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Le Panel d’inspection de la Banque mondiale: à propos de la complexification de l’espace public international

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Le Panel d'inspection de la Banque mondiale: à propos de la complexification de l'espace public international

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence

Abstract

Créée en 1993, la procédure du Panel d'inspection de la Banque mondiale est innovatrice à plus d'un égard. Elle donne la possibilité à des groupes d'individus d'adresser des requêtes à un organe international en alléguant des dommages causés par l'institution financière dans le cadre de ses activités opérationnelles. Elle offre de ce fait un véhicule d'accès au processus international de décision dans le cadre de l'une des institutions financières de Bretton Woods.

La procédure du Panel d'inspection s'inscrit aussi dans le cadre général des nouvelles tendances de règlement des différends, plus particulièrement des mécanismes accessibles à des particuliers, permettant la mise en oeuvre des principes de participation populaire, de transparence et d' accountability.

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence. Le Panel d'inspection de la Banque mondiale: à propos de la complexification de l'espace public international. Revue générale de droit international public , 2001, no. 1, p. 145-162

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:36438

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NOTE D'ACTUALITE

lE PANEl D'INSPECTION DE lA BANQUE MONDIAlE ·

À PROPOS DE lA COMPLEXIFICATION DE l'ESPACE PUBLIC INTERNATIONAL*

par

laurence Boisson de Chazournes

Professeur et Directrice,

Département de droit international public et organisation internationale, Faculté de droit, Université de Genève ;

professeur invité, Institut universitaire de hautes études internationales

Introduction :

l'évolution du mandat de la Banque mondiale

Créé par les Administrateurs de la Banque mondiale (ci-après, « la Banque »)1 au moment du cinquantième anniversaire de l'organisation, le

* -Une première version de cet article a été présentée lors d'une «journée d'étude >> autour du thème << Une nouvelle procédure de règlement des différends : le Panel d'inspection de la Banque mon- diale », organisée conjointement par le Département de droit international public et organisation interna- tionale de l'Université de Genève et par l'Institut universitaire de hautes études internationales, Université Panthéon-Assas (Paris II), le 10 mars 2000.

1 - Le « groupe de la Banque mondiale » est composé de cinq institutions, soient : la Banque inter- nationale pour la reconstruction et le développement (BIRD 1 IBRD), créée en 1944; la Société jïnan- cière internationale (SFI 1 IFC) et l'Association internationale de développement (IDA 1 AID), établies respectivement en 1956 et en 1960; ainsi que le Centre international pour le règlement des différends relatif.s aux investissements (CIRDI 1 ICSID) et l'Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI 1 MIGA), mis sur pied en 1965 (Convention de Washington) et 1985 (Convention de Séoul).

R.G.D.I.P. 2001-1

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Panel d'inspection de la Banque mondiale2 est une institution originale à plusieurs points de vue. Il s'agit d'un mécanisme sans précédent dans le monde des organisations internationales, en ce qu'il offre une voie de contrôle directe des opérations menées par la Banque, permettant de mettre en cause le bien-fondé des actions entreprises par cette dernière. Le Panel d'inspection constitue aussi un véritable révélateur de la complexité de la Banque mondiale, tant en ce qui a trait aux caractéristiques structu- relles et juridiques de l'institution qu'en ce qui concerne la nature de ses relations avec ses partenaires.

En outre, le Panel d'inspection illustre la nécessité chaque jour plus pressante de construire des « espaces publics » - au sens où l'entend le philosophe Jürgen Habermas3 - qui permettent la mise en relation de par- tenaires non traditionnels et de statures différentes, appelés à échanger, à travailler ensemble, voire à négocier.

Au sein de la Banque mondiale, les Etats emprunteurs sont évidem- ment des partenaires privilégiés, puisque la très grande majorité des opé- rations de prêt se réalisent avec eux (ou avec une entité sub-nationale).

Toutefois, certains programmes de dons ont été mis en place, permettant à la Banque d'octroyer des fonds à des entités non-étatiques, telles des fondations ou des associations. Dans le cadre de la préparation et de la mise en œuvre des activités opérationnelles, d'autres acteurs peuvent, même s'ils ne sont pas parties aux opérations transactionnelles, vouloir intervenir afin de mettre en avant leurs points de vue ou parce qu'ils font valoir des intérêts liés au développement des opérations financées par la Banque. Tel est souvent le cas des organisations non gouvernementales (O.N.G.), qu'elles soient locales, nationales ou internationales.

La procédure du Panel d'inspection est une formalisation du type d'in- terrelation envisagée dans le modèle d'Habermas : elle a créé, pour des individus et collectivités relevant de la juridiction de pays emprunteurs, une voie d'accès auprès de la Banque mondiale, et notamment auprès de son organe décisionnel, le Conseil d'administration. La procédure du Panel d'inspection engage donc les particuliers au cœur même du proces- sus de décision internationale.

2 - Le Panel d'insrection a été créé en septembre 1993, par le biais de résolutions identiques éma- nant du Conseil d'administration de la Banque internationale de reconstruction et de développement (BIRD no 93-10) et de l'Association internationale de développement (ADI no 93-6), qui fournissent le cadre de ses fonctions. Le Panel s'est par ailleurs doté de procédures opérationnelles pour pouvoir mettre en œuvre ces résolutions. Pour le texte de ces instruments (en français), voir L. Boisson de Chazoumes, R. Desgagné & C. Romano, Protection internationale de l'environnement : recueil d'instruments juri- diques, Editions A. Pedone, Paris, 1998, pp. 1065-1084. Le Conseil des administrateurs a par ailleurs apporté des précisions au fonctionnement de la procédure en 1996, puis à nouveau en 1999 : pour le texte (anglais) de ces instruments, voir I.F.I. Shihata, The World Bank Inspection Panel: In Practice (2nd ed.), Oxford University Press, Oxford/New York, 2000, pp. 320-328

3 -J. Habermas, L'espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise (trad. M.B. de Launay), Payot (coll. <<Critique de la politique>>), Paris, 1993, 324 p., et, pour des développements récents - notamment à l'échelon européen - voir aussi, du même auteur, Après l'état-nation : une nouvelle constellation politique (trad. R. Rochlitz), Fayard, Paris, 2000, 157 p.

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La création du Panel d'inspection est le fruit d'un profond mûrisse- ment, la Banque mondiale ayant connu d'importants changements, notam- ment au cours de la décennie 1990. La Banque, à l'aube du XXIe siècle, n'est plus celle qui avait été créée au sortir de la seconde guerre mondiale, à une époque où la grande préoccupation était celle de la reconstruction des économies européennes. Lorsqu'on a commencé, au début des années 1950, à parler de « développement » -les effets du Plan Marshall étaient allés au-delà des prévisions escomptées- c'était principalement, en termes macro-économiques, dans un souci de croissance économique, par le biais du financement de projets d'infrastructures. Le mandat de l'institution financière s'est par la suite progressivement élargi, jusqu'à embrasser désormais le développement social, la lutte contre la pauvreté ou encore la lutte contre la corruption4.

Le développement est maintenant conçu avant tout comme un pro- blème sociétal, qui exige que l'on porte une attention soutenue aux aspects institutionnels. Ces changements témoignent de l'émergence d'une nou- velle vision du développement : un développement qui ne doit plus être

« vertical » (connu aussi sous la formule anglaise du « trickle-down effect » ), mais distributif et participatif. Si la croissance économique est encore conçue comme le fer de lance du développement, son rôle doit être associé à une prise en compte des besoins des différentes composantes des populations concernées.

Ces idées ont essaimé au sein de la Banque mondiale, au gré notam- ment des grandes conférences internationales réunies sous les auspices des Nations Unies au cours de la dernière décade. Ces conférences ont aussi montré que les acteurs étaient de plus en plus nombreux sur la scène inter- nationale. Certes, les Etats restent les sujets primaires et premiers de l'ordre juridique contemporain ; toutefois, d'autres entités ont investi 1' arène internationale, qu'il s'agisse des organisations internationales (créées par les Etats, mais qui s'émancipent dans une plus ou moins grande mesure de leur tutelle, selon les activités qu'elles exercent), des organisations non gouvernementales, des entreprises du secteur privé ou encore des individus.

Les projets de construction d'ouvrages hydroélectriques de Narmada en IndeS et d'Arun Valley au Népal6, pour lesquels un financement de la

4 - Voir L. Boisson de Chazoumes, << Banque mondiale et développement social : les termes d'un partenariat>>, in P. de Senarclens (dir.), Maîtriser la mondialisation : la régulation sociale internationale, Presses de Sciences Po, Paris, 2000, pp.193-215.

5 - Voir sur ce point B. Morse & T.R. Berger, Sardor Sarovar : The Report of the Independant Review (1992) ; et T.R. Berger << The World Bank's Independent Review of India's Sardor Sarovar Projects >>, 9 American University Journal of International Law & Policy 1, pp. 33-48. On peut aussi consulter I.F.I. Shihata, op.cit. (note 2), notamment pp. 5-8.

6 - Cf. A. Umafia Quesada (ed.), The World Bank Inspection Panel : the First Four Years (1994- 1998), World Bank Publications, Washington D.C., 1998 ; voir aussi I.F.I. Shihata, op.cit. (note 2), not.

pp. 102-105.

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Banque mondiale avait été sollicité, et les contestations auxquelles ils ont donné lieu, ont bien montré que l'institution financière ne pouvait pas échapper à un débat avec des acteurs avec qui jusqu'alors elle n'avait pas établi de relations, telles les ONG et les populations locales. Les concepts de participation populaire, de transparence et d'« empowerment » ont pro- gressivement trouvé droit de cité dans le cadre des activités de préparation et de mise en œuvre des activités financées par la Banque mondiale, per- mettant aux groupes concernés de faire entendre leur voix lors de la phase d'élaboration, et même d'être parties prenantes dans l'exécution des projets.

De nouvelles procédures de contrôle et de règlement des différends accompagnent ces changements, permettant consultations, négociations et redressement de situations entre partenaires « traditionnels » de 1' ordre juridique international, mais aussi entre ces derniers et un nombre croissant d'autres intervenants devenus titulaires (à un degré plus ou moins grand) de capacités juridiques internationales. Le mécanisme institué par le Panel d'inspection de la Banque mondiale trouve place dans ce contexte.

L'une des réponses apportées aux doléances de ceux qui voulaient voir la Banque plus engagée auprès des acteurs non étatiques a ainsi consisté en la mise sur pied du Panel d'inspection de la Banque mondiale. Cette procédure offre une voie d'accès aux particuliers au sein d'une organisa- tion internationale, ce qui leur permet d'influer sur le processus de déci- sion de cette dernière (I). Elle présente aussi des caractéristiques qui met- tent en lumière des tendances nouvelles en matière de contrôle et règle- ment des différends (II).

1. Participation populaire et processus de décision international : la voie ouverte par le Panel

d'inspection de la Banque mondiale

Le Panel d'inspection est un organe subsidiaire du Conseil d'adminis- tration de la Banque mondiale. Il a été créé en vue d'assurer, par le biais d'un mécanisme d'enquête, une meilleure qualité des projets financés par l'organisation.

Conçu comme organe indépendant, il est composé de trois membres7 choisis en fonction notamment de leurs aptitudes professionnelles, de leur intégrité et de leur indépendance à l'égard de la Direction de la Banque.

Il sont nommé~ par les Administrateurs de la Banque, sur proposition du Président, pour des mandats d'une durée de cinq ans. Ils ne peuvent être démis de leurs fonctions que sur décision motivée des Administrateurs.

7 -Le Panel d'inspection choisit chaque année parmi ses membres un président. chargé d'en super- viser les activités courantes.

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Enfin, aux fins de 1' exercice de celles-ci, les membres du Panel ont la qua- lité de fonctionnaires de la Banque, mais ils ne sont soumis à aucune hié- rarchie organique dans l'exercice de leurs fonctionss.

La Société financière internationale (SFI) et l'Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI), deux des filiales du Groupe de la Banque mondiale entretenant des relations privilégiées avec le secteur privé, bien que soumises à de fortes pressions, ne se sont pas encore dotées d'un tel mécanisme. Elles ont opté dans un premier temps pour un ombudsman9, ce qui leur a permis d'éviter d'avoir à mettre en place une procédure formalisée de contrôle du bon déroulement de leurs opérations.

A. les politiques opérationnelles de la Banque et la promotion du principe de participation populaire La procédure du Panel d'inspection prend appui sur le concept de par- ticipation populaireto, et vise plus particulièrement à tenir dûment compte des intérêts des populations locales des pays emprunteurs. Cette considé- ration a pris son essor à partir de la fin des années 1980 et est devenue un concept clé dans les efforts tendant à assurer que les projets soient effecti- vement appliqués et produisent les fruits escomptés. Les politiques et pro-

8 - Voir les paragraphes 2 à 10 de la résolution instaurant le PaneL

9 - Il s'agit du CAO (Compliance Advisor 1 Ombudsman), ou bureau du « conseiller médiateur » pour l'application des directives de la SFI et de l' AMGL Ses fonctions, son mandat et la procédure à suivre sont décrites sur le site internet qui lui est consacré à la SPI, http://www.ifc.org/cao/index.html . On y décrit sa tâche ainsi :

« Le CAO remplit trois fonctions :

1. Conseiller et aider la SFI et l'AMGI à répondre de manière équitable, objective et constructive aux plaintes présentées par les personnes directement affectées par les projets. (Fonction de médiation.) 2. Superviser les audits de la SFI et de l' AMGI concernant l'application des directives, la per- formance environnementale et sociale en général et les projets particuliers. (Fonction de contrôle de l'application des directives.)

3. Fournir des conseils indépendants au président et à l'équipe de direction au sujet de projets par- ticuliers ainsi que, dans un contexte plus large, au sujet des politiques environnementales et sociales, des directives, des procédures et des ressources. (Fonction de conseil.)

La fonction de médiation est la plus innovante des trois. Elle vise à résoudre les problèmes en fournissant un contexte et des procédures pour aider les pa11ies à trouver des solutions satisfaisantes pour tous. Elle consiste à dépister les problèmes, à recommander des mesures, à utiliser des techniques de règlement des conflits et de médiation, et à s'attaquer, le cas échéant, aux problèmes systémiques.»

la page] http://www.ifc.org/cao/french/generalites/generalites.html

10 - Le principe 10 de la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement (Rio de Janeiro. 13 juin 1992) précise :

<~La meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tom:

les citoyens concernés, au niveau qui convient. Au niveau national, chaque individu doit avoir düment accès aux infonnations relatives à l'environnement que détiennent les autorités publiques, y compris aux informations relatives aux substances et activités dangereuses dans leurs collectivités, et avoir la possibilité de participer aux processus de prise de décision. Les Etats doivent faciliter et encourager la sensibilisation et la participation du public en mettant les informations à la disposition de celui-ci. Un accès effectif à des actions judiciaires et administratives, notamment des réparations et des recours, doit être assuré. »

v. « Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement», doc.

NU A/CONF.lSl/26 (vol. 1) annexe I [1992], reproduit dans L. Boisson de Chazournes, R. Desgagné &

C. Romano, op. cit. (note 7), pp. 41-46

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cédures opérationnelles de la Banque mondiale comptent parmi les véhi- cules les plus importants pour promouvoir l'application de ce principe.

Il s'agit de documents, élaborés et adoptés par la direction de la Banque, prescrivant au personnel de l'Organisation le comportement à suivre en matière de préparation et de mise en œuvre de projets financés par cette dernière. Ils portent notamment sur des sujets à coloration sociale, telle la conduite d'études d'impact environnemental, sur le sort des populations autochtones ou encore sur la compensation à octroyer aux populations qui se trouveraient déplacées à l'occasion d'un projet. On exige également que les populations locales soient informées et consultées et qu'elles puissent faire valoir leur point de vue. Le respect des politiques et procédures opérationnelles compte parmi les gages de qualité des opé- rations financées par la Banque.

Les politiques opérationnelles sont des documents d'ordre interne et sont, dans leur grande majorité, obligatoires pour le personnel de la Banque, qui doit en suivre les prescriptions dans son dialogue avec les pa ys emprunteurs 11. Les politiques opérationnelles n'en produisent pas moins des effets externes, car elles forgent à la fois le comportement de la Banque et celui de ses partenaires dans le cadre de leurs relations mutuelles au cours des phases de conception d'un projet, de son évalua- tion et de sa mise en œuvre. Elles sont en outre de plus en plus fréquem- ment utilisées comme critères d'évaluation des projets de la Banque par une société civile avide de voir les acteurs internationaux lui rendre des comptes (revendication aussi connue sous le terme anglais « accountabi- lity » ), devenant de ce fait des paramètres de bonne conduite. Ceci est d'autant plus important si on garde à l'esprit que la Banque mondiale agit de plus en plus souvent comme facilitateur réunissant des pouvoirs finan- ciers publics et privés : ses politiques opérationnelles peuvent dès lors influencer les comportements d'autres créditeurs impliqués.

Une question sous-jacente est celle de la nature juridique des politiques et procédures opérationnelles de la Banque. L'on connaît la gamme de tons prévalant dans l'appréciation de la portée des normes et règles juri- diques, allant du soft au hard. Dans un tel contexte, cette question reste pour le moins imprécise. Le même problème se pose d'ailleurs pour d'autres instruments, telles les circulaires du Secrétaire général des Nations Uniesl2. Présentant un caractère administratif, les politiques opé-

11 - Sur la portée des politiques opérationnelles de la Banque mondiale, voir L. Boisson de Chazoumes, « Policy Guidance and Compliance Issues : The World Bank Operational Standards », in D.

Shelton, Commitment and Compliance : The Role of Non-Binding Norms in the International Legal System, Oxford University Press, Oxford 1 New York, 2000 : voir aussi, dans le même volume, l'article de D.A. Wirth, « Commentary : Compliance with Non-Binding Norms of Trade and Finance », ibid., pp.

330-344.

12 - Par exemple la Circulaire du Secrétaire Général des Nations Unies du 6 août 1999 intitulée

«Respect du droit international humanitaire par les Forces des Nations Unies>> (ST/SGB/1999/13), dont on peut trouver le texte dans la Revue internationale de la Croix-Rouge [8 R.I.C.R. 836 (1999)], en ver-

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rationnelles n'en produisent pas moins des effets externes, en « façon- nant » le comportement des partenaires de la Banque. Elles participent pour certaines à l'émergence de normes de droit international général, quand elles ne constituent pas la codification de normes de droit interna- tional général. Elles peuvent également acquérir un statut de droit conven- tionnel lorsque leurs dispositions sont reprises dans des accords de prêts liant l'emprunteur et la Banquel3.

La création du Panel d'inspection a permis de renforcer la portée et la mise en œuvre de ces politiques, puisque celles-ci constituent « le droit applicable» en matière de requêtes devant le Panel d'inspection. Les poli- tiques et procédures déterminent la compétence matérielle du Panel, en ce qu'elles constituent 1' une des conditions de la recevabilité des requêtes.

Ainsi, dans l'hypothèse où des représentants de populations autochtones d'un pays emprunteur estimeraient leurs intérêts lésés, ou même leurs revendications légitimes ignorées dans le cadre de l'élaboration d'un pro- jet, ils pourraient, après avoir tenté d'obtenir satisfaction auprès de la Banque- étape que l'on peut qualifier d'« épuisement des moyens diplo- matiques », pour faire un parallèle avec une pratique connue en matière de règlement des différends - saisir le Panel d'inspection d'une requête pour non-application des politiques opérationnelles pertinentes, invoquant un dommage sérieux causé par cette situation.

B. Les concepts de participation populaire,

de transparence et d'accountability au cœur de la procédure du Panel d'inspection

La procédure du Panel d'inspection permet à des groupes de per- sonnes affectées par un projet financé par la Banque de saisir le Panel pour demander à l'Organisation d'évaluer, voire d'ajuster son propre comportement. Le Panel décide de la recevabilité de la plainte ainsi que de l'opportunité de demander ou non aux Administrateurs l'autorisation de conduire une enquête portant sur les agissements de la Banque au regard dè ses politiques opérationnelles. En cas d'inspection, la Banque

sion française (pp. 806-811) et anglaise (pp. 812-817), précédé d'un commentaire de A. Ryniker, intitulé

<< Respect du droit international humanitaire par les forces des Nations Unies : quelques commentaires à

propos de la Circulaire du Secrétaire général des Nations Unies du 6 août 1999 >> (pp. 795-805). Pour un commentaire, voir L. Condorelli, << Les progrès du droit international humanitaire et la Circulaire du Secrétaire Gênerai des Nations Unies du 6 août 1999 >>, in L. Boisson de Chazoumes & V. Gowlland- Debbas (eds.), The International Legal System in Quest of Equity and Universality 1 L'ordre juridique international en quête d'équité et d'universalité : Liber amicorum Georges Abi-Saab, Kluwer Law International, 2001 [à paraître], et, du même auteur, << Le azioni dell'O.N.U. e l'applicazione del diritto internazionale umanitario: il >> bollettino << del Segretario generale del 6 agosto 1999 », 82 R.D.I. 4 (1999), pp. 1049-1053.

13 - Sur la nature juridique de ces accords, voir le cours d'A. Broches, << International Legal Aspects of the Operations of the World Bank », R.C.A.D.I. t. 98 [1959-III], pp. 297 et ss.

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peut être amenée à mettre en œuvre un plan d'action pour remédier aux situations litigieuses.

Ce procédé est novateur, voire précurseur, car il offre à des représen- tants de la société civile une place au cœur du cénacle des décideurs inter- nationaux, et permet de demander à ces derniers de rendre compte de leur décisions. Cette procédure joue également un rôle de passerelle institu- tionnelle entre l'instance exécutive de la Banque mondiale et les ultimes bénéficiaires des projets qu'elle finance, permettant une mise en relation du Conseil d'administration et des particuliers par le biais du Panel d'ins- pection. Avant la création de ce dernier, les personnes affectées par des projets financés par la Banque pouvaient certes écrire à la direction de la Banque pour faire état des préjudices qu'elles estimaient avoir subis, mais il n'existait pas de mécanisme indépendant institutionnalisé leur permet- tant de formuler leurs préoccupations et leurs plaintes ; qui plus est, les communications étaient adressées au personnel de la Banque, mais l'ins- tance exécutive n'en était pas informée.

La compétence du Panel d'inspection ne s'étend qu'au comportement de la Banque. La conduite de l'Etat emprunteur ne relève donc pas de sa juridiction. Les Administrateurs de la Banque ont rappelé cette exigence en 1999, lors de l'adoption de Conclusions visant à clarifier la Résolution ayant établi le Panel d'inspection14. Cette question avait été l'objet d'âpres discussions au sein du Conseil d'administration, les pays en développe- ment voyant sous le couvert de la procédure du Panel un moyen de contourner le respect de leur souveraineté et de s'ingérer dans la conduite de leurs affaires intérieures. Ils s'opposaient notamment à ce que le Panel soit utilisé comme tribune par des acteurs non-étatiques n'ayant supposé- ment aucune légitimité pour ce faire. Cette situation de méfiance, qui s'est fait jour dès la création du mécanisme, a d'ailleurs entraîné (quelques exceptions mises à part) une nette déviation de son fonctionnement, par rapport à la façon dont on l'avait conçu à l'origine15.

14 -Les Administrateurs ont, à cette occasion, rappelé ce qui suit :

<< The profile of Panel activities, in-country, during the course of an investigation, should be kept as

low as possible in keeping with its role as a fact-finding body on behalf of the Board. The Panel's methods of investigation should not create the impression that it is investigating the borrower's perfor- mance. However, the Board, acknowledging the important role of the Panel in contacting the requesters and in fact-finding on behalf of the Board, welcomes the Panel's efforts to gather information through consultations with affected people. Given the need to conduct such work in an independent and low-pro- file manner, the Panel - and Management - should decline media contacts while an investigation is pen- ding or underway. Under those circumstances in which, in the judgement of the Panel or Management, it is necessary to respond to the media, comments should be limited to the process. They will make it clear that the Panel's role is to investigate the Bank and not the borrower. >>

cf. « Conclusions of the Board's Second Review of the Inspection Panel >> (April 20, 1999), repro- duit dans I.F.I. Shihata, op.cit. (note 2), pp. 323-328.

15 -Des enquêtes demandées par le Panel d'inspection n'ont pas été autorisées par le Conseil d'ad- ministration et des différends sont apparus quant à l'étendue des pouvoirs du Panel d'inspection au cours des diverses phases de la procédure. Sur ce point, voir I.F.I. Shihata, op.cit. (note 2), pp. 99-154.

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Il est vrai que la distinction qui doit être opérée entre le comportement de la Banque mondiale et celui de l'emprunteur est susceptible de soule- ver en pratique des problèmes, du fait du caractère d'osmose qui prévaut dans les relations de la Banque mondiale avec ses emprunteurs. La notion de « cycle de projet » met en évidence cet aspect de relations très étroites, pour ne pas dire de dépendance, dans la conduite des activités opération- nelles. A ses débuts, la Banque exigeait des pays emprunteurs qu'ils lui soumettent des demandes de prêts, accompagnées de description de pro- jets prêts à réaliser. Toutefois, l'institution réalisa assez rapidement que les pays emprunteurs n'avaient souvent ni les moyens, ni les ressources humaines nécessaires pour constituer de tels dossiers. Elle mit alors en place une pratique associant le personnel de la Banque à l'élaboration et la préparation des projets qui devaient être financés par elle. Le cycle de projet comporte ensuite la négociation d'un accord de prêt entre l' em- prunteur et la Banque, qui contient un descriptif du projet et les conditions dans lesquelles il doit être réalisé : les prêts peuvent être assortis de condi- tionnalités à satisfaire au moment de l'entrée en vigueur des prêts ou lors des décaissements des fonds alloués pour le projet. Durant la phase de mise en œuvre, l'institution est assujettie à une obligation de surveillance et de « due diligence » afin de s'assurer que les fonds destinés à un prêt soient utilisés par l'emprunteur exclusivement aux fins pour lesquelles ils ont été attribuésl6.

Les recommandations du Panel d'inspection à l'issue d'une enquête doivent être approuvées par les Administrateurs avant de pouvoir pro- duire des effets contraignants. Les conclusions de l'organe d'inspection sont susceptibles de mettre en évidence des défaillances dans le compor- tement de la Banque, appelant de ce fait l'institution financière à ajuster son comportement au moyen de plans d'action. La procédure engagée pourrait en même temps, mettre en lumière certaines déficiences impu- tables au pays emprunteur. Toutefois, ces agissements ne relevant pas - formellement- de la procédure engagée devant le Panel, c'est en paral- lèle à celle-ci que le pays emprunteur pourra, en dehors de toute super- vision de l'organe d'inspection, être amené à décider d'une action future de concert avec la Banque.

La seule concession qui ait été faite en matière d'extension des pou- voirs du Panel à l'égard des actions de l'Etat, est celle permettant à celui- ci d'apprécier la portée des consultations entreprises avec les populations visées lors de l'élaboration par agrément entre l'emprunteur et la Banque,

16 - Ce contrôle s'effectue à J'occasion du retrait par l'emprunteur des sommes voulues pour l' exé- cution du projet. Les subsides du prêt ne peuvent être retirés qu'au fur et à mesure de l'avancement du projet et avec J'accord de l'institution financière, qui prépare des rapports et envoie des missions d'éva- luation dans Je pays emprunteur, notamment pour engager un dialogue avec les bénéficiaires et apprécier les conditions de mise en œuvre d'un projet.

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d'un plan d'actionl7. Reste à savoir si ces subtiles distinctions pourront être réalisées en pratique : évaluer la portée d'un processus de participa- tion populaire n'entraîne-t-il pas en effet l'évaluateur à s'interroger sur le contenu même de ce qui fait l'objet dudit processus ? Qui plus est, les actions de la Banque et de 1' emprunteur étant si étroitement liées, il est difficile de concevoir que l'un ne soit pas tenté de se dédouaner à la faveur de l'autre. Il faudra dès lors que le Conseil d'administration de la Banque joue le rôle qui lui est dévolu par la Résolution établissant le Panel d'inspection, à savoir celui de décider en dernier lieu, au stade de la discussion et de l'approbation des recommandations du Panel, de l'at- tribution des responsabilités.

Les individus, bien que n'étant pas partie aux relations contractuelles de la Banque avec ses emprunteurs, se voient donc offrir la possibilité de faire valoir leurs intérêts au cas où les politiques opérationnelles - des documents d'ordre interne de la Banque - n'auraient pas été respectées.

Ils peuvent donc exercer un certain contrôle sur les activités de l'institu- tion financière, ce qui participe de l'émergence des concepts d'« accoun- tability »et de transparence. On remarquera toutefois que l'on fait ici face à une nouvelle forme d'« accountability », puisque il était traditionnelle- ment entendu qu'une organisation internationale ne devait rendre des comptes qu'à ses Etats membres. Avec le Panel d'inspection, les particu- liers sont devenus des agents de cette transparence dans le cadre du pro- cessus de décision. On analysera maintenant les caractéristiques de ce véhicule de transparence.

Il. Le Panel d'inspection, une procédure de règlement sui generis

La procédure du Panel d'inspection a pour objet la conduite d'enquêtes et s'inscrit, de par son caractère souple et non judiciaire, dans le cadre des procédures dites « diplomatiques ». En outre, la procédure est de nature

17 - cf. << Conclusions of the Board's Second Review of the Inspection Panel » (April 20, 1999), reproduit dans I.F.I. Shihata, op.cit. (note 2), pp. 323-328.

<< A distinction bas to be made between Management's report to the Board (Resolution para. 23),

which addresses Bank failure and possible Bank remedia! efforts and "action plans", agreed between the borrower and the Bank, in consultation with the requesters, that seek to improve project imple- mentation. The latter "action plans" are outside the purview of the Resolution, its 1996 clarification, and these clarifications. In the event of agreement by the Bank and borrower on an action plan for the project, Management will communicate to the Panel the nature and outcomes of consultations with affected parties on the action plan. Such an action plan, if warranted, will norrnally be considered by the Board in conjunction with the Management's report, subntitted under Resolution para. 23.

The Panel may submit to the Executive Directors for their consideration a report on their view of the adequacy of consultations with affected parties in the preparation of the action plans. The Board should not ask the Panel for its view on other aspects of the action plans nor would it ask the Panel to monitor the implementation of the action plans. The Panel's view on consultation with affected par- ties will be based on the information available to it by ail means, bnt additional country visits will take place only by government invitation. >>

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LE PANEL D'INSPECTION DE LA BANQUE MONDIALE 155

administrative, trouvant principalement application au sein même de l'or- ganisation internationale concernée. Le Panel est en effet un organe auto- nome dont l'indépendance est garantie de diverses manières18, créé par le Conseil d'administration de la Banque et investi de la tâche d'examiner le comportement de 1' organisation à la lumière de prescriptions élaborées par celle-ci.

Qui plus est, cette procédure s'inscrit dans le cadre d'une démarche préventive aussi bien que curative. En effet, le Panel d'inspection peut être saisi lors de la préparation d'un projet, pour se plaindre de dommages potentiels (par exemple, dans le cas du projet de l'Arun Valley19). Il peut aussi l'être pendant la phase de mise en œuvre alors que les activités envi- sagées (et potentiellement préjudiciables) n'ont pas encore débuté. Le Panel peut également être saisi dans une perspective « curative », lorsque le dommage s'est déjà produit, que ce soit dans les phases de conception ou de mise en œuvre. Tel est par exemple le cas lorsque des groupes de personnes doivent être déplacées avant que ne débute un projet.

Au vu de ces différentes possibilités, on saisit que le Panel d'inspec- tion inscrit son activité dans un continuum, un laps de temps qui s'étale du moment de la conception d'un projet à sa mise en œuvre, ce qui exige en règle générale une période de huit à dix ans2o.

A. La saisine du Panel d'inspection de la Banque mondiale Le mode privilégié de saisine du Panel d'inscription repose sur les plaintes formulées par des particuliers qui s'estiment négativement affec- tés par un projet. Ainsi la Résolution établissant le Panel d'inspection pré- voit, à son article 12 :

« Le Panel reçoit des demandes d'inspection qui lui sont présen- tées par une partie affectée, autre qu'un individu (communauté de per- sonnes, organisation, association, société ou autre groupe d'indivi- dus), sur le territoire de l'emprunteur, ou par le représentant local d'une telle Partie ou un autre représentant dans les cas exceptionnels où la partie soumettant la demande prétend qu'elle ne dispose pas d'une représentation appropriée à l'échelon local et où les

18 -Sur les garanties de l'indépendance du Panel. voir supra.

19 -Voir A. Umaî\a Quesada (ed.), op.cit. (note 6).

20 - A noter que le paragraphe 14 c) de la résolution instaurant le Panel stipule :

14. Lors de l'examen des demandes au titre du paragraphe 12 ci-dessus, le Panel ne donne pas suite aux demandes suivantes: ( ... )

c) les demandes déposées après la date de clôture du prêt ou du crédit finançant le pro- jet auquel elles se rapportent, ou après le décaissement d'au moins 95 % du montant du prêt ou du crédit.

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156 LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES

Administrateurs en conviennent lorsqu'ils examinent la demande d'inspection ( ... ) La partie lésée doit prouver que ses droits ou inté- rêts ont été ou risquent d'être directement affectés par une action ou une omission de la Banque qui découle du non-respect par la Banque de ses politiques ou de ses procédures opérationnelles concernant la conception, l'évaluation et/ou la réalisation d'un projet financé par la Banque (y compris de situations où la Banque aurait omis de veiller à ce que l'emprunteur honore les obligations que lui confèrent les accords de prêt vis-à-vis de ces politiques ou procédures), à condition que, dans tous les cas, ce non-respect ait eu ou risque d'avoir des effets matériels défavorables.( ... ) »

Le Conseil d'administration de la Banque a jugé bon de préciser, dès 1996, que « la "communauté" au sens de la résolution inclut deux per- sonnes ou plus qui partagent des intérêts ou des préoccupations, quels qu'ils soient »21.

La question essentielle est celle d'identifier les individus qui peuvent porter plainte. Il ne peut s'agir de la population entière d'un pays, mais plutôt de groupes de particuliers qui vivent dans la zone du projet (ou de représentants de personnes qui y habitent) et risquent d'être lésés par des activités liées à des projets financés par la Banque22. Ils doivent alléguer et démontrer d'une part, que la Banque n'a pas respecté ses propres poli- tiques et procédures opérationnelles, et de l'autre que ce non-respect a provoqué ou risque de provoquer des conséquences délétères significa- tives. Ils doivent précédemment avoir fait part de leurs préoccupations à des représentants de la Banque et ne pas être satisfaits des suites qui ont été données auxdits efforts. Un problème qui n'a été que partiellement abordé jusqu'ici est celui de savoir si le critère du lieu de la réalisation du projet est primordial, ou si l'on ne pourrait pas concevoir que d'autres habitants des pays emprunteurs ne puissent aussi porter plainte du fait de la nature d'un projet en cause. Dans l'affaire de la construction du barrage de Yacyreta, le Panel est même allé jusqu'à mettre en exergue la nature globale des intérêts en cause23.

Selon le paragraphe 12 de la Résolution, des organisations non gou- vernementales nationales peuvent soumettre une requête au Panel, à titre

21 -L. Forget, « Le "panel d'inspection" de la Banque mondiale >>,Annuaire français de droit inter- national t. XLII (1996), p. 653. Le texte du document du Conseil en date du 17 octobre 1996, intitulé

<< Review of tbe Resolution Establishing the Inspection Panel : Clarifications of Certain Aspects of tbe

Resolution >> [reproduit dans I.F.I. Shihata, op.cit. (note 2). pp. 320-322] porte ce qui suit :

<< It is understood thal the "affected party" which tbe Resolution describes as "a commu-

nity of persons such as an organization, association, society or other grouping of individuals"

includes any two or more persons who share sorne common interests or concerns. >>

22 -Les intéressés peuvent demander que soit préservé leur anonymat, sous réserve naturellement de décliner (confidentiellement) leur identité auprès du Panel même.

23 -Voir << Request for Inspection - Argentina/Paraguay: "Yacyretâ Hydroelectric Project" (RQ 96/2, 30 septembre 1996) >>,discuté dans I.F.I. Shihata. op.cit. (note 2), pp. 117-124.

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LE PANEL D'INSPECTION DE LA BANQUE MONDIALE 157

de représentant local d'une« partie affectée», si elles démontrent qu'elles sont dûment habilitées pour ce faire par les populations concernées. A noter que des organisations non gouvernementales internationales pour- raient également tenir le rôle d'un « autre représentant dans les cas excep- tionnels où la partie soumettant la demande prétend qu'elle ne dispose pas d'une représentation appropriée à l'échelon local ». Toutefois, les Administrateurs devraient alors approuver ce mode de représentation lors de l'examen de la demande, ce qui supposerait que le Conseil se livre à une appréciation de la situation interne au sein d'un pays et à une éva- luation concomitante de la portée de libertés fondamentales, telles la liberté d'association et la liberté de réunion.

Un administrateur de la Banque mondiale (ou le Conseil d'administra- tion tout entier) a lui aussi la possibilité de saisir le Panel d'inspection.

Toujours au paragraphe 12, on lit :

« Etant donné les responsabilités que les Administrateurs ont de veiller à ce que la Banque respecte ses politiques et procédures opérationnelles, un Administrateur peut, dans certains cas particuliers de présomptions de graves violations desdites politiques et procédures, demander au Panel d'ouvrir une enquête, sous réserve des conditions stipulées aux paragraphes 13 et 14 ci-des- sous. Les Administrateurs, réunis en Conseil, peuvent à tout moment charger le Panel de mener une enquête. ( ... ) »

Très récemment, le Conseil d'administration a demandé au Panel d'ins- pection de mener une enquête au sujet d'une plainte relative à un projet en Chine24. Il est vrai que celle-ci avait été initiée par des organisations non gouvernementales internationales et que se posait alors le problème de l'autorisation à accorder par les Administrateurs. Pour obvier ce pro- blème, et parce que le représentant chinois avait donné son accord, le Conseil d'administration a demandé au Panel qu'il conduise une enquête.

Dans cette situation, l'on sort du contexte d'intérêts spécifiques lésés touchant un groupe donné de personnes. Il s'agit ici de permettre à des représentants de l'organe décisionnel de la Banque mondiale de s'assurer de la qualité des projets financés par ladite organisation. Ils agiss.:nt alors au nom d'un intérêt collectif qui couvre à la fois les intérêts des particu- liers lésés par un projet ainsi que ceux de l'institution.

Dans le premier cas, à savoir la saisine par des groupes d'individus, ce sont des personnes extérieures à la Banque qui vont pouvoir accéder au Panel d'inspection. Par« personnes extérieures », on entend des personnes qui ne sont pas des agents de 1' organisation, ni des parties à une relation

24 - Voir « The Inspection Panel: Investigation report - The Qinghai Project [a component of the China: Western Poverty Reduction Project (Credit no. 3255 & Looan no 4501-CHA) - RQ 9913] >>, World Bank Publication, April 28, 2000 (également accessible sur le site internet du Panel d'inspection de la Banque mondiale, au http://wbln0018. worldbank.org/ipn/ipnweb.nsf)

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158 LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES

contractuelle avec l'organisation. Dans le deuxième cas, c'est un organe de l'organisation, ou l'un des membres de ce dernier, qui demande une enquête. Les particuliers font valoir des intérêts qui leur sont propres, devant démontrer une lésion d'intérêts qu'ils auraient subie. C'est au nom de la protection d'un intérêt collectif institutionnel que le Conseil d'admi- nistration, ou encore l'un de ses membres, demandera une enquête.

B. Le déroulement de la procédure

La procédure enclenchée comprend plusieurs phases et est assortie de délais à respecter. Aux côtés de l'appréciation factuelle et technique des circonstances évoquées par la requête vient se greffer une dimension poli- tique. En effet, 1' enquête ne peut être menée de la propre initiative du Panel : elle doit au préalable être approuvée par les Administrateurs. De même, le Conseil d'administration devra faire siennes les recommanda- tions et conclusions du Panel à l'issue de l'enquête avant que ces dernières ne puissent produire d'effets contraignants, à 1' égard notamment de la Direction et du personnel de la Banque.

Le Panel doit dans un premier temps décider si la demande est rece- vable prima facie. Il est procédé alors à l'enregistrement de celle-ci, ce qui n'est qu'une simple formalité administrative. La demande est ensuite transmise à la direction de la Banque, qui dispose de vingt et un jours ouvrables pour répondre aux allégations des demandeurs. Le Panel aura ensuite vingt et un jours ouvrables pour procéder à une évaluation per- mettant de déterminer l'admissibilité des demandeurs et la recevabilité de la demande.

Si le Panel ne recommande pas une inspection et si le Conseil des administrateurs accepte ses vues, l'affaire est considérée comme classée.

Le Conseil aurait la possibilité de requérir une inspection contre l'avis du Panel s'ille jugeait nécessaire. Trois jours après que le Conseil ait pris sa décision (qu'une inspection soit ou non requise), le rapport du Panel, com- prenant la demande d'inspection et la réponse de la direction, est rendu public par le Service d'information et de documentation de la Banque ainsi que dans les bureaux situés dans les pays membres concernés.

Si le Panel recommande une inspection et le Conseil approuve cette recommandation, le Panel procède à une inspection détaillée, sans échéance précise. Une fois que le Panel a achevé son inspection, il trans- met au Conseil ainsi qu'à la direction de la Banque ses constatations et conclusions quant aux allégations figurant dans la demande d'inspection.

La direction de la Banque dispose d'un délai de six semaines pour sou- mettre au Conseil ses recommandations sur les mesures qui devraient être prises par la Banque en réponse aux constatations et conclusions du Panel.

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LE PANEL D'INSPECTION DE LA BANQUE MONDIALE 159

Le Conseil adopte ensuite une décision finale concernant les mesures à prendre, compte tenu des constatations du Panel et des recommanda- tions de la direction de la Banque. Trois jours après la décision du Conseil, le rapport du Panel et la recommandation de la direction sont rendus publics par l'intermédiaire du Service d'information et de docu- mentation de la Banque et des bureaux de la Banque situés dans les pays membres concernés.

Le pays concerné par la demande d'enquête est informé du dépôt de celle-ci, et le Panel tient compte de son opinion dans le cadre de son ins- pection. Si le Panel désire se rendre dans le pays concerné, il doit aupa- ravant obtenir l'assentiment des autorités nationales. Cette question a sou- levé maints problèmes, dus aux tensions (évoquées plus haut) liées aux craintes que les pays peuvent éprouver en matière de contrôle externe de la conduite de leurs affaires intérieures. Plusieurs demandes d'enquêtes présentées par le Panel n'ont de ce fait pas été autorisées. En 1999, utili- sant la formule idoine du gentlemen's agreement, les Administrateurs s'en- gagèrent à clarifier la teneur de leur rôle, en acceptant que des inspections sur le terrain soient autorisées si le Panel le jugeait nécessaire :

« The Board recognizes that enhancing the effectiveness of the Inspection Panel process through the above clarifications assumes adherence to them by ali parties in good faith. It also assumes the borrowers' consent for field visits envisaged in the Resolution. If these assumptions prove to be incorrect, the Board will revisit the above conclusions25. »

Une fois la requête déposée, les particuliers ne sont plus partie pre- nante à la procédure. Leur sort est celui de toute personne extérieure à la Banque en matière d'accès à l'information. Le Panel pourra toutefois les interroger et prendre leurs vues en considération. Le Panel pourra d'ailleurs faire de même avec toute personne de son choix. Les individus, groupes de personnes et organisations non gouvernementales, nationales et internationales, pourront aussi transmettre des documents et rapports rela- tifs à une enquête au PaneJ26. Cette pratique s'apparente à celle du recours à des amicus curiae, en vigueur dans d'autres enceintes internationales.

On saisit la nouveauté de la procédure du Panel d'inspection lorsqu'on pense, par exemple, au problème du contentieux externe des organisations internationales et à la difficulté de trouver des fora permettant de deman- der à ces organisations de rendre des comptes. Il faut bien sûr rappeler que le Panel d'inspection n'est pas une procédure contentieuse. Il n'est en aucun cas un mécanisme conduisant à la mise en cause de la responsabi-

25 - Cf. " Conclusions of the Board's Second Review of the Inspection Panel »(April 20. 1999), reproduit dans J.F.!. Shihata. op.cit. (note 2). pp. 323-328.

26 R.E. Bissel, << Recent Practice of the Inspection Panel of the World Bank >>, 91 American jour- nal of International Law 4 (1997), pp. 743 et ss.

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160 LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES

lité internationale de 1 'organisation internationale (pas plus d'ailleurs que celle des pays emprunteurs ou de leurs instances décisionnelles).

La procédure du Panel d'inspection permet néanmoins l'objectivation, par une instance de contrôle, d'une situation de mauvais fonctionnement et peut conduire à ce que l'organisation financière redresse son comporte- ment, au bénéfice des populations concernées, par l'intermédiaire de la mise en œuvre d'actions correctives. Cela nous conduit à penser qu'un tel mécanisme devrait faire des émules au sein du monde des organisations internationales - et pas uniquement des institutions financières27 à une époque où celles-ci foisonnent, pour ne pas dire prolifèrent, et où se mul- tiplient leurs engagements dans des activités diverses sur le territoire de leurs Etats membres.

Conclusions : Des caractères endogènes et novateurs de la procédure du Panel d'inspection

Les aspects novateurs de la procédure du Panel d'inspection de la Banque mondiale ne doivent toutefois pas occulter les aspects endogènes de ce mécanisme, issus des particularités de l'organisation au sein de laquelle il a été créé. La structure de la Banque mondiale, de même que le type d'activités qu'elle est appelée à réaliser, ont fortement conditionné le profil du mécanisme mis sur pied. On doit aussi rappeler l'évidence, à savoir qu'il n'existe pas de solution parfaite, et que le Panel n'a pas échappé à la critique. La procédure a depuis ses débuts causé des tensions, les différents acteurs concernés n'étant pas toujours satisfaits de son déroulement ou des résultats. Ainsi la direction de la Banque n'apprécie pas d'être mise en cause, les pays emprunteurs d'être montrés du doigt et les plaignants de ne pas parvenir aux objectifs recherchés du fait de blo- cages ou de lenteurs dans le déroulement de la procédure.

La procédure du Panel d'inspection constitue un prisme qui permet d'appréhender la vie intérieure de 1' organisation et les difficultés inhé- rentes à la mise en place de mécanismes de contrôle. Les rapports ambi- gus en ombre et lumière entre l'organe politique et l'organe administratif (direction et personnel) sont ainsi mis en exergue au sein de l'institution financière. Il est en outre difficile pour l'organe politique - le Conseil - d'accepter que l'organe d'enquête qu'il a lui-même créé - le Panel - invoque son indépendance pour demander à son créateur de prendre des décisions qui risquent de battre en brèche la sacro-sainte entente en son

27 - Un mécanisme semblable a été mis en place au sein de la Banque interaméricaine de dévelop- pement (en 1994) et de la Banqae asiatique de développement (en 1996). Pour une comparaison des trois institutions, voir J.F.!. Shihata, op.cit. (note 2), pp. 491-500.

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LE PANEL D'INSPECTION DE LA BANQUE MONDIALE 161

sein, notamment consacrée par le recours généralisé au consensus. Les particuliers quant à eux voudraient prendre davantage part au déroulement de la procédure enclenchée, alors que les instances de la Banque ne s'ha- bituent que péniblement à la présence de ces nouveaux acteurs qui reven- diquent avec toujours plus de fermeté la reconnaissance à leur profit des principes de participation populaire, de transparence et d' accountability.

L'expérience du Panel - 18 requêtes ont été déclarées recevables - montre néanmoins que la mise en place de cette procédure d'enquête a contribué à améliorer la qualité des opérations financées par la Banque.

L'institution a décidé de suspendre l'exécution de certains projets, sinon de ne plus y prendre part. Elle a également mis en place des mesures cor- rectives, s'appuyant largement sur la contribution des populations locales.

Elle a d'autre part instauré en son sein une série de mécanismes et procé- dures pour assurer un contrôle de qualité des opérations lors de la prépa- ration et la mise en œuvre des projets28.

La procédure du Panel d'inspection met également en lumière des ten- dances nouvelles de l'ordre juridique contemporain, et notamment la nécessité de construire des espaces publics permettant la formalisation de relations entre partenaires appelés à se côtoyer et à travailler ensemble.

Cette démarche n'est d'ailleurs pas restée isolée: la création conjointe, par la Banque mondiale et l'Union internationale de la conservation de la nature (IUCN), de la Commission mondiale des barrages en 1998 consti- tue un autre exemple de « passerelle institutionnelle » entre partenaires de stature internationale différente. Ce nouveau forum constitué de douze commissaires (issus de tous les groupes d'intérêts concernés et sélection- nés de concert par la Banque mondiale et l'IUCN) devait permettre l' éla- boration de « bonnes pratiques » pour la construction de méga-structures, notamment en matière de déplacements de populations occasionnés par la construction de grands complexes hydro-électriques et de réservoirs. Le rapport de la Commission, rendu public en novembre 200029, est le fruit de consultations avec tous les partenaires concernés : Etats, organisations internationales, secteur privé, associations, etc. Cette forme de partenariat est innovatrice et démontre, si besoin en était, que les aspects sociaux investissent le processus décisionnel par divers canaux, tant opérationnels qu'institutionnels ou normatifs. La Banque mondiale a fait sienne cette évolution en créant le Panel d'inspection, et en participant à l'établisse- ment d'autres mécanismes innovateurs dans le domaine du processus international de décision.

28 - Voir L. Boisson de Chazournes, << Policy Guidance and Compliance Issues : The World Bank Operational Standards >>, in D. Shelton, Commitment and Compliance : The Rote of Non-Binding Norms in the International Legal System, op.cit., pp.289-292.

29- World Commission on Dams, Dams and Development: a New Frameworkfor Decision-Making, Earthscan Publications Ltd., London 1 Sterling (Va.), November 2000, 404 p.

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162 LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES

RESUME

Créée en 1993, la procédure du Panel d'inspection de la Banque mondiale est innovatrice à plus d'un égard. Elle donne la possibilité à des groupes d'in- dividus d'adresser des requêtes à un organe international en alléguant des dom- mages causés par l'institution financière dans le cadre de ses activités opéra- tionnelles. Elle offre de ce fait un véhicule d'accès au processus international de décision dans le cadre de l'une des institutions financières de Bretton Woods.

La procédure du Panel d'inspection s'inscrit aussi dans le cadre général des nouvelles tendances de règlement des différends, plus particulièrement des mécanismes accessibles à des particuliers, permettant la mise en œuvre des prin- cipes de participation populaire, de transparence et d' accountability.

ABSTRACT

Established in 1993, the World Bank Inspection Panel is in many regards an innovative mechanism. It enables groups of individuals, who claim to have suf- fered damage as a result of Bank conduct carried out in the course of its ope- rations, to submit complaints to an international organ. Individuals are thus offe- red a means to intervene in the international decision-making process within one of the Bretton Woods institutions.

The Inspection Panel mechanism also partakes of the new trends in dispute resolution, notably insofar as access to new procedures is open to individuals.

This, in turn, strengthens the implementation of such principles as popular par- ticipation, transparency and accountability.

RESUMEN

Creado en 1993, el procedimiento del Panel de Inspecci6n del Banco Mundial es innovador en mas de un sentido. Da la posibilidada grupos de indi- viduos de dirigir demandas a un 6rgano internacional sobre la base de alega- ciones de dafios causados por la instituci6n financiera en el cuadro de sus acti- vidades operacionales. Ofrece de esta manera un vehfculo de acceso al proceso internacional de decision en el marco de una de las instituciones financieras de Bretton Woods.

El procedimiento del Panel de Inspecci6n se inscribe también en el marco general de las nuevas tendencias de soluci6n de controversias, en particular de los mecanismos habilitados a los particulares, permitiendo la puesta en prâctica de los principios de participaci6n popular, transparencia y accountability.

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