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Une cité entre taïga et toundra, la limite de l’oubli de Sergueï Lebedev

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Géographie et cultures 

91-92 | 2014

Géographie des objets

Une cité entre taïga et toundra, la limite de l’oubli de Sergueï Lebedev

Jean‑Marc Fourès

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/gc/3491 DOI : 10.4000/gc.3491

ISSN : 2267-6759 Éditeur

L’Harmattan Édition imprimée

Date de publication : 1 octobre 2014 Pagination : 282-284

ISBN : 978-2-343-07132-9 ISSN : 1165-0354 Référence électronique

Jean‑Marc Fourès, « Une cité entre taïga et toundra, la limite de l’oubli de Sergueï Lebedev », Géographie et cultures [En ligne], 91-92 | 2014, mis en ligne le 06 novembre 2015, consulté le 26 novembre 2020.

URL : http://journals.openedition.org/gc/3491 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gc.3491 Ce document a été généré automatiquement le 26 novembre 2020.

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Une cité entre taïga et toundra, la limite de l’oubli de Sergueï Lebedev

Jean‑Marc Fourès

RÉFÉRENCE

Sergueï Lebedev, 2014, La limite de l’oubli, Paris, Verdier, 316 p.

1 La limite de l’oubli est le premier roman d’un jeune auteur russe, ayant exercé le métier de géologue dans le Grand Nord. Il raconte l’histoire d’un narrateur en quête de son passé, après avoir découvert dans la taïga les traces d’un ancien camp de concentration.

Le passé du pays et celui du narrateur se confondent dans la figure énigmatique de l’Autre-Grand-Père, vieillard aveugle accueilli dans la famille du narrateur, qui, lorsque ce dernier fut gravement mordu à huit ans par un chien, se porta volontaire pour une transfusion sanguine au prix de sa vie. Ce lien de sang avec le vieillard (« tu vois le futur œuvrer dans ton corps, ta mémoire, ton destin », p. 19) est le fil qui conduit le narrateur jusqu’aux sources de son lourd héritage, à la fois individuel et collectif.

2 Le roman commence au détroit de Gibraltar, là où la roche sédimentaire d’âge Secondaire, « l’os jaune de la pierre » (p. 7), plonge dans la mer. Le narrateur évoque rapidement le voyage qui l’a mené des marges continentales de l’Europe (l’Oural) jusqu’au bord de l’océan, et il explique que cette situation « à l’extrémité de l’Europe » (p. 7) correspond au point de retour « vers les mots » (p. 8) de sa langue maternelle.

Évoquant la notion géopolitique d’île-monde théorisée par Mackinder, il esquisse alors les contours d’une Europe au prisme de son expérience et de ses révélations « non seulement spirituelles, mais aussi physiques » (p. 9) aux confins du continent, évoquant la difficulté à décrire le paysage aux marges de l’œkoumène : « les choses d’ici semblent n’être pas encore nées dans la langue que tu parles. Celle-ci peut […] leur imposer des noms auxquels elles se soumettront, mais celui qui est capable de faire la différence entre une parole vivante et une parole morte flairera la colonisation linguistique » (p. 9). Aussi le premier chapitre (douze pages) explique-t-il en quoi la parole est un lien

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vivant entre les générations d’êtres humains : « les mots devenaient translucides […] : ainsi, une manière particulière de réfracter la lumière révèle une bulle d’air au cœur d’une pierre précieuse. La bulle d’air est d’une fraction de seconde plus vieille que la pierre elle-même […]. C’est cette minuscule respiration – l’âme inaliénable du mot – qui ren[d] le mot authentique, l’arrim[e] à la vie et à la mort » (p. 11) par-delà les vies individuelles de l’écrivain et de ses compatriotes.

3 Les chapitres suivants, au fil du récit, retracent « l’esprit de l’époque [passée], non pas ce qui est dans l’air et qui forme son atmosphère, son décor extérieur – la mode, les slogans, les discours, les innovations techniques –, mais ce qui est plus profond, plus près du cœur : les notions de bien et de mal, celles d’humain et d’inhumain […], ce que l’homme peut faire à l’homme – et qui sera perçu comme normal pour son temps » (p. 122). C’est fort d’une attention particulière aux décalages temporels que le narrateur peut exprimer cet esprit passé, racontant aussi bien la découverte d’un cimetière de déportés dégagé par l’érosion – suite à la déviation d’un cours d’eau pour les besoins de l’exploitation minière – que les relations ambiguës du narrateur jeune avec l’éducation que veut lui donner l’Autre-Grand-Père, mais aussi l’accident avec le chien le jour du passage de l’armée soviétique en 1991, la rencontre avec un prisonnier échappé d’un camp actuel, l’attachement sur un quai de gare à une vieille dame très ressemblante à une autre précédente, ses rêves, le pressentiment d’un kidnapping par des bandits et enfin l’origine de la cécité de l’Autre-Grand-Père, après avoir visité l’ancien camp où ce dernier vécut (camp devenu une cité minière). La toute dernière partie du récit, où le narrateur rencontre les personnages les plus étranges, dans l’isolement de la toundra, offre une expérience littérale des liens que tissent les humains entre jardins, foyers et temples.

4 Le roman de Sergueï Lebedev, dont le titre paraît finalement davantage celui d’un traité de philosophie que celui d’une fiction, s’inscrit malgré tout, à travers l’image de la

« respiration »1, dans une littérature de la « plante humaine » chère à Julien Gracq ou une « culture générique » (M. Serres). Mais de plus, il apporte en à peine trois-cents pages une densité d’images et une ampleur du propos impressionnantes, où la poésie de la Terre n’enlève rien à celle de l’Espace. La traduction par Luba Jurgenson rend très bien la qualité de l’écriture, laquelle intéressera certainement les géographes pour son expression mêlant histoires naturelle(s) et humaine(s).

NOTES

1. Voir Maël Renouard, 2007, « Péninsule des marées. Sur Julien Gracq », Thauma, n° 3, p. 74‑87.

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AUTEURS

JEAN‑MARC FOURÈS Ladyss – UMR CNRS 7533

Université Paris1 Panthéon-Sorbonne jean-marc.foures@univ-paris1.fr

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