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Critique de la résilience pure

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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HAL Id: hal-00693162

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00693162

Preprint submitted on 2 May 2012

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Critique de la résilience pure

Samuel Rufat

To cite this version:

Samuel Rufat. Critique de la résilience pure. 2011. �hal-00693162�

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Critique de la résilience pure 

Samuel Rufat 

samuel.rufat@u‐cergy.fr  

« Some cities do better in the face of disaster than others. It is tempting to describe apparent  success in terms of resilience and apparent failure in terms of a shopping list of explanatory  variables. This is too simple. » Comfort et al. 2010a, p. 272 

La résilience fait le buzz au point de sembler devenir victime de son succès. A force d’être brandie,  brassée, bradée, elle devient une sorte de mot valise, sollicité à des fins très diverses. Elle est  d’ailleurs  souvent  rattachée  à  d’autres  notions  en  vogue  (durabilité,  gouvernance,  etc.)  qui  présentent une semblable plasticité (Aschan, 1998 ; Gallopin, 2006). La résilience a également à la  fois un contenu assez intuitif, une accroche, et une longue traine indécise qui permet à chacun d’y  retrouver les siens. Le foisonnement des sens de la résilience s’explique par les multiples transferts  transdisciplinaires, mais aussi par son investissement par des gestionnaires d’horizon très variés. 

Cette polysémie semble légitimer un flou sémantique et théorique. Au point que la résilience se  résume trop souvent à la promesse d’un horizon radieux.  

Le tournant du siècle est marqué par une série de graves crises environnementales, géopolitiques,  financières, économiques et sociales qui renvoient à la fois à un monde dominé par les incertitudes  et à des sociétés obsédées par la sécurité. La résilience semble être la réponse idéale à ces exigences  d’horizons rassurants, de repères au sein des contingences, de promesses face aux périls, de  persistance dans la variabilité. Pourtant, cette recette rêvée achoppe sur l’épreuve de l’opérationnel,  ce qui rend délicat le passage d’une intuition visionnaire à une solution pratique. La résilience ne  peut être une simple boite à outils : elle nécessite la prise en compte de la complexité croissante d’un  monde toujours plus interconnecté, où chaque action engendre des rétroactions à différentes  échelles, sur des territoires distants et dans des temporalités incertaines. C’est ce qui explique à la  fois les difficultés de définition et de formalisation : face à la complexité la résilience semble  condamnée à l’élasticité. Mais sa mise en avant à l’échelle internationale et sa mobilisation par des  acteurs d’horizon très variés se traduit par un surinvestissement : la résilience est sommée d’être à la  fois une réponse idéale (parfaite) et universelle (la même pour tous) dans des contextes toujours plus  complexes, ouverts, hétérogènes et incertains. 

La résilience n’est pas un concept consolidé, c’est une notion ouverte que les discours mobilisent  surtout pour rendre désirable l’image d’une ville résiliente. Il faut donc s’abstenir d’en parler comme  d’un concept, un concept « pur » ou un pur concept. C’est plus une intuition à la fois séduisante et  élastique, une notion qui est de plus en plus souvent mobilisée à la fois comme une promesse et  comme une menace. Mais alors il ne s’agit plus tout à fait d’une notion qui stimule la réflexion, c’est  une injonction qui endort la raison. Ce passage de l’intuition à l’injonction impose d’en interroger les  soubassements théoriques et politiques. Le délicat passage de la théorie à la pratique fait basculer la  résilience dans le politique, ce qui impose d’interroger les limites et les contradictions de certains  usages, de déplacer le débat vers l’analyse des discours portés sur la résilience, ainsi que les enjeux  de gouvernance. Pour la résilience, l’épreuve du politique, ce sont ses présupposés moraux et  idéologiques, les contrastes entre les discours tenus et les pratiques effectives, et le débat sur les  possibilités de transformer une sentence rétrospective en un outil prospectif, de faire de la résilience 

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un guide pour l’action. Les enjeux actuels de la résilience, qui sont à la croisée des discours, de la  politique, des usages et de la gouvernance, se cristallisent naturellement sur les villes et la résilience  urbaine, en particuliers dans les métropoles, qui sont de véritables vitrines de nos sociétés. Mais la  résilience passe difficilement l’épreuve d’un regard résolument critique. Elle pose problème parce  que toute promesse miroitante empêche de poser les bonnes questions et que toute injonction  porte en elle une menace. En suivant Saskia Sassen, c’est justement parce qu’il s’agit d’une idée qui  semble séduisante et puissante qu’il faut faire l’effort de l’interroger avec un regard critique : 

« I have come to understand that confronted with a powerful explanation my first step is to  wonder what it obscures. In a way, the more powerful the explanation the more difficult it is  to see what it obscures in the penumbra of its own light. » Sassen, à paraître. 

Cette approche critique montre d’une part que si l’on pousse la notion dans ses retranchements, la  résilience porte en elle les germes du darwinisme social, d’une relecture morale des catastrophes et  d’une essentialisation du risque et de la vulnérabilité. D’autre part, elle révèle que les discours de la  résilience sont facilement instrumentalisés pour disculper, justifier ou légitimer par la science tout et  de n’importe quoi, jusqu’à l’abjection. 

1. La résilience à l’épreuve des discours 

Les villes semblent faire preuve d’une prodigieuse résilience. Alors que les désastres urbains sont  innombrables, l’histoire ne compte finalement qu’une poignée de disparitions définitives (Vale et  Campanella, 2005), des exemples comme Angkor, Babylone ou Tikal qui périclitent dans un passé  lointain et sous des latitudes exotiques (Diamond, 2005). La résilience est devenue un nouveau label  urbain, mais toute résilience n’est pas bonne à prendre. D’abord parce que mettre tout le positif  dans la résilience en fait une prophétie autoréalisatrice, une ville n’étant alors résiliente que si elle  parvient à se débarrasser de tout ce qui est indésirable et à surmonter les crises, ensuite parce  qu’elle pousse à une réinterprétation des crises, des catastrophes et de leurs victimes, enfin parce  qu’elle est mobilisée comme un discours politique qui semble fermer le débat plutôt que l’ouvrir. Il  faut donc faire le choix résolu d’un regard critique, cesser de considérer la résilience comme un  concept « pur », pour en aborder les conséquences politiques et pratiques. 

1.1 La résilience comme nouveau label urbain 

La résilience est récemment devenue un nouveau label urbain sous l’impulsion des institutions  internationales. Après avoir dû affirmer leur caractère « durable », les métropoles doivent désormais  devenir  « résilientes »,  en  particulier  face  au  changement  climatique.  La  multiplication  des  catastrophes urbaines et le réchauffement climatique sont les apocalypses qui permettent aux  institutions internationales de sommer les villes de se préparer, de s’adapter, de se sauver. D’année  en année, le discours des institutions internationales s’est fait plus menaçant, mais les bilans des  catastrophes ont continué à s’alourdir. Elles ont alors récemment changé de discours, en passant de  l’eschatologie à l’espérance, mais aussi de méthode, en troquant le bâton contre la carotte. Plutôt  que d’enjoindre les villes à réduire leur vulnérabilité, les institutions internationales ont choisi  d’intégrer leurs recommandations à la compétition globale que se livrent les métropoles, en passant  par la labellisation de la résilience urbaine. Dans la compétition que se livrent les métropoles pour  attirer les capitaux, compétences et commandements, l’émulation, l’innovation et le marketing  territorial sont les clés du succès. Le renforcement de leur gravité territoriale, c’est‐à‐dire de leur rôle  de centre de gravité des territoires, passe par une image rendue attractive, la promotion de leur 

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qualité vie, de leur transformation en produit désirable à l’échelle internationale. La labellisation  d’une idée séduisante et à forte connotation environnementale, comme la résilience, est une façon  d’imposer ses thèmes dans la promotion d’une la qualité de vie qui est décisive pour attirer les  entreprises et les cadres. C’était une belle idée : transformer la gestion des risques en compétition  entre les métropoles pourrait être un puissant levier de changement. Mais les métropoles semblent  se livrer surtout à un concours de représentations où l’émulation porte plus sur les stratégies de  marketing que sur les réalisations territoriales. 

Les Nations Unies ont lancé en 2009 la campagne « Disaster Resilient City: My City is Getting Ready »  et les labels « Resilient City Champion » et « Resilient City Role Model » sanctionnant les bonnes  pratiques et les projets les plus prometteurs. De son côté, la Banque mondiale a proposé en 2009 le  programme « Climate Resilient Cities. A Primer on Reducing Vulnerabilities to Disasters » et dressé  des listes de bonnes pratiques avec le label « Climate Resilient City ». De même, l’Union européenne  a mise en place en 2011 le programme « Transitioning towards Urban Resilience And Sustainability »  en décernant le label « TURAS » à seize villes européennes. En France, le Ministère de l’Ecologie, du  Développement Durable, des Transports et du Logement a créé en 2011 le label « Gestion des  Risques Territoriaux – Pour un territoire résilient » en adoptant la norme internationale ISO 31 000. 

Sur cette lancée, les partenariats public‐privé et les centres de recherche et développement ou de  recherche appliquée se sont multipliés dans les pays développés pour capter les fonds désormais  disponibles sur cette thématique de résilience urbaine. Les listes de classement des villes résilientes,  de bons élèves ou de bonnes pratiques font souvent ressortir les mêmes villes du Nord, en particulier  les métropoles globales : Copenhague, Stockholm, Barcelone, Vancouver, et surtout Tokyo, New  York, Londres et Paris. 

Ainsi, la ville de New York, après le schéma directeur PlaNYC 2007‐2011, vient d’adopter le PlaNYC  2030 en se mettant à la résilience urbaine. Il vise à « accroitre la résilience des communautés aux  risques climatiques », selon la même terminologie que l’ONU, même si le plan prévoit surtout  l’amélioration des infrastructures, de planter des arbres, de faire repeindre les toits en blanc par des  volontaires et d’améliorer l’information sur les risques ainsi que la couverture par les assurances de  la  population.  C’est  aussi  le  cas  de  Londres,  qui  est  devenu  le  bon  élève  des  institutions  internationales en adoptant le London Resilience Partnership Delivery Plan: 2011‐2013. Il s’agit de  coordonner les actions du London Local Resilience Forum et du London Resilience Programme Board  en vue des JO de 2012, en mettant à jour les documents de gestion des risques et en faisant un effort  d’information de la population, tout en renforçant le financement des infrastructures du Thames  Gateway. Quand à la Ville de Paris, elle met également à jour ses documents de gestion et elle  soutient de nombreux projets de recherche appliquée sur la résilience urbaine. 

La résilience urbaine est donc devenue un label, une étiquette, un gage de qualité urbaine, avec la  certification des institutions internationales. Cette certification de la qualité de vie des métropoles a  permis de dégager d’importants financements et d’impliquer de nombreux partenaires, notamment  les consortiums de grandes entreprises, au travers de partenariats public‐privés. Ce nouveau label  urbain semble prendre acte de la multiplication des catastrophes urbaines et d’un certain échec des  approches par la vulnérabilité, même s’il ne met paradoxalement pas en cause les politiques  antérieures de gestion.  

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Le label de la résilience urbaine apparaît plus comme un changement de discours que comme un  changement de politique. En effet, la ville et l’urbain cristallisent un triple idéal de protection, de  rationalité et de maîtrise de l’environnement. Et les risques urbains en sciences humaines et sociales  ont été interprétés à travers deux prismes. D’un côté, on insiste sur la production du risque par les  organismes urbains : les risques sont présentés comme une « production sociale » (Blaikie et al.,  1994), un révélateur des dysfonctionnements des systèmes urbains (Chaline et al., 1994 ; D’Ercole et. 

al., 1994). Les mégapoles (megacities) ont ainsi été qualifiées de « creusets du risque » du fait des  interactions entre croissance urbaine, aléas et vulnérabilité (Mitchell, 1999). De l’autre, le risque est  pensé comme un artefact au cœur de la modernité, un « construit social », qui permet aux individus  de transformer les dangers et les incertitudes en prévision pour guider leurs actions (Beck, 1986 ;  Giddens, 1990).  

Ces analyses ont apporté une interprétation plus endogène des risques urbains mais elles conduisent  à un double paradoxe : la construction du risque masque et entretient la production du risque  (fig. 1). Les villes apparaissent à la fois comme les espaces du plus fort risque et les lieux de  concentration de tous les services de réponse rapide aux crises. Mais le besoin de sécurité et de  prédiction afin de guider l’action finit par être à l’origine d’une surévaluation des risques et d’une  généralisation de l’incertitude. Le prévisible recule, comme un horizon, à mesure qu’on essaye de  s’en approcher,  parce  le  nombre  de facteur  à  prendre  en compte croît  avec le  niveau  de  connaissances, mais surtout avec l’augmentation des capacités de stockage et de traitement des  données. Les acteurs sont obligés de penser leur action à partir d’un savoir qu’ils savent incomplet,  mais la multiplication des bases de données sur les territoires urbains débouche vraisemblablement  sur une surévaluation des catastrophes urbaines. L’articulation entre production et construction du  risque relève ainsi de la « contre productivité » urbaine, telle que l’entend Ivan Illich (1973) : celle‐ci  rend  par exemple captifs  les habitants les  plus démunis des métropoles,  en  renforçant leur  vulnérabilité au lieu de leur offrir la protection à laquelle ils aspirent. Ces apparentes contradictions  sont des effets pervers qui restent masqués, parce que fins et moyens se télescopent. Cette « contre  productivité » des métropoles s’opposerait à l’horizon actuel de durabilité urbaine qui doit les  débarrasser des effets pervers, en mettant la production de la ville au service des habitants et de  l’environnement. En fait, la récente labellisation de la résilience urbaine suggère que les métropoles  offrent des avantages en contrepartie du risque. Mais si l’on pousse jusqu’au au bout la logique de la  résilience, on s’aperçoit que pour être résilient, il faut avoir subi la crise. La résilience suppose une  fragilité intrinsèque et demande d’admettre cette fragilité. D’où les interrogations croissantes  concernant l’utilisation de ce concept dans un paradigme actuel de gestion qui continue de viser  avant tout la réduction des risques et de la vulnérabilité. 

1.2 De l’écosystème à l’économie urbaine 

Ces interrogations sont inévitables parce que les notions englobantes comme la résilience peuvent  devenir rapidement contreproductives. Il est toujours tentant de se saisir d’une idée séduisante et  d’élargir son champ d’application, de la faire passer d’une discipline à une autre, de tester son  potentiel heuristique jusqu’à l’épuisement. La résilience est une notion issue des travaux en physique  et en écologie puis des préoccupations sur le climat. En écologie, la résilience mesure la capacité d’un  écosystème à maintenir son intégrité et à revenir à l’équilibre lorsqu’il est soumis à une perturbation  (Holling 1973). Mais les idées « d’état originel » et de « retour à l’état d’équilibre » ont été critiquées,  parce qu’elles ne permettent pas de distinguer résilience, résistance et inertie (Aschan 1998). Ces 

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problèmes sont ensuite redoublés par les difficultés à établir des critères pertinents d’analyse de la  résilience et à la rendre opératoire pour la gestion du risque (Dauphiné et al. 2007).  

Le transfert de la résilience en sciences sociales ne s’accompagne pas toujours d’un socle théorique  solide (Klein et al., 2003). Et il est souvent difficile d’éviter les discordes. Parce que les cadres de  l’écologie ne peuvent pas être directement appliqués aux sociétés : les sociétés ne sont tout  simplement pas des écosystèmes. Mêmes les économistes ont fini par reconnaître que les villes ne se  comportent pas toujours comme des écosystèmes : leur métabolisme suit bien les mêmes lois de  puissance que tous les organismes biologiques, mais ce n’est pas du tout le cas des relations sociales  et en particulier de l’innovation qui est au cœur de l’évolution urbaine (Glaeser, 2011). En parlant de  résilience urbaine, il convient donc de rappeler une évidence : les sociétés ne sont ni des métaux qui  supportent des déformations sans un mot, ni des écosystèmes dont on peut mesurer l’entropie et la  réaction aux stimuli en ignorant les choix politiques et les conséquences sociales. 

L’élargissement rapide du champ d’application de la résilience et les discordes afférentes ont  alimenté polysémie et cacophonie. Ainsi, lorsque les plus démunis sont les premiers à revenir  s’installer  dans  les  quartiers  sinistrés  après une  catastrophe,  certains  l’analysent  comme  un  révélateur de  leur  résilience,  d’autres  de  leur vulnérabilité, d’autres  de  l’inertie du système  métropolitain ou bien de la captivité de ces populations, sans que ces catégories ne correspondent  forcément à leur vécu. Ce foisonnement du sens est d’autant plus équivoque qu’une partie des  concepts relève du constat, comme la crise ou la vulnérabilité, et une autre du projet, de l’horizon  d’attente ou d’action, comme la résilience, qui se rattache plus aux questionnements sur la ville  durable. Selon les corpus, la résilience fait référence à des notions connexes : résistance, capacité à  faire face, capacité d’adaptation, capacité de réponse, retour à l’équilibre, absorption du choc  (système),  reconstruction  (bâtiments),  reconstruction  (politique  et  sociale),  reconstruction  (symbolique), bifurcation, auto‐organisation, transition, trajectoire, durabilité, pérennité, etc. Le  passage de la théorie à la pratique conduit à une altération de la notion, chacun tirant la résilience  dans son sens pour l’adapter à son objet, à ses problématiques, mais aussi à ses catégories.  

Une solution de facilité est de faire de la résilience l’inverse de la vulnérabilité. La résilience pourrait  alors apparaître comme une simple façon de rebaptiser la capacité d’adaptation. A partir de la notion  d’adaptation, la vulnérabilité et la résilience sont des idées qui ont émergé puis ont été formalisées  presque en même temps (Burton et al. 1978, Theys et Fabiani 1987), mais elles se sont ensuite  succédées sur le devant de la scène. En 1994, lors de la Conférence de Yokohama, l’ONU a adopté la  vulnérabilité comme concept clé, puis en 2005, la Conférence de Hyogo a mis en avant la notion de  résilience. Car puisqu’il ne semble désormais plus possible d’éviter les catastrophes, il faut s’y  adapter : c’est ce que semble vouloir dire la résilience.  

Or, un regard rétrospectif sur les travaux sur les risques montre que les notions se succèdent à  mesure l’on rencontre des obstacles pour les rendre opérationnel. Ainsi, la géographie des risques a  longtemps donné la priorité à l’aléa et aux dangers (Morel et al. 2006). Puis face à l’incapacité des  sciences et techniques à éradiquer les menaces, la capacité d’adaptation des sociétés a été mise en  avant (Burton et al. 1978). Les géographes américains ont ensuite mobilisé la vulnérabilité pour 

« dénaturaliser » les catastrophes (Wisner et al. 1976). Mais pour éviter une lecture trop passive du  rôle des sociétés, ils ont ensuite utilisé la résilience comme la capacité à surmonter une crise et à s’y  adapter (Burton 1983). La vulnérabilité apparaît être plutôt du côté de la production du risque, du  niveau collectif et de l’amont des crises, alors que la résilience semble plus du côté de la construction 

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du risque, du niveau individuel et de l’aval des crises, sur des temporalités plus longues. Tout comme  la reconstruction et l’adaptation, la résilience permettrait de retrouver un regard plus positif que la  vulnérabilité (Folke, 2006). Mais alors que la vulnérabilité était liée à des approches critiques, en  révélant les liens entre catastrophes, pauvreté et développement (Hewitt 1983), la résilience offre au  contraire un projet consensuel et intégrateur (Lallau 2011). Toutefois, ces notions sont surtout  efficaces pour mener des études a posteriori. Il est difficile de les rendre opérationnelles et elles  semblent nous condamner à attendre que les catastrophes surviennent pour faire progresser la  science. 

Ce passage d’une notion à une autre du fait des difficultés à le formaliser semble donc relever de la  fuite en avant. Alors que la vulnérabilité est une propriété indépendante des aléas et des crises et  qu’elle peut être étudiée dans une logique de prévention des catastrophes, la résilience nécessite  une référence à une crise, à un choc. Dans un premier temps les sociétés sont affectées, voire  désorganisées, par un événement qui dépasse leurs capacités de réponse. Ce n’est que dans un  second temps que la crise révèle les éventuelles capacités d’apprentissage et la résilience des  sociétés. Les métropoles peuvent donc être à  la  fois vulnérables à un  choc et par la suite  parfaitement résilientes. C’est même parce qu’une société ou un territoire est vulnérable qu’il va  subir des crises et qu’il se trouvera éventuellement en situation de s’adapter et de tirer les leçons de  la catastrophe. Face à ces difficultés, certains chercheurs jugent la résilience trop vague pour être  utilisée dans une démarche de réduction des risques (Manyena, 2006). 

L’économie urbaine est dotée d’acteurs et d’instituions qui reposent sur des valeurs, à la différence  des écosystèmes. Elle est animée par des individus et des groupes qui sont capables de développer  une approche réflexive de leur situation et de leurs actions (Folke et al., 2009). De ce fait, les notions  de « bond en arrière », de « retour à l’équilibre » ou de « réorganisation après une perturbation »  que la résilience a héritées de la physique et de l’écologie dépendent, dans le cas de la résilience  urbaine, de l’organisation sociale initiale et surtout du point de vue des acteurs (Duita et al., 2010). 

En fait, la résilience renvoie implicitement à des questions normatives, ce qu’une « bonne » ville, une 

« bonne » société, de « bons » habitants doivent être. La résilience urbaine est donc d’abord un  discours, et c’est un discours politique. 

1.3 La résilience comme discours politique 

Le discours de la résilience  impose une « bonne » ville qui doit être pérennisée  face à une 

« mauvaise » ville qu’il faudrait corriger en saisissant l’opportunité des catastrophes urbaines. Ce  discours a été un puissant moteur de la reconstruction de Chicago après l’incendie de 1871, même si  le terme n’est pas employé à l’époque. Le centre ville a été entièrement rasé, mais après la  catastrophe le « parti ignifugé » renverse le maire sortant en promettant de reconstruire une ville  invulnérable, de faire de Chicago un phénix se relevant de ses cendres. La ville semble sortir plus  forte de l’incendie, et la catastrophe n’a pas infléchit la courbe de croissance de la population. 

Chicago a su attirer des capitaux de tous les Etats‐Unis et les a investi dans les premiers gratte‐ciels. 

Les entrepreneurs ont transformé la catastrophe en opportunité, du fait de la libération du foncier au  centre de la métropole, et d’un discours volontariste de renaissance et de modernité qui culmine  avec l’organisation de l’Exposition universelle de 1886. A Chicago, la résilience a donc à la fois une  dimension d’instrumentalisation politique, de marketing territorial et de reconstruction a posteriori  (Harter, 2004). On retrouve les mêmes éléments jusqu’à nos jours, même si la résilience est utilisée  tour à tour comme une propriété des villes ou comme un processus dynamique de transformation. A  La Nouvelle‐Orléans, après Katrina en 2005, il ne s’agit plus de renaissance urbaine, c’est‐à‐dire de la 

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résilience comme propriété, mais de tirer parti de la résilience urbaine comme processus de  mutation, c’est‐à‐dire comme opportunité d’imposer une transformation parfois radicale.   Après  Katrina, les élus et les entrepreneurs ont une nouvelle fois mobilisé le discours de la résilience pour  présenter la catastrophe comme une opportunité : 

« I think we have a clean sheet to start again. And with that clean sheet we have some very  big opportunities (…) Most New Orleans schools are in ruins. This is a tragedy. It is also an  opportunity to radically reform the educational system and to convert public schools into  charter schools (…) We finally cleaned up public housing in New Orleans. We couldn’t do it,  but God did it. » cités par Klein, 2008, p. 4‐5 

Dans les faits, il s’est surtout agi de profiter de la reconstruction de La Nouvelle‐Orléans pour faire  circuler les capitaux disponibles, trouver de nouveaux débouchés et obtenir des retours rapides sur  investissement. Cet afflux de capitaux  s’est traduit par une transformation radicale de la métropole,  en passant par le démantèlement des logements sociaux et des services publics. La Nouvelle‐Orléans  est ainsi passée d’une ville de locataires pauvres à une ville de propriétaires aisés, d’un tissu dense  d’écoles et d’hôpitaux publics à des institutions privées, etc. (Hernandez, 2010). Les entrepreneurs  ont reconstruit une « bonne » ville blanche, riche et dérégulée par‐dessus la « mauvaise » ville noire,  pauvre et sous perfusion des autorités fédérales. Et le discours de la résilience a également permis de  dédouaner les élus et les entrepreneurs des responsabilités tant de la catastrophe que du choix de  cette transformation radicale (Davis, 2006b).  

La résilience est une notion tellement ouverte qu’elle est à la fois entendue comme un processus,  pour acter a posteriori le fait qu’une ville a su se maintenir malgré un choc, et comme une propriété  intrinsèque, une capacité qui se manifeste au moment du choc mais qui est déjà présente a priori  dans le fonctionnement urbain. Cependant, que l’on adopte la perspective diachronique ou bien  analytique de la résilience, elle est toujours dite par un tiers. Il est donc essentiel d’établir des  critères pour dire la résilience. Cela nécessite un accord sur le degré de transformations qui permet  de parler de résilience : certains parlent de stabilité, de maintien ou de retour à l’équilibre, d’autres  le conçoivent en termes de bifurcation et de mutations, pour d’autres enfin la résilience est une  adaptation différentielle de certains éléments autour de la persistance d’un noyau invariant.  

Au‐delà de son contenu immédiat proche de l’adaptation et de la reconstruction, chaque auteur,  chaque acteur, tire la résilience dans son sens, en fonction de sa culture, de ses soutiens et de son  agenda. Il faut donc interroger le moment où l’on dit la résilience et le sujet qui la désigne. Mettre en  scène le plus rapidement possible le succès de la reconstruction est un acte politique fort, qui permet  de magnifier la ville et ses dirigeants. Au contraire, ne pas dire la résilience peut permettre à un  pouvoir de maintenir des situations d’exceptions, de désigner des coupables ou de solliciter des  aides. En fait, que la résilience soit nommée a posteriori, comme le constat administratif ou  scientifique d’un processus, ou bien formulée a priori comme le projet d’améliorer certaines  propriétés d’une métropole, c’est d’abord un discours politique. Il est donc crucial de savoir si le  discours de la résilience est formulé autour d’un projet collectif choisi démocratiquement, ou bien si  la résilience est la recommandation d’institutions qui, de façon plus ou moins explicite, incitative ou  coercitive, l’imposent aux sociétés et aux individus. 

Même en écartant de la notion de résilience toute idée de retour en arrière ou de retour à l’état  initial, il reste une conception de sortie de crise par un retour à la normale. De ce fait, les discours de 

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résilience ont une forte charge normative et politique : affirmer qu’on est revenu à un état 

« normal » suppose implicitement de définir ce qu’est une ville normale. Derrière la résilience, ce  sont d’abord les choix politiques du fonctionnement urbain qui sont en jeu. Le problème de la  résilience n’est pas tant d’être une nouvelle utopie urbaine, la promesse vague de lendemains qui  chantent, c’est d’être une mise en récit incantatoire de l’après catastrophe qui impose implicitement  une conception de la ville. Ce grand écart entre d’un côté un flou sémantique et de l’autre des  discours normatifs fait penser qu’il y a un sérieux risque à l’utilisation de cette notion. La résilience  possède donc un côté obscur, en grande partie masqué par sa promesse récursive d’horizon radieux. 

2. Le côté obscur de la résilience 

Lors de l’Assemblée annuelle 2012 de l’Association des Géographes Américains, de nombreuses  sessions ont été organisées à New York sur la résilience, devant plus de 8 500 personnes venant du  monde entier et le constat a été unanime : il faut se mettre à parler de résilience « parce que ça vend  bien ». Il y a peut‐être là une occasion à saisir, mais encore faut‐il savoir ce que l’on vend quand on  parle de résilience. En l’absence de convergence vers une définition stable et des critères partagés, la  notion de résilience n’est pas neutre. Il semble donc impératif de prendre le temps de s’interroger  sur ce que véhicule ce terme en vogue et la raison de l’afflux de financements que son engouement a  généré. Garder tout le positif pour la résilience et mettre tout le négatif sous la vulnérabilité, c’est  une façon un peu rapide de promettre des lendemains qui chantent. Mais de quoi ces discours  détourent‐ils l’attention ? De quoi les promesses de la résilience nous aveuglent‐elles ? 

2.1 Injonction de résilience et darwinisme social 

Tout comme le développement durable, si la résilience est forcément « bonne », elle une injonction  et non une notion qui stimule la réflexion. En essayant de démarquer la résilience urbaine de la  vulnérabilité du système urbain, on est souvent conduit à une logique binaire : mettre tout le positif  dans la résilience et garder tout le négatif pour la vulnérabilité, qui est alors réduite à l’idée de  fragilité (Cutter, 2006). La résilience urbaine apparaît dès lors à la fois comme un horizon d’attente,  une nouvelle utopie urbaine, et comme une mise en récit incantatoire de l’après catastrophe (Lallau,  2011). Mais elle ne peut être validée qu’a posteriori, comme une réinterprétation du vécu des  différents acteurs. Il s’agit donc à la fois d’une catégorie d’interprétation et d’une légitimation par  l’expertise de choix qui visent à imposer la « bonne » ville à ses habitants en brandissant la menace  des catastrophes. C’est aussi une formidable opportunité pour des acteurs politiques de légitimer  leurs choix par l’expertise, ainsi que pour les ingénieurs d’habiller leurs solutions techniques de  l’image rendue désirable d’une ville à la fois résiliente et durable. 

Pourtant, la résilience n’a pas résolu les problèmes sur lesquels ont buté les concepts qu’elle a  supplanté dans la gestion des risques. La capacité d’adaptation et la vulnérabilité ont achoppé sur  des  écueils  méthodologiques  lorsqu’on  a  essayé  d’en  dégager  les  leviers  pour  les  rendre  opérationnels.  Ces  concepts  ont  été  tiraillés  entre  une  approche  analytique  qui  réduit  leur  complexité sans parvenir à en embrasser l’ensemble des facteurs et une approche synthétique qui  les  condamne  aux  analyses  posteriori.  Mais  c’est  aussi  le  cas  de  la  résilience.  Et  il  est  particulièrement surprenant qu’elle échoue sur les mêmes écueils. Ce qui semble bien confirmer que  la mise en avant de la résilience a des fondements bien plus politiques que scientifiques. 

Ainsi, la formule « il n’existe pas de risque zéro » peut être transposée à la vulnérabilité, mais aussi à  la résilience. En effet, il n’existe pas de société, de ville ou de territoire invulnérable. Par ailleurs, la  focalisation  sur  les  cycles  destruction/reconstruction  fait  apparaître  toutes  les  villes  comme 

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résilientes. Mais une métropole peut paraître vulnérable puis se révéler résiliente après une crise. 

Ces oppositions binaires empêchent donc d’interroger la vulnérabilité et la résilience dans leurs  temporalités manifestement différentes. En effet, la résilience suppose, dans une première étape,  que les tissus urbains soient affectés, que les habitants soient meurtris, que les métropoles perdent  quelque chose. Mais que perd‐t‐on dans la résilience ? Et pourquoi on n’en parle jamais ? 

La mise en avant de la résilience ne correspond pas forcément au passage d’une approche négative à  une  approche positive. La vulnérabilité, qu’il s’agit toujours de réduire, intègre la résistance,  l’absorption du choc et l’adaptation. Elle ne suppose pas la passivité des sociétés, mais elle implique  des approches centrées sur la production du risque, puisqu’il s’agit d’analyser les choix et les  dysfonctionnements qui conduisent aux crises. En présupposant que les sociétés les plus vulnérables  doivent être aidées pour mieux faire face aux crises, la vulnérabilité correspondait bien aux politiques  des institutions internationales. De son côté, la résilience ne suppose pas une résistance active des  sociétés mais au contraire leur fragilité. Elle semble présupposer que les plus fragiles, les moins  adaptés ou les plus démunis, en un mot les plus vulnérables, doivent disparaître au cours d’une crise  pour que les autres puissent en tirer les leçons et chercher à s’adapter. La résilience porte donc en  elle les germes du darwinisme social. 

C’est exactement ce qui est en train de se passer au Japon. Après la catastrophe de la centrale  nucléaire de Fukushima en mars 2011, l’exploitant Tepco s’est adressé à des sous‐traitants pour  refroidir les réacteurs en cours de fusion puis pour « liquider » le site de la centrale. Ces sous‐

traitants se sont alors tournés vers les Yakuzas, les mafias japonaises, qui ont recruté les personnes  les plus vulnérables et les moins conscientes de la radioactivité, des chômeurs, des SDF, des obligés  surendettés, etc. Ce sont donc les plus vulnérables qui sont été sacrifiés au cœur de la zone  d’exclusion irradiée. Pour stabiliser la situation, en allant jusqu’au cœur des réacteurs qui ont fondu,  puis pour chercher les corps, déblayer les décombres et entamer une éventuelle reconstruction, on  leur a fait recevoir en une heure la dose annuelle maximale de radioactivité établie à l’échelle  internationale (Suzuki, 2011). Tout se passe comme si en pratique le sacrifice des plus vulnérables  était une façon de leur trouver (enfin diront peut‐être certains) une utilité sociale en assurant la  survie et éventuellement l’adaptation du reste de la société. Mais encore une fois, une société n’est  pas un écosystème. 

Le glissement récent dans les discours de la vulnérabilité à la résilience laisse alors entrevoir un  changement radical d’approche de la gestion du risque : à une vulnérabilité des sociétés, qui est  largement subie par les plus démunis mais qui peut être anticipée et réduite par des dispositifs d’aide  reposant sur la solidarité collective et l’implication des États, s’oppose une résilience souhaitée, mais  qui n’est  validée que  rétrospectivement  et  qui inscrit l’adaptation  à l’échelle  individuelle.  La  résilience devient ainsi une injonction et un mode de gouvernement : adaptez‐vous ou périssez !  En fait, l’ONU, l’OTAN, l’Union européenne et diverses organisations régionales ont développé dès le  tournant  des  années  1980  et  1990  un  modèle  de  responsabilité  fondé  sur  les  défaillances  individuelles (Revet, 2009a). Au cours de cette périodes, ces acteurs ont développé un arsenal de  programmes, de normes ou de guides qui indiquent comment « bien » affronter une catastrophe et  surtout comment s’y préparer pour en diminuer les conséquences. Ces programmes ont mis en avant  le manque de « perception » des risques, l’absence de respect de l’environnement, une attitude 

« non citoyenne » qui expliquerait les constructions dans des zones dangereuses ainsi que sur les  aspects « pathologiques » des comportements sociaux. Le discours des agences change une première 

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fois avec l’introduction de la vulnérabilité dans les années 1990.  Il s’agit alors d’identifier un public  cible des programmes d’aide, la vulnérabilité désignant tout à la fois des caractéristiques physiques  et sociales qui appellent un devoir de prise en charge. Loin des grandes problématiques structurelles  de développement, qui nourrissait la pensée des chercheurs qui ont   promu la vulnérabilité, on  insiste sur la défaillance individuelle des populations. On glisse alors des causes et des facteurs aux  individus avec l’émergence de la figure de la victime pure, incapable de se remettre seule de la crise  qu’elle vient de subir (Revet, 2009b). 

Mais,  face  aux  restrictions  budgétaires  et  à  l’augmentation  du  coût  des  catastrophes,  ces  programmes ont été accusés d’induire la passivité des personnes. Les organisations ont alors  introduit les notions de participation, de communautés et de capacité des personnes à faire face aux  crises et elles sont revenues à un modèle de responsabilité qui met l’accent sur l’implication des  individus dans le processus qui conduit à la résilience (Ambrosetti et al., 2009). C’est la notion  d’adaptation qui est par la suite consacrée en 2004 avec la publication du rapport Living with Risk de  l’ONU : l’injonction d’adaptation y est formulée pour faire face au changement climatique. La notion  de résilience est ensuite mise en avant comme une stratégie plus souple que la prévention : en 2007,  168 pays adoptent à l’ONU le Cadre d’action de Hyogo, « building the resilience of nations and  communities to disasters ». Enfin, le programme Making Cities Resilient, lancé par l’ONU en 2009,  repose sur les infrastructures, les partenariats public‐privé pour développer des solutions techniques,  la formation et la responsabilisation des populations. Les communautés locales sont enjointes à se  prendre elles‐mêmes en main sous peine de disparaître. L’entrée à l’échelle de la « communauté » et  la responsabilisation des acteurs débouche sur la mise en accusation de ce qui ne correspond pas aux 

« bonnes » pratiques. Il s’agit d’une nouvelle lecture des catastrophes qui permet de stigmatiser les  plus démunis, qui ne sont plus considérés comme des victimes, mais comme des acteurs qui doivent  s’informer, se motiver et s’organiser pour agir. Ces discours d’injonction de résilience pourraient  conduire à imposer une responsabilité individuelle des personnes affectées par les crises, quelles que  soient les interactions négatives de leur milieu social, de leur environnement, ou les bénéfices de la  crise pour le reste de la société.  

2.2 Le retour de la lecture morale des catastrophes 

La mise en avant de la résilience marque aussi la résurgence du discours moralisant, avec des  critiques très acerbes à l’encontre des villes et des acteurs qui ne se conforment pas au modèle  dominant. La résilience entendue comme propriété urbaine permet de postuler une sorte de  téléologie de la résilience, qui fait que les villes sont par essence résilientes, et justifie une forme de  désengagement des acteurs traditionnels de la gestion. La résilience comprise comme un processus  conduit à imposer l’adaptation. A l’échelle individuelle, cette injonction véhicule le darwinisme social. 

Le passage de la vulnérabilité à la résilience traduit alors un changement de stratégie politique : on  passe d’une prévention centralisée à la mise en exergue du local, du rôle des communautés et de la  responsabilisation des individus. Et à l’échelle collective, on assiste à un renouveau des lectures  morales des crises et des catastrophes, en passant de l’héroïsation de certains acteurs, de certaines  villes, à la mise en accusation de ce qui ne correspond pas aux « bonnes » pratiques. Cette lecture  des catastrophes permet en effet de stigmatiser ceux qui ne participent pas au processus de  résilience, sans pour autant rechercher les causes de la passivité. La catastrophe peut alors être  présentée  de  façon  téléologique  comme  l’occasion  d’une  « nécessaire »  purification  de  la 

« mauvaise »  ville  (vulnérable)  pour  que  puisse  émerger  la  bonne  ville  (résiliente)  après  la  catastrophe. Ces mécanismes ont été observés bien avant l’introduction de la résilience dans le 

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champ du discours et des pratiques, mais la résilience a remis à la mode l’idée d’un fonctionnement 

« normal » des villes et des métropoles. 

La vogue de la résilience nous propose donc tout simplement un retour au XVIIIème siècle et à la  conception  des  catastrophes  comme  « punition  divine ».  En  mobilisant  un  horizon  d’attente  désirable par tous, la résilience permet d’imposer des choix, la « bonne » ville, les « bons » citoyens,  les « bons pauvres », les « bons » retours en arrière, etc. La résilience s’inscrit ainsi dans une lecture  à la fois morale et téléologique des catastrophes, avec une approche linéaire du temps, tendant vers  le progrès ou l’adaptation des sociétés, à l’opposé du temps cyclique des périodes de retour des  crises et des catastrophes. C’est ce qui empêche de voir que les processus de résilience peuvent  également conduire au maintien de situations préjudiciables ou au redéploiement de processus  contreproductifs. Cette approche linéaire explique l’insistance des programmes internationaux sur  une injonction à l’adaptation. Et cette dimension morale s’accompagne d’une transformation des  personnes auxquelles ils s’adressent, ce ne sont plus des victimes mais des acteurs. 

Les campagnes de l’ONU révèlent un changement de discours : l’iconographie est passée de la figure  de la vulnérabilité dans les brochures de l’ISDR jusqu’en 2005, avec une femme noire en détresse,  seule ou avec un enfant dans les bras, à la figure de la résilience à partir de Towards resilient cities,  des hommes musclés, souriants, en train de reconstruire un dispensaire ou d’ériger une digue. Ces  discours sont désormais très loin de la lecture radicale des années 1970 qui avait introduit la notion  de  vulnérabilité  dans  les programmes internationaux  pour  dénoncer les causes  économiques  structurelles des catastrophes. Désormais, et on est également loin des objectifs du millénaire, il  s’agit de glorifier les héros qui se relèvent (si possible seuls) après les catastrophes.  À l’échelle de la  ville, on observe la même d’héroïsation : on met en « vitrine » des villes modèles, les bonnes  pratiques, et les dirigeants locaux champions de la résilience, etc.  

Les politiques de gestion considèrent les victimes comme des citoyens frappés individuellement par  des aléas et des malheurs que la collectivité prend en charge au nom de la raison humanitaire. Ils  sont sommés de prendre part à leur réhabilitation morale et sociale et de s’investir dans les actions  menées pour les aider en activant leurs propres ressources. Ce mode de gouvernement des plus  vulnérables s’appuie sur la règle ancienne selon laquelle une compensation est attendue du citoyen  contre l’assistance qu’il reçoit. Il a le devoir moral ou civique de rendre ce que l’État lui donne sous la  forme qu’on lui impose, prouvant ainsi sa volonté de s’en sortir (Thomas, 2010). L’injonction à la  résilience pourrait alors s’analyser comme une nouvelle façon de gouverner les vulnérables. 

Les conséquences de cette injonction peuvent aussi se retrouver à l’échelle internationale comme le  montre l’exemple d’Haïti après le séisme de janvier 2010 (Comfort et al., 2010b). L’espace public a  été saturé par des images comme celle des habitants de Port‐au‐Prince, retournant prier dans leurs  églises en ruines entourées de cadavres ou la force de caractère de la fillette qui avait perdu toute sa  famille et ses jambes, tandis que d’autres insistaient sur la fatalité qui condamnait les Haïtiens à se  résigner au chaos (Huttes, 2011). C’est donc le discours de la résilience qui a été mobilisée et non les  analyses de Jared Diamond qui avait montré que les puissances coloniales ont entretenu depuis près  de deux siècles l’isolement et la vulnérabilité de la société haïtienne (Diamond, 2005). La catastrophe  de Port‐au‐Prince n’est pas à rechercher dans les « propriétés » des Haïtiens mais dans le sous‐

développement de l’île, ce que le discours  de la résilience tend à faire oublier. 

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2.3 There is no alternative 

La résilience est donc toxique parce que si on pousse la notion dans ses retranchements, elle porte  en  elle les germes du darwinisme social,  d’une  relecture morale des catastrophes  et d’une  essentialisation de la vulnérabilité, à rebours des approches critiques qui ont fondé la solidarité et  l’aide  internationale.  Ces  implications  analytiques  de  la  résilience  ouvrent  des  possibilités  effrayantes, mais cela ne veut pas dire que tous les acteurs la mobilisent volontairement pour  disculper, justifier ou légitimer les discours les plus hypocrites et les choix les plus égoïstes. En  revanche, la résilience est nocive parce que son élasticité favorise une instrumentalisation de la  notion. Les discours de la résilience permettent à certains acteurs de balayer toute alternative en  oscillant entre la menace des cataclysmes et la promesse d’un avenir radieux. There is no alternative :  comme à l’époque de Tatcher et de Reagan, certains acteurs politiques, économiques et financiers  semblent chercher à imposer un programme en refusant de débattre des choix critiques pour les  sociétés. Comme dans les années 1980, cette naturalisation des choix et cet escamotage des débats  conduit à nouveau aux recettes néolibérales, aux solutions des experts, des comptables et des  ingénieurs. Mais à présent, les partisans des doctrines néolibérales et des solutions techniques  miracles semblent vouloir chercher à instrumentaliser les discours de la résilience. 

Les programmes des institutions internationales et la labellisation de la résilience débouchent  infailliblement sur des solutions techniques et technologiques, sur l’investissement, le marché et les  partenariats public‐privé. Ces solutions imposent de croire, une fois encore, aux mythes scientistes et  technicistes, après la fusion des réacteurs de la centrale de Fukushima en 2011, après le naufrage de  la  plateforme  Deepwater  Horizon  en  2010,  après  les  désastreuses  failles  techniques  et  organisationnelles mises à jour par Xynthia en 2010, le séisme du Sichuan en 2008, Katrina en 2005,  etc. Mais  cette fois‐ci, les campagnes internationales  avancent que les réseaux vont  devenir  intelligents, l’énergie neutre, les métropoles vertes, les externalités positives, etc. oubliant que le  XXème siècle nous a montré que si les progrès techniques permettent de diminuer certains risques,  ils en créent d’autres, en démultipliant notre puissance destructrice (Beck, 1986). Il semble assez naïf  de croire que du jour au lendemain, pour la première fois de l’histoire de l’humanité, la technique va  désormais cesser de produire des effets indésirés, et en plus remédier à l’ensemble des problèmes  qu’elle a précédemment engendrés (Diamond, 2005). 

Par ailleurs, les discours de la résilience sont aussi utilisés pour faire la promotion de la dérégulation,  de la responsabilisation et de la compétition individuelles, selon les recettes bien rodées : 

« The path back is long and hard. Cities must return to their roots as place of small‐scale  entrepreneurship and commerce. Apart from investing in education and maintaining core  public services with moderate taxes and regulations, governments can do little to speed this  process. Some places will, however, be left behind. Not every city will come back, but human  creativity and entrepreneurial innovation are very strong (…) Cities like Rio have plenty of  poor people, because they’re relatively good places to be poor. After all, even without cash,  you can still enjoy Ipanema Beach. » Glaeser, 2011, p. 67 et 71 

 C’est d’ailleurs Milton Friedman lui‐même qui dans une tribune dans le Wall Street Journal du 13 

septembre 2005, deux semaines après Katrina, a vanté ses recettes pour faciliter la reconstruction de  La Nouvelle‐Orléans : en faire une zone franche, y abolir temporairement le droit du travail, assouplir  les régulations sur l’environnement, etc. afin de favoriser la reprise de l’activité économique. Les 

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restrictions budgétaires et l’augmentation du coût des catastrophes justifient pour les néolibéraux un  recours croissant au monde de l’entreprise. Dans les mois qui ont suivi Katrina, le gouvernement  fédéral a distribué plus de trois milliards de dollars à des multinationales, sans appel d’offre, sous  forme de contrat de distribution d’aide humanitaire, de déblayement et de reconstruction (Klein,  2008). 

En réalité, Katrina a été le révélateur d’une privatisation de la gestion des risques, de la substitution  des entreprises aux collectivités et aux Etats dans la gestion des catastrophes. La Croix‐Rouge a par  exemple passé un contrat avec Wal‐Mart, en déclarant que l’entreprise avait plus de ressources, une  meilleure logistique et  l’expertise  déterminante  (Rosenman,  2011).  A  La  Nouvelle‐Orléans, le  discours de la résilience a permis aux entreprises multinationales proches du pouvoir en place de  mettre en place une économie de pillage qui passe par l’exploitation des plus vulnérables. Les  sinistrés les plus pauvres ont été abandonnés à leur sort, alors que la reconstruction s’est adressée  d’abord aux propriétaires et aux habitants solvables : à la destruction des logements sociaux, les  entreprises ont répondu par la construction d’une ville de propriétaires, d’écoles et d’hôpitaux privés  (Hernandez, 2010). Les entreprises se sont servies des ressources et des dérégulations mises à  disposition  par  les  autorités  fédérales  pour  facturer  au  prix  fort  les  missions  d’aide  et  de  reconstruction. Les autorités fédérales ont mobilisé le discours de la résilience pour vanter leur  action de relance de l’économie et de revitalisation des territoires. Mais derrière les discours, ce sont  les multinationales, souvent celles qui avaient auparavant participé à la reconstruction en Iraq, qui  ont écrasé les entreprises locales. Elles ont par ailleurs fait appel à une main d’œuvre immigrée,  parfois sans papier – ce qui permet de ne pas la payer, au lieu d’employer la population locale. Après  Katrina, la population locale a donc été condamnée au désœuvrement, et les sinistrés à regarder  impuissants des entreprises et des travailleurs extérieurs achever la destruction des logements  sociaux et des services publics, pour en exporter ailleurs les bénéfices (Davis, 2006b). 

Cette privatisation de la gestion des risques, cette substitution des entreprises aux collectivités et aux  Etats dans la gestion des catastrophes a atteint un tel point que les acteurs du monde de l’assurance  ont fini par considérer les crises, la reconstruction et la résilience comme de nouveaux débouchés  ordinaires. Ils en sont même venu à retourner la notion « d’aléa moral », qui est d’habitude  mobilisée pour dénoncer le fait que les acteurs de l’assurance et de la finance prennent des risques  inconsidérés parce qu’ils savent qu’en cas de crise les gouvernements obligeront les contribuables à  les secourir. En effet, après Katrina, les acteurs de l’assurance sont allés jusqu’à déclarer que les  gouvernements leur font une concurrence déloyale, parce que si les gens sont sûrs qu’on va venir 

« gratuitement » les secourir et les aider en cas de catastrophe, ils ne sont pas incités à contracter  une assurance privée : 

« The compassionate federal impulse to provide emergency assistance to victims of disasters  affects the market’s approach to managing its exposure to risk. » cité par Klein, 2008, p. 418 

Un fossé s’est creusé entre ceux qui peuvent se payer assurance et résilience et ceux qui sont à la fois  victimes des catastrophes et des restrictions budgétaires des missions régaliennes de gestion des  crises et de secours. Les acteurs de ce nouveau marché ne laissent aucun doute. Derrière leurs  discours de la résilience, les catastrophes ne concernent que les personnes insolvables, pour les  autres il est toujours possible de les transformer en opportunité de passer des vacances de luxe : 

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 « The first hurricane escape plan that turns a hurricane evacuation into a jet‐setter holiday at  a five‐star golf resort. No standing lines, no hassle with crowds, just a first class experience  that turns a problem into a vacation… Enjoy the feeling of avoiding the usual hurricane  evacuation nightmare. » Help Jet, www.helpjet.us 

C’est déjà ce qu’avait laissé entrevoir le tsunami de décembre 2004 en Thaïlande ou au Sri Lanka,  quand les destructions puis les programmes visant à permettre aux communautés traditionnelles de  pêcheur de rebondir avaient servi de prétexte pour déplacer ces populations et distribuer leurs  terres à des consortiums immobiliers. Ils s’en sont servis pour développer sur ces côtes presque  sauvages de nouveaux complexes touristiques de luxe (Klein, 2008). 

Par conséquent, la résilience véhicule les idées de responsabilisation individuelle, de compétition et  d’opportunité. C’est ce qui facilite sont instrumentalisation au service de la dérégulation, de la  privatisation et in fine de la transformation des catastrophes en nouveau marché. La résilience porte  en elle les germes du darwinisme social et d’un renouveau des lectures morales des catastrophes,  faisant des victimes les premiers responsables des crises et des catastrophes l’occasion de modifier le  fonctionnement urbain par les dérégulations et l’ouverture de nouveaux marchés. Les discours de  résilience sont utilisés par certains acteurs comme des outils rhétoriques pour justifier un apartheid  urbain à la conjonction entre les injustices environnementales et la fragmentation métropolitaine. Il  est donc essentiel de savoir qui dit la résilience, quelle résilience, et surtout pour quoi faire. 

3. « Bonne » ou « mauvaise », qui dit la résilience ? 

La résilience ne se décrète pas, elle nécessite un changement en profondeur du fonctionnement des  métropoles. Pourtant, les discours ont su rendre désirable l’image d’une ville résiliente, alors que  c’est d’abord un discours politique, une injonction fermant le débat plutôt que stimulant la réflexion. 

Dès lors, la seule façon de consolider la résilience et de la rendre opérationnelle, c’est essayer de se  débarrasser de son implicite, des préjugés sur la « bonne » ville et du catalogue des « bonnes »  pratiques. En somme, pour sauver la résilience, il faut paradoxalement se forcer à se demander ce  que serait une « mauvaise » résilience. Mais ce ne sont jamais les acteurs eux‐mêmes qui se disent  résilients ou qui s’approprient spontanément la notion de résilience, c’est un discours qui est  toujours porté de l’extérieur et qui en plus véhicule (souvent de façon implicite) des jugements  moraux et des injonctions normatives. 

3.1 La résilience des bidonvilles 

Partons d’un constat, ce sont les bidonvilles sont l’ordinaire des catastrophes urbaines : 

« Slums begin with disasters. Precisely because the site is so hazardous and unattractive, it  offers a protection from rising land values in the city. They are poverty’s niche in the ecology  of the city, and very poor people have little choice but to live with disaster. » Davis, 2006a,  p. 121‐122 

Les bidonvilles sont aussi l’ordinaire de l’après catastrophe. Le visage que présentent les métropoles  après les catastrophes majeures montre que la forme la plus résiliente, c’est le bidonville, le  processus le plus résilient l’économie informelle et l’organisation la plus résiliente la confiscation du  pouvoir par des gangs. C’était le cas à Port‐au‐Prince après le séisme de 2010, à Beyrouth après les  bombardements de 2008, mais aussi à La Nouvelle‐Orléans après Katrina, et en partie aujourd’hui  avec les camps de réfugiés de Fukushima, etc. Nous ne sommes pas prêts à le voir, ce qui montre 

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bien que la résilience est au moins autant (sinon plus) un instrument politique qu’une notion  scientifique : un écran de fumée qui nous aveugle plus qu’il nous éclaire. 

Mais revenons sur cette affirmation que c’est le   bidonville qui est la figure même de la résilience  urbaine. Selon la définition du programme Habitat de l’ONU, une population habite un bidonville ou  quartier précaire si elle n’a pas accès à l’eau potable ou à l’assainissement, si elle ne dispose pas  suffisamment d’espace par personne, si elle habite une structure non permanente ou ne jouit pas de  la sécurité de la tenure résidentielle. Ainsi, les quartiers informels ou d’auto‐construction à l’écart  des réseaux de viabilité sont intrinsèquement la structure qui peut le plus facilement fonctionner en  état  dégradé, jusqu’à n’être  qu’un  tas  de  décombres ou de détritus, et qui  se redéploie  le  rapidement,  avec  des  matériaux légers, sans besoins  d’infrastructures et  sans  avoir  à régler  l’épineuse question de la propriété. Quelle que soit la définition de la ville résiliente que l’on  choisisse, résistante, supportant fonctionner en état dégradé ou facilitant une reconstruction rapide,  si l’on accepte de pousser chacune de ces définitions au bout de ses conséquences logiques, elles  mènent d’abord et surtout aux bidonvilles.  

Les bidonvilles sont ainsi le côté obscur de la résilience urbaine. C’est une image bien différente des  discours enthousiastes et du marketing territorial faisant de la résilience la figure même de l’avenir  des villes enfin réconciliée avec leur environnement et leurs habitants, un horizon d’attente désirable  par tous. Il y a donc un décalage préoccupant entre la « bonne » résilience, celle des discours, celle  que  les  gouvernements  et  les  institutions  internationales  transforment  en  injonction  et  les  entrepreneurs en opportunité, et la « mauvaise » résilience, celle qui est passée sous silence mais qui  constitue l’ordinaire des catastrophes urbaines.  

On peut dès lors interpréter autrement l’introduction de la résilience dans les politiques de gestion. 

La vulnérabilité correspondait bien aux politiques des institutions internationales, pour qui la  réduction des catastrophes passait par l’aide aux sociétés les plus vulnérables. Alors que la résilience  semble mieux correspondre au cadre actuel de restriction budgétaire et de dérégulation, de mise en  compétition des individus et des territoires et de désengagement des Etats et des organismes  internationaux. Mais nous ne sommes pas prêts à regarder la résilience en face. Parce qu’il n’y a  personne pour dire la « mauvaise » résilience. Cette « mauvaise » résilience n’a pas de porte parole,  de relais dans l’opinion, elle ne fait jamais la une, et semble donc tout simplement ne jamais avoir  existé. Elle est comme invisible, parce que c’est le quotidien des habitants, du côté de la ville  ordinaire et du bricolage face à l’adversité plus que du côté spectaculaire des crises et des  catastrophes. Une fois que nous seront débarrassés des jugements de valeur, des injonctions et des  préjugés sur la « bonne » ville, il deviendra évident que la résilience n’est pas forcément l’horizon  radieux des labels internationaux et des discours enthousiastes. Il faudra alors admettre que le  processus urbain le plus résilient, c’est l’informel, et la forme urbaine la plus résiliente, ce sont les  bidonvilles. 

3.2 Résilience et gouvernementalité 

Cet embarras à reconnaître la résilience des bidonvilles explique les difficultés à formaliser cette  notion, malgré ses promesses. Le paradoxe de la résilience, qui est tiraillée entre son accroche  d’horizon radieux et son fond d’injonction darwiniste ou d’apologie du bidonville, ce paradoxe est  bien le symptôme que son utilisation relève du marketing territorial, voire du concept foucaldien de 

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