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ERNST VON FEUCHTERSLEBEN MORALISTE ET PÉDAGOGUE

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P U B L I C A T I O N S D E L ' U N I V E R S I T É D E P O I T I E R S - L E T T R E S E T S C I E N C E S H U M A I N E S ^ XVII

Paul GORCEIX

ERNST VON FEUCHTERSLEBEN MORALISTE ET PÉDAGOGUE

1806-1849

P R E S S E S U N I V E R S I T A I R E S D E F R A N C E

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DU MÊME AUTEUR

Les affinités allemandes dans l'oeuvre de Maurice Maeterlinck, Presses Universitaires de France, 1975.

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PUBLICATIONS DE L ' U N I V E R S I T É DE P O I T I E R S LETTRES ET SCIENCES H U M A I N E S

XVII

Paul GORCEIX

ERNST VON FEUCHTERSLEBEN MORALISTE ET PÉDAGOGUE

(1806-1849)

Contribution à l'étude de l'humanisme libéral dans l'Autriche d'avant 1848

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS

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Dépôt légal. — lre édition : 1er trimestre 1976

@ 1976, Presses Universitaires de France

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays

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Avant-propos

« Dämmerung ist Menschenlos. Nur durch sie zum Lichte sich durchzuar- beiten, nicht sie in Licht umzuwandeln, kann Menschenbestimmung sein. »

FEUCHTERSLEBEN.

Des recherches sur Ernst von Feuchtersleben, médecin de l'âme, poète, essayiste et pédagogue, libéral de 1848, prennent nécessairement l'aspect d'une réhabilitation. En dehors de son pays, l'Autriche, où il fallut attendre 1923 pour qu'il fût découvert par Hermann Bahr 1, Feuchtersleben est un inconnu ou peu s'en faut. On ne peut réprimer un sentiment d'étonnement en constatant que les spécialistes du « Bie- dermeier » et du « V ormarz » autrichiens le passent délibérément sous silence ou ne le mentionnent que furtivement alors qu'il a contribué à modeler la physionomie de son temps aussi bien dans le domaine de la pensée que sur le plan politique.

C'est seulement en 1949, à l'occasion du centenaire de sa mort, que l'Académie des Sciences de Vienne honorait officiellement sa mémoire en consacrant un certain nombre d'articles à l'homme, à l'écrivain et au pédagogue 2. Pourtant son nom ne redevint jamais familier.

Il n'est pas inutile de souligner que parmi les nombreux pays où sa Diététique de l'âme fut traduite, la France accorda à Feuchtersleben une attention particulière 3. E. Caro parle de lui avec une vive sympa- thie dans ses Nouvelles études morales ; Adrien Delondre donne un compte rendu littéraire et scientifique de son œuvre dans la Revue contemporaine du 15 avril 1858, tandis qu'en 1881, dans son livre Les

1. Notons de Hermann Bahr, Feuchtersleben — Sendung des Künstlers, Vienne 1923.

— Kulturprofile der J ahrhundertwende, essais de Hermann Bahr, choix et introduction de Heinz Kindermann pour le centième anniversaire du poète, Vienne 1962. Cf. l'essai sur Feuchtersleben, pp. 71-87.

2. Cf. Hans Rupprich, Ernst Freiherr von Feuchtersleben. Zur 100. Wieder- kehr seines Todestages (3 sept. 1849), in : Anz. d. Oesterr. Akad. d. Wiss., Phil.- Hist. Kl., 1950, n° 11. Ainsi que Gustav Wilhelm, Ein Gedenkblatt, ibid, et Richard Meister, Feuchterslebens Anteil an der Unterrichtsreform 1848 und an der Akademie der Wissenschaften, ibidem.

3. En France parut l'Hygiène de l'âme traduite par le Dr Schlesinger, édit.

Baillière, 1860.

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Poètes lyriques de l'Autriche 4 Alfred Marchand lui consacre une étude dont la Revue Chrétienne fait une élogieuse mention 5.

Néanmoins, les historiens de la littérature allemande qui se sont bien timidement intéressés à son œuvre, n'ont jamais su trop que faire de lui. Le Nagl-Zeidler-Castle 6 ne consacre à Feuchtersleben que quel- ques lignes ! En le rangeant tantôt parmi les épigones attardés du clas- sicisme allemand, tantôt parmi les représentants du Biedermeier autri- chien ou les hommes d'avant 1848, ils se bornent généralement à le présenter comme l'auteur de la Diététique de l'âme. Le poète, le criti- tique littéraire et artistique, le moraliste, auteur de centaines d'apho- risme s et de pensées, le libéral engagé dans la révolution, est totale- ment oublié. Les ouvrages d'histoire de la pédagogie ne mentionnent pas davantage son existence.

E n d e h o r s d e q u e l q u e s d o c t o r a t s r e s t é s à l ' é t a t d e m a n u s c r i t s 7 ,

seul Wilhelm Bietak 8, dès 1937, fait exception en se référant à son œuvre poétique et philosophique, dans une étude sur l'attitude des écri- vains d'avant 1848 en face des problèmes de la vie et du siècle. Dans un article de la Deutsche Vierteljahrsschrift für Literaturwissenschaft und Geistesgeschichte, Bietak fait de Feuchtersleben un héritier ana, chronique de l'idéal humanitaire du XVIIIe siècle 9.

Signe d'une renaissance ? En 1958, des extraits de l'œuvre sont publiés en livre de poche 10 tandis qu'en 1963 paraissait un choix de ses écrits pédagogiques, suivi d'une introduction de quelques pages 11.

En 1966, Roger Bauer réserve à Feuchtersleben un paragraphe dans

s o n l i v r e D e r I d e a l i s m u s u n d s e i n e G e g n e r i n O s t e r r e i c h 12. E t e n f i n , e n 1 9 6 9 , H e r b e r t S e i d l e r p r o n o n c e d e v a n t l ' A c a d é m i e d e s S c i e n c e s u n e c o n f é r e n c e s u r s a p l a c e e t s o n r ô l e d a n s l ' h i s t o i r e d e l a p e n s é e e t d e l a l i t t é r a t u r e a u t r i c h i e n n e s d e l a « R e s t a u r a t i o n » H . L a r é é d i t i o n d e s e s œ u v r e s e s t e n v i s a g é e .

4. Alfred Marchand, Les Pontes lyriques de VAutriche, Fischbacher, Paris 1881.

5. Revue Chretienne, XXVIII, Paris 1881.

6. Deutsch-Osterreichische Literaturgeschichte.

7. Notamment : E. Schramm, 1956 et F. Pospisil, 1958.

8. Wilhelm Bietak, Das Lebensgefühl des Biedermeier, Vienne 1937.

9. Wilhelm Biteak, Grillparzer-Stifter-Feuchtersleben. Die : Unzeitgemäßen des Jahres 1848, in : Deutsche Vjs. f. Literaturwiss. und Geistesgesch., 1950, n° 2.

10. Ernst von Feuchtersleben, Ein Dienst zur Nacht ist unser Leben, choix de Theo Trummer, Graz/Vienne, 1958, « Das österreichische Wort », 40.

11. Ernst von Feuchtersleben, Pädagogische Schriften, ed. par K. G. Fischer, Ferdinand Schöningh, Paderborn, 1963.

12. Roger Bauer, Der Idealismus und seine Gegner in Osterreich, Beihefte zum Euphorion, 3, Heidelberg, 1966.

13. Herbert Seidler, Ernst Freiherr von Feuchtersleben, seine Geistes- und Literaturgeschichtliche Stellung in der österreichischen Restaurationszeit, in : Anz.

der öster. Akad. der Wissenschaften, Vienne, 1969, n° 17.

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Comment est-il possible que pratiquement rien n'ait subsisté d'une œuvre qui, éditée par Hebbel entre 1851 et 1853 comprend plus de 2.000 pages, réparties en sept volumes 14 ? Des genres très divers y sont représentés : de la poésie au traité de morale en passant par la pensée aphoristique, la critique littéraire et artistique, le journal intime et les écrits politiques et pédagogiques. Médecin et penseur doublé d'un homme d'action, libéral, qui, porté à des fonctions officielles par la révolution de 1848, entra dans l'arène politique, s'engagea avec courage dans l'œuvre de réforme, mais qui, mal armé pour les luttes publiques, sombra moralement et physiquement, Feuchtersleben dépasse de loin le cliché trop répandu d'un représentant de la résignation des hommes d'avant 1848 en Autriche.

L'étendue de sa culture, la diversité de ses intérêts sont remar- quables ; il est à la fois médecin, psychologue, critique, poète, philo- sophe, pédagogue et artiste. A travers sa multiplicité pourtant 15, l'œu- 14. Ernst Freiherrn von Feuchterslebens sâmtliche Werke. Mit Ausschlu/3 der rein medizinischen, édit. par Friedrich Hebbel, 7 volumes, Vienne, 1851-1853.

— Sauf indication contraire, nous nous référons à cette édition pour nos citations.

15. Nous pouvons, dans ses écrits, distinguer trois grandes orientations : les écrits médicaux spécialisés, l'œuvre littéraire proprement dite et les travaux péda- gogiques. Les deux premiers volumes de l'édition déjà citée de Friedrich Hebbel comprennent l'œuvre lyrique qui correspond à la première phase de l'activité lit- téraire de Feuchtersleben. Le troisième volume contient les « Lebensblatter », des réflexions sur l'existence, sous forme de nouvelles, avec trois parties princi- pales : Die Freunde (Les Amis), récit accompagné d'essais et de recensions litté- raires ; Drei Tage aus dem Leben des Einsarnen (Trois journées de la vie du soli- taire), recueil de pensées. Dans ce volume figure également la Diététique de l'âme, publiée pour la première fois en 1838 et qui constitue une synthèse de toutes les lignes de forces de la pensée de Feuchtersleben en même temps que la char- nière entre l'œuvre littéraire et les travaux scientifiques. Le quatrième volume est un recueil de confessions sous la forme d'aphorismes que l'auteur a lui-même subdivisés en trois groupes : Wissen (Savoir) — Kunst (Art) — Leben (Vie) et pré- sente comme des « fragments » de sa vie. Le livre V regroupe une partie de son œuvre critique : y figurent des articles consacrés à des écrivains contemporains, des essais sur la théorie des genres littéraires, un commentaire critique de la litté- rature anglaise à côté d'analyses critiques qui ont notamment pour objet les tra- vaux scientifiques de Gœthe, de Schiller, la peinture contemporaine et l'art en général. Des aphorismes complètent le cinquième volume. Le sixième regroupe différentes études critiques, entre autres, une biographie de Friedrich Schlegel, un essai sur l'œuvre poétique de son ami Johann Mayrhofer, une recension du premier volume de la littérature de Oervinus (Geschichte der poetischen Natio- nal-Literatur der Deutschen) et une autre sur l' « Histoire de la poésie ottomane » publiée par l'orientaliste viennois Hammer-Purgstall. Quand au septième et dernier volume, il contient, à côté d'autres travaux critiques, le discours prononcé à l'oc- casion du jubilé de l'université de Vienne le 20 avril 1847 (Rede zum Restau- rations =Feste und fiinfzigfiihrigen Aufgebots=Jubiliium der Wiener Hochschule am 20. April 1847) ; cinq cours d'anthropologie (Fiinf Vorlesungen iiber Anthropo- logie) et la conférence prononcée devant l'Académie des Sciences sur la « ques- tion de l'humanisme et du réalisme en tant que principes d'éducation » (Ueber die Frage vom Humanisants und Realisnllls als Bildungs principe) ; s'y ajoute une esquisse de l'histoire de l'enseignement (Zur Geschichte des Unterrichts). Le septième volume se termine par la présentation que Hebbel donne de la vie de Feuchtersleben à laquelle il joint des réflexions critiques sur l'œuvre littéraire.

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vre de Feuchtersleben nous a semblé avoir un commun dénominateur : la préoccupation éthique ; et c'est le moraliste que nous avons suivi à travers les différents genres littéraires qu'il a successivement prati- qués. Perspective qui présente l'avantage de faire connaître simultané- ment les différents aspects de sa production, tout en respectant l'ordre chronologique. Sous cet angle, nous avons examiné l'oeuvre poétique, la Diététique de l'âme, puis les Pensées, en centrant notre recherche sur les spéculations du moraliste dont le souci constant fut la cons- truction d'une éthique. Chez Feuchtersleben, la morale conduit à la politique, elle aboutit par voie naturelle. Aussi le dernier volet de notre travail a-t-il pour objet l'œuvre du pédagogue-réformateur et ses idées politiques.

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Informations biographiques

« Ce que fit Herder en robe de chambre, ce n'est point Herder. Par contre, ce qu'il a écrit, voilà ce qu'il est... 1 »

Ernst von Feuchtersleben naquit à Vienne, le 29 avril 1806 2.

D'origine saxonne, sa famille était établie depuis le d é b u t d u xvme siè- cle en Autriche où son père occupait les fonctions de Conseiller aulique. C'était un h o m m e de caractère austère, aux principes sévères, enclin à l'hypocondrie. D ' u n premier mariage avec Josefa Soliman, fille du riche Angelo Soliman d'origine maure qui à la cour de Joseph II jouissait d'un grand crédit, était né un fils, Eduard, devenu lui aussi écrivain. D e ses secondes noces avec une demoiselle de Clusolis, d e vieille noblesse, naquit Ernst. La mère de celui-ci, de santé délicate, disparut de bonne heure et l'enfant de constitution fragile fut mis en nourrice à la campagne où il passa ses premières années.

Feuchtersleben juge décisive cette première expérience de sa vie, comme en témoignent ses notes autobiographiques : « Les premières impressions qui s'exercèrent sur moi, furent les charmes d'une nature aimable, d'une existence champêtre » 3. « Je respirais sans doute ici l'air divin, m ' i m p r é g n a n t de l'amour de la nature et de la liberté », relate-t-il dans son Journal sur u n ton de confession qui p e u t évoquer Rousseau, « on ne connaît point la cause première de toutes les consé- quences... Je ne veux pas évaluer l'ampleur de l'influence q u e ma pre- mière vie c a m p a g n a r d e eut sur mon républicanisme. Je n'obéissais à aucune contrainte sinon à celle de la nature. Personne ne m'obéissait, sinon la nature inanimée 4. » Toute sa vie, il gardera un véritable culte

1. Ernst von Feuchterslebens samtliche Werke, édit. par Hebbel, op. cit., L. III, p. 110 : « Was Herder im Schlafrocke that, das ist nicht Herder ; was er schrieb, das ist Er... :t

2. La source principale de ces informations est la « réflexion autobiogra- phique » que Feuchtersleben fournit à l'Académie des Sciences où il entra le 24 mai 1848.

3. L. I, Autobiographische Mittheilungen, p. VII. « Die ersten Eindrücke, die auf mich wirkten, waren die Reize einer freundlichen Natur, einer ländlichen Existenz. »

4. L. VII, p. 229. « Hier athmete ich wohl mit der Gottesluft Liebe zur Natur und Freiheit ein. Man weiß nicht aller Folgen Urgrund... Ich will nicht berechnen, wie vielen Einfluß mein frühes Landleben auf meinen Republikanismus hatte. Ich gehorchte keinem Zwang, als dem der Natur. Mir gehorchte Niemand, als die todte Natur... »

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de la vie libre dans la nature, qui, selon son propre aveu, constitue un « élément essentiel de son être » 5.

Le premier grand tournant de sa vie se situe en 1813 : c'est le moment choisi par son père qui le juge assez mûr — il n'a que six ans ! — pour l'inscrire à l'Institut Impérial de Marie-Thérèse où sa naissance lui donnait le droit d'être admis. Placée sous la direction d'un représentant de l'armée, l'Académie était réservée exclusive- ment aux enfants de la noblesse ; elle était la pépinière des futurs officiers supérieurs et des hauts fonctionnaires. Le jeune homme devait y rester jusqu'à sa dix-neuvième année. Avec recul, il condamne de façon impitoyable les méthodes éducatives des ecclésiastiques qu'il accuse d'avoir étouffé les plus belles dispositions chez nombre de jeunes adolescents, par orgueil et étroitesse d'esprit. Du reste il est permis de penser que le système pédagogique auquel il fut soumis, éveilla son attention critique aux problèmes d'éducation l'incitant à chercher un enseignement plus conforme à la nature de l'enfant et à son besoin de libre épanouissement. Son attitude profondément anti- cléricale peut bien avoir ici sa source. La discipline, selon ses pro- pres déclarations, consolida sa volonté et aida à l'éclosion de sa per- sonnalité ; « A l'école de la servitude, j'appris à être libre » 6. « Peut- être parce que tout ce qui est grand, est engendré par la lutte et con- firmé par elle » 7, note-t-il dans son journal intime, non sans scepti- cisme déjà.

Prisonnier de la morne atmosphère de caserne, l'adolescent se plonge dans l'étude. De cette époque date son Journal qu'il continue toute sa vie et où il consigne les événements de sa vie intérieure : « Il y a des heures », écrit-il, « où je suis las de la vie... souvent je crains de perdre la raison. Peut-être me sentirais-je mieux alors 8. » Si ce journal ne fournit guère de renseignements biographiques, d'anec- dotes, il s'y manifeste déjà la tendance réflexive d'un esprit qui élimine l'individuel pour se hausser au général. La volonté du jeune garçon se raidit sous la dureté de la discipline. Son caractère s'affermit. Des traits originaux apparaissent. On apprend notamment qu'il renonce à utiliser, dans sa signature, son titre de baron ; attitude qui révèle chez l'enfant un esprit d'opposition spontanée contre les privilèges dont jouissait alors la noblesse et un besoin impérieux de liberté et d'égalité.

5. Ibid., p. 239. « [ . . . ] und wer die geheimen Wege der Menschen-Ent- wicklung kennt, wird es nicht unwahrscheinlich finden, daß dieß frühe Landle- ben jene warme Liebe zur Natur in mir erschuf, die stets ein Hauptbestandtheil meines Wesens war. »

6. L. VII, p. 236. « In der Schule der Knechtschaft lernte ich frei sein. » 7. Ibid., p. 232. « Vielleicht, weil sich das Große durch Kampf gebärt, und im Kampfe bewährt. »

8. Ibid., p. 235. « Es gibt Stunden, da ich lebenssatt bin... oft fürchte ich den Verstand zu verlieren. Vielleicht wäre mir dann besser. »

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Son admiration va vers la réforme, vers la libération des colonies d'Amérique du Nord, Guillaume Tell, Washington, Pitt, la révolution française, Napoléon ; Robespierre, le héros favori de l'époque, ne manque pas dans la liste. Par un syncrétisme caractéristique de son temps, il voue un véritable culte à Joseph II, le représentant éminent du despotisme éclairé, dont il ne pouvait voir sans émotion la statue.

A côté de l'étude, il éclit des poèmes, activité qui joue pour lui un rôle d'exutoire. Il lit et admire Herder et Jean Paul, Gœthe et Schiller. Quinze ans : l'adolescent traverse une crise de conscience.

Le doute s'empare de lui au moment où il éprouve le besoin d'acqué- rir une conviction religieuse solide. Partagé entre le sentiment et la raison, ses sympathies l'entraînent vers Luther, tandis que, par réflexion, il se rallie à Calvin pour finalement confesser qu'en lui- même règne le catholicisme dans lequel il a été élevé et dont il sent la vitalité puissante aux moments où la souffrance torture son corps et son âme 9. A ses yeux, c'est peut-être là que commença le scepti- cisme quasi universel auquel il s'abandonna peu après.

Il découvre alors le monde antique, l'idéal humaniste, grâce aux soins attentifs de son maître Bonifacius. La première fois qu'il lut Plutarque, il confesse avoir perdu l'envie de boire et de manger. « Si je me cherchais », écrit-il, « je me trouvais toujours dans Rome et dans la Grèce. C'est là qu'était ma patrie, là qu'étaient mes Dieux, Rome et la Grèce : tels furent les premiers sentiments solennels de mon âme 1°. » Le jeune homme adhère à la doctrine stoïcienne du dépasse- ment de soi par la volonté. La leçon des stoïciens, il l'applique en pra- tiquant l'ascèse : il renonce à son lit et dort des nuits entières sur le sol ou encore pour s'éprouver, refuse de passer ses vacances dans la maison paternelle malgré sa nostalgie de liberté. On peut citer cette anecdote, révélatrice : pour le mettre à l'épreuve sans doute, un de ses meilleurs amis l'accuse devant ses maîtres d'une faute qu'il n'a pas commise. Le jeune Feuchtersleben ne cherche pas à se disculper, demande seulement le nom de l'accusateur et, sans se défendre, se sou- met à la punition imméritée. Voyant l'issue inattendue de sa malheu- reuse idée, son ami éploré avoue ses torts, demande humblement le pardon qu'il obtient avec ces seules paroles : « La seule peine que 9. Au milieu de ses hésitations, il trouve un élément de stabilité dans sa passion pour la littérature allemande : « Luther me fit découvrir l'âme allemande.

Je ne tardais pas à être ici chez moi. Je colligeais des passages tirés de vieux livres allemands et leur donnai comme titre : " Voix des Ancêtres ". »

L. VII, p. 230. « Luther führte mich auf das deutsche Wesen. Hier war ich freilich bald zu Hause. Ich sammelte Stellen aus alten deutschen Büchern und schrieb den Titel zur Sammlung : " Stimmen der Altvordern ". »

10. Ibid., p. 230. « Suchte ich mich, so fand ich mich stets in Rom und Griechenland. Dort war meine Heimat. Dort waren meine Götter. Rom und Griechenland : dies waren die ersten feierlichen Gefühle meiner Seele. »

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tu m'aies faite, c'est qu'il t'ait fallu mentir pour te convaincre de mon amitié » Dès 1826, il fait le bilan de l'expérience stoïcienne dont il devait porter toute sa vie la marque indélébile : « Autrefois le stoÏ- cisme était ma demeure. Je vivais en lui. Il l'est encore, mais plus comme avant. Il y a un stoïcisme sublime, mais il en est un autre dépourvu de sentiments. Il est grand de vaincre joie et douleur : il

e s t m e s q u i n e t a n i m a l d ' ê t r e e x e m p t d e j o i e e t d e d o u l e u r 1 2 . »

Cependant, à côté de son goût pour les études grecques et latines, le j eune homme s'intéresse ardemment aux sciences naturelles aux- quelles l'Académie faisait une place honorable. La philosophie le pas- sionne, surtout la psychologie. Mais que ce soit dans ses études litté- raires, historiques ou philosophiques, il n'est pas séduit par le seul charme de la forme : ce qu'il cherche, c'est avant tout la valeur de l'idée, la portée de l'enseignement. La beauté, à ses yeux, ne consiste pas tant dans des valeurs proprement esthétiques que dans la qualité morale, immatérielle. Ainsi en Gœthe et Schiller admire-t-il moins la perfection harmonieuse de la forme que la hauteur de la pensée, la leçon morale. Il est intéressant de constater que se dessine très tôt chez lui ce besoin de dégager de son étude ou de l'observation une leçon non seulement substantielle, mais aussi et surtout pratique.

A dire vrai, ces douze ans passés à l'Académie ont profondément marqué l'homme qu'il allait devenir. Il lui en restera un besoin indomptable de liberté qui se traduira plus tard par l'aversion de toute autorité imposée de l'extérieur et de tout fanatisme, par le refus de se soumettre à ce que condamne l'esprit critique. A la discipline et au conformisme qu'exige l'Académie il oppose désormais sa propre règle morale dictée par la volonté. Dès cette époque, son esprit avide de positif et de concret s'écarte avec méfiance du rêve et de l'imagina- tion pour se tourner vers une philosophie pratique, lucide et coura- geuse. Dans les résultats des sciences et dans la foi au devenir de l'hu- manité, il puise une grande part de son dynamisme optimiste, non sans toutefois que subsistent en lui des traces de scepticisme et d'amer- tume. Ainsi a-t-il pu écrire cette belle réflexion : « C'est ici que j'ai appris, par ma propre expérience, que seule l'opposition engendre la vie 13. »

Ses études secondaires terminées, Feuchtersleben qui a dix-neuf ans, se trouve à un tournant décisif de sa vie ; le choix de sa profes- sion future. Dans l'ordre des choses et de par sa naissance, son instruc-

Il. Cité par Lieselotte Eltz-Hoffmann in : Feuchtersleben, Salzburg, 1956.

12. L. VII, p. 233. « Sonst war die Stoa mein Vaterhaus. Ich lebte in ihr.

Sie ist es noch, aber nicht mehr wie vor. Es gibt einen erhabenen Stoicismus und einen gemiithlosen. Es ist groß, Lust und Schmerz zu besiegen ; es ist klein und thierähnlich, lustlos und schmerzlos zu sein. »

13. L. VII, p. 236. < Hier bildete ich mich zu dem, was ich geworden bin, hier lernte ich es an mir : nur aus dem Widerstreben geht das Dasein hervor. »

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tion à l'Académie et les services rendus par son père, il aurait pu con- naître un brillant avenir dans une carrière administrative ou militaire.

Mais il préfère un horizon plus modeste et une profession moins repré- sentative ,qui, à l'époque, était encore inconcevable pour un noble, celle de médecin. Il n'hésite pas à s'opposer à la volonté paternelle, à l'esprit de sa classe et de son éducation. Dans une lettre lucide qui révèle le prix qu'il attache aux valeurs éthiques, il expose à son père ses arguments avec courage et fermeté. Après lui avoir rappelé son enfance passée à la campagne, la fragilité de sa constitution qui avait dirigé son observation vers les phénomènes naturels et les expériences de son moi, il lui avoue que sa nature et sa formation le portent vers la profession médicale. L'étude de la philosophie, particulièrement de la psychologie, indispensable au médecin, celle des sciences naturelles, l'ont préparé à cette voie. Mais il se sent surtout poussé par le besoin d'exercer une influence sur la vie, d'avoir une activité humaine, car à ses yeux un citoyen n'a de valeur que dans la mesure où il sait pro- portionner son action à ses forces ; convaincu, pour sa part, que s'il est apte à rendre quelque service à la société, c'est en qualité de méde- cin. On peut considérer que cette lettre contient en germe l'éthique de Feuchtersleben, orientée vers l'action humaine et sociale. Le jeune homme n'emporte le consentement de son père qu'après un pénible conflit qui approfondit le fossé qui les séparait déjà.

Avec passion, il se met à l'étude de la médecine, « ce qui est tout à fait naturel puisqu'il était pour ainsi dire fait pour elle », relate Hebbel faisant allusion au don remarquable d'observation dont le jeune homme était pourvu. Malade dès l'enfance, il s'était habitué à l'auto-examen, cherchant les causes et les effets de tout changement en lui, si bien qu'il disposait naturellement des résultats de son obser- vation personnelle. Très vite, sa conception de la vie se dessine : l'homme représente pour lui une unité indissoluble, celle du corps et de l'esprit. Perspective qui l'amène à chercher la cause du mal au lieu de ne s'intéresser qu'au symptôme et à s'interroger sur le lien qui unit les phénomènes pour remonter à la source dont ils procèdent. Il place le principe de vie à l'extérieur de la matière, reconnaissant que le corps est animé par l'âme et l'âme par Dieu. Sur cette voie, il acquiert bien vite la conviction que la volonté de l'homme a une importance décisive sur le physiologique.

Cette orientation de son esprit, il la doit en une large mesure à son maître Ph. Carl Hartmann, titulaire de la chaire de pathologie et de thérapie à l'Université de Vienne, chercheur doué d'une profonde culture philosophique. Rappelons qu'à l'époque, l'université de Vienne jouissait d'une grande renommée dans le domaine des sciences natu- relles et de la médecine. Deux grands courants s'opposaient alors : la médecine « objective », reposant sur l'étude des symptômes physio-

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logiques et sur le diagnostic, défendue par Rokitansky, appelé à Vienne dès 1834, et une tendance philosophique, spéculative, héritière de la médecine romantique et des philosophes de la nature dont les repré- sentants étaient Ph. C. Hartmann et Lenhossék. En 1808, Ph. C.

Hartmann avait publié un traité sur le « Bonheur et l'art d'utiliser la vie ». Il y démontrait que l'homme qui ne peut échapper à sa dualité, a pour devoir de cultiver en lui ses dispositions physiques et spiri- tuelles en se gardant de favoriser les unes au profit des autres 14.

Quant à son deuxième ouvrage publié en 1820 sous le titre de Fon- dements d'une physiologie de la pensée, il soutient l'existence en l'homme d'une force spirituelle, d'un principe supérieur indépendant du corps et par conséquent capable d'intervenir dans les fonctions physiologiques. Notion que le philosophe transpose dans le domaine médical en fonction de l'étroitesse des relations entre la vie du corps et de l'esprit.

A une époque où la médecine tendait à oublier le rôle de l'élé- ment physique, Feuchtersleben ne manqua pas d'être frappé par ce maître qui avait proclamé l'importance de la philosophie pour la méde- cine en rappelant que l'homme est un tout, corps et esprit et qu'une médecine qui ne s'occuperait que du corps serait nécessairement incomplète. Le jeune étudiant fut marqué par la portée morale de cette philosophie et il est vraisemblable qu'il lui doit largement dans la construction de son éthique. A partir du moment où Hartmann traitait d'égal à égal le monde de l'esprit et le monde sensible, cela signifiait que l'homme avait pour devoir de développer au même degré ces deux aspects de lui-même, condition de son équilibre et de son bonheur.

Devoir que Feuchtersleben ne se lassera pas de rappeler tout au long de son œuvre. Pourtant un changement de ton ne peut échapper ; tandis que chez son maître à penser domine une note de profond optimisme, la foi en la réalisation du bonheur, chez Feuchtersleben perce une certaine mélancolie imprégnée de résignation : sa vie durant, l'homme paiera son tribut aux deux mondes et, toujours, il déplorera que l'idéal et la réalité soient à jamais séparés. La philo- sophie raisonnable de Hartmann dont il tirera les conséquences pra- tiques, il ne la concevra pas tant comme le moyen d'atteindre le bon- heur que comme celui d'échapper au tragique de la condition humaine.

A côté de la médecine, Feuchtersleben continue ses études litté- raires et philosophiques. Il suit des cours de littérature allemande et classique ainsi que des leçons d'histoire de l'art. En outre, il pour-

14. Philipp Carl Hartmann (1773-1830). Auteur de la Gliickseligkeitslehre für das physische Leben des Menschen oder die Kunst das Leben zu benutzen und dabei Gesundheit, Schônheit, K'ôrper und Geistesstarke zu erhalten und zu vervollkommnen, Vienne, 1808, et d'un deuxième ouvrage paru à Vienne en 1820 : Der Geist des Menschen in seinen V crhii/tnissen zum physischen Leben oder Grundziige zu einer Physiologie des Denkens.

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suit l'étude des langues orientales qui deviendront un de ses domaines préférés. Il fréquente le « Silbernes Kaffeehaus » de la Planken- gasse où il rencontre des amis qui s'appellent Franz Schubert, Vogel, le chanteur, les poètes Bauernfeld, Mayrhofer et Schober ainsi que le peintre Moritz von Schwind 15. Là, on discute de poésie, de musique, de peinture et de philosophie entre natures apparentées par des inté- rêts spirituels et artistiques analogues. Mais on parle aussi de politique dans ces milieux intellectuels, admirateurs de la tradition joséphiste, où l'on déplorait les vicissitudes de l'impitoyable censure et du régime policier. C'est sans nul doute ici, dans le cercle groupé autour de Bauernfeld, que Feuchtersleben se familiarise avec les idées libérales et les tendances réformatrices en réaction contre la lourde tutelle imposée par Metternich.

Kant et Gœthe, « les piliers de notre culture » comme il les appelle, sont ses maîtres à penser. Kant, tout d'abord l'éducateur de la volonté et du raisonnement. Ce qu'il admire chez lui, ce n'est pas tant son système que sa méthode d'examen critique qui, après avoir défini avec une parfaite logique les limites de la connaissance humaine, séparé la foi du savoir, nous incite à l'action. Il adopte l'éthique kan- tienne : il ne suffit pas d'accomplir ses devoirs, il faut les exécuter en tant qu'obligations, par respect de l'impératif moral 16. Non moins profonde est la marque de Gœthe que Grillparzer ne manque pas de souligner 17. Ce que Feuchtersleben lui emprunte, c'est l'idée de culture, conçue dans le sens d'un élargissement au contact de l'uni- vers, celle de perfectionnement harmonieux de soi ; et, plus tard, ce sera la leçon de résignation, d'acceptation des limites à l'intérieur desquelles l'homme doit accomplir sa tâche. Kant et Gœthe demeu- reront ses « phares », au rayonnement desquels il ne saura d'ailleurs guère se soustraire.

Le 9 juin 1834, Feuchtersleben présente avec succès sa thèse de doctorat en médecine. Celle-ci, rédigée en latin, portait le titre de

« Lineamenta isagoges in doctrinam de indicationibus » 18. Quelques semaines plus tard, alors qu'il était sur le point d'aborder sa nouvelle carrière, son père, à la suite d'une dépression nerveuse, met fin à ses jours en se jetant dans le Danube. Au choc moral s'ajoutent les dif- ficultés matérielles. Feuchtersleben se trouve privé de son patrimoine.

Du jour au lendemain sans un sou, il parvient tout juste à sauver de 15. Ce cercle devint célèbre par les dessins de M. v. Schwind.

16. L. IV, p. 138. « Es ist nicht genug, meine Pflichten zu erfüllen ; man muB sie als Pflichten, — ans Pflichtmaxime — Üben. »

17. Dans sa biographie, Hebbel cite le jugement de Grillparzer sur Feuch- tersleben. L. VII, p. 329. « Nie ist vielleicht die Cultur fiir diesen allerdings GroBten aller Deutschen weiter getrieben worden als von ihm. »

18. En allemand : « Die Lehre von den Heilanzeigen. »

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la saisie ses propres effets. La famille se disperse et le jeune homme en est réduit à ses propres moyens. Le seul aspect positif de cet événe- ment, comme il le relate plus tard, fut que sa volonté ressortit plus forte de l'adversité 19. Il trouve le réconfort dans un mariage qui l'unit à une jeune fille qu'il connaissait depuis six années, Hélène Kalcher.

Lui, noble, cultivé, jette un défi à la destinée en épousant une femme sans fortune, sans naissance, sans culture. L'avenir prouva la justesse de son choix. Dans sa vie, ce mariage heureux fut un facteur d'équi-

l i b r e n o n n é g l i g e a b l e 2 ° . C ' e s t a u p r è s d ' u n e é p o u s e a t t e n t i o n n é e q u ' i l p u i s a l e s o u t i e n e n m ê m e t e m p s q u e l ' é n e r g i e q u i l u i p e r m i r e n t d e m e n e r à b i e n s a t â c h e e n d é p i t d ' u n e s a n t é p h y s i q u e e t m o r a l e d é l i c a t e . L e s d é b u t s f u r e n t d i f f i c i l e s . M o d e s t e m e n t i n s t a l l é d a n s l a b a n l i e u e d e V i e n n e , t e n u à l ' é c a r t p a r c e u x q u i n e l u i p a r d o n n a i e n t p a s d e n e p a s a v o i r r e s p e c t é l e s c o n v e n a n c e s d e s o n m i l i e u , i l a s u r t o u t u n e c l i e n t è l e d e g e n s p a u v r e s . D u r a n t q u a t r e a n n é e s , i l s e d é b a t t r a d a n s d e s é r i e u s e s d i f f i c u l t é s m a t é r i e l l e s , m a i s a c c u m u l e r a a u p r è s d e s e s m a l a d e s u n e s o m m e d ' e x p é r i e n c e s m é d i c a l e s . I l v é r i f i e l a t h è s e d e s o n m a î t r e H a r t m a n n e t a c q u i e r t l a c o n v i c t i o n d é f i n i t i v e d e s r a p p o r t s é t r o i t s e n t r e l ' â m e e t l e c o r p s , l ' h a r m o n i e d u m o r a l e t d u p h y s i q u e , c o n d i t i o n d e l a s a n t é . I l p r e n d c o n s c i e n c e d e l ' i m p o r t a n c e d e l a s u g - g e s t i o n e t d e l a v o l o n t é d a n s l e d o m a i n e d e l a t h é r a p e u t i q u e : l ' i d é e d ' u n e m é d e c i n e d e l ' â m e s e p r é c i s e e n l u i .

D e d é l a s s e m e n t , s o n a c t i v i t é l i t t é r a i r e d e v i e n t r e s s o u r c e . I l c o l l a -

bore à des revues littéraires, artistiques et critiques 21, jouissant d'une très grande faveur, surtout auprès des jeunes intellectuels sensibles à la qualité de ses écrits, mais attentifs aussi aux allusions politiques d'esprit libéral qu'il glisse dans ses études esthétiques à une époque où les quotidiens sont l'objet d'une impitoyable censure.

En 1835, il fixe ses recherches médicales dans une étude intitulée A propos du premier livre de la Diète d'Hippocrate 22. En 1836, parais- sent chez Cotta ses Poèmes, qui ne connaissent guère de retentisse- ment. Néanmoins sa réputation de brillant critique est désormais établie. Il la met au service de jeunes talents et publie les œuvres de

P r e c h t l e r 2 3 , M a y r h o f e r 2 4 , v o n M a y e r n 26 ; i l a i d e à f a i r e c o n n a î t r e ,

19. En témoigne le poème NuBdorf de juillet 1834 : « Glaubt Ihr, ich werde mm verzagen... Meint Ihr, das hat mich miirb gemacht ? »

20. L. VII, pp. 326-327. Grillparzer souligne cette union modèle : « Ein Musterbild von Ehe, wie ein zweites Mal nicht leicht vorkommen wird. »

21. Parmi les plus importantes citons : « Blatter für die Literatur, Kunst und Kritik zur ôsterreichischen Zeitschrift für Geschichts- und Staatenkunde » et la « Wiener Zeitschrift fiir Kunst, Literatur, Theater und Mode ».

22. Ueber das hippocratische erste Buch von der Diät.

23. Otto Prechtler (1813-1881), protégé de Grillparzer auquel il doit son poste de directeur des archives au ministère des finances d'Autriche. En 1844,

Feuchtersleben l'aide à publier ses Siimtliche Gedichte.

24. Johann Mayrhofer (1787-1836), dont il publie les poèmes en 1837 dans une deuxième édition.

25. Wilhelm Friedrich von Mayem (1760-1829), Feuchtersleben publie ses œuvres en 1841. Auteur du roman Dya = N a = S o r e (1789-1791).

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par un excellent compte rendu critique, R. Zimmermann 26, traducteur de la Monadologie de Leibniz. Son traité d'Hygiène de l'âme paraît en 1838, sous le titre de Diâtetik der Seele qui dans l'espace de dix ans devait être réédité cinq fois. Dès lors, c'est la notoriété dans le monde des lettres et de la médecine.

Un nouvel ouvrage, Tra-ité de la Certitude et de la Dignité de l'art médical 27 est publié en 1839. En 1840, Fauteur de la Diététique est élu membre et, peu après, secrétaire de la Société médicale de Vienne ; activité qu'il exerça pendant quatre années. Nommé profes- seur à la Faculté de médecine en 1844, il inaugure une série de leçons sur la science de l'âme envisagée du point de vue de la médecine. Ces cours avaient pour but non seulement de préparer les futurs spécia- listes à la « médecine de l'âme », totalement négligée à l'époque, mais de donner aux étudiants en médecine une culture générale plus appro- priée. Pédagogue, vulgarisateur lucide et en même temps orateur, ses conférences connaissent un succès immense ; elles sont publiées en 1845 28 et traduites en Angleterre par Lloyd et Babington, où elles sont adoptées par les facultés de médecine en vue de la formation des étudiants. Jouissant alors de l'estime de tous et particulièrement de celle de son public, il est nommé doyen de la Faculté de médecine pour l'année 1845-1846. En 1846, il traduit en allemand le discours rectoral de Ph. C. Hartmann sous le titre De la vie de l'esprit (Vom Leben des Geistes).

Bien qu'il se refusât tout talent poétique, il continue d'écrire des poèmes pour lui-même et surtout poursuit la rédaction de ses confes- sions sous une forme aphoristique : il dépose dans des centaines de maximes le fruit de ses observations dispersées sur la vie, la connais- sance de l'art. Le moraliste s'y révèle. Feuchtersleben devient un des maîtres du genre.

De surcroît, il s'intéresse aux œuvres d'art de son époque, applau- dissant aux talents qu'il ne croyait pas posséder lui-même. Témoin de la diversité de ses intérêts littéraires, l'anthologie Geist deutscher Klassiker publiée après sa mort de 1850 à 1852 et qui remporte un grand succès. Ses auteurs favoris, ce sont Gœthe, Schiller, Herder, von Hippel, Klinger, Lichtenberg, Wieland, Benzel-Stemau 29 et Jean Paul.

Quant aux extraits qu'il a choisis, ce sont des pensées et des maximes qui correspondent précisément à sa prédilection marquée pour la forme aphoristique. A ses yeux, les traits qui caractérisent les auteurs allemands, « les écrivains de notre nation », comme il le souligne dans

26. Robert Zimmermann (1824-1898), spécialiste d'esthétique, ami de Feuch- tersleben et de Grillparzer.

27. Ueber die Gewißheit und Würde der Heilkunst.

28. Lehrbuch der ärztlichen Seelenkunde.

zy. benzel-bternau, i/b/-1832. Ernest Christian, comte de Benzel-Sternau.

Observateur et peintre des mœurs de son temps, traducteur des Nuits d'Young ; auteur de nouvelles, de comédies et de pensées aphoristiques tombées dans l'oubli.

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la préface, c'est « la densité des pensées, la beauté et la hauteur morale, la profondeur des sentiments », valeurs essentiellement éthi- ques qu'il juge lui-même inséparables des qualités esthétiques de l'œuvre littéraire. Son jugement fait autorité. Les matières littéraires, la critique qu'il pratique, reflètent sa finesse de jugement en même temps que sa bienveillance. Feuchtersleben définit la critique en ces termes : « A vrai dire, on ne doit ni ne peut rejeter personne, il faut tenter d'expliquer chacun. Telle est la vraie critique 10. » Nul n'a mieux vu ce trait de caractère que son ami Grillparzer qui souligne l'aspect positif de son jugement destiné à encourager la production lit- téraire, sa tendance à supposer en chacun un arrière-plan profond et à essayer de comprendre ce qui nous est étranger 31. Quant à Hebbel, il refuse à Feuchtersleben toute compétence de jugement sur les œu- vres où prime la forme 32, car, déclare-t-il non sans raison, en tou- chant un trait essentiel de sa personnalité d'homme et d'artiste, « ce que Feuchtersleben cherchait, ce n'était point la valeur spécifique- ment poétique, mais la teneur intellectuelle, généralement humaine d'une oeuvre » 33. Quoi qu'il en soit, le critique a laissé de fines et pénétrantes analyses, notamment de Gœthe, de Grillparzer et de Kleist, et aidé à la notoriété de nombreux poètes autrichiens tels que Scho- ber, Mayrhofer, Bauernfeld, sans parler de ses critiques d'art qui firent autorité.

A côté de ces multiples activités, il en est une qui allait occuper la dernière partie de sa vie : l'activité politique et pédagogique qui doit être considérée comme la mise en pratique de ses principes phi- losophiques. Feuchtersleben faisait partie de ces intellectuels libéraux qui, ouverts aux idées de liberté favorisées par Joseph II, regardaient d'un œil critique l'évolution de l'Autriche sur les plans politique, social et économique et qui attendaient de l'octroi d'une constitution et de réformes un renouveau qu'ils jugeaient indispensable à l'avenir du pays. Or, sous Ferdinand Ier, hostile à toute transformation, qui n'avait ni l'étoffe d'un monarque absolu, ni celle d'un souverain cons- titutionnel, le pays stagnait, tandis que se développait rapidement un prolétariat industriel.

Les idées libérales de l'auteur de la Diététique étaient connues en haut lieu, et lorsque, le 17 mai 1847, fut publiée la liste des quarante membres de l'Académie des Sciences, fondée le 5 février 1848 par 30. L. III, p. 30. « Verneinen darf und kann man eigentlich gar Niemanden ; man muß Jeden zu erklären suchen. Und das ist die wahre Kritik. »

31. L. VII, p. 330.

32. L. VII, p. 334. « Der Begriff der Fonn wurde nie recht lebendig in Feuch- tersleben, er wurde wenigstens nicht fruchtbar in ihm. »

33. L. VII, p. 336. « Er [Feuchtersieben] ging ja nicht auf den specifisch = dichterischen, sondern nur auf den intellektuellen, allgemein menschlichen Gehalt aus. »

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décret de l'Empereur, son nom ne figurait pas, Feuchtersleben ne put jamais entièrement surmonter cet affront et, élu un an plus tard, il se contenta de fournir, sur la demande de l'Académie, un compte rendu autobiographique succinct 34. Le 20 avril 1847, dans un discours tenu en sa qualité de doyen 11, il expose devant le chancelier Metternich la nécessité d'une réforme universitaire et réclame l'entière liberté de l'enseignement. Rappelons ici que même les professeurs devaient alors soumettre à la censure, à chaque début de semestre, le sujet de leur cours. Ce discours sans équivoque, téméraire, mais sans passion, marque le début de son engagement politique. Le 9 octobre 1847, il est nommé vice-directeur des études chirurgicales. Jugeant la charge de doyen incompatible avec cette dernière, il renonce à son décanat.

Puis ce furent les événements de 1848, tournant décisif pour l'Autriche et pour Feuchtersleben en particulier. Le penseur devient homme d'action.

Feuchtersleben n'était certes pas révolutionnaire par principe.

Confiant dans le perfectionnement progressif de l'humanité et de l'évolution, comme la plupart des grands esprits de l'époque, il répu- gnait à une rupture brutale et redoutait les désordres et les excès d'une révolution.

Toutefois, devant l'opposition acharnée du régime aux réformes qui s'imposaient dans tous les domaines, il avait pris conscience que la révolution était la seule issue. A cela s'ajoutait chez lui un sentiment profond des responsabilités à assumer. Il se déclare donc courageu- sement pour la révolution estimant ne pouvoir se tenir à l'écart de la lutte et rester spectateur impassible des événements dont il avait annoncé la venue.

A travers les notes de son journal, on peut suivre le déroulement des journées de mars 1848 à Vienne. Parmi les événements les plus marquants : le 12, Feuchtersleben donne sa signature en tête d'une pétition des écrivains pour la liberté de la presse. Le 14, la veille, Metternich a été renversé et a fui la capitale tandis que les étudiants regroupés en milices veillent à l'ordre dans les faubourgs de la capi- tale, la liberté de presse est proclamée par voie d'affiches, une garde nationale constituée. Le 15 au soir, à 16 heures — Feuchtersleben avait convoqué la veille ses collègues — c'est la proclamation de la Cons- titution au milieu de la liesse générale. Illuminations, cortèges... Le 16, l'empereur est reçu à l'Université, accueilli par le recteur et le corps professoral. Feuchtersleben prend part à une retraite au flam- 31. Reproduit par Hebbel dans son édition des œuvres de Feuchtersleben, L.

I, pp. VI-XXVI.

35. Discours prononcé à l'occasion du cinquantenaire de l'appel aux étu- diants de l'Université de Vienne : Rede zum Restaurations = F es te und fünfzigfiih- rigen Aufgebots=Jubiliium der Wiener Hochschule am 20. April 1847.

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beau. Le 18, création du ministère responsable. Le 19, Feuchtersleben, après avoir réuni ses collègues, adresse, au nom de la Faculté de méde- cine, une pétition pour la liberté de presse. Le 20, il signe de sa main la pétition des étudiants pour l égalité entre les confessions, annonce à l'Université la liberté de l'enseignement (Lehr- und Lernfreiheit), enfin le 3 avril, il est élu député au Parlement de Francfort, distinc- tion qu'il refuse afin de pouvoir mieux se consacrer à sa tâche sur place.

Il apparaît, de façon manifeste, que Feuchtersleben dès le début des événements a joué de sa propre initiative le rôle de médiateur des étudiants et celui de porte-parole des revendications de l'Université.

C'est à lui que revient le mérite d'avoir engagé le dialogue avec les autorités officielles — et ce au mépris des menaces d'un état poli- cier — essayant de maintenir l'ordre dans les moments difficiles au sein de l'Université. C'est lui qui dépose au ministère, dès le lende- main de sa création, la pétition de l'Université pour la liberté de l'enseignement, démarche dont il assume la responsabilité, accomplis- sant ainsi le premier pas concret dans le sens d'une réforme démo- cratique de l'enseignement et de la liberté académique. Il n'est donc nullement surprenant que trois mois après on réclame son concours afin d'organiser l'enseignement sur des bases nouvelles en lui offrant, en juillet 1848, le poste de ministre de l'Instruction publique dans le nouveau ministère. Estimant qu'il ne possédait ni la résistance phy- sique ni un ascendant politique suffisant pour de telles fonctions, il refuse en se contentant d'accepter les fonctions de sous-secrétaire d'état à l'éducation, poste qu'il jugeait plus conforme à ses capa- cités 36. Sous le ministère de son ami, le baron von Doblhoff, il se met

i m m é d i a t e m e n t a u t r a v a i l 3 7 .

L a t â c h e q u ' i l s ' é t a i t i m p o s é e , é t a i t a r d u e , c a r d e p u i s p l u s i e u r s d é c e n n i e s l ' e n s e i g n e m e n t e n A u t r i c h e n e r é p o n d a i t p l u s a u x e x i g e n c e s d e l ' h e u r e M i s s i o n d ' a u t a n t p l u s d é l i c a t e q u ' i l l u i f a l l a i t d é t r u i r e p o u r r é f o r m e r a l o r s q u e s a n a t u r e l ' i n c l i n a i t d a v a n t a g e à l a m o d é r a t i o n . I l s ' a t t a q u e c e p e n d a n t à l ' o e u v r e r é f o r m a t r i c e a v e c f e r m e t é 39, n e t a r - d a n t p a s à d é p a s s e r l e d o m a i n e p r o p r e d e l ' e n s e i g n e m e n t e t à p r e n d r e d e s d é c i s i o n s d ' o r d r e p o l i t i q u e d ' a u t a n t p l u s r a p i d e m e n t q u ' i l e n v i s a - g e a i t l ' é v e n t u a l i t é d ' u n m o u v e m e n t r é a c t i o n n a i r e . D é s o r m a i s l ' e n s e i - g n e m e n t d e v i e n t u n e a f f a i r e q u i c o n c e r n e l ' é t a t e t l u i s e u l 39.

36. Il expose les raisons de son refus dans une lettre du 16 juillet 1848 que cite Hebbel : L. VII, pp. 302-305.

37. Cf. Ernst Frhrn. v. Feuchtesrleben ausgciciihlte Werke, éditées par Richard Guttmann, Leipzig, 1907, p. 27.

38. Il le dit lui-même : « Ich begann ihn (den undankbarsten Theil der ganzen Reformaufgabe, das Niederreifien) mit Vorsicht und Besonnenheit, aber mit Muth und Entschiedenheit. »

39. Nous étudierons dans le détail ses réalisations dans un chapitre consacré à la réforme de l'enseignement.

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Feuchtersleben a donné lui-même un compte rendu rétrospectif circonstancié de son activité dans la « Wiener Zeitung » du 17 décem- bre 1848 4°, mais, comme le fait remarquer Hebbel, c'est dans l'article intitulé Eine Stimme aus dem Volke publié les 2 et 4 juillet 1848 dans la « Konstitutionelle Wiener Zeitung » 41 qu'il a exposé clairement ses idées pédagogiques. Il est permis de supposer qu'il aurait réalisé entièrement son programme dans des circonstances politiques favo- rables 42. Mais il se heurte, d'une part, au manque de maturité du peuple, qui, laissé jusqu'alors dans l'ignorance complète des réalités politiques et civiques, ne savait que faire de la nouvelle liberté, de l'autre à la passion et à la brutalité qui répondirent à son appel à la raison.

Son espoir que ses fonctions de sous-secrétaire d'État à l'éduca- tion lui permettraient de rester à l'écart des intrigues politiques, ne se réalisa pas. Préoccupé avant tout du bien de l'État, guidé par la seule idée de réforme qu'il jugeait indispensable au bien du peuple, il n'hésita pas à s'attaquer à des privilèges, à des castes se créant ainsi

d e s e n n e m i s e n b l e s s a n t d e s i n t é r ê t s p a r t i c u l i e r s 4 3 . D a n s s o n d é s i r d e j u s t i c e e t d ' i m p a r t i a l i t é , i l s e m o n t r a a b s o l u , r a d i c a l , a u d e m e u r a n t t r o p s e n s i b l e , m a l a r m é p o u r s u p p o r t e r l ' h o s t i l i t é . S e n t a n t a l o r s d i s - p a r a î t r e l a c o n f i a n c e q u ' i l r é c l a m a i t p o u r m e n e r à b i e n s o n œ u v r e , l e d o u t e n e t a r d a p a s à l ' a s s a i l l i r . S o n j o u r n a l n o u s r e n s e i g n e s u r s o n é t a t d ' e s p r i t ; t e l l e c e t t e p e n s é e s i g n i f i c a t i v e : « J e n e s u i s p o i n t f a i t p o u r u n e t â c h e o ù r è g n e l e c o n f l i t . J e n e p u i s m e d é v e l o p p e r , e n s e i - g n e r e t œ u v r e r q u e l à o ù l ' o n m e f a i t c o n f i a n c e 4 4 . » C ' e s t l a r é s i g n a - t i o n q u i l u i d i c t e c e s p a r o l e s : « T o u t e a c t i o n p u r e e s t i m p e n s a b l e , l o r s q u e l ' o n v o u s r e n d r e s p o n s a b l e n o n p a s v i s - à - v i s d e v o t r e c o n - s c i e n c e , m a i s d e l a p r e s s i o n i m p é t u e u s e d ' u n e m a j o r i t é a g i t é e ( c o m m e c e f u t m o n c a s e n s e p t e m b r e 1 8 4 8 ) . C e l u i q u i a p o u r d e v o i r d e d i r i g e r e t d e c r é e r , n e d o i t j a m a i s ê t r e r e g a r d é c o m m e s i m p l e m a n d a t a i r e ; i l f a u t l e l a i s s e r l i b r e d a n s l a s p h è r e d ' a c t i v i t é q u i l u i a é t é a s s i g n é e p a r c o n f i a n c e e n s o n d i s c e r n e m e n t 4 5 . » A q u e l p o i n t l a n o t i o n d e

40. L. VII, pp. 347-364. Das neue Ministerium des öffentlichen Unterrichts in Osterreich.

41. L. VII, pp. 374-402.

42. L. VII, p. 330. C'est ce que Grillparzer écrit : « Er wâre für ruhige Zeiten der beste Unterrichtsminister gewesen. »

43. Il en est tout à fait conscient comme nous l'indique ce passage du jour- nal, L. VII, p. 310 : « DaJ3 persônliche Gegner, daJ3 gekrânkte Kasten und Parteien diese Periode benützen würden, mein Wirken zu hemmen, zu verdâchtigen, mich zu untergraben, war vorauszusetzen. »

44. L. VII, p. 307. « Ich bin für keine Aufgabe des Streites gemacht. Ich kann mich nur dann entwickeln, zeigen und wirken, wenn man mir vertraut. »

45. Ibidem. « Ferner ist kein reines Wirken zu denken, wenn man (wie ich im September 1848), nicht seinem Gewissen, sondern dem ungestümen Drange einer lebhaften Majorität gegenüber verantwortlich gemacht wird. Wer leiten und schaffen soll, darf nie als bloßer Mandatar betrachtet werden ; man muß ihn den Wirkungskreis freilassen, den man ihm aus Vertrauen zu seiner Einsicht angewiesen hat. »

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démocratie en est encore à ses débuts, apparaît également dans cette autre pensée empreinte de la résignation de ne pouvoir accomplir ce que seule la conscience dicte à l'honnête homme : « [... ] s'entendre louer pour ce qu'intérieurement on ne peut que désavouer, devoir représenter ce qu'on ne peut approuver. Telle est la situation de celui

q u i a p r i s u n e n g a g e m e n t v i s - à - v i s d e l ' e s p r i t d é m o c r a t i q u e 4 6 , »

Alors surviennent les événements d'octobre 1848 : Vienne connaît le 6 octobre un soulèvement populaire, la terreur se déchaîne, l'Em- pereur prend la fuite, le ministre de la guerre est assassiné. Feuch- tersleben, écœuré par la violence populaire 47, sait qu'il ne peut plus achever son œuvre. Il écrit dans son journal : « Il n'est plus possible de penser à une action ordonnée, la réforme de l'enseignement est devenue irréalisable 48. » Sentant que dans de telles conditions il n'est plus à la hauteur de sa tâche, il prend rapidement parti. De son pro- pre chef, il abandonne ses fonctions, quitte Vienne pour se réfugier à Aussee, d'où il demandera sa démission. Sa santé compromise, morale- ment déprimé par les événements, il cherche auprès de son frère le repos et l'oubli.

Dans l'étude, il essaye alors d'apaiser le trouble de son âme, con- sacrant son temps à la rédaction d'une histoire de l'enseignement 49 et à des recherches sur l'anthropologie, son dernier travail scientifique dont il voulait faire le sujet de leçons. « Calmement résigné », comme l'écrit Hebbel, « il tourne le dos à l'édifice qu'il avait com- mencé, mais qu'il ne devait pas achever 50. »

Après avoir recouvré l'équilibre, il résolut de rentrer dans la capitale pour y reprendre ses activités, ignorant la malédiction qui pèse sur tout réformateur dont l'œuvre est restée inachevée. Effec- tivement, à Vienne, son départ avait provoqué une réaction très défa- vorable. On le considérait comme une fuite devant ses responsabilités et on ne lui pardonna pas d'avoir abandonné son poste à un moment critique pour la nation. Il subit alors la plus profonde déception de sa vie : les professeurs de l'université, parmi lesquels il s'était créé des ennemis implacables lors de la réforme de l'enseignement, signent une

46. L. IV, p. 156. « Welche Situation für einen honetten Menschen von Einsicht : sich für das loben zu hören, was er innerlich selbst mißbilligen muß, das vertreten zu müssen, was er nicht gut heißen kann ! Das ist die Situation dessen, der sich demokratisch verpflichtet hat. »

47. Dans son article : Grillparzer — Stifter — Feuchtersleben, Die Unzeit- gemaBen des Jahres 1848 (op. cit.), Bietak juge que ce qui bouleversa des hommes tels que Feuchtersleben, Stifter et Grillparzer confiants en l'idée de culture et les désarma vis-à-vis de la révolution, ce fut de constater chez le peuple cette jouis- sance de faire le mal qu'aucun d'eux n'avait soupçonnée.

48. L. VII, p. 311. « [ . . . ] an eine geordnete Wirksamkeit ist nicht mehr zu denken ; [ . . . ] Die Reform des Unterrichts ist unmöglich geworden. »

49. L. VII, p. 132, Zur Geschichte des Unterrichts.

50. L. VII, p. 157. Fünf Vorlesungen über Anthropologie (1849).

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