LES GLYCÉROPHOSPHATIDES
DE LOCUSTA MIGRATORIA CINERASCENS (FABR.)
ET DE SON MUTANT ALBINOS
(ORTHOPTÈRES, ACRIDIDAE),
COMPARÉS A CEUX DES AUTRES INSECTES ( 1 )
A. BOUTHIER R. DOUCE Laboratoire de
Zoologie,
École
normalesupérieure,
24 Rue Lhomond, Paris 5eLaboratoire de
Biologie vigétale
4,Faculté des Sciences, 12 Rue Cuvier, Paris -ie’
SOMMAIRE
L’étude des
phospholipides
dutégument
abdominal et de J’œil de Locustamigratoria
cinerascens’EABR
. a été réalisée
après
marquage au 311P-orthophosphate
de Na pourcomparaison
entre une souchenormale et une souche mutante albinos. Il n’a pas été trouvé de différence notable entre les deux sou-
ches. Les pourcentages des différents constituants de la fraction
phospholipidique
ont été déterminéspar mesure de leur radioactivité
après chromatographie
surpapier.
Lacomposition
enphospholipides
se
rapproche
de celle de lamajorité
des insecte3étudiésjusqu’ici (phosphatidylcholine prédominante
sur la
phosphatidyléthanolamine),
différant donc en cela desDiptères
et desHomoptères.
Lephos- phatidylinositol
est présent enquantité
d’uneimportance
inédite chez les insectes.INTRODUCTION
Les phospholipides
des Insectes sont relativement mal connus, car leurs techni- ques d’étude ne sontparfaitement
aupoint
quedepuis
peu d’années. Lespremiers
auteurs se sont bornés à
préciser
lepourcentage
desphospholipides
parrapport
auxlipides
totaux(voir
la mise aupoint
deF AST , I9 6q.).
Des travauxplus
récents(B I E-
BE
R et
CLl., I9 6 I C H O JN AC KI
etKO RZYB SKI, I(!E)2 ;
Ci20NE etBRIDGES, 19 62
HAS-(’) Ce travail a fait l’objet d’une communication à la Euchem Conference on Insect Chemistry,
Varenna (Italie), :3-ig septembre 1966.
HIMO T
O et
M UKAI , ig66 ; K IN SE LL A, ig66 ; F AS T, ig66 ;
THOMAS etGI!B!RT, 1967)
ont montré que les Insectes
possèdent
dans desproportions
variées les différentsgly- cérophospholipides classiques.
Tous ces travaux sont relatifs aux Insectes Holomé- taboles.Les
phospholipides
des Insectes Hétérométaboles ont étébeaucoup
moins étudiés.Parmi les rares travaux
qui
leur sontconsacrés,
citons enparticulier Ai.BRECHT (ig6i)
et OSMAN et SCHMIDT
( 19 6 1 ) qui
ont établirespectivement
sur Schistocercagregaria
et sur Locusta
migratoria (Orthoptères)
lepourcentage
desphospholipides
dans leslipides
totaux ; ALLAIS et al.( 19 6 4 )
et KINSELLA( 19 66) qui
se sont attachés à l’étudede la
cinétique
desphospholipides
au cours dudéveloppement embryonnaire
respec- tivement chez Locustamigratoria
etPeriplaneta
americana. En dehors des travaux de FAST(ig66
etig6 7 ),
on trouvequelques
indicationsfragmentaires
sur deuxespèces
de
Dictyoptères
obtenues par CRONE et BRIDGES( 19 6 2 )
en utilisant le marquageau
s2 P,
seule méthodepermettant
de chiffrer avec suffisamment d’exactitude les pour-centages
des différentsphosphatides.
Outre l’intérêt que
présente
la connaissance de lacomposition
de la fractionphos- pholipidique
des tissus d’un insectehétérométabole,
l’étude de Locustamigratoria
cinerascens à ce
point
de vue nous a semblé souhaitable du fait del’apparition
récented’une mutation albinos
(VERDIER, zg6 5 ).
Cette mutationpourrait
avoir unretentisse-
ment corrélatif à l’échelle cellulaire sur les
proportions respectives
des différentsphos- pholipides.
Onsait,
eneffet,
que ces constituants tiennent uneplace primordiale
dansl’architecture lamellaire des diverses membranes cellulaires
(D ALLNER ,
SIEKEVITZetP
AI , ADE
, i 9 66).
La localisationpréférentielle
despigments
dans des structures mem-branaires est établie
(FuGE, 19 66 ; S HOUP , ig66).
Ce fait inclinerait à penser que les modifications dans les teneurs en ommochromes et enptérines (BouTHiER, 1 9 66)
vont de
pair
avec des modifications des structures membranairesphospholipopro- téiques
desgranules qui
les contiennent. Ces modificationspourraient
êtreanalogues
à celles décrites par SHOUP
( 19 66)
chez certains mutants deDrosophila melanogaster.
Aussi avons-nous été
conduits,
dans le cadre des recherches que nouspoursuivons
surle déterminisme de l’albinisme chez
Locusta,
à étudier lacomposition
enphospholi- pides
dutégument abdominal,
niveauprésentant
les différencespigmentaires
lesplus marquées
entre les souches normale et mutante(B OUTHIER , 19 66),
et de l’oeil où les différences sont moins accentuées(id.).
MATÉRIEL
ETMÉTHODES
Trente Locusta
mig y atoria
cinerascens( 15
appartenant à la souchenormale,
élevée au laboratoire àpartir
degéniteurs
provenant de Castel Sardo(Sardaigne),
et i5 à la souche mutante, à raison de 8 femelles et 7 mâles parlot)
ont été nourris durant 8jours
avec des feuilles dePhragmites
commu- nis L., surlesquelles
étaitpulvérisée
une solution aqueused’ortho p hosphate
32P de Nacorrespondant
au total à une radioactivité de 2,5mCi. On a ainsi réalisé un marquage uniforme des animaux.
La méthode d’étude des
phospholipides
est celle mise aupoint
par l’un de nous(DoucE, 19 6 4 )
sur les tissus
végétaux
en culture. Lespoids
frais de tissus utilisés pour l’extraction étaient respec- tivement de 3 g pour letégument
abdominal de la souchenormale,
2,7 g pour celui de la souche al- binos, et 0,3 g. pour les yeux, les échantillons étantprélevés
suivant latechnique
décrite dans uneprécédente
note(B OUTHIER , zg66). Après broyage
à froid dans un mortier avec du sable enprésence
de méthanol, on porte à ébullition
pendant
un temps très court,puis
on extrait lesphosphatides
à2
o°C et sous azote par le
mélange chloroforme/méthanol
(z :i).
On élimine ensuite les éléments radio- actifs nonlipidiques
par la méthode de FOLCH(r 95 y).
L’extrait est alorsévaporé
à sec sous azote,puis repris
dans du chloroforme.Des
chromatogrammes
sont réilisés selon la méthode de MnxlrrE’r’n(r 957 )
surpapier
Whatmann° i
imprégné
degel
de silice, enphase
solvante ascendante dans lemélange di-iso-butyl cétone/a,cide acétique/eau (8 : 5 : i).
La révélation desphospholipides
est effectuée parautoradiochromatographie puis
par coloration à la rhodamine 6 G et examen en lumièreultraviolette,
ou à l’acideosmique
ouencore avec un réactif du
phosphore (solution
demolybdate
d’ammonium dans l’acideperchlorique
en milieu
acétonique).
Pour
plus
de sûreté, desdésacylations ménagées,
selon la méthode de BENSON(r 9 g8) modifiée,
sont
pratiquées
pour obtenir les estersphosphorés qui
sont alors identifiés en fonction de leur Rfaprès chromatographie
bidimensionnelle enphase
solvante ascendante :phénol/eau ( 100 : 3 8) puis
métha- nol/acideformique/eau (8 0 :
13 :7).
Pour évaluer les fractions de la
quantité
totale dephospholipides rapportables respectivement
à
chaque phosphatide,
des mesures de radioactivité ont été faites sur chacune des tachesséparées
selon la méthode de MARINETTI. Pour contrôle, on a effectué des
dosages chimiques
duphosphore après
élution des différentscomposés
présents sur lechromatogramme.
Les résultats concordent par- faitement avec les mesures de radioactivité. Il n’a été tenu aucun compteséparé
desplasmalogènes correspondant
aux différentsphospholipides
azotés.Les
chromatographies
ont étédéveloppées conjointement
avec desphospholipides
témoinsqui
avaient été antérieurement extraits
respectivement
du coeur de boeuf pour lecardiolipide (diphospha- tidylglycérol),
dujaune
d’oeuf pour laphosphatidylcholine (lécithine),
laphosphatidyléthanolamine
et la
phosphatidylsérine (céphalines),
du germe de blé pour lephosphatidylinositol
et enfin de lafeuille
d’épinard
pour lephosphatidylglycérol.
RÉSULTATS
Les résultats
présentés
par lesfigures
i et 2 sont réunis dans les tableaux i et 2.On
peut
tirer certaines conclusions de l’examen de ces tableaux. Letégument
deLocusta est riche en
phosphatidylcholine (près
de la moitié de la fractionphospho- lipidique)
et enphosphatidyléthanolamine (près
duquart
de lafraction).
Les autresphospholipides (phosphatidylinositol, phosphatidylsérine, cardiolipide
etphospha- tidylglycérol)
existent enplus
faiblequantité.
Laprésence
delysophosphatidylcho- line,
bienqu’en
faibleproportion,
a pu être décelée et est très certainementimputable
à une
phospholipase
Aqui attaquerait
laphosphatidylcholine
ou les autresphospho- lipides
azotéspendant
le processus d’extraction.Au niveau
oculaire,
on constate uneexagération
desdisproportions
entre lesphos- phatides : 1 JIibsphatidylcholine (plus
de 50p.100 )
etphosphatidyléthanolamine (plus
de 30p.
100 )
forment à elles seulesprès
de85
p. 100de la fractionphospholipidique, phosphatidylinositol
etphosphatidylsérine
sont enquantité
moindre que dans letégument ;
lephosphatidylglycérol paraît absent,
alorsqu’il
existait à l’état de traces dans letégument,
tandis que lecardiolipide
montre peu de variation.D’une manière
générale,
les teneursrespectives
dutégument
abdominal et del’oeil en les différents
phosphatides
sont très voisines les unes des autres dans les deux souches(normale
etmutante).
Leslégères
différences que l’onpeut
relever entre ellessur chacun des tableaux sont peu
significatives.
Onpeut
facilementimaginer qu’un
effet de dilution intervient et que les dissemblances seraient
plus flagrantes
au niveaude
chaque
ultrastructure cellulaire àparticipation phospholipoprotéique.
C’est ce quenous nous proposons d’élucider au cours de recherches ultérieures en isolant des frac- tions pures de
granules pigmentaires.
DISCUSSION
Les différences discrètes entre souches normales et albinos de Locusta sont à rap-
procher
des constatations de FASTet BROWN( 19 6 2 )
sur leslignées
sauvages etlignées
résistantes au DDT de Aedes
aegy!ti
et deBRIDGES,
CRONE et B!ARD( 19 6 2 )
surdes lignées
de Musca domestica sensibles etrésistantes
à la dieldrine.Les
proportions
des diversphospholipides
relevées chez les Locusta adultes sont peu différentes decelles rapportées
par ALLAIS et al.(1 9 6 4 )
sur le mêmematériel
enfin de
développement embryonnaire,
hormis en cequi
concerne lephosphatidylino-
sitol, le cardiolipide
et lalysophosphatidylcholine.
Ceci s’accorde avecle
fait que Ktrr- sE1!1!A(zg66)
ne trouve pas degrandes différences
entrel’embryon
et l’adulte de Peri-planeia
americana.Malgré
les donnéesbibliographiques fragmentaires
sur cepoint (tabl. 3 ),
onpeut
dire que, par la
composition
de sa fractionphospholipidique,
Locustamigratoria
sedistingue
peu de lamajorité
des insectes(voir
les revues deTr!TZ, 19 6 1 ; F AS T, 19 6 4
et
19 66 ; K INS E LLA , 19 65)
et des autres animaux.La différence la
plus
notable concerne lepourcentage
duphosphatidylinositol,
très élevé chez
Locusta,
alorsqu’il
estgénéralement compris
entre 2 et 3 p. 100chez laplupart
des insectes(T I En, zg65).
On
peut,
à la suite de FAST(zg66),
classer lesinsectes
étudiés à cepoint
de vueen considérant seulement le
rapport caractéristique
de laquantité
dephosphatidyl-
choline
à
laquantité
dephosphatidyléthanolamine (tabl. 4 ).
Ons’aperçoit
alors que les Insectes serangent
en deuxcatégories
bien tranchées :1
° ceux pour
lesquels le rapport PC/PE
est très nettement inférieur à 1,00 ; cequi
est le cas desDiptères (exceptée
lafamille
desCecidomyüdae)
et desHomoptères
connus
(exceptée
la famille desCercopidae) ;
2
0 ceux pour
lesquels
cerapport
est soit trèslégèrement
inférieur à 1,00commechez
quelques Coléoptères,
soit très nettementsupérieur
sans d’ailleurs atteindre 2,00 ;ce
qui
est le cas de tous les autres ordres d’Insectes et aussi des Vertébrés. Locusta se range dans cette dernièrecatégorie,
commeles
autresOrthoptéroïdes
étudiés.Les
conséquences
structurales etmétaboliques
de la valeur de cerapport
sontencore
inconnues,
mais il estlogique
de penserqu’elles
sontimportantes (F AST , zg66).
Reçu pour
publication
enjuillet
1968.. SUMMARY
GLYCEROPHOSPHATIDES IN « LOCUSTA AMIGRATORIA CINERASCENS n
(FABR.)
AND ITS cc ALBINO » MUTANT
(ORTHOPTERA, ACRIDIDAE).
COMPARISON WITH OTHER INSECTS
The tegument and the eye of Locusta
migratoria
eineraseens FABR. wereanalyzed
forphospho- lipids by
8’Psodium-orthophosphate labeling ( 2 , 5
mCi for 3oanimals).
Phospholipids
were extracted inchloroform/methanol
solvent ; thenon-lipid
remainder waseliminated
by
FOLCH’S method( 1957 ).
The solution waschromatographed according
to MARI-NETTI method
( 1957 )
indiisobutyl-cetone/acetic acid/water
solvent, and spots were localized onchromatograms according
to various classicaltechniques. Deacylations
wereperformed
for controlaccording
to BENSON’S method. Theglycerophosphatide
rates were determinedby radioactivity
estimation of
chroma.togram
spots.Autoradiochromatographies
wereperformed (fig.
I and2).
There were no
significant
differences between the two strains. The averagephospholipid
distri-bution was as follows :
(tables
r and2 ).
- 44per cert
phosphatidycholine (v.
51per cent in theeye).
- 24per cent
phosphatidyl
ethanolamine(v.
33 per cent in theeye).
- 14 per cent
phosphatidylinositol (v.
7 per cent in theeye).
-
6, 5
per centphosphatidylserine (v.
2.5 per cent in theeye).
-
Slight
traces ofphosphatidylglycerol
andlyso - phosphatidylcholine
were detected.Plasmalogens
were not substracted fromnitrogenous phospholipids.
The rateof phosphatidy-
linositol ishigher
in Locusta than in other studied insects(table 3 ).
The
phosphatidylcholine/phosphatidylethanolamine
ratio was 1.84, in Locusta, which is in accordance with themajority
of insects(with
theexception
of theDiptera
andHomoptera)
for whichthe ration ranges between 1,0and 2.0
(table q.).
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