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Le livre vert sur le ministère public européen : une avancée décisive dans la construction d un espace judiciaire européen intégré.

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La diffusion en décembre 2001 d’une proposition de directive relative au livre vert européen vient compléter la démarche entamée à Amsterdam de création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice, en lui donnant un contenu effectif dans le cadre de la lutte contre les intérêts de la Communauté. Un minimum d’harmonisation sur le plan du droit procédural et du droit matériel, sera nécessaire, et le serait

d’autant plus si le champ des compétences du procureur européen était élargi dans l’avenir, ce qu’il est permis d’espérer.

D’ores et déjà, le principe de reconnaissance mutuelle, et l’identification d’un socle commun de droits fondamentaux, offrent les bases d’un espace de recherches et de poursuites donnant à ce nouvel organe les moyens d’avancer.

La nécessité de conférer une réelle indépendance au procureur européen conduit à un rapprochement de son statut de celui du juge, ce qui ne manquera pas de retenir l’attention, même si l’on peut regretter que les conditions de sa nomination ne tiennent pas davantage compte de la spécificité judiciaire.

Voulant assurer le succès de l’entreprise, la Commission n’a pas prévu de création d’une juridiction spéciale au niveau communautaire, ce qui représentera également un écueil sur le plan symbolique.

Le projet a cependant le grand mérite d’accomplir un dépassement des différents systèmes juridiques et de conduire, en cet état, à susciter un consensus.

Le livre vert sur le ministère public européen : une avancée décisive dans la construction d’un espace judiciaire européen intégré.

L’Union Européenne a pris conscience de l’urgence d’accélérer le processus relatif à la protection pénale des intérêts financiers de la Communauté. La proposition de directive relative à cette question (COM (2001)272) est venue

compléter la démarche entamée à Amsterdam (création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice), poursuivie à Tampere en octobre 1999 (la volonté étant exprimée de ne pas voir les auteurs d’infractions mettre à profit les différences entre systèmes nationaux), et désormais, objet de la publication du livret vert européen le 11 décembre 2001.

Le travail préparatoire approfondi dénommé « corpus juris »1 dont les conclusions remontent à 1997, a eu le mérite de proposer une synthèse des

différents systèmes européens intégrant les acquis de la jurisprudence européenne, et débouchant sur la définition d’un socle commun procédural. Le traité de Nice d’une part, avec la perspective de l’élargissement de l’espace européen 2, et l’apparition de l’euro, d’autre part, auront favorisé l’évolution à laquelle on assiste aujourd’hui.

La Commission des Communautés Européennes, dans le cadre du projet pour l’Union Européenne, au terme de la communication diffusée le 22 mai 2002, intègre la nécessité de construire un véritable espace judiciaire européen, fondé sur une coopération judiciaire civile et pénale qu’il faudrait à l’avenir soumettre à un même cadre institutionnel et juridique, et évoque la nécessité de compléter le

1 "le corpus juris portant dispositions pénales pour la protection des intérêts financiers de l’Union Européenne, sous la direction de Mireille Delmas Marty ; Economica avril 1997 (adapté à Florence en mai 1999)

2 Cyrille Charbonneau et Frédéric Jérôme Pansier "le traité de Nice" - "les petites affiches" 13 avril 2001 ; Sean Van Raespenbusch "le traité de Nice entre espoirs et déceptions" Gazette du Palais 20 juin 2001

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traité par l’institution du procureur européen « et l’adoption de règles relatives aux poursuites judiciaires pénales des fraudes transfrontalières ». Le propos initial de la défense des intérêts de la Communauté semble appelé à un élargissement, qui correspond apparemment, comme le souligne le livre vert, à une attente des milieux professionnels 3, comme des milieux parlementaires4 .

Les développements du terrorisme international et la nécessité de lutter contre la criminalité organisée n’auront cependant pas permis en l’état de prévoir cet élargissement à d’autres aspects de la criminalité organisée. Une telle évolution apparaît cependant en filigrane de la question du mandat d’arrêt européen, devenu priorité 5, le livre vert envisageant d’incorporer cette nouvelle donne. Le souhait de la Commission des Communautés européennes d’avancer sur la question du

terrorisme peut être reçu de la même manière 6, comme celui de faire progresser la reconnaissance mutuelle des décisions finales en matière pénale 7.

Le débat sur le Procureur Européen fait un pas décisif avec la

publication du livre vert. Le texte aborde à la fois la place de celui ci dans au sein des institutions européennes, la question de son articulation avec le principe de

subsidiarité, du contrôle de son action, et des incidences procédurales qui découlent de sa mise en place, qui tiennent compte de la protection des droits fondamentaux constitués par la charte des droits fondamentaux 8, et la convention européenne des droits de l’homme. Partant d’une étude comparée des systèmes pénaux nationaux, il contribue au surplus à l’élaboration d’un socle de dispositions communes sans imposer de modèle particulier.

Les Etats membres ont confirmé leur intérêt pour cette démarche, y compris, même si des réserves sont exprimées, ceux dans lesquels l’institution du ministère public ne correspond pas à leur culture judiciaire.

Aux termes du livre vert, le Procureur européen représente une

institution originale qui donnerait au ministère public une place singulière au sein de l’espace judiciaire européen, tant par son statut (I), que par les moyens qui lui seraient donnés, que ce soit au plan procédural, ou par suite d’harmonisations nécessaires (II).

Si les contours de ce nouvel acteur apparaissent à peu près définis, la question du contrôle juridictionnel de son action est encore largement en débat (III).

3 cf. le colloque organisé à Strasbourg les 19 et 20 octobre 2000 sur le thème "le parquet européen : peut-on encore attendre ? " (IECS Strasbourg – Université Robert Schumann)

4 rapport d’information Assemblée Nationale n°3609 sur les relations entre Europol et Eurojust ; proposition de résolution sur le livre vert sur la protection des intérêts financiers communautaires et la création d’un procureur européen déposée au Sénat le 5 avril 2002 (n°288)

5 Jean-François Kriegk "le mandat d’arrêt européen et les projets de lutte contre le terrorisme" « les petites affiches » 22 mai 2002 ; rapport d’information Assemblée Nationale n°3506 déposé le 20 décembre 2001 sur la proposition de décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres présenté par M. Pierre Brana

6 proposition de décison-cadre du Conseil relative à la lutte contre le terrorisme : COM (2001) 521 final

7 Communication de la Commission relative à la reconnaissance mutuelle des décisions finales en matière pénale - COM (2000) 495 final

8 " la charte des droits fondamentaux" "les petites affiches" 27 juin 2000 ; Florence Benoît-Rohmer "la charte des droits fondamentaux" de l’Union Européenne, Dalloz 2001 chroniques p. 1483

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I – le Procureur européen, nouvel organe communautaire

L’institution du procureur européen se heurte à une double difficulté : l’article 280 du Traité CE dispose que les mesures adoptées par le législateur communautaire ne concernent ni l’application du droit pénal national ni

l’administration de la justice dans les Etats membres.

Le Traité devra donc être modifié, et il est suggéré l’adoption d’un article 280 bis qui se limiterait à prévoir les conditions de nomination et de démission du procureur et à définir sa mission et les principales caractéristiques de sa fonction.

La sauvegarde du principe de subsidiarité serait assurée, dans la mesure où ce principe n’apparaît pas directement menacé par le principe de

reconnaissance mutuelle, et dans la mesure de surcroît où le but recherché concerne en l’état les intérêts de la Communauté.

Le procureur européen emprunterait d’un point de vue fonctionnel aux statuts que nous connaissons déjà dans certains pays comme le nôtre. Pour autant, la tentation qui consiste à comparer le procureur européen avec notre système national ne doit pas être privilégiée, car l’analyse doit partir des réalités de la délinquance trans-frontière et les réponses doivent être élaborées par référence à cette réalité.

a) Un organe intégré dans l’espace institutionnel

Au terme du projet, le procureur européen ne devrait pas être considéré comme une institution européenne au sens du traité, mais comme un « organe », ce qui signifie qu’il n’aura aucun rôle à jouer dans la préservation du traité, ou dans son évolution. Les conditions fixées pour le statut doivent cependant conférer au

procureur européen une réelle légitimité.

* le statut du procureur européen doit lui conférer une réelle

indépendance ce qui rapproche son statut de celui du juge. La Commission propose une nomination par le Conseil européen à la majorité qualifiée, sur proposition de la commission après avis conforme du Parlement européen. Il existe donc un parallèle avec ce qui est prévu depuis le traité de Nice pour la nomination de la commission, et l’indépendance dont il est question est une indépendance contrôlée, mais non en opposition avec les autres autorités de la Communauté. Cette indépendance s’inscrit ainsi dans le cadre du principe de légalité des poursuites.

On peut cependant regretter que les conditions de nomination ne tiennent pas davantage compte de la spécificité judiciaire 9.

Celle ci entre cependant en ligne de compte dans le cadre de la procédure de destitution, puisqu’il est prévu que celle ci soit prononcée par la Cour de Justice, à la requête du Parlement européen, du Conseil ou de la Commission.

9 Jean-François Kriegk "Quel ministère public européen pour quel espace judiciaire européen" ; "les petites affiches" 25 avril 2001

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La limitation du mandat à 6 ans non renouvelable est présentée comme confortant l’indépendance du procureur européen. Il est vrai que la nature spécifique de la mission et la position particulière de ce dernier considéré comme autorité communautaire, permet d’admettre cette solution.

* l’institution de procureurs européens délégués permet une articulation avec les Etats membres, dont les systèmes procéduraux ne seront pas bouleversés.

Si l’organisation est prévue sur le mode de la déconcentration, il

apparaît légitime par souci de cohérence que le procureur européen puisse disposer d’une autorité hiérarchique sur les procureurs délégués.

S’agissant des procureurs délégués, il est prévu que chaque Etat membre puisse désigner lui même ce délégué, sur la base de principes définis par le traité CE concernant la nomination et la perte éventuelle du mandat : l’idée d’un mandat à durée déterminée, cette fois ci renouvelable, apparaît admissible. La logique d’efficacité tend, aux termes du projet, à ce que les procureurs délégués puissent conserver par ailleurs leur statut national pour les autres aspects de leur carrière. D’où l’intérêt cependant de leur ménager également dans ce cas une certaine indépendance 10.

S’agissant de la nomination des procureurs européens délégués, il serait à tout le moins nécessaire que le pouvoir judiciaire soit directement associé à cette procédure, en tenant compte de l’existence des conseils supérieurs

indépendants tels que, en France, le Conseil Supérieur de la magistrature.

Le procureur délégué recevrait mission d’exercer concrètement les compétences du procureur européen. La question du cumul avec d’autres fonctions nationales est posée sous forme d’option. La mission du procureur délégué doit-elle pouvoir être combinée avec une mission nationale ? Une telle option apparaît

recevable dès lors que les tâches complémentaires ne seraient pas de nature à paralyser son action. Tel serait le cas si, en toute logique, le procureur délégué recevait compétence pour le traitement des affaires dites mixtes. Le projet envisage de permettre à chaque Etat membre le soin de répondre à cette question.

b) un organe combiné avec les moyens déjà en place au titre de la coopération judiciaire en Europe.

Le Procureur européen devrait disposer de l’acquis représenté dans la configuration actuelle par l’Office Européen de Lutte antifraude (OLAF), doté d’une unité de magistrats assurant une fonction de conseil judiciaire, mais simple service administratif. L’expérience a montré qu’en l’état, la question des infractions fiscales restant sensible, l’application des diverses règles nationales était parfois un obstacle à l’efficacité de la lutte contre la fraude. L’intégration de la fonction de recherches et de poursuites devrait constituer à cet égard un progrès.

Certaines adaptations en découleront nécessairement, et en particulier, le statut de l’OLAF devrait être révisé comme le souligne la Commission. Et

notamment du point de savoir s’il y a lieu de détacher l’OLAF ou non de la Commission pour le rattacher au procureur européen, ce qui permettrait de lui

10 voir sur ce point la recommandation du 6 octobre 2000 du Conseil de l’Europe sur le ministère public. Cf Marc Robert "la recommandation 2000 (19) du Conseil de l’Europe sur les principes directeurs pour les ministères publics d’Europe" Rev. Sc. Crim janv.-mars 2002

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attribuer des pouvoirs de recherche judiciaire, à tout le moins à l’intérieur des institutions, organes et organismes européens.

S’agissant d’EUROPOL11, il sera nécessaire de préciser si le procureur européen pourra bénéficier des informations détenues par cet organisme, voire de ses moyens opérationnels. Par l’intermédiaire des procureurs européens délégués, le procureur européen devrait également faire appel aux ressources du réseau judiciaire européen.

Si l’institution du procureur européen correspond à la mise en place d’un organe communautaire, tel n’est pas le cas d’EUROJUST dont la place, définie à Tampere, devra être repensée. L’utilité de cette structure ne devrait pas être remise en cause tant que les compétences du procureur européen seront limitées à la lutte contre la fraude aux intérêts de la Communauté. La Commission souligne avec juste raison l’intérêt de cette unité dans les affaires dites « trans-piliers » 12.

II – les conditions de l’intervention du procureur européen

a) les bases procédurales de l’action du procureur européen

Le principe de reconnaissance mutuelle, et l’identification d’un socle commun de droits fondamentaux, représentent les bases d’un espace de recherches et de poursuites.

* le procureur européen doit recevoir pour mission la direction et la coordination des poursuites, cette compétence se substituant alors à celles des autorités nationales, la restriction apportée à la souveraineté nationale des Etats membres tirant sa légitimité de la spécificité des infractions elles mêmes.

De quelle manière la compétence du procureur européen peut-elle être définie sur le plan matériel ?

S’agissant des affaires concernant de manière exclusive la protection des intérêts financiers de la Communauté, le principe de saisine systématique et de primauté du procureur européen, et le dessaisissement en contrepartie des autorités nationales permettront au procureur européen d’assurer son rôle. Il convient d’ajouter à ces règles de base, l’application de la règle non bis in idem à la phase de

recherches. La Commission propose une répartition du partage des compétences avec les autorités nationales en fonction de certains critères : limitation de certaines affaires au territoire d’un Etat membre, ou caractère limité du montant de la fraude, ce qui demeure dans le registre de sa compétence.

Les affaires mixtes, qui représentent une infraction ayant un caractère à la fois communautaire et national, ou qui présentent des prolongements susceptibles d’une qualification complémentaire, seraient l’objet de poursuites conjointes des autorités communautaires et nationales dans le respect le principe de subsidiarité, le procureur européen se trouvant alors désigné comme « chef de file ». L’institution de procureurs délégués devrait faciliter le traitement de ces affaires, en évitant les risques de conflits entre politiques criminelles.

11 Guy Isaac "le nouvel Office européen de police (EUROPOL) " "les petites affiches" 7 juin 2000

12 cf. sur les relations entre Europol et Eurojust, le rapport d’information de l’Assemblée Nationale n°3609 enregistré le 13 fév. 2002 présenté par M. Pierre Brana

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* la reconnaissance mutuelle des institutions nationales et de leurs systèmes procéduraux et d’admission des preuves est une exigence primordiale à toute forme de système intégré. En parallèle, cette idée n’a d’intérêt que si elle peut être suivie d’une mise en oeuvre effective. A ce titre, l’action du procureur européen suppose pour son efficacité que le mandat d’arrêt européen soit consacré, pour éluder les obstacles liés à l’extradition, à tout le moins en l’état, dans le domaine qui intéresse la fraude aux intérêts de la communauté.

Ainsi que la Commission le souligne elle même, la création d’un espace commun de recherches et de poursuites ne constitue pas un commencement

expérimental, mais un aboutissement logique de l’intégration communautaire.

* s’agissant du cadre procédural, la solution préconisée du renvoi au droit apparaît s’imposer en pratique. Certains points mériteront cependant d’être précisés : les conditions de saisine, de classement sans suite, et les règles minimales

concernant le respect des droits fondamentaux (présomption d’innocence, règle non bis in idem). La question de la préservation du secret de l’enquête n’est pas

expressément abordée. Le texte met en exergue le principe du « contradictoire » (6.2.1.1), mais il y a lieu de considérer que ce principe ne fait pas nécessairement obstacle aux pratiques généralement observées en cours de phase préliminaire.

En ce qui concerne les mesures coercitives, le principe de

reconnaissance mutuelle devrait suffire au fonctionnement du procureur européen dès lors, comme le souligne la Commission, que le « socle commun » en cours de préparation dans le cadre du 3ème pilier (gel des avoirs, transfèrement temporaire aux fins d’audition de personne détenue, audition par vidéo-conférence, livraisons

surveillées, interception des communications et surtout mandat d’arrêt européen) permettra de renforcer l’efficacité des poursuites, et dès lors que les obstacles actuellement rencontrés du fait, notamment, de l’extradition, seront surmontés.

Le rôle exact du juge des libertés devra être précisé, mais il serait à tout le moins sollicité pour la délivrance d’un mandat d’arrêt, le placement sous contrôle judiciaire ou le placement en détention provisoire.

Quant au fond, c’est à dire au droit de la preuve, le système de

l’admissibilité des preuves et le contrôle de leur régularité intrinsèque, en l’absence d’harmonisation, restera dépendant du principe de reconnaissance mutuelle.

Force est d’admettre que l’admissibilité mutuelle des preuves recueillies dans les Etats membres apparaît la solution la plus réaliste pour permettre l’exercice des poursuites. Rien n’empêchera pour autant de prévoir des modèles adaptés tels qu’un procès-verbal européen d’audition ou d’interrogation.

La question de la validité des preuves en elles mêmes au regard du droit national considéré est un problème distinct. Il paraît difficile d’exclure sur ce point la compétence du juge national puisque c’est de l’application de ce droit dont il serait alors question.

b) l’articulation avec les procureurs européens délégués

Les mesures prévues pour l’encadrement des mesures de recherche doivent tendre à conférer au procureur européen une autorité véritable.

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Le projet de la commission envisage plusieurs hypothèses pour définir les relations entre procureur européen et services de recherche nationaux. Soit, confier au procureur européen un pouvoir direct d’instruction ; soit imposer une obligation d’assistance de la part des services nationaux. La troisième option soutenue par la commission consiste à se conformer dans chaque Etat membre au système de relation existant entre autorités nationales de poursuite et autorités nationales de recherche ménage les dispositions en vigueur sur le plan interne. Le procureur européen doit pouvoir s’appuyer en tout état de cause sur les services nationaux d’enquête, constitués au besoin en équipes communes d’enquête. Mais, la logique de la création du procureur européen devrait plutôt aboutir à faire en sorte que, hors de l’hypothèse de l’affaire mixte dans laquelle chaque autorité nationale conserverait sa part d’initiative, l’autonomie du procureur européen délégué serait affirmée dans la conduite des opérations relatives aux infractions de niveau

communautaire.

Le proposition de la commission peut donc apparaître quelque peu timorée au regard des objectifs de la construction d’un espace judiciaire européen.

c) l’exercice de l’action publique devant les juridictions nationales La logique du système conduit à permettre au procureur européen d’exercer lui même l’action publique devant les juridictions nationales. En effet, l’indépendance qui lui est conférée permet de ne pas confondre son intervention avec celle des Communautés Européennes elles mêmes.

La question de la participation au procès des Communautés

Européennes est évoquée. Il apparaît en effet normal que celles ci puissent être présentes en tant que victimes avec les droits qui en découlent, dès lors que ses intérêts ont été fraudés. La participation des autorités communautaires au procès représentées par la Commission est envisageable à ce titre. De même, il apparaît concevable que les agents de l’OLAF puissent être entendus comme témoins.

III – le procureur européen, et le contrôle de son action.

Le Procureur européen ne peut avoir pour prétention d’occuper seul l’espace judiciaire. Bien qu’apparaissant comme un maillon privilégié d’une Europe de la Justice, ses actes devront nécessairement être soumis à un certain contrôle.

Les dispositions envisagées pour le contrôle des actes du procureur européen répondent-elles à l’attente d’une administration équilibrée de la justice ?

a) le classement sans suite des affaires doit échapper à toute contestation.

La Commission marque sa préférence pour le principe de légalité des poursuites. Dès lors, la question du classement des poursuites ne devrait pas poser de problème majeur. Dès éléments objectifs, du moins vérifiables, tels que

l’acquisition de la prescription, la non caractérisation de l’infraction, ou lorsque l’auteur des faits demeure inconnu, devraient permettre de constituer une jurisprudence.

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La Commission envisage des exceptions au principe de légalité des poursuites, et notamment, l’emploi de la technique de la transaction en fonction du seuil des intérêts lésés. Ne serait-il alors pas nécessaire d’en prévoir la validation par le juge ?

Dans le cas où le principe de l’opportunité des poursuites serait applicable, il faudrait admettre en tout cas que le classement d’une affaire par le procureur européen ne fasse pas obstacle aux poursuites au plan national.

Si les décisions de classement sans suite ou de transaction devaient l’objet d’un recours de la part de l’autorité communautaire ou des Etats membres (ce qui ne semble pas expressément envisagé), la logique voudrait que ces décisions soient examinés par la même juridiction que celle appelée à examiner le choix de l’Etat membre de renvoi.

b) certains actes du procureur européen devront être soumis au contrôle du juge national exerçant la fonction de juge des libertés.

Le crédit de la justice pénale intègre le respect au cours de la phase préliminaire, des droits fondamentaux dont le respect est nécessaire. Il est

compréhensible d’imaginer que la garantie judiciaire doive s’exercer au plus près des réalités du terrain pour des raisons pratiques. Le renvoi au juge national pour statuer en cas de restriction ou de privation de liberté apparaît incontournable en l’état.

Toutefois, si la fonction du ministère public est valorisée au niveau européen, aucune corrélation n’est envisagée en ce qui concerne le statut du juge.

La conception défendue par la Commission est admissible dès lors qu’il s’agit dans l’urgence, d’exercer un contrôle dans le cadre de la phase préliminaire. Mais ne faudrait-il pas tendre, à terme, vers une dissociation entre la fonction de juge des libertés (le juge de l’urgence et de l’autorisation) et celle de juge de la régularité, qui serait confiée à une instance de niveau européen.

Ill existe une possibilité intermédiaire qui consisterait à désigner un juge des libertés au niveau national, mais cette éventualité apparaît difficile à mettre en œuvre en pratique dans les Etats membres où les distances géographiques sont importantes.

Une première question concerne le point de savoir si le procureur européen devra s’adresser au juge des libertés de chaque Etat membre pour obtenir les autorisations nécessaires au sein de chacun de ces Etats, si l’intervention d’un seul juge des libertés national pourra autoriser les actes nécessaires aux recherches exécutables sur l’ensemble du territoire des Communautés en vertu du principe de la reconnaissance mutuelle, ou s’il y a lieu de laisser le procureur européen

entièrement libre de son choix. La Commission opte pour l’une ou l’autre des deux premières propositions. La seconde option paraît préférable en pratique, mais il serait souhaitable en ce cas que le juge des libertés soit un juge désigné au niveau national.

Une seconde question est relative aux voies de recours ouvertes à l’accusé : s’agissant des actes comportant une restriction ou une privation de liberté, la Commission propose de s’en tenir au renvoi au droit national. En tout cas, la création du procureur européen ne doit pas être l’occasion de créer des opportunités

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de manœuvres dilatoires. Il n’est donc pas envisagé, avec juste raison, de créer de nouvelles voies de recours (à propos notamment des actes effectués par le

procureur européen lui même après autorisation du juge des libertés tels que gel des avoirs, interception des communications, livraison contrôlée…).Il n’est pas davantage proposé de supprimer des voies de recours déjà existantes, mais cette question relève des Etats membres et éventuellement, du contrôle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Une troisième question intéresse la possibilité offerte à un tiers, affecté par une mesure de recherche (par exemple, l’auteur d’une correspondance saisie) d’exercer un recours. Une telle éventualité n’offre pas de difficulté particulière.

c) la centralisation des poursuites doit-elle aboutir à laisser au procureur européen le choix de l’Etat membre de renvoi en jugement ?

La Commission se déclare consciente qu’un tel choix n’est pas neutre au sein d’un espace partiellement harmonisé. Or, la nature même des infractions poursuivies pourrait permettre de les poursuivre dans l’un ou l’autre des Etats membres.

La Commission est consciente de ce que le choix de l’Etat membre pour le renvoi en jugement doit pouvoir être l’objet d’un contrôle juridictionnel.

Cependant, l’énonciation par le législateur communautaire de critères de répartition (lieu de l’infraction, nationalité, domicile ou siège social de l’accusé, ces critères pouvant être hiérarchisés) ne suffira pas à prévenir tout conflit d’intérêts.

On peut admettre à cet égard que choix d’un juge national des libertés au niveau de la phase préparatoire ne doit pas être déterminant pour le choix du juge du fond.

Plusieurs options sont ouvertes : laisser au procureur européen toute liberté de choix (prenant appui sur le principe de reconnaissance mutuelle mais aussi d’une validité équivalente des différents systèmes ; le procureur aurait ainsi tout loisir de renvoyer dans un seul Etat membre, ou de disjoindre l’action publique pour

renvoyer le jugement des parties distinctes d’une affaire complexe dans autant d’Etats membres que nécessaire) ; faire contrôler ce choix par le juge national ; créer une juridiction placée au niveau communautaire.

La première option n’emporte pas la conviction, le choix, du fait de son importance, doit pouvoir être contrôlé. La deuxième option aboutit seulement à un conflit négatif de compétence et n’institue pas un arbitrage impartial au nom des intérêts communautaires. Privilégier la troisième option, visant à instituer une

« chambre préliminaire européenne » aurait pour avantage de combiner un contrôle de régularité et un arbitrage sur le choix de l’Etat en fonction des critères de

répartition préétablis. Il y a donc lieu de regretter qu’en l’état, une solution moins ambitieuse, celle du contrôle par le juge national soit proposée13 .

Une autre suggestion de la Commission pourrait être préférée, qui consisterait à voir trancher la question par la Cour de justice sous la forme d’un conflit de compétences entre Etats membres (v. infra).

13 Jean-François Kriegk "Quel ministère public européen pour quel espace judiciaire européen" op. cit.

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d) le contrôle sur le choix de l’Etat de renvoi en jugement doit-il être ouvert à l’accusé ?

La question se complique sur ce point. La réponse devrait de préférence, être négative, s’agissant d’une mesure d’administration judiciaire.

Toutefois, cette mesure peut faire grief au regard de certaines conséquences, notamment de langue, et de droit applicable, encore que l’existence d’un socle commun de droits fondamentaux permette de relativiser ces enjeux. Dans

l’affirmative, Il apparaîtrait difficile de désigner une juridiction différente de celle déjà compétente pour statuer sur le recours de l’autorité communautaire ou des Etats membres.

La commission énonce avec juste raison les inconvénients de l’ouverture d’un recours à l’accusé, et propose à défaut, de le voir strictement encadré.

e) le contrôle de la Cour de Justice

La compétence de la Cour de Justice se résume au respect et à l’interprétation du Traité. Ce rôle s’exerçant de manière préjudicielle, il ne serait pas souhaitable, compte tenu du fait que les délais sont encadrés en matière pénale, que la Cour de Justice puisse elle intervenir dans le contrôle de régularité de la procédure pénal en elle même. Ainsi que le suggère la Commission. Il serait préférable que cette mission soit exercée en cas de besoin, par l’éventuelle « chambre préliminaire européenne », ou à défaut par le juge national.

La Cour de Justice serait par ailleurs compétente pour statuer sur les dommages causés par le procureur européen ou ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

Reste la question de savoir si la Cour de Justice doit intervenir dans la résolution des conflits de compétence ; qu’il s’agisse de contester le choix de l’Etat membre de jugement, auquel cas un recours direct pourrait être prévu sans doute devant le tribunal de 1ère instance des Communautés Européennes ; ou qu’il s’agisse de conflits relatifs à la compétence, élevés par le procureur européen ou les

juridictions nationales, opposant les Etats membres ou ces derniers et la

Communauté. En particulier, précise la Commission, si le juge national est désigné pour contrôler l’erreur manifeste du choix du forum par le procureur européen, la Cour de Justice pourrait être saisie de déclins ou de conflits négatifs de compétence

« dans le respect du principe du délai raisonnable du procès ».

En définitive, le système proposé par la Commission devra démontrer à la fois sa cohérence et son efficacité.

L’efficacité suppose un minimum d’harmonisation du droit pénal

matériel et procédural. Elle dépendra également très largement de la pertinence des mécanismes procéduraux et de leur contrôle juridictionnel. Le projet manquerait son but si, par excès de formalisme, les recours devaient conduire à un enlisement des procédures qui ferait apparaître celles ci comme moins avantageuses dans la répression des infractions considérées.

Du succès de l’entreprise dépend son évolution future et son élargissement éventuel à d’autres aspects de la délinquance organisée.

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Au delà, l’enjeu fondamental est celui de la réussite de la mise en œuvre d’un espace judiciaire européen dans lequel l’indépendance de la justice sera perçue comme un atout et une force.

La consécration du projet représenterait un saut important dans la construction d’un espace judiciaire européen de type fédéral, même s’il est trop tôt pour dire si le projet penchera davantage en faveur « d’une Europe de la Justice ou seulement d’une Justice pour l’Europe », à la faveur dans ce dernier cas d’un socle minimal représenté par le principe de la reconnaissance mutuelle.

La question du statut du procureur européen est fondamentale, au regard de la part d’indépendance de la justice qu’il doit lui même incarner.

Cependant, l’écueil majeur du projet d’un point de vue symbolique réside en ce qu’il est bâti sur l’idée d’un procureur européen, dont les actes peuvent certes, être contrôlés, mais sans création d’une juridiction spéciale au niveau communautaire.

La réponse à ces deux questions principales : statut du procureur européen et contrepartie juridictionnelle, permettra de confirmer ou non l’institution du procureur européen comme avancée significative.

Jean-François Kriegk

Président du Tribunal de Grande Instance de Nîmes

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