Remarques sur
leSténo
GastaldiiBrandt
et sur l’évolutionde
ladentition des Cétodontes.
par M. H.
Neuville.Ce
fut Brandt qui le premier,je crois, ratlachaau
genre SténoGray une forme
fossile{1). Les restes de celle-ci avaient été trouvés dansune
argile pliocène de la région d’Asti (Piémont).D’après la
forme du museau,
les dentsnombreuses,
coniques, poin- tues ... la longueurde
lasymphyse
des maxillaires inférieurs, Brandt attribua ces restesau
genre Sténo et en fitune
espèce nouvelle, à laquelleil
donna
lenom
de Sténo Gastaldii. Il avait fait porter ses comparaisons préalables surle Tursiops tursio (Fabr.), le Delphimus tethyos P. Gerv., leLagenorhynchus albiroslris Gray, et le Sténo rostratus (Desm.).
Son
Sténo Gastaldii aun museau
plus long, plus étroit à la base etau
milieu, plus large à l’extrémité,que
le Tursiops tursio, etmoins
étroit,moins
aigu,moins comprimé
latéralement, surtout dans sa partie antérieure,que
le Sténo rostratus. Brandt en concluaitque
cetteforme
appartientau
genreI Sténo, et qu’elle
ne
se laisse identifier avecaucune
espèce desmers
d’Europe.Portis a complété cette description(2), en
mentionnant notamment que
l’atlas decette espèce est
complètement
libre.Dans
l’état actuel des connaissances sur le genre Sténo, la description deBrandt
parait légitimer le plusgrand
doute surla validité de sa déter- mination.Comme
j'aieu
l’occasion de l’exprimer déjà dans des Notes auxquellesje renvoie(3), le caractèredécisif,pour
cegenre, est celui des dents, à émailW
J. F. Brandt. Ergànzungen zu den fossilen Cetaceen Europa’s.Mém.
Acad.Sc. Pétersbourg, 1874, 7e série, t. ai, n° 6; iv-54 p., 5 pl.
W
Al. Portis. Catalogo descrittivo dei Talassoterii rinvenuti terreni terziarii del Piemonte etdeltaLiguria.Mem.
reale Accademia delle Scienzedi Torino. 1886.2e série, t. 36, p. aA7 365, pl. I-IX. Voy. p.
344
et suiv.W
Henri Neuville. Remarques sur l’organisationdu
genre Sténo Gray. Asso- ciationfrançaise pour l’avancement des Sciences. Comptes rendus du Congrès de Constantine. 1927.Id. Observations sur les particularités dentaires
du
genre Sténo. Bull. Mus.d’Hist. nat., 1928, n° 1.
— 136
chagriné, etdont la
forme
générale est assez particulière.En
l’absence de dents présentant ce caractère, il estimprudent
de déterminerun
Sténo.Le
caractère signalépar
Portis d’après les piècesmêmes
sur lesquelles fut basée la description de Brandt, et qui a trait à l’état libre de l’atlas, paraît ne pouvoirlever les doutesque
dans le sens de la négative;l’atlas et l’axis étaient en tout cas réunis sur les Sténo qu’étudièrent Peters, puis Lütken.Je dois à l’obligeance
de
M.Parona
, Directeurdu
R. Istituto diGeologia de Turin, d’avoirpu
étudierun
lot de dentsdu
S. Gastaldii. Elles sontdela taille
que
présentent, dans lamoyenne,
cellesdu
S. rostratus, plutôtun peu
plus petites cependant;aucune
de cellesdontj’aiainsidisposé n'atteint en tout cas les dimensionsque
l’on peut observer sur certains sujets de cette dernière espèce.Ce
serait là chose depeu
d’importance si ces dents présentaient les particularités caractéristiques des Sténo et auxquelles je faisaisallusion ci-dessus. Mais leurémail n’est pas chagriné, et suraucune
de cellesque
j’ai étudiées la racine ne présente,comme
dans ce dernier genre, d’expansions latérales ni d’incurvation très accentuée.La couronne
estici identique à celle des dentsdu
Tursiops parexemple
,
ou
plutôt plus petite; elle est lisse,dépourvue
de carène.Examinée
àun
fortgrossissement, de préférence sous
une
loupe binoculaire, elle présente parfois cette très légère tendance auchagrinement que
j’ai signaléeailleursque
chez lesSténo, et qui se traduit, plutôtque
par des sillonsou
par la formation de vrais grains, parune
tendance à l’apparition de pansou
defacettes. Ces dernières particularités sont,je le répète, très inconstantes;
elles restent à peine sensibles
quand,
à force d’examens minutieux,on
arrive à les déceler.
La
racine est assez régulière,un peu
aplatie vers sa base, parfois légèrementincurvée.Ces dents ne peuvent
donc
être identifiées à celles d’un Sténo. Toutes comparaisons faites, ellesrappellent celles de divers Delphinidés polyodon-tes, etpourraientêtreassimilées à celles d’un Tursiops lursio; mais, d’après d’autres caractères,
Brandt
a rejeté la détermination de son S. Gastaldiicomme
Tursiops.A
quel genre l’attribuer? Il fait penseraux
Sotalia,peut- être aussiaux
Prodelphinus,
mais, d’aprèsles dimensions des dents, plutôt à ceux-là qu’à ceux-ci.
Tout
ceque Ton
peut affirmer,me
semble-t-il, c’est qu’il doit être éliminédu
genre Sténo.Portis
(loc. cit., p.
348)
a établiune
seconJe espèce fossile de Sténo(Sténo Bellardi Portis),
également de
l’Italieseptentrionale,pour
desrestes qu’il acomparés au
Sténoplumbeus etau
Sténosinensis, qui sonten
réalité desSotalia. Il n’en a pas décritles dents, en l’absence desquelles il est, je le répète, pratiquement impossible de déterminerun
Sténo avec certitude.D’aprèsles
deux
silhouettes qu’ildonne du
crâne et de la basedu
rostre,il pourrait bien s’agir ici d’un véritable Sténo. Mais il serait difficile d’aller plus loin.
— 137
Ces remarques, relatives à des formes fossiles, isolentencore
un peu
plus le genre Sténo telque nous
le connaissons actuellement. Il n’en estque
plus intéressant de lui chercher des affinités. Ni chez les Cétacés vivants, nichezles Cétacés fossiles,je ne luienvois d’immédiates. Les genresSténo, Tursiops et Sotalia sont, par l’ensemble deleurs caractères, de très proches voisins; il
me
paraît toutefois difficile de ne pas considérer cettedonnée
importanteque
fournit la dentition particulière des Sténo,homodontes
seulement quant à la couronne,comme
séparant ceux-ci des autres Delphinidés et incitant à leur chercherquelque
parentéparmi
les formes disparues.C’est
du
côté des plus anciens Cétodontes, de ceux dont les caractères rappellent encore si étroitement lesMammifères
terrestres qu’ils sont par-fois classés avec les Pinnipèdes, qu’il est possiblede déceler
un
rapproche-ment
àce sujet; encorecerapprochement
est-illointain, etrestreint,comme du
côtédu
genre Inia, à quelques caractères des dents.Ces Cétacés primitifs sont les Zeuglodontes. Ils sont
, géologiquement
les plus anciens de tous.
Leur
dentition est hétérodonte et oligodonte; detels caractères furent considérés jadis
comme
représentantune
très haute spécialisationpour
les Cétacés, dont la dentition primitive, dans cettehypothèse, eût été, et fûtgénéralement restée,
homodonte
et polyodonte;cependant, le caractère hétérodonte des Zeuglodon n’en est pas
moins
regardé, d’assezlongue
date,non comme
très évolué, maiscomme
primitif. Actuellement, il est
admis que
le genre éocène Zeuglodon est letype de Cétodonte le plus ancien.
Des
renseignementsgénéraux
sursa dentition ont été donnés par divers paléontologistes.Le
contraste est trèsgrand
entre cette dentition et celle des formes actuelles; déjà, pourtant, elle fait assister à la transformation desincisivesen
cesdentsconiquesqui sont, typiquement, cellesdes Delphi- nidés; mais les molaires restent d’un type rappelant celui des Carnassiers terrestres.Une forme
de l’éocène de la Nigériaméridionale, nouvellecomme
genreet
comme
espèce(Pappocetus lugardi G.
W. Andrews)
(1), a fourniune donnée
permettant, ilme
semble, decomparer
lesSténoaux
Zeuglodontes,au moins
àun
point devue
dentaire restreint. Il parait exister, dans cetteforme, rrune pleine dentition d’eulhérien»; les éléments
de
cette dentition, fortendommagés
sur les spécimens étudiés par C.W. Andrews,
ne per- mettent guèreque
desremarques
d’ordre très général;mais une
dent isolée, à racine simple et àcouronne
conique bienconservée, présente des détails fort intéressants. Sa face interne,quelque peu
aplatie, est limitéeW
C.W.
Andrews.A
description ofnew
species ofZeuglodont and of leathery Turtle l'rom Eocene of Southern Nigeria. Proc.zool.Soc., London, 1919,p. 309- 3i9, pl. I-II.Moséum.
—
XXXIV. 10— 138 —
antérieurement par
une
crête (ridge) bienmarquée;
sa face postérieure est couverte d’un émail dont la description et la figuration(loc. cit. , pl. I, fig. 3) rappellent étroitement celui
du genre
Sténo actuel. L’auteurmen-
tionne
même un cingulum,
qui, d’après la figureque
je viens de citer, estpour
lemoins
bien voisin d’un léger renflement circulaire plus oumoins
net,surmontant
ceque
j’aimentionné comme
collet en décrivantprécédemment
les dents des Sténo.La
dent dont il vient delre question a été considérée par G. VV.Andrews comme
étantprobablement une
incisive de sa nouvelle espèce.Un^
autre Gétacé fossile, trouvé plusrécemment
dans des couches pro-bablement
oligocènes de la Garoline méridionale, et décrit par R. Kel- logg(1), présente
une
particularitédentairequ’il est intéressant de noterici.Cette
forme
très ancienne, dontle crâne rappelle encore celui desmammi-
fères terrestres, est rapprochée des genres Agorophius et Archœodelphis par Kellogg, qui
en
a faitun nouveau
genre etune
nouvelle espèce(
Xeno
- rophus Sloani). Les dents antérieures, à racines simples,manquaient
sur le sujetexhumé;
en arrière de leurs alvéoles vides se trouvaitune
rangée de six dents à double racine, dont la sixième était couverte d’un émail<r
rugueux ou
strién.Les matériaux sont encore trop rares
pour que
l’on puisse se livrer à quelque appréciation synthétique de ce caractère de l’émail des Gétodontesles plus anciens.
Nous
le voyons, en tout cas, exister «à la fois surune
molaire encorepeu ou
pasdifférenciée dans lesenshomodonte
(Xenorophus)et sur
une
dentconique présentant déjà le caractère spécial des dents des Cétodontes(Pappocetus).
Passant des Zeuglodon
aux
Squalodon, déjàbeaucoup
plus adaptés à la vie aquatique,nous voyons
la dentition devenir polyodonte et tendre de plusen
plus, simultanément, à l’homodontie, qui s’accentue d’avant
en
arrière. Puis les Saurodelphis
montrent une homodontie
àpeu
près parfaitepour
les couronnes, tandisque
les racines trahissentencorel’hétérodontie; c’est là lapseudohomodontie
d’Abel. Ges racines rappellentun
peu, en silhouette, les racines carénées des Sténo (voir Note précédente); mais n’ayantpu
observer de dents de Saurodelphis,
jene puis approfondir cette ressemblance,
probablement
toute superficielle.Nous
voyons ici des dents portant sur leurcouronne une
cannelure latérale, creuse, n’ayant rien decommun
avec les carènes antérieure et postérieure des dents de Sténo.Le
caractère chagriné de l’émail ne paraîtdonc
pas avoir persisté de façon continue, pendantun
certaintemps,
dans la dentitiondes Gétodontes anciens.Des deux
formes actuelles qui le présentent, l’une(Inia
) est
une
(1) R. Kellogg. Description ofan apparently
new
loothed Cetacean from south Garolina. Smiths. miscell. Collection, vol. 76, n° 7, Washington, 1923, 7 p. et 2 pl.139
forme probablement
ancienne,dont
la dentition estencore loin de l’homo- dontie typique des Cétodontes, tandisque
l’autre (Sténo) estun
Delphi- nidé très évolué.Y
a-t-il ici des persistances dedispositionsanciennes,ou
des faits d'adap- tation convergente? C’est làune
questionque
denouveaux documents
permettraient seuls de pouvoir aborder; sa résolution seraitprobablement
fort laborieuse. C’est
en
tout cas contribuer à lamieux
poserque
de cher- cher àcomparer
lesdocuments
actuellementconnus
à ce sujet, et des’efforcer de déterminer la raison d’étre de cette particularité
devenue
sirare qu’est le
chagrinement
de l’émail dentaire de certains Cétodontes.10