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De l'invisible aux fantasmes

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

I

nvisible :

Qui ne peut pas être vu ou se voit très peu Qui par sa nature, sa taille, ou son éloignement échappe à la vue.

Ces deux définitions proposées par le petit Larousse de 2003 cadrent les limites de la vision de l’oeil, pas celle de la photographie.

En 1895 les premières radiographies du corps humain surprennent. La police criminelle pense alors pouvoir obtenir par la photographie du fond de l’œil d’une victime l’image de l’assassin (1). À la même époque des photographes, installés comme portraitistes, révèlent des photogrammes présentant des perturbations qu’ils interprètent, ou veulent voir interpréter, comme des apparitions, des ectoplasmes.

Photographier l’invisible ! Que reste-il du mythe à l’époque du numérique ?

Lettre au Conservateur :

« Bonjour, suite à ma visite ce jour au musée Condé de Chantilly, je fus surpris lors de prise de photos sur mon appareil numérique de constater des reflets étranges sur mon écran de contrôle.

En effet des têtes de personnages fixes apparaissaient.

J’ai fait constater le phénomène à d’autres visiteurs et au guide du musée qui confirmèrent cette étrangeté.

La prise de photos ne semblait rien donner… mais une relecture et une inclinaison donnée à l’appareil de visionnage me donnèrent un résultat positif.

En fait je peux distinguer 3 formes en bas à droite :

- un personnage barbu

- un personnage moustachu (une moitié seulement du visage)

– et un crâne.

Je vous joins une de ces photos.

Voilà la chose peut vous paraître étrange mais vous pourrez vous faire confirmer par la guide. (Visite du dimanche 6 juillet 2003 à 13h45) cordialement » (2)

Même si Chantilly a connu ces fantômes (3), un esprit cartésien ne peut voir là qu’un reflet, le reflet de l’eau des douves d’un dimanche de juillet ensoleillé ! Pourtant si l’on regarde fixement l’image…

La photographie numérique nous permet-elle d’aller au-delà du visible ?

Sur les murs et plafonds des catacombes de Kom el Chougaffa à Alexandrie (4), nous avions remarqué quelques traces rouges. Ce ne sont que les restes de pigments de peintures qui tentaient de tromper l’œil en faisant croire à une construction en pierre de taille alors que nous avions affaire à des tombeaux creusés directement dans la roche. La photographie numérique révèle ces traces au-delà de la vision à l’oeil nu ! Ici elle sature simplement la couleur des traces rouges et fait apparaître sur l’écran des nuances indiscernables à l’œil nu. À moins que le capteur de l’appareil numérique en question ne soit sensible à la zone des proches infrarouges ? Là où l’oeil ne va pas.

La définition du visible que donne le Laboratoire de Recherche des Musées de France est celle-ci : « Les ondes électromagnétiques auxquelles l’œil humain est sensible et que nous appelons la lumière, ne s’étendent que dans une zone limitée du spectre. En deçà de 400 nanomètres, et au-delà de 700, on ne peut pas parler de «lumière», mais de «radiations invisibles». »

De l’invisible aux fantasmes

André PELLE

(2)

Nous sommes descendus dans les catacombes de Kôm el-Chougafa avec de la lumière noire.

Il s’est passé dans cette antique nécropole un étrange phénomène. En 1993 un changement d’hygrométrie modifia l’apparence des parois. Des traces de peintures apparaissent, révélant légèrement, au-dessus d’une des tombes du hall de Caracalla, une fresque jusqu’alors inconnue (5).

L’archéologue Jean-Yves Empereur qui fut le premier à constater ce phénomène en dit ceci : « On a pu distinguer au-dessus d’un sarcophage deux registres superposés : en haut, une momification d’Osiris… un lit en forme de lion, Isis et sa sœur Nephtis aux cotés d’Anubis. Une seconde scène, au-dessous, mérite qu’on s’y arrête. Elle comporte trois personnages aux gestes rapides, avec des plissés de vêtements qui virevoltent ; l’un d’entre eux est une femme casquée brandissant une lance et un bouclier ; sans nul doute il s’agit d’Athéna. C’est donc une peinture grecque. Bien que les figures fussent très floues, je parviens peu à peu à distinguer encore deux autres femmes : serait-ce un jugement de Pâris ? On sait que, selon la mythologie grecque, Athéna, Héra et Aphrodite s’en seraient remises au verdict du jeune berger troyen pour désigner la plus belle d’entre elles ; le choix qu’il fit d’Aphrodite provoqua le ressentiment des deux autres déesses et déclencha la guerre de Troie. Que venait faire cet épisode, sans lien avec le culte funéraire, dans cette tombe ? L’utilisation de la lumière artificielle (noire) allait apporter une réponse. » (6)

Peut-on relever des traces de peintures invisibles ? Quand Jean-Yves Empereur me demande d’intervenir sur cette tombe, il m’avoue l’échec des prises de vues infrarouges qu’il vient de faire réaliser. Je propose l’exploration de l’autre côté du visible, l’ultraviolet. Ou plutôt l’utilisation de la lumière noire pour tenter de provoquer une fluorescence.

Le Laboratoire de Recherche des Musées de France, déconseille l’utilisation des lampes de Wood, qui selon lui ont un trop fort dégagement thermique pour être utilisées sur les œuvres d’art, il préconise l’utilisation de néons recouverts d’un filtre qui retient de l’intégralité du spectre les couleurs ayant une longueur d’onde supérieure au violet. Ces néons, d’apparence noire, sont couramment vendus dans le commerce. Ils sont, entre autres, utilisés dans certaines boîtes de nuit afin de provoquer des effets de lumière. On les trouve également, discrètement utilisés, chez les commerçants pour la détection des faux billets.

Leurs radiations ont pour effet d’exciter la propriété de certains corps à émettre une fluorescence lumineuse. D’autres corps y resteront insensibles.

Des Grecs à nos jours, un lent processus de vieillissement a altéré les peintures murales des tombes de la nécropole de Kôm el-Chougafa. La coloration des pigments s’est lentement estompée et les peintures ont basculé dans l’illisibilité. Tombée dans l’oubli, la nécropole sera redécouverte au début du XXe siècle.

Les relevés de cette époque donnent comme difficilement identifiables les décors de la tombe que nous étudions maintenant. Elle reste invisible aux nouveaux visiteurs. À quelques mètres de là, une autre tombe reprend la même architecture. Bloqués entre trois murs creusés d’environ deux mètres cinquante de haut, les sarcophages, situés au niveau du sol, sont relevés par une marche. Un plafond ferme le haut, l’ensemble semble enduit de blanc. Le tout est plongé dans une semi-obscurité.

Quand nous commençons l’étude de ces peintures, la photographie numérique n’existe pas. Il me faudra donc utiliser les méthodes classiques de la photographie argentique. Toutes les émulsions photographiques ont une sensibilité spectrale étendue dans l’ultraviolet. Les photographes ont d’ailleurs longtemps suggéré l’emploi d’un filtre anti-ultra violet pour la photographie courante (7). La méthode utilisée pour la prise de vue d’une fluorescence provoquée par les ultraviolets est celle-ci : il nous faut prendre une émulsion photographique noir et blanc classique de rapidité moyenne, proche de 100 iso, et un filtre Kodak Wratten n° 2E.. L’obscurité

la plus complète possible est indispensable à la réalisation de ces photographies, l’éclairage est la lumière noire.

400nm 700nm

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Seul un très haut puits de lumière vient légèrement éclairer la salle de Caracalla des catacombes de Kôm el-Chougafa. Il ne nous sera pas difficile de l’obstruer. Nous avons préalablement tiré un câble électrique, je porte le tube de lumière noire en main. Nous sommes plongés un moment dans l’obscurité complète, quand j’allume l’interrupteur du néon. C’est probablement Victoria, une jeune fille de dix ans, qui eut la plus grande émotion. Elle se tenait à côté de nous le regard porté vers le haut lorsque s’illumina devant elle un plafond couvert d’oiseaux de guirlandes et de fleurs. Nous sommes restés un moment subjugués par l’apparition. D’infinis détails d’une parfaite netteté se révélaient soudain à nos yeux. Bien sûr Athéna était bien là mais également Artémis, Aphrodite et Eros… Sur la scène pharaonique supérieure des cartouches apparurent. La fluorescence provoquée par la lumière noire apporta tant de détails que nous pouvions apercevoir les traits du visage du mort momifié. Hélas, il manquait sur cette première tombe une partie du déroulé mythologique grec. Éros bande son arc pour envoyer une flèche vers des amoureux qui nous échappent ! Au début du XXe siècle, les

premiers fouilleurs, afin de passer dans cette salle, avaient dû élargir un trou, probablement de pilleurs, déjà existant. L’élargissement détruisit une partie du sarcophage et la fin de la scène grecque.

La tombe voisine, malgré l’hydratation de 1993, semble n’avoir jamais été décorée de peintures. Ces parois murales restent blanches ! Pourtant sous ultra-violet, il se produisit le même miracle (8). Le plafond était couvert d’oiseaux, en son centre un paon, des guirlandes et des fleurs, des canards des coqs et des pigeons. Sur le mur de face est représentée une momification d’Osiris, un lit en forme de lion, Anubis, un corps d’homme et une tête de chien, pose sa main droite sur la poitrine de la momie, Isis et Nephtis protège le défunt de leurs bras ailés levés. La scène inférieure est grecque. On y retrouve, disposés de la même façon : Athéna, Artémis, Aphrodite et Eros. À l’endroit même de la partie manquante de la première tombe, sous la flèche d’Eros, se trouve Hadès. Guidant un char, tiré par quatre chevaux lancés au galop, il enlève Perséphone jusque dans les Enfers (9). Le dieu des enfers Hadès laissera son épouse revenir sur terre à la fin de chaque hiver pour retrouver sa mère Déméter, apportant ainsi le renouveau printanier aux hommes.

La fluorescence de ces peintures peut s’expliquer simplement. Nous avons affaire à deux

matières différentes, le support et les pigments. Les pigments de peintures se sont altérés, leurs couleurs et densités ont rejoint celles du support. Ils sont comme effacés. Blanc sur blanc, on ne voit que du blanc. Pourtant les différences de matière existent et leurs réceptivités à l’ultraviolet sont différentes. Écrivez, avec un crayon blanc, sur une feuille de papier blanche. Votre texte restera invisible ! Vous pourrez le lire à l’aide des ultraviolets. La difficulté sera de photographier ce texte, nul photocopieur n’y parviendra ! Un appareil photographique classique ou numérique peut faire l’affaire. Il conviendra de disposer devant l’objectif le filtre 2E de façon

à couper tous les ultraviolets en excédent qui surexposent la pellicule argentique ou donnent une image numérique illisible par trop de colorations violettes. Au regard de sa courbe de transmission, ce filtre s’apparente au filtre anti UV. Cela peut paraître paradoxal ! Mais c’est bien un filtre anti-ultra violet qu’il vous faudra utiliser pour faire une photographie correcte de la fluorescence provoquée par les UV. Cette image, invisible, devenue visible se situe dans la zone du spectre que l’œil perçoit. Vous prendrez garde également à la pose. Il vous faudra poser votre appareil photographique sur un pied, car par tâtonnement, vous définirez progressivement une exposition correcte qui durera plusieurs minutes. (10)

Au cœur d’un quartier populaire, comme ayant attendu trop longtemps dans le vestibule dédié au culte des morts, des ossements humains jonchent le sol et les bancs de l’entrée de la tombe C. Doucement les Cristallines se sont enfoncées sous la ville de Naples. Ou plutôt Naples, laissant la couche archéologique du IVe siècle avant le Christ

à sa place, s’est élevée de dix mètres (11). Nous descendrons les 11 marches de l’escalier peint de rouge pour atteindre le caveau funéraire. Droit dans l’axe, une Gorgone à chevelure de serpent nous regarde fixement. La chef de mission se retourne vers moi et dit : « Ici il faut parler bas car nous sommes au milieu de la mafia ! ». Creusée dans le tuf, la pièce se présente sous un plafond voûté. Des oreillers doubles sont posés sur les huit sarcophages ouverts. En plein centre du sol une rosace disparaît sous nos pas. La pièce revêt l’apparence symbolique d’un triclinium. L’ensemble est hautement décoré de peintures. De fausses colonnes surmontées de chapiteaux furent laissées en relief dans le tuf. Deux candélabres peints situé de chaque coté de la porte d’entrée referment le tombeau. Les murs du vestibule supérieur sont parsemés de niches et de stèles. Sous un plafond en trompe l’œil, une frise peinte fait le tour de cette plus petite pièce. On peut encore y apercevoir des

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masques de la comédie, des décors floraux et des griffons ; mais l’ensemble est endommagé et devient illisible. Les trois autres caveaux composés également d’un vestibule et d’une grande pièce en contrebas sont moins bien conservés. À l’entrée de la salle inférieure de la tombe D, six stèles de marbre laissent supposer qu’elles furent jadis décorées de représentations picturales. L’hygrométrie ambiante est telle que l’humidité en est visible sous la forme d’un léger brouillard bloquant le mécanisme de mes appareils photographiques. J’étais à nouveau là pour une recherche dans l’invisible. Notre mission est la constitution d’un dossier images, nécessaire au projet de restauration de quatre tombes juxtaposées, envisagé par la Surintendance Archéologique Napolitaine. Dans ce décor hellénistique, nous avons choisi une cinquantaine de plans. La mission est courte, en un minimum de temps il nous faudra rassembler un maximum de documentation.

La constitution des dossiers d’œuvres destinées à la restauration par les musées de France s’organise ainsi :

- Une prise de vue de l’objet en éclairage naturel (normale). (12)

- Deux prises de vues en lumière rasante (de gauche et de droite).

- Une prise de vue de la fluorescence provoquée par les ultraviolets.

- Une prise de vue enregistrée sur un film infrarouge noir et blanc.

- Et une radiographie de l’œuvre.

La radiographie n’étant possible que pour les objets pouvant être disposés derrière l’appareillage émettant des rayons X. Il ne nous sera pas possible dans les tombes des Cristallines, pas plus qu’à Kôm el-Chougafa, de pratiquer ce type de photographies. Nous suivrons donc la liste proposée par le Laboratoire de Recherches des Musées de France en y ajoutant une prise de vue avec un appareil numérique à la lumière blanche et en doublant les prises de vues dans l’infrarouge sur deux types de supports différents. L’une sera réalisée sur une émulsion noir et blanc Kodak Infrarouge Haute Sensibilité et l’autre sur une émulsion Couleurs Kodak Ektachrome infrarouge.

Dans sa brochure « La photographie infrarouge et ses applications », la société Kodak différencie ces deux types de prises de vue par l’utilisation de filtres différents. Directement posés sur l’objectif, les filtres Kodak Wratten n°87 ; 87 C et 88 A, seront utilisés avec le film noir et blanc. Ils occultent

l’intégralité du spectre visible et les infrarouges proches. Ils sont, curieusement, d’apparence noire et semblent opaques à notre regard. C’est pourtant à travers ces filtres que l’appareil photographique réalisera une image en ne laissant passer pour impressionner la pellicule noir et blanc à sensibilité spectrale étendue dans l’infrarouge que les radiations infrarouges et uniquement celles-ci. Nul autre matériel n’est nécessaire et l’éclairage est celui des usages courants de photographie. Le soleil et le flash électronique font très bien l’affaire. Ces films sont donnés à des rapidités habituelles, vers 100 iso. La mesure de cellule se fera sans le filtre. Pour le réglage des vitesses et des diaphragmes, l’utilisation du mode M (manuel) est indispensable. Sur la marque rouge, prévue pour cet usage sur les objectifs classiques, nous décalerons notre mise au point.

L’autre émulsion Kodak à sensibilité étendue dans l’infrarouge est un film diapositive couleurs, son emploi est préconisé avec le filtre n° 12 qui laisse passer une partie du visible. Cette méthode, dite à couleurs modifiées, repose sur l’interprétation du rendu colorimétrique des différents corps photographiés. En botanique par exemple, un feuillage vert caduc et sain apparaîtra en rouge alors qu’un feuillage malade ou déficient apparaîtra bleu-vert, les conifères en pourpre foncé (13). La rapidité de cette émulsion est de 100 iso, son utilisation simple.

Photographier l’invisible, c’est tenter de capter l’image provoquée par des radiations spectralement décalées de la vision humaine ! Nos investigations archéologiques peuvent alors se multiplier bien au-delà de la norme établie pour la constitution d’un dossier d’oeuvre des Musées Nationaux. Nous pourrions par exemple retourner à Kôm el-Chougafa et tenter de photographier une autre fluorescence provoquée par la lumière noire. Elle se situerait selon Kodak dans les infrarouges à 830 nanomètres. Cette autre fluorescence serait donc invisible et pour l’enregistrer il faudrait utiliser de la lumière noire avec un film infrarouge et un filtre coupant la longueur d’onde inférieure à 830 nanomètres.

Invisible :

- Qui ne peut pas être vu ou se voit très peu.

- Qui par sa nature, sa taille, ou son éloignement échappe à la vue.

Cent fois dans la lumière matinale je suis passé à côté d’elle sans la voir. Dans les jardins du

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Musée Gréco-Romain d’Alexandrie, sur la base d’une statue en granit d’Assouan, une frise représente quatre esclaves ou quatre pêcheurs. Leurs images ne se révèlent que l’après-midi, durant très peu de temps, quand le soleil vient les éclairer d’un faisceau de lumière rasante et avant qu’il ne disparaissent de l’autre côté des immeubles. Alors, photographier l’nvisible serait aussi capter l’image provoquée par une incidence inusitée de lumière. Nous voyons généralement les choses sous un éclairage solaire orienté en haut à droite ou à gauche.

Le photographe en studio façonne son éclairage sur ce modèle. Il utilise généralement un éclairage principal orienté comme un soleil et un éclairage secondaire réfléchi qui adoucit l’ensemble en débouchant les ombres. Certains détails d’objets ne sont visibles que dans la lumière directe rasante quand l’angle d’incidence de la source lumineuse sur l’objet ne dépasse pas quelques degrés. D’autres, comme les intailles sur pierre polie, ne révéleront leurs images qu’avec un angle d’incidence d’un éclairage situé à 90° de leurs surfaces, provoquant ainsi une réflexion spéculaire nette et photographiable (14).

Assurément la photographie a un pouvoir d’enregistrement supérieur à la vision humaine. Nos petites caméras vidéos numériques ont quelquefois une position « nuit » qui émettent un rayonnement infrarouge. Avec l’une d’entre elles, je suis reparti au château de Chantilly y faire des observations dans le noir absolu. Sur les oeuvres, l’enregistrement révéla des traces de restauration. Sur une toile du XVIIIe

siècle représentant le comte de Toulouse, fils bâtard du roi Louis XIV et de Madame de Montespan, en habit de novice de l’ordre du Saint-Esprit, son pied bot, invisible à l’œil nu, apparaît comme un repentir de l’artiste. Dans l’espace, il semble n’y avoir aucune trace de Louise de Budos, ni de dame blanche. Dans la galerie des Batailles, près de l’apparition du 6 juillet 2003, aucun crâne, aucun personnage moustachu ni barbu. Faudra-t-il attendre un autre 6 juillet pour avoir de nouveau une journée ensoleillée et revenir à la même heure au même endroit pour rephotographier le tableau avec un appareil numérique?

La photothèque de la faculté d’Assas conserve les photographies ectoplasmes de portraitistes du XIXe siècle. Pour les avoir reproduites,

j’ai pu me livrer à un classement. Généralement photographiés de plain-pied, assis dans un décor de studio, les sujets sont seuls ou par petits groupes. Le fantôme (ou fantasme en italien) se montre sous trois apparences. Sous une forme humaine, il se tient

debout derrière les sujets photographiés. Quelquefois il semble posé une main sur l’épaule d’un vivant. Son image est plus pâle que l’ensemble de la photographie. Il est dans une tenue vestimentaire de l’époque. Sa deuxième apparence est blanche, traversant la photographie comme l’envolée d’un tissu léger dans un courant d’air. Sa troisième forme d’apparition revient également plusieurs fois dans le fond photographique. Sa couleur semble également blanche, mais sa forme se caractérise par un angle droit comme si une équerre recouverte d’un voile blanc flottait dans l’espace. Que sont devenus nos fantômes ? auraient-ils disparus ? À moins que la première forme ne soit que la superposition de deux prises de vues réalisées sur le même plan film (15) ? Que la deuxième forme soit les traces de non-développement de deux plans films qui se seraient collés entre eux dans la cuve de développement et que la troisième soit simplement les traces d’un voile chimique d’une boîte d’émulsion photographique mal refermée quand l’opérateur rallume la lumière de son laboratoire photographique ?

Quant à nos fantasmes : dans une pièce du château de Chantilly, un tableau de Mottez nous raconte l’histoire de Zeuxis. Il pensait pouvoir peindre la femme d’une beauté parfaite. Le chevalet, l’artiste et son modèle nu sont installés derrière une tenture. Nous ne distinguons que très peu leurs apparences, je suis resté longtemps devant le tableau avec ma caméra, mais les infrarouges ne purent jamais traverser la toile !

(1) Réalisée à l’aide des rayons X par physicien allemand Wilhelm Conrad Roentgen dans LEMAGNY, ROUILLE (1986) - Histoire de la photographie.

(2) La photographie fut réalisée dans la galerie des batailles du château de Chantilly sur un tableau de Sauveur Le Comte représentant une bataille du grand Condé. (3) Selon Nicole GARNIER, conservateur du musée Condé

à Chantilly, « Madame de Sévigné et le comte de Saint-Simon parlent d’une dame blanche qui apparaît à la fenêtre du château de Chantilly chaque fois qu’un Condé va mourir. Louise de Budos, la très jeune femme du Connétable de Montmorency, aurait vendu son âme au diable. Un mystérieux personnage vêtu de noir la visitait régulièrement. Elle fut retrouvée morte, dans sa chambre fermée à clef de l’intérieur, la tête à l’envers dans une forte odeur de soufre. »

(4) Au sein du Centre d’Etudes Alexandrines, dirigé par Jean-Yves EMPEREUR, l’auteur de l’article est engagé avec l’archéologue Anne-Marie GUIMIER-SORBETS dans une recherche sur les peintures murales.

(5) « Ce n’est qu’en 1993 que Jean-Yves EMPEREUR découvre la scène grecque de la tombe 1 : des

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dans la nécropole ; l’eau est montée dans le tombeau principal jusqu’à mi-hauteur des sarcophages et, de façon générale, l’humidité a considérablement augmenté dans l’ensemble des catacombes. Elle a eu pour effet de faire apparaître une partie des peintures effacées. »

(6) EMPEREUR (1998) - Alexandrie redécouverte. Éditions Fayard-Stock.

(7) Suggérés pour la prise de vue en altitude afin de supprimer les dominantes bleues provoquées par un excès d’ultraviolet, ces filtres sont également utilisés par certains photographes pour protéger leurs objectifs. (8) La cinéaste égyptienne Asma El-BAKRI parla d’un

phénomène inverse de celui rencontré par les archéologues dans le film de Fellini, Fellini Roma. Dans cette Rome moderne, les peintures murales disparaissent définitivement sous les yeux des archéologues ; ici en 1996 à Alexandrie, c’est l’inverse qui se produisit. (9) Sorties de l’invisibilité, ces fresques nous ont révélé bien

plus de détails et de significations symboliques qu’il n’est pas de mon propos de développer ici, il convient de se référer à l’article d’Anne-Marie GUIMIER-SORBETS et Mervat SEIF El-DIN dans le Bulletin de Correspondance Hellénistique n° 121 de 1997.

(10) Lors de la première campagne photographique à Kôm el-Chougafa, l’auteur développait chimiquement ses essais photographiques dans des petites cuves à l’intérieur du sarcophage de la tombe n° 2. La pause était de deux minutes pour un diaphragme de 11, et quatre rampes de néon UV situées à 1,50 mètre éclairaient la peinture. C’est bien plus simple maintenant avec le numérique !

(11) L’archéologue Ida BALDASSARRE date ces tombes de la fin du 4e siècle ou du début du 3e avant J.C. Elle

a publié en 1998 « L’Italie méridionale et les premières

expériences de la peinture hellénistique » dans Collection de l’Ecole Française de Rome, n° 244 » On y trouve l’état descriptif de ces tombes. Ida BALDASSARRE mentionne également que ces tombes étaient flanquées d’une façade extérieure et que les vestibules se trouvaient au niveau du sol antique.

(12) Les prises de vue de type lumière naturelle (normale) ont été réalisées avec des lampes flash réfléchies dans des parapluies. Les parapluies des photographes n’ont que la forme en commun avec l’instrument qui nous protège de l’eau. Ils servent à créer une lumière diffuse. Elle peut s’apparenter à celle à l’éclairage doux d’un ciel nuageux.

(13) Cet exemple est tiré d’un tableau publié dans EASTMAN KODAK COMPANY (1979) - La photographie infrarouge et ses applications, Ed. française.

(14) Avec l’archéologue François LISSARAGUE, nous sommes parvenus à faire ressortir des détails de repentirs invisibles à l’œil sur un décor de vase grec.

(15) Un plan film est un négatif photo de moyen ou grand format 6 x 9 ; 9 x 12 cm et plus. Il ne se présente pas en bande de plusieurs vues comme nous avons l’habitude d’en voir et il ne produit qu’une seule image. Les appareils photographiques de l’époque utilisaient des châssis recto verso qui pouvaient contenir deux plans films. Après une première prise de vues, une seconde était possible sur le même châssis et sur l’autre film. En cas d’erreur de manipulation, on se retrouvait avec une double exposition sur le premier plan film et avec un deuxième plan film vierge.

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