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Les Fondations émotionnelles des normes sociales : le cas de l'émergence des normes dans le collectif politique Occupy Geneva

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Academic year: 2022

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Thesis

Reference

Les Fondations émotionnelles des normes sociales : le cas de l'émergence des normes dans le collectif politique Occupy Geneva

MINNER, Frédéric

Abstract

Cette thèse développe une théorie sociologique des émotions reposant sur une conception de l'action sociale qui implique la rationalité, la normativité et les émotions. La théorie est mobilisée pour traiter le problème de l'émergence des normes qui pose les questions « pourquoi et comment les normes émergent-elles ? » Le cas du collectif politique des Indignés d'Occupy Geneva, envisagé comme une société de petite taille, permet de traiter empiriquement ce problème. Il est montré que la création et l'adoption par les membres de normes punitives, d'exclusion, de protection devant le danger et de réintégration des membres exclus sont le résultat de délibérations et d'actions collectives motivées par des émotions collectives (respectivement et notamment l'indignation, le mépris, la peur et le pardon, notamment) s'inscrivant dans l'arrière-plan institutionnel du collectif (démocratie participative et délibérative et contractualisme). L'argument central de la thèse pose ainsi que les normes sociales ont des fondations émotionnelles.

MINNER, Frédéric. Les Fondations émotionnelles des normes sociales : le cas de

l'émergence des normes dans le collectif politique Occupy Geneva. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2017, no. SdS 57

URN : urn:nbn:ch:unige-951403

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:95140

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:95140

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normes dans le collectif politique Occupy Geneva

THÈSE

présentée à la Faculté des sciences de la société de l’Université de Genève

par

Frédéric Minner

sous la direction de

prof. Laurence Kaufmann, Université de Lausanne et prof. Sandro Cattacin, Université de Genève

pour l’obtention du grade de

Docteur ès sciences de la société mention sociologie

Membres du jury de thèse :

M. Alexandre FLÜCKIGER, Professeur, Faculté de Droit Mme. Annabelle LEVER, Professeur, présidente du jury

M. Fabrice TERONI, Professeur, Faculté des Lettres

Thèse no 57 Genève, 16 février 2017

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La Faculté des sciences de la société, sur préavis du jury, a autorisé l’impression de la présente thèse, sans entendre, par-là, émettre aucune opinion sur les propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la responsabilité de leur auteur.

Genève, le 2 février 2017

Le doyen

Bernard DEBARBIEUX

Impression d'après le manuscrit de l'auteur

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Table des matières

Résumé ... vii

Abstract ... xi

Remerciements ... xv

Introduction ... 17

Raisons d’être de la thèse ... 17

Contribution à une théorie sociologique des émotions ... 24

Théorie de la rationalité la normativité et les émotions ... 26

From rationality to normativity to emotions ... 27

Bridging the gap between rationality, normativity and emotions ... 29

Emotions, normative judgments, argumentation: contrasting the logic of envy with that of indignation ... 31

Étude empirique de l’émergence des normes dans le collectif politique Occupy Geneva ... 33

From indignation to norms against violence in Occupy Geneva: a case study for the problem of the emergence of norms ... 35

Institutionnaliser l’indignation, le mépris et le pardon : punir, exclure, réintégrer dans Occupy Geneva ... 36

I. Première partie : État de l’art ... 38

Contribution à une théorie sociologique des émotions ... 38

Introduction ... 38

L’hypothèse de la continuité causale et le niveau microsociologique ... 40

Structure sociale et relations sociales ... 41

La théorie du pouvoir-statut de Kemper ... 42

La théorie des rituels d’interaction de Collins ... 54

La normativité comme spécificité des émotions ... 63

Définition de l’émotion ... 63

Les valeurs ... 93

Normes sociales et émotions ... 96

Phénoménologie ... 117

Ressentis de relations sociales ... 118

Conclusion ... 124

II. Deuxième partie : Théorie de la rationalité, de la normativité et des émotions 127 From rationality to normativity to emotions ... 128

Introduction ... 128

Three types of social actions or just one? ... 129

Purposive rationality ... 131

Value rationality ... 144

Affective actions ... 147

Conclusion ... 156

Bridging the gap between rationality, normativity and emotions158 Introduction ... 158

Intentional explanation and social actions ... 159

On rationality ... 161

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Two meanings of rationality ... 161

The “priority of success” methodology ... 163

Two modes of rationality ... 163

On normativity ... 166

Values and norms contrasted ... 166

On emotions ... 173

Emotions and the epistemic mode of rationality ... 173

Emotions and the strategic mode of rationality ... 182

Bridging the epistemic and the strategic modes of rationality ... 190

Conclusion ... 192

Emotions, normative judgments and argumentation: contrasting the cognitive logic of envy with that of indignation ... 195

Introduction ... 195

Contrasting the logic of an envious mind with that of an indignant mind . 196 The logic of an envious mind ... 197

The logic of an indignant mind ... 207

How emotions generate and structure normative judgments and argumentation ... 214

Emotions and normative judgments ... 215

The intrinsic normativity of emotions ... 217

Emotions and argumentation ... 220

Speech acts and the semantics of emotions ... 222

Conclusion ... 226

III. Troisième partie : Le problème de l’émergence des normes dans le collectif politique Occupy Geneva... 228

From indignation to norms against violence in Occupy Geneva: A case study for the problem of the emergence of norms ... 230

Institutionnaliser l’indignation, le mépris et le pardon : exclure, punir et réintégrer dans Occupy Geneva ... 232

Introduction ... 232

Présentation d'Occupy Geneva ... 234

La règle n°5 : des règles secondaires ... 235

Explication et commentaire de la règle ... 237

Conclusion ... 249

Conclusion du manuscrit de thèse... 252

Contribution à une théorie sociologique des émotions ... 252

Théorie de la rationalité, de la normativité et des émotions ... 254

Le problème de l’émergence des normes appliqué au cas d’Occupy Geneva 257 Limites de la thèse ... 260

Bibliographie ... 263

Annexe : Article “From indignation to norms against violence in Occupy Geneva: a case study for the problem of the emergence of norms” ... 275

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Résumé

Cette thèse est constituée de 5 articles et d’un chapitre consacré à l’examen critique des théories sociologiques des émotions. La thèse tire son origine de deux questions : quelles sont les facultés cognitives et motivationnelles qui font que (1) les agents sociaux se conforment à leurs normes et valeurs et (2) qu’ils produisent des normes sociales et les font émerger. La première question concerne la théorie de l’action sociale ; la seconde la théorie de l’émergence des normes. La thèse vise ainsi à développer une théorie de l’agir émotionnel et une théorie affective de l’émergence des normes. En cela, la thèse consiste en une contribution à la théorie sociologique des émotions.

Cette contribution se fait en deux étapes : d’abord, il s’agit de justifier l’introduction des émotions dans la théorie sociologique, ensuite il s’agit de développer une théorie sociologique des émotions qui rende compte des rôles explicatifs que les émotions jouent dans la vie en société. Pour justifier cette introduction, l’article From rationality to normativity to emotions, critique la typologie des actions sociales de Max Weber et discute en particulier la théorie du choix rationnel et la théorie de la rationalité axiologique de Raymond Boudon. Cette critique pose qu’il n’existe pas quatre types d’actions distincts, mais que l’action rationnelle est toujours téléologique (une fin est visée) et instrumentale (des moyens sont employés) et qu’elle n’est pas dégagée de normativité, mais s’appuie sur trois types d’éthiques : les éthiques conséquentialistes, non-conséquentialistes et l’éthique des vertus qui incorporent toutes des théories du bien et des devoirs que ceux-ci soient d’ordre économique, moral, religieux ou esthétique (par exemple). Par ailleurs, les émotions et les valeurs sont intimement connectées : elles ne constituent pas deux types d’action distincts, puisque les émotions nous font appréhender les valeurs et nous motivent à agir selon ces dernières. En ce sens, les émotions motivent et structurent, d’une part, l’action rationnelle qui n’est pas dégagée de tout normativité, et, d’autre part, les jugements normatifs. L’introduction des émotions dans la théorie sociologique permet de dépasser les apories des modèles standards de l’action sociale et de faire sens des actions rationnelles qui toujours visent la réalisation de valeurs et sont motivées par des émotions.

À ce stade, il s’agit donc de développer une théorie sociologique des émotions. Pour ce faire, le chapitre Contribution à une théorie sociologique des émotions discute les théories majeures de la sociologie des émotions et montre qu’elles souffrent toutes, à divers degrés, de problèmes de sous- théorisation et de conceptualisation partielle des émotions. Mais leur problème principal vient de ce que ces théories manquent de voir la spécificité des émotions qui mettent les individus en rapport aux valeurs et qu’en particulier les émotions sociales connectent les individus aux formes sociales (les relations et actions sociales basiques et universelles du répertoire humain, d’après Simmel) qui exemplifient des valeurs. De la sorte, les émotions sociales sont le « chaînon manquant » de la théorie sociale : ces émotions en tant que ressentis de valeurs et de formes sociales motivent des actions qui contribuent à la (re-)production de la normativité des ordres sociaux. Ainsi, les émotions sont-elles les liens qui connectent les agents sociaux aux structures sociales et à la normativité.

Après avoir justifié l’introduction des émotions dans la théorie sociologique et avoir mis en évidence que les émotions sont le chaînon manquant de la théorie sociale, je développe dans le détail une théorie de l’action et du jugement normatif. L’article Bridging the gap between

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rationality, normativity and emotions concerne l’action sociale, tandis que l’article Emotions, normative judgments, and argumentation : contrasting the cognitive logic of envy with that of indignation concerne la théorie du jugement normatif. Dans le premier article, je soutiens que les émotions dépendent de la pensée et la dirigent. Elles effectueraient la jonction entre les modes épistémiques et stratégiques de la rationalité. Le premier mode concerne les cognitions qui représentent le monde tel qu’il est ou semble être et fait des émotions des détecteurs de normativité, en ce qu’elles sont des cognitions qui réagissent à la présence (réelle ou non) de valeurs. Le second mode concerne l’action, le choix et les conations et fait des émotions des motivateurs de l’action et du choix qui cherchent à réaliser des valeurs dans le monde ; de ce fait, les émotions sont des producteurs de normativité.

Dans l’article suivant, Emotions, normative judgments, and argumentation…, je développe, à l’aide de deux cas empiriques illustratifs (l’un concerne l’envie, l’autre l’indignation) une théorie des jugements normatifs et de l’argumentation. L’article soutient que les types d’émotions, du fait de leurs tendances cognitives motivent et structurent les raisonnements normatifs, et se comprennent comme des génératrices de modes de pensées. Les types d’émotions génèrent ainsi des types de jugements normatifs, d’actes de langage et d’argumentaires et contribuent à la maîtrise linguistique des concepts normatifs et du lexique propre au type d’émotion considéré. En ce sens, les émotions ont une incidence sur le langage : elles expliquent, justifient, structurent et contribuent à l’articulation des raisonnements normatifs et jouent donc un rôle fondamental dans l’argumentation.

Les articles suivant concernent l’étude exemplaire du problème de l’émergence des normes dans le collectif politique Occupy Geneva. Dans cette partie de la thèse, je m’intéresse aux rôles joués par les émotions dans l’explication de l’émergence des normes sociales. J’ai observé durant 8 mois ce collectif, en me concentrant sur les assemblées générales, et ai mené une cinquantaine d’entretiens avec ses membres. Je montre que les Indignés, puisqu’ils ont installé un camp dans un parc public de Genève, se sont constitués en une société de petite taille en suivant la fiction politique du pacte social, par laquelle les membres devaient discuter collectivement de toutes les règles organisatrices de leur société afin de les adopter par consensus ; ceci indépendamment des cadres légaux existants en Suisse. Les membres ont ainsi suivi les principes de la démocratie participative et de la démocratie délibérative et du contractualisme. L’article From indignation to norms against violence in Occupy Geneva : a case study for the problem of the emergence of norms, pose que le problème de l’émergence des normes consiste à répondre aux questions pourquoi et comment les normes émergent. L’article s’intéresse en particulier à l’émergence des normes des chartes de bonne conduite des Indignés qu’ils ont conçues et modifiées pour réguler leurs interactions. Les thèses défendues sont que les émotions expliquent causalement et fondationnellement les normes sociales : les normes sociales résultent d’actions collectives émotionnellement motivées et leurs types dépendent ontologiquement des types d’émotions les ayant motivées. Cette émergence des normes fait fond sur des arrière-plans institutionnels qui rendent possible et contraignent cette émergence. Dans le cas d’Occupy Geneva, l’organisation démocratique du collectif, ainsi que l’assemblée générale, où était collectivement débattu tout sujet pertinent aux yeux des membres, et qui était organisée selon diverses normes procédurales qui régissaient les délibérations collectives, ont fourni cet arrière-plan institutionnel. L’étude montre

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que, consécutivement à deux agressions sexuelles survenues dans leur camp, les Indignés se sont engagés, lors de deux assemblées générales, dans un processus législatif qui a résulté en la création de nouvelles normes pour la charte de bonne conduite, et que les délibérations au cours de ce processus ont été gouvernées par l’indignation devant l’injustice de la violence sexuelle, le mépris voué à l’agresseur, la crainte qu’il inspirait (notamment). Ces émotions ont fondé des règles pour, respectivement, punir et exclure l’agresseur et protéger de potentielles victimes.

L’article Institutionnaliser l’indignation, le mépris et le pardon : punir, exclure et réintégrer dans Occupy Geneva traite du problème de la maintenance d’un collectif social. Ce problème se pose avec acuité lorsque certains membres d’un collectif ne respectent pas les règles choisies par les membres lors de la constitution de celui-ci. Ce faisant, pour assurer la coopération sociale, les membres peuvent adopter des normes qui permettent de sanctionner les transgresseurs et de faire respecter les normes qui ont déjà émergé. Ainsi, des normes secondaires (de second-ordre) peuvent émerger pour faire respecter les normes primaires (de premier-ordre) et fournir par là un pouvoir déontique qui donne aux membres la légitimité de punir et expulser les transgresseurs, voire de les réintégrer s’ils se repentent de leurs fautes. Ainsi, les membres d’Occupy Geneva, confrontés aux multiples transgressions de certains membres non-coopératifs et violents, se sont-ils engagés dans un autre processus législatif fondé principalement dans l’indignation, le mépris et le pardon pour édicter des règles de punition, d’exclusion et de réintégration qui leur ont conféré le pouvoir de faire appliquer les normes de leurs chartes de bonne conduite face aux membres qui refusaient de se plier à ces normes.

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Abstract

This dissertation constitutes of five articles and a chapter dedicated to a critical examination of the sociological theories of emotions. The thesis springs from two questions: what are the cognitive and motivational faculties that lead social agents (1) to conform to norms and values, and (2) how do cognitive and motivational faculties contribute to the production and emergence of social norms? The first question concerns the theory of social action; the second one the theory of the emergence of norms. The thesis thus aims at developing a theory of emotional agency and an affective theory of the emergence of norms. The thesis is in this respect a contribution to the development of the sociology of emotions. This contribution is made in two steps: first, I justify the introduction of emotions in sociological theory; second, I develop a sociological theory of emotions that gives an account of the explanatory roles that emotions play in social life. In order to justify this introduction, the article criticizes the typology of social actions of Max Weber and discusses in particular the theory of rational choice From rationality to normativity to emotions and the theory of axiological rationality of Raymond Boudon. This critique states that contrary to what Weber says, there are not four types of social actions, but that rational action is always teleological and instrumental, meaning that rational action targets an end and employs means to reach that end. Furthermore, rational action is not freed of normativity, but instead dwells on three types of ethics: consequentialist, non-consequentialist and virtue ethics. All these types of ethics incorporate theories of the good and the right, whether they belong to the economic, moral, religious or esthetic domains (for instance). Finally, values and emotions are intimately connected:

they do not consist of two different kinds of social action. Emotions make us apprehend values and motivate us to act according to values. In that sense, emotions motivate and structure rational action which is not normativity-free, and they motivate normative judgments as well. The introduction of emotion in sociological theory allows going beyond the aporia of standard models of social action and allows us to make sense of rational actions that always target the realization of values and are motivated by emotions.

At this stage of the argumentation, the aim is to develop a sociological theory of emotions. To do so, the chapter Contribution à une théorie sociologique des émotions discusses the major theories of the sociology of emotions and shows that they all suffer (albeit at different degrees) of a tendency to undertheorize and only partially conceptualize the concept of emotions. But their main problem comes from the fact that those theories do not see what is the specificity of emotions:

emotions link individuals to their values and, in particular, social emotions connect individuals to social forms (basic social actions and relationships of human repertoire that are universal, according to Simmel) that exemplify values. In this respect, social emotions are the “missing link”

of social theory: these emotions, are a form of feeling values and social forms and they motivate actions that contribute to the (re-)production of normativity in social orders. Thus, emotions are the link that connect social agents to social structures and normativity.

After having justified the introduction of emotions in sociological theory and having underlined that emotions are the missing link of social theory, I develop in detail a theory of normative action and judgment. The article Bridging the gap between rationality, normativity and emotion concerns social action, whereas the article Emotions, normative judgments, and argumentation: contrasting

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the cognitive logic of envy with that of indignation concerns the theory of normative judgment. In the first article, I state that emotions depend on and direct thought. They make the junction between the epistemic and strategic modes of rationality. The first mode concerns cognition that represents the world as it is, or seems to be and makes of emotions normativity detectors. The second mode concerns action, choice and conations (wants, desires, preferences) and makes of emotions motivators of action and choice that seek to realize values in the world: emotions are normativity producers.

In the next article, Emotions, normative judgments, and argumentation…, I develop, with the use of two illustrative empirical cases (one concerns envy, the other indignation), a theory of normative judgments and argumentation. The article states that types of emotions, by virtue of their cognitive tendencies, motivate and structure normative reasoning, and are to be understood as generators of modes of thoughts. Thus, types of emotion generate types of normative judgements, speech acts and arguments, and contribute to the linguistic mastering of normative concepts and the lexis proper to the type of emotion that is considered. In that sense, emotions have an influence on language: they explain, justify, structure and contribute to the articulation of normative reasoning and play a fundamental role in argumentation.

The following articles concern the study of the problem of the emergence of norms in the political collective Occupy Geneva. In this section of the dissertation, I am interested in the role that emotions play in the explanation of the emergence of social norms. During eight months, I did an observation of this collective, by focusing on their general assemblies, and I did circa fifty interviews with its members. I show that the Indignés, since they settled a camp in a public park of Geneva, constituted themselves in a small-scale society by following the fiction of social pact by which the members had to collectively discuss collectively all of the rules organizing their society in order to adopt them by consensus; this independently of legal frames that exist in Switzerland. The members have thus followed the principles of participatory and deliberative democracy and contractualism. The article From indignation to norms against violence in Occupy Geneva: a case study for the problem of the emergence of norms states that the problem of the emergence of norms consists in answering to the questions why and how do norms emerge? The paper is interested in the emergence of the norms of the charter of good conduct of the Indignés, which the collective conceived and modified in order to regulate their members’ interactions.

Using this empirical example, the thesis defends that emotions provide causal and grounding explanations for the emergence of social norms. Thus social norms are the result of collective action, which is emotionally motivated and the types of norms emerging depend on the types of emotions motivating them. This emergence is made possible as well as constrained by institutional backgrounds. In the case of Occupy Geneva, the democratic organization of the collective, as well as the general assembly, where every issue deemed relevant by the members was discussed, was organized according to various procedural rules that regulated the collective deliberation. This provided the institutional background. This study shows that consecutively to two instances of sexual aggression that occurred in the camp, the Indignés initiated, during two general assemblies, a legislative process that resulted in the creation of new norms for their charter of good conduct, which permitted the sanctioning and exclusion of members who elicited aggressive behavior. The deliberations during this process were governed by indignation at the injustice of sexual violence,

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contempt toward the aggressor and last but not least, fear of the aggressor and his potential for further violent behavior. These emotions grounded rules for, respectively, punishing and excluding the aggressor as well as protecting potential victims.

The article Institutionnaliser l’indignation, le mépris et le pardon : punir, exclure et réintégrer dans Occupy Geneva deals with the problem of the maintenance of a social collective. This issue becomes a major one when some members of the collective do not respect the rules chosen by the members, when they constituted their collective. To ensure social cooperation, the members can adopt norms that allow them to sanction transgressors in order to make them respect the norms that have already emerged. Thus, secondary norms (second-order norms) can emerge to make members respect primary norms (first-order norms) and to furnish a deontic power to the members who have thus the legitimacy to punish and expel transgressors, and even to reintegrate them if they make amends of their faults. Thus, the members of Occupy Geneva, confronted with the multiple transgressions carried-out by some of their members that were non-cooperative and violent, initiated another legislative process that was mainly grounded in indignation, contempt and forgiveness. This process resulted in the promulgation of rules to punish, exclude from and reintegrate people into the collective.

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Remerciements

Je souhaite tout d’abord remercier mes co-directeurs de thèse, les professeurs Sandro Cattacin et Laurence Kaufmann, pour m’avoir non seulement stimulé et nourri intellectuellement tout au long du processus de rédaction de cette thèse doctorat, mais aussi encouragé dans les moments de doute.

Je souhaite encore leur dire ma reconnaissance pour m’avoir permis de réaliser une thèse en sociologie des émotions dans le contexte académique suisse où la sociologie et les autres sciences sociales ne portent en général que peu d’intérêt aux phénomènes affectifs.

Je suis également reconnaissant envers le professeur David Sander qui m’a permis de participer en tant que doctorant à l’École doctorale en sciences affectives du Centre interfacultaire en sciences affectives (CISA), dont il est le directeur. J’y ai rencontré des chercheurs passionnants qui, issus des diverses disciplines des sciences affectives, ont stimulé mes réflexions et développer mon goût pour la recherche interdisciplinaire. Je tiens spécialement à remercier les philosophes du groupe Thumos, et en particulier ses co-directeurs, les professeurs Fabrice Teroni et Julien Deonna, auprès desquels j’ai appris d’innombrables choses sur les émotions.

Je souhaite également dire ma gratitude au professeur Christian von Scheve qui m’a accueilli très chaleureusement dans son groupe de recherche en sociologie affective à la Freie Universität Berlin pendant les 18 mois qu’a duré une bourse que le Fond national suisse de la recherche scientifique m’a attribué.

Au cours de ces années de thèse, j’ai bénéficié de l’amitié et de l’amour de nombreuses personnes et en particulier d’Irina Radu, Luc Gauthier, Stéphane Augsburger, Philippe Dunant, Emmanuel Gouabault, Antoine Läng et Manuela Canabal auxquels je rends hommage.

Ma gratitude la plus grande va à mes parents, Paul et Édith Minner, pour leur amour et leur soutien indéfectible. Je remercie aussi ma sœur, Édith, et mon beau-frère Stéphane, ainsi que mes nièces, Maud, Laure et mon neveu Gauthier pour la joie qu’ils m’apportent.

Finalement, je tiens à remercier les Indignés d’Occupy Geneva pour m’avoir permis d’observer leur collectif et l’accueil chaleureux qu’ils m’ont réservé.

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Introduction

Raisons d’être de la thèse

Cette thèse est consacrée au problème de l’émergence des normes et à l’élaboration d’une théorie de l’action sociale qui, par la prise en compte des émotions, permet de soutenir que les émotions sont indispensables à l’explication sociale car elles lient de diverses manières la normativité (valeurs et normes), la rationalité et les relations sociales. Les émotions sont conçues comme des réactions aux valeurs et comme des motifs d’action qui visent à produire dans le monde social d’autres valeurs. Les émotions sociales sont intimement liées aux formes sociales, – les relations, actions, situations et catégories de personne sociales basiques et universelles –, qui figurent comme des causes et des effets sociaux des émotions. Les émotions par ailleurs jouent également un rôle dans l’argumentation : elles motivent et structurent la pensée faisant que chaque type d’émotion (indignation, envie, gratitude, peur, etc.) sont des modes de pensée particulier. Du fait de leurs diverses connections aux normes et valeurs et du fait qu’elles motivent et structurent la pensée et l’action, les émotions paraissent jouer un rôle fondamental dans l’émergence des normes. En effet, les émotions jouent un rôle causal et un rôle fondationnel dans l’émergence des normes : les émotions expliquent causalement l’émergence des normes comme le résultat des actions collectives, qui, motivées par leurs émotions, sont accomplies par des agents sociaux ; les émotions expliquent fondationnellement les formes des normes comme dépendant ontologiquement des types d’émotions éprouvées par les sujets sociaux. Par exemple, des normes punitives et interdictrices de torts résulteraient d’actions motivées par l’indignation et tireraient leurs formes (leur identité) de la structure de l’indignation. L’identité des normes dépendrait ainsi de l’identité des émotions. Mais ces émotions se produisent dans des contextes institutionnels qui cadrent les possibilités d’action collective pour faire émerger des normes. Ce faisant, les émotions exercent leurs pouvoirs causaux et fondationnels dans des cadres institutionnels qui contraignent et offrent des possibilités permettent aux membres d’instituer de nouvelles normes. Empiriquement, j’étudie ainsi l’émergence de normes dans le collectif Occupy Geneva et montre comment les membres, du fait de leurs émotions, ont élaboré et adopté différentes normes pour

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leur charte de bonne conduite afin de réguler leurs interactions. Je m’intéresse principalement à des normes permettant de punir les auteurs de torts, d’exclure les membres indignes, de protéger les membres menacés par un danger et de réintégration la personne exclue. Mon étude montre qu’entre autres des émotions comme l’indignation, le mépris, la peur, la compassion et le pardon ont joué un rôle fondamental dans l’élaboration et l’adoption collective de ces normes que les institutions démocratiques (notamment la démocratie participative et délibérative) d’Occupy Geneva ont permis et contraint, en fournissant le cadre institutionnel autorisant les membres à créer et à transformer les règles de leur charte. Ceci constitue le geste général brossé à grands traits de cette thèse.

Il est utile d’expliquer en quelques mots mon parcours académique pour comprendre d’où viennent les questions que je me suis posées dans cette thèse et les réponses que je leur apporte. Mon cheminement à l’université m’a fait passer de l’étude de la philosophie et l’histoire antique à celle de l’économie politique et à celle de la sociologie. En philosophie, j’ai développé un grand intérêt pour la philosophie analytique et en particulier pour la philosophie de l’esprit, la philosophie de l’action, la philosophie de la connaissance et la méta-éthique (l’étude « méta » des théories éthiques). Toutefois, je me suis décidé au bout d’un certain temps à suivre le cursus de l’économie politique où je me suis intéressé à la théorie du choix rationnel et à l’épistémologie des sciences sociales en raison des nombreux problèmes que cette théorie pose. L’un d’entre eux est son incapacité à expliquer toutes sortes de comportements sociaux liés à la normativité (normes et valeurs). Durant ce cursus, j’ai assisté à un cours de sociologie général donné par le prof. Franz Schultheis qui éclairait les valeurs sous un jour nouveau grâce à la sociologie. La sociologie m’a paru ainsi être la discipline qui pouvait fournir des réponses à mes questions. J’ai ainsi réorienté mes études pour suivre le cursus de licence, puis de master en sociologie pour finalement réalisé cette thèse de doctorat.

Ce parcours, qui m’a ainsi conduit de la philosophie à la science économique à la sociologie, a laissé des traces dans mes questionnements scientifiques et les réponses que je tente de leur apporter. En effet, l’économie m’a fait considérer la théorie du choix rationnel (TCR) en laquelle j’ai cru un certain temps. Mais les problèmes qu’elle cause m’ont fait m’orienter vers la lecture de Raymond Boudon et donc de Max Weber puisque ce dernier influence énormément les théories de Boudon. Je me suis ainsi intéressé à l’une des alternatives de la TCR : la rationalité

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axiologique qui est supposée pouvoir rendre compte des actions que les individus effectuent lorsqu’ils observent les normes et les valeurs de leurs collectifs sociaux.

Parallèlement à ces lectures, je me suis intéressé à John Elster et à sa critique de la TCR qui m’a conduit à m’intéresser au rôle que les émotions jouent dans l’action et le choix rationnels, et dans le respect des normes. Ma question fondamentale concernait celle du suivi des normes sociales par les agents sociaux, – une question à laquelle la TCR ne peut répondre. Alors que la TCR pose que le suivi des normes correspond à la logique de l’intérêt, Boudon (suivant Weber en cela) avance que la logique de l’intérêt n’explique pas ce suivi puisque les agents sociaux poursuivent, dans de nombreuses circonstances, une « logique de la morale. » Toutefois, un problème se pose : on ne trouve pas chez Boudon une explication qui permette de comprendre comment les valeurs ou les normes motivent les individus en leur fournissant à la fois des raisons d’agir et des motivations (désir, préférences, intentions, etc.). Ainsi, les thèses de Boudon ne semblent-elles pas résoudre le problème des capacités cognitives et conatives des agents qui permettent à ces derniers de traiter cognitivement les normes et les valeurs et d’agir d’après elles. Sur cette question, au contraire, Elster fournit une réponse qui m’avait paru lumineuse : les normes sociales ont une emprise sur les esprits des individus en raison des émotions qu’ils éprouvent. Elster explique ainsi que des émotions comme la peur, la honte ou la culpabilité pousse les agents à se conformer aux normes sociales, car la perspective de les violer leur fait éprouver de façon anticipée des émotions négatives qui, en raison de leurs tendances à l’action, les motivent à respecter les normes. Ainsi Elster établit-il, premièrement, que les émotions motivent les actions des agents sociaux en leur faisant accomplir des types d’action et, deuxièmement, que les émotions (peur, culpabilité, honte) poussent les agents à se conformer aux normes sans que la logique de l’intérêt ne les motive à le faire. La thèse que les émotions sont des motivateurs des actions m’a paru particulièrement intéressante ; ce qui m’a conduit à m’intéresser au psychologue Nico Frijda dont Elster tire ces thèses sur les tendances à l’action des émotions. J’en suis ainsi venu à m’intéresser aux sciences affectives et en particulier au programme de recherche de la « théorie de l’évaluation » (appraisal theory) dont Frijda est l’un des éminents représentants. Toutefois, la psychologie des émotions et les thèses d’Elster m’ont laissé sur ma faim : elles ne permettent pas de rendre compte du lien postulé par Boudon et Weber entre les valeurs et l’agir des agents sociaux. Ainsi, la question du lien entre rationalité, valeurs et agir

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individuel restait mystérieux à mes yeux. C’est alors que j’ai découvert qu’un certain nombre de philosophes se sont intéressés assez récemment à ces questions.

J’en suis venu à lire Ronald de Souza qui théorise les liens entre rationalité, valeurs et émotions et d’autres philosophes (Tappolet, Deonna et Teroni, notamment) qui établissent un lien très clair entre les valeurs et les émotions : à des types de valeurs correspondent des types d’émotions (à l’offense la colère, au tort injustifié l’indignation, au danger la peur et ainsi de suite). Ce faisant, il m’a semblé que des liens forts pouvaient être tirés entre la rationalité, la normativité et les émotions et que ces liens permettaient de fournir une image plausible de l’action sociale et des jugements normatifs que les agents sociaux effectuent. Toutefois, ces connexions m’ont paru insuffisantes pour expliquer la vie en société, puisque le lien avec les relations sociales n’est pas explicité par ces diverses théories. En effet, l’explication sociologique ne se borne pas seulement à tenter de fournir une explication aux agissements des agents sociaux relativement aux valeurs et normes de leur collectif, puisque l’explication sociologique fait appel, par définition, aux relations sociales qui lient les agents entre eux et à leurs collectifs.

J’ai donc tenté de comprendre, d’une part, ce que sont les relations sociales et, d’autre part, quelles sont les capacités cognitives et motivationnelles qui permettent aux agents sociaux de réagir et de produire ces relations sociales. En sociologie, l’auteur le plus important pour comprendre ce que sont les relations sociales est sans aucun doute Georg Simmel dont la lecture m’a paru extrêmement éclairante. En effet, il postule qu’il existe des relations sociales basiques qui sont des universaux invariants qui peuvent être actualisés dans les sociétés humaines.

Il appelle ces invariants sociaux des « formes sociales ». Ces thèses m’ont conduit à m’intéresser aux travaux contemporains de Laurence Kaufmann et Fabrice Clément qui prolongent les thèses de Simmel en arguant que les agents sociaux possèdent des facultés cognitives propres à la cognition sociale qui leur permettent d’identifier les formes sociales qui se réalisent dans leur environnement social.

Ainsi en suis-je venu à me demander comment pouvait-on faire sens de ces différentes thèses sur les formes sociales, les valeurs et les normes, la rationalité, la cognition sociale et les émotions ? Il s’est agi d’élaborer une théorie permettant de tirer les liens entre ces diverses notions et conceptions de l’agir humain. Mon travail de thèse est de ce fait une tentative d’élaboration d’une telle théorie par le recours à la sociologie, la philosophie, la psychologie et l’économie. Je dois encore faire remarquer que l’une de mes préoccupations principales dans ce

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parcours a été de tenter de comprendre les relations macro-micro-macro et en particulier de l’idée qu’il existe des phénomènes de continuité causale entre les structures sociales, leur détection par les agents qui y réagissent et qui, par leurs actions, (re-)produisent ces structures sociales. Il me semble que la prise en compte des émotions et de leurs connections aux formes sociales, aux valeurs et aux normes, et à l’action rationnelle permet de comprendre ce lien de continuité causale qui est un desiderata de l’explication sociologique. C’est donc également l’une des raisons qui m’a poussé à m’intéresser aux émotions.

En sus de ces ambitions théoriques, cette thèse est consacrée à un problème sociologique classique : comment expliquer l’émergence des normes sociales ? Les questions centrales de ce problème sont : Pourquoi et comment les normes émergent-elles et pourquoi certaines normes ont émergé plutôt que d’autres ? Je me suis intéressé ainsi aux moments où les normes émergent et aux raisons d’être de leurs formes et contenus (Pourquoi des normes pour punir, protéger, récompenser ?). L’idée de base est d’avancer que les émotions sont à l’origine de l’émergence des normes. Les émotions sont des réactions à la détection cognitive de valeurs et elles motivent des actions visant à réaliser des normes pour implémenter des valeurs dans le monde social. Par exemple, la peur pousse à neutraliser le danger et motive la fuite ou l’immobilisme, l’indignation cherche à rétablir le juste et motive la punition et l’empêchement des torts injustifiés, etc.

De fait, j’avance que les émotions jouent un rôle causal et un rôle fondationnel dans l’émergence des normes. Les émotions expliquent causalement l’émergence des normes car cette émergence serait le résultat d’actions que les agents sociaux entreprennent en étant motivés par des émotions. Les émotions expliquent fondationnellement les formes des normes comme étant ontologiquement dépendantes des types d’émotions éprouvées par les agents sociaux. Par exemple, des normes punitives et interdictrices de torts résulteraient d’actions motivées par l’indignation et tireraient leurs formes (leur identité) de la structure de l’indignation. L’identité des normes dépendrait ainsi de l’identité des émotions.

Le fait que les normes aient des ancrages émotionnels a été déjà observé par Durkheim (2007) et Ranulf (1933, 1964) qui voyaient les lois punitives (la peine) comme motivées par la colère ou l’indignation1. D’autres chercheurs ont plus récemment enquêté dans le domaine du droit sur les relations entre les émotions

1 Ou aussi l’envie pour Ranulf qui considère parfois que l’indignation est de l’envie déguisée.

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et la loi. Ainsi, par exemple, Nussbaum (2004) s’est-elle intéressée au rôle que le dégoût joue dans la criminalisation de certains actes (obscénité, sodomie, homosexualité), la justification des lois, les actions de criminels, les délibérations de jurés et les décisions de justice. Solomon (1995, 1999) s’est intéressé à la passion de la justice et aux rôles notamment que la vengeance joue dans la peine.

Bandes (2016) s’est intéressée à la place du remords dans la justice pénale et plus généralement aux émotions et la loi. Flückiger (2009) s’est intéressé aux rôles des émotions dans le respect des soft laws, mais aussi plus globalement aux rôles des émotions dans la production du droit (Flückiger 2010). Sajó (2011) a développé l’idée que les institutions constitutionnelles résultent des émotions. L’historien Jankowski (2008) montre que les grandeurs variables de l’indignation et des scandales politiques sont fonction des institutions et des lois d’une société (monarchie vs république démocratique). Les sociologues Bergman Blix et Wettergren (2016) étudient les émotions des professionnels des tribunaux. Ces divers travaux montrent que les émotions et les normes entretiennent de nombreuses relations, dont celle traitée dans cette thèse : les normes sociales comme résultant des émotions.

Pour traiter cette question empiriquement, j’étudie le collective Occupy Geneva que je traite non pas comme un mouvement social, mais plutôt comme une société de petite taille qui a émergé et décliné. En effet, en raison du camp qu’ils ont installé dans le parc des Bastions à Genève au milieu d’octobre 2011, les Indignés ont dû composer un vivre ensemble qui, loin d’être harmonieux, a nécessité l’adoption de normes écrites collectivement avalisées par consensus. Je m’intéresse ainsi aux différentes versions de leur charte de bonne conduite et en particulier aux deuxième et troisième versions qui ont été élaborées et adoptées lors de la période d’observation que j’ai accomplie. Je n’ai malheureusement pas assisté à l’adoption de la première charte qui a eu lieu la première semaine de l’existence du collectif, car j’ai commencé mes observations deux semaines après que le collectif a été créé. Il s’agit de montrer quels événements et quelles émotions, en réaction à ces événements, ont contribué à la modification des chartes, mais aussi à certaines modifications du fonctionnement des assemblées générales et des groupes de travail, dont notamment le groupe de négociation chargé de négocier avec les autorités de la ville de Genève.

J’ajoute encore que mon travail est résolument interdisciplinaire en ce qu’il noue un dialogue entre la sociologie, la philosophie, la psychologie, l’anthropologie, le

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droit, l’économie et l’histoire. On l’aura compris les disciplines les plus sollicitées sont la philosophie et la psychologie. Cela s’explique par le fait que la reine des sciences affectives est évidemment la psychologie et que les développements contemporains propres à cette discipline permettent de nourrir utilement la sociologie des émotions en montrant le rôle que les émotions jouent dans l’action et la cognition. Il s’agit également de « rendre honnête » (Elster 1999) les théories sociales des émotions par la prise en compte des nombreuses expériences de laboratoire et études sur la nature des émotions et sur certains types d’émotions.

Ceci signifie qu’une théorie sociologique des émotions ne peut faire l’économie des résultats de recherche probants de la psychologie affective, sinon quoi des erreurs dans la compréhension des phénomènes affectifs sont inévitables. Par ailleurs, la philosophie (principalement la philosophie analytique, mais pas seulement) parait également essentielle en ce qu’elle permet d’effectuer tout un ensemble de clarifications conceptuelles bien venues dans des théories sociologiques parfois très confuses. De fait, la philosophie fournit des outils analytiques qui permettent d’évaluer la cohérence logique des théories examinées et les catégories qui y sont utilisées. En outre, l’analyse philosophique permet de mettre à jour les présupposés théoriques et philosophiques sous-jacents aux théories sociologiques pour montrer leur pertinence ou leur partialité. Mais la philosophie ne se borne pas à ce rôle d’évaluation des théories. En effet, elle permet de formuler des hypothèses intéressantes et audacieuses sur le monde social et l’agir des individus. Notamment, pour la thématique de cette thèse, la philosophie des émotions et le traitement des valeurs dans ce cadre de pensée est indispensable pour faire sens sociologiquement des liens entre valeurs et motivations. La philosophie des émotions permet en ce sens de faire ce que la psychologie ne permet pas : connecter les émotions, la rationalité et la normativité.

Quant à la structure de mon manuscrit de thèse, celui-ci est scindé en trois parties.

La première est constituée d’un chapitre consacré à l’examen critique d’un certain nombre de théories sociologiques ; la deuxième partie inclut trois articles théoriques sur les rapports entre la rationalité, la normativité et les émotions ; la troisième partie porte sur l’étude empirique de l’émergence des normes sociales dans le collectif Occupy Geneva.

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Contribution à une théorie sociologique des émotions Les questions qui ont jalonné mon parcours académique inscrivent mes réflexions dans la sociologie des émotions qui a commencé à se constituer comme un champ propre de la sociologie dès les années septante, et qui aujourd’hui est l’objet de nombreux développement vu que de plus en plus de sociologues (notamment les nouvelles générations) s’y intéressent. Toutefois, la prise en compte des émotions et des autres phénomènes affectifs (sentiments, passions, humeurs, traits de caractères, etc.) dans l’explication sociologique remonte déjà aux pères fondateurs de la sociologie (p.ex. Durkheim, Weber, Simmel, Tarde ou Pareto). L’étude sociologique des émotions n’est de ce fait pas totalement étrangère à la sociologie et s’ancre donc dans la tradition sociologique. Dans ce chapitre, j’examine certaines des théories les plus influentes de la sociologie des émotions pour en montrer les limites et les forces, afin d’élaborer une théorie qui fasse sens de la normativité, des formes sociales, de l’agir individuel et des émotions.

La critique des théories retenues dans ce chapitre montre que la façon dont elles envisagent les émotions souffrent de nombreux défauts conceptuels et empiriques qui consistent en des problèmes de « sous-théorisation » des divers composants des émotions : ces théories ne traitent pas de tous les composants des émotions ou, quand elles le font, le traitement parait superficiel. Ainsi, on peut identifier les défauts suivant :

(1) Une sous-théorisation des phénomènes affectifs, dont les définitions sont souvent confuses et manquent de distinguer les diverses sous-classes d’états affectifs, notamment les émotions, les humeurs et les sentiments.

(2) Une sous-théorisation de la notion de relation sociale qui figure comme un concept entendu et non-problématique de la sociologie, alors que la compréhension des relations sociales est fondamentale pour une sociologie des émotions, car les divers types d’émotions sociales sont en rapport avec des types de relations sociales (formes sociales) qui possèdent des qualités distinctives.

(3) Une sous-théorisation de la spécificité des émotions qui nous connectent au monde des valeurs

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(4) Une sous-théorisation des tendances motivationnelles associées aux types d’émotions, c’est-à-dire des tendances cognitives et à l’action des émotions

(5) Une sous-théorisation de la phénoménologie des émotions sociales qui sont à la fois des ressentis de valeur et des ressentis de relations sociales La façon dont j’ai organisé ma critique et les solutions que j’apporte aux problèmes identifiés suit un plan déterminé. Je pars de l’hypothèse de la continuité causale entre structures sociales et agentivité (les liens causaux entre niveaux macro-micro-macro) pour expliquer que, pour les besoins de cette thèse, je m’intéresse au niveau de description micro sociologique qui est le niveau des interactions sociales. Ce niveau permet de théoriser la façon dont les agents sociaux traitent cognitivement les objets sociaux présents dans leur environnement social et comment leurs motivations les font produire ces objets.

L’hypothèse est que la causalité s’exerce au niveau des individus et des interactions sociales, et pas au niveau des structures sociales et des entités complexes macro (classes sociales, États, clubs de football, hôpitaux, armées, etc.) : les relations causales postulées au niveau macrosociologique entre des entités sociales complexes encapsulent la façon dont la causalité s’exerce au niveau des membres de ces « collectifs » et de leurs actions2. Ainsi, le niveau des interactions sociales entre individus est conçu comme plus fondamental du point de vue de la causalité, car c’est à ce niveau que, par hypothèse, la causalité exerce son efficacité.

Partant de ces hypothèses, j’examine les théories de Kemper et de Collins qui inscrivent les émotions dans des structures sociales. Je montre que leurs thèses sous-théorisent les formes sociales et proposent des définitions problématiques des émotions. Partant, je présente les définitions des émotions proposées par Turner et Elster pour soutenir que la façon dont Turner conçoit les émotions est hautement problématiques et peu éclairant sociologiquement et que celle d’Elster, qui s’appuie sur les travaux de Frijda, quoique très stimulante du fait des liens qu’Elster établit entre les émotions, la cognition et l’action et des hypothèses causales qu’il soutient (pour Elster les divers types d’émotions sont des mécanismes causaux), manque de voir que les émotions donnent accès au monde

2 Sur les liens micro-macro-micro, les niveaux de description et la causalité, voyez par exemple (Barbalet 2001; Boudon and Bourricaud 2002; Hedström and Swedberg 1998; Pettit 1996).

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des valeurs. Ayant introduit la notion de valeurs, j’explicite cette notion et la met en rapport aux normes sociales. De ce fait, j’examine les diverses relations entre les normes sociales et les émotions telles qu’on les trouve chez Elster, Mauss et Hochschild : les émotions régulent les normes sociales et les normes sociales régulent les émotions. La spécificité des émotions est ainsi encore précisée en ce qu’elles sont connectées à la normativité au sens large (valeurs et normes). En outre, je montre que les émotions jouent un rôle spécial dans l’explication sociologique, car elles rendent les institutions sociales intelligibles et paraissent les fonder en ayant le pouvoir de les faire émerger. Par ailleurs, la discussion du rôle régulateur des normes sociales sur les émotions permet de discuter le composant expressif des émotions (postures corporelles et expressions faciales) et d’aborder la question des ressentis subjectifs des émotions (« ce que cela fait » d’être en colère, d’avoir peur, d’éprouver de la gratitude, etc.). La thèse défendue est que les émotions sont toutes des ressentis de valeur, et que les émotions spécifiquement sociales sont des ressentis de valeur et de relations sociales dans un sens que je précise. Ce faisant, en fin de chapitre, j’expose les arguments qui permettent de défendre l’hypothèse de la continuité causale entre les objets sociaux et les émotions. J’explicite la notion de formes sociales, pose les liens qui lient ces formes aux valeurs, et comment les agents sociaux grâce à leurs facultés cognitives sont capables de détecter des couplages de formes sociales et de valeur qui suscitent des types d’émotions. Je montre encore en quoi les actions motivées par les tendances à l’action des émotions peuvent être elles-mêmes conçues comme des formes sociales qui réalisent des valeurs et qui donc participent la (re- )production des objets sociaux. Les émotions ainsi conçues comme les chaînons manquant de l’explication sociologique : elles assurent la continuité causale entre la normativité et les formes sociales. Ces dernières thèses permettent de faire la transition avec la deuxième partie de la thèse qui concerne la théorie de la rationalité, de la normativité et des émotions.

Théorie de la rationalité la normativité et les émotions La deuxième partie de cette thèse est consacrée à l’élaboration théorique des liens entre rationalité, normativité et émotions et est constituée de trois articles rédigés en anglais. L’objectif est de montrer les liens que la rationalité et les émotions

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entretiennent avec l’éthique ordinaire des agents sociaux, de formuler une théorie de l’action sociale et une théorie des jugements normatifs et de l’argumentation incorporant rationalité, normativité et émotion. Il s’agit donc de revenir sur le mode explicatif des « explications intentionnelles » qui posent que les actions des agents sociaux s’expliquent par référence à leurs intentions d’agir ; c’est-à-dire aux buts que leurs actions visent à réaliser.

From rationality to normativity to emotions

L’article From Rationality to normativity to emotions, par l’examen de diverses options théoriques sur la façon de concevoir la rationalité (rationalité en finalité, instrumentale, utilitaire, en valeur), cherche à montrer que la rationalité inclut en essence des concepts normatifs et que la normativité requiert de faire référence aux émotions. Il s’agit de montrer que l’action et le jugement rationnels ne sont pas indépendants de la normativité et que la normativité n’est pas indépendante des émotions. Ainsi toute théorie de l’action sociale qui s’appuie sur une conception de la rationalité doit nécessairement tenir compte de la normativité et des émotions. Pour défendre mes thèses, j’utilise comme cadre de réflexion la typologie des actions sociales de Max Weber qui distingue entre quatre types d’actions : la Zweckrationalität traduite suivant les auteurs par « rationalité en finalité », « rationalité instrumentale », « rationalité utilitaire » ; la Wertrationalität appelée « rationalité en valeur » ou « rationalité axiologique » ; les actions affectives ; et les actions traditionnelles ou habitudes. Je ne traite que les trois premières, car il me semble le quatrième type est réductible aux valeurs : ne parle-t-on pas de bonnes et de mauvaises traditions ou habitudes ? La discussion des trois premières catégories et des avatars contemporains des deux premiers types (la théorie du choix rationnel et la théorie de la rationalité axiologique de Boudon) permet de mettre en évidence tout un ensemble de confusions conceptuelles qui attestent de l’impossibilité conceptuelle de séparer les catégories de la rationalité, de la normativité et de l’émotion.

L’article défend ainsi plusieurs thèses centrales : l’action rationnelle est toujours téléologique et instrumentale, elle n’est pas dégagée de la normativité et s’appuie sur trois types d’éthiques distinctes :

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- L’éthique conséquentialiste par laquelle les agents évaluent les bonnes ou mauvaises conséquences de leurs actions et qui incorpore une théorie du « bien », donc des valeurs

- L’éthique non-conséquentialiste par laquelle les agents réalisent une fin par devoir ou idéalisme sans tenir compte des conséquences que leurs actions ont sur eux, autrui ou le monde. Ce type d’éthique incorpore une théorie du

« juste » et a trait à la déontologie ; c’est-à-dire aux normes

- L’éthique des vertus par laquelle les individus évaluent leurs qualités personnelles (p. ex. être égoïsme vs être altruiste, être généreux vs être avare) et qui est une théorie des valeurs (« vices » et « vertus ») que les personnes exemplifient.

En outre, l’article soutient qu’il existe une pluralité de valeurs qui relèvent de différents domaines comme ceux de l’éthique, l’esthétique, l’économique, la politique, le religieux, le juridique, la santé, la connaissance, etc. Ainsi, l’opposition standard entre une rationalité économique échappant au monde des valeurs et une rationalité en valeur qui concernerait le monde de la morale est une fausse opposition : les valeurs économiques sont bien des valeurs au même titre que les valeurs morales. De fait, l’utilité, l’égoïsme, l’intérêt personnel sont des notions qui nécessairement appartiennent au domaine de la normativité et ne peuvent en être détachées. L’argument s’appuie sur l’idée que le domaine axiologique est logiquement polarisé : il existe des valeurs « positives » et des valeurs « négatives » comme les couples bon/mauvais, courageux/lâche, égoïste/altruiste, cruel/gentil le montrent. De ce point de vue, la rationalité économique telle qu’on la trouve dans la théorie du choix rationnel ne peut être distinguée d’une rationalité en valeur, car l’un et l’autre type sont en essence dépendant de la normativité (normativity-dependent). En outre, l’action rationnelle n’est jamais « purement » rationnelle, car elle est motivée par diverses conations (désir, préférence, souhaits), dont les émotions. De fait, les émotions servent de base à l’action rationnelle, car elles fournissent des intentions d’agir et donc des fins à viser en vertu de leurs tendances à l’action. Elles motivent et structurent la pensée en dirigeant l’attention et la recherche et la sélection d’informations pertinentes ; elles contribuent à l’élaboration de la fin visée et à la recherche et la sélection des moyens « appropriés » pour atteindre le but choisi.

Ainsi les émotions génèrent-elles et dirigent les diverses activités cognitives

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définitoire du choix rationnel. Par ailleurs, les tendances à l’action des émotions motivent les autres conations notamment en fondant des désirs et en façonnant les préférences. Mais le plus important est que les émotions peuvent être comprises comme nous faisant appréhender les valeurs et comme fondant les normes sociales. En cela, elles connectent les agents sociaux à la normativité de leurs collectifs sociaux et peuvent servir de base aux jugements normatifs de ces agents.

Par exemple, l’indignation conduit typiquement un agent à juger qu’un tort injustifié s’est produit, que c’est injuste, que cela représente un mal et que la situation doit disparaître. La peur conduit à juger qu’une situation est dangereuse et mauvaise et qu’il faut neutraliser le danger. Ainsi les émotions expliquent-elles les jugements de valeur ; c’est-à-dire les « jugements épais » (ceci est injuste, est dangereux), mais aussi, par voie de conséquences, les « jugements fins » (ceci est mal) que les agents effectuent. Mais les émotions n’expliquent pas que les jugements de valeur, car elles permettent aussi d’expliquer les jugements déontiques (ceci doit disparaître, il faut neutraliser le danger). Les émotions semblent donc pouvoir articuler les domaines de l’axiologie et de la déontologie.

Ces arguments permettent de soutenir que l’action rationnelle est constitutivement normative et motivée et structurée par les émotions qui connectent les individus aux valeurs et aux normes. Les émotions seraient ainsi les soubassements psychologiques des normes et des valeurs et de leurs articulations.

Bridging the gap between rationality, normativity and emotions

Le deuxième article de cette « Bridging the gap between rationality, normativity and emotions » poursuit la réflexion de l’article précèdent, mais focalise son argument sur la théorie de l’action sociale. Il s’agit d’élaborer dans le détail les relations entre la rationalité, la normativité et les émotions pour dessiner une théorie de l’action sociale qui fasse le lien entre la détection de faits sociaux chargés de normativité, la pensée et l’agir individuels et la production de faits sociaux également chargés de normativité. Le but est donc de développer précisément les relations entre la rationalité, la normativité et les émotions du point de vue de l’action intentionnelle. Le modèle de l’action sociale proposé permet d’expliquer les ajustements intentionnels des individus à leur environnement social et normatif et les façons dont ils ajustent intentionnellement

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