L'OBI&IHE
DES ESPÈCES
« Quant au monde matériel, nous pouvons tout au moinsaller jusqu'à, conclure que.les faits ne se produisent pas par suite d'une intervention' isolée du pouvoir divin, se manifestant dans chaque cas pari&Mlier.,'
mais bien par l'action des lois générales.» ^f
"WHEWEL, Bridyùwaler Treulise.
« Le seul sens précis du mot naturel est la qualité d'être établi, fixe ou stable; donc, tout ce qui est naturel-exige et suppose quelque agent 'ntelligentjjour le rendre tel, c'est-à-dire pour le produire continuel- lement ou à des intervalles déterminés, tandis que tout ce qui est
. surnaturel ou miraculeuxest produituue seule fois ou d'un seul coup. »
'"£ J*~,
_
BUTEER, Aïnaîogy of 2tevealed Religion.
« Pour conclure, ne laissez pas croire ou soutenir, par une idée trop prononcée de la faiblesse humaine ou une modération mal placée, que l'hommepuisse aller trop loin, ou être trop bien instruit dans la parole de Dieu, ou dans celle du livre des oeuvres de Dieu, e'est-àrdire en religion ou en philosophie; mais que tout homme s'efforce plutôt de progresser en l'une et en l'autre, et d'en tirer avantage sans s'arrêter jamais. »
\ BACON, Advancement of Leaniing.
PAULS. — Tïl'OGRAIUlIEA. HENNUYER, RUE D'ARCET, 7.
L'ORIGINE
DES ESPÈCES
CHARLES DARWIN, M.A.,F.R.S.,ETG.
TRADUIT SUR LA. SIXIÈME ÉDITION ANGLAISE
PAR ED. BARBIER
PAB.IS
C. REINWALD ET C% LIBRAIRES-ÉDITEURS
15, RUE DES SAINTS-PÈRES, 15
1876
TORS droits réserves.
AVIS DU TRADUCTEUR.
Il ne nous appartient pas de faire une préface à l'Origine
des Espèces. Tout a été dit sur ce livre célèbre qui, plus qu'aucun autre peut-être de tous ceux publiés à notre
époque, a soulevé d'ardentes discussions.
Plusieurs éditions en ont déjà paru en France. Aucune
n'est complète, car Fauteur, clans chaque nouvelle édition anglaise, a apporté d'importantes modifications à son ouvrage.
La nouvelle traduction que nous soumettons aujour- d'hui au public a été faite sur la sixième édition anglaise.
C'est l'édition définitive, nous écrit M. Darwin.
Nous ne prétendons pas avoir traduit l'ouvrage de
l'illustre naturaliste anglais mieux que n'ont fait nos devanciers. C'est la précision que nous avons cherchée, plus que l'élégance du style. 11 nous a semblé que notre premier devoir était de respecter scrupuleusement la pensée de l'auteur, et nous avons voulu surtout que notre
version eût toute l'exactitude possible.
Edmond BARBIER.
TABLE
Pages.
NOTICE HISTORIQUE sur les progrès de l'opinion relativementà l'origine des espèces avant la publication de la première édition anglaise du présent -
ouvrage .' . ix
INTRODUCTION.
CHAPITRE PREMIER.
DE LA VARIATION DES ESPÈCES A i/ÉTAT DOMESTIQUE.
Causes de la variabilité. — Effets des habitudes. — Effets de l'usage ou du non-usage des parties. — Variations par corrélation. — Hérédité. — Caractères des variétés domestiques.— Difficulté de distinguer les va- riétés et les espèces. — Nos variétés domestiques descendent d'une ou
de plusieursespèces. — Pigeons domestiques, leur origine etleurs diffé- rences. — Principes de sélection longuement appliqués, leurs effets.—
Sélection méthodique et inconsciente.— Origine inconnue de nos pro- ductions domestiques. — Circonstancesfavorables à l'exercice de la sé-
lection par l'homme
CHAPITRE II,
DE LA VARIATION A L'ÉTAT DE NATURE.
Variabilité. — Différences individuelles. — Espèces douteuses. — Les espèces ayant un habitat fort étendu, les espèces très-répandueset les espèces communes sont celles qui varient le plus. — Dans chaque pays, les espèces appartenant aux genres qui contiennent beaucoup d'espèces varient plus fréquemment que chez cellesappartenant aux genres qui en
contiennent moins. — Beaucoup d'espèces appartenant aux genres qui contiennentun grand nombre d'espèces ressmblent à desvariétés,: o% ce
sens qu'elles sont alliées de très-près, mais inégalement, les unes aux
autres, et en ce qu'elles ont un habitat, restreint 48 CHAPITRE III.
LA LUTTE POUR L'EXISTENCE.
Sonfiguré.influence sur la sélection naturelle. — Ce terme pris dans un sens
— Progression géométrique de l'augmentation des individus. — Augmentation rapide des animaux et dos plantes acclimatés. — Nature
des obstacles qui empêchent celte augmentation. — Concurrence uni-
verselle. — Effets du climat. — Le grand nombre des individus devient une protection. — Rapports complexes do tous les animaux et de toutes les piaules.— La lutte pour l'existence est Ires-acharnée outre les indi-
vi TABLE.
Pages,
vidus etlesvariétésde la même espèce; souvent aussi entre les espèces du même genre. — Les rapports d'organisme & organisme sont les plus im-
portants de tous les rapports . 66
CHAPITRE IV.
LA SÉLECTION NATURELLE. OU LA PERSISTANCE DU PLUS APTE.
Sélection naturelle ; comparaison de son pouvoir avec le pouvoir sélectif de l'homme; sou influence sur les caractères a peu d'importance; son influence il tous les âges et sur les deux sexes. — Sélection sexuelle. — De la généralité des croisements entre les iudividus de la même espèce.
— Circonstances favorables ou défavorablesà la sélectionnaturelle,telles que croisements,isolements, nombre des individus. — Action lente. — Extinction causée par la sélection naturelle!— Divergence des caractères dans ses rapportsavec la diversité des habitants d'un habitat limité et avecl'acclimatation. —Action de la sélection naturelle sur les descen- dants d'un type commun résultant de la divergence des caractères. — La sélectionnaturelle expliquélé groupementde tousles êtres"organisés;
les progrès de l'organisme ; la .persistance des formes inférieures; la convergence des caractères; la mulliplicatiou indéfinie des espèces. — Résumé
CHAPITRE V.
• DES LOIS DE LA VARIATION.
Effets du changement des conditions. — Usage et non-usage des parties
combinés avec la sélection naturelle ; organes du vol etde la vue.— Ac- climatation. — Variationscorrélatives. — Compensation et économie de croissance. — l-ausses corrélations.— Les organismes inférieurs multi-
ples et rudimentairessontvariables. —Les parties développées de façon extraordinaire sont très-variables; les caractères spécifiques sont'plus
variables que les caractères génériques; les caractères sexuels secon- daires sont très-variables. — Les espèces du même genre varient d'une manière analogue. — Retour à'des caractères depuis longtemps perdus,
— Résumé
, l/,4
; CHAPITRE VI.
DIFFICULTÉS DE LA THÉORIE.
Difficultés de lathéorie de la descendance avec modifications. — Manque ou rareté des variétés de transition.— Transitionsdans les habitudes de la vie. -*Habitudes différentes chez la même espèce. — Espèces ayant des habitudes entièrement différentesdo celles des espèces voisines. —
' Organe de perfection extrême. — Mode de transition. — Cas difficiles.
— Nalura non faeitsaltum. — Organes peu importants. —Les organes ne sont pas absolumentparfaits dans tous les cas. — La loi de l'unité de type et des conditions d'oxistenea est comprisedans lathéorie de la sé-
lection naturelle 181
CHAPITRE VIL
OBJECTIONS DIVERSES FAITES A LA THÉORIE DE LA SÉLECTION NATURELLE.
Longévité. —Les modifications ne sontpasnécessairementsimultanées.—
Modificationsne rendant en apparence aucun service direct, —Dévelop-
TABLE. vît"
-"
. Pages,
pement progressif."
— Constance piils grande des caractères ayant ,1a .""'.
moindre importance fonctionnelle. — Prétondue incompétencedé la se- ; leclion naturelle pour expliquer les phases premières de conformations -''
utiles. — Causes qui s'opposent a l'acquisition de structures utiles au
moyen de la sélection naturelle. — Degrés de conformations avec chan- gement de fonctions. — Organes très-différentschez lesinembres d'une même classe, provenantpar développementd'une, seule et même source.
— Raisons pour refuser de croire à des modifications considérables et
subites -.-.-
-;...'.
228CHAPITRE VIII.
-
: INSTINCT.
Les.instincts peuventse comparer aux habitudes, mais ils ont une origine
différente. — Gradation des instincts. —Fourmis et pucerons. — Varia-
bilité des instincts. — Instincts domestiques; leur origine. — Instincts naturels du coucou, de l'autruche, et :des abeilles parasites — Instinct esclavagiste des fourmis. — L'abeille ; son instinct constructeur. — Les changements d'instinct et de.conformation ne. sont pas nécessairement simultanés. — Difficultéde la théorie de la sélection naturelle appliquée
aux instincts. — Insectes neutres ou stériles;— Résumé .277
CHAPITRE IX.
IIYBRIDITÉ.
Distinction entre la stérilité despremiers croisementset celledeshybrides,-
— La stérilité est variable en degré, pas universelle, affectéepar la con- sanguinité rapprochée, supprimée par la domestication.
— Lois régis- sant la stérilité des hybrides.— La stérilité n'est pas une qualité spé- ciale, mais dépend d'autres différences et n'est pas accumulée par la sélection naturelle. — Causes de la stérilité des hybrides et dés pre-
miers croisements. — Parallélisme entre les effets des changements dans les conditions d'existenceet ceux du croisement. — Dimorphisme
et trimorphisme.coudants métis n'est— Lapas universelle.fécondité des variétés croisées— Hybrides etetmétis comparésde leurs des - ' indépendamment, de leur fécondité. — Résumé 31(j
CHAPITRE X.
INSUFFISANCEDES DOCUMENTS GÉOLOGIQUES.
De l'absence actuelle des variétés intermédiaires. — De la nature des variétés intermédiaires éteintes; de leur nombre. — Du laps.de temps écoulé, déduit d'après la somme dos déuudations et des dépôts. — Du laps de temps estimé en années. — Pauvreté de nos collections paléon-
lologiquos. — Intermittence des formations géologiques. — De la dé- nudation des surfaces granitiques. — Absence des variétés intermé- diaires dans une formation quelconque,— Apparition subite de groupes d'espèces. — De leur apparition'subite dans les couches fossilifèresles
plus anciennes. — Ancienneté de la terre habitable -35/|
CHAPITRE XI.
.
DE LA SUCCESSION GÉOLOGIQUE DES ÊTRES ORGANISÉS,
Apparition lente et successive des espèces nouvelles. — Leur différente vitesse'de'transformation. — Los espèces éteintes ' n'a reparaissent •
VIIIT TABLE.
plus. -— Les groupes d'espèces, au point de vue de leur apparition et de leur disparitiou, obéissent aux mêmes règles générales que les espèces isolées. —Extinction. — Changementssimultanés des formes organiques dans leJnoiide entier; —Affinités des espèces éteintes soit entre elles, soit avec les espèces vivantes. — Etat de développement des formes: anciennes. — Succession des mêmes types dans les mêmes
zones. — Résumé de ce chapitreet du chapitre précédent 889
CHAPITRE XII.
DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE.
Les différences dans les conditions physiques ne suffisent pas pour expli- quer la distribution géographiqueactuelle. — Importance des barrières.
—Affinitésentre les productionsd'un même continent.—Centres de créa- tion. — Dispersion provenant de modificationsdans le climat, dans le
niveau-dusol et d'autres moyens accidentels. — Dispersion pendant la
•.. période glaciaire. —Périodes glaciaires alternantes, dans l'hémisphère boréal et dans l'hémisphère austral.
. . . . .. '.
. 424
CHAPITRE XIII.
DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE (SUITE).
Distribution des productions d'eau douce. — Sur les habitants dos îles
- océaniques. — Absence de batraciens et de mammifères terrestres. — Sur les rapports entre les habitants des îles,et ceux du continentle plus voisin. — Sur la colonisation provenant de la source la plus rappro- chée avec modifications ultérieures. — Résumé de ce chapitre et du •
chapitre précédent, 461
• -
.
CHAPITRE XIV.
AFFINITÉS'MUTUELLES DES ÊTRES ORGANISÉS;. MORPHOLOGIE; EMBRYOLOGIE;
ORGANES RUDIMENTA1RES.
CLASSIFICATION;groupes subordonnés a d'autres groupes. — Système na-
turel. — Les règles et les difficultés de la classification, expliquées par la:théorie do la descendance avec modifications. — Classification des variétés.— Emploi de la généalogie dansla classification.— Caractères analogiquesou d'adaptation. — Affinités générales, complexes et diver- gentes. — L'extinction sépare et définit les groupes. — MORPHOLOGIE,
entre les membres d'une même classe et entre les parties d'un même individu. — EMBRYOLOGIE ; ses lois expliquées par des variations qui ne surgissent p&s a un âge précoce et qui sont héréditaires à un âge correspondant. — ORGANES RUDIMENTAIRES; explication de leur ori-
gine..— Résumé. 487
CHAPITRE XV.
RÉCAPITULATION ET CONCLUSIONS.
Récapitulationdes objections élevées contre la théorie de la sélection na- turelle. — Récapitulation des faits généraux cl. particuliers qui lui sont favorables. — Causes de la croyance générale à l'immutabilitédes espè- ces. — Jusqu'àquel pointon peut étendre la théorie de la sélection na- turelle. — Effets de son adoption sur l'étude de l'histoire naturelle.
Dernières remarques 543
GLOSSAIRElume.. des principaux termesscientifiques employésdansle présent vo-
, , 577
INDKX.
, ,
,,,...,
889NOTICE HISTORIQUE
PROGRÈS DE L'OPINION RELATIVE A L'ORIGINEDES ESPÈCES
AYANT LA PUBLICATION DE LA PREMIÈRE ÉDITION ANGLAISE
DU PRÉSENT OUVRAGE. ;."
Je me propose de passer brièvement en revue les progrès de
l'opinion relativementà l'origine des espèces. Jusque tout ré- cemment, la grande majorité des naturalistes croyait que le
espèces sont des productions immuables créées séparément.
De nombreux auteurs ont habilement soutenu cette hypothèse.
Quelques autres, au contraire, ont admis que les espèces éprou-
vent des modificationset que les formes actuelles de la vie des-
cendent de formes préexistantes par voie de génération régu-
lière. Si on laisse de côté les allusions qu'on trouve à cet égard dans les auteurs de l'antiquité1, Buffon fut le premier qui, dans
les temps modernes, ait traité ce sujet au point de vue essentiel- lement scientifique. Toutefois, comme ses opinions ont beaucoup
varié à différentes époques, et qu'il n'aborde ni les causes, ni les moyens de la transformationde l'espèce,il estinutile d'entrerici
dans plus de détails sur ses travaux.
Lamarck est le premier qui éveilla par ses conclusions une
1 Aristole, dans ses Physicoe Auscultaliones (lib. II, eap. vin, § 2), après avoir remarqué que la pluie ne tombe pas plus pour faire croîtrele blé, qu'elle ne tombe pour le gâter lorsque le fermier le bat en plein air, applique le même argument aux organismes et ajoute (M. Clair Grèce m'a le premier signalé ce passage) : « Qu'est-ce qui empêche les différentes parties (du corps) d'avoir dans la nature ces rapports purement accidentels7 Les dents, par exemple, croissent nécessairement tranchantes sur le devant delà bouche, pour diviser les aliments;
les molaires plates serventà mastiquer ; pourtantelles n'ont pas été faites dans
ce but, mais sont le résultat d'un accident. Il en est de même pour les autres parties qui paraissent adaptées à un but. Partout donc, toutes choses réunies
(c'est-à-dire l'ensembledes parties d'un tout) se sont constituées comme si elles avaient été faites pour quelque chose ; celles façonnées d'une manière appro-
priée par une spontanéité interne se sont conservées, taudis que, dans le cas contraire,elles ont péri et périssent encore. » On trouve là une ébauche des prin- cipes de la sélection naturelle; mais les observations sur la formation des dents indiquentcombien peu Aristole comprenait ces principes.
x NOTICE HISTORIQUE.
attention sérieuse sur ce sujet. Ce savant, justement célèbre, publia pour la première fois ses opinions en 4-801 ; il les déve- loppa considérablement, en 1809', dans sa Philosophie zoolo- gique, et subséquérnment, en 1815, dans l'introduction à son Histoire naturelle des Animaux sans vertèbres.Il soutint dans ces ouvrages la doctrine que toutes les espèces, l'homme compris, descendent d'autres espèces. Le premier il rendit cet éminent service à la science, qu'il attira l'attention sur la probabilité que
tout changement dans le monde organique, aussi bien que dans le monde.inorganique, est le résultat d'Une loi, et non daine
•intervention miraculeuse. La difficulté-de distinguer entre lés
espèces et les variétés, la gradation si parfaite jdes formes dans certains groupes, et l'analogie des productions domestiques, pa- raissent avoir conduitLamarck à ses conclusions sur les change-
•ments graduels des espèces. Quant aux moyens de modification,
il les1 chercha en partie dans l'action directe des conditions phy- siques de la vie, dans le croisement des formes déjà existantes, et surtout dans l'usage et le défaut d'usage, c'est-à-dire dans les
effets de l'habitude. C'est à cette dernière cause' qu'il"semblé
rattacher toutes les admirables adaptations de la nature,;telles que le long cou de la girafe, qui lui permet de brouter les feuilles
desarbres.il admet également une loi de développementpro- gressif; or, comme toutes les formes de la vie tendent ainsi au perfectionnement,il explique l'existence actuelle d'organismes très-simples par la génération spontanée1.
Geoffroy Saint-Hilaire, ainsi qu'on peut le voir dans l'histoire
* C'est à. l'excellente histoire d'Isidore Geoffroy Saint-Hilaire {Hisl. nat. gé-
nérale, 18S9, t. II, p. /|05) que j'ai emprunté la date de la première publication do Lamarck ; cet ouvrage contient aussi un résumé des conclusions de Buffon .sur le même sujet. Il est curieux; de voir combien le docteur Erasme Darwin, mon grand-père, dans sa Zoonomia (t. 1, p. S00-blO) publiée en 1794, a devancé Lamarck dans ses idées et ses erreurs. D'après Isidore Geoffroy, Goethe parta-
geait complètementles mêmes idées, comme le montre l'introduction dfmi ou- vrage écrit en 1794 et 179b, mais publié beaucoup plus tard. Il a remarqué
(Goe/fteals Naturforscher, parle docteur Karl Meding, p. 34) que la future ques- tion à traiter par les naturalistes sera, par exemple, comment le bétail a-t-il acquis ses cornes, etnon à quoi servent-elles" 11 y a là un cas assez singulier do
l'apparition à peu près simultanée d'opinions semblables, car il se trouve que
Goethe en Allemagne, le docteur Darwin en Angleterre, et Geoffroy Saint- Hilaire en France, arrivent, dans les années 1794-95, h la même conclusion sur
l'originedes espèces
. NOTICE HISTORIQUE. -xi
dé sa Vie, écrite par son fils, avait déjà, en 1795, soupçonné que
ce que nous appelons les espèces n'étaientque des déviations var riées d'un même type. Ce fut seulement en 1828 qu'il se déclara convaincu que; les mêmes formes ne se sont pas -perpétuées,de-
puis l'origine de toutes choses; il semble avoir regardé comme
la principale cause de toute transformation les conditions de la vie, ou le monde ambiant. Un peu timide dans ses conclusions,
il ne croyait pas que les espèces existantes fussent en voie de
•modification; et comme l'ajoute son fils : «C'est donc un prcn blême à réserver entièrement à l'avenir, supposé même que l'avenir doiveavoir prise sur lui. »
Ledocteur W.-G. Wells lut devant la Société royale,en.1-813,
un mémoire .sur une «femme blanche, dont la peau, dans cer- taines parties, ressemblait à celle d'un nègre» ; mémoire qui ne
fut publié qu'en 1818 avec ses fameux Two EssaijswponDew and Single Vision. Il reconnaît distinctement dans ce mémoire
le principe delà sélection naturelle, et c'est la première fois qu'il
a été publiquement soutenu ; mais il ne l'applique qu'aux races humaines, et à certains caractères seulement. Après avoir re- marqué que les nègres et les mulâtres échappent à certaines ma-?
ladies tropicales, il constate premièrement que tous les animaux tendent à varier dans une certaine mesure, et secondement,que les agriculteurs améliorent leurs animaux domestiques par la
sélection. Puis il ajoute que ce qui, dans ce dernier cas, est effec-
tué par «l'art paraît l'être également, mais plus lentement, par
la nature, pour la production des variétés humaines adaptées aux régions qu'elles habitent : ainsi, parmi les variétés accidentelles qui ont pu surgir chez les quelques habitants disséminés dans les parties centrales de l'Afrique, quelques-unes étaient sans
doute plus aptes que les autres à supporter les maladies du pays.
Cette race a dû, par conséquent, se multiplier, pendant que les autres dépérissaient, non-seulementparce qu'elles ne pouvaient résister aux maladies, mais aussi parce qu'il leur était impossible de lutter contre leurs vigoureux voisins. D'après mes remarques précédentes,il n'y a pas. à douterque cette race énergique ne fût une race brune. Or, la même tendance àlaformation de variétés persistant toujours, il a dû surgir, dans le cours des temps, des races de plus en plus noires; et la race la plus noire étant la
XU NOTICE HISTORIQUE.
plus propre à s'adapter au climat, elle a dû devenir -la race pré- pondérante,sinon la seule, dans le pays particulier où elle a pris naissance.» L'auteur étend ensuite ces mêmes.opinions aux habitants blancs des climats plus froids. Je dois remercier
M. Rowley, des Etats-Unis, d'avoir, par l'entremise de M. Brace,
appelé mon attention sur ce passage du mémoire du docteur
Wells.
L'honorable. et révérend W. Herbert, plus tard doyen de Man-
chester, écrivait dans le quatrième volume des Horticultural Transactions, en 1822, et dans son ouvrage sur les Amaryllida-
cées (1837, 19, 339), que «les expériences d'horticulture ont éta- bli^sans réfutation possible, que les espèces botaniques ne.sont qu'uneclasse supérieure de variétés plus permanentes»;-Il étend la même opinion aux animaux, et croit que des espèces uniques de chaquegenreont été créées dans un état primitiftrès-plastique.,,
et que ces types ont produit ultérieurement, principalement par entre-croisement et aussi par variation, toutes nos espèces exis-
tantes.
En. 1826,1e professeur Grant, dans le dernier paragraphede.
son mémoire bien connu sur les spongilles [Edinburgh Philos.
Journal, 1826, t. XIV, p. 283), déclare nettement qu'il croit que les espèces descendent d'autres espèces, et qu'elles se perfec- tionnent dans le cours des modifications qu'elles subissent. Il a appuyé sur cette même opinion dans sa cinquante-cinquième conférence, publiée en 1834 dans the Lancet.
En 1831, M. Patrick Matthew a publié un traité intitulé Naval
Tirnber and Arboricidture, dans lequel il émet exactement la même opinion que celle que M. Wallace et moi ayons exposée dans le Linnean Journal, et que je développe dans le présent ouvrage. Malheureusement, M. Matthew avait énoncé ses opi- nions très-brièvement et par passages disséminés dans un ap- pendice à un ouvrage traitant un sujet tout différent ; elles pas- sèrent donc inaperçues jusqu'à ce que M. Matthew lui-même ait attiré l'attention sur. elles dans le Gardener's Chronicle
(7 avril 1860). Les différences entre nos manières de voir n'ont
pas grande importance. Il semble croire que le monde a été presque dépeuplé à des périodes successives, puis repeuplé de nouveau ; il admet, à titre d'alternative, que de nouvelles formes