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L'évêque tueur, l'évêque Antéchrist

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Academic year: 2022

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Texte intégral

(1)

ék J

L'évêque tueur, l'évêque Antéchrist

mém. W /

I N T E R V I E W : E T S I LE J A R G O N S C I E N T I F I Q U E C A C H A I T LE V I D E D E S I D É E S ? -

M É D E C I N E : L ' A T T R A I T I R R É S I S T I B L E D E S P L A N T E S M É D I C I N A L E S

A C T U E L : L A P O L I T I Q U E U N I V E R S I T A I R E E N Q U E S T I O N S -

(2)

G o o d F o o d G o o d L i f e

L'attrait irrésistible des plantes médicinales

Elles tuent, mais elles guérissent aussi:

entre les plantes et l'espèce humaine, c'est une vieille histoire qui vaut son pesant d'or vert. D'espoir aussi, car l'univers végétal n'a pas encore livré le dixième de ses fabuleuses capaci­

tés thérapeutiques. Des chercheurs de l'Institut de pharmacognosie et de phytochimie de Lausanne les traquent d'un bout à l'autre de la planète.

Perspectives en page 20

L'université en questions A fin janvier der­

nier, une vingtai­

ne d'orateurs is­

sus de l'UNIL comme de la cité et des milieux politiques et éco­

nomiques ont passé quatre soi­

rées à débattre des problèmes auxquels doit fai­

re face la Haute Ecole lausannoise. Etat de la situa­

tion en quatre problématiques : «Qui paie commande?», «100 000 étu­

diants? Pourquoi pas 200'000?», «A quoi sert un diplômé universitaire? »,

«L'université au service de la cité?»

Re'.minéen page 42

IMPRESSUM

Allez savoir!

Magazine de l'Université de Lausanne

№ 11, mai 1998 Tirage 20'000 ex.

Rédaction:

Service de presse de l'UNIL

Axel-A. Broquet resp., Florence Klausfelder BRA, 1015 Lausanne-Dorigny

Tél. 021/692 20 71 Fax 021/692 20 75 Internet: http://www.unil.ch/spul

uniscope@unil.ch

Rédacteur responsable:

Axel-A. Broquet

Conception originale et coordination:

Jocelyn Rochat, journaliste à L'Hebdo Ont collaboré à ce numéro:

Michel Beuret, Jean-Bernard Desfayes, Thierry Mertenat, Jacques-Olivier Pidoux, Alexandra Rihs

Photographe: Nicole Chuard Correcteur: Albert Grun

Concept graphique: Richard Salvi, Chessel

http://www.swisscraft.ch/salvi/

Imprimerie et publicité:

Presses Centrales Lausanne SA Rue de Genève 7, 1003 Lausanne Tél. 021/317 51 51

Photos de couverture:

(Photomontage Richard Salvi) Mars: NASA

Evêques: JR

ommaire

Edito page 2

i m m m ^ s c i e n c e s ^mmat^

Les canaux de Mars

n'étalent qu'un formidable bateau page 3

Les indices de la vie page 4 Aller sur Mars? C'est possible en dix ans page 10

iisToim

L'âge moyen où Lausanne

voyait ses évêques tuer et être tuée page 11

Tout commence à Avenches page 12 Un Antéchrist lausannois à Canossa page 15 L'évêché de Lausanne en bref page 19

L'attrait Irrésistible des plantes médicinales page 20

Allemands et Français gros consommateurs page 22 Bientôt sur France 2 page 23 L'if et la pervenche de Madagascar page 27

Giovanni Busino : «Et si le jargon scientifique servait parfois à dissimuler le vide des idées?» page 28

«Impostures intellectuelles» page 31

• • • • • • • l o c i ÉTÉ WÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊËM

Jack Kerouac, l'écriture aux trousses page 34

Portraits de l'artiste en allumé page 37 Beat, beato, béatitude page 39 Kerouac à lafac page 40 Bernard Comment, lecteur de Kerouac page 41

L'université en questions page 42

Les chiffres du débat page 44

«L'université a besoin de davantage de cadres» page 51

• • • • E QU'ILS EN P E N S E A l S H I

La Suisse et le génie génétique: Les enjeux du 7 juin page 53

Et vous, lectrice, lecteur d'«Allez savoir!», qu'en pensez-vous? page 56

FORMATION CONTINUE

Osez la formation continue...! Programme et guide pratique page 60

Abonnez-vous, c'est gratuit! page 64

(3)

Edito

U N E HISTOIRE EST PASSÉE

Q u ' a i m e z - v o u s lire dans Allez javoirll Cette question, l'ins- titut de s o n d a g e s M . I . S . Trend l'a po- sée récemment à plus

de 300 lecteurs. Et vous avez plébis- cité l'histoire, devant les sciences et la médecine. Logiquement, donc, les ar- ticles consacrés au Titanic et au major Davel ont été les plus lus de notre numéro de janvier dernier (pour le dé- tail, voir en page 5 7 ) . Un résultat ras- surant, sachant que, depuis ses débuts en juin 1994, Allez javoirl a choisi de réserver une place de choix aux sujets historiques et médicaux.

Comment expliquer cette passion pour l'histoire? La période indécise que nous traversons actuellement justifie en grande partie ce besoin de repères, cette envie de comprendre d'où nous venons à défaut de savoir où nous allons. L a n 2000 qui approche accen- tue certainement cette nécessité de faire le point, de mieux cerner ce millénaire avant de le quitter.

S i g n e tangible de ce phénomène: la réécriture du passé est désormais éle- vée au rang de mode. On relit Vichy à la lumière du procès Papon, on rééva- lue l'attitude de la Suisse durant la Deuxième Guerre mondiale, on réha- bilite à tour de bras (Davel, Griinin- ger) et on ouvre de nouveaux procès

(l'homo sapiens a-t-il provoqué le géno- cide de son cousin Neandertal?)... Bref, l'histoire fait des histoires...

E t cela ne s'arrête pas là, puisque nous vous en offrons volontiers une nouvelle tranche haute en couleur. Après vous avoir raconté comment les envahis- seurs Burgondes se sont installés en terres vaudoises, au moment où l'empire romain déclinait, Allez savoir\l

se penche cette fois-ci sur le Moyen- Age lausannois.

Un univers palpi- tant que nous décou- vrons grâce aux recherches patientes du médiéviste J e a n - D a n i e l Morerod.

D a n s le cadre d'une thèse monumen- tale qui sera publiée prochainement dans la Bibliothèque historique vau- doise, ce dernier a interrogé les pierres de la Cité. Il a fait parler ces statues muettes que nous questionnons en vain du regard, lorsque nous nous prome- nons autour de la cathédrale de Lau- sanne. Il nous raconte les bruits d'ar- mures, le départ des croisés, le grand incendie et les épidémies, mais encore le triste sort de l'évêque tueur et la fin paisible des gisants qu'on installe pour l'éternité dans un coin de la cathédrale.

S'il réveille de vieilles rivalités locales avec les comtes de Genève, les Savo- y a r d s ou les Zaehringen de Fribourg, J e a n - D a n i e l Morerod nous révèle aussi une Cité en contact avec le reste de l'Europe. Un lieu de passage où s'arrêtent des pèlerins qui font le che- min de Rome. Un territoire que rois, comtes et empereurs se sont disputés.

Il nous montre enfin que Lausanne n'était pas coupée du monde. Que les évêques qui y étaient nommés ou élus conseillaient les papes, les rois ou les empereurs, qu'ils obéissaient à leurs ordres et qu'ils en mouraient parfois.

U n passé en forme de polar que nous vous invitons à découvrir (en page 11), non pas parce qu'il ouvre une nouvelle polémique, mais tout simplement parce qu'il est aussi passionnant que méconnu.

Jocelyn Rachat

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 1 M A I 9 8

S C I E N C E S

Les l i n a

Mais de

qu'un formidable bateau

A u mou dejuillet de l'année passée, Pathfinder et Sojourner, la donde américaine et don petit robot mécan'ué à 6 roued, fascinaient toud led

Terriend en envoyant ded imaged de la planète Mard. En un deuljour, led différentd dited Inter-

net propodant ced photod ont été contacted...

50 milliond de foid et dix foid plud pour l'end emb le du mou

de juillet! On y découvrait N&w d'immended étendued

ocred et dédertiqued, maid pad de ca- naux en vue...

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 1 M A I 9 8

(4)

SCIENCES : Les canaux de aient qu'un formidable bateau

M

ars est une planète à part dans l'imaginaire des hommes. C'est la cousine germaine de la Terre, la seule du système solaire à «bénéficier» de conditions de survie pas tout à fait inhumaines (avec toutefois des tempé- ratures très largement inférieures à zéro degré, des vents parfois très vio- lents et une atmosphère composée de gaz carbonique).

Les indices de la vie sur la Planète rouge

Le phénomène des «petits hommes verts» n'est dans le fond que l'extra- polation excessive de tout un faisceau d'indices qui prêchaient, apparem- ment, en faveur de l'existence d'une forme de vie sur la Planète rouge.

Dans cette perspective, l'affaire des

«canaux» de M a r s , qui passionna le public dès la fin du siècle dernier, est un épisode révélateur de ce que même une partie de la communauté scienti- fique astronomique était prête à croire - pour ne pas dire à gober. A un siècle de distance, Pierre North, astronome à l'Institut d'astronomie de l'Univer- sité de Lausanne, a tenté de com- prendre le mythe, sa naissance, son exploitation, sa fin et les conséquences qu'on peut en tirer pour la recherche, pas toujours aussi rigoureuse qu'on pourrait le souhaiter.

Les canaux de Mars :

une invention du XIX

e

siècle

Le terme «canal» à propos de M a r s apparaît vers le milieu du X I Xe siècle, en Italie, mais il désigne alors tout aussi bien des zones caractéristiques et dis- tinctes, comme Syrtis Major, que des lignes plus fines traversant la géogra- phie martienne. Le premier à y voir

«des lignes régulières et rectilignes semblant suivre de grands cercles du globe martien» est Giovanni Schiapa- relli, en 1877. L «inventeur» des

«canali» n'est pas n'importe q u i : il dirige l'observatoire de Milan et ses tra- v a u x sur les comètes font autorité à l'époque. «Schiaparelli, explique Pierre North, pensait au départ qu'il s'agis- sait de formations géologiques; c'est seulement une vingtaine d'années plus tard qu'il envisagea l'hypothèse de véri- tables canaux d'origine artificielle.»

Il ne faut pas trop sourire d'un tel délire, du haut des connaissances prou- vées de cette fin du X Xe siècle et éclai- rées par les multiples gros plans pho- t o g r a p h i q u e s des sondes et des satellites artificiels qui ont touché ou frôlé la Planète rouge. Au milieu du

siècle passé, l'observation des planètes se faisait surtout à l'aide de lunettes de 20 à 40 cm d'ouverture; elles étaient préférées aux télescopes dont les miroirs métalliques se déformaient avec les variations de température.

L'époque où l'œil voyait mieux que les machines

La photographie n'était pas encore répandue et, de toute manière, les emul- sions lentes des plaques sensibles n'étaient pas idéales

pour ce genre de tra- vail; l'observation visuelle se prêtait mieux aux appari- tions fugitives des dé- tails des planètes, en raison de la turbu- lence atmosphérique.

Aujourd'hui, les c a m é r a s C C D , a c c e s s i b l e s même aux amateurs, per- mettent de figer la turbulence grâce à des temps de pose réduits, typiquement

4 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 1 M A I 9 8

Schiaparelli,

/'«inventeur» des canaux de Mars, a fait ce dessin de la planète en mai-juin 1888

1/100e de seconde. I l y a 100 ans, c'était l'œil de l'astronome qui devait sur- veiller l'instant fugace d'une accalmie et guetter le détail «vrai» au milieu d'un flou artistique et tremblotant. L'attente et l'imagination facilitaient bien des interprétations, suscitaient même des visions comme on le verra plus loin.

On ne s'étonnera donc pas trop de voir un homme aussi illustre que Camille Flammarion, fondateur de la Société astronomique de France et

auteur de « L a plu- ralité des mondes habités», emboîter le pas de son confrère italien Schiaparelli. L'idée de trouver si près de nous une planète où la vie, sous une forme quelconque mais certaine, avait reçu la caution de deux savants, avait tout pour séduire de moins avertis et de plus imaginatifs encore, à commen-

Pierre North,

astronome à Vliutitut d'astronomie de l'Université de Lausanne

cer par un astronome amateur fortuné, l'homme d'affaires américain Percival Lowell. Il s'emparera de l'idée en 1894, la fera sienne jusqu'à la caricature et mourra 22 ans plus tard en croyant mordicus au mythe qu'il avait contri- bué à créer et qui, pourtant, partait déjà en quenouille.

Un observatoire

à 2000 mètres d'altitude

Prisonnier de l'obsession de prouver ses hypothèses, Lowell eut toutefois quelques bonnes idées, notamment en établissant son observatoire à 2000 m

d'altitude, sous le ciel pur de Flagstaff, en Arizona, et en faisant photographier la planète par son assistant, C. Lam- pland, un artiste de la photographie astronomique pour l'époque. Mais les clichés, superbes, laissaient place à toutes les interprétations. M a l g r é les efforts déployés par les partisans des canaux, le scepticisme restait de mise dans la communauté scientifique, sur- tout de la part de vrais pros de l'astro- nomie qui, comme Barnard, disposaient des lunettes les plus puissantes de leur temps, par exemple celle de 1 m d'ou- verture de l'observatoire de Yerkes.

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 1 M A I 9 8 5

(5)

S C I E N C E S : L e s c a n a u x d e M a r s n ' é t a i e n t q u ' u n f o r m i d a b l e b a t e a u

Vue de Mars

«Aux objections des contestataires, Lowell faisait une réponse imparable, explique Pierre North : tout le monde, disait-il, n'a pas l'acuité visuelle néces- saire pour discerner de fins détails pla- nétaires. Les tisserands du conte d'Andersen, eux aussi, ne voyaient pas

«les habits neufs de l'Empereur», et pour cause puisque le souverain était nu; mais ils se taisaient pour ne pas pas- ser pour des rustres...»

Comment se compliquer la vie

Autre argument de Lowell: l'agita- tion atmosphérique - qui se manifeste aussi bien à Flagstaff que dans d'autres lieux de moindre qualité pour l'obser- vation - affecte moins les petites lunettes que les grands instruments qui ne livrent pas tous les détails dont ils sont capables si ce n'est très fugitive- ment. Cela conduisait l'Américain à diaphragmer son instrument de 61 cm jusqu'à 46 et même 30 cm. «Ce faisant, explique l'astronome vaudois, il res-

sentait moins les effets des turbulences et améliorait peut-être la qualité optique (il se peut que la qualité de son objectif ait été moins bonne en péri- phérie); mais il diminuait la résolution angulaire, donc la capacité à distinguer de petits objets aux instants, certes rares, de faible turbulence...» En d'autres termes, il se compliquait la vie.

L'explication psychologique

Un psychologue de la perception, W.

Shehan, a étudié, il y a une dizaine d'années, la façon dont le phénomène des canaux a pu se développer dans l'esprit de ses inventeurs. Sans entrer dans le détail de cette investigation, on peut la résumer sommairement de la manière suivante : l'observateur, avant de finaliser son observation, se fait une

image personnelle, plus simple et plus régulière, de ce qu'il est en train de per- cevoir. Les canaux ne sont pas seule- ment la somme et l'interpolation de détails trop petits pour être visibles individuellement mais ils résultent sur- tout de l'élaboration provisoire et inconsciente d'une perception visuelle.

«Les canaux de M a r s sont bel et bien artificiels. M a i s ils n'ont pas été construits par des Martiens. Ils sont le fruit d'un artifice de notre perception.»

Rien d'autre que du vent, donc - et Dieu sait s'il y en a à la surface de la petite sœur de la Terre...

L'effroi devant «le silence éternel des espaces infinis»

Cette obstination chez Lowell et les adeptes de sa chapelle ne s'explique

6 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 1 M A I 9 8

Led Martiens vus par Tim Burton («Mars Attacks! »)

que par la volonté de démontrer l'exis- tence de la vie extraterrestre et pro- bablement d'apaiser ainsi l'effroi pas- calien devant «le silence éternel de ces espaces infinis». Sa théorie, dévelop- pée pour l'essentiel en 1894, soit après deux mois seulement d'observation, repose sur une prémisse juste, à savoir que M a r s est très pauvre en eau, et sur deux déductions fausses: selon la pre- mière, les conditions physiques à la sur- face de M a r s sont compatibles avec la présence de la vie telle que nous la connaissons; selon la seconde, i l y a des preuves de l'existence actuelle d'une forme de vie sur la planète. Voyons cela d'un peu plus près, toujours en com- pagnie de Pierre North.

Hypothèses au sujet de l'eau martienne

Lowell prétendait que toute l'eau martienne se concentrait aux pôles sous forme de glace (il s'agit surtout, en fait, de neige carbonique). L'observation montre que les calottes polaires fondent à la bonne saison et croissent à la mau- vaise, ce qui implique déjà l'existence d'une atmosphère. M a i s croire qu'il s'agit d'eau gelée (et non de neige car- bonique) implique alors une tempéra- ture moyenne beaucoup plus élevée que ce n'est le cas en réalité (+ 9° C au lieu de températures extrêmes, de - 140° à 0°). A la fonte de la glace, tou- jours selon Lowell, l'eau irrigue les déserts, via un réseau de canaux arti- ficiels. Les canaux, eux-mêmes sont invisibles; ce que l'on voit de la Terre,

On a aussi imaginé des Martiens robots

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 1 M A I 9 8 7

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S C I E N C E S : L e s c a n a u x d e M a r s n ' é t a i e n t q u ' u n f o r m i d a b l e b a t e a u

c'est la bande de terrain que ces canaux irriguent, à l'image de la vallée fertile du Nil égyptien.

Et si Mars était plus évoluée que la Terre

«Une fois acceptée l'idée que les conditions physiques régnant sur M a r s étaient favorables à la vie, l'optique darwinienne de Lowell, ou du moins sa perspective évolutionniste au sens populaire, lui fit admettre que, dès lors, la vie avait dû y apparaître spon- tanément. Les canaux devaient être considérés comme preuve d'une vie évoluée et intelligente. De plus, comme Lowell considérait M a r s comme «vieille» et donc plus évoluée que la Terre, il s'ensuit que les M a r - tiens doivent être supérieurs aux Ter- riens...»

Mars et Marx, même combat!

Les Martiens, plus avancés, donc très intelligents et pacifiques, d'après la théorie, devaient forcément avoir une organisation planétaire dirigée par une élite. Lowell précisait encore que, dans l'économie mondiale martienne, seuls les plus aptes ont survécu. Parmi les adeptes de ces théories, certains n'oubliaient pas leur engagement poli- tique bien terrestre. Ainsi ce journa- liste de Boston, plein d'un enthou- siasme révolutionnaire, qui écrivit en

1907 un poème intitulé «L'Évangile de M a r s » dans lequel il exposait les consé-

Relief martien photographié par Mariner et baptué Inca City

8 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 1 M A I 9 8

quences des théories de Lowell, en l'occurrence l'abolition des frontières et des classes sociales. « J e vais mon- trer, écrivait-il, pourquoi M a r s porte, à travers les cieux, le drapeau rouge- cœur du socialisme.» M a r s et M a r x , même combat...

En 1916, l'année même de sa mort, Lowell é c r i r a : «Depuis que la théorie de la vie intelligente sur la planète a été énoncée pour la première fois il y a 21 ans, chaque nouveau fait décou- vert a été trouvé en accord avec elle.

Pas une seule chose n'a été détectée qu'elle n'explique point. C'est un résul-

tat remarquable pour une théorie. Elle a, bien sûr, subi le sort de toute nou- velle idée, qui a simultanément la chance et la malchance d'être en avance sur son temps...» Les grands télescopes modernes d'abord, les sondes spatiales ensuite ont fait un sort à cette théorie;

mais l'idée qu'il p û t y avoir de la végé- tation sur M a r s , idée étayée par les changements de coloration saisonniers de grandes surfaces de la planète, s'est maintenue jusque dans les années 1960.

La méthode scientifique a changé

Est-ce qu'une nouvelle affaire sem- blable à celle des «canaux de M a r s » serait encore possible aujourd'hui?

«Difficile à dire, hésite Pierre North.

Autrefois, l'astronome observait et interprétait immédiatement l'image qu'il avait sous les y e u x . En astrophy- s i q u e m o d e r n e , p l u s p e r s o n n e n'observe directement à l'oculaire; et l'interprétation des données amassées par les instruments se fait après coup, ce qui laisse du temps pour prendre du recul. Toutefois, les présupposés de l'astrophysicien conservent une grande importance, c a r d e s faits d'observation tout à fait objectifs peuvent être inter- prétés de différentes manières.»

A cet égard, les domaines sensibles sont ceux qui côtoient le plus la méta- physique, à savoir la cosmologie et la vie dans l'univers: il n'est pas exclu qu'un jour, la recherche de signaux radio provenant d'une hypothétique civilisation extraterrestre engendre une affaire aussi grandiose que celle des

«canaux de M a r s » . En attendant, le chercheur de l'Université de Lausanne cite deux exemples actuels : l'interpré- tation du décalage vers le rouge des quasars, qui, selon certaines opinions à vrai dire peu crédibles, ne serait pas forcément lié à leur distance, ou encore les fameuses «bactéries» interstellaires, théorie peu probable mais impossible à réfuter. Ce qui permet à l'auteur de rappeler quelques principes utiles de la méthode scientifique, par exemple la vérification par autrui des travaux novateurs, la cohérence externe de la théorie avec toutes les lois qui lui sont pertinentes ou encore le souvenir des échecs antérieurs qui évite de répéter des erreurs.

Jeaii-Bernarà Dejfayej

4

Les soucoupes martiennes de Tim Burton dans «Mars Attacks!»

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 1 M A I 9 8 9

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S C I E N C E S : L e s c a n a u x d e M a r s n ' é t a i e n t q u ' u n f o r m i d a b l e b a t e a u

A LLER SUR M A R S ? C ' E S T POSSIBLE EN DIX A N S

L

a meilleure manière de savoir s'il y a de la vie sur Mars est d'aller y voir. Le 20 juillet 1989, le président George Bush avait prêché en faveur d'un débarquement sur Mars dans le premier quart du XXIe siècle. Trois mois plus tard, la NASA lui présentait son projet mar- tien, un programme colossal assorti de vaisseaux spatiaux de 1000 ton- nes, assemblés et lancés en orbite terrestre pour un périple d'une année et demie, dont un mois sur la Planète rouge. L'agence spatiale lui avait aussi présenté l'addition : 450 mil- liards de dollars... On n'en a plus reparlé pendant une demi-douzaine d'années.

On croit alors que l'Opération Mars est définitivement passée aux oubliet- tes. C'est compter sans l'opiniâtreté d'un groupe d'une douzaine d'ingé- nieurs de la société Martin Marietta, qui fabrique notamment les lanceurs Titan. Robert Zubrin en est la tête pensante et Ben Clark la conscience.

Pour eux, la clé de l'opération, ce n 'est pas un déluge de dollars ni le recours à des techniques gigan- tesques et futuristes. Tout ce qui est matériellement nécessaire à la réus- site existe déjà ou est bien connu et maîtrisé. En l'espace de dix ans, on peut mener le projet à terme si on le veut; c'est une durée maîtrisable hu- mainement, financièrement et politiquement.

La clé de voûte du projet de Zubrin et de ses collègues, c'est de partir «lé- ger» et de se «ravitailler» sur place, comme l'ont fait tous les grands explorateurs de la Terre. Il suffit de fabriquer le carburant sur Mars, selon

une méthode éprouvée depuis un siècle sur Terre. En gros, le scénario serait le suivant.

Le matériel

Pour le lanceur, il suffit de reprendre quatre moteurs et deux accélérateurs à poudre de navette spatiale, de les monter sur un réservoir principal un peu renforcé et d'équiper le tout d'un étage orbital.

Un ensemble baptisé Ares.

Première étape

Un premier lancement non habité envoie sur Mars le véhicule (Earth Return Vehicle ou ERV) qui servira plus tard aux astronautes à regagner la terre. La charge utile se compose notamment d'un petit réacteur nucléaire de 100 kilowatts qui fournit l'énergie nécessaire à la fabrication du carburant pour le vol retour.

Deuxième étape

Ares 2, toujours sans astronaute à bord, s'envole vers Mars avec un deu- xième ERV. Quinze jours plus tard, Ares 3 prend à son tour le chemin de la Planète rouge, emportant la pre- mière habitation martienne, un cylindre de 8m de diamètre et 5 m de hauteur, 100 m2 de surface habitable pour les premiers explorateurs de la Planète rouge. Mais cette fois, il y a

aussi quatre personnes à bord. Ils quittent la Terre pour une expédition qui va durer deux ans et demi.

Troisième étape

Après 6 mois de vol, l'équipage se pose sur Mars pour 500 jours qui ne seront pas de trop pour trouver des preuves évidentes d'une forme de vie martienne... ou de quoi infirmer cette hypothèse.

Quatrième étape, etc..

Les quatre néo-Martiens embarquent dans le premier ERV tandis qu'un nouvel équipage décolle de la Terre à bord d'Ares 5 et d'une nouvelle habi- tation pour prendre la relève (un au- tre ERV est parti 15 jours plus tôt à bord d'Ares 4, de manière qu'il y ait toujours sur Mars deux véhicules pour le retour sur Terre). Et ainsi de suite, avec toujours deux lancements chaque deux ans.

C'est ainsi que, dans l'esprit des au- teurs du projet «Mars Direct», devrait commencer la colonisation de la Planète rouge. Coût de l'opération : 20 milliards de dollars pour développer le matériel et 2 milliards par mission.

On est loin des 450 milliards calculés par la NASA. A la surprise de Zubrin et de ses amis, l'agence américaine est emballée par leur idée qui est re- tenue comme base de travail. Pour améliorer les chances de réussite, l'équipage passe de 4 à 6 hommes et femmes. Il n'y a plus deux lance- ments quasi simultanés chaque deux ans, mais trois. C'est plus cher (55 milliards de dollars) que la formule précédente mais la sécurité y gagne.

C'est beau la science fiction en train de devenir réalité!

j.-B.Ds.

1 0 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 1 M A I 9 8

H I S T O I R E

L'âge moyen

où Lausanne voyai ses évêques

Tombeau d'un évêque à la cathédrale de Lausanne

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 1 M A I 9 8

(8)

H I S T O I R E : L ' â g e m o y e n o ù L a u s a n n e v o y a i t s e s é v ê q u e s t u e r e t ê t r e t u é s

o

ue s est-il p a s s é sur les territoires de l'actuel canton de Vaud entre l'ins- tallation des Bur- gondes vers 443

(voir Allez savoir! n° 6, d'octobre 1996) et l'arrivée des Bernois en 1536?

J u s q u ' a u dépôt de la thèse monumen- tale du médiéviste J e a n - D a n i e l M o r e - rod, docteur ès Lettres de l'Université de Lausanne, on en était réduit à tour- ner autour de la cathédrale, à écouter les cloches et les orgues en imaginant des chanoines gisant, des bruits d'armures et des clameurs populaires.

La lecture des 716 pages de «Sous le regard de la Vierge Marie, la for- mation du pouvoir des évêques de Lau- sanne ( I Xe- X I Ve siècles)», thèse qui doit être publiée prochainement dans la Bibliothèque historique vaudoise, permet de passer de l'imaginaire à l'his- toire, sans qu'on regrette la transition.

Le Moyen-Age lausannois, tel que le raconte J e a n - D a n i e l Morerod, est un monde où se mêlent la violence et la foi, les croisades, la peste, des révoltes bourgeoises, des excommunications et même un grand incendie. Sans parler des évêques qui ont une fâcheuse ten- dance à connaître des fins sanglantes.

Plongée dans un monde jusqu'alors recouvert de tonnes de poussière.

*ed onze prelato qui de dont duccédé à Laudatine du milieu du XI

e

diècle au milieu du XIII

e

diècle, cinq ont du abandonner leur diège et un a péri au combat en Saxe. Plongée dand l'une ded périoded led moind connued de l'Hidtoire vaudouie.

Tout commence à Avenches

L'histoire de l'évêché ne commence effectivement qu'au V Ie siècle, vers 517. C'est à ce moment qu'apparaissent trois personnages portant le titre d'évêques de Windish ou évêques d'Avenches. Pour J e a n - D a n i e l More- rod, cela ne fait aucun doute : ces pré- lats sont les prédécesseurs des évêques de Lausanne, qui ne porteront formel- lement ce titre qu'un siècle plus tard (Avenches ayant alors cédé son rôle de ville épiscopale à L a u s a n n e ) .

Comment s'est effectué le transfert?

Impossible de répondre. On sait que vers 400, l'ancienne Lousonna romaine

(au bord du lac) est désertée, et que les hauteurs de la Cité ne sont alors que très faiblement habitées, leur développe- ment semblant démarrer au V Ie siècle.

L'archéologie ne nous dit pres- que rien de la Cité au moment où le premier évêque s'y ins- talle. Ce qui est sûr, c'est que «trois édifices naquirent de l'organisation de Lausanne en ville épiscopale : la cathédrale Notre-Dame, l'abbaye St-Thyrse et l'Eglise St- Etienne. S'y ajoutait certainement la résidence de 1 évêque et de son clergé», estime J e a n - D a n i e l Morerod.

Le Grand St-Bernard :

une bénédiction

Dès 670, les allusions aux évêques de Lausanne s'estompent. « Le diocèse res- ta, semble-t-il, longtemps sans prélat, administré par des officiers laïcs», écrit Jean-Daniel Morerod dans sa thèse.

Dès le I Xe siècle, l'information se fait à nouveau plus abondante: l'exis- tence d'un certain Fredarius, évêque de Lausanne, est attestée sous le règne de Louis le Pieux (entre 814 et 8 2 7 ) . Son successeur, David, est probablement

7a'ft fit ~ft l ì

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issu de la cour carolingienne.

La ville gagne en i m p o r t a n c e grâce à une mo- d i f i c a t i o n d e s habitudes de voy- age des succes- seurs de Charle- m a g n e . S i l e s premiers rois ca- rolingiens préfé- raient se rendre en Italie par le Mont-Cenis, le Grand S t - B e r - n a r d v o i t s o n

importance augmenter dès le règne de Louis le Pieux. D'où un développement de villes comme Orbe, Lausanne, Vevey et Avenches (où passe la voie du N o r d ) .

«Les princes carolingiens ont sans doute attendu des évêques (réd.: de Lausanne comme de Sion et S t - M a u - rice d'Agaune) qu'ils contribuent à assurer le contrôle des accès au col.

D'où une importance politique nou- velle accordée à la région. Orbe, ancien palais mérovingien, connaît alors une recrudescence des visites royales (Charles le Chauve en 877, Charles le Gros en 8 7 9 ) , et devient un lieu de ren- contre privilégié entre carolingiens d'Allemagne et de France.»

Jean-Daniel Morerod, docteur ès Lettres de l'Université de Lausanne

L'évêque David,

mort en tuant son prochain

Le rôle de l'évêque ne se limite pas à des apparitions dans sa cathédrale:

«Il est aussi un administrateur, lié au souverain, un organisateur de troupes et d'approvisionnement, voire un guerrier», relève J e a n - D a n i e l More- rod. Ces tâches belliqueuses coûtèrent d'ailleurs la vie à plusieurs évêques, dont David. Après avoir participé (peut-être à la tête de troupes lausan- noises) aux efforts de Lothaire pour fortifier Rome, suite à l'attaque de la ville par les Sarrasins en août 846, David fait encore partie des évêques de Bourgogne convoqués par l'empe- reur lorsque ce dernier s'attaque à Bénévent en 848. Une campagne qui précède de peu sa mort violente.

Comme le dit son épitaphe: «Ce tombeau recou- vre David, na- guère évêque de Lausanne, frappé d'une mort san- glante. Alors qu'il tuait son vassal, il fut lui-même é- gorgé. Ni l'un ni l'autre ne se sou- ciaient de paix; ils ne respectaient pas leurs engage- ments mutuels.

Regroupant leurs troupes, ils s'avancent l'un contre l'autre; leur mouvement est rapide, la mêlée impétueuse, ils s'attaquent à l'épée et roulent tous deux dans la mort».

Pour J e a n - D a n i e l Morerod, cer- taines des tâches prescrites par l'empe- reur étaient à même de dresser l'évêque contre un de ses vassaux : reconstituer le patrimoine de l'église ne pouvait se faire qu'au détriment de quelqu'un d'autre; par ailleurs, tout effort mili- taire imposait des pertes financières à qui devait s'en acquitter. «Ainsi la mort de David paraît emblématique d'un évêque carolingien et de ses activités.»

Le martyr de l'évêque Henri

En 888, Rodolphe devient roi d'un royaume que l'on appellera la Bour- gogne lorsqu'il sera stabilisé et qui inclut le diocèse de Lausanne. En 1018, c'est le propre fils du roi Rodolphe III, Hugues, qui devient évêque de Lau- sanne suite à la mort violente de l'évêque Henri, survenue le 21 août.

A L L E Z S A V O I R ! / № 1 1 M A I 9 8 1 3

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H I S T O I R E : L ' â g e m o y e n o ù L a u s a n n e v o y a i t s e s é v ê q u e s t u e r e t ê t r e t u é s

La cathédrale de Lausanne:

tombeau de plusieurs évêques, mais encore du roi de Bourgogne Rodolphe III, mort en 1032

Les circonstances de ce drame res- tent peu claires. Selon une épitaphe, placée au palais episcopal, «les méchants... l'accusent (réd.: Henri) d'un crime méritant la mort. En foule confuse, ils le cherchent, forçant les murs de la ville, s'emparant de lui, le traînent et le mettent à mal.»

Pour J e a n - D a n i e l Morerod, «il y a eu accusation, siège de la ville et mise à mort de l'évêque. Un fait rare et grave que l'Eglise assimilera au martyre.» Le responsable? Probablement un proche du roi Rodolphe III. «Il s'agit d'une période trouble où l'empereur Henri II cherche à s'assurer le contrôle de la Bourgogne. Il a mené campagne de Bâle au Rhône.» Selon un scénario ima- giné par le médiéviste, l'évêque serait passé dans le camp de l'empereur et aurait provoqué la colère du roi de

Bourgogne. Scénario logique, puisque ce dernier place son fils Hugues sur le siège encore chaud de Henri, histoire de s'assurer la fidélité de l'église de Lausanne.

Le cadeau royal de 1011

C'est que Rodolphe III (993-1032), dernier souverain de la dynastie, a comblé l'église lausannoise. Il a adopté la cathédrale comme sanctuaire royal e t - g e s t e capital pour la suite de l'his- toire - a donné à l'évêque le titre de comte de Vaud. Cela faisait de lui l'égal, si ce n'est le supérieur, des autres nobles de la région. Un titre qui deviendra très utile lors des confron- tations à venir avec les comtes ou ducs de Zaehringen, de Savoie ou de Genève.

«Rodolphe III ne cherchait pas ainsi à se débarrasser de familles comtales présentes mais à substituer l'église locale à des officiers mineurs. Il ne cède cependant que ses droits fiscaux, le pa- trimoine restant aux mains du roi. Il s'appuie sur des Eglises fortes et fidèles et a s s u r e ainsi le contrôle des communications», explique J e a n - Daniel Morerod.

L'initiateur de la Trêve de Dieu

Intronisé dans la violence, H u g u e s lègue pourtant à l'histoire l'image d'un pacificateur. N'est-ce pas lui qui «fut le premier à établir la sainte Trêve de Dieu» (réd.: s'il n'est pas forcément le premier dans l'absolu, il est assuré- ment l'un des p r é c u r s e u r s ) ? « U n e ini- tiative qu'il faut sans doute replacer dans le contexte de la guerre de suc- cession intervenue à la chute du royaume rodolphien», estime le médié- viste. Rodolphe III meurt en effet en

1032 (il est enterré à la cathédrale de L a u s a n n e ) .

Fils de roi, à la tête d'un épiscopat alors que le royaume a disparu, Hugues a dû composer avec les puissants du moment, et les a amenés à faire la paix.

Dès lors, Lausanne et son diocèse sont intégrés dans le Saint-Empire romain germanique, et ce jusqu'en 1536 (date de la conquête bernoise). Au début, des prélats alémaniques viennent diriger le diocèse, et, du X Ie au X I Ve siècle, les empereurs vont se montrer plus inter- ventionnistes dans la région.

Une faveur exorbitante

«Grâce à son prestige ecclésiastique et aux pouvoirs qu'il détient, l'évêque doit regrouper autour de lui des sei-

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La crosse d'Amédée, le seul évêque exemplaire de Lausanne

gneurs locaux. Promulgateur de la Trêve de Dieu et détenteur des droits comtaux, il avait à trancher les litiges civils de la région. Il prescrivait amendes et redevances, contrôlait le droit, et avait des soldats, dont il ne faut pourtant pas exagérer l'importance», explique J e a n - D a n i e l Morerod.

Sur le plan religieux, l'évêque de Lausanne porte le pallium, «faveur exorbitante pour une église qui n'est pas métropolitaine». Cette écharpe liturgique est habituellement conférée par le Pape aux archevêques et à de rares évêques, en signe d'une faveur toute particulière. Elle le mettait un rang au-dessus des autres.

Bouchard, un Antéchrist lausannois à Canossa

«Aucun évêque de Lausanne n'a autant accru la puissance temporelle de son église ni joué un rôle aussi consi- dérable en Europe que Bouchard d'Oltigen. A sa mort, en 1089, il vient de passer douze années aux côtés de l'empereur Henri IV et il a été impli- qué dans l'affrontement avec le pape Grégoire VII, célèbre par l'épisode de Canossa (réd.: où l'empereur a finalement dû s'humilier devant le pape)», ana- lyse J e a n - D a n i e l Morerod.

Bouchard est issu d'une grande famille seigneuriale de langue alle- mande, les comtes d'Oltigen, qui ont des terres près d'Aarberg. A son entrée en charge, il a déjà une femme légitime! ! ! «Pour les parti- sans du pape, Bouchard est un objet d'horreur. Le chroniqueur Bernold de Constance l'appelle même l'Antéchrist de Lausanne,

une image de damné que Bouchard doit autant à sa vie qu'à l'importance de son rôle politique», souligne le médiéviste.

Mort les armes à la main, la nuit de Noël

Bouchard est présent à Canossa lorsque son empereur Henri IV se sou- met. Puis il quitte l'empereur durant deux ans pour lutter contre Rodolphe de Rheinfelden, élu roi de Germanie en mars 1077 par des barons allemands opposés à Henri IV.

Accompagné des évêques de Bâle et de Strasbourg, Bouchard semble avoir

Une pièce «valaisanne»

montrant Saint-Maurice équipé comme un chevalier des années 1150

pris la tête de la lutte contre Rodolphe, assiégeant notamment Zurich, l'une des places fortes de l'anti-roi. S'il sort vivant de cette guerre, Bouchard ne survit pas à la suivante. « Il trouve une mort emblé- matique, le 24 décembre 1089, durant la débâcle de Gleichen, près d'Erfuhrt, devant les troupes d'Ecbert, le maître de «la marche de l'Est». Attaquée à l'improviste durant la nuit de Noël, l'armée impériale prit la fuite, et Bou- chard qui résistait se fit tuer.»

Si cette mort violente laisse répro- bateurs les chroniqueurs du X I I Ie siècle, notamment Conon qui parle d'un homme «sanguinaire et belliqueux», Jean-Daniel Morerod voit avant tout en Bouchard un évêque qui ajoué son rôle de proche de son souverain. Et d'ajou- ter que l'on trouve d'innombrables cas semblables parmi les évêques de l'empire et du royaume de France.

Amédée, le saint homme

«Amédée (réd.: consacré en jan- vier 1145) est le seul grand évêque

de Lausanne si l'on entend par là à la fois une vie et une doctrine e x e m p l a i r e s , ainsi qu'une action poli- tique et pastorale hors du commun, apprécie J e a n - Daniel Morerod. Ce cister- cien semble avoir favorisé le développement du culte de Marie, Notre-Dame de Lau- sanne. Théologien encore lu de nos jours, saint au culte reconnu, q u o i q u e peu

répandu, il a aussi réformé son Eglise.»

Il a enfin dû défendre son diocèse dès son arri-

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L'évêque romain Roger de Vico Pisano avait le don d'agacer son clergé.

N'a-t-il pas fait sonner les cloches de l'Eglise St-Paul (qui dépendait de lui) à contretemps, histoire de narguer tes servants de la cathédrale (photo ci-dessous) où il ne mettait pas les pieds,

refusant de prendre part à la liturgie?

Y

vée à Lausanne contre les ambitions du comte de Genève qui cherchait à construire une place forte sur la Cité.

Sous la menace des gens de Moudon qui voulaient le malmener, Amédée dut même s'exiler pour protester, avant de parvenir à régler le conflit.

Roger, un Romain à Lausanne

Imposé en 1178 par un pape qui vou- lait ramener Lausanne dans l'obédience romaine, l'évêque Roger de Vico Pisano va passer trente-trois années à la tête du diocèse. Un épiscopat placé sous le signe de la guerre et de la dis- corde: Roger s'est tour à tour opposé au duc Berthold de Zaehringen, et aux comtes de Genève et de Savoie, et même à son propre clergé.

L'évêque, qui se plaignait de n'avoir trouvé à son arrivée à Lausanne qu'un peu de vin rouge, avait le don d'aga- cer son clergé. N'a-t-il pas fait sonner les cloches de l'Eglise St-Paul (qui dépendait de lui) à contretemps, his- toire de narguer les servants de la cathédrale où il ne mettait pas les pieds, refusant de prendre part à la liturgie?

Au-delà de l'anecdote, Roger a dû défendre le patrimoine de l'Eglise face à la volonté d'expansion des comtes de Savoie, comme face à son chapitre qui cherchait également à augmenter son influence sur la Cité. Et qui supportait mal la dévaluation de la monnaie impo- sée par Roger qui finançait ses cam- pagnes militaires par ce biais.

Mort le jour où il devait partir en croisade

Lorsque Roger se retire, en 1212, le chapitre lausannois obtient le droit de choisir son successeur. Le vote désigne

le trésorier Berthold de Neuchâtel, un 13 janvier de l'an de grâce 1212. «Fort soucieux de l'image de l'église, Ber- thold se fait représenter dans une pos- ture inhabituelle sur son sceau: il appa- raît à genoux devant la Vierge», relève J e a n - D a n i e l Morerod.

Cet évêque, qui rétablit la monnaie affaiblie par Roger, reste dans l'histoire comme l'homme qui mourut le matin du jour où il devait partir en croisade.

«Ce projet marquait l'adhésion de l'Eglise de Lausanne et de son évêque à la politique d'Innocent III, écrit J e a n - Daniel Morerod. Le pape lança une croisade en 1213. Lausanne y participa pleinement, soucieuse sans doute de manifester l'apaisement intérieur et extérieur qu'elle venait de connaître.»

Comment saint Boniface fut battu et chassé

C'est en 1231 que Boniface de Bruxelles est désigné par le pape comme évêque de Lausanne. Il quittera le diocèse en 1238, couvert de dettes, pour se réfugier à la cour pontificale après une agression. Qu'a-t-il bien pu faire pour mériter ce sort?

Evêque connu pour «la violence de son caractère et son manque de compromis», Boniface est chassé par une coalition d'opposants. La ville de Morat d'un côté. Et de l'autre, les Chevaliers teutoniques qui étaient sur le point de mettre la main sur l'Eglise de Kônitz, avec l'accord de l'empereur.

Si Boniface s'est opposé au projet des Chevaliers teuto- niques (il les a même excom- muniés sans l'accord du pape!), il a aussi interdit au

bâtard d'une famille de Morat (connu pour sa paresse et sa mauvaise vie) d'accéder au poste de curé, excommu- niant quelques nobles au passage.

Autant de prises de position qui ont pro- voqué sa chute: «L'agression, par son côté symbolique, s'est voulu dégrada- tion : vêtements déchirés, dépouillé de sa chape, de sa mitre, de son anneau et de son cheval, l'évêque a été symboli- quement dépouillé de sa dignité et de son pouvoir», estime Jean-Daniel Morerod.

L a bonne volonté qu'il mit par ailleurs à limiter les conséquences matérielles et morales du gigantesque incendie qui frappe Lausanne le 18

Vitrail de l'église de St-Saphorin datant de 1530. On y voit la Vierge Marie,

saint Sympborien et (en bas à gauche) l'évêque de Montfaucon

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H I S T O I R E : L ' â g e m o y e n o ù L a u s a n n e v o y a i t s e s é v ê q u e s t u e r e t ê t r e t u é s

A LIRE:

A. Paravicini, J . - D . Morerod et al., «Les pays romands au Moyen-Age», Territoires, Payot, Lausanne, 1998.

J e a n - D a n i e l Morerod, «Sous le regard de la Vierge Marie. La formation du pouvoir temporel des évêques de Lausanne ( I Xe- X T Ve s.)», à paraître prochainement ùaiu la Bibliothèque Historique vauooiàe.

août 1235 ne suffit pas à le sauver.

«C'est un sentiment d'échec moral qui domine, échec dans son projet réfor- mateur, échec aussi d'une Eglise trop corrompue pour être assainie par un homme tel que lui : comparant l'Eglise de Lausanne à Babylone, l'évêque se retire pour «ne plus œuvrer en vain dans cette maison de révoltés que l'on ne peut pacifier» et souhaite un suc- cesseur qui sache «piétiner Satan».»

L'évêque contre le peuple

Les évêques ne se sont pas seule- ment opposés aux seigneurs rivaux. Ils sont encore entrés en conflit avec leurs bourgeois. La lutte de la ville contre le pouvoir episcopal commence en 1283.

Les bourgeois expulsent alors des par- tisans de l'évêque, surtout des nobles, après avoir détruit leurs maisons à la Cité. L'évêque, quant à lui, dut s'exi- ler quelque temps à Lutry. «On peut alors véritablement parler de commune de Lausanne, au sens insurrectionnel du mot», note J e a n - D a n i e l Morerod.

Il fallut l'arrivée de l'empereur Rodolphe de Habsbourg (qui fut par ailleurs consacré à la cathédrale de Lausanne le 20 octobre 1275) pour rétablir l'évêque dans ses fonctions.

Momentanément. Car la mort de l'empereur réveille aussitôt les anta- gonismes traditionnels entre l'évêque et les bourgeois. Oui allèrent jusqu'à imaginer, en été 1291, une occupation surprise de la Cité grâce à l'appui du comte de Savoie (un coup de force qui n'eut finalement pas lieu).

Le partage entre l'Eglise et la Savoie

Malgré cette succession de guerres, ces coalitions d'ennemis et ces nom- breuses morts violentes, les évêques de Lausanne sont toujours parvenus à gar- der leur diocèse sous contrôle. Et si, «en

1250, d'innombrables petites puis- sances, seigneuriales et urbaines, se par- tageaient le diocèse, en 1350, il n'y en avait plus que quelques-unes, et l'évêque en était», observe Jean-Daniel Morerod.

Des comtes et autres dynastes actifs vers 1150, seuls les Savoie, les Neu- châtel et les Gruyère existent encore à la fin du Moyen-Age en tant que pou- voir politique. Les comtes de Bour- gogne ou de Genève, les Grandson et les Zaehringen ont disparu. En revanche, les quatre évêchés de Bâle, Lausanne, Genève et Sion forment tous un petit Etat indépendant.

Pour ce qui est de l'actuel canton de Vaud, le territoire se partage entre deux pôles organisés de manière quasi iden- tique : il y a d'un côté les possessions sa- voyardes, regroupées sous l'autorité d'un bailli établi à Moudon, et de l'autre les terres qui dépendent de l'évêque de Lausanne. Seule l'arrivée des Bernois, en 1536, sera assez puissante pour délo- ger les évêques de Lausanne. Faisant passer la ville d'une dépendance à une autre.

Jocelyn Rachat Reportage photo : Nicole Chuard

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L'évêché de L a u s a n n e en bref

est au V I I I

e

siècle q u ' a p p a r a î t

, nouveau nom de ïgion destiné à rester jusqu'à nos jours.

A part les murailles de la Cité, sont rares dans l'évêché : les bâtiments en pierre - cathédrale, églises, maisons des puissants - en tiennent lieu. Sinon, il faut bâtir des fortins. Le palais épiscopal n'a pas de rôle mili- taire et n'est jamais un objec- tif dans les combats.

A l'origine, toute la ville, ou la plus grande partie d'entre elle, était dans la Cité. Dès le X I I

e

siècle, celle-ci tend à de- venir une citadelle où régnent les officiers et les nobles, puis une ville forte qui doit servir de refuge aux habitants de Lausanne en cas de danger.

L

e s s u j e t s :

L'évêque était le seigneur de quelques milliers de feux, environ 2000 selon les chif- fres de la première moitié du X V

e

siècle. Mais cette esti- mation fait suite à une longue période de déclin marquée par les difficultés clima- tiques en 1310 et les ravages de la peste dès 1348. On peut donc évaluer la population du diocèse à quelque 20'000 personnes vers 1300, et à

ÎO'OOO peu après H 0 0 .

LA MONNAIE :

Battre monnaie était un des pouvoirs exclusifs des évê- ques. Le monnayage anté- rieur à 1375 est d'une extrême fixité. L'essentiel de la pro- duction consiste en deniers

d'argent avec une croix à l'a- vers et un temple au revers.

S'y ajoutent quelques pièces où le temple est remplacé par la figure de Notre-Dame

L

e s m i r a c l e s d e

L

a u s a n n e ;

Ils sont attestés pour la pre- mière fois vers 1180, mais notre source, «Les Miracles de St-Claude», les donnent déjà comme célèbres, La tra- dition veut que la famille de l'évêque Amédée ait enrichi la cathédrale de reliques, notamment un gant qu'elle disait venir de la Vierge Marie.

J . R .

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M É D E C I N E

L'attrait irrésistible des

plantes médicinales

tuent, maid elled guériddent auddi: entre Led planted et Ledpèce humaine, c edt une vieille hidtoire

qui vaut don pedant d'or vert. D'edpoir auddi, car l'univerd végétal n 'a pas encore livré le dixième de ded fabuleuded capacitéd thérapeutiqued. Ded cher-

chent de l'Indtitut de pharmacognodie et de phy- tochimie de Lausanne led traquent d'un bout à l'autre de la planète...

R

emise au goût du jour par la mode nature, l'idée de se soigner par les plantes (la phytothérapie) est sans doute aussi vieille que l'homo sapiens.

Lequel, en ces temps reculés, fut tenté de goûter à tout ce qui lui tombait sous la main, s'exposant ainsi à de cuisantes confrontations aux immenses pouvoirs de créatures végétales apparemment inoffensives. Au fil des siècles, appre- nant à distinguer le comestible du mor- tel, à se servir des substances toxiques aux dépens du gibier et de ses enne- mis, à reconnaître ou sublimer les ver- tus curatives cachées dans les her-

bettes, racines, fleurs et autres écorces —r* P- 22

Le prof. Kurt Hostettmann devant un baobab

Gingko biloba:

la plante médicinale la plus utilisée à l'heure actuelle.

L'extrait de ces feuilles remédie notamment aux troubles circulatoires cérébraux

2 0 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 1 M A I 9 8

A L L E Z S A

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M É D E C I N E : L ' a t t r a i t i r r é s i s t i b l e d e s p l a n t e s m é d i c i n a l e s

Des gentianes à l'étude chez nous pour leurs propriétés antidépressives

de son environnement naturel, notre aïeul a légué à ses descendants une longue chaîne de savoirs traditionnels dont se montre friande la médecine actuelle.

Allemands et Français gros consommateurs

Utilisées par près de 9 0 % des habi- tants de certains pays en voie de déve- loppement pour se soigner, les plantes forment la matière première de 3 5 % des médicaments prescrits aujourd'hui dans les pays industrialisés et d'une bonne moitié des médications en vente libre. En Europe, où l'Allemagne vient en tête des pays consommateurs avec 4 5 % du marché, suivie de la France, la palme de la popularité et du chiffre d'affaires revient sans conteste au gingko biloba, dont l'extrait de feuilles remédie notamment aux troubles cir- culatoires cérébraux.

Arbre originaire de Chine, ce «fos- sile vivant» de 150 millions d'années n'a pas évolué d'une feuille depuis l'époque des dinosaures. Il est aussi le préféré du Professeur Kurt Hostettmann, directeur de l'Institut de pharmaco- gnosie et de phytochimie de l'Univer- sité de Lausanne. Dans un livre acces- sible au grand public : «Tout savoir sur le pouvoir des plantes, sources de médi- caments», paru aux Editions Favre en 1997, ce dernier présente les princi- pales représentantes d'une terra inco- gnita de quelque 500'000 espèces, dont 9 0 % restent à explorer.

Le g i n g k o y côtoie d'autres vedettes connues depuis l'Antiquité, tel le saule, dont Hippocrate ( Ve siècle av. J . - C . ) relevait déjà les propriétés anti-inflam- matoires et analgésiques et qui inspira la découverte de l'aspirine. Ou le taxol, substance active de l'if, conifere duquel Celtes et Romains tiraient un poison pour leurs flèches, qui partage

avec la pervenche de M a d a g a s c a r et quatre autres plantes le privilège de jouer un rôle essentiel dans la chimio- thérapie du cancer.

Les poisons viennent aussi de la nature

De la molécule isolée des graines d'une liane d'Afrique equatoriale pour traiter l'insuffisance cardiaque aiguë aux effets prometteurs des gentianes sur la dépression, sans oublier les recherches intensives en vue de trou- ver la substance qui viendrait à bout du sida, la liste des précieux auxiliaires végétaux de la médecine n'a pas fini de s'allonger. Et avec elle, la litanie des p h y t o t h é r a p e u t e s de tous bords, apôtres extrémistes ou charlatans avi- sés qui, à grands renforts de racines, de tisanes et autres extraits aux vertus mirobolantes, entraînent des consom- mateurs de plus en plus nombreux sur

2 2 A L L E Z S A V O I R ! / № 1 1 M A I 9 8

les rivages dan- gereux de l'auto- médication.

«Trop de gens croient q u e tout ce qui est n a t u - rel est forcément bon, en oubliant que les poisons les plus violents p r o v i e n n e n t p r é c i s é m e n t de la n a t u r e ! » , ne cesse, en consé- q u e n c e , de mar- teler Kurt Hos- t e t t m a n n , q u i

voit en la plus banale des p â q u e r e t t e s u n e « v é r i t a b l e u s i n e c h i m i q u e , c a p a b l e de p r o d u i r e p l u s i e u r s mil- liers de molécules différentes».

Un message de prévention

Pour faire passer son message de prévention, le bouillonnant professeur, aguerri par dix-sept ans d'enseigne- ment, endosse volontiers l'habit média- tique que lui valent son «métier d'ave- nir» et son ouvrage de vulgarisation, surgi aux côtés de plusieurs écrits hau- tement spécialisés; il accepte de signer la nouvelle rubrique Phytothérapie du mensuel «Optima» - dont les hono- raires serviront à financer des voyages d'études à ses collaborateurs de l'Ins- titut - , et même d'apparaître en confé- rencier au dernier Salon des médecines naturelles, à Lausanne, qui a drainé pas moins de 20'000 visiteurs en cinq jours.

Cette surface visible de ses activités recouvre une profusion de tâches aussi variées que sérieuses : un double ensei- gnement aux étudiants en pharmacie

Professeur Kurt Hostettmann, directeur de l'Institut de pbarmacognosie et de phytochimie

de l'Université de Lausanne

Interview de guérisseurs au Zimbabwe

T

des universités de G e n è v e et L a u s a n n e ; la r e s p o n s a b i l i t é d'une équipe de 25 c h e r c h e u r s , dont une dou- zaine de docto- rants en perma- nence, issus de t o u s h o r i z o n s g é o g r a p h i c o - culturels; s'y a- joutent un ren- dement annuel d'une trentaine de publications scientifiques, la quête de crédits de recherche, la mise en place de colla- borations avec des p a y s en dévelop- pement et la participation au groupe de travail sur la chimie des plantes de l ' I O C D (International Organization for Chemical Sciences in Develop- ment), présidée par un Prix Nobel de chimie, J e a n - M a r i e Lehn.

Bientôt sur France 2

Dans ce cadre, Kurt Hostettmann organise encore des symposiums inter- nationaux, aux chutes Victoria, au Panama, bientôt en Ethiopie, ensuite en Thaïlande, le tout dans la foulée des voyages intercontinentaux qu'il effec- tue avec quelques collaborateurs, pen- dant les vacances universitaires, en vue de ramasser des plantes et de recueillir les savoirs ancestraux des guérisseurs locaux.

La dernière expédition des cher- cheurs lausannois, en mars dernier, ne devrait pas passer inaperçue; une équipe de tournage de la chaîne de télé-

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M É D E C I N E : L ' a t t r a i t i r r é s i s t i b l e d e s p l a n t e s m é d i c i n a l e s

vision France 2 les a suivis pendant une semaine, dans le Parc national de N y a n g a et au lac Kariba, au Zim- babwe, pour mettre en boîte un épisode d'une nouvelle émission. «Les nou- veaux mondes», que l'on découvrira vers la mi-juin, chaque jeudi soir après le J o u r n a l de 20 heures, s'inspire du principe d'«Envoyé spécial»: «L'idée est de faire vivre une aventure scientifique en suivant des chercheurs européens sur le terrain, mais hors de leur pays d'origine», explique Kurt Hostett- mann, qui a déjà eu les honneurs d'un

«Télescope» de la TSR, i l y a deux ans.

Les plantes médicinales sont menacées

Si sa programmation n'en est pas encore connue, le quart d'heure de film consacré à l'équipe helvétique, que l'on verra notamment à l'œuvre avec une guérisseuse africaine et face aux tribu-

lations alimentaires d'un troupeau d'élé- phants, s'inscrira dans la semaine

«Urgences planète», un thème qui fait précisément son pain quotidien: «Il y a effectivement urgence dans notre do- maine, car les plantes des pays en déve- loppement, qui contiennent peut-être des molécules actives contre les grandes maladies de notre fin de siècle, sont les plus menacées de disparition sous les coups de la déforestation et d'une urba- nisation excessive. Ce dernier phéno- mène risque aussi de condamner à l'oubli les nombreux savoirs anciens que se sont transmis oralement les gué- risseurs africains, peu à peu supplan- tés par la faveur populaire dont béné- ficie la médecine occidentale.»

Un accord avec un partenaire industriel américain

Note d'espoir, la séquence présen- tera aussi une possible future star

locale, de la famille des légumineuses, dont les racines contiennent une sub- stance particulièrement efficace contre les mycoses associées au sida. Une mo- nosubstance au nom encore secret, tirée des quelque 10 000 extraits résultant des analyses de 3000 végétaux ramas- sés un peu partout dans le monde depuis une quinzaine d'années. Les- quels extraits sont soumis à des batte- ries de cibles biologiques grâce à l'équi- pement analytique ultra performant dont dispose l'Institut, dans l'objectif de voir l'une ou l'autre substance active tuer des cellules cancéreuses, inhiber la croissance de bactéries ou de cham- pignons, agir à différents niveaux sur toutes sortes de virus, y compris le VIH.

«Cette substance active du Zim- babwe est à un stade de développement extrêmement avancé, ce qui nous a per- mis de déposer un brevet et de signer un accord avec un partenaire industriel américain spécialisé dans la recherche

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Une espèce africaine de la famille des gentianes

de médicaments contre les maladies infectieuses. Il n'est donc pas exclu qu'elle trouve le chemin de la com- mercialisation.»

Des collaborations du monde entier

Si la prudence reste de mise en matière de commerce, Kurt Hostett- mann relève l'assurance de retombées financières pour le Zimbabwe en cas d'issue positive du contrat: 1,5% du chiffre d'affaires, selon l'usage en vigueur et le respect de la Convention internationale sur la biodiversité, signée en 1992 à Rio, qui soumet toute récolte de plante étrangère à une demande d'autorisation et chaque publication ou brevet générant des bénéfices à des contrats de partage entre institutions ou pays concernés.

L'Institut de pharmacognosie et de phytochimie lausannois n'a pas attendu

cette convention pour développer une collaboration avec les universités de plusieurs pays, dont le Zimbabwe, Panama, le Costa Rica, l'Indonésie et, dernière arrivée, la Thaïlande. Solide et satisfaisante à plus d'un titre pour Kurt Hostettmann et ses collabora- teurs : «Chaque accord entraîne de nou- veaux mouvements colorés au labora- toire, qui reçoit des stagiaires du monde entier. Ils arrivent souvent avec des problèmes ponctuels, en vue de com- pléter ou d'achever une thèse, car notre équipement sophistiqué et coûteux fait défaut dans leur pays. Cet échange per- manent d'expériences techniques et humaines est extrêmement riche.»

Les cousines «antidépressives»

de la gentiane

Impossible de tester scientifique- ment les propriétés antidépressives des gentianes sans collaborateurs prêts à se lancer sur toutes les pistes où les nombreuses cousines de cette grande famille ont jugé bon de s'implanter:

dans les pâturages jurassiens, mais aussi dans le désert de Gobi, en Chine et dans les Andes, où une expédition

est prévue en septembre prochain.

Impossible également de parvenir jusqu'aux guérisseurs de la brousse africaine et de les mettre en confiance sans intermédiaires, le plus souvent des botanistes locaux auxquels Kurt Hos- tettmann rend un hommage généralisé :

«De bons taxonomistes sont la clé indispensable d'une collaboration réus- sie dans les pays étrangers. En forêt tropicale, par exemple, nous sommes incapables de déterminer certaines espèces sans leur aide. Formés sur le terrain, ces botanistes ont cependant souvent suivi une formation scienti- fique en Europe et il nous arrive de financer, sur l'argent de la recherche, leur perfectionnement professionnel.»

Notamment à Kew, en banlieue de Londres, où se trouvent le plus grand herbier du monde - des millions

Patients attendant devant la case d'un guérisseur

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