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Le développement de la temporalité chez l’enfant de 2 à 4 ans: étude de la relation entre le cadre temporel de l’action et la mémoire d’ordre temporel

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Academic year: 2022

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(1)Thesis. Le développement de la temporalité chez l'enfant de 2 à 4 ans: étude de la relation entre le cadre temporel de l'action et la mémoire d'ordre temporel RATCLIFF, Marc. Abstract La question générale qui dirige ce travail concerne la communauté d'organisation temporelle propre au cadre temporel de l'action et à la mémoire d'ordre, qui sera étudiée sous le nom de temporalité. Le cadre temporel de l'action est étudié dans une tâche de jeu libre où l'enfant organise librement son action, et la mémoire d'ordre, dans une tâche de reconstruction d'ordre temporel (reconstruire l'ordre d'images auparavant présentées successivement). Les analyses mettront en rapport ces deux tâches, effectuées par chaque enfant. La population étudiée est l'enfant entre deux et quatre ans et demi.. Reference RATCLIFF, Marc. Le développement de la temporalité chez l'enfant de 2 à 4 ans: étude de la relation entre le cadre temporel de l'action et la mémoire d'ordre temporel. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 1995, no. FPSE 218. DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:103869. Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:103869 Disclaimer: layout of this document may differ from the published version..

(2) UNIVERSITE DE GENEVE Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education. Doctorat en psychologie. Le développement de la Temporalité chez l’enfant de 2 à 4 ans Etude de la relation entre le cadre temporel de l’action et la mémoire d’ordre temporel. présenté par M. J. RATCLIFF. sous la direction du Professeur J. MONTANGERO. Thèse N° 218 Avril 1995.

(3) REMERCIEMENTS Je tiens ici à remercier de nombreuses personnes sans lesquelles ce travail n’aurait pas été entrepris, et n’aurait pas vu sa fin. Tout d’abord, mon directeur J. Montangero, qui m’a laissé m’aventurer sur des sentiers parfois assez écartés sans m’ôter sa confiance durant ces longues recherches. Ensuite, les membres de mon comité, Mmes Pouthas, de Ribaupierre et Saada-Robert. Fort des conseils techniques du professeur de Ribaupierre, je tiens à remercier Mme Saada-Robert dont le travail s’est trouvé être à l’origine de celui-ci, et avec laquelle de précieux échanges de vues m’ont permis d’avancer sur ce chemin. Je remercie aussi V. Pouthas de sa complaisance à participer à un travail presque achevé. Mes remerciements spéciaux vont de même au professeur G. Tiberghien qui m’a proprement initié à la méthodologie ainsi qu’aux problématiques si intéressantes de la mémoire. Mes remerciements spéciaux vont aussi aux nombreuses étudiantes qui ont participé à l’élaboration première de ce travail ainsi qu’à l’expérimentation, en particulier Mmes C. Natale-Schouchana, F. Golay et G. Rossi. Parmi les personnes qui ont participé, de près ou de loin à ce travail, je tiens encore à remercier Ch. Moro pour l’énergie et les conseils qu’elle m’a prodigués, ainsi que D. Spini et G. Pini pour la partie statistique. Mes remerciements vont aussi à mes collègues, et parmi eux T. Bolliger, J. Reis et D. Voelin pour la complaisance qu’ils ont eue de partager ces longues années de travail. D’autre part, ce travail n’aurait pas eu lieu sans la participation d’un certain nombre de crèches et garderies du Canton de Genève. Que leurs directrices, leurs personnels et les enfants trouvent ici un écho de toute ma gratitude. Je tiens encore à remercier mes amis et parents qui ont pu parfois entendre des soupirs de découragement, et qui ont veillé dans l’attente. Parmi eux, ma reconnaissance va spécialement à ma femme B. Goguikian-Ratcliff, à G. Ceschi, ainsi qu’à mon père pour l’établissement de la version définitive. Enfin, je ne saurais trop remercier Marino Buscaglia de son empressement et de sa générosité intellectuelle, dans lesquels j’ai pu librement puiser pour y trouver le dernier élan nécessaire à l’achèvement de ce travail.. 2.

(4) PLAN DU TRAVAIL. 1. 2. 3. 4.. PARTIE I PRÉSENTATION ET PROBLÉMATIQUE Introduction ......................................................................................................... Période d’âge étudiée........................................................................................... Problématique...................................................................................................... Plan général......................................................................................................... PARTIE II REVUE DE LA QUESTION. Chap. 1. Mémoire, organisation et ligne temporelle 1. 2.. 3. 4. 5. 6.. La construction de la mémoire chez l’enfant ........................................................ 1.1 Historique ................................................................................................... 1.2 Le rappel est sous-entendu par l’organisation .............................................. L’organisation de la mémoire .............................................................................. 2.1 L’organisation des mémoires adulte et enfantine.......................................... 2.2 De l’organisation de la mémoire au cadre temporel...................................... 2.2.1 Nécessité de l’organisation .............................................................. 2.2.2 La théorie du script.......................................................................... 2.2.3 Les scripts permettent-ils d’expliquer la mémoire d’ordre ?............. Cadre temporel et mémoire d’ordre...................................................................... 3.1 Ligne temporelle, cadre temporel et self ...................................................... 3.2 Mémoire d’ordre et reconstruction............................................................... La mémoire précoce selon Piaget......................................................................... Mémoire et approche fonctionnelle...................................................................... Résumé................................................................................................................. Chap. 2. Notions temporelles et cadre temporel 1. 2. 3. 4. 5.. 6.. Historique de la question du temps en psychologie .............................................. L’expérimentation en psychologie développementale du temps ........................... La fonction constituante, première forme opérative du cadre temporel ? .............. La position piagétienne : le temps est un produit de l’opérativité.......................... Le rapport entre le temps et l’action : le cadre temporel ....................................... 5.1 Différents aspects du cadre temporel ........................................................... 5.2 Du temps à l’action...................................................................................... 5.2.1 Datation et unicité temporelle .......................................................... 5.2.2 Degré de réalité et degré de clarté des représentations...................... 5.3 Les notions d’avant et après......................................................................... 5.4 Les marqueurs temporels et le rôle de la consigne........................................ 5.5 Théories de la causalité................................................................................ Résumé................................................................................................................. Chap. 3. Etude de la planification : rapports entre le cadre temporel et le modèle de la dysorganisation fonctionnelle 1. 2. 3. 4. 5.. Problématique...................................................................................................... Historique............................................................................................................ L’orientation est-elle donnée par le but ?.............................................................. Qu’est-ce qui est temporel dans la coordination ?................................................. Pour quelle épistémologie l’orientation et l’intentionnalité sont-elle des métaphores ? (parenthèse épistémologique) ................................................... 3.

(5) 6. 7. 8.. Le modèle de la dysorganisation fonctionnelle..................................................... Rapport entre la dysorganisation et le cadre temporel........................................... 7.1 Genèse dynamique et genèse cumulative : histoire du tâtonnement.............. 7.2 Le tâtonnement et l’exploration comme fonctions du cadre temporel........... Récapitulation...................................................................................................... 8.1 Les fonctions du cadre temporel .................................................................. 8.2 Résumé général et problématique de la temporalité ...................................... Chap. 4. Le problème de la temporalité 1. 2. 3. 4. 5.. Insuffisance du concept de ligne temporelle......................................................... Critères d’analyse du sujet temporalisé ................................................................ Nécessité d’un concept d’adaptation aux changements liés à l’irréversibilité du temps ...................................................................................... La temporalité comme relation de cooccurrence entre le cadre temporel et la mémoire d’ordre ............................................................................ Approche des hypothèses..................................................................................... PARTIE III MÉTHODOLOGIE. Chap. 1. Problématiques et hypothèses 1. 2. 3. 4. 5.. Problématique...................................................................................................... Hypothèses théoriques ......................................................................................... Problématique opérationnelle............................................................................... Type d’analyses utilisées ..................................................................................... Hypothèses opérationnelles................................................................................... Chap. 2. Plan expérimental, analyses et variables 1. 2. 3.. Plan expérimental ................................................................................................ Variables indépendantes étiquettes et parasites..................................................... Population ............................................................................................................ Chap. 3. Procédure et tâches 1. 2. 3. 4.. 5.. Tâches utilisées.................................................................................................... Procédure expérimentale générale ....................................................................... Conditions “écologiques” .................................................................................... Tâches ................................................................................................................. 4.1 Test de mémoire d’ordre.............................................................................. 4.1.1 Matériel........................................................................................... 4.1.2 Procédure ........................................................................................ 4.1.3 Contrôle et compensation des variables parasites ............................. 4.2 La tâche de jeu libre .................................................................................... 4.2.1 Matériel........................................................................................... 4.2.2 Procédure ........................................................................................ Récapitulation du schéma d’expérience................................................................. 4.

(6) Chap. 4. Mesures et critères d’analyse 1. 2.. Test de mémoire d’ordre...................................................................................... Le jeu libre ......................................................................................................... 2.1 Le modèle de la dysorganisation fonctionnelle............................................. 2.2 Elaboration des catégories d’analyse de l’action .......................................... 2.2.1 Fonction de limitation...................................................................... 2.2.2 Fonction d’orientation ..................................................................... 2.2.3 Fonction d’exploration..................................................................... 2.2.4 Catégories concernant les procédures utilisées ................................. 2.2.5 Types de configuration effectuées par les enfants............................. 2.2.5bis Eléments de configuration ............................................................. 2.2.6 Catégories du jeu ............................................................................. 2.2.7 Catégories de l’interaction ............................................................... 2.3 Evolution et validation des catégories.......................................................... PARTIE IV RÉSULTATS, COMMENTAIRES ET INTERPRÉTATIONS. Chap. 1. Description générale 1. 2.. 3.. Population ........................................................................................................... 1.1 Population ................................................................................................... Les variables contrôlées et parasites..................................................................... 2.1 Compensation de l’ordre de présentation des images ................................... 2.2 Le sexe des enfants...................................................................................... 2.3 Les variables parasites ................................................................................. La question de la reconnaissance .......................................................................... Chap. 2. Description des conduites par groupes de catégories et par âge 1. 2.. Analyses de fréquence et pourcentages ................................................................ 1.1 Les catégories du cadre temporel ................................................................ 1.2 Commentaire génétique............................................................................... Catégories des procédures et des configurations................................................... 2.1 Fréquences et pourcentages ......................................................................... 2.2 Commentaire génétique................................................................................ Chap. 3. Analyse factorielle en composante principale 1. 2.. Généralités........................................................................................................... La rotation ........................................................................................................... 2.1 Pourcentages de variance expliqués avec rotation ........................................ 2.1.1 Le facteur 1 ..................................................................................... 2.1.2 Le facteur 2 ..................................................................................... 2.1.3 Les autres facteurs ........................................................................... 2.1.4 Examen des conditions 1 à 3............................................................. Chap. 4. Analyse de régression 1. 2.. Introduction ......................................................................................................... 1.1 Objectif et méthode ..................................................................................... Régression de la mémoire d’ordre sur les scores factoriels. 5.

(7) 3.. pour toute la population ....................................................................................... 2.1 Le test du c2................................................................................................ 2.2 Régression des réponses sur les facteurs ...................................................... 2.2.1 Régression des réponses de mémoire d’ordre sur les scores factoriels (F1)............................................................. 2.2.1 Régression des réponses de mémoire d’ordre sur les scores factoriels (F2)............................................................. Discussion ............................................................................................................ Chap. 5. Analyse de variance 1. 2.. ANOVA des réponses se mémoire d’ordre (V.I.) sur les scores factoriels (VD) ............................................................................... Première discussion sur la temporalité .................................................................. Chap. 6. Etude de l’influence de l’âge sur la temporalité 1.. 2.. Analyses .............................................................................................................. 1.1 Analyse de variance de l’âge sur les réponses de mémoire d’ordre............... 1.2 Analyse de régression stepwise.................................................................... 1.3 Analyse factorielle....................................................................................... Résumé des résultats obtenus................................................................................ Chap. 7. Etude de la variable consigne 1.. 2.. Analyses .............................................................................................................. 1.1 Régression stepwise .................................................................................... 1.2 Régression des réponses de mémoire d’ordre sur les scores factoriels.......... 1.2.1 Le facteur temporel.......................................................................... 1.2.2 Le facteur procédural....................................................................... Synthèse et interprétation des réponses en fonction des modalités de la consigne sur les facteurs.............................................................................. 2.1 Consigne externe et consigne interne........................................................... 2.2 Rapports avec l’organisation et la dysorganisation l’ensemble des buts potentiels applicables à la situation............................... 2.3 La dysorganisation permet de constituer l’ensemble des buts....................... 2.4 Fonction adaptative et fonction réalisatrice-cognitive .................................. 2.5 Cadrage potentiel et traitement actuel de l’information ................................. Chap. 8. Etude de l’hypothèse génétique 1.. Régression de la mémoire d’ordre sur les facteurs en fonction de l’âge ................ 1.1 Le test du c2................................................................................................ 1.2 Régression des réponses sur les facteurs ...................................................... 1.2.1 Le facteur temporel.......................................................................... 1.3 Synthèse des réponses de reconstruction....................................................... 6.

(8) PARTIE V DISCUSSION GÉNÉRALE ET CONCLUSIONS. Chap. 1. Discussion générale 1. 2.. 3.. 4. 5.. Résumé général des résultats................................................................................ 1.1 Résultats concernant l’hypothèse h1 ............................................................ 1.2 Résultats concernant les hypothèses h2 et h3 ............................................... Discussion générale ............................................................................................. 2.1 Le problème de la mémoire d’ordre............................................................. 2.2 Irréversibilité du temps et adaptation ........................................................... 2.2.1 Rapport entre l’organisation et l’irréversibilité................................. 2.2.2 Rapport entre la dysorganisation et l’irréversibilité du temps ........... 2.2.3 L’origine des modalités du temps .................................................... 2.3 La théorie de la ligne temporelle.................................................................. 2.4 Reprise des questions sur le temps et la subjectivité..................................... Discussion sur les principale théories actuelles .................................................... 3.1 Irréversibilité et information........................................................................ 3.2 Cadrage et traitement de l’information......................................................... 3.3 Continuité et rupture face à la théorie de Jean Piaget ................................... Temporalité et interaction .................................................................................... Synthèse sous forme de tableau général ................................................................ Chap. 2. Conclusion et perspectives 1. 2. 3. 4.. Conclusion........................................................................................................... Apports de ce travail............................................................................................ Perspectives de recherche .................................................................................... Intégration à d’autres champs de recherche........................................................... Bibliographie ........................................................................................................... Annexes .................................................................................................................... I. II. III. IV. V.. Etudes des non-réponses des sujets dans le test de mémoire d’ordre..................... Discussion de l’objection de la reconnaissance .................................................... Analyse de fréquence des catégories du jeu (suite)............................................... Analyse factorielle et réplication des facteurs....................................................... Interaction de la consigne avec les sujets non-organisés (Anova par groupes)....................................................................... 7.

(9) PARTIE I PRESENTATION ET PROBLEMATIQUE 1. Introduction La question générale qui dirige ce travail concerne la communauté d’organisation temporelle propre au cadre temporel de l’action et à la mémoire d’ordre, qui sera étudiée sous le nom de temporalité. Le cadre temporel de l’action est étudié dans une tâche de jeu libre où l’enfant organise librement son action, et la mémoire d’ordre, dans une tâche de reconstruction d’ordre temporel (reconstruire l’ordre d’images auparavant présentées successivement). Les analyses mettront en rapport ces deux tâches, effectuées par chaque enfant. La population étudiée est l’enfant entre deux et quatre ans et demi. 2. Période d’âge étudiée Le passage du sensori-moteur au représentatif concerne spécifiquement la limite d’âge inférieure de notre population, la représentation apparaissant vers l’âge d’un an et demi à deux ans. La limite supérieure de l’échantillon est marquée par un stade – plutôt un sous-stade – dont l’importance a été assez peu relevée par les psychologues. Piaget et Grize (1968) suivis de Brown (1975c) l’ont mis en évidence à travers l’étude des formes préalables de la pensée réversible. Pour Piaget et Grize, il s’agit de la première forme d’opérativité représentative stable et modélisable acquise par l’enfant autour de quatre ans et demi à cinq ans, sous la forme d’une demi-réversibilité. Baptisée fonction constituante en 1968, par opposition à la fonction constituée qui se rapporte aux opérations concrètes, elle a été étudiée à nouveau au même âge par Brown (1975c), qui y voit la première forme prise par la notion de succession temporelle. Dans la mesure où la problématique émane de ces deux questions – formes d’organisation de l’action et notions temporelles – nous avons choisi une population limitée par ces deux changements. L’âge minimal en est donné par les débuts de la représentation, vers deux ans, et l’âge maximal par cette fonction, vers quatre ans et demi, étant donné que les compétences spécifiques que l’enfant démontre à partir de 4-5 ans supposent un modèle d’interprétation lié à l’opérativité et différent de celui qui sera déployé ici. Les chercheurs contemporains mettent d’ailleurs en évidence l’importance de l’âge de 4 ans, comme âge de transition (Acredolo 1992, Bickhard 1992). Un certain intérêt pour cette période est né aussi du fait d’un manque de données issues de recherches empiriques portant sur cet âge. Ce manque ne concerne pas les recherches utilisant l’observation, mais l’expérimentation. En effet, cette période a été étudiée surtout au moyen de l’observation directe ou sur protocole et assez peu de manière expérimentale, notamment pour les enfants entre deux et trois ans et demi. Alors que sur ce propos, l’observation se pratique depuis le début du siècle (Decroly et Degand 1913; Janet 1935; Wallon 1942; Piaget 1945), ce n’est que depuis les années 1985 que les recherches expérimentales sur l’enfant de deux à quatre ans ont commencé à se mettre en place de manière systématique. L’intérêt pour cette période se situe aussi dans le cadre d’une réflexion plus ample issue de la psychologie génétique. Si, ainsi que le soutient Piaget par et dans toute son oeuvre, et plus récemment Cormier, Wiener et Shilkret (1986), la démarche génétique est nécessaire pour comprendre les architectures cognitives situées dans les points d’aboutissement du développement, alors on peut ajouter qu’il est d’autant plus important d’étudier les phénomènes psychiques lors de leur première apparition et, ceci, 8.

(10) de manière proportionnelle à l’importance prise par ces phénomènes ultérieurement. L’étude des phénomènes dans leur genèse pourrait permettre de recueillir des données de nature différente que les données obtenues dans l’étude du phénomène arrivé au terme de son développement. A l’inverse, faire de la psychologie développementale suppose inévitablement de se situer aussi par rapport aux modèles utilisés par la psychologie de l’adulte, sans qu’une transposition soit toujours possible. L’unanimité n’est pas de mise sur ces questions qui font l’objet de controverses, concernant le rapport entre l’utilisation et l’interprétation de données provenant de la psychologie génétique pour l’étude du fonctionnement cognitif de l’adulte (Vermersh 1979, 1983), ou le contraire (Colloque sur la pensée naturelle 1983; Cormier, Wiener et Shilkret 1986; Neisser & Winograd 1988). 3. Problématique Piaget (1925, 1946, 1968) considère que la mémoire d’ordre, ramenée à la causalité (1925; 1946 p. 6), est dépendante de la structure opératoire réversible, chez l’enfant de 4 à 8 ans. Chez l’enfant entre 2 et 4 ans, c’est la coordination croissante des actions qui permet d’expliquer les compétences encore non stabilisées de l’enfant pour la mémoire d’ordre (Piaget 1936, 1937, 1945). Or, cette dernière assertion n’a pas été mise à l’épreuve de manière expérimentale, c’est-à-dire en étudiant expressément le rapport entre la coordination et la mémoire d’ordre. Plus récemment, Nelson (1984, 1986, 1988, 1991) a avancé une explication de l’ordre temporel par la notion de script, c’est-à-dire la représentation généralisable d’événements ordonnés. Malgré la distance entre ces deux théories, elles se rejoignent cependant sur deux points : d’une part la notion d’ordre temporel y est ramenée à des formes de la causalité, que ce soit la notion de causalité chez Piaget (1946, p. 61), ou la causalité narrative qui entre en jeu dans le script. Il y a là une réduction du temps à la causalité. D’autre part, ces auteurs envisagent un rapport de détermination causale entre les structures ou les scripts qu’ils étudient et la mémoire d’ordre temporel, cherchant à déterminer l’ordre temporel des représentations du jeune enfant. La présente démarche se distingue sur ces deux points : d’abord on étudiera l’ordre temporel en le considérant comme spécifiquement distinct de toute forme de causalité. Ensuite le problème n’est pas, stricto sensu, de savoir quelle est la structure déterminante de la mémoire d’ordre. La problématique est la suivante : au cours du développement, l’enfant devrait construire une forme d’adaptation et d’organisation des conduites qui lui permette de s’adapter à l’irréversibilité du temps, exprimée sous diverses formes (changement des situations, impossibilité du retour en arrière, accroissement de l’incertitude, etc). Les manifestations de cette fonction adaptative devraient être présentes aussi bien dans l’organisation temporelle de l’action que de la mémoire. Pour cela, on analysera l’action en dissociant ses aspects internes (coordination, procédures) de ses aspects externes (marqueurs, but), ce qui sera expliqué plus amplement par la suite. On cherche donc à savoir s’il existe une communauté d’organisation temporelle entre la mémoire d’ordre et le cadre temporel de l’action de l’enfant – la temporalité. C’est sur cette relation de communauté fonctionnelle que porte l’hypothèse générale de ce travail. Par la suite, il s’agira de mettre en évidence les spécificités de cette relation de communauté fonctionnelle exprimant une fonction adaptative primordiale du comportement de l’enfant. La thématique générale et unificatrice qui en résulte concerne la genèse précoce de la 1 Piaget 1946, p. 6 : “Le temps se ramène aux opérations causales”.. 9.

(11) temporalité de l’enfant, en rapport avec la mémoire d’ordre et le cadre temporel déterminant l’action. Précisons que l’expression “cadre temporel” porte sur l’action présente et la conduite finalisée2 de l’enfant, alors que le terme “temporalité” porte sur la relation entre le cadre temporel et la mémoire d’ordre. C’est leur mise en rapport qui formera l’objectif principal de ce travail. L’hypothèse générale suppose qu’il est possible de mettre en évidence une seule fonction d’adaptation de nature temporelle qui réunisse certains aspects de base de la mémoire d’ordre et du cadre temporel. C’est par l’étude des similarités dans le développement de la mémoire d’ordre et de l’action qu’il sera possible d’inférer leur communauté de fonctionnement. 4. Plan général On passera en revue les recherches sur la psychologie de la mémoire, du temps et de la planification chez l’enfant. De la psychologie de la mémoire, on mettra en évidence ses principaux résultats pour ce qui concerne la mémoire de l’ordre temporel d’événements chez l’enfant. La théorie piagétienne de la mémoire schématique ainsi que les récents travaux des fonctionnalistes américains forment une des bases de cette recherche. Après avoir montré comment le script et l’organisation de la mémoire trouvent leur soubassement dans l’ordre temporel, on évaluera la pertinence et les limites de concepts comme le self ou la ligne temporelle, pour la problématique. Dans le domaine de la psychologie du temps, il faut différencier le champ des notions temporelles, de la construction de notre domaine d’étude, celui du cadre temporel et de la temporalité. La notion de fonction constituante est examinée, et les travaux de Piaget, qui ont tant fait pour la psychologie du temps, sont étudiés d’un point de vue critique. Puis l’on cherchera à clarifier la difficile question du rapport entre l’action et le temps, en se demandant quels sont les concepts qui se rattachent à la notion de cadre temporel. Après avoir montré comment la notion de marqueurs temporels est pertinente pour fonder une des premières fonctions du cadre temporel, on discutera de la thèse qui ramène le temps à la causalité. Dans le champ de la planification, on réfléchira sur trois objets. D’une part, il faudra mettre à l’épreuve le modèle piagétien de la coordination moyens-but, auquel il rapporte la mémoire d’ordre. Pour Piaget, le temps, que ce soit sous la forme de la succession, de l’orientation ou de l’irréversibilité, est issu de la coordination moyensbut. Une des conditions de l’hypothèse générale pose que c’est exactement l’inverse : c’est le cadre temporel qui se rapporte à la mémoire d’ordre, et la coordination moyensbut en constitue le contenu hiérarchisable et formalisable. Essentielles pour comprendre la planification, les différentes facettes des concepts d’orientation et d’intentionnalité seront aussi examinées. Ensuite, on s’arrêtera sur le modèle de la dysorganisation fonctionnelle (Saada-Robert 1980), une des théories sur lesquelles ce travail s’appuie. Ce modèle, dont le cadre temporel est progressivement apparu comme le centre, permet d’introduire une problématique et des hypothèses développementales. Ensuite on termina la revue de la question en mettant en évidence deux autres fonctions temporelles propres aux conduites finalisées, qui constituent, avec la première fonction, le cadre temporel selon nos hypothèses.. 2 Nous utilisons l’expression “conduites finalisées” pour désigner les actions de l’enfant effectuées dans la tâche de jeu libre avec les animaux.. 10.

(12) Viennent ensuite la problématique générale et les hypothèses, où sont examinées les conditions nécessaires à la vérification de l’hypothèse principale. Sont ensuite exposées les hypothèses secondaires, avant la présentation, l’analyse et l’interprétation des résultats.. 11.

(13) PARTIE II REVUE DE LA QUESTION Chap. 1. Mémoire, organisation et ligne temporelle 1. La construction de la mémoire chez l’enfant 1.1 Historique Deux constatations majeures de la recherche en psychologie se trouvent à l’origine des études génétiques sur la mémoire, qui débutent systématiquement vers la fin des années 60. La première part du fait brut que la mémoire se développe, et la seconde porte sur les rapports entre la mémoire et les processus d’organisation cognitive. L’idée de développement de la mémoire n’est pas neuve en psychologie, elle est déjà présentée comme programmatique par Janet (1928), qui la rattache, avec la notion de temps, à la genèse des conduites de récit, c’est-à-dire, de pair avec l’acquisition du langage, à la progressive capacité à reconstruire et raconter une histoire. On verra comment cette thèse est largement reprise par le courant fonctionnaliste actuel. 1.2. Le rappel est sous-tendu par l’organisation Chez le jeune enfant, les recherches sur le rappel sont relativement récentes. Les origines même du rappel semblent très précoces (Ashmead et Perlmutter 1980) et la durée de la phase de rétention est variable (Deloache et Brown 1987; Bauer et Shore 1987). Cette capacité s’accroît avec l’âge : Fivush, Gray et Fromhoff (1987, p. 399) montrent que le rappel de souvenirs autobiographiques de l’enfant entre 2 ans 5 et 2.11 va jusqu’à 10 mois, l’enfant accédant aisément à des souvenirs datant de 6 mois, très faiblement indicés par l’expérimentateur. Selon Piaget (1936), trois caractéristiques du schématisme sensori-moteur permettent le rappel. D’une part l’aspect autoconservateur du schème, ensuite les réactions circulaires qui permettent d’organiser la répétition en fonction des nouveautés apparues au cours du développement sensori-moteur, et finalement le schème de l’objet permanent, apparaissant vers huit mois, qui forme la structure schématique indispensable pour la conservation du souvenir. Cette influence de la répétition sur le rappel est montrée par des recherches plus récentes (Bower et Reitman 1972; Paris 1978; Bauer et Mandler 1989; Fivush et Hamond 1989; Fivush et al. 1991). Dans la théorie piagétienne, tout accès au souvenir peut être considéré comme une forme différenciée et évoluée de la répétition, ou plutôt de l’assimilation répétitive. La répétition en acte d’un schème forme la base sensori-motrice indispensable sur laquelle se fonde non pas seulement le souvenir, considéré comme trace dynamique, mais bien l’acte de remémoration. Celui-ci étant dépendant de l’évolution générale de l’intelligence, d’abord pratique, puis symbolique et opératoire, les souvenirs adoptent alors la forme pratique, symbolique ou opératoire qui correspond au niveau de l’enfant. Malgré les critiques à cette conception (Bresson 1970; Durup 1970), elle a le grand avantage d’avoir focalisé les problèmes génétiques de la mémoire sur les questions de l’organisation, dont la répétition est une composante importante. Ce rapport entre répétition, mémoire et organisation, d’abord étudié à travers des tâches de reconstruction (Piaget et Inhelder 1968; Inhelder 1970) a ensuite été réétudié au moyen de tâches classiques de rappel de listes de mots mettant en évidence des différences d’organisation, en fonction de l’âge et des répétitions du rappel (Paris 1978, Paris et 12.

(14) Lindauer 1977, Erdelyi et Becker 1974). Chez les jeunes enfants, les facteurs qui influencent l’organisation sont liés à la mémoire épisodique, aux scripts, et aux résumés d’événements. Dans ce cadre, les compétences de rappel du jeune enfant sont mises en évidence par de nombreuses recherches. Ainsi, Sommerville, Wellman et Cultice (1983) montrent que des enfants de 2 ans peuvent se rappeler délibérément de souvenirs quotidiens et concluent à un développement précoce de la mémoire épisodique. Cette conclusion un peu rapide néglige cependant le type d’organisation et de codage propre à ce qu’on appelle mémoire épisodique : codage spatio-temporel, importance des indices et des relations contextuelles, mise en forme des souvenirs par une synthèse sur une ligne temporelle. D’autres recherches montrent que si le jeune enfant arrive effectivement à se rappeler de nombreux souvenirs, ce n’est pas pour autant qu’il les met sur une ligne temporelle continue (Barsalou 1988) ou qu’il les différencie au point de vue de leur localisation temporelle (Fivush, Gray et Fromhoff 1987). La capacité d’intégrer de nouveaux éléments au rappel d’événements déjà connus est présente dès 2.6 ans (Bauer et Fivush 1992). La seule différence entre ces enfants et des enfants plus âgés, c’est-à-dire dès 3-4 ans serait la moins bonne organisation narrative de leur souvenir, capacité liée à l’apparition des scripts (Nelson et al. 1983, 1988). On verra que les recherches de Nelson l’ont amenée à une conclusion opposée à Sommerville et al., c’est-à-dire que le développement de la mémoire épisodique serait dépendant de la constitution des scripts. Cependant, quoique le rappel semble dépendant d’une organisation de type catégorielle (Nelson et Nelson 1990), qu’il soit sensible aux indices (Hudson et Fivush 1991a, Hudson et Fivush 1992), à la proximité familiale des personnes liées au souvenir (Fivush et al. 1991), à des variations de l’interaction entre l’âge et l’intervalle de rétention (Hamond et Fivush 1991; Hudson et Fivush 1991a), il est possible qu’un contexte d’intégration plus puissant comme l’ordre temporel et linéaire soit nécessaire pour que le rappel prenne un sens pour le sujet. Déjà pour Fraisse (1957), le rappel d’une succession d’événements est possible uniquement si les deux événements faisant l’objet du rappel appartiennent à une même série, ce qui revient à situer le rappel de différents souvenirs autour d’un centre temporel permanent qui les relie. L’étude des formes d’accès au souvenir chez l’enfant est dans ce cas dépendante de concepts indirectement reliés à l’acte de remémoration, tels que la ligne temporelle et l’organisation. 2. L’organisation de la mémoire 2.1. L’organisation de la mémoire enfantine Différents problèmes résultent de la validation des modèles de mémoire adulte chez l’enfant. La caractéristique la plus spécifique de la mémoire de l’enfant, depuis l’âge de 3-4 ans et, contrairement à la mémoire de l’adulte (Tulving 1962, Waugh et Norman 1965, Atkinson et Shiffrin 1968, Symposium A.S.P.L.F. 1970), n’est pas de classer des données, de mémoriser en différenciant les modalités sensorielles, les niveaux de traitement d’information, d’être sensible à des effets de récence ou de primauté, ou d’autres caractéristiques de la mémoire de l’adulte (Barsalou 1988), mais de varier ses compétences en fonction des sujets et de leur âge. Sauf Piaget, la mémoire du jeune enfant n’est étudiée que depuis 1980 environ, avec comme objectif principal d’en comprendre le développement et le fonctionnement (Neisser 1985, 1988). Pour cela, les recherches fonctionnalistes se font dans une perspective plus écologique (Neisser 1988; Hoffman et Palermo 1991; Gathercole et Collins 1992), c’est-à-dire en utilisant, en plus de l’expérimentation, des méthodes d’observation, des études de cas, voire l’étude des journaux de parents. Cette méthodologie désire intégrer les différents aspects du 13.

(15) contexte naturel physique et humain dans lequel peuvent se construire les productions mnésiques. 2.2. De l’organisation de la mémoire au cadre temporel 2.2.1. Nécessité de l’organisation Schonen (1974) considère que “postuler la possibilité d’une étude des processus mnésiques indépendante des solutions données aux questions générales sur l’origine de l’organisation des conduites revient en fait à répondre implicitement à ces questions”. Puisqu’il est impossible d’échapper au problème de la nature de l’organisation, qu’elle concerne les conduites du sujet et certains aspects particuliers de la mémoire, ou encore la question du cadre temporel, il est nécessaire de l’étudier. Aussi commence-t-elle sa problématique par les questions suivantes : “D’où vient l’organisation des conduites et des connaissances, quels sont les modes de dépendance entre le sujet et l’environnement? Qu’est-ce qui détermine l’organisation des informations telles qu’elles apparaissent dans les conduites du sujet?”. La question est donc bien d’intégrer l’étude de l’organisation de la mémoire aux rapports entre sujet et milieu. Le concept d’organisation de la mémoire repose sur certaines distinctions. Si la capacité à mémoriser un phénomène est distincte de la capacité à effectuer une opération, cependant au cours du développement, la relation entre ces deux capacités est loin de se présenter comme univoque. Selon Moely et al. (1969), la capacité de catégorisation mise au service d’une tâche de mémoire augmente en fonction de l’âge, entre 5 et 11 ans. Selon Piaget (1970, p. 169) “le code mnésique dépend étroitement de l’intelligence, dont les systèmes de schèmes serviraient de points d’appui à la conservation des indices perceptifs ou des images-souvenirs servant à la recognition ou à l’évocation”. Il ne fait donc presque pas de différence entre l’organisation schématique et la mémoire. Cette thèse a comme conséquence que la notion de trace statique n’a pas de fondement, ou n’est pas nécessaire (Florès 1970, 1975). Pour Piaget, la subordination de la mémoire à l’intelligence signifie que le développement de celle-ci conditionne le développement de la mémoire, et concerne aussi le rapport sujet-milieu. Pour répondre entre autres à des questions d’organisation de la mémoire et de classification des processus mnésiques chez l’adulte, Tulving (1972, 1983) a différencié la mémoire épisodique de la mémoire sémantique. La mémoire épisodique est censée coder les informations d’ordre temporel, alors que la mémoire sémantique décontextualise les informations. Pour Tulving, cette dissociation est liée à des processus différents. Quoique controversé (McCauley 1984 ; Tulving 1984 ; McKoon et al. 1986), ce modèle a été rapidement utilisé en psychologie de l’enfant (Brown 1975b; Brown et Murphy 1975 ; Crovitz & Quina-Holland 1976 ; Nelson et Brown 1979; etc). Certains auteurs ont utilisé le modèle de Tulving pour en étudier les proportions respectives de mémoire sémantique et épisodique selon l’âge (Crovitz & Quina-Holland 1976), pour différencier un ordre temporel inhérent aux items (cas d’une histoire logique) ou indépendant des items (cas d’une histoire arbitraire) (Brown et Murphy 1975 ; Brown 1975b), ou l’ont exploité pour constituer un modèle d’organisation de la mémoire de l’enfant (Nelson et Ross 1980). Finalement, un des apports importants du modèle de Tulving a été directement ou pas de réintroduire les concepts de self et de temps dans la recherche développementale en mémoire, ce qui a permis d’étudier les rapports entre le développement de la mémoire autobiographique et la “ligne temporelle” (Barsalou 1988).. 14.

(16) Pour Barsalou (1988, p. 235), la part dévolue à l’organisation cognitive hierarchisée d’une mémoire adulte (permettant de classer, faire des inférences, de hiérarchiser des informations) est fortement prioritaire face à la capacité, pour la même population, de "résumer" des événements ("construction of a summarized event"), fort importante dans le développement. S’appuyant sur les travaux de Nelson et al. (1983) et Nelson et Gruendel (1981), Barsalou suppose que la relation entre résumé et organisation est inversée chez l’enfant. Celui-ci construirait des représentations résumées d’événements bien avant qu’il ne soit capable de les classer selon une taxonomie, c’est-à-dire de les organiser (Lucariello et Nelson 1985 ; Fivush et al. 1992). Chez le jeune enfant, cette capacité de résumer des événements est dépendante d’une part du contexte, de l’effet de familiarité par lequel l’enfant connaît mieux les objets proches, et d’autre part des variations d’organisation du matériel de mémoire (Bauer et Shore 1987). Elle se rapporte de plus aux notions de script et de schéma. 2.2.2. La théorie du script Le script est la capacité de l’enfant à raconter un événement de manière ordonnée. La question est essentiellement de savoir d’où vient cet ordre temporel. Nelson (1986, 1988, 1991), principale théoricienne des scripts chez l’enfant, cherche à décrire et à expliquer les divers modes de fonctionnement de la mémoire de l’enfant, par ses différences face à la mémoire adulte, notamment en ce qui concerne la présence d’un script organisant les événements. Sa première hypothèse concerne la prééminence du script sur la mémoire épisodique : “la mémoire épisodique apparaît seulement après la stabilisation d’un script général pour les événements. Dans l’ontogenèse, le script précède la mémoire épisodique” (p. 248). En conséquence, un événement isolé ne doit pas être retenu car il n’est pas intégré à un script, ce qui est confirmé par Hudson et Nelson (1986) sur une population d’enfants de 3 à 5 ans. Au fur et à mesure que le schéma s’établit durant le développement, la mémoire des épisodes est meilleure, le script servant apparemment à les relier entre eux. Cependant, cette hypothèse ne rend pas compte des souvenirs précoces de l’âge de deux ans (Todd et Perlmutter 1980 ; Fivush, Gray & Fromhoff 1987 ; Nelson & Ross 1980). En effet, sans être encore capables de maîtriser les scripts, les enfants qui commencent juste à parler peuvent, en contexte familier, se rappeler des événements datant d’une époque où ils ne parlaient pas encore. Ces faits contredisent la première hypothèse de Nelson. Elle envisage alors une deuxième hypothèse, liée aux variations dans le traitement de l’information selon l’âge. Son raisonnement est le suivant : les recherches montrent qu’à 2 ans, la mémoire d’une expérience est conservée durant une période limitée de temps, période durant laquelle l’information est accessible. Certaines informations sont accessibles durant six mois. D’autres expériences ou événements similaires peuvent se produire avant ou après la remémoration. Si c’est le cas, l’information nouvellement traitée l’est de deux manières : à travers la fusion dans un schéma général, elle est soit confondue avec une autre information, soit abandonnée. Ensuite, avec le développement, les contradictions face au schéma ressortent et entrent dans un système séparé de mémoire autobiographique. C’est à ce moment que “l’effet de familiarité” joue un grand rôle (Hudson et Nelson 1986) : la répétition d’un événement engendre la focalisation de l’enfant sur la structure de l’événement et non sur ses caractéristiques épisodiques. La capacité à se rappeler une séquence d’événements étant liée au degré d’organisation du sujet, Mandler (1986) fait dépendre celui-ci de deux facteurs principaux : la familiarité des items pour l’enfant, et les relations entre les items. Si des événements ou expériences répétées vont être rappelés, il en résulte une confusion entre les différents épisodes qui composent la répétition. Aussi, l’enfant va peu à peu mettre. 15.

(17) en place des stratégies pour échapper à cette confusion, notamment des stratégies de localisation d’indices stables. Le jeune enfant utiliserait des indices saillants pour son rappel, alors que l’enfant plus âgé accéderait à la mémoire à travers une plus grande variété d’indices. En modifiant sa dernière hypothèse, Nelson montre que l’expérience d’un épisode est insérée dans un schéma s’il est disponible, et fusionne alors avec lui. Si un épisode ne joue pas avec un schéma disponible, il n’est retenu qu’une période limitée de temps, et le manque de répétition le rend par la suite inaccessible au rappel. Le temps de rétention varie selon l’importance de l’épisode et l’âge de l’enfant. En conséquence, pour Nelson, à 2 ans, une expérience répétée fusionne dans un schéma lorsqu’il est disponible et ne peut être dès lors reconstruite. La reconstruction ordonnée d’un événement est donc perturbée par la fusion dans un schéma. Avec le développement, l’enfant devient capable d’utiliser les éléments pour reconstruire, avec un schéma, un événement. En conséquence, les contenus et l’organisation de la mémoire de l’enfant seraient donc analogues à ceux de l’adulte. Les différences tiendraient essentiellement au manque d’habilité de l’enfant pour reconstruire des épisodes, ainsi qu’à sa dépendance envers des indices spécifiques. Somme toute, l’enfant n’arrive pas à reconstruire un événement parce que son fonctionnement et sa structure de pensée ne le lui permettent pas. Pour l’expliquer, Nelson et Ross (1980) distinguent dans l’organisation de la mémoire de l’enfant, les aspects généraux des aspects spécifiques, distinction de Tulving adaptée à l’enfant. L’intérêt de cette distinction est que son critère de validité est donné par la présence d’un contexte temporel ou pas. La mémoire générale, qui concerne des souvenirs non contextualisés temporellement serait la première forme de mémoire de l’enfant, qui se développerait en se dédoublant en une mémoire spécifique, ayant pour propriété de localiser temporellement les informations. L’enfant aurait donc à l’origine “de la mémoire” sans pouvoir en contrôler les aspects contextuels et notamment temporels. Ce contrôle serait rendu possible grâce à la construction des scripts, qui seraient en quelque sorte la matière première de l’organisation temporelle de la mémoire du sujet. 2.2.3. Les scripts permettent-ils d’expliquer la mémoire d’ordre? La thèse de Nelson présente de gros problèmes. Le premier n’est pas le moindre, car si l’enfant plus âgé se retrouve avec certaines compétences qu’il n’avait pas auparavant, il faut bien qu’elles lui viennent de quelque part. Invoquer le développement n’est pas suffisant, et cette position implicitement maturationniste n’est pas acceptable. Comment concilier les nombreuses recherches montrant l’importance de l’organisation mnésique chez le jeune enfant avec la thèse de l’identité de l’organisation chez l’enfant et l’adulte? De plus, cette thèse se base sur une différenciation de l’adulte et de l’enfant en termes de proportion de script par rapport à d’autres compétences cognitives, comme la classification, ce qui est prendre l’adulte comme base de référence. Comme chez Piaget, dont Fraisse a critiqué "l’adultocentrisme", les formes de l’organisation cognitive de l’adulte sont prises comme référence à partir desquelles on montre que l’enfant est différent, a des lacunes cognitives, etc. Certes, on ne peut éviter absolument les comparaisons avec l’adulte, étant donné que celui-ci forme le "point d’aboutissement" du développement. Mais il y a là une attitude épistémologique implicite, à laquelle on répliquera par une autre attitude épistémologique, explicite cette fois-ci. Celle-ci consiste, après Piaget3, De la Harpe (1941), Fraisse (1957), Flavell et Wohlwill (1969), Reuchlin (1973), Saada-Robert (1980), Caron, (1983), Neisser (1982, 1988) et Cormier, 3 Il y a chez Piaget une oscillation permanente entre l'explication par le modèle formel (structure) et le modèle développemental (théorie de l'adaptation) auquel nous faisons référence ici.. 16.

(18) Wiener et Shilkret (1986), à différencier les modèles d’explication selon qu’ils portent sur des objets formels ou des objets en voie de développement. On objectera que cela fait un siècle que la psychologie développementale existe. Sans doute, mais cette psychologie développementale a pris une partie de ses modèles de références dans la psychologie de l’adulte, c’est-à-dire chez un sujet où un certain équilibre cognitif est constitué structuralement, qui peut être décrit correctement par un modèle formel. Par contre, la caractéristique de l’enfant est de continuer à construire des nouveautés, ce qui doit être alors rendu par un modèle développemental, c’est-à-dire par un type d’explication dynamique qui montre comment s’effectuent ces changements. En ce sens, différencier les modèles formels des modèles développementaux – en tant que différence de nature – permet d’abord d’éviter la réduction du développemental au formel. Ensuite la conséquence en est que la variable d’âge perd la valeur explicative qu’elle prend dans la grande majorité des recherches en psychologie de l’enfant. Aussi cette différenciation de modèles constitue un des premiers pas vers une conception de l’âge en tant que variable descriptive et non explicative. Deuxièmement, il subsiste de nombreuses zones floues dans l’interprétation de Nelson. Qu’est-ce donc que la capacité de localiser temporellement des informations? D’où vient l’ordre? Il ne provient certes pas de la définition du script! Comment le script, défini comme la capacité de l’enfant à raconter un événement de manière ordonnée, peut-il être l’origine de la mémoire d’ordre? C’est une pétition de principe. D’où vient par ailleurs la capacité de l’enfant de se focaliser sur la structure et non sur ses contenus lors de la répétition de l’événement? Enfin, quelles sont ces stratégies par lesquelles l’enfant réagit à la fusion des données dans le schéma, engendrée par la répétition? L’ordre temporel, on le verra, ne provient que de l’organisation conçue comme fonction d’adaptation. Et on saisit ici l’importance d’une problématique de l’adaptation – et donc de l’organisation4 – absente chez Nelson. D’un autre côté, le cadre piagétien fournit une base intégrative et unificatrice importante, qu’il s’agit cependant de questionner. Ainsi peut-on interpréter différemment la fusion, qui pourrait se rapporter à la dysorganisation, c’est-à-dire à une des modalités de l’organisation, et donc constituer un moment nécessaire dans le développement où l’enfant construit de nouvelles représentations. Au point de vue de l’organisation conçue comme fonction d’adaptation aux manifestations de l’irréversibilité du temps, cette fusion, pour un sujet, consiste forcément dans une indétermination face à laquelle il doit réagir, et la meilleure manière d’y réagir est d’avoir constitué une forme d’organisation lui permettant, par avance, de “fermer” ou d’“ouvrir” une représentation d’événement, de clore ou pas l’événement en l’intégrant à une représentation orientée, pour lui donner une signification. L’enfant devrait donc développer, dans cette hypothèse, des conduites de marquage et des conduites d’orientation. Lorsqu’il y a effectivement fusion et impossibilité de reconstruction de l’événement, ce serait là une phase de dysorganisation, manifestée par des conduites d’orientation et de marquage absents. Ces conduites ne peuvent cependant pas être étudiées directement dans les tests de mémoire, et il faut les étudier dans l’action, en posant l’hypothèse d’une communauté fonctionnelle d’organisation entre l’action et la mémoire d’ordre. (Cf chapitre III.) Troisièmement, si Nelson (1986, 1988) pense montrer la prééminence du script sur la mémoire épisodique, d’autres recherches (Eder, Gerlach & Perlmutter 1987; Barsalou 1988; Mandler 1984) étendent les rapports entre les scripts et d’autres concepts, comme la mémoire autobiographique (McCauley 1988; Nelson 1992, 1993) et ses aspects 4 Selon Piaget (1936) “l’organisation est inséparable de l'adaptation: ce sont les deux processus complémentaires d'un mécanisme unique, le premier étant l’aspect interne du cycle dont l’adaptation constitue l'aspect extérieur”, p. 13.. 17.

(19) temporels. Un des problèmes liés à la mémoire autobiographique porte sur la forme de continuité temporelle du sujet qui lui permet de relier entre elles différentes actions. Il n’est donc pas seulement question de construction de compétences, mais aussi de continuité temporelle interne. En effet, la question de la mémoire autobiographique est fondamentale pour le développement, car comment en vient-elle à être organisée d’une manière telle qu’elle sert de centre à partir duquel l’action d’un sujet acquiert du sens qu’il relate d’abord à soi et non à quelqu’un d’autre? Comment la continuité temporelle du sujet, reliant les différents instants entre eux, en vient-elle à pouvoir être issue directement du script? Pour Nelson (1989), Nelson et Hudson (1988) le script est la donnée première, à partir de laquelle sont issus les souvenirs, leur organisation narrative et leur reconstruction temporelle. La genèse de la mémoire autobiographique est expliquée par deux éléments, la répétition d’événements familiers et l’aspect contradictoire que les informations peuvent acquérir durant le développement par rapport au schéma. Mais on ne voit pas d’où provient cette capacité de l’enfant de pointer la contradiction et d’en faire une production structurante de soi, alors même qu’il faut un soi pour effectuer ces actions et que c’est aussi ce soi qu’on cherche à expliquer. Il y a là une pétition de principe. Hudson et Nelson (1986) invoquent le développement, mais on ne voit pas en quoi le développement permet d’expliquer la construction d’une synthèse, sans qu’on l’y ait mise auparavant. Cette thèse n’expliquer pas la genèse de la mémoire autobiographique, et surtout cette spécificité lui permettant de se transformer en modèle du self, c’est-à-dire en capacité synthétique de mise en relation des objets entre eux, en les relatant à un centre d’action qui se perçoive comme tel. Cette capacité synthétique ne se trouve pas analytiquement dans le concept du script, car la capacité de résumer des événements ne contient pas la capacité de les rapporter à soi, sauf a priori. Pour résumer des événements, de même que pour identifier la contradiction, il faut déjà qu’il y ait un sujet qui fasse l’action, qui la rapporte à soi. Aussi pour l’expliquer, d’autres concepts doivent intervenir, notamment ceux de l’action et du cadre temporel. 3. Mémoire d’ordre et cadre temporel 3.1. Ligne temporelle, cadre temporel et self Une autre manière de présenter la différence entre la mémoire adulte et enfantine, pour les processus de codification temporelle des représentations d’événements, consiste à y introduire la notion de ligne temporelle. Selon Barsalou (1988), l’adulte intègre la mémoire d’événements spécifiques dans une ligne temporelle déjà présente, de l’ordre du script, du schéma ou de l’histoire. Ainsi les jeunes enfants, quoique étant capables de mémoriser des événements dès l’âge de deux ans (Wallon 1938; Todd et Perlmutter 1980; Sommerville, Wellman et Cultice 1983) ne seraient pas capables de les intégrer dans une mise en forme temporelle, faute de pouvoir utiliser des formes d’organisation analogues à celles de l’adulte (Fivush, Gray & Fromhoff 1987). La thèse de Nelson a ici pour corollaire la réduction du temporel à la notion de script, chez l’enfant. Cette question est importante et met en relation deux aspects fondamentaux de ce travail, qui concernent la mémoire et la ligne du temps. En effet, si le développement amène l’enfant, auparavant incapable de relier des événements mémorisés, à les relier parce qu’il les situe sur une même ligne temporelle, c’est qu’une sorte de support temporel est nécessaire pour le fonctionnement adéquat de la mémoire. Or, il est nécessaire d’envisager ce support temporel comme forme d’adaptation temporelle constituée face aux manifestations de l’irréversibilité du temps afin d’assurer un soubassement général pour le moi et le développement. La nature de la continuité temporelle constitutive d’un moi permettant de relier des événements successifs, est un 18.

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