RÉDACTION
Concours Centrale-Supélec 2009 1/4
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L’usage de tout système électronique ou informatique est interdit dans cette épreuve.
Remarques importantes
• Présenter sur la copie, en premier lieu, le résumé de texte, et en second lieu, la dissertation.
• Il est tenu compte, dans la notation, de la présentation, de la correction de la forme (syntaxe, orthographe), de la netteté de l’expression et de la clarté de la composition.
• L’épreuve de Rédaction comporte obligatoirement deux parties : un résumé et une dissertation. Résumé et dissertation ont la même notation et forment un ensemble indissociable.
Partie I - Résumé de texte
Résumez en 250 mots le texte suivant. Un écart de 10 % en plus ou en moins sera toléré. Indiquez avec précision, en marge de chaque ligne, le nombre de mots qu’elle comporte et, à la fin du résumé, le total.
[Le] moi ne se connaît pas plus comme individu que comme personne, et moins encore comme personnalité : il ne se connaît pas du tout. Condition de toute représentation, il n’est pas représentable. Conscience de toutes les déter- minations, il n’est pas déterminable. Aussi la « certitude » que nous en avons ne correspond-elle à aucun degré ni à aucune forme de « connaissance ». Elle ne fait qu’exprimer de façon pathétique cette présence à soi de la vie dans la sensation.
Aussi est-il bien remarquable que nous perdons toute conscience et tout senti-
ment de notre identité lorsqu’une anesthésie ou un sommeil suffisamment pro-
fonds nous ôtent toute sensation. À l’inverse, nous avons une conscience
d’autant plus intense et plus vive d’exister que nous sommes plus intensément
et plus vivement affectés par ce que nous sentons. Mais ce « nous » n’est pas
quelque chose. À peine est-ce quelqu’un. Si bouleversé que je puisse être par
l’exécution d’une pièce musicale, il est certes vrai que je n’en éprouverais rien si
mon corps n’en était affecté ; pourtant ce n’est pas mon corps qui est si intensé-
ment ému, mais seulement cette part de moi que je reconnais seule comme vé-
ritablement moi, quoique je ne puisse pas plus l’identifier que la situer, la
qualifier, ni la déterminer.
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Seule une commodité de langage nous fait alors nommer sujet cette sorte de phosphorescence de la vie qui se reconnaît elle-même en chacune des maniè- res dont elle est affectée. Qu’un tel sujet soit la condition de possibilité de toute connaissance, cela est certain. Mais il est aussi certain que lui-même ne peut pas être connu. Ce moi est comme la lumière : quoiqu’elle nous fasse voir toutes choses, aucune chose ne l’éclaire, et on ne la voit pas. Un exemple rendra le fait patent : que je souffre, ou que je vois la mer bleue, cela est aussi indubitable que la plus éclatante des évidences. Si certain que j’en sois, je ne sais toutefois rien de ce qui cause cette souffrance, ni de ce qui constitue la couleur bleue, ni moins encore de ce qu’est ce moi qui dit je. Car autre chose est le moi que je vois dans un miroir, que je sais capable de certaines opérations, que les autres reconnais- sent, et autre chose ce qui en moi dit « je vois » ou « je souffre ». En tant que je me sens vivre, je suis une conscience : je sens, j’endure, j’attends, sans que rien ne caractérise l’identité de cette conscience. Comme tel je suis donc aussi insai- sissable et aussi inconnaissable à moi-même qu’aux autres. À l’inverse, lorsque je veux prendre conscience de moi, ce n’est plus de ma conscience qu’il s’agit, mais de cette individualité singulière, identifiée par les déterminations particu- lières de ce corps, par un certain nombre d’aptitudes, et par un certain type d’at- titudes et de comportements. Encore y a-t-il bien de la différence entre l’image que je forme alors de ce moi et celle qu’en forment les autres. Diversement per- çu, compris ou interprété, du moins ce moi est-il, comme n’importe quel autre corps ou n’importe quel autre discours, un des objets du monde.
Comme tel il est toujours distinct de la conscience qui s’en éprouve aussi
différente que cependant inséparable. D’une part, en effet, comme sujet de sa re-
présentation, la conscience s’éprouve toujours hors du monde. Parce que le mon-
de est toujours devant elle, elle ne peut que s’en éprouver en deçà. Elle y voit
toutes choses, mais elle ne s’y voit pas. Le propre de la conscience est de s’éprou-
ver à distance et comme en retrait de tout ce dont elle a conscience. D’autre part,
en l’unissant à ce qui n’est pas encore, l’attente la désunit du monde déjà là. Par
ailleurs, étant pure ouverture au temps, l’attente qui la constitue fait que je
transcende tous les temps sans être affecté par le temps. Je suis donc le même
(la même conscience) après avoir tant vécu qu’en commençant à vivre. Mais ce
que je suis alors n’est rien de représentable, n’a ni qualité, ni détermination : ce
que je suis, en ce sens, n’est pas du tout quelque chose. Il en va, bien sûr, tout
autrement de moi. Le moi est l’objet que je deviens pour moi-même et pour les
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autres en m’efforçant de lui faire exprimer ce à quoi je tends. Comme sujet de ma représentation, je suis l’intemporel témoin de ma temporalité. Comme objet représenté, à l’inverse, c’est nécessairement dans le temps que mon moi déploie l’activité qui m’exprime, est affecté par ses rencontres, déterminé par les situa- tions où il se trouve engagé, et apparaît de la sorte décrit par sa propre histoire.
La dualité qui me constitue n’est donc pas seulement celle de l’intérieur et de l’extérieur, d’un sujet qui se représente le monde et de l’objet par lequel il prend place dans ce monde, d’une conscience qui attend et d’un individu affecté par ce qui lui arrive. Elle est aussi celle d’un ego intemporel qui dit je, et d’un moi dont tous les autres et lui-même parlent comme d’un objet.
Enfin, comme tout vivant tend à sa forme ultime, tout homme tend à de- venir ce qu’il doit être. Mais, nous l’avons vu, l’homme est cet animal paradoxal au telos
1aléatoire. Ce qu’il a à être, il lui faut se l’assigner, s’y déterminer, le choisir, et pour cela l’imaginer. Comment sa destination ne serait-elle pas alors imaginaire, puisqu’elle ne lui est assignée que par son imagination ? Peut-être est-ce d’ailleurs ce qui avait fasciné Valéry lorsqu’il en concluait qu’« au début était la Fable ». Et en effet, il n’y a rien de si intime, de si particulier, de si propre – notre moi –, que nous n’ayons dû rêver, fantasmer, construire et nous repré- senter imaginairement avant de le poursuivre comme un but, de nous y efforcer comme à une tâche, et de nous y identifier comme à notre destin. Sans doute est- ce même cette substitution d’un telos imaginé à un telos inné, d’une finalité ex- térieure et toujours contingente à une finalité inhérente et toujours nécessaire, à laquelle on se réfère implicitement en évoquant la substitution de la culture à la nature. Car ce moi que nous projetons, nous l’imaginons à partir des rôles que notre milieu social nous présente. Nous le composons en empruntant ses traits à quelques personnages que nous admirons, ou plus souvent à ceux que l’histoi- re, la littérature, ou les diverses mythologies, nous font imaginer. Ainsi avons- nous constitué, presque à notre insu, une sorte de personnage-modèle, un moi paradigmatique, qui va en quelque sorte régler notre vie, nous y faire choisir tel- le profession plutôt qu’une autre, et moins sans doute pour son exercice intrin- sèque que pour les attitudes, l’allure, les gestes, dont nous imaginons qu’elle doive être l’occasion. Le moi auquel nous tendons, tout imaginaire qu’il soit, con- siste donc moins en une fonction qu’en un rôle, moins dans ce rôle que dans le personnage qu’il permet de mettre en scène, et moins dans ce personnage que dans l’expressivité de la personnalité qu’il manifeste. Une personnalité : c’est-à- dire une énergie, un rythme, un tempo, une tonalité, et, solidairement, un style plus ou moins souple ou plus ou moins heurté, plus ou moins harmonique ou plus ou moins dissonant, de relation avec les autres. Notre vie va donc se passer à jouer ce personnage imaginé, ou plutôt, comme dans la commedia dell’arte, à
1. telos, mot grec pour « but ».
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en improviser le rôle selon les situations et les circonstances où nous nous trou- vons engagés. Notre moi, ce moi que nous avons imaginé comme un modèle, ce moi élu dans lequel nous nous reconnaîtrions si nous en lisions l’histoire ou si nous le voyions représenté, il n’est rien d’objectivement constitué. Nous le sché- matisons plutôt que nous ne l’imaginons. C’est un type. Mieux, c’est un style.
Pour caractériser ce moi paradigmatique, l’analogie la plus pertinente serait peut-être celle que nous emprunterions à une improvisation musicale : ayant élu un style, avec ses rythmes, sa couleur, ses timbres, ses modulations propres, nous n’interprétons pas notre vie comme une partition qu’on joue ; nous l’impro- visons plutôt en lui donnant à chaque instant ce caractère expressif et inimita- ble qui fait qu’on reconnaît Beethoven dans une bagatelle, ou Brahms dans le plus bref intermezzo. Notre moi, c’est principalement la manière que nous avons choisie de faire sonner notre vie.
Nicolas Grimaldi, Traité des solitudes, PUF, 2003, p.91-95.