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L’écriture intimiste dans les récits de Rabah Belamri.

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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République Algérienne Démocratique et Populaire

Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique

Université Frères Mentouri- Constantine1 Faculté des Lettres et des Langues

Département des lettres et de Langue françaises

N° de série : 145/D3C/2018 N° d'ordre : 07/FR/2018

THÈSE

Pour l’obtention du Diplôme de DOCTORAT LMD

Spécialité : Littérature francophone et comparée

Option : Sciences des textes littéraires

Thème :

Sous la direction du : Présentée par :

Professeur Jamel ALI KHODJA Me Abla GUEBBAS, Djeraba Université Frères Mentouri -Constantine1

Date de soutenance : le 05/12/2018

Membres du Jury :

Présidente : Pre. Nedjma BENACHOUR Professeure Université Frères Mentouri -Constantine1 Rapporteur : Pr. Jamel ALI KHODJA Professeur Université Frères Mentouri -Constantine1 Examinatrice : Pre. Farida LOGBI Professeure Université Frères Mentouri -Constantine1 Examinatrice : Fatima-Zohra FERCHOULI MCA- ENS-Sciences Politiques Université Benaknoun- Alger Examinateur : Pr. Abdelouahab DAKHIA Professeur Université Mohamed Kheider- Biskra

Année universitaire 2017-2018

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Chaque page est une blessure où la plume

dépose une aurore

Rabah Belamri

Le Galet de l’Hirondelle, 1985

Que cet enfant soit moi. Néanmoins, pour

triompher en partie du sentiment d’irréalité que

me donne cette identification, je suis forcée de

m’accrocher à des bribes de souvenirs

Marguerite Yourcenar,

Souvenirs Pieux, 1974

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Dédicaces

À mes parents et mes beaux parents qui ne m’ont pas vu aller au

bout de leurs espérances

À Ouahid, mon époux, sans le soutien duquel tout cela n’aurait

pas été possible et qui m’a enseignée la pleine richesse de

l’engagement. Merci pour ton écoute, tes encouragements et ta

présence constante.

À mes enfants, Ines et Zakaria, qui, depuis le début, ont cru en

moi et qui, par leur présence à mes cotés, ont éclairé mes jours.

À un membre de ma famille, mon beau frère, Monsieur Mourad

GUEDIRI, qui en me faisant cadeau de toute sa bibliothèque a

contribué à enrichir ce labeur. Je ne peux que m’incliner devant sa

grandeur

À une femme sans faille qui sait être là quand il le faut, à

Madame Hakima BERHAIL. Merci d’avoir toujours été là et

d’avoir su trouver les bons mots pour m’aider à aller jusqu’à

l’aboutissement.

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier le Professeur Jamel Ali Khodja, mon

Directeur de recherche, pour sa passion, sa rigueur, son intérêt pour

mon projet de recherche et surtout, sa grande disponibilité. Merci pour

ces riches discussions impromptues sur la littérature.

Je remercie vivement la Professeure Nedjma Benachour qui me fera

l’honneur de présider la soutenance de ma Thèse de Doctorat.

Mes sincères remerciements et ma reconnaissance entière à la

Professeure Farida Logbi, Madame Fatima- Zohra Ferchouli, Maitre de

Conférence A à l’ENS sciences-politiques de Benaknoun et au

Professeur Abdelouahab Dakhia, qui ont bien voulu examiner ce travail.

Également devant celle de Madame feu Yvonne Belamri et Monsieur

Bachir Belamri, le frère de l’écrivain, qui ont donné un grand essor à

ce travail en me procurant des documents inédits de l’auteur.

Merci à tous mes enseignants et exceptionnellement Madame Cherifa

Chebbah, à toute ma famille, mes sœurs et mes frères et à tous ceux qui

ont cru en moi.

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Encore une fois,

Que feu Yvonne et Bachir Belamri

Retrouvent ici ma sincère gratitude

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Dans notre vie, que de vérités n’a-t-on divulgué, que de secrets a-t-on caché dans nos cœurs… Pendant longtemps, la vie intime de l’Homme était un bien inaccessible aux autres et mourait avec lui jusqu’à ce que l’écriture intervienne et lui permette de laisser, en plus des preuves de son existence, des traces. Elle sera pour lui une délivrance et un moyen pour se confesser. Il écrira avec tout son être et sera sensible, d’abord, à l’autre et à tout ce qui se passe autour de lui, puis, et après de belles histoires de mouvements littéraires que l’on verra se succéder et donner naissance à la littérature, l’écrivain se libère de toutes les contraintes de son époque faisant de son "Moi " une source d’inspiration. La parole devint de plus en plus autotélique et une thérapie pour l’écrivain lui-même et ce sera lui qui soumettra la communication aux lois de la littérature. René de Ceccaty dira de cet Homme :

« Les écrivains, c’est-à-dire cette espèce particulière de l’humanité qui a décidé que la communication la plus fondamentale devait être soumise aux lois de la littérature, entretiennent avec le temps une relation singulière. Le temps pour eux, se fige, le plus souvent dans leur enfance, mais aussi à telle période de leur vie, dès lors infiniment répétée, sous forme possible, avec de multiples travestissements dans leur œuvre. Leur mémoire n’est même plus sélective : elle est obsessionnelle. Elle ne suit pas le cours de la vie, comme une docile parallèle, elle le traverse et isole un point lumineux, qui, de livre en livre, sèmera ses reflets irisés. L’œuvre toute entière est pareille au spectre d’une lumière, à la fin, peut-être, reconstituée dans sa blancheur éblouissante.»1

Ainsi, ce champ d’écriture, souvent romancée, va connaitre un élan considérable lorsque l’intimiste, dans une situation paradoxale, ressent le désir de médiatiser sa vie et décide de la faire lire par qui le veut. Ce désir a simultanément nourri la littérature

du XVIIIème siècle notamment à l’aide des Mémoires, des romans et des

autobiographies. Il s’exprimera désormais dans des écrits personnels tels que des journaux intimes où il choisit son interlocuteur, des correspondances non destinées à être lues, des écrits sans destinataire immédiat, réservés à la postériorité.

1

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8

Vers la fin du IVème siècle, Saint Augustin, un théologien, écrit Les confessions,

première autobiographie reconnue où il raconte l’itinéraire de sa formation jusqu’à sa

conversion. Au XVIème siècle, Montaigne, dans Les Essais, fait le projet de se peindre

lui-même dans l’intention de mieux se connaître :

«Lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre».2

Au XVIIème siècle, les écrivains classiques s’interdisent de parler d’eux-mêmes;

«Le moi est haïssable.»3, dira Blaise Pascal dénonçant les excès d’une subjectivité autocentrée, orgueilleuse et inauthentique. Plutôt que de se considérer comme le centre de tout, Pascal Blaise appelle la subjectivité à se faire modeste et à se tourner vers Dieu.

Au XIXème siècle, où l’on se consacre aux valeurs existentielles comme esthétiques, on

observe un individualisme romantique avec des auteurs tels que Chateaubriand,

Georges Sand et Stendhal. Dans ses Lettres, Zola fait part de sa nostalgie et de ses craintes face à l’avenir :

« Je suis triste, bien triste depuis quelques jours et j’écris pour me distraire. Je suis abattu, incapable d’écrire deux mots, incapable même de marcher. Je pense à l’avenir et je le vois si noir […]. 4

Un appel douloureux qu’il extériorisera à travers l’écriture qui ne semble être pour lui qu’une autothérapie qui contribue à le guérir de son mal. En effet, un grand mouvement vers l’intimité de l’écriture anime les écrivains européens. L’écriture intimiste serait donc née en ce siècle. Mais ce propos a parfois été démenti au profit du siècle précédent comme le souligne Jean-Marie Goulemot:

« Le fait semble acquis : le XVIIIème siècle aurait inventé l’intime.»5

Ainsi, le courant intimiste, né du romantisme, s’épanouit de nouveau avec l’apparition des écritures du « moi » destinées à être lues.

2

Michel Seigneur De Montaigne, Essais, Edme Cousterot, Paris, 1580 3

Blaise Pascal, Méthodes chez Pascal, éd. Gallimard (édition de Michel Le Guern), coll. Folio classique, 1977,PP. 282-283.

4

Emile Zola, Correspondance, Lettres de jeunesse, Paris, Bibliothèque –Charpentier, 1907

5

Jean-Marie Goulemot, Tensions et contradictions de l’intime dans les pratiques des Lumières », no 17, Université Paris X-Nanterre, 1995, p. 13.

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Les lecteurs découvriront à travers cette écriture, en plus du vécu de l’auteur, son comportement et l’histoire de ses visions les plus intimes, à savoir, son enfance, ses sentiments, ses émotions, ses fantasmes, ses souvenirs, ses relations et ses interrogations. Cependant, la plupart de ces écrivains éprouvent le désir de tremper leur vérité dans une fantaisie nuancée et l’on verra certains évènements purement fictifs revêtir le vraisemblable. Ce travail de l’imagination n’aurait pour but que de

provoquer un choc émotionnel chez le lecteur. Avec Les Confessions6, Jean-Jacques

Rousseau sera le fondateur d’un genre qui va loin dans la peinture et l’analyse du soi ; un modèle pur de l’autobiographie. En ce siècle, les éditeurs, les écrivains de préfaces et les critiques contribuent largement à encourager l’expression intime. Seulement, le siècle suivant voudra parfois sa condamnation et son exclusion au profit d’autres genres:

« À l’égophilie7 pratiquée comme un « art de soi » a succédé l’austère religion du neutre et de l’absence ; et la disparition illocutoire du poète a sonné le glas d’une certaine poésie conçue comme tout ce qu’il y a d’intime en tout ».8

En effet, au XXèmesiècle, c’est un autre genre qui évolue grâce à Sigmund Freud et la

psychanalyse : le récit d’enfance. Celui-ci fait son apparition et se confond avec l’autobiographie et le roman autobiographique, mais c’est seulement dans la seconde moitié de ce siècle que cette forme de récit s’impose et devient autonome en raison de la quantité et de la qualité des œuvres écrites durant cette époque. Nous pouvons citer comme exemples, Le Miroir qui revient (1984) d’Alain Robbe Grillet et Enfance

(1984) de Nathalie Sarraute. Georges Sand, dans les premières pages de son ouvrage,

intitulé aussi Histoire de ma vie (1855), déclare qu’elle parlera de sa vie sans pour autant révéler quoi que ce soit de ses relations privées et amoureuses :

«Qu’aucun amateur de scandale ne se réjouisse, je n’écris pas pour lui ».9

6

Jean Jacques Rousseau, Confessions, posthumes, publiées entre 1782 et 1789

7L’amour de soi 8

Victor Hugo, Les Odes et Poésies diverses, Célèbres formules qui closent la brève préface du premier recueil poétique, 1822.

9

Georges Sand, Histoire de ma vie, Œuvres autobiographiques, éd. établie par G. Lubin, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1970, p. 6.

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Marguerite Duras, particulièrement intimiste dans ses récits10, laisse transparaître

à travers son œuvre, certains évènements de sa vie familiale et personnelle. Toutefois, elle garde elle aussi en elle-même, une part de réserve quand elle dévoile à ses lecteurs ses souffrances: la vie difficile, la pauvreté, la richesse, l’inégalité, la mère, les frères et la précocité amoureuse. Tout un vécu intime marqué par des

désillusions sentimentales et amoureuses. Dans Souvenirs pieux, consacré à la famille

de sa mère, 11Archives du Nord, 12 à celle de son père et Quoi ?l’éternité, 13à son

enfance, Marguerite Yourcenar, elle, choisit de raconter des vies de personnages dont les ancêtres l’ont inspirée pour représenter la condition humaine en utilisant souvent un « je » manifeste. Il existe également des récits de témoignages qui traitent de l’enfance comme par exemple Histoire de ma vie, publié à titre posthume en 1968 dont la préface est de Vincent Monteil et de Kateb Yacine et que Fadhma Ait Mansour Amrouche aurait écrit, suite à la demande de son fils :

«Il faut que tu rédiges tes souvenirs, sans choisir, au gré de ton humeur, et de l’inspiration. »14

Un livre émouvant et authentique dans lequel elle s’écrit et peint le combat de la femme dans la société kabyle. Une mère qui a fait don d’elle-même pour ses enfants et à sa terre natale. Cependant, dans le domaine des romans, quelques uns racontent d’une façon romancée leur enfance dans une écriture autofictionnelle. Maurice Le Rouzic résume la situation ainsi :

«Pour parler d’eux-mêmes, les auteurs

maghrébins utilisent un ‘je‘ apocryphe ou sont plus à l’aise derrière une troisième personne».15

Il le démontre à partir du roman de Mouloud Feraoun, Le fils du pauvre16 qui

commence à la première personne pour s’achever à la troisième. Raconter sa vie d’enfant pauvre à l’époque de la colonisation a un double avantage : l’auteur se soulage de son lourd passé d’enfant en même temps qu’il dénonce le système colonial.

10

Marguerite Duras, Moderato Cantabile, Paris Éditions de Minuit, 1958.

- Dix heures et demie du soir en été, Paris, Gallimard, 1960, coll. « Folio », n°1699, 1985. - Le Ravissement de Lol V. Stein, Paris, Gallimard, 1964, coll. « Folio », n° 810, 1976. 11

Marguerite Yourcenar, Souvenirs pieux, éditions Gallimard, Paris, 1974

12Marguerite Yourcenar, Archives du nord, éditions Gallimard, Paris1977 13

Marguerite Yourcenar, Quoi ? L’éternité, éditions Gallimard, Paris1988

14

Marguerite Fadhma Aït Mansour Amrouche, Paquet de documents photographiques, p. 18

15

Maurice Le Rouzic, « Écritures autobiographiques chez Mouloud Feraoun », Paris, L’Harmattan, 1996.

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Une autobiographie maghrébine où ‘je’ et ‘nous’ se complètent. À une question posée

par le journaliste Adrien Renaud17 :

« Comment en vient-on à écrire sur soi ? »

René de Ceccaty répond :

« Je crois que ceux qui écrivent sur eux ne se posent même pas

la question. Je reçois beaucoup de manuscrits autobiographiques. Souvent, les auteurs qui pratiquent ce type d’écriture ont vécu des évènements traumatisants ou simplement contrariants ou ont rencontré de très grandes difficultés dans leur vie en général. Par l’écriture, ces auteurs essaient d’affiner le regard qu’ils portent sur eux-mêmes, d’en faire un regard rassérénant, consolateur, mais pas nécessairement très juste. Après, le processus d’écriture, qui transforme une affaire personnelle en création, obéit à une nécessité qui n’est évidemment pas partagée par tous, mais qui se fait naturellement quand elle touche ceux qu’on appelle « de vrais écrivains », une communauté certes assez disparate et sans doute contestable selon les critères qu’on adopte pour la définir […]. »18

C’est dire que l’écriture de l’intime ne veut pas dire dévoiler toute sa vie privée, sauf si l’auteur l’a décidé. Ainsi, cette notion parait paradoxale dans la mesure où, d’une part, c’est ce qui ne doit pas être dit car la plupart du temps c’est du banal qui aurait été écrit juste pour remplir les pages et d’autre part ce qui est indicible parce que trop important et personnel. De ce fait, définir le terme « intime », reste difficile et pour le faire, je ne saurais que reprendre ce que Jacques Brault écrit dans Tonalités lointaines (sur l’écriture intimiste de Gabrielle Roy) »

« Les dictionnaires, plus prudents et moins incisifs, se bornent

à établir qu'en latin « intimus » est le superlatif d' « interior » Mais l'intériorité, si elle connote la profondeur et, par celle-ci, le caché, le secret, le reclus, sa réalité ne reste-t-elle pas sujette à caution?[…] Quant à l'intimité, elle donne lieu à divers malentendus, par exemple chez Alain Finkielkraut Aujourd'hui, ériger l'intimité en valeur littéraire constitue une régression par rapport aux possibilités de la littérature qui s'exprime le mieux lorsqu'elle a coupé le cordon ombilical avec l'autobiographie. »19

17

Adrien Rannaud, L’écriture de l’intime, Revue Chameaux, n°7, 2014

18

http://www.lemonde.fr/ 19

Jacques Brault, Tonalités lointaines (sur l’écriture intimiste de Gabrielle Roy) », Voix et Images, vol. 14, n° 3, 1989, PP. 387-398

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Cependant, récemment Michaël Fœssel, Maître de conférences de philosophie et

commentateur d'Emmanuel Kant et de Paul Ricœur, admet que :

« L’intime désigne l’ensemble des liens qu’un individu décide de retrancher de l’espace social des échanges pour s’en préserver et élaborer son expérience à l’abri des regards. Il résulte donc d’un acte par lequel un sujet décide de soustraire une part de lui-même et des relations du domaine de la visibilité commune ».20

Cette nouvelle écriture en Europe n’est pas restée sans influence sur les autres nations, entre autres les Maghrébins qui s’en sont longtemps abreuvés et notamment de l’écriture française. Seulement, ils écriront à leur manière et feront de leur littérature, une littérature universelle qui fera couler beaucoup d’encre. Il y eut en Algérie coloniale et postcoloniale une multiplication de courants littéraires en langue française (écrivains voyageurs en quête de parfums d’exotisme), d’écoles de tous

genres : Littérature des Algérianistes de Louis Bertrand et de Robert Randau,21Isabelle

Eberhardt, Lucienne Favre..., une littérature classée comme le résultat d’une rupture totale avec l’orientalisme et dans le but de légitimer le concept d’une continuité culturelle (européenne) exclusive. Mais aussi la mouvance instaurée dite «indigène »

par les Chukri Khodja et Ould Cheikh ou Hadj Hamou22. L’École d’Alger très

différente, délibérément universelle où s'illustrent, à partir du milieu des années 1930, Albert Camus, Emmanuel Roblès, Jules Roy, Jean Pélégri,….néanmoins, à cette période, cette littérature maghrébine de langue française paraissait n’avoir aucune valeur mais plus que cela, il fallait faire comme si elle n’existait pas, puisque Jean Déjeux dira dès le premier paragraphe de son ouvrage Littérature maghrébine de

langue française :

« La naissance, autour de 1945-1950, d’une littérature maghrébine de langue française de réelle valeur. »23

20Michaël Fœssel, La Privation de l'intime, Paris, édition Le Seuil, 2008, p. 13 21

Robert Randau de son vrai nom Robert Arnaud est celui qui a systématisé les thèses de Louis Bertrand et est le principal chef de file du courant algérianiste.

22

Premiers romanciers indigènes avec Caïd Cherif (M) qui ont commencé à se faire connaître à partir de 1925.

23

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Plus tard, Charles Bonn confirme le statut de ce roman précurseur par une phrase bien claire dans un ouvrage dont le titre promettait mieux :

«Née vers 1920, la littérature algérienne de langue

française s’affirme à partir de 1945.»24

Jacqueline Arnaud, écrit à ce propos également :

« Dès que, en substance, les premiers écrivains maghrébins, entre 1945 et 1956, ont pris la parole dans la langue du colonisateur… »25

Les précurseurs de cette nouvelle écriture auront donc préparé le terrain pour une explosion de talents littéraires à laquelle on assiste à partir des années 1950 avec l’entrée en scène de la génération dite « indépendantiste». Beaucoup d‘entre ces nouveaux écrivains algériens ont traité, dans des Mémoires-témoignages en langue

française, la période de la guerre de libération comme par exemple Le Journal26 de

Mouloud Feraoun. En effet, par précaution, celui-ci écrivait son journal sur des cahiers

d’écolier qu’il mêlait aux cahiers de ses élèves car, vivant sous la menace de perquisitions, il dût confier ceux qu’il jugeait compromettants à ses amis. Cette littérature fut d'abord marquée par l'écrivain kabyle chrétien Jean Amrouche

(L'Éternel Jugurtha, 1946), puis par Mouloud Feraoun (Le Fils du pauvre, 1950), Mouloud Mammeri (La Colline oubliée, 1952), Mohamed Dib (La Grande Maison, 1952), Driss Chraïbi(Le passé simple, 1954). Albert Memmi, sans aucun doute un

auteur majeur, interroge inlassablement la question de l’identité dans son œuvre. À la fois essayiste et romancier, l’auteur de La Statue de sel (1953) et de Portrait du

colonisé précédé de Portrait du colonisateur (1957), a longtemps prôné une littérature

de combat (dans la lignée de Sartre et Camus) avant, à partir des années 1980 de

prendre ses distances quant à la portée politique de la littérature. Dans leurs œuvres,

ces écrivains ne se contentent pas de nous communiquer leur malaise, leur révolte ou leurs rêves, ils guettent également l’injustice pour la dénoncer sachant qu’une parole juste est un rempart contre l’absurde.

24

Charles Bonn, Le roman algérien de langue française, Paris, L’Harmattan, 1985, p. 10

25

Jacqueline Arnaud, La littérature maghrébine de langue française, Tome I, Paris, Publisud, 1986, p. 79

26

Pages écrites à partir de 1955 interrompues brutalement le 14 mars 1962, car le lendemain, Feraoun est assassiné. Ces pages constituent l’essentiel de son Journal paru à titre posthume en 1962 aux éditions du Seuil.

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Désormais, la nouvelle littérature maghrébine n’a plus peur de son ombre, elle devient une littérature de combat, conduite de front avec la lutte de libération nationale par Kateb Yacine (Nedjma, 1956), Malek Haddad(La dernière impression, 1958), Assia Djebar( Les Enfants du nouveau Monde, 1962), Djamal Amrani( Le Témoin, 1960). Mais aussi par deux poètes d'origine européenne, Anna Greki (Algérie capitale Alger, 1963) et Jean Sénac (Matinale de mon peuple, 1961).

Certains critiques accusent cette littérature ethnographique de régionalisme et d’exotisme. Abdelkébir Khatibi déclare que les romans ethnographiques poursuivent

la tradition des algérianistes français.27 Ghani Mérad considère les années cinquante

comme « prolongement de la période d’assimilation »28. Jean Déjeux, par contre, note

que ces romans « possèdent un sens de dévoilement et de contestation »29.

Irina Nikiforova, elle aussi, définit la fonction ethnographique de ces romans comme

« idéologique par excellence ».30 La contradiction signalée provient du fait que la

contestation anticolonialiste des romans ethnographiques est exprimée seulement au niveau de la morale, ce qui rend indirect et atténue son impact politique. Face au lecteur européen, les romanciers algériens affirment le droit à l’existence du mode de vie national, et refoulent le colonialisme comme amoral.

Très influencés par leurs aînés, les auteurs des années 1970 comme Assia Djebar (Les enfants du nouveau monde) ou Rachid Boudjedra (La Répudiation, 1969), reprennent ces thèmes identitaires en mettant en avant la critique sociale. La condition des femmes, la pauvreté y sont évoqués de manière très libre et nouvelle. Le genre romanesque se développe, avec Mourad Bourboun(Le Muezzin, 1968) et c’est dans les années quatre vingt, que nait une autre littérature que l’on nommait « d’affirmation de

soi » avec pour chefs de file Abdelhamid Benhedouga (Vent du sud, 1971) et Tahar

Ouettar (l'As, 1974), dont les œuvres sont traduites dans plusieurs langues, Rachid Mimouni (Le printemps n'en sera que plus beau,1978), Tahar Ben Jelloun (La Plus

Haute des Solitudes, 1977).

27

Abdelkébir Khatibi. Le roman maghrébin. Paris, Maspéro, 1968, p. 28.

28

Ghani Mérad. La littérature algérienne d’expression française. Paris, Oswald, 1976, p. 40. 6

29

Jean Déjeux. Littérature maghrébine de langue française. Sherbrooke, Naaman, 1980, p. 37.

30

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Dans ces œuvres, il faut le noter, demeure toujours, comme un réflexe commun à tous, ce positionnement culturel et social depuis le bouleversement provoqué par la colonisation. Les uns comme les autres, même de visions différentes sur l’Algérie, ont écrit leur communauté ethnique et prôné leur spécificité. Ce qui frappe dans cette littérature, c’est la diversité des écritures et des thèmes, une diversité qu’on trouve déjà dans les productions des années 1950. Même si leurs auteurs se rejoignaient sur des valeurs progressistes, littérairement, ils poursuivaient des objectifs très différents et mettaient en scène des univers spécifiques à chacun.

Les années 1990 sont marquées par l’entrée en scène d’une nouvelle génération de romanciers. C’est la troisième génération depuis les précurseurs des années 1950

dont nous avons parlé. Elle s’attaque davantage à la critique politique, religieuse et militaire et dénonce le climat de terreur régnant à cette époque. Rachid Mimmouni

et Tahar Djaout (assassiné en 1993) en sont les figures de proue. Ils ont été suivis par la génération post-indépendance, auteurs de la littérature du désenchantement, mettant

en scène les déçus d’une indépendance remportée de haute lutte. Leurs productions se caractérisent d’une part par un retour à l’Histoire par le biais des évocations des

moments du passé au profit de la guerre de libération et, d’autre part, par l’émergence de la veine expérimentale avec de plus en plus de romanciers mettant l'accent sur la

recherche formelle. Celle-ci consiste notamment à subvertir les genres institués en entremêlant dans le même texte poésie, dialogues et prose ou encore en explorant les ressources de la polyphonie narrative. Mourad Djebel, Samir Toumi, Sarah Haïdar sont quelques-uns des représentants de cette nouvelle génération de romanciers qui sont en train de définir les contours du nouveau roman algérien dans lequel les expérimentations formelles sont aussi importantes que le fonds thématique, qui peut être historique, social ou politique.

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Rabah Belamri, l’auteur des quatre œuvres de notre corpus, fait partie des écrivains de cette génération. Il est connu notamment en France comme un excellent conteur, parcourant les écoles et les associations culturelles de la région parisienne, et ayant publié de fort bons recueils de contes au début des années 1980 tel que 17 contes

d’Algérie. Ses récits comme Regard blessé (1987), L’Asile de pierre (1989), Femmes sans visage(1992), laissent sentir très vite une écriture intimiste. Il y écrira à sa façon

son pays, son terroir, son enfance, son adolescence et sa blessure. Dans une interview

menée par Rosalia Bivona dans la revue CELAAN31 en 2003, il nous révèle son

opinion sur cette littérature ses ancêtres et les conditions qui ont permis son évolution.

Mais aussi sur le souvenir individuel et collectif de la guerre d’Algérie. Une guerre qui a marqué son enfance et dont il fera le socle de tous ses souvenirs dans toutes ses

écritures.

Avant d’aller plus loin dans notre quête, nous commencerons d’abord par évoquer les raisons de notre choix de l’auteur qu’est Rabah Belamri, et les raisons qui nous ont conduite à l’entreprendre. C’est à la suite d’un travail de recherche mené dans le cadre du Master1 que le Professeur Jamel Ali Khodja avait demandée de réaliser, que nous avons pris connaissance des œuvres de cet auteur. Il était question d’un travail où il fallait faire une recherche sur un écrivain et ses écrits et tout en donnant des exemples, il avait cité le nom de Rabah Belamri et avait souligné que c’est un non-voyant. Ce qui a provoqué ma curiosité et mon enthousiasme à découvrir cet écrivain. J’en ai fait le sujet de mon Mémoire de Master qui a porté sur le roman Regard blessé dont le thème est «l’écriture autobiographique/ autofictionnelle dans Regard blessé». En le lisant, on sent l’auteur trouver son bonheur dans sa cécité en laissant émerger tout un vécu et nous le faire vivre. Par la précision des sensations, l’authenticité du ton, son écriture affronte des vérités, la sienne et la nôtre. La simplicité de la narration s’impose et nous mène vers un monde qui fut et ce, pour le revivre.

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Une écriture qui affiche une force, celle de son auteur qui, parce que blessé, ne chercherait plus à se préserver. Cette œuvre est plus qu’un simple témoignage, c’est

une dénonciation et une condamnation de la violence humaine et de l’ignorance qui l’ont conduit à une nuit éternelle. L’auteur montre dans Regard blessé que la cécité des cœurs est plus forte et plus dangereuse que celle physique. Il s’agit de l’histoire d’un adolescent, Hassan, qui perd la vue la veille de l’indépendance suite à un décollement de la rétine. Dans une interview, Ali Ghanem l’interroge :

« Le personnage de Hassan dans le Regard blessé, est-ce que c’est toi ou c’est l’autre ? »

Rabah Belamri répondra de la façon suivante:

« A vrai dire c’est moi, mais c’est aussi l’autre. C’est moi dans la mesure où j’ai perdu la vue de la même manière que Hassan. Je suis passé par les mêmes souffrances, par les mêmes périodes de découragement. D’un peu d’espoir…c’est aussi l’autre parce que lorsqu’on écrit, on s’adresse aussi à l’autre. […] je n’ai pas écrit Regard blessé au « je », parce que mon premier roman, Le Soleil sous Le Tamis, publié par les éditions Publisud, avait déjà été écrit à la première personne […] ».32

Ainsi, c’est à la suite de notre recherche que nous sommes arrivée à la conviction que parler de soi peut se faire en racontant l’« autre ». Dans Regard blessé, le romancier dévoilait une phase de sa vie, celle de l’adolescence que la cécité vint égriser, mais avec certaines transpositions en utilisant la troisième personne. Nous avons déduit que, enfermé dans la nuit de sa cécité, le romancier devait retrouver, reconstruire chaque élément de sa vie à travers le substrat linguistique et acoustique qu’il avait mémorisés. La perte de ses prunelles très jeune à la veille de l’indépendance ne l’a pas empêché de briller. Entrer dans son monde fut pour nous une expérience émouvante et salutaire qui

mérite d’être revécue vu la densité humaine qui s’en dégage mais avec d’autres objectifs

dont celui de faire parler davantage de lui, un vœu que Belamri lui-même réitérait après chaque entretien.

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Dans un témoignage33 inédit qu’elle nous avait envoyée via son beau frère Bachir,

son épouse Yvonne Belamri s’exprime en ces termes :

« Je suis l’épouse de Rabah Belamri. Nous avons partagé notre vie pendant vingt trois ans, nous vivions à Paris où Rabah a composé son œuvre. Lisez ses livres, c’est lui- même qui vous le dirait. Après chaque entretien, il disait : « lisez mes livres », interrogez-vous, qu’est-ce qu’il a dit, pourquoi l’a-t-il dit ? Veillez à ce que ses livres soient présents dans les bibliothèques universitaires, et dans les ontologies de la littérature algérienne ».34

Suivant son conseil et voulant apprendre plus sur cet auteur à la fois romancier, poète, essayiste, critique et chroniqueur, nous avons poursuivi notre quête en le lisant et en découvrant d’autres écritures. Nous avons décidé donc, dans le cadre de notre thèse de Doctorat, de travailler encore une fois sur ses écrits et avons choisi de nous intéresser à l’«Ecriture intimiste dans les Récits de Rabah Belamri ». Le corpus qui nous servira de champ d’investigation se compose de quatre de ses œuvres: LE

SOLEIL SOUS LE TAMIS, L’ASILE DE PIERRE, FEMMES SANS VISAGE ET MEMOIRE EN ARCHIPEL.

La première hypothèse que nous émettons dans ce travail est qu’il pourrait s’agir d’une écriture intime à un moment donné, inspirée uniquement de quelques bribes de sa vie et éparpillée tardivement sur plusieurs œuvres: l’auteur, jusqu’à l’âge de seize ans, voyant, aurait mémorisé beaucoup d’images et de souvenirs. Ainsi, sa vie antérieure, qui lui serait devenue comme un rêve, aurait pris forme sous sa plume. Pour le romancier, s’écrire aurait été le cordon ombilical qui le rattachait à Belamri le voyant qu’il fut. L’auteur aurait raté beaucoup d’images dans sa cécité et en les convoquant à travers son imaginaire pour les immortaliser, il semble nous dire que le regard visuel pourrait être remplacé par celui du cœur. Enfin, les œuvres, LE SOLEIL

SOUS LE TAMIS, L’ASILE DE PIERRE et FEMMES SANS VISAGE formeraient-elles

une trilogie ? MEMOIRE EN ARCHIPEL serait-il une continuité de LE SOLEIL SOUS

LE TAMIS ?

33Une vidéo que Madame Belamri m’a gracieusement envoyée par le biais de son beau-frère Monsieur Bachir Belamri 34

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Au vu de tous ces questionnements émis dans le cadre de cette conception de l’écriture, nous aborderons, tout en consultant les moyens adéquats, le cœur de cette problématique à savoir le démêlage de l’écheveau des éléments réels de ceux qui semblent s’apparenter à une fiction pour pouvoir infirmer ou confirmer que l’écriture des quatre récits est intimiste.

Après une introduction générale, notre recherche se compose d’abord d’une d’une vue d’ensemble sur la vie et le parcours littéraire de l’auteur et quelques appréciations sur lui et son œuvre. Ces propos s’inscriront dans une recherche approfondie qui ira interroger les fins fonds de son vécu, son milieu social et littéraire, sa famille, ses amis, ses amours,…sur tout ce qui a une relation de près ou de loin avec lui. Le dénouement se fera en trois parties :

La première partie comprend trois chapitres consacrés à une synthèse des formes de relation entre un texte et un lecteur : des notions théoriques nous serviront de références dans l’étude des textes belamriens.

- Dans le premier chapitre, nous étudions l’écriture autobiographique, ses pactes ainsi que d’autres genres apparentés. Un aperçu sur le roman autobiographique, le récit d’enfance et l’intertextualité, s’imposent pour s’assurer de la bonne marche du travail et pour chasser toute confusion. Pour ce faire, nous proposons une analyse appuyée surtout sur les théories de Philippe Lejeune, Starobinski, Georges May, et celles d’autres théoriciens sur l’autobiographie, les pactes,

autobiographique35, romanesque et fantasmique serviront à mieux dégager les

spécificités de l’écriture de Rabah Belamri. Les travaux de Vincent Colonna

dans son ouvrage Le pacte. Autofictionnel, 36mais aussi ceux de Serge

Doubrovsky sur l’autofiction, de Philippe Gasparini sur les indicateurs de

l’identité de l’auteur et de Gérard Genette, sur les voix narratives, contribueront

à distinguer l’écriture autobiographique de la fictive.

35

Lejeune Philippe, Le Pacte autobiographique, Paris, Le Seuil, 1975, p.14

36

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- Dans un deuxième chapitre, nous aborderons des théories sur l’onirisme, un chemin inévitable vu que nous soupçonnons une écriture onirique dans deux des romans de Rabah Belamri à savoir L’Asile de pierre et Femmes sans visage. Les personnages principaux sombrent dans des rêves incessants, ce qui permet de supposer que l’auteur fait de même et puise dans son inconscient pour écrire. Ce faisant, les théories freudiennes viendront étayer quelques zones d’ombre au niveau de la véracité des faits. Elles pourraient répondre à quelques ambigüités de cette écriture dans laquelle le rêve, soumis perpétuellement à une infinité d’interprétations, serait un élément important dans la vie de l’être humain. Le rêve, utilisé comme une démarche thérapeutique chez les psychologues, il est probable que l’auteur aurait également creusé dans son inconscient pour reconstruire un profond de son être. Identifiant le rêve et l’inconscient comme source majeure d’inspiration de l’écriture dans une œuvre, nous veillerons à clarifier ces deux notions pour mettre en évidence l’influence de l’inconscient et du rêve sur la création de Belamri.

- Le troisième chapitre brossera une vue d’ensemble sur l’écriture narratologique qui nous permettra de porter une étude des plus détaillées sur l’écriture belamrienne à savoir la narration des récits, leur structure mais également sur les acteurs qui donnent vie à ses récits. Pour pouvoir situer l’auteur du personnage principal, il est primordial de faire appel à l’analyse de Philippe Hamon sur le personnage.

Passer en revue ces théories nous semble indispensable dans la mesure où l’écriture intimiste ne peut en être dissociée pour asseoir les bases de notre recherche.

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La deuxième partie, comprend trois chapitres également, portera sur une lecture analytique des quatre romans :

- Le premier comportera une étude sur les éléments paratextuels du corpus, les résumés des quatre œuvres, une analyse thématique, en pointant les thèmes transversaux.

- Le deuxième comprendra une analyse narratologique à savoir la narration, le cadre spatio-temporel et la structure des quatre œuvres.

- Le troisième portera sur une analyse des personnages belamriens afin de distinguer les personnages fictifs des personnages réels puisque l’existence dans la vie réelle de personnes qui deviennent des personnages dans une œuvre littéraire, est l’un des éléments qui peuvent marquer l’authenticité d’une œuvre.

La dernière partie de la présente recherche sera consacrée à la confirmation de nos

hypothèses et aux liens qui existent entre les histoires écrites et l’auteur. Nous veillerons à démontrer que ces romans ne sont en fait qu’une mise en fiction de

sa vie ou du moins de quelques bribes de sa vie. Le jeu d’écriture auquel se livre l’auteur pourrait tromper et duper facilement le lecteur par son apparence fictive. Ainsi, au cours de cette analyse, nous tenterons de distinguer les faits réels des faits fictifs à travers des tableaux comparatifs entre les personnages repris d’un texte à l’autre dévoilent beaucoup. Rabah Belamri fait souvent implicitement partie des personnages qui sont mis en scène. En outre nous dévierons sur l’espace et le temps qui corroboreront toutes nos déductions par leur véracité. Des lectures approfondies d’autres ouvrages et documents appartenant à l’auteur lui-même (voir annexes),

ne seront que bénéfiques à la résolution de cette problématique.Une recherche dont le

but sera surtout de déterminer si le récit autobiographique/intimiste et la réminiscence des grandes épopées historiques dont il fut témoin, lui auraient servi à évoquer cette intimité fragile qui le caractérise ou si c’est à travers le mensonge romanesque ou la fiction poétique qu’il y serait arrivé.

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1- Esquisses biographiques

Connaitre nos auteurs algériens est d’une grande importance, dans la mesure où ce serait connaitre ceux qui écrivent notre histoire/Histoire, notre culture et celle d’autrui. Mais aussi, connaitre cet autre si différent qu’on croit dépasser parce que dépourvu d’un organe de sens et qui, par son handicap dépasse et fait découvrir avec un « regard » et un doigté que l’on ne saurait décrire. Une écriture des plus uniques qui a contribué à enrichir la littérature algérienne mais aussi universelle.

Parmi cette catégorie d’écrivains, l’on comptera Rabah Belamri, dont les écrits, reconnus mondialement, traduits en arabe, en chinois, en allemand, en anglais, en néerlandais, en grec et en italien, s’avèrent et restent inconnus auprès du lectorat en Algérie. Le terreau des souvenirs, d’images conceptuelles présentes avant sa cécité, lui servent de source d’inspiration à son écriture. C’est donc avec un mélange de curiosité et de plaisir que nous avons mené notre quête.

D’après les informations données par son frère, l’auteur vécut dans une famille nombreuse à Bougaâ. Ainsi, et avant de mettre au monde Rabah Belamri, sa mère, Messaouda, divorcée, a deux filles d’un premier homme, Saâdia et Cherifa. Après le décès de son premier mari, elle s’était remariée avec Ali Ben Aissa, qui, lui aussi avait perdu sa femme qui lui avait laissé trois enfants ; deux filles, Zidouma qui était du même âge que Messaouda, Rekia et un garçon, Hocine.

Rabah Belamri est né un an après 1945, une année qui a vu la liberté fleurir à Bougaâ d’un côté et la répression naitre de l’autre. Sa naissance un 11 octobre fut un grand évènement aussi bien pour sa mère Messaouda que pour son père Ali Ben Aissa. Après lui, naquirent, Louiza, Saliha, et enfin Bachir. L’écrivain était donc bien entouré et baignait dans une atmosphère familiale qui était à envier. Pendant ses seize premières années, il voyait le jour se lever et en profitait comme s’il savait qu’il ne le reverrait plus à partir de sa seizième année.

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Ὰ cinq ans, il ne cessait de jouer et de faire l’aveugle, chose que sa mère qui l’aimait excessivement lui reprochait sans cesse:

« Chaque fois qu’il arrivait à proximité de la maison de ses parents, il fermait les yeux et poursuivait son chemin à tâtons, trainant les pieds pour reconnaitre le terrain, frôlant des mains les haies des jardins et les façades des maisons. Sa mère le grondait, le conjurait de ne plus jouer à l’aveugle : à force d’appeler le malheur, il finira par arriver ».37

Elle sentait venir vers lui le mal et recommandait continuellement à Saâdia surnommé Fatma, sa demi-sœur, de le surveiller pendant ses moments de jeux. Il en parle d’ailleurs dans son premier récit Le Soleil sous Le Tamis :

« Ma fille, puisse Allah te combler de ses bienfaits et que ton itinéraire verdoie devant et derrière ! Sors un peu ton petit frère. Son âme est à l’étroit, ici. Emmène-le sur la route du Beylic, suppliait ma mère ».38

Tel que la plupart des gens de leur génération et de leur condition sociale, ses parents ne savaient ni lire ni écrire. Le livre ne faisait pas partie de leur univers. L’arabe dialectal était la langue qu’ils utilisaient pour communiquer et pour exprimer leur imaginaire et leurs pensées. Toutefois, ils contribueront à faire de Rabah Belamri le «Lettré de la famille». Ils avaient la conviction qu’un avenir d’exception l’attendait :

«Cet évènement extraordinaire ancra en ma mère la certitude qu’une force occulte et bienfaisante mûrissait en moi. Avertie à ma naissance par une chiromancienne nomade, elle ne pouvait plus douter maintenant de l’avenir d’exception qui m’attendait. »39

Ainsi, et comme bon nombre de ses camarades, il fréquentait en même temps l’école

française et l’école coranique. Tous ceux qui l’avaient côtoyé voyaient en lui ce fameux bouillonnement littéraire précoce et les ferveurs d’un garçon doué, alliant

le sérieux et sens d’une sensibilité extrême.

37

RabahBelamri, Regard blessé, édition Gallimard, 1987, page 19

38

Rabah Belamri, Le Soleil sous le Tamis, Ed. Publisud, 1982, page 15

39

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Son amour pour la lecture augmentait de plus en plus et on le remarquait déjà chez lui, d’ailleurs son premier livre fut un livre en français « Les Fables », il avait onze ans. Il raconte dans « La page des lecteurs

«Le dessin de couverture m’avait ébloui […]. Je n’avais encore jamais eu de livre. Les livres que je touchais, où j’apprenais le français ne sortaient pas de l’école. A la maison, nous n’en possédions qu’un : Le Coran. Je ne savais comment parvenir à mes fins. Mon père ne rechignait pas à payer mes fournitures scolaires ordinaires, mais ce livre n’a rien à voir avec l’école et, de plus, il coutait cher : le prix d’un kilo et demi de viande ou de douze pains. Je m’en ouvris donc à ma tante Tassaâdit, la femme de ménage du pharmacien du village. Elle m’offrit 300 francs (anciens) et avec ma mère appuya ma demande auprès de mon père pour qu’il versât l’autre moitié. C’est un jeudi, en fin de journée, j’eus entre les mains le fabuleux livre.»

Dans son récit Mémoire en archipel, il illustre le rapport émerveillé qu’il

entretenait avec les livres :

«Je feuilletais le livre fabuleux […]. J’avais enfin réussi à

l’acquérir à force de supplications: Mon père et la tante Tassaâdit s’étaient cotisés pour me l’offrir.40

Et plus loin, après avoir été brutalement interrompu dans sa lecture à cause d’une alerte survenue à la suite d’un attentat , il ajoute:

«Le cœur palpitant, je m’approchai de la cheminée et

repris mon livre. […]. Je tournais les pages en silence, les titres des fables et les illustrations m’emportaient loin de ma tante qui parlait toujours devant la porte.»41

La religion structurait l’existence de toute sa famille, mais aussi, celle de tous les habitants de Bougaâ, elle entrait naturellement dans l’éducation des enfants. Mais

si l’école coranique, avec son engagement pauvre, répétitif, et sa pédagogie archaïque n’apportait aucune gratification intellectuelle et morale, l’école française, avec sa pédagogie moderne et ses programmes diversifiés, était pour lui une aventure pleine de surprises et de curiosités.

40

Rabah Belamri, Mémoire en Archipel, « Fables et réalités », Paris, Gallimard, 1994, P.79

41

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C’était un lieu où il enrichissait ses connaissances et apprenait à penser, à se révolter et à décider. Il n’ira plus au « Djamaâ » (la mosquée) :

« Je me suis libéré très tôt de la religion estimant que l’identité d’un être n’était pas donnée une fois pour toute, mais qu’elle pouvait évoluer, se corriger, s’enrichir de valeurs venues d’autres cultures.»42

A l’école, il était parmi les premiers, sa mère attribuait d'ailleurs sa maladie tantôt au mauvais œil car, d'après Bachir, quand le père recevait les bulletins de Rabah, il les faisait lire par de mauvaises gens. Tantôt à l’oued, puisque Rabah Belamri aimait beaucoup nager. A quinze ans, lorsqu’il commença à se plaindre de ses yeux :

un décollement de la rétine mal soigné en raison de la violence qui a marqué les derniers mois de la guerre d’Algérie et par l’ignorance notamment de sa mère, qui,

alarmée, lutte contre les faux- esprits. Le père y participe en ramenant du Souk un bâtonnet de sulfate de cuivre. Ainsi, lui et sa femme précipitent une cécité qui n’était peut-être pas fatale. Etouffé sous la pression de cet amour, Belamri devient la proie des guérisseurs et des charlatans. Au début de sa maladie, il perdit tous ses amis et s’isolait de plus en plus. Le seul ami qu'il avait trouvé à ces cotés, c’était son voisin Brahim. Ils passaient le plus clair de leur temps, assis côte à côte face à la route publique dite «du Beylic », à jouer aux mots croisés découpés des journaux français que son père achetait au kilo pour emballage dans sa boutique, car Belamri allait souvent aider son père dans son commerce. Brahim jouait aussi très bien de la guitare et en jouait souvent à Rabah Belamri qui s’émerveillait en l'écoutant. En 1962, après avoir subi une opération chirurgicale à l’hôpital Mustapha Bacha qui se solde malheureusement par un échec, et pendant que son pays accédait à la lumière, Rabah Belamri perd complètement la vue. Cependant, s’il perdit à jamais la vision des choses qui l’entouraient, il n’en restait pas moins au fond de sa mémoire tous ces décors faits de monts et de montagnes, de plaines et de plateaux, de sentiers et de maquis, des oueds et les ruisseaux ainsi que les scènes et les couleurs de la vie de tous les jours dans lesquels il avait baigné.

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Il s’en ira les perpétuer et les graver dans son imaginaire fécond pour ensuite les immortaliser dans ses récits. Petit à petit, l’auteur se résignera à accepter son mal qui

le rapprochait de son prédécesseur égyptien Taha Hussein43, auteur du livre Les Jours,

et à se libérer de son isolement. Il commencera à construire son univers poétique et romanesque : Il se ressaisit deux ans plus tard avec un bel acharnement, et après avoir appris le braille et passé deux ans dans une école de jeunes aveugles à Alger, il poursuivra ses études au lycée Albertini, l’actuel Kerouani. Ecoutons Youcef Nacib, qui fut son professeur à Alger, nous dire :

«J’ai gardé le souvenir d’un garçon dont la ténacité n’avait d’égale que la force d’espérance. Il a su rassembler toutes ses énergies pour les conjuguer dans le labeur. Je revois l’étudiant attentif, tendu à l’affut de toute notion nouvelle pour la capter à jamais dans l’incessant cliquetis du braille.»44

Pour payer son trousseau de jeune promu à l’internat, mis à part quelques rares loisirs faits de trempettes dans les Gueltas de Oued Sidi Ali qui longeait le hameau de ses oncles, ou celles de Oued Bousellam, dans les gorges de Hammam Sidi El Djoudi, il se consacrait à aider son père pour assurer les ventes dans un étal du marché communal, quelques bottes d’herbes aromatiques et des légumes cultivés dans le maigre potager familial dont il emporta les parfums et odeurs jusqu’à sa disparition. Ainsi, en 1968, il finit par rejoindre l’Ecole Normale de Bouzaréah. D’après les propos

de son frère Bachir45, même dans son handicap et en dépit de sa perte à jamais de la

vision des choses qui l’entouraient, l’écrivain arrivait à décrire minutieusement tous ces décors de tous les jours dans lesquels il avait baigné et fera en sorte qu’ils ne soient pas effacés.

43Taha Hussein est un romancier, essayiste, et critique littéraire égyptien, né le 14 novembre 1889 et mort le 28 octobre 1973.

Comme Rabah Belamri, Taha Hussein, était un non-voyant.

44 www.SetifInfo

45Informations tenues du frère de l’écrivain, Bachir Belamri lors de notre visite à Bougaâ dans le cadre de notre recherche sur

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Ainsi, défenseur infatigable du patrimoine oral, il ne cessera guère d'œuvrer pour sauver de l'oubli la culture orale. A ce propos, il écrit ceci :

« Il est temps de recueillir les trésors de notre culture

orale, menacés de disparition par le tumulte de la télévision. Aujourd'hui, en Algérie, les veillées s'organisent autour du petit écran et les conteurs n'ont plus le temps ou ne trouvent plus l'occasion et la nécessité de conter. (...) j'ai tenté, dans la mesure de mes moyens, de sauver de l'oubli une parcelle de notre patrimoine culturel. (...) Ces contes recueillis en arabe dialectal, je dus les traduire en français (...). Il ne fait pas de doute que cette langue les sort de leur isolement et les propulse dans la sphère du patrimoine culturel universelle ».46

Il avait donc su cultiver et préserver l’esprit et les valeurs des anciens en les ressuscitant fidèlement par le recueil et les transcriptions, en écoutant son vieil oncle Mahfoud, sa tante Zouina, Cheikh El Mihoub, le sage du « douar », et certains membres de sa famille qu’il avait entrepris d’enregistrer sur ses bandes magnétiques au moyen du fameux Mini K7 de l’époque. Il put écrire son premier texte en 1969, une nouvelle sur la Guerre d’Algérie destinée à un concours. Bachelier, il obtient sa licence de Lettres Modernes Françaises en 1972 et réussit à décrocher une bourse à l’étranger. C’est un ami qui lui facilitera son installation définitive en France, à Paris, en lui donnant l'adresse d'Yvonne Lefort, une psychologue, pour lui demander de l'aide dans le cas où il en aurait besoin. C’était une institutrice à l’école Maillot à Alger durant la période coloniale (voir photo dans les annexes fournies par Bachir Belamri). Ainsi, le dix octobre 1972, il écrit sa première lettre à Yvonne, l’amour de sa vie. Leur première rencontre aura lieu à Paris le 18 octobre à 14h. Ils furent d'abord amis puis se marièrent. Belamri s'installera donc définitivement à Paris et acquiert la

nationalité française. À la question d’Amine Zaoui47:

« Comment vivez-vous votre exil et pensez-vous retourner un jour en Algérie ?»

46

Interview qui lui a été consacrée par le journal El Moudjahid le 30 septembre 1982, dans la rubrique veillées d’antan,

47

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Rabah Belamri répondra:

«Je ne me sens pas en exil, car je n'ai pas été forcé d'émigrer en France. J'ai choisi de vivre ici, et c'est ici que ma vie affective et professionnelle s'est épanouie. Ceci dit, l'Algérie comme réalité humaine, comme mémoire, comme blessure, restera sans doute longtemps au centre de mon interrogation et de mon écriture. Comme bien des algériens vivants à l’extérieur, je garde un lien fort avec le pays natal, non seulement à cause des parents et des amis qui s'y trouvent, mais pour des raisons passionnelles faites de tendresse et de dépit, de rêves déçus et d'espérance entêtée. Il n'est pas facile, même pour des non algériens, de tourner le dos à l'Algérie quand on y a vécu, rêvé […] »48.

Jusqu’en 1977, il était étudiant en maitrise puis en Doctorat et écrivait ses Mémoires sous la dictée de sa Yvonne, son épouse à qui il dédie ses trois premiers romans :

Regard blessé (1987), L’Asile de Pierre (1989) et Femmes sans visage (1992), puis un

recueil de poésie Pierres d’équilibre (1993). Une femme qui a contribué à le maintenir dans le monde des voyants en lui décrivant les êtres, les choses et les paysages et assumera pour lui le rôle de lectrice. La même année, il soutient à la Sorbonne une Thèse de Doctorat de troisième cycle (sous la direction d’Etiemble) dont le thème est

Miroir de l’Idéologie Colonialiste, sur l’œuvre de Louis Bertrand, publié par l’Office

des Publications Universitaires à Alger. Belamri poursuit inlassablement

l’investigation et redonne vie à Jean Sénac. Contrairement à Jean-Paul Sartre qui a

dit après avoir perdu la vue: « Je n’écris plus de peur d’être trahi », Belamri, lui,

apprit l’usage de l’Op. Ta. Con,49

une machine à lire dont il se servait principalement pour lire de la poésie et consulter les dictionnaires. À ce propos, il s’exprimera en ces termes :

« […] puisqu’en perdant la vue, j’ai accepté mon sort. J’ai organisé ma vie en fonction de ce sens qui me manquait. Donc j’écris en braille, puis, après ça je tape à la machine. J’utilise le magnétophone. J’utilise toutes les techniques qui sont à la portée des aveugles. J’ai même un appareil qui me permet de lire directement en noir. Si je veux contrôler un mot dans le dictionnaire, je le contrôle moi-même »50.

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Ali Ghanem, Arts-Afric, Entretien, juin 1988(coupures de journaux envoyées par Me Belamri)

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Optical tactile converter

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Blessé et meurtri comme ces millions de citoyens par les affres de la privation et de la domination sous une longue nuit coloniale qui a bouleversé et avait failli désagréger toute notre culture, il veillera à panser ses plaies en racontant l’Algérie. C’est dire sa volonté de s’agripper à sa vocation. L’écriture, puisqu’elle a fini par envahir sa vie, fut au centre de ses préoccupations quotidiennes. Sur les plans du contenu et de la forme, s’il est passé du récit au roman, ses écrits restent ancrés dans le réel et la mémoire de l’Algérie. Il fut inspiré et touché par l’œuvre du poète algérien Jean Sénac dont il consacra un essai qu’il considérait comme étant son œuvre majeure, Jean Sénac entre

désir et douleu. Infatigable et insatiable inquisiteur sur les questions de son temps, sa

disparition prématurée à l’instar du grand Rachid Mimouni ou de Tahar Djaout, Il nous légua une œuvre inachevée. Comme ses prédécesseurs ; Mouloud Mammeri, Kateb Yacine, Malek Haddad, Rachid Mimouni, Mouloud Feraoun…, Rabah Belamri fut le récipiendaire de multiples distinctions honorifiques de reconnaissance pour son immense talent et pour ses œuvres (voir annexes). Il côtoie plusieurs peintres qui s’inspirent de sa poésie comme Naima Doudji qui illustre l’un de ses poèmes dédié à Tahar Djaout, le peintre marocain Azzouzi qui illustre le poème Pour Hallaj en 1993,

Ali Silhem,51ainsi que des élèves des Beaux-Arts d’Alger et d’Aix-en-Provence.

Attaché aux œuvres algériennes, il rencontre Assia Djebbar, Mohammed Dib, Hamid Nacer Khodja et d’autres écrivains maghrébins et étrangers. A côté de ses activités d’écrivain, il intervenait de temps en temps comme conteur dans les écoles, les bibliothèques et les associations culturelles. Il lui arrivait aussi d’animer des ateliers d’écriture avec des groupes d’élèves dans les collèges français. (Voir annexes). Son rôle dans ces ateliers, consistait, avec l’assistance des enseignants, à aider les élèves à s’exprimer et à composer une courte fiction.

51Professeur à l’Ecole des Beaux Arts d’Alger.

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Le jeudi 28 septembre 1995 à Nanterre (Paris), par un matin frais d’automne, Belamri meurt des suites d’une intervention chirurgicale sévère à l’âge de 49 ans. Il repose au cimetière de Montparnasse au carré des poètes pas loin de la tombe de Guy de Maupassant. Il avait entamé l’écriture d’un roman dont la première partie fut publiée un an plus tard par son épouse Yvonne Belamri, sous le titre de Chroniques du

temps de l’Innocence52. Belamri y renoue avec la veine qui fut celle de son premier

récit Le Soleil sous le Tamis et de Mémoire en Archipel.

Après la mort de celui qu’elle appelle « Belamour », Yvonne Belamri a conjuré le silence en écrivant un livre où s’expriment avec force l’amour qui l’unissait corps, cœur et esprit à son époux, et le vide creusé par son absence. Elle veillera à faire parler de lui jusqu’à la nuit du 09 octobre 2016 où elle maintiendra, à son tour, son regard clos. À l'âge de quatre vingt neuf ans, elle s’en ira rejoindre celui qui lui avait tant manqué :

[…] manquer tu me manques Verbe de douleur Je conjure l’absence Quand une épine de ma phrase

a effleuré sa paupière Oh maintiens ton regard clos

Demeure en ta nuit gardienne de chimères n'envahis pas la page d'une salive amère53

Elle écrira pour lui dix Haïkus54 :

Tension du corps De quel désert venait-il

Tu le dis « fennec »

Il sort de la nuit Son regard eau et lune Sur ton corps ses mains

Tes lèvres chaudes Sur l’ambre de son corps

Nu après l’étreinte

52Rabah Belamri, Chroniques du Temps de l’Innocence, Paris, Gallimard, octobre, 1996,241p. 53

Yvonne Belamri, Revue CELAAN, vol.1, no. 3, Paris, 2003, p.7

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Corps « en queue de chat » La nuit vous prend paisibles

Unis jusqu’au jour

Matin de neige Tu glisses sur ses lèvres

Des cristaux de fe Du rhododendron Ses mains englobent la fleur

Son ravissement

Dans son délire Il t’avait toi reconnue

Il dit, ma femme

Reste près de moi Ta prière depuis sa mort

Cri à l’infini

Tu ne pleures pas ta douleur Une source qui retient son eau

Le 03 octobre 1995, l’écrivain Mohammed Dib enverra une lettre de condoléances à sa femme Yvonne Belamri dont voici le contenu

Bien chère Yvonne

« Votre deuil est le nôtre aussi et nous pleurons Rabah avec vous, Rabah, comme vous de cœur si proche de nous. La perte de chaque être est irréparable, la perte d’un ami à qui l’affection nous attache est plus irréparable encore. Irréparable en plus en ce qui concerne Rabah pour l’œuvre qui lui restait à parfaire. Mais son œuvre est déjà là qui répare, et qui importe par sa qualité et par quoi il est toujours là présent parmi nous ; ses poèmes chantent dans notre cœur et une voix qui chante comme la sienne, rien jamais n’en a raison. Qu’elle vous console et nous console en ces heures tristes et continue de nous accompagner aux heures de sérénité ».

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2- Le parcours littéraire de l’auteur

Avant de procéder à notre recherche proprement dite, nous considérons nécessaire de rappeler le parcours littéraire de Rabah Belamri pour donner une image d’ensemble d’une œuvre qui se caractérise notamment par sa complexité, autant sur le plan des sujets abordés que de sa manière d’écrire sur cet auteur. Toutefois, il faudrait plus de place que nous n’en disposons ici pour explorer une œuvre abondante et audacieuse qui n’a pas cessé de nous accompagner de sa justesse et de sa force. C’est à Paris que l’auteur consolidera son esprit critique puisque la littérature française le fascinait. Inspiré par les contes et les légendes de son enfance, il décidera d’en faire des récits éternels :

« Un désir d’écrire motivé également par ma cécité, dira-t-il, puisqu’elle me ramène de mon regard perdu pour me

réconcilier avec l’existence. »55

Une écriture qui évite le délire verbal, dira-t-il en 1993, dans un entretien télévisé

d’une chaine française.56 Elle se caractérise par une extraordinaire sobriété de style,

une expression sincère où se ressent, dans le choix des mots, la candeur primitive du conte. Ce qui frappe surtout dans ses écrits, lui le non-voyant, c’est la présence du regard et de la lumière. Une dizaine d’années suffiront à ce qu’il ait derrière lui une œuvre consistante (voir bibliographie) qu’il inscrira dans la littérature maghrébine francophone allant jusqu'à recueillir des contes oraux et des proverbes de sa Kabylie natale pour les retranscrire en français. Son univers poétique évoque le soleil et l'ombre, la soif et le puits, le figuier et l'olivier ainsi que la sensualité du monde méditerranéen. En l’année 1982, l’auteur aura une riche activité autour du conte en tant que collecteur, traducteur et conteur, notamment dans les milieux scolaires. Il explique faisant allusion à l’analphabétisme de son milieu :

« Le conte a été le musée imaginaire de mon enfance,

j’ai ouvert dans mon écriture une clairière au conte.»57

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Entretien avec Petri Immonen, journaliste finlandais, article du 06/02/1992dans un journal finlandais (photocopié et envoyé par Madame Belamri).

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France2

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