réalité d’une telle situation pour lui, là où l’évidence correspond à la structure cohérente que ces types de situation prescrivent 17.

Contre cette théorie de Collingwood, Hayden White propose une idée radica- lement différente du fonctionnement de l’imagination. White fait remarquer que la philosophie de Kant n’était pas la seule source de la théorie de l’imagination chez Collingwood, puisqu’il l’a mêlé avec une autre tradition léguée par le XIXe siècle, selon laquelle l’imagination historique procède en termes du sentiment d’empathie 18. L’empathie rend compte de la capacité chez l’historien de se transposer dans un contexte historique étranger afin de le comprendre. Cette tradition est aux yeux de White particulièrement contestable puisqu’elle fait oublier ce qui est pour lui la limite indépassable de l’empathie, comme du discours historique, face à la réalité du passé historique. Dans son article « The Politics of Interpretation. Discipline and De-Sublimation » de 1982, White a averti ses lecteurs concernant le caractère à son avis « dangereux » de l’imagination pour l’historien. Selon lui, l’historien n’est jamais

15. R.G. Collingwood, The Idea of History, p. 246.

16. P. Ricœur, Temps et récit III, p. 209 n.

17. H. White, The Historical Text as Literary Artifact, in Tropics of Discourse…, p. 83-84.

18. Ibid., p. 84.

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capable de déterminer dans quelle mesure l’activité de l’imagination, lorsqu’elle vise un contexte étranger du passé, rencontre ce qui a réellement eu lieu dans ce contexte ; dans quelle mesure, au contraire, l’imagination produit des créations aussi fictives que celle à l’œuvre dans le roman. Après avoir cité avec approbation dans une note l’essai de Roland Barthes, Le discours de l’histoire, Hayden White présente sa conception de l’imagination historique selon les termes suivants :

[…] L’imagination est dangereuse pour l’historien, puisqu’il ne peut jamais savoir si ce qu’il a “imaginé” correspond à ce qui a véritablement eu lieu, qu’il n’est pas le produit de son “imagination”, au sens qu’on donne à ce terme pour qualifier l’activité du poète ou de l’écrivain de fiction. Bien entendu, on impose ici une discipline à l’imagination en la subordonnant aux règles de l’évidence qui exigent une correspondance cohérente entre ce qui est imaginé avec ce qu’il est permis de présenter comme “donnée factuelle”.

Néanmoins l’ “imagination”, précisément selon son acception qui caractérise l’activité du poète ou du romancier, est mise en œuvre dans le travail de l’historien à la dernière étape de son effort, lorsqu’il devient nécessaire de composer un discours ou un récit pour représenter sa découverte, c’est-à-dire sa notion de ce qui a “véritablement eu lieu” dans le passé. C’est à ce point que ce que certains théoriciens nomment le style de l’historien, pris maintenant comme écrivain de prose, prend le relais et qu’une opération s’impose qui est considérée exactement comme celle du romancier, une opération qui est ouvertement reconnue comme littéraire 19.

Dans Temps et récit III, Paul Ricœur, tout comme Collingwood, s’inspire de la théorie kantienne du schématisme transcendantal comme source de sa propre théorie de l’entendement historique 20. Dans la section intitulée « L’entrecroisement de l’histoire et de la fiction », Ricœur, tout comme Collingwood, conçoit le schématisme trans- cendantal en termes d’une capacité générale de conférer une structure temporelle à l’expérience humaine, qu’il applique moins sous forme d’une fonction abstraite émanant du cogito kantien qu’en termes des articulations temporelles propres aux structures symboliques et linguistiques qui prêtent une cohérence à la fois aux intrigues imaginaires de la fiction et aux événements factuels de l’histoire. Et, en accordant une configuration au temps historique, nous rencontrons, à travers les rapports temporels que l’imagination engage, non seulement la racine commune de la fiction et de l’histoire, mais aussi, comme Collingwood l’avait déjà affirmé, la manière spécifique dont le récit historique se distingue de la fiction.

Dans les trois tomes de Temps et récit, l’usage que fait Ricœur de la théorie kantienne du schématisme transcendantal pour sa propre interprétation de l’ima- gination par rapport au temps l’amène dans une direction nouvelle. L’originalité de cette interprétation se trouve dans la célèbre dichotomie qu’il établit entre deux traditions d’interprétation du temps qui traversent les époques de la pensée occidentale : d’abord celle qui accorde un statut fondamental au temps cosmique, le temps mesurable qui se compose de moments successifs ; ensuite, celle qui situe

19. H. White, « The Politics of Interpretation. Discipline and De-Sublimation », in The Content of the Form…, p. 67-68.

20. P. Ricœur, Temps et récit III, p. 268.

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le temps vécu, phénoménologique, au niveau fondamental. Selon l’hypothèse de Paul Ricœur, aucune de ces positions ne peut rendre compte du phénomène de la temporalité. Aucune n’est réductible à l’autre. Et, cependant, nous pouvons désigner des “connecteurs” capables de relier les deux champs du temps cosmique et du temps phénoménologique. Ricœur a désigné trois connecteurs qu’il identifie avec le temps calendaire, la suite des générations et la trace. Selon la section du troisième tome de Temps et récit intitulée « L’entrecroisement de l’histoire et de la fiction », ces trois connecteurs engagent, au niveau du temps historique humain, la fonction schématisante de l’imagination qui, à trois niveaux différents, entrecroise le temps mesurable avec le temps vécu. En tenant compte du temps historique qui est pensable et maniable, ces connecteurs prêtent une configuration, à travers les actes de l’imagination, à la fois à la fiction et à la représentation historique.

Dans l’argument que Ricœur tire de cette théorie en faveur d’un possible dépassement des simples représentations linguistiques de l’historien en vue de signes capables de recouvrer une mesure de la réalité du passé historique, la critique de Ricœur a visé notamment la réflexion de Hayden White. Il a mis en question la manière dont White a assimilé les représentations de l’historien aux simples figures du discours historique, en y désignant ce qu’il nomme un « certain arbitraire tropo- logique ». Il se réfère dans ce contexte aux figures rhétoriques en termes desquelles l’historien, selon Hayden White, organise son discours et qui, aux yeux de Ricœur, ne devraient pas nous faire oublier « la sorte de contrainte que l’événement passé exerce sur le discours historique à travers les documents connus » 21.

Au-delà de cette critique, Ricœur évoque également ce qui est selon lui le mobile plus profond qui anime l’historien dans sa volonté d’être fidèle à l’évidence documentaire : au début de la section « La réalité du passé historique », Ricœur résume cette idée en affirmant que l’historien a une « dette à l’égard des morts du passé », une dette qui nous incite à « restituer aux hommes du passé – aux morts – leur dû » 22. Pour cette conception de la dette à l’égard des morts du passé, aussi poétique que théologiquement suggestive, Ricœur s’inspire dans Temps et récit des travaux de Michel de Certeau, et il amorce l’un des thèmes principaux qu’il développera dans un tout autre sens au cours des années suivantes, notamment dans La mémoire, l’histoire, l’oubli 23.

Mémoire, histoire, répétition : Heidegger et le problème de la réalité du passé historique dans la dernière période de Paul Ricœur

Comme Paul Ricœur l’a fait remarquer dans son essai « La marque du passé », publié initialement en 1998 dans la Revue de métaphysique et de morale, après la publication

21. Ibid.

22. Ibid., p. 203, 228.

23. S’agissant du thème de la dette dans Temps et récit, voir ma critique détaillée de cet aspect de sa théorie de la mémoire et de l’histoire dans Collective Memory and the Historical Past, Chicago – Londres, University of Chicago Press, 2016, p. 71-77.

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de Temps et récit, il a trouvé insuffisante la théorie de la réalité du passé historique qu’il avait élaboré dans cet ouvrage par rapport à la distinction entre l’histoire et la fiction. Dans cet essai, Ricœur a esquissé le projet qui devait porter ses fruits deux ans plus tard avec la publication de La mémoire, l’histoire, l’oubli. Dans ce cadre, il a décidé de renoncer aux catégories générales à partir desquelles, en termes des grands genres du Même, de l’Autre et de l’Analogue, il avait envisagé les modes de thématisation du passé dans Temps et récit 24. En même temps, sa méthode d’analyse n’accordait plus la même place privilégiée à la théorie de l’imagination conçue d’après le schématisme transcendantal de Kant, et appliquée à la structure temporelle de l’histoire et de la fiction. Et cependant, pendant cette dernière période de sa production philosophique, la question elle-même concernant la réalité du passé historique a gardé toute son importance. Dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, Ricœur a même intensifié son combat à l’encontre du scepticisme historique.

Dans la section de cet ouvrage intitulée « Histoire / Épistémologie », il a prolongé une analyse critique initialement présentée dans l’essai de 1994 « Les philosophies critiques de l’histoire : recherche, explication, écriture », dans laquelle il avait mis en cause le scepticisme historique et notamment la proposition que « les faits n’ont jamais qu’une existence linguistique » dont Roland Barthes et Hayden White se sont inspirés. Selon son argument, ce courant sceptique avait trop exclusivement centré son analyse sur le moment final de “mise en forme” du discours historique, tout en négligeant les autres phases du travail historiographique, notamment celles de la preuve documentaire et de l’explication causale / finale que cette dernière phase engage 25. Dans ce cadre, Ricœur a étendu et systématisé des arguments déjà esquissés dans Temps et récit.

Dans cette triple articulation du récit historique – la preuve documentaire, l’explication causale / finale, la mise en forme littéraire – désignée par Ricœur en tant que « secret de la connaissance historique » 26, on pourrait légitimement se demander si, même après l’abandon de l’idée d’une fonction schématisante de l’imagination historique, sa pensée ne poursuit pas un but tout à fait similaire à celui de Robin G. Collingwood. Certes, les trois articulations présentées par Ricœur ne sont pas identiques aux trois principes de la connaissance historique chez Collingwood auxquels je me suis référé auparavant – la cohérence spatio- temporelle de la représentation historique, sa consistance logique intrinsèque, sa fidélité à l’évidence historique – mais le but de Ricœur est certainement en accord avec ce que Collingwood propose.

Ce constat nous amène au point décisif : si dans le cadre de La mémoire, l’histoire, l’oubli Ricœur n’a pas discuté les principes de la connaissance historique proposés par Collingwood, il a revisité la théorie collingwoodienne de la reproduction (reenact- ment) du passé. Et cette discussion de Collingwood ne se trouve pas dans la section de La mémoire, l’histoire, l’oubli intitulée « Histoire / Épistémologie », qui porte sur la

24. P. Ricœur, « La marque du passé », p. 16.

25. P. Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 320-339.

26. Ibid., p. 323.

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connaissance historique ; elle est plutôt placée dans la section du livre intitulée « La condition historique » qui quitte le champ de la pensée historique pour entrer sur le terrain de l’ontologie et de l’être historique. En se référant à la “réalité” du passé historique dans Temps et récit, Ricœur avait déjà côtoyé l’analyse ontologique 27. Dans son travail tardif, néanmoins, le motif ontologique assume une place bien plus centrale qu’auparavant, puisqu’au-delà des conditions de connaissance de la réalité de l’histoire, il est bien plus résolument question du statut du passé pour notre être historique ultérieur. Au-delà d’une attestation de la mort de ceux qui ont vécu dans le passé et de la possibilité d’assister à leur « mise au tombeau », Ricœur s’interroge sur le statut pour nous de ces « vivants d’hier, agissants et souffrants » 28.

C’est à ce moment de l’analyse que Ricœur évoque la théorie du temps histo- rique chez Collingwood pour mobiliser dans la perspective ontologique tardive de La mémoire, l’histoire, l’oubli une attaque contre lui similaire à celle que nous avons déjà rencontrée dans Temps et récit. Une fois de plus, il met en question le présupposé collingwoodien selon lequel nous pouvons, par un acte de l’imagi- nation historique, reproduire (reenact) le passé dans le présent. Sans faire appel à la méthodologie qui devait soumettre l’analyse historique au contrôle critique, Ricœur assimile cette méthode, de manière assez large, à l’idée romantique de l’historien du XIXe siècle Jules Michelet : par ce biais, le reenactment au sens de Collingwood est mis en parallèle avec la métaphore de Michelet qui identifie le travail de l’historien avec une “résurrection” du passé. Aux yeux de Ricœur, ces deux concepts de reenactment et de “résurrection” sont tous les deux critiquables puisqu’ils négligent la réelle distance qui sépare le passé du présent et occultent ainsi

« le moment d’altérité du passé » 29. Pour remédier à ce défaut, Ricœur se propose d’introduire le concept de répétition (Wiederholung), qui s’inspire de l’ontologie fondamentale de Heidegger dans Être et temps 30.

Dans nombre de ses écrits antérieurs, Ricœur a consacré des analyses détail- lées à la philosophie de Heidegger, notamment à la réflexion heideggérienne sur le temps dans le troisième tome de Temps et récit et, dans Soi-même comme un autre 31, à l’absence dans Être et temps d’une perspective éthique. Cependant, c’est dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, dans la section « La condition historique », que la philosophie de Heidegger assume un rôle bien plus central dans l’orientation de sa pensée, surtout concernant l’interprétation de l’altérité du passé. En même temps, Ricœur se propose d’élargir et de rectifier la perspective de Heidegger en vue de sa propre conception du temps historique. Dans cette nouvelle perspective, le thème de la répétition des possibilités du passé reconduit Ricœur à l’un des thèmes principaux de Temps et récit, selon lequel c’est la dette vis-à-vis de ceux qui ont vécu dans le passé qui anime notre sens de fidélité à l’égard de sa réalité factuelle.

27. P. Ricœur, Temps et récit III, p. 12.

28. P. Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 495.

29. Ibid., p. 496.

30. M. Heidegger, Être et temps [1927], Paris, Gallimard, 1986.

31. P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.

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Ici, bien au-delà du cadre de la discussion de ce thème dans Temps et récit, c’est le concept heideggérien de l’être-en-dette (Schuldigsein) dans Être et temps qui sert de base pour son analyse. Accepter la dette, comme il interprète Heidegger, signifie la capacité de répéter les possibilités que le passé recèle à partir d’un héritage que le présent assume et projette vers l’avenir.

Dans le cadre de l’ontologie historique de La mémoire, l’histoire, l’oubli, cette adoption des conceptions heideggériennes de la répétition et de l’être-en-dette est tout à fait singulière, dans la mesure où Ricœur, à partir de considérations éthiques, dirigea une critique aiguë contre ces mêmes conceptions dix années auparavant dans Soi-même comme un autre. Il avait formulé cette critique dans le cadre d’une interprétation des incidences morales de la notion de la conscience (Gewissen) et de l’être-en-dette que la conscience fait surgir. Dans Être et temps, Heidegger visait à ôter du concept de conscience toute connotation morale traditionnelle afin, selon lui, de placer par la suite la problématique morale dans une perspective ontologique appropriée. Il n’a pourtant jamais poursuivi cette tâche, et Ricœur, dans Soi-même comme un autre, avait pris à partie cette tendance à évacuer les questions morales du domaine de l’analyse ontologique fondamentale. Selon les paroles de Ricœur, Heidegger avait mis en œuvre une « démoralisation de la conscience ». À l’encontre de cette démoralisation heideggérienne de la conscience et de l’être-en-dette, Ricœur a voulu mettre en place une conception plus appropriée de la conscience capable d’engager l’éthique au niveau fondamental en la rapportant à l’invocation par l’autre. Pour reprendre les termes de Ricœur : « Ainsi serait fait droit à la notion de dette, que Heidegger a trop vite ontologisée aux dépens de la dimension éthique de l’endettement » 32.

Dans le contexte de l’ontologie historique élaborée dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, l’interprétation de la dette à l’égard du passé en termes de l’être-en-dette heideggérien marque un déplacement important. Comme Ricœur l’a reconnu dans une note, Heidegger avait identifié la dette (au double sens du mot allemand de Schuld qui signifie à la fois dette et culpabilité), en termes de l’ouverture de l’exis- tence finie (Dasein), à la possibilité du néant en vue de la singularité de la mort.

C’était pour Heidegger la décision face au néant – en dehors de toute connotation morale traditionnelle – qui rend possible la saisie de ce qui dans le passé peut être authentiquement répété 33. Ricœur a justifié sa nouvelle appréciation pour Heidegger en précisant qu’au stade préliminaire de la recherche, l’historien aurait besoin de formuler un « concept moralement neutre », avant de procéder à une évaluation de la dette dans sa dimension éthique 34.

32. P. Ricœur, Soi-même comme un autre, p. 404 ; voir également dans ce contexte la critique que Ricœur dirige contre Heidegger dans son compte rendu contemporain de la traduction par Jeanne Hersch du livre de Karl Jaspers, Philosophie, où il s’est posé la question suivante à l’égard de Heidegger : « Que peut valoir, en fin de compte, une philosophie qui n’arme pas mieux pour la décision morale et pour le jugement politique ? » (P. Ricœur, « Éclairer l’existence », in Lectures I.

Autour du politique, Paris, Seuil, 1991, p. 156).

33. P. Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 472-473 n.

34. Ibid., p. 473.

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Ce qui nous intéresse ici est moins la question concernant les incidences histo- riographiques de cet idéal chez Ricœur d’un « concept moralement neutre », conçu à la lumière de l’analytique existentiale de Heidegger, que la révision fondamentale que l’introduction de cet élément représente pour sa théorie générale de la réalité du passé historique. Ici également, en accord avec le rôle central qu’il accorde à la conception heideggérienne de l’« être-en-dette », Ricœur a transformé sa théorie antérieure : l’« être-en-dette », dans une perspective heideggérienne, devait main- tenant rendre compte de la possibilité existentiale de la « représentance », visant à recouvrer ce qui a réellement existé dans le passé et qui, en tant que répétable, garde un sens pour nous. Mais la notion d’« être-en-dette » va plus loin encore, puisqu’il s’agit non seulement d’une orientation à l’égard du passé, mais en même temps d’une source d’unité dans les modes de temporalisation de l’existence his- torique, dévoilant dans le passé ce qui, à partir de la répétition, est à projeter vers l’avenir. Comme Ricœur lui-même formule cette idée en termes très marqués par la terminologie heideggérienne :

L’être-en-dette constitue à cet égard la possibilité existentiale de la représentance. Alors que la notion de représentance reste dépendante, quant à sa structure de sens, de la perspective délibérément rétrospective du savoir historique, l’être-en-dette constitue l’envers de la résolution devançante 35.

Ricœur présente ici une lecture de Heidegger qui, à mes yeux, rend problé- matique sa manière d’interpréter la réalité du passé historique. Là où l’existence est envisagée en termes de singularité radicale, la question se pose concernant la possibilité de rendre compte des articulations collectives de l’existence. En dehors des remarques de Heidegger dans Être et temps qui interprète le domaine collectif et public en tant que mode inauthentique de l’existence, servant le plus souvent comme mode de détournement de la singularité finie de l’existence, le concept heideggérien d’une authentique existence collective reste entièrement vague. En effet, à un stade antérieur de sa réflexion sur le thème de l’historicité, Paul Ricœur lui-même avait mis en question le lieu flou que représente la notion d’authenticité collective dans la philosophie de Heidegger. Et il avait affirmé qu’au regard de la question concernant le lien possible entre communautés nationales et époques de l’histoire soulevée par toute une tradition de réflexion historique en Allemagne, la philosophie de Heidegger dans Être et temps « rend plus opaque le transfert du choix authentique du Dasein que nous sommes chacun à une communauté historique et à la destinée d’un peuple » 36. Étant donné la difficulté chez Heidegger de rendre

35. Ibid., p. 473.

36. P. Ricœur, Préface à « Heidegger et le problème de l’histoire » [1988], in Lectures 2. La contrée des philosophes, Paris, Seuil, 1989, p. 300. Voir également l’importante critique que Ricœur adresse à Heidegger à la fin de Temps et récit III, p. 368 : « Mais, alors que Heidegger ne conçoit, du moins au plan le plus originaire, qu’une transmission d’héritage de soi-même à soi-même, la traditionalité comporte l’aveu d’une dette qui est fondamentalement contractée à l’égard d’un autre ; les héritages transmis le sont principalement par la voie langagière et le plus généralement

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compte de l’existence collective sur la base de la singularité finie du Dasein, en quel sens la “répétition” à la lumière de la mort nous permettrait-elle de saisir l’altérité du passé collectif dans sa réelle distance du présent ? Malgré la critique aiguë que Paul Ricœur dirige contre le principe de “reenactment” cher à Collingwood, je ne suis pas convaincu que la “répétition” heideggérienne, en dépit de sa prétention ontologique, nous fournisse une conception plus plausible de la réalité du passé historique.

Évidemment, comme je l’ai souligné auparavant, dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, Ricœur n’adopte pas tel quel le mode d’interprétation de l’histoire que Heidegger avait proposé dans Être et temps, puisque son but avoué est d’élargir et de corriger sa perspective. Ricœur n’hésite pas à critiquer la philosophie de Heidegger là où il la trouve problématique. Et il met clairement en évidence ce qu’il pense être une focalisation exagérée chez Heidegger sur la singularité de la mort qui accorde un rôle bien trop limité aux thèmes de la sollicitude à l’égard de la mort d’autrui et de la peur face à la mort violente que l’autre peut infliger 37. En accord avec Jean Greisch, Ricœur invoque le concept de natalité chez Hannah Arendt et la condition de pluralité qui en relève dans la sphère de l’action politique.

Il présente ce concept comme correctif à l’égard de l’insistance heideggérienne trop exclusive sur l’être-pour-la-mort 38.

Cependant, les doutes exprimés à l’égard de Heidegger nous ramènent à notre question principale : étant donné le besoin d’apporter de si importantes corrections à l’ontologie existentiale de Heidegger, pourquoi Ricœur lui a-t-il accordé un rôle aussi central pour sa propre orientation ? Il me semble légitime ici de porter le doute sur la méthode de Heidegger et sur l’usage de concepts tels que la dette et la culpabilité, élaboré à partir de cette méthode en vue d’une interprétation de la condition historique et de la “réalité” du passé historique.

À différents moments dans son analyse dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paul Ricœur fait appel à la réflexion de Reinhart Koselleck sur le temps historique, notamment dans son livre Le futur passé (Vergangene Zukunft) 39. Dans cet ouvrage, Koselleck a développé sa théorie selon laquelle l’historicité humaine s’enracine dans différents modes d’anticipation de l’avenir par rapport au présent et au passé : il s’agit du rapport, selon lui, entre l’espace de l’expérience (Erfahrungsraum) et l’horizon d’attente (Erwartungshorizont). Néanmoins, Koselleck met en question la possibilité, sur la base de la philosophie heideggérienne, de comprendre le passé et de recouvrer une mesure de sa réalité. Dans son débat avec Hans-Georg Gadamer, il a dirigé une vive critique contre la philosophie de Heidegger, non seulement

sur la base de systèmes symboliques impliquant un minimum de partage de croyances communes et d’ententes sur les règles permettant le déchiffrage des signes, symboles et normes en vigueur dans le groupe ».

37. P. Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 461-471.

38. Ibid., p. 465.

39. R. Koselleck, Vergangene Zukunft. Zur Semantik geschichtlicher Zeiten, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1979, trad. fr. J. et M.C. Hoock, Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, EHESS, 1990.

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par rapport à la faiblesse de sa manière de rendre compte du rapport à autrui, mais surtout à cause de son incapacité d’interpréter l’espace interhumain qui se transforme sans cesse au cours du temps. « Les temps de l’histoire », comme il l’a écrit par rapport à Heidegger,

ne sont pas identiques et ne se laissent pas dériver à partir de modalités existentiales développées en termes d’êtres humains conçus en tant que Dasein. D’emblée les temps de l’histoire sont constitués de manière interhumaine ; il s’agit toujours de la simulta- néité du non-simultané, de délinéations de la différence qui ont leurs propres modes de finitude et ne peuvent être ramenés à une Existenz 40.

Dans ces phrases, Reinhart Koselleck présente ce qui est à mes yeux le fondement indispensable pour une réflexion sur la “réalité du passé historique”. La finitude historique ne se laisse pas ramener à la seule finitude singulière du Dasein et on ne peut en ces termes l’identifier avec la quête de répéter ce que le passé recèle, puisque la distance du passé, son “altérité”, se creuse à un niveau plus fondamental de la finitude qui a ses propres modes d’articulation : ce niveau doit être désigné à partir d’un espace symbolique intermédiaire à travers lequel la communication entre humains s’ouvre. Dans cette espace symbolique, toute expression relève d’une perspective limitée, à partir de laquelle les humains, en tant qu’êtres historiques, partagent un monde en commun. Et, tel que je l’interprète, c’est à partir de cet espace symbolique intermédiaire, de ses continuités, méandres, développements et ruptures, que toute interrogation sur la réalité du passé historique doit trouver son point de départ.

Jeffrey Andrew Barash

Université de Picardie – Amiens

40. R. Koselleck, « Hermeneutik und Historik », in Zeitschichten. Studien zur Historik. Mit einem Beitrag von Hans-Georg Gadamer, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2000, p. 101. Ce texte a été initialement publié en 1987 dans un court ouvrage comprenant également une contribution de Gadamer. Voir Hermeneutik und Historik, Heidelberg, Carl Winter, 1987.

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