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Rien ne change, tout bouge, ou le dilemme des Nations Unies : propos sur le rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement

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Rien ne change, tout bouge, ou le dilemme des Nations Unies : propos sur le rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur

les menaces, les défis et le changement

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence. Rien ne change, tout bouge, ou le dilemme des Nations Unies : propos sur le rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur les

menaces, les défis et le changement. Revue générale de droit international public , 2005, no. 1, p. 147-161

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:15015

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RIEN NE CHANGE, TOUT BOUGE, OU

LE DILEMME DES NATIONS UNIES

PROPOS SUR LE RAPPORT DU GROUPE DE PERSONNALITES DE HAUT NIVEAU

SUR LES MENACES, LES DEFIS ET LE CHANGEMENT

par

Laurence BOISSON DE CHAZOURNES

Prof~$.sellr à la Faculté de droit de l'U,,h'ersitj de Genève.

Directrice du Départemem

de droit international public et organisation intemationole*

Les soubresauts prolongés des événements du Il septembre 2001, et notamment l'intervention armée contre l'Irak en 2003, ont montré com- bien l'action multilatérale au travers de l'Organisation des Nations Unies courait le risque de la marginalisation dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Pour répondre à ce défi, mais aussi pour ré-accréditer la légitimité et la pertinence de l'organisation mondiale, le Secrétaire général des Nations Unies, Koti Annan, a annoncé, en sep- tembre 2003, la création d'un Groupe de personnalités de haut niveaul. Le

.. L'auleur souhaite remercier M. Michel Duclos. ReprésenI3nt-adjoint. Mission de la France auprès de rOlganis3Iion des Nations Unies, New York, pour Ie.<; échange.o; qu'ils ont eus au cours de l'automne 2004.

1 -la création de ce Groupe a été annoncée par le Secrél.:lire géntrlll dans l'allocution qu'il a pm- noncée à l'ouverture de la. cinquante-huitième session de J' Assemblte gé~ra1e, le 2J seplembre 2003. Le Secrétaire gén&a.J 8 don~ les noms des 16 membres du Groupe Mir les menaces, les dê6s et te change- ment nécessaires, dan~ une leure. datée du 3 oo'"embre 2003, adrt:ssEe au Président de l' Assemb~ glné- raie. Le Secrétaire général y rappelait que le Groupe <tétait chargé d"examiner les principales menatts et les défis auxquels est confrontée la corrununaute internationale dans Je domaine plo~ large de la paix et de la sécurité. )' compris les que.~tions économiques et sociales qui 50nt liées à la paix et à la sécurité. Le Groupe devait aussi faire des recommandations sur les éléments d'unc réponse collective ... Le Secrétaire général de "ONU. M. Koti AnnM. a nommé le 4 novembre 2003 "ancien Premier Minislre de la Thaïlande.

M. Anand Panyarachun, Président du Groupe de personnalilés de haut niveau sur les menaces, les défis et le chu.ngemenl. les 15 autres membres du Groupe sont les personnalités suivantes:

-M. Rober1 Badinter de la. France. Membre du Sénat et ancien Ministre de la justice;

-M. J030 Clemente Baen3 Soares du Brésil, ancien Secœtaire général de l'Organisation des Etats amé- ricains;

-M .... Oro Harlem Brundtland de la Norvège. ancien Premier Ministre et ancienne Direcuice générale de l'Organisation mondiale de lA santé (OMS):

R.G.D.I.P.2005·1

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148 LAURENCE BoISSON DE CHAWURNES

mandat très étendu de ce groupe d'experts comprenait la tâche d'appré- hender l'ensemble des menaces à la paix, d'évaluer les défis à venir tout en proposant des réformes. Il lui fallait embrasser les nombreux doutes, interrogations et angoisses de la communauté internationale au sortir de l'intervention américaine en Irak, pour leur apporter des réponses et d'éventuels remèdes. L'un des enjeux consistait à renforcer l'action col- lective, à l'heure où les tentations unilatéralistes se multiplient, en mon- trant comment les Etats peuvent travailler ensemble pour faire face à des menaces qu'aucun d'entre eux ne peut appréhender seuJ2. Le prisme était celui d'un concept de sécurité collective entendu de manière large et qui réponde de manière efficace et équitable aux problèmes rencontrés par l'ensemble des Etats de la communauté internationale.

Le Rapport) a été rendu public le 2 décembre 2004, sans pour autant que son contenu ne soit une surprise pour nombre d'Etats, ni pour les instances dirigeantes des Nations Unies. Tous ont été parties prenantes, d'une manière ou d'une autre, dans celle entreprise qui sera peut-être la tête de pont d'une réforme de l'Organisation de portée tant institutionnelle que normative. Le Secrétaire général fera des recommandations en mars et les Etats devront ensuite en discuter dans le cadre de l'Assemblée générale des Nations Unies. Les propositions pourraient être entérinées en septembre 2005 lors d'un Sommet qui réunira Chefs d'Etat et de gouvernement.

· M"'" Mary Chlnery-Hcsse du Ghana, Vice-Présidente de la Commission de la planification du déve- loppement national du Ghana et ancienne Directrice générale adjointe de J'Organisation intemationale du Travail (OIT);

_ M, Gareth Evans dt rAustnlie, Président de «International Crisis Group" et ancien Minist~ des affaires étrangères:

_ M. David Hannay du Royaume-Uni. ancien Reprtsentanl permanenl aupd:s des Nations Unies et Envoyé spécial de son pays à Chypre:

-M. Enrique Iglesias de l'Uruguay. Président de la Banque interaméricaine de dtveloppement:

-M. Amre Moussa de l'Egypte, Secrétaire géném.1 de la Ligue des Et:IIS arabes;

• M. SalÎsh Nambiar de l'Inde, ancien Lieutenant-Générnl dt l'Année indienne et Commandant en chef de la Force des Nalions Unics en ex-Yougoslavie (FORPRONU);

-M-Sadako Ogata du Japon, ancien Haut Commissaire des Nations Unie.<; pour les réfugiés:

· M. Yevgeny Primakov de la F~ration de Russie, ancÎCn Prenûer Ministre;

-M. Qian Qichen de la Chine. ancien Vice-Premier Ministre et Minisue des affaires ttrangères; -M- Natik Sadiq du Pakistan, ancienne Directrice exécutive du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP):

- M. Salim Ahmed Salim de la République--Unie de Tanzanie, ancien Secrétaire génér.J.[ de l'OrgruLi!ô3tion de l'unité africaine (OUA), ct;

-M. Brent Scowcroft des Etats-Unis, ancien Lieutenant·Gé~ral des forces aêriennes américaines et Conseiller au COfiseil national de sécurité.

2 -Voir les propos du Secrétaire général des Nations Unies, préface au Rappon du Groupe de per- SQmra/ilés de huul l1i~tjl4 sur les menaces, les défis et Je c1ultlgemel1l «Un monde plus sOr: une responsa- bilité panagée». Nations Unies, 2004, p. 2. Le Rapport est également sur le sile Internet hllp://www.un.orglfrenchlsccureworldlindcx.html.

3 Rappon d/J Groupe de personnalités de /wut nivetJU sur les menncu. lu défis el le changemenr.

op. cil.

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NorE 149

Même si ce Rapport revêt avant tout une portée politique, il n'en entre- tient pas moins de nombreux liens avec le droit international dans ses dimensions normatives, procédurales et institutionnelles. S'inscrivant dans l'esprit du discours du Secrétaire général des Nations Unies lors de l'ou- verture de la 58e session de l'Assemblée générale en septembre 20034, le Rapport démontre combien le droit est devenu un instrument fondamental dans la conduite des relations internationales et comment son non-respect est constitutif de menace à la paix et à la sécurité internationales. Le Rapport traduit bien également l'importance du respect du droit dans l'ap- préciation du bien-fondé des stratégies et actions envisagées, tant au sein de l'Organisation que dans les relations externes, que ce soit dans les rap- ports entre l'ONU et d'autres sujets et acteurs internationaux ou dans les rapports entre ces derniers.

Il est difficile de restituer et analyser la richesse des propos du Rapport et des recommandations (au nombre de cent-une) du Groupe de person- nalités de baut niveau. Certains axes seron! de ce fait privilégiés. Ainsi en sera-t-il de l'interprétation de la notion de menace à la paix et à la sécu- rité internationales et des moyens de réponse identifiés (1), du statut du principe de l'interdiction du recours à la force armée au regard des enjeux de la sécurité collective (II) ainsi que de questions institutionnelles rela- tives au système des Nations Unies, et notamment celles ayant trait au Conseil de sécurité (Ill).

I.

LES MENACES A LA PAIX ET A LA SECURITE INTERNATIONALES A L'AUNE D'UNE PERSPECTIVE D'ENSEMBLE

Le Secrétaire général avait demandé au Groupe de personnalités de haut niveau (ci-après le Groupe ou les experts) d'appréhender les menaces à la paix dans leur ensemble et elles l'ont été. Elles comprennent les menaces économiques et sociales, notamment les problèmes de santé et de dégradation de l'environnement, les contlits interétatiques et internes, les violations graves et massives des droits de l'homme et du droit interna- tional humanitaire, les armes de destruction massive. le terrorisme ou encore la criminalité organisée transnationale. Ces menaces, il est précisé, sont liées les unes aux autres. Tout un chacun peut trouver un écho à ses préoccupations dans le véritable vade-mecum des problèmes inventoriés,

4 • Voir le Discours prononcé par le Seçrétaire général de l'ONU. M. Koti Annan, lors de l'ouverture du débat général de la 58" st:ssion de rAssemblée générale. 23 septembre 2003 (Doc. ONU SG/SM/8891, sur Internet à la page http://www.un.orgINews/).Voiraussil·allocutiOD du Secrétaire général de l'ONU, M. Koti Annan, devant les représentants des Etats-membres r~unjs pour le débat de haut niveau de la 59<

session "Assemblée générale, 21 .<:eptcmbœ 2004, sur Intenx':1 à la page http://www.un.orgIappslnewsFr/.

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150 LAURENCE BoISSON DE CHAZOURNES

et c'était sans aucun doute l'un des soucis du groupe d'experts, celui d'être le plus œcuménique possible, répondant tant aux doléances des pays du Sud qu'à celles des pays du Nord.

Toutefois, même si les appels sont pressants en faveur d'une augmen- tation substantielle de l'aide au développement pour répondre aux maux de la pauvreté, et notamment à la pandémie du sida, d'autres menaces tiennent le haut du pavé. Il s'agit de la prolifération des armes nucléaires, radiologiques, chimiques ou bactériologiques, du terrorisme dans ses formes diverses, de la criminalité transnationale organisée ou encore des violations massives des droits de l'homme.

La voix des membres du Groupe de personnalités de haut niveau s'est faite forte pour demander des efforts marqués en matière de non-proliféra- tion nucléaire et de désarmement. L'Agence internationale de l'énergie ato- mique (AlEA) ainsi que l'Organisation pour l'interdiction des armes chi- miques (OIAC) doivent être des gardiennes de l'ordre international en déployant leurs activités - notamment normatives - et en alertant le Conseil de sécurité de toute défaillance dans le respect des engagements ou de toute situation qui serait une menace à la stabilité internationale. Les recommandations sont empreintes de réalisme puisqu'elles s'adressent tant aux Etats qui sont parties au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) qu'à ceux qui ne le sont pas. On le sait, parmi ces derniers, certains se sont déjà dotés de l'arme nucléaire ou sont en passe de l'être. Les appels du Groupe de personnalités de haut niveau ne peuvent toutefois pas cacher la fragilité du système onusien qui repose en grande partie sur la volonté poli- tique de chaque Etat. La menace, en ultime ressort, d'une action du Conseil de sécurité sera-t-elle un rempart efficace contre toute action illégale ou illégitime? Et quelle devra être la réponse du Conseil de sécurité en ces circonstances? Outre l'évocation de l'imposition de sanctions et d'une action armée, les experts proposent de renforcer les capacités du Conseil de sécurité en matière d'accès et d'utilisation d'informations relatives à la prolifération d'armes de destruction massive. A cetre fin, il est demandé au Conseil d'inviter les Directeurs généraux de l'AlEA et de l'OIAC à rendre compte de leurs activités, en même temps que de l'avertir de toute viola- tion probable du TNP et de la Convention sur l'interdiction des armes chi- miques. Le Conseil est aussi appelé à se doter de mécanismes d'enquête sur toute possible violation. Cela sera-t-il suffisant? La question mérite d'être posée et cela d'autant plus si on lie les problèmes de prolifération à ceux du terrorisme et des Etats défaillants qui laissent libre cours sur leur territoire aux initiatives de déstabilisation menées à l'échelle mondiale.

La menace du terrorisme est sujette à des développements importants dans le Rapport, celui-ci précisant d'entrée de jeu que le terrorisme va à l'encontre des valeurs qui sont la raison même de la Charte des Nations Unies. Les moyens de lutte proposés embrassent de multiples actions.

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NOTE 151

Certains empruntent à la prévention d'autres menaces, telle la pauvreté, la lutte contre la criminalité organisée ou encore la défaillance de certains Etats. L'activité conventionnelle des Nations Unies est saluée, quoiqu'il soit noté que trop d'Etats n'ont pas eocore ratifié les douze conventions des Nations Unies contre le terrorisme. il en est de même de l'action du Conseil de sécurité. Si la légitimité des activités menées par cet organe n'est en rien critiquée, acceptant par là même que le Conseil de sécurité puisse mener des actions normatives s'imposant à tous les Etats, la ques- tion des listes d'individus et d'entités susceptibles d'enfreindre la législa- tion anti-terrorisme établies par le Conseil est soulevée pour rappeler que ceux-ci devraient pouvoir bénéficier d'un mécanisme de recOurs. La défaillance des Etats à collaborer avec le Conseil de sécurité et son Comité pour la lune contre le terrorismes est aussi dénoncée. Il est toute- fois reconnu qu'en certains cas les problèmes de non-coopération peuvent provenir d'une insuffisance de moyens à laquelle les Nations Unies devraient répondre par la fourniture d'une assistance technique. Dans cette entreprise, l'Organisation devra alors faire œuvre de discernement pour dévoiler les réticences de certains Etats à s'engager sur la voie prônée par le Conseil de sécurité, el alléguant pour ce faire leur manque de moyens.

Afin de faire fi de l'obstacle du manque de définition du terrorisme acceptée par tous les Etats, le Rapport en propose une qui «devrait com- porter les éléments suivants: [ ... ] d) Qualifier de terrorisme 'tout acte, outre les actes déjà visés dans les conventions en vigueur sur les différents aspects du terrorisme, les Conventions de Genève et la résolution 1566 (2004) du Conseil de sécurité, commis dans l'intention de causer la mort ou des blessures graves à des civils ou à des non-combattants, qui a pour objet, par sa Ilature ou son contexte, d'intimider une population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accom- plir un acte ou à s'abstenir de le faire6'». Les experts appellent l'Assemblée générale à la reprendre dans une résolution de portée norma- tive. JI n'est pas sûr que l'inclusion de la notion de non-combattants dans la définition satisfasse tout le monde. Cette question sera sans doute sujette à discussion à l'aune notamment du problème de la privatisation de la gestion des conmts par le recours à des sociétés privées.

La criminalité organisée et qualifiée de transnationale est aussi dénon- cée. Là encore l'accent est mis sur l'importance du droit et notamment l'amélioration des cadres réglementaires internationaux ainsi que la néces- sité d'élaborer une nouvelle convention internationale en matière de blan- chiment d'argent.

5· Le Comilé pour la Juue contre le terrorisme a été créé paf le Conseil de: sécurité en 1999, par le biais de sa résolution 1267 (Doc. ONU SIRESl1267 (1999».

6 - Voir paragraphe 164 (d) du Rapport, consacré au probl~me de la définition de terrorisme.

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152 LAURENCE BoiSSON DE CHAZOURNES

La litanie des traumatismes humanitaires et des échecs répétés des Nations Unies au cours des dernières années se fait entendre dans tout le Rapport, qu'il s'agisse des exactions commises en Somalie, au Rwanda, dans les pays de l'ex-Yougoslavie ou même de la situation au Soudan dans la région du Darfour. S'agissant de cette dernière crise, les experts ont d'ailleurs pu, de leurs propres dires, faire le constat amer de la lenteur de la communauté internationale à réagir7 . Le Rapport en appelle à la res- ponsabilité des Etats de faire cesser les situations de génocide, de viola- tions à large échelle du droit international humanitaire ou encore les poli- tiques de nettoyage ethnique. Il met à l'écart l'invocation d'un droit d'ingérence ou d'intervention humanitaire, notions aux contours unilaté- raux souvent décriés, au profit de la notion de la «responsabilité de pro- téger>}8, pour faire appel à une éthique collective, morale et juridique, en matière de protection des droits de l'homme et du droit international humanitaire: en premier lieu les Etats dont les citoyens voient leurs droits violés, mais aussi les autres Etats membres de la communauté internatio- nale, se doivent de prévenir les violations massives de ces droits et de réagir par les moyens nécessaires et appropriés (y compris par une action armée autorisée par le Conseil de sécurité)'. Cette éthique de responsabi- lité doit empêcher les Etats d'arguer des principes de souveraineté et de non-ingérence pour se réfugier dans le mutisme et l'inaction.

Le prisme était celui de la sécurité collective et le concept a été inter- prété de manière très large afin d'appréhender l'ensemble des menaces à la paix et à la sécurité internationales, sujets de préoccupation de tous ou de groupes d'Etats en particulier. Cette interprétation comporte néanmoins le risque de restreindre la portée des objectifs et buts des Nations Unies autres que ceux du maintien de la paix et de la sécurité internationales. En effet ceux-ci, même s'ils entretiennent des liens avec la sécurité collective, doivent pouvoir être poursuivis sans en tout point être liés à cette préoc- cupation. La marque de la « sécurisation» comporte en effet le risque d'ac- tions prises dans l'urgence et à titre exceptionnel. L'exceptionnel et l'ac- tion ad hoc présentent le risque d'un effritement des principes d'action, qu'ils soient politiques ou juridiques.

7 - Paragraphe 42 du Rapport du Groupe de personnalités de haut niveau, op. cit.

8 - Sur cette notion et ses implications, voir «La responsabilité de protégef», Rapport de la Commission internationale de "intervention et de la souveraineté des États, Centre de recherches JXlur le développement international, 200 1.

9 - Voir infra.

(8)

~ ..

NorE

Il. A PROPOS DE LA PROHIBITION DU RECOURS A LA FORCE ARMEE: UNE ARME EFFICACE?

153

Lorsqu'il a donné mandat au Groupe de personnalités de haut niveau, le Secrétaire général était notamment soucieux de voir les Etats-Unis reve- nir à la table des négociations de l'Organisation des Nations Unies après leur intervention en Irak. La question de la guerre préemptive à l'aune des défis de la prolifération des armes de destruction massive et du terrorisme international se devait d'être discutée par les experts avec le risque toute- fois de voir le droit contemporain du recours à la force arnlée déclaré inadapté face à ces défis. Il n'en a pas été ainsi puisque le Groupe de per- sonnalités de haut niveau considère que la Charte des Nations Unies ne doit en rien être modifiée quant à l'interdiction du recours à la force. Le Rapport souligne que seules deux exceptions déjà autorisées par le droit international peuvent être envisagées: la légitime défense et l'usage de la force Sur autorisation du Conseil de sécurité. La seule concession qui soit faite est celle de préciser qu'en situation de menace imminente, un Etat pourrait réagir par la force au titre de la légitime défense. Le Groupe de personnalités de haut niveau rappelle que cette possibilité relève déjà du droit existanl, el qu'ellr Ile peut en rien être associée à une action pré- ventive unilatérale au titre de la légitime défense qui, elle, reste interdite.

La légalité d'un recours à la force est donc envisagée sous l'angle de deux seuls prismes, celui de la légitime défense et celui d'une autorisation donnée par le Conseil de sécurité. Cette analyse est conforme au droit international et les discussions entourant la guerre en Irak en 2003 l'ont rappelé. Sans doute pour conjurer les critiques d'une vision par trop étroite, le Rapport explique que «le Chapitre VII est fondamentalement d'une portée suffisamment large et a fait l'objet d'une interprétation suf- fisamment large pour autoriser le Conseil de sécurité à approuver toute mesure coercitive quelle qu'elle soit, y compris une intervention militaire, à l'encontre d'un État s'il juge que cette action est 'nécessaire au main- tien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales'»lo.

La norme relative à l'autorisation donnée par le Conseil de sécurité de recourir à la force armée est de ce fait consacrée, même si elle n'a émergé qu'au début des années 1990, si on laisse de côté les discussions relatives à l'intervention en Corée au début des années 1950. Elle a trouvé néan- moins application de manière significative dans la pratique, qu'il s'agisse de la crise de la Somalie (1992), du Rwanda (1994) ou encore de celle qu'a connue Haïti en 1995. La pratique du Conseil de sécurité relative à

10 - Pamgrnphc 193 du Rapport du Grou~ Je persOllnulilés d~ haut niveau. up. cit.

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154 LAURENCE BoISSON DE CHAZOURNES

l'autorisation de recourir à la force armée donnée à des forces internatio- nales (ISAFlI, opération Artémisl2, etc.) va dans le même sens.

Le droit est placé dans un contexte politique. De ce fait, le Rapport réitère l'importance de la norme prohibant le recours à la force·armée et du statut des deux exceptions, en s'appuyant sur leur appartenance au droit international contemporain, tout en consacrant leur adéquation aux nou- velles réalités politiques et stratégiques. Ce faisant, il tente également de préciser certaines conditions juridiques d'application afin de faire place aux nouvelles préoccupations de la communauté internationale en matière de sécurité collective.

Il en est ainsi de la menace qui est identifiée comme facteur de déclen- chement d'un acte de légitime défense. Elle laisse ainsi place à des actions d'anticipation en droit international. Il faut que la menace soit ,<immi- nente, qu'il n'y ait pas d'autre moyen d'écarter la menace et que l'inter- vention militaire soit proportionnée» 13. La distinction qui est faite dans le Rapport entre action préventive et action "préemptive» sera sans doute difficile à appliquer dans les faits. Il serait souhaitable que l'Assemblée générale, organe délibérant pour la communauté internationale dont la légitimité est soulignée par le Groupe de personnalités de haut niveau, puisse débattre de cette question et adopter une résolution en ce domaine.

Pour ce qui est du recours à la force fondé sur une autorisation du Conseil de sécurité, il est proposé une liste de cinq critères qui devraient en toute circonstance être pris en compte: la gravité de la menace, la légitimité du motif, la décision en dernier ressort, la proportionnalité des moyens et la mise en balance des conséquences. Ils doivent permettte un encadrement des conditions de recours à la force qui jusqu'alors n'ont pas été précisées sauf à se référer aux principes généraux de nécessité et de proportionnalité dont l'application en cas de recours à la force sur autorisation du Conseil de sécurité est, on le sait, objet de discussions et d'incertitudes. Le Rapport, soucieux de ne pas donner l'impression d'ouvrir trop grand les portes à un recours à la force armée, demande que le respect des cinq critères proposés soit entériné par le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale.

La possibilité de recourir à la force pour des raisons humanitaires, qui était dans tous les esprits, a été âprement discutée. Au cours de l'élabora- tion du Rapport et sans doute pour conjurer les critiques ayant entouré l'intervention de certains membres de l'OTAN au Kosovo au printemps

11 " La Force internationale d'assistance à la sécurité (ISAF) a été autorisée par le Conseil de sécu-

rité dans sa résolution 1386 de 2001 (Doc. ONU SIRES/1386 (2001»).

12 - L'opération militaire de l'Union européenne dans la République démocratique du Congo, nom- mée « ARTEMIS », a été autorisée par le Conseil de sécurité dans sa résolUlion 1484 de 2003 (Doc. ONU SIRESIl4S4 (2003)).

13 - Paragraphe 188 du Rapport du Group~ de personnalités de /wut niveau, op. cit.

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NOTE 155

1999, il avait été proposé un régime en plusieurs étapes. Une autorisation de recourir à la force donnée par le Conseil de sécurité devait être recher- chée. S'il n'y avait pas autorisation donnée par le Conseil de sécurité, celle-ci pourrait être donnée par l'Assemblée générale dans le cadre de la Résolution 377 (V) «Union pour la Paix». En dernier lieu, s'il n'y avait pas une autorisation de l'Assemblée générale, une organisation régionale ou sous-régionale pourrait décider d'intervenir. On le sait, la pratique n'a pas encore fait place à un recours à la force sur la base d'une autorisation donnée par l'Assemblée générale dans le cadre de ses compétences en matière de sécurité collective. Pour ce qui est de l'échelon régional, le Rapport dans ses versions antérieures aurait en quelque sorte codifié les conditions d'action de l'OTAN au Kosovo. Cela aurait alors ouvert la porte à une action armée décidée en dehors de l'enceinte universelle en matière de réaction à de graves violations des droits de l 'homme et du droit international humanitaire. Il n'était pas sûr que la codification des conditions dans lesquelles il pourrait y avoir recours à la force pour des raisons humanitaires constitue un rempart efficace aux abus. li est en effet difficile de penser qu'une discussion à l'Assemblée générale el au Conseil de sécurité aurait pu mener à l'élaboration de lignes de conduite acceptées par l'ensemble des Etats.

Le Rapport fait donc œuvre de sobriété, sinon de sagesse, en s'en remettant uniquement à une décision du Conseil de sécurité et écarte de ce fait dans sa version finale l'intervention de l'Assemblée générale ou celles d'organisations régionales. Le Conseil est appelé à envisager et autoriser une action armée si cela est nécessaire pour mettre fin à une crise huma- nitaire. Une telle décision découlera de la responsabilité de protéger qui incombe à tous les Etats. Afin de faire obstacle au risque de paralysie du Conseil, les Etats titulaires d'un droit de veto sont mis au défi d'assurer leur responsabilité de protéger en s'abstenant d'user de leur droit de vetol4.

Les opérations de maintien et d'imposition de la paix font également l'objet de développements conséquents. Ceux-ci s'inscrivent dans le pay- sage quelque peu embué de la typologie des missions de maintien et d'im- position de la paix, faisant place à des contingents mis à disposition des Nations Unies, mais aussi à des forces multinationales. Le Rapport sou- haite faire fi de la d.istinction entre opérations en vertu du Chapitre VI de la Charte des Nations Unies ou en vertu du Chapitre

vn.

fi souligne que la pratique est désormais celle de mandats donnés en application du Chapitre VII, tout en suggérant que dans le cadre d'une opération en vertu du Chapitre VI, les forces de maintien de la paix disposeraient d'un droit de légitime défense au sens de <da défense de la mission,,15. Ces propos

14 -Paragraphe 2,56 du Rapport du Gro.tpe de perronnalitb de haut nilJel/ll, lJp. dt.

15 - p.dfagraphe 2) 3 du Rapport du GroUfR de personnalills de Iw.UI m'I't!ou, op. cit.

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156 LAURENCE BOISSON DE CHAZDURNES

seront sans doule âprement discutés. La question des forces multinatio- nales qui ne sont pas placées sous le commandement des Nations Unies, que certains dénomment aussi par le vocable de «coalitions», ne pourra pas non plus être éludée. Cela apparaît d'autant plus vrai que le Rapport réitère les propos du Rapport Brahimi'6 en appelant à une coopération ren- forcée des Etats membres - et surtout des pays développés - aux missions des Nations Unies en matière de maintien et d'imposition de la paix.

Les organisations régionales sont également sollicitées dans ce contexte, en prônant une coopération renforcée et un soutien mutuel entre l'ONU et ces organisations dans le cadre du Chapitre VIII. La nécessité d'une autorisation du Conseil de sécurité est réitérée à la lumière des exi- gences du Chapitre VlJI, tout en admettant qu'en cas d'urgence elle puisse être obtenue subséquemment au déclenchement d'une opération.

Le Rapport évoque le cas des organisations telle l'OTAN qui, précise- t-il, ne relèvent pas du Chapitre VII1 même si elles peuvent s'y apparen- ter17. Le Groupe de personnalités de haut niveau prend note toutefois que ces organisations ont conduit des actions en dehors du territoire de leurs Etats membres. Cette pratique est admise aussi longtemps que les opéra- tions sont autorisées par le Conseil de sécurité; il se dessine de ce fait une interprétation large de la notion d'organisation ou arrangement régional, à savoir le fait qu'une organisation ou un arrangement régional peut agir en dehors de «sa région». L'Union européenne relève de cette catégorie, sans être explicitement mentionnée.

III.

LA REFORME DU CONSEIL DE SECURITE, LA CREATION D'UNE COMMISSION DE CONSOLIDATION

DE LA PAIX ET QUELQUES AUTRES PROPOSITIONS

Dans le domaine des actions en matière de sécurité collective, le rôle du Conseil de sécurité fait l'objet de développements conséquents. Dans le domaine des réformes institutionnelles le penchant est le même.

Des appels son! faits pour permettre aux organes principaux des Nations Unies (Assemblée générale, Conseil de sécurité, Conseil écono- mique et social et Secrétariat) de jouer leur rôle dans le domaine de la sécurité collecti ve. Le Conseil de tutelle est pour sa part condamné à la disparitionl8, et de la Cour internationale de Justice il n'est fait aucune mention; cela peUL-être car elle est jugée trop éloignée des tumulies new-

16 -Rapport du Groupe d'étude sur les opéralions de paix de l'Organisation des Nations Unies, Doc.

ONU N551305. S/2OOO/809.

17 -Paragraphe 273 du Rappon du Gmupt! dt! persolVl(J/ités de haut niveau_ op. cir.

18 - Paragraphe 299 du Rappon du Gmupe de persOIVIl1lilés de haut niveau, op. dt.

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NOTE 157

yorkais. Toutefois, malgré ces appels, on saisit bien que c'est à propos du Conseil de sécurité que les discussions ont été les plus fournies. Le Conseil de sécurité a été l'objet de toutes les attentions. Son apparente toute-puissance attire. Les expern n'ont pas résisté à celte vision roman- tique d'un directoire mondial qui disposerait de compétences élargies pour faire régner une paix internationale aux contours si évanescents.

Le Groupe déclare sans ambages que le Conseil de sécurité est l'or- gane des Nations Unies le mieux à même de réagir rapidement aux nou- velles menacesJ9; d'où la nécessité d'améliorer son efficacité et sa crédi- bilité. Le moyen privilégié pour y parvenir est celui de l'élargissement de la composition du Conseil.

L'élargissement du nombre de membres permanents et non pennanents du Conseil de sécurité compte de ce fait parmi les propositions-phares.

Deux formules sont proposées pour étendre le nombre des membres de quinze à vingt-quatre. Dans la première formule, le nombre de membres non permanents passerait à treize et un groupe de six nouveaux membres pennanents serait créé. La seconde formule repose sur l'ajout de huit membres élus pour quatre ans renouvelables (deux sièges par région), ce qui leur donne la possibilité d'atteindre le statut de membres quasi-per- manents, et d'un siège pour un membre non permanent pour une durée de deux ans non renouvelable qui reviendra à chacune des régions en fonc- tion d'une répartition indiquée dans le Rapport et privilégiant l'Afrique, l'Asie et l'Amérique latine.

Les deux propositions prennent le parti de refléter les changements des rapports de pouvoir dans la communauté internationale, en mettant l'ac- cent sur les contributions politiques, économiques et en termes de partici- pation aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies des Etats susceptibles d'être candidats. L'impact de la division du monde en régions laisse également sa marque. L'Asie et le Pacifique, l'Afrique, l'Amérique latine et l'Europe se voient chacune attribuer des sièges permanents et non permanents. Des sièges sont attribués à l'Europe sans toutefois que le pro- fil institutionnel particulier de cette région ne soit souligné. Les habits nouveaux de la politique étrangère et de sécurité de l'Union européenne20 et éventuellement ceux prévus par la future Constitution européenne2J ne sont en effet pas évoqués. Les sièges pour les nouveaux « membres per-

19· Comme il est affirmé BU paragraphe 247 du Rapport, «tol r l'expérience a aussi montré que Je Conseil de sécurité étail l'organe de l'ONU le plus capable d'organiser l'oction el d'jnlcrvenir promptement en cas de menaces nouvelles »,

20 • Versions consolidées du Traité sur ('Union européenne el du Traité ilablü.~anl 11/ Communalllé européenne (2002), reproduit dans le Journal officiel des ConununaUlés européennes, C 325 du 24 décembre 2002.

21 . Traiti itablissant ufle ConsnrUlÎon pour l'Europe, Rome, 29 octobre '2(X)4, publié dans JOl/nIal officiel de l'Union européenne, n" C 310, 16 d~embre 2004.

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158 LAURENCE BoISSON DE CHAZOURNFS

manents» ne sont pas nommément répartis, mais les noms de l'Allemagne, du Japon, du Brésil, de l'Inde, de l'Egypte ou deI' Afrique du Sud résonnent en filigrane.

La réforme du Conseil de sécurité, si importante qu'elle soit, n'inclut néanmoins pas un changement dans l'usage du droit de veto au sens de l'article 27, paragraphe 3, de la Charte des Nations Unies22• Celui-ci, selon le Rapport, semble inébranlable23. Pour répondre aux doléances de légiti- mité et de représentativité du Conseil, la réforme proposée consiste donc à modifier le processus décisionnel au sein de cet organe au travers de l'élargissement de sa composition, voire du caractère plus permanent de sa composition.

Le Rapport fait place à une interprétation large de la notion de sécu- rité collective mais comme il l'a été dit, les yeux sont avant tout tournés vers le Conseil de sécurité. L'Assemblée générale doit, quant à elle, jouer son rôle d'organe délibérant, notamment afin de permettre le développe- ment de la règle de droit par la négociation de conventions internationales et l'adoption de résolutions de portée normative. Les pouvoirs existants de l'Assemblée générale dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales, tels ceux en vertu de la résolution 377 (V)

«Union pour le maintien de la paix », ne sont pas évoqués. Dans le cadre d'une acception large de la notion de menace à la paix faisant place aux considérations économiques et sociales, le Conseil économique et social est appelé à collaborer. Toutefois ces deux organes sont mis au défi de réformer leurs méthodes de travail. Quant au Secrétariat, les recomman- dations du Groupe de personnalités de haut niveau lui demandent d'être plus «opérationnel», tant en réformant sa structure interne qu'au travers du recrutement d'agents24.

Pour prévenir toute dérive vers une situation de conflit, ainsi que pour encadrer la reconstitution des sociétés en proie à une guerre ou au sortir d'un conflit, les experts proposent la création d'une nouvelle Institution.

La création d'un véritable mécanisme international de <<lutelle» en matière de prévention et de gestion des conflits est envisagée. Cet organe, qui devra être créé par le Conseil de sécurité, est dénommé «Commission de consolidation de la paix» et aura pour mission de prévenir toute dérive vers une situation de conflit ainsi que d'encadrer la reconstruction des sociétés en proie ou au sortir d'un conflit. La Commission devra à la fois

22 - Et tel qu'interprété dans la pratique pour y inclure la question de l'abstention. Voir Cour interna- tionale de Justiœ, avis consultatif sur les Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, 21 juin 1971, paragraphe 22.

23 - Paragraphe 256 du Rapport du Groupe de persomwlités de haut niveau, op. cit.

24 - Paragraphes 293 à 2% du Rapport du Groupe de personnalités de haut niveau, op. cit.

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NOTE 159

statuer SUI des questions politiques de portée générale et sur des pro- blèmes liés à des situations impliquant un Etat en particulier. Il est pro- posé que sa composition fasse place à des représentants du Conseil de sécurité, du Conseil économique et social, des institutions financières internationales et d'organisations régionales compétentes, à des représen- tants des principaux bailleurs de fonds ainsi que du pays concerné. La volonté de raffermir la coopération internationale dans les domaines cou- verts par le mandat de la Commission de consolidation de la paix est nene.

Pour ce faire, les aspects politiques, économiques et militaires sont liés, montrant par là, notamment, que le développement et la reconstruction économique et sociale sont partie intégrante des efforts de prévention des conflits mais aussi de gestion et de reconstruction dans les périodes post- conflictuelles.

Il est intéressant de remarquer que l'action juridique et judiciaire n'est pas nommément désignée dans le contexte de la Commission de consoli- dation de la paix, même si les experts en font cas dans d'autres parties de leur Rapport. L'expérience acquise par les Nations Unies et notamment au sein du Haut-Commissariat aux droits de l'homme, au cours des quinze dernières années dans le domaine de la justice, de la réconciliation et de la promotion du respect du droit est pourtant significative. Le respect de la règle de droit et des droits de l'homme a gagné en importance en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales2s. En outre, le droit international pénal est devenu un instrument à part entière dans la conduite des relations internationales. L'établissement des tribunaux pénaux internationaux et de la Cour pénale internationale (CP!) en témoigne. Il est ainsi fait mention dans le Rapport de la possibilité pour le Conseil de sécurité de saisir la CP!; les pouvoirs politique et judiciaire sont appelés à travailler ensemble. Le rapport de la Commission d'enquête créée en septembre dernier par le Conseil de sécurité26, en vue d'établir s'il y a eu ou non génocide au Darfour, jouera comme test de realpolitik judiciaire si, comme on peut le penser, il recommande au Conseil que la CP! soit saisie.

Soulignant le fait notable de la montée en puissance des droits de l'homme depuis la création de l'ONU, le Groupe de personnalités de haut niveau envisage également le rôle de la Commission des droits de l'homme. Tant la composition de cet organe, permettant aux Etats auteurs de violations de droits de l'homme d'y siéger pour ensuite se protéger de toute condamnation, que ses modes de fonctionnement sont montrés du doigt. li est proposé d'en faire un organe à composition universelle ainsi que de renforcer le rôle du Haut-Commissariat aux droits de l'homme ou

25 . Paragraphe 291 du Rapporr du Groupe de persormolitis de haut niveau, op. cit.

26· Résoluûoo 1564 (2004). Doc. ONU SlRESJl564 (2004), paragraphe 12.

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160 LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES

encore de créer un Conseil d'experts indépendants afin de guider les tra- vaux de la Commission. Il est difficile de penser que ces propositions pourront, à elles seules, répondre aux critiques formulées de part et d'autre sur le caractère sélectif des condamnations des violations des droits de l'homme ainsi que sur la politisation excessive qui prévaut en ce domaine.

Il semble qu'une place devrait être faite pour une évaluation générale des méthodes et moyens de travail de la Commission, ainsi que des mandats des organes et procédures relatives aux droits de l'homme, en prenant en compte les impératifs de sécurité collective.

En effet, honnis la question des violations graves des droits de l'homme qui pourraient éventuellement entraîner une action coercitive année, il y a une gamme de situations de violations des droits de l'homme qui peuvent donner lieu ou contribuer à la survenance de menaces en matière de sécuri- té collective. Il serait sans doute bon d'établir des liens «officiels» entre les procédures relatives aux Rapporteurs spéciaux et le Conseil de sécurité, notamment en matière d'évaluation de l'information mise à sa disposition.

La présentation de rapports par le Secrétaire général ou par le Haut- Commissaire aux droit~ de l'homme au Conseil sur une base régulière va en ce sens. Les relations pourraient sans doute être renforcées dans une optique d'alerte.

Le Rapport met beaucoup l'accent sur l'Organisation des Nations Unies en tant que telle et peu sur les autres institutions du système des Nations Unies. L'idée de la complémentarité entre organisations du système des Nations Unies, voire celle d'avantages comparatifs, n'apparaît qu'au travers de la Commission de consolidation de la paix. L'impression qui se dégage est celle d'une tendance à l'omrtipotence de l'ONU, et notamment du Conseil de sécurité qui apparaît comme un point névralgique incontour- nable. Il y a là le risque non négligeable de porter atteinte à la crédibilité du rôle et de l'action du Conseil de sécurité.

Les exemples relatifs à la gestion des crises sanitaires sont particulière- ment évocateurs à cet égard: le Conseil de sécurité doit-il vraiment exer- cer des compétences en ce domaine? Si tel était le cas, une réponse à ce dilemme pourrait être celle de découpler la phase de la qualification d'une situation comme menace de celle de l'action à entreprendre: le Conseil de sécurité qualifierait une situation de menace mais il s'en remettrait aux organisations et programmes compétents pour mener les actions néces- saires. Les événements liés au tsunami dans l'Océan indien en décembre 2004 montrent les difficultés du système international à répondre à ces défis et les enjeux liés à une coopération nécessaire de toutes les ins- titutions dans le domaine de la gestion des catastrophes naturelles et autres crises. Tous les efforts et compétences sont nécessaires, sans pour autant que le Conseil de sécurité ait son mot à dire ou un rôle à jouer.

(16)

NOTE 161

S'il fait mention de l'OMS, le Rapport est pour ainsi dire muet sur d'autres organisations. Ainsi en est-il du BIT, de l'OMC, ou encore des organisations économiques régionales. Leur rôle dans la gouvernance inter- nationale n'cst pourtant pas à dénier. Elles doivent apporter leur contribu- tion à la prévention des menaces économiques et sociales. La responsabili- té des institutions internationales en matière de gestion des ressources natu- relles à la lumière des exigences de la protection de l'environnement et de la promotion du développement durable est pour sa part ignorée, bien que de part et d'autre, des voix se fassent entendre pour apporter une réponse institutionnelle à ces défis:

IV.

LES MOIS A VENIR

Les recommandations sont nombreuses. Beaucoup reprennent des pro- positions faites par des Etats prolixes, sinon actifs, pour revendiquer un siège au Conseil de sécurité, pour rappeler que la réforme de l'ONU doit être conduite de pair avec des engagements en matière de financement du développement lors d'un Sommet s'inscrivant dans le processus de Monterrey et qui devrait se tenir pendant l'été 2005, ou encorc pour jouer la vertu en rehaussant le prestige de la Commission des droits de l'homme pour en faire un organe principal à l'égal du Conseil de sécurité.

Les Etats-Unis sont restés à l'écart de ce ballet diplomatique. Les mois à venir montreront s'ils veulent sortir de leur silence. Tant l'Organisation que le programme des réformes du système onusien dépendent, en très grande partie, de leur bon vouloir. Encore faut-il que la puissance améri- caine y trouve son compte, notamment eu égard à ses impératifs de sécu- rité. Si tel était le cas, les membres des Nations Unies pourront alors s'adonner au jeu du «grand mécano» onusien ainsi qualifié par certains à New York et, il faut l'espérer, proposer encore d'autres réformes. Puissent l'élargissement du Conseil de sécurité et la question du recours à la force ne pas affaiblir l'élan d'une réforme nécessaire pour compléter l'évolution et les développements qu'a connus l'Organisation des Nations Unies depuis sa création.

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