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Textes pour travaux de TD

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Ecole Polytechnique d'Architecture et d'Urbanisme Cours Module d'Urbanisme 4ème année

Textes pour travaux de TD

LE COURRIER DU CNRS N° 81 / LA VILLE / (été 1994)

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SOMMAIRE

LA DYNAMIQUE DES SYSTÈMES DE VILLES... 3

CENTRALITÉ URBAINE, VILLE, MOBILITÉS ... 5

LES VILLES MENTALES ... 7

DES GRANDS ENSEMBLES AUX QUARTIERS ... 9

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET LA QUESTION URBAINE... 11

LA LOGISTIQUE ET LES VILLES... 13

LES TRAJECTOIRES RÉSIDENTIELLES ... 15

L'ANALYSE DE LA MOBILITÉ ... 17

VERS UN MODÈLE DE VILLES ENTREPRENEURIALES ?... 19

GÉRER LES RÉSEAUX URBAINS ... 21

SYSTÈMES D'INFORMATION POUR LA PLANIFICATION URBAINE ... 23

LES POLITIQUES DU LOGEMENT... 25

EFFET DE NOMBRE ... 28

LA FORME DE LA MÉTROPOLE CONTEMPORAINE... 30

DES SAVOIRS SUR LA VILLE POUR DES PROJETS URBAINS ... 32

QUE SAIT-ON DE CEUX QUI FONT LA VILLE ? ... 34

ACCESSIBILITÉ ET HANDICAP ... 36

LE SIDA, UN PROBLÈME URBAIN ... 38

HOMELESSNESS, MALADIE MENTALE ET ESPACE URBAIN ... 40

L'HÔPITAL DANS LA VILLE... 42

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LA DYNAMIQUE DES SYSTÈMES DE VILLES

Une ville ne peut se transformer indépendamment des autres villes. Les interdépendances entre les villes produisent de véritables lois d'évolution des systèmes de villes. Leur connaissance est utile à l'aménagement des territoires. Denise Pumain

Les villes d'un même territoire, grande région ou état, ne se développent pas isolément. A la différence des villages, ou des exploitations minières qui produisent surtout à partir des ressources locales d'un site, les villes valorisent des avantages de situation : par leurs réseaux de pouvoir, de production, de commerce..., elles accumulent des profits prélevés sur des ressources parfois très éloignées. Toujours mises en relation les unes avec les autres par de multiples réseaux de communication et d'échanges, les villes constituent des systèmes fortement interdépendants. On ne peut comprendre le fonctionnement et l'évolution d'une ville sans la comparer aux autres, comme un élément dans un système de villes. Selon la taille des villes, ce système de référence est un territoire plus ou moins vaste, le plus souvent régional ou national, mais parfois continental voire mondial dans le cas des métropoles.

La comparaison des villes exige des définitions qui gardent une signification commune dans l'espace et dans le temps. Les plus utilisées se fondent sur l'existence d'un noyau bâti continu (agglomérations morphologiques), d'autres plus extensives englobent toute la zone des navettes domicile-travail autour d'un centre (bassins d'emploi). Des bases de données sont constituées pour la recherche, en rendant comparables les statistiques produites par les états.

DES INVARIANTS DE STRUCTURE

Les systèmes de villes ont des propriétés communes. La plus importante est leur organisation hiérarchique, avec de très grands contrastes de dimension entre les villes (de l'ordre de 103 à 106 voire 107 en nombre d'habitants). Dans tous les états, le nombre des villes suit une progression géométrique inverse de leur taille.

Cette régularité a été improprement appelée « loi rang-taille ». L'organisation hiérarchique des réseaux urbains admet des variations de détail : les pays moins développés et les pays très centralisés ont une plus grande probabilité d'avoir une capitale ou une métropole surdimensionnée par rapport aux autres villes du système.

En outre, la disposition des villes obéit à des règles assez strictes d'espacement des villes selon leur taille.

Dans sa théorie des lieux centraux, W. Christaller (1933) en a donné une explication par la concurrence entre les villes qui assurent la desserte et l'encadrement d'un territoire. Les inégalités du poids démographique des villes sont très corrélées avec les différences du niveau des fonctions qu'elles exercent, niveau mesuré par le nombre, la diversité, la fréquence d'utilisation, la rareté et la portée spatiale de leurs activités de service.

DES LOIS DU CHANGEMENT URBAIN

Des recherches plus récentes ont montré des régularités tout aussi importantes dans les transformations des villes au cours du temps. La plus étonnante est la stabilité de la dimension relative des villes d'un même système sur la longue durée, alors que depuis plusieurs décennies la population urbaine a crû de façon quasi exponentielle, et que les innovations techniques, économiques et sociales ont largement renouvelé les tissus bâtis, les activités et les populations des villes.

Cette stabilité des systèmes de villes s'explique par un processus continu d'ajustements quantitatifs et qualitatifs des structures de chaque ville. Le changement social et économique, la croissance à moyen terme sont pour une très grande part les mêmes partout. Les fluctuations constatées sont des décalages, des avances ou des retards, des variations d'intensité du changement, qui reflètent des adaptations plus ou moins rapides ou complètes aux innovations en cours. Cette évolution résulte directement de la concurrence entre les acteurs présents dans les villes et de leurs stratégies d'anticipation et d'imitation. Elle est facilitée par les communications qui assurent une diffusion de plus en plus rapide et généralisée dans de vastes territoires.

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Un autre invariant de l'organisation des systèmes de villes est l'existence de spécialisations différenciant durablement les profils économiques et sociaux des villes. Elles ont pu naître à la faveur de la valorisation momentanée d'un avantage de site ou de situation spécifique à certaines villes (ville portuaire, ville minière), ou encore de décalages persistants dans la vitesse d'adoption d'innovations arrivées par grandes vagues, ou cycles longs de plusieurs décennies (par exemple au moment de la première révolution industrielle). Les traces laissées par de tels cycles dans les systèmes urbains, sous forme de villes spécialisées, c'est-à-dire bien adaptées aux structures socio-économiques d'un moment, perdurent longtemps après cette époque de conformité optimale : les changements ultérieurs affectant à peu près de la même façon toutes les villes laissent inchangées les inégalités ainsi créées. Les représentations collectives gardent, peut-être plus longtemps encore que les structures socio-économiques, la mémoire de l'image des villes associée à leur spécialisation.

L'AVANTAGE DES GRANDES VILLES

Sur le très long terme, le développement des systèmes de villes n'est cependant pas totalement allométrique.

Les plus grandes villes ont crû en moyenne plus vite. Les inégalités de taille des villes se sont creusées historiquement, bien au-delà de ce qu'aurait produit un processus purement aléatoire de répartition de la croissance. Deux processus expliquent cette amplification de la hiérarchisation dans le système. D'une part, les innovations ont plus de chance d'apparaître dans les grandes villes, et en général elles y sont adoptées plus tôt qu'ailleurs. Les grandes villes peuvent ainsi, de façon réitérée, valoriser l'avantage initial que leur confère une adoption précoce des innovations. Il en résulte un renforcement par le haut des inégalités de taille des villes. Un autre facteur contribue à pénaliser sur le long terme les petites villes. L'accroissement de la vitesse des transports réduit les distances-temps entre les lieux, et conduit les consommateurs à court- circuiter les petits centres intermédiaires au profit des grandes villes plus éloignées. La contraction de l'espace-temps tend ainsi à renforcer les inégalités de taille des villes, en simplifiant par le bas les hiérarchies urbaines.

DES MODÈLES DYNAMIQUES POUR LES SYSTÈMES DE VILLES

Plusieurs types de modèles dynamiques non linéaires simulent le développement d'un ensemble de villes. La croissance relative de la population et de la richesse ont été ajustées sur des villes américaines par des modèles de concurrence du type Volterra-Lotka. La dispersion des centres de services desservant une population résidente est mise en relation avec des paramètres décrivant les comportements d'achat de cette population, dans des modèles inspirés de la théorie des catastrophes. Des modèles dynamiques de lieux centraux utilisent les théories de l'auto-organisation pour simuler le partage d'un marché régional et la hiérarchisation de centres, en fonction de paramètres décrivant les comportements des producteurs et des consommateurs. L'effet des migrations sur la redistribution des populations entre des villes est simulé par des modèles issus de la synergétique, appliqués aux villes françaises. L'organisation hiérarchique des tailles des villes est considérée comme un attracteur stable dans un processus dynamique de redistribution par migration des populations entre les villes. Des recherches en cours relient le processus de l'extension spatiale de chaque ville à celui de l'ensemble des villes, au moyen de modèles de croissance fractale.

Ces modèles traduisent le passage d'une conception statique des réseaux urbains, à une conception dynamique pour l'élaboration d'une théorie évolutive des systèmes de peuplement. Les systèmes de villes représenteraient une transition entre une façon très dispersée d'habiter la terre pour en exploiter les ressources agricoles, et une forme d'habitat beaucoup plus concentrée, orientée vers une économie de production industrielle et de services. Une réflexion sur le rapport des sociétés à leur environnement pourrait infléchir l'évolution actuellement prévisible des systèmes de villes, vers une plus grande concentration globale dans des mégapoles plus diluées localement.

Denise Pumain, professeur à l'université Panthéon-Sorbonne, directeur des équipes PARIS (Pour l'avancement des recherches sur l'interaction spatiale) et EHGO (Epistémologie et histoire de la géographie) (URA 1243 CNRS), Université Paris I, Centre de géographie théorique et quantitative, 13, rue du Four, 75006 Paris.

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CENTRALITÉ URBAINE, VILLE, MOBILITÉS

Dans l'histoire de l'Occident, la ville centrée est plutôt l'exception que la règle : c'est dans ce cadre qu'il faut situer, pour en évaluer l'impact, l'actuelle crise des centres. Jean-Samuel Bordreuil

Qu'est-ce qu'un centre urbain ? Voilà bien une question que n'importe quel conducteur, déchiffrant un panneau Centre Ville, ne se pose pas. Il sait à quoi réfère ce panneau et ce savoir lui est utile : le rendez-vous qu'il a, le magasin qu'il cherche sont au centre... Le Centre est une catégorie familière de son vécu, d'autant plus qu'elle est à toutes fins pratiques.

Plaçons ce même automobiliste au cœur d'une ville américaine, et c'est tout ce système de repères qui s'absente. CBD, Civic Center, Downtown, panneaux équivalents à notre Centre Ville, y désignent une géographie dispersée, que trame en damier et piquetage réticulé des malls confirment. Non seulement notre espace centré apparaît comme un parmi d'autres, mais les USA, miroir de notre avenir, projettent ces villes qui ne tiennent plus à leur centre, à l'horizon de notre futur.

A DISTANCE DU MOUVEMENT, LA VILLE FAIT CORPS...

Y a-t-il ou non crise des centres ? Si oui, quel en est l'effet sur la société urbaine ? Que perd-on en les perdant ? Ces deux questions sont à la base du regain d'intérêt sociologique pour la centralité urbaine. Or, la réponse à ces questions dépend étroitement du rôle qu'on prête au centre dans la structure urbaine : saisi comme élément constitutif de cette structure, on préjugera que sa défection défera la ville ; posé comme structure transitoire, mouvante, le diagnostic sera alors que l'intégralité urbaine survivra, certes sur d'autres bases, à sa crise. C'est cette deuxième hypothèse que l'approche socio-historique conduit à privilégier.

Soit le cas de la ville médiévale : si on plaque sur son espace notre image du centre, cet espace qui au cœur de la ville conjoint densité résidentielle et densité d'échanges, on se rend compte très vite que cela ne colle pas. Ainsi cette ville tient à distance les grands marchés, les biens-nommées foires (le mot signifiant le « dehors »), non moins que les petits, qu'elle appelait « ports », les cantonnant aux portes de la ville. Dans ses murs, l'espace de la production, segmenté autour des corporations et de leurs rues, disperse l'échange et empêche qu'il précipite en centralité spatiale. Au total, sa forme souvent concentrique n'est jamais radio- concentrique.

... PUIS LE CAPTE

Si le bas Moyen Age voit émerger des germes de centralisation (autour du binôme halles-hôtel de ville), ce n'est vraiment qu'au XIXe siècle que la mobilisation générale de la vie urbaine induit une polarisation interne de la ville autour d'axes d'échanges ; ici, le doublet gare/boulevards devient le principe (re)structurant de l'urbanisation : la circulation creuse son lit (pénétrantes) dans le tissu urbain en même temps qu'elle rend possible, à une échelle inconnue, l'afflux. La ville, terrain d'élection de la dialectique mobilité/centralité, tout à la fois s'ouvre et attire. Le centre devient ce point paradoxal où l'intérieur s'ouvre sur l'extérieur, où transite ce qui vient de loin, où se localise le délocalisé (le global).

On le sait, pour les urbanistes est dit central tout équipement dont l'aire d'influence est maximale : de fait n'est-ce vraiment qu'à ce moment-là que ces équipements attractifs s'installent au centre et font centre autour d'eux, que va au centre tout ce qui est central (attractif) ?

Ce centre est donc moins reflet de principes d'unité profonds, politiques ou symboliques, qu'il n'émerge de la concentration auto-entretenue des supports attractifs qui s'y cooptent, chacun profitant du potentiel attractif du voisinage, et contribuant par sa présence à renforcer ce potentiel (au centre, la proximité des ressources se transmute en ressource de la proximité).

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... ET ENFIN LE SUIT

Le centre s'ancre donc aux lieux les plus accessibles et accentue à son profit la convergence des lignes de trafic, d'autant plus que (comme au XIXe siècle) le tissu urbain est peu circulable et que les transports collectifs dominent. Mais ce que l'accessibilité fait, elle peut le défaire quand le centre sature : il est alors dans l'ordre des choses que le pôle attractif se déplace, nomadise. Le bassin de trafics qu'est une agglomération élira ainsi d'autres foyers de convergence, ou plus radicalement se réorganisera selon une structure polynucléaire (en réseau). La part prise par l'automobiliste dans le marché du déplacement, son aptitude au mouvement latéral, à l'émancipation des trames centralisées, pèse alors en faveur du deuxième scénario, et privilégiera l'avènement d'un espace plus iso-accessible.

Au total, c'est la jonction entre densités résidentielle et communicationnelle qu'opérait le centre qui se dénoue : le tissu urbain s'étale, se sérialise (grands ensembles, lotissements), à distance des lieux d'échanges.

Symétriquement émergent, détachés du résidentiel, des centres périphériques : centres sans villes autour.

Enfin, ne s'agglutinant plus, les équipements attractifs sont libres de se déployer selon des logiques fonctionnelles (centres hospitaliers, administratifs, culturels, commerciaux...).

La crise des centres, ce déphasage entre centre géométrique et pôles d'attraction, est donc ancienne dans son principe (un bon siècle), même si elle a pris récemment un tour spectaculaire.

Enfin, quid de la portée de cette crise sur la société urbaine ? Un centre, pensait-on, est opérateur d'intégration à un double niveau : politique (localisant le pouvoir au cœur de la ville, il le tiendrait à portée des citoyens - agora), et culturel (il ménagerait un espace où la ville en sa diversité socioculturelle serait en présence d'elle-même).

Or, sur ces deux points, le centre n'apparaît plus comme le seul garant de l'intégrité urbaine (et sa crise comme désintégrante). D'une part, l'idéal démocratique tolère d'autres géographies : la démocratie locale est une valeur-clé de la ville américaine, pourtant peu centrée. D'autre part, et surtout, si les secteurs centraux sont des lieux d'intégration culturelle, ceci ne tient pas au fait qu'en ces lieux le citadin serait au plus près des valeurs centrales et unificatrices. A l'inverse, c'est parce que mieux que les quartiers enclavés ces secteurs tolèrent et organisent la confrontation d'altérités - ce sont des espaces publics, c'est-à-dire des espaces où, plus qu'ailleurs, il est exclu d'exclure - qu'ils peuvent gérer la pluralité, l'exposer à elle-même et travailler au renouvellement des modèles culturels. C'est au fond l'a-centricité sociale des secteurs centraux que la sociologie de la centralité découvre in fine, et c'est à ce caractère qu'elle réfère leur vertu intégratrice.

Jean-Samuel Bordreuil, chargé de recherche au CNRS, Laboratoire méditerranéen de sociologie, 3-5, avenue Pasteur, 13100 Aix-en-Provence.

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LES VILLES MENTALES

Comment concilier, dans une théorie cognitive comme dans l'espace physique, les représentations singulières que chaque individu a de la ville et les constructions collectives tant symboliques que matérielles de cette même ville ? Danièle Dubois

Les recherches de psychologie, en liaison avec le développement des sciences cognitives, permettent d'envisager un renouvellement des conceptions et des modes d'appréhension scientifique des représentations de la ville et plus généralement des espaces.

UN NOUVEL ESPACE PLURIDISCIPLINAIRE

Au centre de cet espace devrait être la psychologie. Cette discipline a déjà accumulé nombre de connaissances conduisant à l'identification, dans des procédures analytiques, de représentations mentales d'objets simples (études d'itinéraires, de plans de logements…). Les recherches portant sur les constructions mentales, intellectuelles, de sites qui permettent non seulement l'adaptation comportementale, mais également la construction et l'appropriation des significations accordées aux espaces physiques, urbains en particulier, commencent à se développer. Ce domaine de recherche demeure ainsi un lieu d'exploration privilégié pour évaluer des hypothèses relatives aux contraintes sur les structures cognitives des propriétés de l'espace physique, des activités perceptives, ainsi que des pratiques déployées par l'homme dans cet environnement.

Ces recherches psychologiques sur les processus de construction et d'appropriation de connaissances de l'environnement convergent avec les analyses des représentations symboliques telles que descriptions, récits, cartes et autres représentations iconiques et/ou verbales, diverses quant à leurs finalités (guides, représentations « artistiques », illustrations pédagogiques, etc.), prises en charge par les domaines linguistiques et sémiologiques au sein des sciences de l'homme.

En effet, les sciences cognitives tendent à s'enrichir des recherches sur les formes culturelles et les représentations matérielles socialisées des espaces tels que la ville. Ainsi, les travaux linguistiques, en particulier ceux qui abordent l'analyse des textes et des discours sur l'espace et la ville, sont actuellement centrés sur les relations entre le langage et les constructions cognitives « imagées ». On citera par exemple les analyses des textes se rapportant à la découverte d'espaces et de villes par des voyageurs, qui utilisent à la fois les connaissances et les cadres théoriques contemporains des sciences cognitives, linguistique et psychologie en particulier, pour le traitement de l'espace par les langues.

Ces recherches se trouvent également fécondées par les travaux en intelligence artificielle, qui ont le double statut de modélisations des activités mentales hypothétiques dégagées par la recherche psychologique et linguistique, et celui de développements technologiques permettant la visualisation et la matérialisation de nouveaux objets symboliques (images de synthèse, conception architecturale assistée par ordinateur…).

Les recherches sur les représentations cognitives de l'espace urbain permettent d'affirmer que celles-ci sont multiples et construites, d'une part, à travers les pratiques diversifiées de cet espace (déplacements diversement finalisés, représentations sociales, y compris esthétiques, pratiques discursives) et, d'autre part, à travers la diversité des représentations normatives objectivées dans des outils symboliques (cartes, schémas d'aménagements…), et de leurs développements au sein de diverses technologies.

LES ENTRÉES DE VILLES

Empiriquement, et plus spécifiquement, deux thèmes reliés à la ville font actuellement l'objet de travaux : d'une part, les relations entre la ville et la voie, en coordination avec les recherches en sécurité routière, et d'autre part, les entrées de villes*. Il s'agit d'identifier les propriétés de l'espace traversé qui sont constitutives des représentations qui vont de la route (voie de rase campagne) à la rue (voie urbaine). Les résultats obtenus tendent à montrer que c'est le repérage d'indices liés à l'épaisseur du tissu urbain, la qualité du bâti en particulier, qui contribuent à connoter l'espace d'un caractère urbain : types d'immeubles (pavillons représentatifs de la banlieue vs immeubles de plus grande hauteur avec emprise directe sur la voie, par

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exemple) ou indices identifiant des espaces d'activités. Par exemple, les grandes surfaces de périphérie restent le domaine de la voiture, des vitesses élevées, de la ségrégation des usages, alors que la ville elle- même, considérée comme centre ville (trottoirs, éclairage, hauteur des immeubles, vitrines…) est le lieu d'interactions et d'échanges négociés entre plusieurs catégories d'usagers de la voie (piétons/voitures, deux roues…) et des pratiques diversifiées (passage, stationnement, accès aux divers commerces, cafés…)

L'identification des constructions mentales qui intègrent les pratiques permet d'envisager des développements ergonomiques, prenant en compte les différents acteurs sociaux qui contribuent à l'image matérielle et à l'usage de la ville, de l'aménagement des voies à la création architecturale. Si les contributions des sciences cognitives à l'analyse du développement urbain ne peuvent être utilisées comme arguments directs dans les choix politiques et idéologiques, il est cependant tentant d'établir une analogie entre le caractère infructueux des modèles analytiques, modulaires, rigides qui réduisent la cognition à du traitement de l'information, et les modèles rationnels et ségrégationnistes qui ont vidé la ville de sa complexité, faite d'interactions multiples dans l'espace (diversité des pratiques) et dans le temps (poids culturel du passé architectural), et qui ont entraîné des phénomènes de rejet de ces espaces urbains appauvris. Les « villes mentales » restent ainsi un enjeu entre une conception réaliste et une conception constructiviste de la cognition, tout comme la matérialité du développement des villes demeure un enjeu entre des objectifs réduits à des rationalités économiques ou ouverts à la multiplicité des dimensions culturelles et sociales de l'urbain. La stratégie de recherche la plus productive réside probablement dans la prise en compte de la complexité et de la diversité des fonctions humaines réalisées par la ville, sans pour autant nuire à des objectifs de qualité d'environnement et de sécurité.

Danièle Dubois, directeur de recherche au CNRS, directeur de l'unité Langages, cognitions, pratiques et ergonomie

(URA 1575 CNRS), EPHE, 41, rue Gay-Lussac, 75005 Paris.

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DES GRANDS ENSEMBLES AUX QUARTIERS

Construits dans le milieu des années cinquante pour «faire le bonheur de l'homme», les grands ensembles retiennent aujourd'hui des communautés fragilisées par la crise de l'emploi. Devenus depuis des «quartiers», ils sont les lieux symboliques de l'action des pouvoirs publics et des associations militantes qui les animent.

Michel Péraldi

Constituant jusqu'à 80 % du parc social de certaines communes en banlieue parisienne ou lyonnaise et marquant visuellement de leur monumentalité les banlieues contemporaines, les grands ensembles sont ces constructions des années 55-75 (le terme n'est d'ailleurs apparu qu'en 1958), caractérisées bien sûr par une taille des programmes, souvent plus de mille logements, qui fait figure d'exception dans l'histoire du logement social, autant que par leur architecture de tours et barres. Mais les grands ensembles, c'est aussi « une volonté normative de faire le bonheur de l'homme » qui a durablement marqué les dispositifs institutionnels et politiques.

LA MUTATION DES ANNÉES QUATRE-VINGT

Au seuil des années quatre-vingt, les grands ensembles sont devenus des quartiers et sous ce nom, objets de politiques spécifiques (HVS, Habitat Vie Sociale ; DSQ, Développement Social des Quartiers ; DSU, Développement Social Urbain). Comprendre leur évolution suppose d'examiner en préalable les conditions de cette réinvention. Pour des sociologues redécouvrant l'anthropologie urbaine, ils sont apparus comme des lieux de grégarité, traversés de consistances familiales et sociales territorialisées, identiques à celles des villages urbains décrits par l'anthropologie urbaine anglo-saxonne. C'est en effet la densité des réseaux familiaux, la stabilité transgénérationnelle qui en découle et ses effets sur la vie des cités qui frappent la plupart des chercheurs. La famille élargie, des communautés sédentarisées, ancrées ou non sur des fondements ethniques, prennent le pas sur la logique d'atomisation et d'anonymat considérée jusque-là comme trait identificateur de ces ensembles, jusqu'à se substituer à la confrontation entre classe ouvrière et classe moyenne salariée autour de laquelle, pour les chercheurs des années soixante-dix, se centraient les rapports sociaux dans ces quartiers. Des rapports dont on pense aujourd'hui qu'ils manifestent plutôt une tension générale entre passants et sédentaires, mobiles et captifs. Si cette dimension grégaire forme un trait saillant des cultures urbaines, signalant des modes d'appropriation et de marquage des territoires urbains aussi vieux que la métropole, elle est apparue aussi comme un trait de mutation des grands ensembles liée à l'évolution même du marché du logement. Car cette sédentarisation est aussi captivité de populations fragilisées par la crise de l'emploi selon une double inflexion du marché du logement : la libéralisation de l'accès à la propriété via la loi Barre et les PAP (prêts pour l'accession à la propriété), organisant la fuite massive des couches sociales solvables vers le pavillonnaire, a laissé dans les grands ensembles ceux dont les revenus sont insuffisants pour leur permettre d'accéder à la propriété, en situation d'autant plus captive que les parties les plus dégradées des centres villes, refuges traditionnels des catégories défavorisées, font désormais l'objet de politiques spécifiques de revalorisation et de « gentrification », et leur sont ainsi progressivement interdites.

L'ÉVOLUTION DES DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS

Le tableau des mutations serait incomplet sans l'état d'évolution des dispositifs institutionnels et politiques dont les grands ensembles sont à la fois l'espace stratégique de déploiement et le lieu symbolique dont ils tirent l'argument de leur utilité sociale : organismes HLM gestionnaires, instances du travail social, mais aussi associations du cadre de vie issues des luttes urbaines des années soixante-dix. Défaut d'équipements publics, malfaçons architecturales, injustices administratives, autant de domaines qui ont fourni aux militants l'occasion de fustiger la logique technocratique dont ces constructions étaient l'aboutissement, et revendiquer l'instauration d'une démocratie locale. Autant de dispositifs militants qui, sous des formes parfois marginales, variables localement et émaillées de conflits, ont participé activement à la vie publique des quartiers, à la gestion des équipements socio-culturels, à l'administration des organismes HLM, au titre des amicales et associations de locataires, et à la mise en œuvre de politiques expérimentales anticipant et préparant les politiques de développement social.

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L'évolution de ces dispositifs est marquée dans ces dix dernières années de trois inflexions principales.

D'abord l'émergence d'une « logique de site » : les organismes HLM, sur fond de rationalisation gestionnaire de leurs politiques commerciales, ont mis l'accent sur la réhabilitation de leur parc et des politiques de gestion sociale en traitant les ensembles comme autant de cas particuliers, en renforçant leur personnel de terrain, en décentralisation la gestion dans les cités. Ensuite, sur fond de décentralisation administrative et de partenariat, ils ont instauré une « gestion territorialisée du social », soit des formes d'intervention préférant « l'action sur un groupe, l'idée que ce groupe est homogène et, enfin, qu'il peut être défini par un espace commun d'appartenance », au travail sur des clientèles d'ayant-droit et de cas individualisés.

Il est plus difficile de caractériser l'évolution des milieux associatifs, d'abord parce que les travaux les concernant sont rares, ensuite parce que leur dispersion est grande. Quelques recherches signalent cependant que le départ des classes moyennes et des classes ouvrières solvables, base des associations, d'une part, leur institutionnalisation dans les appareils gestionnaires d'autre part, les a placées en porte-à-faux face à la montée de nouveaux mouvements, plus spontanés et fragmentaires, issus souvent de la « rage » des jeunes, assis sur la revendication d'une identité de quartier plutôt que sur des revendications globales.

Si les grands ensembles n'ont rien perdu de leur caractère « exemplaire », c'est donc autour de la vie de quartier que s'est réorganisée la représentation, au sens politique et théâtral du terme, de cette exemplarité à laquelle la Commission pour le développement social des quartiers (Délégation Interministérielle à la Ville depuis 88) tente de donner tout à la fois des moyens financiers exceptionnels, des cadres idéologiques et éthiques, et des scènes institutionnelles de régulation et de débat.

UNE PAUPÉRISATION SUR PLACE

Il est évident que les grands ensembles devenus quartiers regroupent des populations fortement touchées par la crise de l'appareil industriel et des marchés du travail : l'inactivité est ici dominante, au sens socio- démographique du terme, caractérisant des pères qui ont perdu radicalement leur emploi, des fils que l'appareil scolaire préparait pour l'usine et qu'il laisse désœuvrés aux portes des bureaux. Des populations plutôt paupérisées sur place qu'entrées selon des procédures d'urgence en raison de leur précarité. Il est évident aussi que se retrouve dans cette situation une frange notable des populations issues des courants migratoires antérieurs à la crise, originaires des pays du Maghreb, en lesquelles certains médias et des acteurs politiques, sont par trop prompts à reconnaître des soi-disant étrangers.

Cependant, ces quartiers n'ont ni le monopole de la misère ni celui de la captivité résidentielle, encore moins l'exclusivité de l'ethnicité visibilisée. Ils sont, par contre, historiquement constitués en lieux symboliques de l'action publique et, ainsi, par de multiples relais institutionnels, théâtres d'événements qui font sens immédiat dans des enjeux politiques nationaux. Les mouvements sociaux qui y naissent, les flambées de violence, si anodines soient-elles, les tensions quotidiennes, même entre familles et résidents, y sont alors plus visibles qu'ailleurs et condamnent les acteurs à construire les représentations qu'ils se donnent d'eux- mêmes en tenant compte de cette visibilité sur la scène globale des médias et du politique. Il reste encore très largement à explorer les formes concrètes, les effets sociaux de cette exemplarité en chantier permanent. Le rôle central des classes moyennes, résidentes et militantes jadis, non résidentes aujourd'hui mais professionalisées sur un de leur terrain privilégié d'aventure, a été notablement occulté. Remarquons, pour conclure et abonder dans le sens de travaux mettant en évidence cette dimension, que ces jeunes, passé l'instant de la rage, rêvent de devenir animateurs ou éducateurs, commerçants ou assistantes sociales, refusent le monde de l'usine comme aliénant, revendiquent l'émancipation par la culture et le respect des différences dans la démocratie locale, et donc, passé l'instant de la galère, paraissent singulièrement conformes aux idéaux et valeurs de ceux qui, dans l'ombre, ont été leurs éducateurs.

Analyser plus avant et décrire les formes de cette relation, son caractère structurant des destinées et des rapports sociaux, éclairerait sans doute d'un jour neuf le regard que l'on porte sur cette jeunesse dite trop rapidement dangereuse et démunie.

Michel Péraldi, chargé de recherche au CNRS, unité Modes de production et environnement social (URA 900 CNRS), Université Toulouse le Mirail, 5, allées Antonio-Machado, 31058 Toulouse Cedex.

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LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET LA QUESTION URBAINE

Comment concilier la recherche de la viabilité locale du développement urbain avec la soutenabilité écologique planétaire ? Le développement durable à long terme peut-il se planifier ? Attention aux bonnes intentions et aux fausses bonnes idées. Olivier Godard

Depuis plusieurs années, la référence au développement durable s'est largement diffusée à l'échelle internationale. Par exemple, le traité de Maastricht et la convention-cadre sur le climat adoptée à la conférence de Rio en juin 1992 consacrent la notion qui a même droit, depuis juin 1993, à sa commission au sein de l'ONU. Elle permet en effet d'afficher un enjeu et une volonté, de favoriser des rapprochements intellectuels et de faciliter des réorganisations institutionnelles autour des relations entre le développement et l'environnement dans le contexte du réaménagement des rapports Nord-Sud. La pensée du développement urbain ne saurait y échapper…

DEUX ÉCLAIRAGES SUR LA NOTION DE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Un premier éclairage est offert par la définition proposée par la commission Brundtland (1988), d'ailleurs la plus communément reconnue : « Le développement durable est celui qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins. » Autrement dit, sans prétendre à une optimisation intertemporelle des trajectoires de développement, qui supposerait une prévision parfaite des préférences des générations futures et des possibilités techniques qui seront à leur disposition, il incomberait aux générations présentes de reconnaître et d'assumer la responsabilité particulière de transmettre aux générations suivantes les moyens les plus essentiels permettant à ces dernières de satisfaire leurs propres besoins et de pouvoir vivre une vie humaine « digne d'être vécue ». Ces moyens recouvrent certes les catégories usuelles du capital productif et des infrastructures ainsi que les savoirs, compétences et valeurs qui constituent une culture. Mais ils incluent aussi, aux yeux d'un nombre croissant d'analystes et d'acteurs sociaux, ce qu'on peut appeler le « capital naturel » dont les générations présentes ont elles-mêmes pu bénéficier parce que les précédentes ne les avaient pas détruites : ressources renouvelables préservées, ressources épuisables exploitées au plus juste en fonction des possibilités de les substituer et des gains de productivité dans leur emploi productif, équilibres bio-physiques planétaires maintenus dans leurs attributs essentiels, etc.

Néanmoins, compte tenu des limites des connaissances disponibles sur le fonctionnement de la biosphère et les variables les plus décisives pour le développement économique à long terme, l'objectif de soutenabilité écologique du développement ne peut pas informer directement politiques et programmes d'action. Il faut l'interpréter au moyen de principes stratégiques : « principe de précaution », critère du gain de temps d'apprentissage, définition de normes minimales à satisfaire en contexte d'incertitude… De tels principes ont pour objet d'organiser l'actualisation de préoccupations intéressant des temps ou des espaces éloignés en focalisant l'attention sur les éléments placés le plus directement entre les mains des générations actuelles, éléments qui sont aussi les mieux connus et, tant bien que mal, les plus accessibles à l'action.

Le deuxième éclairage vient d'une approche issue de la théorie des systèmes et de son application aux agrosystèmes : pour être soutenable, le développement doit procéder de façon que l'organisation des systèmes éco-socio-techniques soit capable de résister à une variété de perturbations ou fluctuations imprévues, quitte à se réaménager à cette occasion ; ce serait donc la propriété de « résilience » qui serait la condition critique de la soutenabilité. Aux conditions ordinaires de la reproduction élargie des structures (maintenance et investissement), s'ajoute alors la gestion de la vulnérabilité aux risques naturels et technologiques.

DÉVELOPPEMENT URBAIN ET SOUTENABILITÉ

A l'aune de la soutenabilité, le développement urbain soulève deux types de problèmes : la viabilité propre des processus de croissance urbaine et la compatibilité de cette croissance urbaine avec les conditions d'un développement écologiquement soutenable de la planète.

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Aujourd'hui la croissance urbaine du tiers monde est d'une rare violence. Tant le rythme explosif de croissance (une population urbaine multipliée par 16 en 75 ans, de 1950 à 2025), que la taille atteinte par des conurbations en nombre croissant (plus de 45 % de la population urbaine en Amérique latine vit dans des métropoles de plus d'un million d'habitants), mettent en péril la viabilité des villes. Dans plusieurs régions du monde, en particulier en Afrique, cette croissance urbaine se fait même sans développement économique, et s'accompagne d'une paupérisation d'une part importante de la population : les investissements dans les infrastructures et services urbains de base souffrent alors d'étranglement, incapables de suivre le rythme de croissance des besoins, et se dégradent faute de faire l'objet d'une maintenance suffisante. Besoins mal satisfaits, mais aussi gaspillage des ressources et forte exclusion sociale sont alors les manifestations de ce manque de viabilité.

Cependant, la croissance urbaine contemporaine, même rendue viable à l'échelle locale, pourrait n'être pas compatible avec la soutenabilité écologique du développement à l'échelle planétaire, compte tenu de la consommation fortement croissante d'espace, d'énergie et de matières premières, et de la production croissante de déchets qu'elle impliquerait. La contradiction entre les exigences du développement soutenable aux différentes échelles apparaît ainsi comme la question critique à résoudre. Elle appelle des changements importants des modèles technologiques et des formes d'organisation.

On doit néanmoins se garder de transférer mécaniquement les raisonnements d'une échelle à l'autre. Il n'est pas immédiat de passer de la formulation de contraintes planétaires à des principes ou règles valables pour des échelles locales, puisqu'alors des mécanismes de substitution, de compensation et d'échange peuvent entrer en jeu : il serait déraisonnable de vouloir conserver chaque écosystème en l'état ; on ne peut pas exiger de chaque économie locale qu'elle limite son développement aux possibilités de ses seules ressources locales, etc.

UNE FAUSSE BONNE IDÉE ?

Se pose alors une question : peut-on planifier la soutenabilité à long terme des villes ? La démarche historique a montré que l'espace urbain dépasse les projets et les intentions des fondateurs, aménageurs et planificateurs : les structures urbaines sont réinterprétées et recomposées par les temps présents ; l'événement interfère avec la structure. Mais alors s'impose une trajectoire d'évolution à long terme, à la fois irréversible et peu prévisible. Vouloir imposer un modèle de développement urbain jugé soutenable à long terme peut alors déboucher sur son contraire et représente peut-être une fausse bonne idée à l'échelle de l'espace local.

Par contre, faire à temps des choix robustes et préserver de façon active la flexibilité et le potentiel de renouvellement de l'espace urbain sont des priorités qui, paradoxalement, imposent que le développement urbain ne soit pas abandonné au seul laisser-faire du marché ou des pratiques d'appropriation sauvage de l'espace. Il faut encore que les incitations économiques en place aillent dans le sens d'une plus grande efficacité dans l'emploi des ressources matérielles de base et de la mobilisation innovante des capacités humaines inemployées, afin de limiter l'intensité écologique de la satisfaction des besoins de populations urbaines qui représentent d'ores et déjà la moitié de la population mondiale.

Olivier Godard,

chargé de recherche au CNRS, Centre international de recherche sur l'environnement et le développement (URA 940 CNRS), EHESS, 1, rue du 11-Novembre, 92120 Montrouge.

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LA LOGISTIQUE ET LES VILLES

Dans les restructurations du système productif, la logistique joue un rôle croissant. Est-ce un simple instrument technique ? A-t-elle une influence sur l'organisation économique du territoire et sur le réseau de villes qui en est l'ossature ? Michel Savy

Dans l'étude de l'évolution multiforme du territoire - et des villes qui s'y insèrent et le structurent - on assignera ici un rôle primordial aux facteurs économiques et plus particulièrement aux fonctions logistiques qui associent la fabrication et la circulation des marchandises.

Les restructurations en cours sont comparables, par leur ampleur et leur radicalité, au mouvement de décentralisation industrielle qui avait caractérisé, en France notamment, la phase d'expansion des années cinquante à soixante-dix et s'était appuyé, en le réutilisant à son profit, sur le réseau de villes existant. Les changements touchent le cœur même du système productif : les méthodes et les modèles d'organisation du travail et de la production, les relations entre la fabrication et le marché et entre la fabrication et son environnement de services. Ces changements sont maintenant repérés, sous des désignations diverses (post- fordisme, toyotisme, production flexible, etc.), par des élaborations théoriques qui mettent l'accent sur le noyau industriel, technologique, de la production manufacturière.

LES EFFETS D'AGGLOMÉRATION

Ces changements impliquent l'espace. Les activités les plus dynamiques se concentrent sélectivement dans quelques métropoles offrant un marché du travail actif et diversifié. Les effets d'agglomération autorisent des échanges locaux d'autant plus intenses que les entreprises se recentrent sur leur métier de base et font plus appel que naguère à des prestataires tiers. Les liens avec la recherche, avec les institutions politiques et professionnelles locales et avec l'appareil de formation, mais également les conditions de vie offertes à la main d'œuvre, sont également des éléments influents. Les grandes agglomérations offrent en outre une assurance de flexibilité qui permet aux firmes de s'engager et de se désengager plus facilement que dans un bassin d'emploi captif. Par delà les éléments propres à telle ou telle entreprise, on redécouvre le rôle des infrastructures sociales dans le développement territorial.

Le renforcement des liens entre la production et le marché, jusqu'à la mise en place d'un « pilotage par l'aval

», donne une importance inédite aux activités de circulation des marchandises : qu'il s'agisse des relations contradictoires entre les industriels et les grands distributeurs, du resserrement des liens entre les donneurs d'ordres et leurs sous-traitants et fournisseurs, de l'intégration des services après-vente et d'accompagnement à la fourniture de produits proprement dits, etc.

La « différenciation retardée » des produits tend même à reporter dans des sites de distribution certaines opérations de finition ou de conditionnement naguère assurées dans les sites de fabrication. Les techniques logistiques, techniques de gestion des flux physiques (manutention, stockage, transport) ou de gestion par les flux (réseaux d'information, contrôle en temps réel des approvisionnements, des encours et des produits finis) jouent désormais un rôle central dans le pilotage des grands systèmes industriels et commerciaux, la localisation et le fonctionnement spatial de la production : la géographie des lieux se double d'une géographie des flux.

L'IMPORTANCE DES COÛTS LOGISTIQUES

Sans doute le poids des fonctions logistiques dans la production globale, et a fortiori leur influence sur l'organisation du territoire, sont-ils difficiles à mesurer et souvent sous-estimés. Certains travaux évaluent à 20 % environ du produit intérieur brut des pays développés le montant des coûts logistiques, si l'on y inclut les opérations physiques mais aussi les coûts administratifs de gestion des flux et les coûts financiers d'immobilisation des produits. Dans le cas français et parmi les 22 millions d'emplois, on peut évaluer à 800 000 environ le nombre d'actifs engagés dans le seul transport de marchandises, et à quelque 1 700 000 ceux qui réalisent des opérations de logistique opérationnelle. Encore ces chiffres, imprécis mais significatifs, ne couvrent-ils pas les consommations intermédiaires que sont la production et l'entretien des véhicules et autres matériels, des infrastructures et des bâtiments, la fourniture d'énergie, les assurances, etc. Pour nombre de produits de grande consommation, le montant des coûts logistiques amont et aval (mais sans compter l'activité commerciale des distributeurs finals) est du même ordre de grandeur que les coûts contrôlables, les coûts de fabrication immédiate. A l'usine visible s'en ajoute une deuxième, cachée, fragmentée, partiellement mobile, mais d'un volume de production comparable, « l'usine logistique ».

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Or, les tendances qui alimentent la concentration technique et spatiale de la fabrication jouent aussi en matière logistique, dans la recherche d'un compromis satisfaisant entre les avantages de la concentration (économies d'échelle) et ses désavantages (allongement des distances et des délais, augmentation des coûts d'acheminement). Le degré de concentration des solutions retenues varie selon les produits concernés : leur valeur, la taille des lots d'expédition, la fréquence et la régularité des envois, l'urgence des commandes, etc.

Pour desservir un territoire comme la France, chaque cimenterie alimente aujourd'hui une zone d'environ 200 km alentour (mais il y avait une usine par département il y a vingt ans), une compagnie pétrolière compte une trentaine de dépôts régionaux (contre cinquante auparavant), les produits alimentaires ultra-frais transitent par une demi-douzaine de bases logistiques (mais les livraisons directes sur les plates-formes des grands distributeurs se multiplient), les pièces de rechange pour l'automobile sont regroupées en un stock unique national (les stocks régionaux ont disparu), les pièces de rechange des grands ordinateurs dans un stock européen, certaines pièces d'hélicoptère dans un stock unique pour le monde entier… Les forts taux d'intérêt, la réduction drastique des stocks qu'exige la gestion « en flux tendus », la baisse absolue des prix de transport renforcent la concentration du dispositif logistique, et donc la polarisation de l'espace.

LE CHOIX D'UNE IMPLANTATION

L'implantation d'une installation logistique s'ordonne selon deux questions : cette installation sera-t-elle isolée, ou voisine d'autres établissements analogues ? le lieu choisi sera-t-il situé en zone urbaine ou en rase campagne ? Dans les réseaux logistiques, la maîtrise des nœuds physiques et organisationnels tend à l'emporter sur celle des arcs, des opérations de transport proprement dit. Certains réseaux, spécialisés, s'organisent de manière autonome, avec des implantations dédiées. D'autres font appel à des systèmes partagés, qu'il s'agisse des opérations d'acheminement (les diverses sortes de messagerie) ou des installations fixes. Des zones d'activité spécialisées dans le transport et la logistique proposent une offre immobilière et de services à l'ensemble des professions intervenant dans les chaînes d'acheminement (transporteurs, commissionnaires, chargeurs industriels, distributeurs, etc.) et regroupent ainsi une part des plates-formes privées. Ces plates-formes publiques sont promues par des investisseurs privés, ou par des collectivités locales qui y voient un instrument de développement économique, de meilleur traitement des nuisances et d'aménagement de l'espace.

Parmi les plates-formes, certaines ont un rôle local de distribution et de collecte, d'autres jouent un rôle régional, parfois national et international, de stockage et d'acheminement. Les localisations s'appuient à la fois sur les grandes infrastructures (nœuds du réseau autoroutier, sites multimodaux) et sur la proximité des marchés, à l'expédition comme à la réception. La localisation des plates-formes spécialisées relève de considérations technico-économiques propres et s'effectue parfois en un site isolé. En revanche, les plates- formes publiques se doivent d'être polyvalentes, associer flux locaux et de longue distance, acteurs multiples, et leurs investisseurs recherchent la flexibilité dans l'affectation de leurs installations. Elles s'implantent donc au voisinage ou au sein des grandes agglomérations. En France, se dessine un réseau d'une demi-douzaine de zones métropolitaines, ouvertes aux échanges internationaux, permettant de desservir, outre leur aire propre, de vastes pans du territoire national. Ainsi, l'Ile-de-France n'est pas seulement le lieu de concentration des fonctions directionnelles et des hautes qualifications, c'est également la première plaque tournante logistique pour les trafics intérieurs et internationaux.

A terme, la tendance à la polarisation sera peut-être limitée par l'aggravation de la congestion des zones urbaines et l'élévation des coûts fonciers, favorisant les implantations périphériques voire en rase campagne.

Le bilan global de mouvements urbains de marchandises n'en sera pas forcément amélioré… Quant à l'émergence de régions logistiques européennes, transfrontalières, elle se heurte encore, pour les produits de grande consommation, aux disparités de l'appareil de distribution. Mais c'est bien la mise en place d'un espace réticulaire, accentuant la coupure économique et spatiale entre les métropoles, bien reliées en dépit de la distance, et les espaces interstitiels, laissés à l'écart, que favorise aujourd'hui le développement logistique.

Michel Savy,

professeur à l'École nationale des ponts et chaussées, Laboratoire techniques, territoires et société (URA 1245 CNRS), ENPC, Central IV, 1, avenue Montaigne, 93167 Noisy-le-Grand Cedex.

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LES TRAJECTOIRES RÉSIDENTIELLES

Pour comprendre la complexité des rapports au logement, il est nécessaire de resituer les comportements des ménages dans leur histoire résidentielle et familiale. Catherine Bonvalet

Le logement est un bien complexe dont les enjeux pour les ménages sont multiples : enjeux économique, patrimonial, affectif et familial, qui s'inscrivent dans la durée. Leur compréhension nécessite de compléter les travaux sur les conditions de logement, tirés des recensements et des enquêtes logement de l'INSEE, par une analyse qui prenne en compte le passé résidentiel des individus à l'aide d'enquêtes rétrospectives et de monographies qualitatives.

ÉTABLIR UN BILAN RÉSIDENTIEL

Ces analyses dites longitudinales ont ouvert des perspectives nouvelles en permettant une approche différente du logement où les comportements des ménages ne sont plus, désormais, saisis dans l'instantané à partir de variables simples comme l'âge du chef de ménage, son revenu ou sa catégorie professionnelle, ce qui conduisait souvent à une vision déterministe des pratiques résidentielles. Ainsi, de récents travaux révèlent les processus par lesquels les ménages opèrent les choix qui orientent leurs trajectoires résidentielles définies comme la succession des statuts d'occupation, de lieux de résidence et de type d'habitat au cours du cycle de vie.

L'intérêt de ce type de démarche est double. D'une part, il devient possible d'établir un « bilan résidentiel » des ménages en fonction de leur vie familiale et professionnelle. La grande majorité des individus commencent leur itinéraire dans le secteur locatif privé, certains le poursuivent dans le parc social et ce n'est que plus tard, au moment de la constitution de la famille, que se pose la question de l'achat du logement (vers 35 ans en moyenne). Par exemple, pour les personnes appartenant aux générations nées entre 1926 et 1935, le nombre de logements occupés plus d'un an, variable selon le statut d'occupation, la taille de la famille et le statut social s'élève, à 45 ans, à trois en moyenne. Plus d'une trajectoire sur quatre comporte un passage dans la région Ile-de-France. A l'intérieur de celle-ci, la banlieue apparaît comme un lieu où l'on jette l'ancre, tandis que Paris reste un lieu de passage.

D'autre part, l'analyse approfondie des « parcours logement » permet de dépasser la simple description des différents logements habités par les ménages et de mettre en évidence le sens symbolique et social qui guide les stratégies des familles en matière de choix de logement.

LE RÔLE DE LA FAMILLE

Les comportements des ménages n'obéissent pas uniquement à des logiques économiques, mais également à des logiques multiples où interviennent non seulement l'histoire de l'individu, celle de son conjoint et de leurs familles respectives, mais également l'histoire du parc de logements et de la législation. Même dans les grandes enquêtes de l'INED, où se dégagent des tendances lourdes dans les parcours logement, il reste des traces statistiques de cette diversité. L'influence des origines et la concordance imparfaite entre statut d'occupation et statut économique (il existe des locataires aisés et des propriétaires qui le sont moins) invitent à reconsidérer la façon d'appréhender les questions du logement à partir des notions de ménage et de statut d'occupation et de résidence principale.

Parce que le ménage n'est pas dans la réalité ce groupe d'individus isolé dans son logement, mais qu'il est pris dans un ensemble de relations familiales, amicales, professionnelles, son comportement résidentiel porte leur empreinte. Invisibles au niveau macro-économique, les logiques familiales fournissent souvent une clé pour comprendre l'itinéraire résidentiel des ménages. Dotée d'un pouvoir d'influence non négligeable, de capitaux relationnels et financiers, la famille agit de façon souterraine à toutes les étapes du cycle de vie, en donnant par le jeu des cautions ou par sa mobilisation financière et matérielle, la possibilité d'obtenir ou d'acquérir un logement. Son rôle ne se limite pas à ces aides ponctuelles. La famille transmet des valeurs et des modes d'habiter qui contribuent au fil des générations à fabriquer un univers résidentiel auquel l'individu pourra se référer selon les circonstances du marché du logement et les événements du cycle de vie.

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PROPRIÉTAIRE OU LOCATAIRE ?

Dans l'itinéraire des ménages, l'achat du logement apparaît comme une étape privilégiée où la mobilisation familiale joue un rôle capital, car la propriété possède une valeur symbolique très forte en France. Cela se traduit par une vision hiérarchique des statuts d'occupation selon laquelle le propriétaire d'une maison individuelle se situe au sommet de l'échelle résidentielle et le locataire de HLM au bas. De cette image, découle l'idée d'un parcours logement idéal dont l'aboutissement ne saurait être que la propriété et la location qu'une étape. L'analyse des trajectoires montre une réalité de plus en plus complexe, en particulier sous l'effet de l'évolution des structures et pratiques familiales (cohabitation hors mariage, divorce…) ainsi que des transformations économiques. D'une part, les allées et venues entre les différents statuts sont fréquents, le retour vers le secteur locatif après une accession à la propriété ne constituant pas une exception, même pour les couples stables. D'autre part, la propriété ne revêt pas le même sens selon les catégories sociales et les familles (il existe des familles de propriétaires et des familles de locataires). Pour certains, le lieu de résidence et l'insertion dans un quartier sont plus importants que le statut juridique d'occupation ; pour d'autres, des conditions spécifiques rendent l'achat d'une résidence principale moins attractif : par exemple un logement HLM bien situé, un logement « loi de 1948 », un logement de fonction, ou encore certaines rentes de situations souvent liées à l'ancienneté du ménage dans le logement. Pour d'autres enfin, parce que leurs attaches sont ailleurs, la question de l'achat d'un logement dans la région du lieu de travail ne se pose même pas. Et la détention d'une résidence secondaire ou d'une maison de famille vient souvent satisfaire le désir de propriété toujours présent.

Cette approche par les trajectoires résidentielles renvoie une image du parc de logements différente de celle généralement décrite : d'une part, la hiérarchie propriétaire-locataire transparaît de manière imparfaite dans la réalité des pratiques résidentielles, certains locataires le sont par choix, tout comme certains propriétaires le sont devenus sous contrainte. D'autre part, la prise en compte du groupe familial conduit à nuancer le déterminisme économique au terme duquel le ménage, en fonction de sa catégorie sociale et ses revenus, serait destiné à un statut d'occupation et à un type de localisation. Cependant la lecture des trajectoires ne doit pas conduire à une autre vision déterministe selon laquelle les individus se contenteraient de reproduire la position résidentielle de leurs parents. L'introduction de la notion de stratégie est ici essentielle car elle reconnaît aux individus une part de choix et ouvre l'horizon des possibles, tandis que la vision déterministe le referme d'après des critères préétablis. La famille, en fait, donne ou ne donne pas des cartes que les ménages restent libres d'utiliser selon les opportunités du marché du logement. Si les parcours résidentiels ne sont pas tracés d'avance par les origines, les classes sociales, les revenus ou le statut professionnel, ils en sont le produit complexe.

Catherine Bonvalet, chargée de recherches à l'Institut national d'études démographiques, 27, rue

du Commandeur, 75014 Paris.

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L'ANALYSE DE LA MOBILITÉ

Les représentations dominantes des comportements de déplacement évoluent, mais aucune ne chasse totalement les précédentes. Jean-Pierre Orfeuil

Jamais dans l'histoire les hommes n'ont été aussi mobiles dans leur vie quotidienne, ancrée dans les espaces environnant la résidence comme dans les périodes de rupture, souvent synonymes de voyages lointains. Rien ne signale, même aux États-Unis, l'esquisse d'une stabilisation.

L'analyse de la mobilité se donne pour tâche la connaissance des comportements de déplacements et la compréhension des déterminants de la mobilité, avec des retombées sur nos capacités de prévision, d'action et d'évaluation. Divers paradigmes ont servi à guider les investigations.

DU MICROSOCIAL AU MACROSOCIAL

De l'après-guerre au début des années soixante-dix, la représentation dominante est gravitaire : les zones de l'espace s'attirent en fonction de leurs différences de potentiel (résidences ici, activités là) et de la résistance du milieu (les coûts généralisés, monétaires et temporels, de la migration). L'objet n'est ni la personne ni son déplacement, mais le flux. Souvent qualifiée de « physique sociale » par ses détracteurs, l'approche sera aussi critiquée dans ses modes opératoires : caractère exogène de la motorisation et de l'urbanisation, logique causale sans rétroaction.

La fin de l'urbanisation massive, l'émergence de problèmes nouveaux (choc pétrolier, révoltes d'usagers), les succès - dans d'autres domaines - d'un marketing qui intègre les différences d'attentes des consommateurs mettent alors la personne au centre du dispositif.

Un premier courant, dérivé de la théorie du consommateur, d'essence microéconomique et psychométrique, met l'accent sur les attributs fins du déplacement : traitements différenciés des temps de parcours, d'attente, d'accès, échelles de confort, de fiabilité, participent à la définition d'une fonction d'utilité qu'il s'agit de maximiser.

Un second courant, celui de la géographie du temps et des programmes d'activités, vise moins à quantifier des relations simples qu'à documenter le champ des relations possibles, leur formation, leur combinatoire : la demande de transport est explicitement reconnue comme dérivée de la réalisation d'un programme d'activités, activités elles-mêmes situées dans l'espace et le temps (rythmes familiaux et temps sociaux). A la logique d'optimisation individuelle de l'approche économétrique répond une logique d'appréhension des univers possibles… et des schémas irréalisables. Les formalisations ici ne sont pas très éloignées des logiques des systèmes à base de connaissance. Stimulante parce qu'elle révèle à la fois des capacités d'adaptation insoupçonnées, mais aussi des contraintes jusqu'alors non prises en compte, cette approche s'avère féconde pour la conception de modifications marginales du système, mais bute sur le passage du microsocial au macrosocial, sur l'extrême diversité des programmes d'activités dans les sociétés modernes.

Elle apparaît en outre, comme les approches économétriques, trop statique et trop dépendante de la structure des espaces, elle-même fortement dépendante des capacités de mobilité de la population.

UN BUDGET-TEMPS CONSTANT

Dans la seconde moitié des années soixante-dix, la question de la transformation de l'urbanisation par la mobilité et de la mobilité par l'urbanisation recevra une réponse théorique. Énoncée brutalement, elle postule que la mobilité évolue de telle sorte que les progrès de la vitesse qu'offrent la technologie et l'investissement sont utilisés par les personnes pour augmenter la portée spatiale de leurs déplacements, dans la limite d'un certain budget-temps (maximum qu'une population considère comme normal de passer en déplacement) et d'un certain budget monétaire (fraction caractéristique du revenu).

Parfois présenté de façon quasi-anthropologique (« de tout temps, en tout lieu, les populations consacrent le même temps à se déplacer »), le concept est en fait plus complexe puisqu'il se présente comme un

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programme de maximisation d'une fonction (la distance) sous deux contraintes budgétaires où les prix, les performances non seulement des moyens de transport, mais aussi des réseaux (qui dépendent des comportements collectifs, à travers des phénomènes tels que la congestion ou la déshérence des transports publics), jouent un rôle essentiel.

Une telle diversité d'approches dans un champ de recherche qui n'a guère que trente ans peut être perçue soit comme un signe de vitalité créatrice, soit comme un symptôme inquiétant d'instabilité. En fait, aucune approche n'a véritablement « tué » les autres, si bien que la diversité des angles de vue révèle surtout la diversité des questions posées dans un contexte où toute approche « totalisante » peut être a priori exclue.

Pour les analyses prospectives de long terme, qui doivent mettre en jeu simultanément les transformations de la mobilité et les transformations des espaces, les observations effectuées tant en France qu'en Allemagne ou aux États-Unis sont compatibles avec la vision de stabilité budgétaire et de maximisation des distances proposée par le dernier modèle : le nombre de déplacements (interaction spatiale) augmente peu, les distances moyennes augmentent fortement, tandis que les temps de transport restent stables en raison des transferts modaux et des progrès de vitesse dans les modes : cette « quasi-loi » semble pouvoir servir de socle à des exercices prospectifs questionnant les morphologies urbaines, dès lors que des modèles intégrant les effets de l'évolution démographique et de la croissance économique sont utilisés pour qualifier le scénario de référence.

Pour les analyses à plus court terme, où l'on cherche à évaluer l'impact de telle ou telle modification marginale du système, les autres représentations peuvent être employées soit isolément, soit en combiné : la démarche économétrique/psychométrique sera souvent efficace pour les changements de tarifs, de fréquence… ; les démarches en terme de programmes d'activité seront souvent efficaces vis-à-vis d'offres organisationnelles nouvelles (car-pool, horaires variables…) ; une combinatoire de plusieurs démarches sera utilisée pour des produits nouveaux (péage modulé, véhicule électrique…) et pour le test d'investissements lourds : c'est ainsi par exemple qu'on a montré qu'à court terme, l'ouverture d'un boulevard périphérique autour d'Amsterdam se traduirait pour les usagers par un « retour vers la pointe », révélant ainsi l'ampleur des efforts d'étalement de trafic que réalisaient les usagers dans la situation antérieure.

Jean-Pierre Orfeuil, directeur de recherche à l'Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité, Département économie et sociologie des transports, INRETS, 2, avenue du Général-Malleret- Joinville, BP 34, 94114 Arcueil Cedex.

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VERS UN MODÈLE DE VILLES ENTREPRENEURIALES ?

Un nouveau modèle de gouvernement urbain fondé sur l'émergence des villes comme acteurs économiques est peut-être né : les effets de la compétition inter-urbaine se font déjà sentir. Patrick Le Galès

La réorganisation des relations entre l'État, la CEE, les autorités locales, le marché, les entreprises privées, a caractérisé les années quatre-vingt dans l'ensemble des pays européens. Dans le domaine spécifique des politiques de développement économique, les pouvoirs locaux, notamment les villes et les régions, ont multiplié les initiatives depuis le milieu des années soixante-dix. Les travaux de sociologie et de politique urbaine sur l'évolution des actions et des politiques de développement économique local des villes ont mis en évidence trois tendances dans les années quatre-vingt : l'évolution des politiques locales dans le sens de la compétition interurbaine ; les privatisations de services urbains et la multiplication des formes d'organisation impliquant des partenariats publics-privés et de fait l'implication croissante des acteurs privés ; le développement d'une planification stratégique à moyen ou long terme.

Tout un courant de recherche s'interroge sur la recomposition de l'action publique urbaine, sur l'émergence de nouvelles formes de gouvernement urbain (ou de gouvernance urbaine afin de sortir d'une définition purement institutionnelle). Les politiques économiques des villes sont un indicateur de ces évolutions.

Peuvent-elles être appréhendées à partir d'un modèle de ville entrepreneuriale ? Ce modèle serait le fruit à la fois d'une contrainte et d'une stratégie politique des villes.

LE RÔLE DES ACTEURS PRIVÉS

La recherche urbaine a d'abord mis l'accent sur les nouvelles actions menées par les collectivités locales dans les années soixante-dix dans le cas français, pour favoriser le développement économique et s'est interrogée sur les logiques de la décentralisation. Comparant avec la période de la croissance, les recherches ont mis en évidence la transformation de l'aménagement urbain et les difficultés des organismes et outils liés à l'État.

Puisqu'il y avait la décentralisation, les politiques locales devaient être importantes et de nombreuses recherches ont été effectuées sur ces dernières, les nouveaux notables et le gouvernement urbain. Or, le jeu à deux acteurs principaux, l'État et les collectivités locales (notamment les grandes mairies urbaines), est devenu un jeu plus compliqué avec le rôle de plus en plus important des acteurs privés, qu'il s'agisse des intérêts locaux, des grandes entreprises de service urbain ou des banques.

Ainsi, pour les maires urbains, l'État n'était plus capable de résoudre le problème du chômage. L'abandon plus ou moins clair de la politique d'aménagement du territoire et la mise en place des contrats de plan ont renforcé un mouvement de compétition entre les autorités locales pour attirer les investissements publics financés par l'État. A ce jeu, les plus forts, les maires urbains, ont gagné. Les mairies urbaines ont bien pris conscience du fait que dans un système capitaliste, lorsque le pouvoir de l'État sur les entreprises est remis en cause, les villes dépendent des entreprises pour la création d'emploi et la richesse. Si l'État n'avait plus les moyens de défendre l'emploi, il convenait de se rapprocher des producteurs de richesse, de s'associer étroitement aux entreprises. Cela a pris localement la forme de partenariat, d'arrangements entre autorités locales et représentants des entreprises, ou plus directement avec certaines entreprises pour la définition de stratégies locales plus ou moins formalisées.

La recherche urbaine sur le gouvernement des villes et les politiques publiques locales a mis en évidence la fragmentation, la multiplication des acteurs et les arrangements divers entre acteurs publics et privés dans les villes plutôt que la belle cohérence de politiques et de stratégies locales défendues avec brio par les maires, ou présentées par les consultants.

LA RECHERCHE URBAINE COMPARATIVE

Les travaux comparatifs ont permis à la recherche de progresser rapidement. Dans les années quatre-vingt, la recherche urbaine a connu de nombreux développements théoriques en particulier aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

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