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Syllabus Review Vol. 8 (2), 2019 Special focus on APC/CBA

©Ecole normale supérieure, University of Yaoundé 1

Du curriculum caché dans le discours de l’approche par les compétences

Maingari Daouda Email : maingari@yahoo.fr Département des Sciences de l’Éducation École normale supérieure, Université de Yaoundé I

Résumé : Le monde de l’éducation est dominé aujourd’hui par la mise en œuvre de l’approche pédagogique dite approche par les compétences. Cette approche fait des émules et relègue au second plan la pédagogie par les objectifs, jusqu’ici usitée mais désormais décriée pour son caractère jugé mécanique et cloisonné. L’approche par les compétences met en branle de manière intégrée des savoirs et des savoir-faire pour résoudre des problèmes. Seulement, une approche pédagogique qui porte un projet d’éducation n’est jamais totalement neutre. Elle véhicule sous forme de curriculum caché une vision de l’homme et de la société qu’il s’agit de décrypter. Le présent article a pour ambition de spécifier la notion de curriculum caché, de préciser les origines et le sens de la notion de compétence, les lectures qui en sont faites, ses impensés et d’envisager une possible réappropriation de la notion de compétence au regard de la socio-culture camerounaise et africaine.

Mots clés : compétence, curriculum, curriculum caché, approche par les compétences, identité culturelle.

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78 Abstract: Education is now dominated by the implementation of the so-called competence based approach. This approach makes emulators and raises in the background the pedagogy by the objectives, hitherto used but now decried for its character judged to be mechanical and landscaped. The competence based approach sets in motion knowledge and know-how to solve problems in an integrated way.

However, an educational approach that carries an education project is never completely neutral. It conveys in the form of a hidden curriculum a vision of human being and of society which is to be decipher. The aim of this article is to specify the concept of hidden curriculum, to specify the origins and meaning of the notion of competence, the readings made of it and to envisage a possibility of the re-appropriation of the notion of competence in regard to socio- culture of Cameroon as well as of Africa.

Keys words: competence, curriculum, hidden curriculum, competence based approach, cultural identity.

Introduction

Les approches pédagogiques ont toujours pour but de trouver la meilleure stratégie pour les apprentissages et l’efficacité des systèmes éducatifs. À travers le temps et par-delà les cultures, il s’est alors agi de connaitre la psychologie de l’apprenant pour accorder les connaissances à acquérir avec son niveau de maturation cognitive, affective et sociale en tenant compte d’un ensemble de facteurs parmi lesquels, l’environnement culturel et économique, les origines sociales, l’organisation de la classe, le genre, etc. Les diverses pédagogies, qu’elles soient appelées montessoriennes (2010), rogeriennes (2008) ou decroliennes (1993), qu’elles s’inspirent de Freinet (1981) ou de Illitch (1971), qu’elles épousent les courants psychanalytiques, constructivistes, socioconstructivistes, ou autres,

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79 apparaissent au final comme des variantes d’une démarche générale qualifiée d’approche par objectif.

Au regard des limites de cette approche, trop axée sur l’accumulation des connaissances et les capacités de mémorisation, la recherche en éducation s’appuie depuis quelques décennies maintenant sur une approche intégrée que subsume le vocable

« approche par compétence ». Celle-ci mobilise un ensemble de savoirs, de savoir-faire et de savoir être pour résoudre un problème. Si son efficacité ne souffre d’aucun doute, le curriculum caché qui la nourrit reste à interroger. C’est à cet exercice que s’attèle cet article en montrant comment le curriculum caché répond aux finalités sociales et pédagogiques de leurs lieux d’émergence d’une part et en quoi les sociétés, pour éviter de reproduire de manière servile des modèles pensés dans d’autres horizons, doivent adosser leurs choix sur les valeurs sociales et culturelles qui fondent leur identité.

I. Curriculum et curriculum caché

De manière classique, dans la littérature, on trouve deux manières de penser le curriculum et ses transformations : un courant épistémique et didactique et un courant sociologique. Pour le courant épistémique et didactique, la forme et le contenu que prend le curriculum sont principalement le résultat de contraintes internes liées à la discipline enseignée et au travail de transposition didactique (Chevallard, 1985). Le curriculum résulte également d’une certaine représentation du savoir et prendrait des formes différentes selon que prédomine une forme de représentation du savoir de type positiviste, constructiviste ou performative. Dans le courant sociologique, le curriculum se comprend dans ses interactions avec les réalités sociales, culturelles, politiques, qui lui sont partiellement extérieures et qui permettent et qui peuvent être saisies soit au niveau du champ pédagogique, soit au niveau d’une formation sociale dans son ensemble ou à des niveaux intermédiaires ou locaux.

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80 a) Qu’est-ce qu’un curriculum

Si on considère le curriculum comme un projet social de formation, toujours construit dans contexte social et culturel, il reste l’instrument d’une politique éducative, d’une vision du monde et de son devenir développés dans une société particulière. Et parce que sa mise en œuvre intervient toujours dans le cadre d’une production éducative et culturelle, il reste à la croisée d’intentions pédagogiques et didactiques. Dans une définition plus large, le curriculum désigne non seulement les contenus d’enseignement mais aussi les modalités de leur sélection, de leur organisation et de leur transmission.

La littérature scientifique donne à penser le curriculum selon deux tendances majeures : une tendance épistémique et didactique et une tendance sociologique. Le courant épistémique et didactique met au cœur du curriculum la forme et le contenu en fonction des contraintes propres à la discipline enseignée et au travail de transposition didactique (Chevallard, 1985). Dans ce courant, le curriculum est la pure résultante d’une représentation du savoir qui peut être de type positiviste, constructiviste ou performative. La tendance sociologique quant à elle permet de comprendre le curriculum dans ses interactions avec les réalités sociales, économiques, culturelles ou politiques qui lui sont plus ou moins extérieures mais dont les effets peuvent être perceptibles aux niveaux pédagogiques ou sociaux. Les transformations du curriculum sont alors le résultat des changements dans la structure de la société avec l’apparition de nouvelles élites, de nouveaux besoins économiques ou de nouvelles perspectives politiques.

Le curriculum est par conséquent tributaire des choix éducatifs fondamentaux qui s’arriment aux valeurs et finalités d’un système éducatif. Il concourt à l’avènement d’un type d’homme pour un type de société pour son équilibre et son évolution. Il tend toujours à répondre de manière concrète aux questions comme : à quelles fins sont destinés les enseignements retenus par un système ? Quelles valeurs

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81 encadrent son évolution ? Quels contenus cognitifs ? Quels ordres pour leur mise en œuvre ? Selon quel séquençage ? Avec quels objectifs ? En faisant appel à quels outils didactiques ou méthodologiques ? Avec quels modes d’évaluation ?, etc.

Ces questions relèvent de toute évidence de l’aspect pragmatique du curriculum et sur lequel tablent les acteurs institutionnels, les organisations en charge du setting et tous les utilisateurs auxquels l’institution confère un droit officiel de participation à son élaboration et à sa mise en œuvre. Une autre vision élargie du curriculum englobe outre les aspects visibles et pragmatiques, des aspects plus insidieux et retranchés qui ont une force d’orientation et d’entrainement plus qu’indéniable. Cette dimension implicite relève des attitudes, des modes de penser ou des valeurs non explicitement évoqués ni même recherchés par les enseignants mais qui demeurent présentes (Forquin, 2002). Dès lors, on ne peut totalement se départir de l’idée qu’un curriculum, quel qu’il soit, est un construit ayant un instituant et un institué, une dimension manifeste et une dimension latente qu’il est toujours utile de découvrir pour en comprendre les prétentions et les enjeux.

C’est dire que, au-delà de ce qui est explicitement donné comme but, tout curriculum comporte dans ses replis, des valeurs, des représentations, des présupposés sociaux, culturels, idéologiques ou politiques. Il est considéré dans ce sens comme un moyen par lequel les tenants du pouvoir essaient d’influencer les mentalités en déterminant les objectifs, les cadres conceptuels, les comportements attendus des acteurs impliqués. Cette distinction est cependant à ne pas confondre avec des notions voisines mais distinctes qui opposent le curriculum prescrit et le curriculum réel dont parle Perrenoud (1984) et dont l’objectif est de relever l’écart qui existe entre les prescriptions curriculaires - entendues comme programmes de cours, manuels scolaires, directives institutionnelles - et les activités qui se déroulent effectivement dans les classes

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82 b) Qu’est-ce qu’un curriculum caché

Poser le curriculum comme expression du social signifie qu’on l’étudie en tant que signifiant des valeurs dominantes d’une formation sociale, des intérêts spécifiques des fractions corporatistes, des objectifs politiques ou des demandes issues du marché de l’emploi. On perçoit le curriculum caché encore appelé curriculum latent ou implicite non plus comme expression manifeste d’un projet politique mais comme dispositif de production et de légitimation des hiérarchies sociales, idéologiques, ou économiques. Il concerne les valeurs qui sont instillées de manière indolore et à dose homéopathique dans la société et qui finissent par in-former les comportements et à les normaliser sans que cela soit nécessairement le produit d’une politique ou d’une organisation officielle et librement consentie par les acteurs d’un système.

Les travaux de Bourdieu et Passeron dans leur analyse de la reproduction sociale (1970), même s’ils n’utilisent pas le terme curriculum caché de manière explicite, lui font jouer un rôle théorique majeur dans leur démarche. Ils considèrent que ce qui est attendu des élèves est constitué non seulement de savoirs prescrits ou codifiés dans les manuels et les programmes, mais aussi d’un ensemble de dispositions spécifiques qui correspondent à l’habitus des classes moyennes ou supérieures en termes de manières de penser ou d’agir. Il se réfère à ce que l’expérience, les valeurs, les croyances des classes dominantes peuvent inculquer dans les manières de penser, de sentir et d’agir.

Le curriculum tant dans ses aspects explicites ou implicites est considéré comme un arbitraire culturel. Cet arbitraire culturel, en imposant des significations et en dissimulant dans le même temps les rapports de force qui sont au fondement de sa force, constitue une violence symbolique. Celle-ci, alors même que son caractère arbitraire est masqué et par conséquent méconnu des acteurs, rend légitimes aux yeux de tous les classements scolaires qui se fondent sur sa maîtrise.

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83 Dans cette perspective, le curriculum sert de moyen insidieux de reproduction et de légitimation des hiérarchies sociales ou culturelles.

Il correspond aux préférences culturelles de certains groupes sociaux, et lorsqu’il est mis en œuvre, contribue à leur reproduction.

Il reste l’expression de l’évolution des systèmes sociaux, économiques et culturels et des dominances qui modélisent le fonctionnement de la société. Il suit non seulement le cours de la demande sociale d’éducation mais les tendances souterraines mais lourdes des politiques économiques et sociales, des progrès de la science et des comportements attendus.

Cet implicite se laisse découvrir dans toutes les approches pédagogiques y compris dans l’approche la plus récente et la plus en vue dans le milieu éducatif, à savoir l’approche par les compétences.

II. L’approche par les compétences

A partir du milieu des années 1990, la notion d'objectif pédagogique est progressivement r emplacée dans de nombreux systèmes scolaires par la notion de compétence. Il faudrait d’emblée souligner que la pédagogie par objectifs (PPO) est dans ses origines, une « histoire essentiellement américaine» influencée dans son fondement par trois courants de pensée à savoir le taylorisme dans le monde du travail (taylorisme), la psychologie béhavioriste et dans une moindre mesure le mouvement de l'éducation nouvelle Hameline (1979). La pédagogie par objectifs repose sur la formulation la plus précise possible d'objectifs qui vont des plus généraux aux plus spécifiques. L'enseignant dans une PPO, en fonction des programmes qui lui sont imposés, va répartir par années, par périodes plus ou moins longues ce qu'il désire enseigner aux élèves en tenant compte de la difficulté de la matière ainsi que de sa structure. Les principes de la PPO, permettent de se rendre compte facilement qu'une des principales préoccupations de ce courant était d'améliorer, comme Tyler le désirait dans le secteur

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84 économique, l'organisation et le rendement des curriculums en défendant une approche très systématique et rationnelle mais également d'améliorer les processus d'évaluation.

a) Origine de la notion de compétence en éducation

Si l’on se réfère à Bronckart & Dolz (2002), le terme de compétence serait entré dans la langue française depuis la fin du XVe siècle. Il désignait, à cette époque, la souveraineté et l'autorité conférées aux institutions pour traiter de problèmes déterminés (un tribunal est compétent en matière de...). D’un autre côté, la compétence est perçue comme « toute capacité due au savoir ou à l’expérience » (Larousse 2004). Cette deuxième signification qui correspond à l'usage le plus courant, met en évidence les caractères cachés et visibles de la notion de compétence (Rey, 1996). Ainsi, une personne compétente est celle qui réalise un ensemble d'actes lors de la conduite d’une activité et c'est la réussite globale de cet ensemble d’actes qui atteste publiquement de sa compétence.

Comme le rappellent Bronckart & Dolz (2002), même si l'existence et les propriétés de cet organe inné n'ont, à ce jour, fait l'objet d'aucune validation scientifique, le terme de compétence a rapidement connu un succès dans le champ de la psychologie expérimentale. Marquant le « retour du sujet» après une période dominée par le behaviorisme, cette science du comportement, il est devenu l'un des termes du cognitivisme modulariste. Selon ce courant, toutes les fonctions psychologiques supérieures sont soutenues par un dispositif biologique inné (appelé module) et chaque sujet dispose dès lors, en chacun de ces domaines, d'une compétence idéale de même ordre que la compétence linguistique.

Dans cette perspective, le terme de compétence finit par se substituer à celui de l'intelligence qui se définit dès lors comme la somme des compétences.

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85 b) La notion de compétence dans le monde du travail

Dans le milieu du travail la notion de compétence s’est imposée par opposition à la notion de qualifica tion. Pendant longtemps, l'attribution d'un poste de travail dans une entreprise était suspendue à la possession d'une qualification, c'est-à-dire un ensemble de savoir-faire et de techniques ayant fait l'objet d'une formation reconnue et officiellement sanctionnée par l'obtention d'un diplôme. Comme le précisent Rey, Carette, Defrance, Kahn (2003), les responsables d'entreprises ne manquaient pas de déplorer l'écart entre les formations données en milieu scolaire et la réalité du travail, entre les formations prescrites. Et les attentes du monde professionnel.

Pour répondre aux besoins nouveaux du monde économique qui appelle à une adaptation permanente et la flexibilité des employés aux situations de travail, les qualités singulières que peut posséder un individu, du fait de son histoire personnelle ou professionnelle et qui lui permettent de répondre à des situations inédites de travail, furent valorisées.

Dans cette optique, la compétence est perçue comme le fait de «savoir gérer une situation professionnelle complexe (Le Borterf, 1997) et implique qu’à la formation doit s'ajouter l'expérience (Lévy-Leboyer, 1996). Dans ce contexte, les compétences s'appréhendent d'abord au niveau des performances requises des travailleurs dans le cadre d'une tâche donnée. Les compétences, ici, ne sont plus définies comme des propriétés biologiques de l'organisme humain. Elles sont définies à partir de l'analyse de tâches ou d'activités collectives.

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86 Pour expliquer la montée en puissance de la notion de compétence dans le champ scolaire, on invoque plus souvent la place qu'elle a prise dans le champ économique, dans les entreprises et sur le marché du travail. La plupart des auteurs, dans la suite des travaux de Ropé et Tanguy (1994) s'accordent sur l'influence prédominante du monde du travail et du rôle d'intermédiaire joué par la formation professionnelle dans l'apparition de cette notion dans le monde scolaire. Il est de plus en plus exigé des employés de faire la preuve de leurs capacités à s’adapter ou à trouver un temps réduit des solutions aux situations inattendues qui peuvent survenir dans leur poste de travail. Aussi, à côté de la qualification attestant d'une formation standardisée et matérialisée par un parchemin, les managers dans les entreprises ont commencé à valoriser les qualités singulières que peut posséder un individu et qui lui permettent de répondre à des situations de travail inédites. C'est cet ensemble de capacités singulières qu’on appelle compétence.

c) Qu'entend-on par compétence en éducation ? Si la notion de compétence s'est introduite avec succès dans le monde scolaire, c'est qu'elle répond à des besoins réels. En éducation la notion de compétence renvoie tantôt à l’aptitude à mettre en œuvre un ensemble organisé de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes permettant d’accomplir un certain nombre de tâches, tantôt la possibilité pour un individu de mobiliser un ensemble intégré de connaissances pour résoudre un problème (Roegiers, 2000). La compétence dans le monde de l'éducation est l'aptitude, la capacité que les élèves ont de pouvoir réaliser des tâches, de pouvoir agir face à une situation nouvelle en se fondant sur un acte de mobilisation de savoirs, de savoir-faire et des ressources disponibles (Scallon, 2004). Elle implique nécessairement de penser les apprentissages en termes de mobilisation d’un ensemble

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87 de capacités et d’aptitudes cognitives, praxéologiques et sociales.

C’est probablement ce qui explique que l’on parle de compétences au pluriel.

Cette notion de compétence en éducation émerge de la critique du morcellement de plus en plus grand de la science et, parallèlement, du saucissonnage des objectifs prescrits dans l'enseignement et la formation. Accumuler des savoirs et des savoir-faire n’est pas suffisant pour déterminer la connaissance.

Elle détermine tout au plus les capacités mnémoniques d’un individu en termes d’encodage, de stockage et de restitution des informations. Avec l’approche par les compétences, il est question de spécifier la capacité pour un élève à mobiliser les savoirs et savoir -faire pertinents et à les combiner a déqua t ement pour r ésoudr e des pr oblèmes complexes ou d’effectuer des tâches complexes. La connaissance relève de ce point de vue de la possibilité pour un sujet confronté à une situation quelconque, de savoir agir en mettant simultanément en œuvre son répertoire de savoirs et de savoir-faire.

III. Le curriculum caché dans l’approche par compétences

Comme nous l’avons indiqué plus haut, aucune approche curriculaire n'est innocente. Elle véhicule toujours en son sein un « curriculum caché » aux effets à long terme souvent plus importants que les effets à court terme comme les résultats scolaires ou académiques. Si les approches de la pédagogie par objectifs centr ées sur l'acquisition de savoir-faire développent des personnes ayant des savoir-faire techniques de base pour vivre en société et ensuite les s a voi r - fa ir e t ec hni qu es p l us s p éc i f i qu es à u n c ha mp professionnel donné, ell e

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88 construit aussi des personnes « performantes » tant qu'il s'agit d'appliquer ce qu'ils ont appris. C e s o n t d ' e x c e l l e n t s « t e c h n i c i e n s » o u d ' e x c e l l e n t s « fonctionnaires », car ils font bien ce qu'on leur dit de faire pour reprendre l’expression de Jean Marie Deketele (2014).

Les approches par compétences centrées sur les savoir-agir en situation privilégient quant à elles la résolution de problèmes qui, contrairement à l'application, (l'énoncé d'une application dit ce qu'il faut faire), demande à la personne de conduire une démarche d'analyse de la situation et de la tâche complexe à effectuer pour découvrir les savoirs et savoir-faire nécessaires à mobiliser pour résoudre le problème. Les appr oches par comp ét enc es contribuent ainsi à développer une expertise dans l'analyse de situations qui posent problème, à donner du sens aux savoirs a ppr is , à combiner différentes formes de savoirs et de savoir-faire en fonction des contextes et de leur différence, à apprendre de nouvelles connaissances pour faire face à de nouveaux problèmes.

L'approche par compétences rendrait donc autonomes les personnes et permettrait par conséquent de construire une société où les problèmes et les défis sont perçus et analysés en toute lucidité en mobilisant les capacités et les aptitudes nécessaires à leur résolution. Le but dans ce nouveau contexte, n'est pas uniquement de répondre aux exigences de flexibilité voulues par les entreprises, mais de former chaque jeune à des activités intellectuelles complexes faisant appel à plus qu’une simple approche inductive ou déductive linéaire pour trouver une solution. Elle induit un élément de complexité dans les processus de résolution de problèmes en cours pour parvenir à la solution idoine.

Elle prépare les individus, dans un environnement mû par le développement des technosciences, de la robotique et de

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89 l’informatique et où la mobilité professionnelle requiert des travailleurs des capacités d’ubiquité et de nomadisme (Atalli, 2007), à reconsidérer en permanence leur rapport au savoir. Elle ouvre les uns et les autres à la perspective d’un changement permanent d’activité avec la fin de la carrière - où les individus passaient toute leur vie professionnelle dans la même entreprise - et l’ouverture à des carrières. Celles-ci invitent les travailleurs à des savoirs multiples et intégrés qui leur permettront de s’adapter aux exigences qui accompagnent le début de chaque nouvelle activité. Avec l’obsolescence programmée des savoirs comme des dérivés de ces savoirs traduits en objets technologiques, il est indispensable qu’ils soient renouvelés en permanente via ce qu’il est coutume de qualifier de formation continue ou d’apprentissage tout au long de la vie (long life learning), pour répondre aux exigences des entreprises et de la mobilité professionnelle.

En visant dans sa dimension implicite à créer des compétiteurs permanents, des sujets capables de se remettre en cause en permanence dans le cadre d’une société qui met fin à la carrière pour privilégier des carrières au nom de la rapide obsolescence des connaissances, le curriculum caché qui accompagne l’approche par les compétences correspond à l’essence même des pratiques et des modes de fonctionnement des entreprises dans la société d’aujourd’hui. Au bout de cinq années d’années d’activités, sans remise en question de ses propres connaissances ou sans remise à niveau au travers des formations continues, l’employé est considéré comme dépassé et appelé à être remplacé. Le développement de la recherche et de l’innovation qui font la force des entreprises sont telles que les cadres doivent être en quête perpétuelle de savoirs et de savoir-faire pour rester compétitifs.

La compétition fait appel à deux notions connexes, le classement et la concurrence. Le premier implique d’émettre une hiérarchisation dans l’ordre des aptitudes et des qualifications ; la

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90 seconde invite à toujours proposer dans toute activité la meilleure offre de service par rapport aux autres adversaires sur le marché du travail. Ces deux notions restent les piliers des principes néo- libéraux qu’on ne peut occulter dans la lecture des approches cachées du curriculum de l’approche par compétences.

Elle participe à la conception et à la formation du citoyen défendue par les pays industrialisés, à tendance capitaliste en Occident. Il importe dès lors, comme le souligne Lenoir (2004), de rester vigilant à son sujet pour que l'école ne devienne pas un instrument au service d'une économie mondiale néo-libérale ou un bien marchand au même titre que les produits du secteur agricole ou technologique.

Nécessité de penser les curricula de manière autonome Seulement, dans un environnement mondial où les failles de la globalisation sont assez précises, il est question de défendre les identités et les particularismes sociaux et culturels. Au Cameroun, tout comme les pays africains dont la socio-culture est dominée par l’approche de groupe plutôt que par la promotion individuelle, il est plus que nécessaire de développer des stratégies pédagogiques qui tout en visant l’objectif de compétence ne détruisent pas ses fondements anthropologiques. Au-delà des critiques généralement émises à l’encontre des approches par compétences et qui portent sur leur attention moindre à l’égard des savoirs disciplinaires ; leur faible ancrage sur des concepts fondamentaux des disciplines ; le peu de clarté des programmes sur les critères des choix des compétences et des situations de travailler ; et enfin la mise en retrait de l'école du fait de la mainmise du monde du travail sur les programmes d’enseignement, il est indispensable de développer des approches qui s’enracinent dans le vécu des sociétés.

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91 a) Envisager des démarches originales

La compétence telle que pensée dans le contexte du monde néo libéral avec ses relents de compétition n’avait aucune une perspective universelle. Elle avait pour principal objectif de répondre aux préoccupations immédiates de son contexte de production et de répondre à la philosophie sociale et économique de cet univers. Elle se voulait dès le départ instrument tactique ou stratégique pour permettre de tenir la barre dans un univers marchand en compétitif. Le mimétisme pédagogique qui accompagne dans les pays qui subissent la pression culturelle et la domination économique des pays occidentaux entraine des formes de reproduction inconsidérées et inappropriées des modèles pensés et développés ailleurs. Dès lors, les copies faites sans étalonnages préalables, ou si l’on préfère sans adaptation suffisante au contexte africain, mènent en permanence les acteurs des systèmes éducatifs vers le décalage et le conformisme.

Si le projet est de faire évoluer les approches pédagogiques des lieux de formation du Cameroun vers des approches par les compétences, il reste possible d’y parvenir en mettant en avant, et pour épouser les identités culturelles africaines, la compétition sans aller nécessairement à la concurrence. Les concepts de capitalisme social, de libéralisme communautaire ou autres qui allient compétitivité et humanisme répondent en cela à la philosophie et à l’anthropologie sociale et culturelle du Cameroun.

En second lieu, il s’agit de favoriser l’émergence d’un type d’autonomie qui se construit dans une approche de groupe. A cet effet, les travaux de Elton Mayo (2007) sur la dynamique de groupe et ses édifiantes conclusions sur les facteurs relationnels qui fondent la réussite et la prospérité des entreprises plus que les facteurs matériels peuvent davantage conforter la réflexion pour montrer que la réussite ne rime pas nécessairement avec la concurrence et qu’une

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92 société peut parvenir à de meilleur rendement même en faisant travailler de manière complètement ouverte et non concurrentielle ses membres.

b) Le succès contre la concurrence

De même, les approches nouvelles de la connaissance et de la formation moulées dans le cadre de la formation continue ou du long life learning donnent les moyens d’apprendre sans forcément être dans une démarche compétitive. Le critère est celui du succès ou de la remédiation mais jamais celui de la mise en concurrence des enfants dans un cadre d’éducation. Cette démarche est bien au cœur des pratiques en vigueur dans quelques écoles primaires qui évitent dès le cycle d’éveil de classer les élèves par ordre de mérite pour laisser cours à des regroupements des évaluations par domaines ou plutôt par zones de plus ou de grandes compétences manifestées par les élèves.

Cette approche est depuis toujours celle que mettent en œuvre l’éducation en milieu traditionnel africain et le secteur de l’éducation non formelle. Les apprentissages se construisent de manière intégrée par correction progressive par tout être aidant, qu’il soit un pair, un parent, un adulte ou tout autre membre de la société. Elle met aussi à contribution la possibilité d’apprentissage par le mécanisme d’étayage et d’accompagnement mutuel que les discours sur l’approche par compétences essaient de formaliser en puisant dans les registres théoriques et conceptuels qui encadrent la connaissance. La recherche sur les compétences devrait se pencher sur ces apports africains qui ne sont pas si étrangères aux théories et concepts développés à travers le monde sur ces questions.

Les discours regroupés sous le vocable de nouvelles humanités africaines invitent l’intelligentsia du Contient à de nouvelles traditions culturelles et intellectuelles pour « progressivement se reconstruire et redéfinir en particulier son système de formation, d’enseignement et de recherche ». Ils insistent sur la nécessité d’une

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93 nouvelle reconquête de soi, d’une connaissance de soi, c’est-à-dire la connaissance de son histoire à laquelle appartiennent les civilisations de la vallée du Nil. L’égyptologue sénégalais Cheikh Anta Diop écrit à ce propos :

«Les nouvelles humanités africaines devront reposer sur les fondements de la culture égypto-nubienne, de même que les humanités occidentale s’appuient sur la culture gréco-latine antique. Sans référence systématique à l’Egypte, dans tous les domaines de la culture, in ne sera pas possible de bâtir un corps de sciences humaines : le spécialiste africain qui veut faire œuvre scientifique n’a pas le choix. Il ne peut pas se contenter de flirter avec les faits culturels égyptiens» (Cheikh Anta Diop, 1975, 12). Ce travail en profondeur ne peut être mené sans un effort profond d’herméneutique ou de réminiscence, un travail sur soi ou par ce que Achille Mbembe (2013) qualifie de critique de la raison nègre.

Ainsi, comme nous venons de le rappeler, la notion de compétence implique la contrainte d'amener les élèves à pouvoir utiliser à bon escient dans de nouvelles circonstances ce qu'ils ont effectivement appris. Elle insiste de fait sur I ‘importance de la mobilisation des acquis, sur ce que l'on appelle en psychologie le transfert des apprentissages. En se démarquant clairement sur ce point de la notion d'objectif telle que définie dans la pédagogie par objectifs (PPO), elle implique une nouvelle manière d'envisager la gestion de la classe. Elle implique aussi une nouvelle forme d'évaluation qui devrait pouvoir permettre de se prononcer sur la capacité des élèves à pouvoir mobiliser des acquis dans de nouvelles circonstances.

Conclusion

Mettre le doigt sur le curriculum caché exige d’interroger les fondements idéologiques, sociaux ou économiques d’un projet

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94 éducatif. Celui-ci véhicule, au-delà de ce que le discours officiel présente dans le cadre de sa communication extérieure, des espérances en termes d’attitudes à avoir et des compétences à développer pour rendre opératoire son schéma de fonctionnement.

Le curriculum caché constitue par conséquent la sève profonde qui nourrit et qui maintien en état de fonctionnement les systèmes éducatifs. Il est donc indispensable de travailler à en déceler les soubassements.

Le Projet de l‘approche par compétences concentre donc en lui une vision de l’homme et de l’économie par la productivité dans un contexte concurrentiel et de mobilité professionnelle croissante. Les systèmes éducatifs africains doivent en comprendre les mouvements et les orientations pour en tirer le meilleur avantage par une contextualisation qui lui assurerait un réel ancrage social sur les plans culturel, économique, conceptuel et méthodologique, au risque d’être des consommateurs passifs des approches et des modèles pensés pour répondre aux préoccupations qui ne sont pas nécessairement les leurs.

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