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Migrations internationales et justice constitutionnelle. Rapport suisse

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Migrations internationales et justice constitutionnelle. Rapport suisse

HOTTELIER, Michel

HOTTELIER, Michel. Migrations internationales et justice constitutionnelle. Rapport suisse.

Annuaire international de justice constitutionnelle , 2017, vol. 32-2016, p. 479-500

DOI : 10.3406/aijc.2017.2534

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:96853

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constitutionnelle

Suisse

M. Michel Hottelier

Citer ce document / Cite this document :

Hottelier Michel. Suisse. In: Annuaire international de justice constitutionnelle, 32-2016, 2017. Migrations internationales et justice constitutionnelle - Référendums et justice constitutionnelle. pp. 479-500

;

doi : https://doi.org/10.3406/aijc.2017.2534

https://www.persee.fr/doc/aijc_0995-3817_2017_num_32_2016_2534

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Annuaire international de justice constitutionnelle, XXXII-2016 TABLE RONDE MIGRATIONS INTERNATIONALES ET JUSTICE CONSTITUTIONNELLE

SUISSE

par Michel HOTTELIER

*

INTRODUCTION

1. La Suisse, qui compte environ 8,3 millions d’habitants, fait partie des pays européens qui connaissent la proportion la plus élevée d’étrangers. Fin 2015, la population résidente permanente comptait plus de deux millions de ressortissants étrangers, soit un pourcentage supérieur à 24,5 %1. La plus grande partie de cette population provient des États européens. La fraction de la population étrangère quantitativement la plus importante est composée de personnes de nationalité allemande (360 691), lesquelles sont suivies des ressortissants d’Italie (311 742), du Portugal (267 474) et de la France (122 970)2. Deux tiers environ de la population étrangère née à l’étranger qui vit en Suisse proviennent des États membres de l’Union européenne ou de l’AELE3.

2. Sur le plan constitutionnel, la compétence qui permet de légiférer sur le statut de la population formée de migrants est de rang fédéral. Il n’en a pas toujours été ainsi. Initialement, c’est-à-dire lors de la création de l’État fédéral suisse, en 1848, cette compétence revenait encore aux cantons4. Jusque vers les années 1880 par ailleurs, la Suisse était plutôt un pays d’émigration, raison pour laquelle le statut des ressortissants étrangers intéressait assez peu, à l’époque, les autorités. C’est seulement à partir de la fin du XIXe siècle que la Suisse est progressivement devenue un pays d’immigration5.

* Professeur à la Faculté de droit de l’Université de Genève.

1 Certains cantons à dominante urbaine affichent des taux plus élevés comme Genève (41 %), Bâle- Ville (35 %) ou encore Vaud (34 %). À l’inverse, les cantons dont la population étrangère est la plus faible numériquement sont Uri et Appenzell-Rhodes Intérieurs (11 %).

2 Source : Office fédéral de la statistique ; chiffres, indicateurs et analyses disponibles en ligne sur le site www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/01/07/blank/key/01/01.html.

3 L’AELE regroupe l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein ; voir Andreas AUER, Giorgio MALINVERNI, Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. I, L’État, 3e éd., Berne 2013, p. 110.

4 Jean-FrançoisAUBERT, Traité de droit constitutionnel suisse, vol. II, Neuchâtel 1967, p. 381 ss.

5 Jean-François AUBERT, Pascal MAHON, Petit commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, Zurich 2003, p. 960.

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3. Le premier conflit mondial révéla, en 1914, la nécessité de disposer d’une législation de rang national permettant de contrôler la présence étrangère, soit une réglementation qui fût valable indistinctement dans toutes les régions du pays. Le régime des pleins pouvoirs – lesquels furent alors délégués par l’Assemblée fédérale au Conseil fédéral en raison de la guerre – permit au Gouvernement de légiférer par voie d’ordonnance sur le statut des étrangers, en l’absence d’habilitation constitutionnelle expresse relative au droit des migrations6.

4. Ce régime des pleins pouvoirs précéda l’adoption, en 1925, d’une clause constitutionnelle (art. 69ter) qui habilita les autorités fédérales à légiférer. En 1931 fut adoptée, sur la base de cette disposition, la loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers7. Une loi destinée à traverser les âges, puisqu’elle a été appliquée jusqu’au 1er janvier 2008, date de l’entrée en vigueur de l’actuelle loi fédérale sur les étrangers, laquelle a été adoptée le 16 décembre 2005, après des années de travaux parlementaires8. Cette loi est complétée par plusieurs ordonnances extrêmement importantes du Conseil fédéral, qui contiennent ses dispositions d’exécution.

5. De nos jours, l’article 121 alinéa 1 de la Constitution fédérale (Cst.) du 18 avril 1999, entrée en vigueur le 1er janvier 20009, dispose que la législation sur l’entrée en Suisse, la sortie, le séjour et l’établissement des étrangers, de même que la législation sur l’octroi de l’asile relèvent de la compétence de la Confédération10. Il s’ensuit que, dans ce domaine, les cantons sont dépourvus de tout pouvoir d’adopter des normes11. La Confédération dispose à cet égard d’une compétence globale, ainsi que l’ont relevé le Conseil fédéral12 et le Tribunal fédéral13.

6. Le cadre tracé par la Constitution fédérale étant clair, d’éventuels conflits de compétence susceptibles d’opposer le droit fédéral au droit cantonal sont, a priori, difficiles à imaginer en matière de droit des migrations. Il peut néanmoins arriver que la législation cantonale contrevienne au droit des étrangers non pas sous l’angle du fédéralisme, mais plutôt sous celui des droits fondamentaux. Un intéressant arrêt prononcé le 21 novembre 2003 par le Tribunal fédéral permet d’illustrer le propos14.

6 Sur le régime des pleins pouvoirs en droit constitutionnel suisse, voir AUER, MALINVERNI, HOTTELIER (note 3), p. 555 ss. ; AUBERT (note 4), p. 552 ss.

7 AUER, MALINVERNI, HOTTELIER (note 3), p. 151 ; pour plus détails sur l’historique du droit suisse des migrations, voir Roswitha PETRY, La situation juridique des migrants sans statut légal. Entre droit international des droits de l’homme et droit suisse des migrations, Zurich 2013, p. 109 ; Michel HOTTELIER, « L’immigration en Suisse », AIDH 2011, p. 155 ; EtiennePIGUET, L’immigration en Suisse : soixante ans d’entrouverture, 2e éd., Lausanne 2009 ; Minh Son NGUYEN, Droit public des étrangers, Berne 2003 ; Giorgio MALINVERNI, « Article 69ter », in Jean-François AUBERT, Kurt EICHENBERGER, Jörg Paul MÜLLER, René A. RHINOW, Dietrich SCHINDLER (éd.), Commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 29 mai 1874, Bâle 1995, p. 4. Sur l’évolution du droit de la nationalité suisse, voir l’étude approfondie de Céline GUTZWILLER, Droit de la nationalité et fédéralisme en Suisse, Zurich 2008, p. 101 ss.

8 Ci-après : LEtr ; Recueil systématique du droit fédéral suisse (ci-après : RS) 142.20. Le Recueil systématique peut être consulté en ligne sur le site www.admin.ch.

9 RS 101.

10 Sur cette disposition, voir le message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, Feuille fédérale de la Confédération suisse (ci-après : FF) 1997 I, p. 341.

La Feuille fédérale peut être consultée en ligne sur le site www.admin.ch.

11 Alberto ACHERMANN, « Artikel 121 », in Bernhard WALDMANN, Eva Maria BELSER, Astrid EPINEY (éd.), Basler Kommentar. Bundesverfassung, Bâle 2015, p. 1935 ; AUBERT,MAHON (note 5), p. 967.

12 FF 1997 I, p. 342.

13 Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse (ci-après : ATF) 127 II 49, 51 A., du 26 janvier 2001 : « Gemäss Art. 121 Abs. 1 BV (vormals Art. 69ter Abs. 1 aBV) steht dem Bund die (umfassende) Gesetzgebungskompetenz im Bereich des Ausländerrechts zu ». Le texte intégral des arrêts du Tribunal fédéral suisse peut être consulté en ligne sur le site www.bger.ch.

14 ATF 129 I 392 A. und Mitb. sowie G. Sur cet arrêt, voir AIJC XIX-2003, p. 859.

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7. Cette affaire mettait en cause une initiative populaire municipale qui, lancée en 1998 dans la ville de Zurich, s’intitulait de manière évocatrice

« SchweizerInnen zuerst ! » (« Les Suisses et les Suissesses d’abord ! »). Conformément à son titre, le texte de l’initiative poursuivait l’objectif de favoriser d’une manière systématique les ressortissants suisses et, ainsi, de défavoriser les étrangers dans les divers domaines relevant de la politique municipale, cela même lorsqu’une différence de traitement ne paraissait pas justifiée par des motifs objectifs15. Suite à son aboutissement, c’est-à-dire après qu’elle eut récolté le nombre requis de signatures, l’initiative fut invalidée par les autorités zurichoises. Saisi d’un recours pour violation des droits politiques exercé par plusieurs électeurs zurichois, le Tribunal fédéral a confirmé cette décision au motif que l’initiative contrevenait aux garanties fédérales de l’égalité devant la loi et de l’interdiction de la discrimination prévues par l’article 8 Cst.

8. En matière de naturalisation des étrangers, le Tribunal fédéral a aussi, à la faveur de deux arrêts de principe prononcés le 9 juillet 2003, jugé que la procédure appliquée par les cantons doit respecter les droits fondamentaux tels qu’ils découlent du droit fédéral16. Pour être certes compétents en matière de naturalisation ordinaire des ressortissants étrangers conformément à l’article 38 alinéa 2 Cst.17, les cantons sont néanmoins tenus de prendre en compte les droits fondamentaux des candidats à la nationalité suisse. La structure fédérale ne saurait, en d’autres termes, faire échec au respect des droits individuels tels qu’ils sont protégés par la Constitution fédérale18.

9. En l’espèce, la Haute Cour a considéré que la procédure par laquelle, à l’échelon communal, les dossiers de candidats à la naturalisation suisse devaient être soumis au scrutin populaire contrevenait en particulier à l’interdiction de la discrimination que pose l’article 8 alinéa 2 Cst., ainsi qu’à l’exigence de motivation en matière de procédure administrative qui découle de la garantie générale du droit d’être entendu au sens de l’article 29 alinéa 3 Cst.19.

10. La généralité et la globalité de la compétence prévue à l’article 121 alinéa 1 Cst. s’inscrivent dans une perspective plurielle. D’une part, d’un point de vue matériel, la compétence dont dispose l’État fédéral couvre l’intégralité du statut applicable à la population étrangère, depuis son entrée sur le territoire suisse jusqu’à son départ, que celui-ci soit volontaire ou forcé. D’autre part, d’un point de vue personnel, la compétence fédérale s’applique à l’ensemble des personnes non porteuses d’un passeport suisse qui sont présentes sur sol helvétique ou qui souhaitent y accéder, quels que soient leur origine, leur statut (étrangers au sens

15 Modifiant l’article 2 de l’ordonnance municipale de la ville de Zurich, l’initiative avait la teneur suivante : « Die Gemeindebehörden wachen darüber, dass Zürich eine schweizerisch geprägte Stadt bleibt. Sie räumen im Rahmen des übergeordneten Rechts den Bedürfnissen der Schweizerinnen und Schweizer den Vorrang ein ».

16 ATF 129 I 217 A. und Mitb. ; ATF 129 I 232 Schweizerische Volkspartei der Stadt Zürich (SVP), Meier und Tuena.

17 En matière de naturalisation dite ordinaire des étrangers, l’article 38 alinéa 2 Cst. dispose que la Confédération n’édicte que des dispositions minimales. Les cantons sont par conséquent habilités à prévoir des exigences supplémentaires à leur niveau, en matière de procédure comme de conditions de fond. La naturalisation facilitée, entièrement régie par le droit fédéral, ne concerne que certaines catégories de ressortissants étrangers comme le conjoint étranger d’un ressortissant suisse.

18 Sur le sujet, voir AIJC XIX-2003, p. 858 ; GUTZWILLER (note 7), p. 363.

19 Une initiative populaire a été lancée au mois de novembre 2005 en réaction aux deux arrêts du Tribunal fédéral du 9 juillet 2003, qui tendait à inscrire dans la Constitution fédérale la possibilité de prévoir une procédure de naturalisation des étrangers par voie de scrutin populaire à l’échelon municipal (FF 2006 8481). Cette proposition a été rejetée par le peuple et les cantons lors du scrutin du 1er juin 2008 (FF 2008 5599).

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étroit, requérants d’asile, réfugiés ou apatrides20) ou encore les raisons qui justifient leur séjour (motifs touristiques, professionnels, économiques, familiaux ou humanitaires)21.

11. Comme l’a relevé le Conseil fédéral, le droit international influence dans une large mesure la politique migratoire suisse, qu’il s’agisse de normes relatives au droit des gens en général comme l’interdiction d’assujettir les étrangers au service militaire ou de droits et d’obligations plus spécifiquement liés à des engagements internationaux ratifiés par la Suisse22. Dès lors que la compétence de conclure des engagements de ce genre (« treaty making power ») est également fédérale (art. 54 Cst.), les cantons sont, là aussi, privés de tout pouvoir normatif.

12. De nombreux traités internationaux bi- ou multilatéraux lient la Suisse à des organisations internationales ou à d’autres États en matière de migration. Leur nombre et leur diversité témoignent de l’hétérogénéité qui caractérise la population étrangère présente en Suisse et aussi de la complexité qui est attachée ce statut23. Outre les conventions traditionnellement applicables au domaine du droit d’asile24, on mentionnera parmi les instruments les plus importants et les plus fréquemment appliqués des engagements sectoriels comme l’Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP)25, l’Accord de Schengen26 et la Convention de Dublin27, de même que les instruments internationaux de protection des droits de l’homme auxquels la Suisse a souscrit à l’échelon universel ou régional, au premier rang desquels figure la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

13. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme, si la Convention de 1950 ne permet pas de gérer la politique migratoire des États et ne garantit, comme tel, aucun droit pour un étranger d’entrer ou de résider sur le territoire d’un pays déterminé, l’exclusion d’une personne d’un pays où vivent les membres de sa famille peut constituer une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale tel que le protège l’article 8 de la CEDH28. Pour être certes partie à la CEDH depuis 1974, la Suisse n’a toutefois pas ratifié le Protocole additionnel n° 4, dont l’article 2 protège la liberté de circulation et dont l’article 4 proscrit le renvoi collectif d’étrangers. La Suisse a en revanche souscrit au Protocole additionnel n° 7, dont l’article premier octroie un certain nombre de garanties minimales aux étrangers expulsés. On ne recense toutefois que peu de cas jugés par le Tribunal fédéral sur la base de cet instrument et aucun par la Cour européenne des droits de l’homme mettant en cause la Suisse. Comme nous le verrons plus loin, la Cour de Strasbourg a, en revanche, eu l’occasion de se prononcer

20 À fin 2015, il y avait environ 1 200 personnes apatrides ou de nationalité inconnue en Suisse (cf.

www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/01/07/blank/key/01/01.html). Sur le sujet, peu étudié en doctrine, voir Véronique BOILLET, « Le statut de l’apatride », in Véronique BOILLET, Pablo ARNAIZ, Minh Son NGUYEN (éd.), Actualité du droit des étrangers, Berne 2016, p. 21.

21 PascalMAHON, Droit constitutionnel, vol. I, Institutions, juridiction constitutionnelle et procédure, 3e éd., Bâle 2014, p. 49.

22 FF 1997 I, p. 342.

23 La liste des engagements internationaux qui lient la Suisse en matière de migration est présentée au RS 0.142.1.

24 RS 0.142.3.

25 RS 0.142.112.681.

26 RS 0.360.268.1.

27 RS 0.142.392.68.

28 Voir par exemple ACEDH Ukaj Adem c. Suisse, du 24 juin 2014, par. 27 (expulsion d’un ressortissant kosovar à la suite de plusieurs sanctions prononcées par le parquet des mineurs) ; ACEDH Gezginci c. Suisse, du 9 décembre 2010, par. 54 (refus d’octroyer une autorisation de séjour pour raisons humanitaires).

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à quelques reprises au sujet d’affaires suisses dans des cas qui mettaient en cause les articles 3 et 8 de la CEDH.

14. Le rejet, par le peuple et les cantons le 6 décembre 1992, de l’adhésion de la Suisse à l’Espace économique européen a conduit à l’instauration d’un régime spécifique en faveur des ressortissants des États membres de l’Union européenne et de l’AELE29. Fondé sur la reprise de l’acquis communautaire, le régime juridique prévu par l’ALCP pose, depuis 2002, le principe de la libre circulation et de l’interdiction des discriminations fondées sur l’origine pour les ressortissants d’États membres de l’Union européenne en Suisse, de même que pour les Suisses qui entendent se rendre dans ces États30.

15. Les dispositions constitutionnelles et conventionnelles précitées forment, dans leur ensemble, un patchwork qu’il n’est pas toujours aisé d’appréhender et de mettre en œuvre. Le statut des ressortissants des États membres de l’Union européenne et de l’AELE est, en principe, régi par l’ALCP et par l’acquis communautaire qui fonde cet instrument. Toutes les dispositions fondatrices de l’ALCP sont réputées directement applicables (self executing)31.

16. Le statut des autres ressortissants étrangers, c’est-à-dire de tous ceux qui ne sont pas appréhendés par l’ALCP, est régi par la loi fédérale sur les étrangers lorsque leur présence sur sol suisse est motivée par des raisons économiques ou professionnelles ou par la loi fédérale sur l’asile, du 26 juin 1998 (LAsi)32, lorsque ce séjour est motivé par des raisons humanitaires. Le droit d’asile représente par conséquent une branche spéciale, dérogatoire par rapport au régime ordinaire du droit des étrangers33.

17. Il existe ainsi un rapport d’exclusion entre l’ALCP, la loi sur les étrangers et la loi sur l’asile. L’article 2 alinéa 1 de la Loi sur les étrangers (LEtr) illustre cette particularité, en précisant que cette loi trouve matière à s’appliquer aux étrangers dans la mesure où leur statut juridique n’est pas réglé par d’autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse. La législation suisse sur les étrangers peut – exceptionnellement – s’appliquer aux personnes visées par l’ALCP dans la mesure où cet instrument s’avère ponctuellement lacunaire ou alors si les solutions qu’elle prévoit s’avèrent, par hypothèse, plus favorables (art. 2 al. 2 de la LEtr).

18. La diversité et la complexité qui caractérisent le cadre normatif fédéral sont accentuées par deux phénomènes. Le développement du droit international des droits de l’homme exerce, en premier lieu, depuis plusieurs années une influence ponctuelle sur le droit des étrangers. Tel est en particulier le cas pour ce qui concerne la jurisprudence développée par la Cour européenne des droits de l’homme et par le Tribunal fédéral au sujet de la CEDH.

19. En second lieu, le régime du droit des migrations est également profondément influencé par l’exercice du droit d’initiative populaire, qui permet à une fraction du corps électoral (soit 100 000 citoyens) de proposer des révisions partielles de la Constitution fédérale. Tel est en particulier le cas depuis la fin des années 1960, époque qui a vu le lancement de plusieurs initiatives populaires ouvertement dirigées contre la population étrangère en Suisse34.

29 MALINVERNI (note 7), p. 8.

30 Cesla AMARELLE, Minh Son NGUYEN (éd.), Code annoté du droit des migrations, vol. III, Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP), Berne 2014.

31 AUER,MALINVERNI,HOTTELIER (note 3), p. 142.

32 RS 142.31.

33 MAHON (note 21), p. 52.

34 AUER, MALINVERNI, HOTTELIER (note 3), p. 152 ; AUBERT, MAHON (note 5), p. 962 ; MALINVERNI (note 7), p. 5.

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20. La Constitution fédérale a ainsi récemment subi deux modifications extrêmement significatives en matière migratoire par voie d’initiative populaire. Le 28 novembre 2010, le peuple et les cantons ont accepté une révision de l’article 121 Cst., dont les alinéas 3 à 6 posent, à présent, le principe du renvoi systématique, sur décision du juge pénal, des étrangers ayant commis certains types d’infractions. Le renvoi est réputé intervenir automatiquement, suite à la commission de ces infractions, indépendamment du statut et des droits de la personne concernée à résider en Suisse comme le précise de manière explicite l’article 121 alinéa 3 Cst.35.

21. Le constituant fédéral a aussi adopté, le 9 février 2014, une nouvelle disposition (art. 121a) qui instaure un régime de plafonnement et de contingentement annuels des autorisations de séjour délivrées aux étrangers, domaine de l’asile inclus36. Fruit d’une initiative populaire intitulée « Contre l’immigration de masse », la norme pose le principe de la préférence nationale, de même que celui de la limitation du regroupement familial des étrangers admis en Suisse37. Elle est complétée par une clause transitoire (art. 197 ch. 11 Cst.), qui indique que les traités internationaux contraires à ses prescriptions doivent être renégociés et adaptés dans un délai de trois ans à compter de son acceptation par le peuple et les cantons38.

22. Si l’article 121 alinéas 3 à 6 Cst. pose de sérieux problèmes d’application au regard notamment de la CEDH, en particulier au regard de l’exigence de proportionnalité au sens de l’article 8 paragraphe 2 de la CEDH en cas de renvoi d’un étranger indésirable, la gestion de l’immigration qu’institue l’article 121a Cst.

remet en cause, dans ses fondements mêmes, le régime de la libre circulation des personnes mis en place depuis 2002 par l’ALCP39.

23. L’échéance du programme normatif prévu par l’article 121a Cst. était, conformément à l’article 197 chiffre 11 Cst., prévue au 9 février 2017. Confrontée à la nécessité d’exécuter ce mandat, l’Assemblée fédérale a finalement adopté, le 16 décembre 2016, une modification de la loi fédérale sur les étrangers40. Le Conseil fédéral avait quant à lui déposé le 4 mars 2016 un message devant l’Assemblée fédérale, qui proposait d’introduire une clause unilatérale de sauvegarde en vue de

35 L’alinéa 3 de l’article 121 Cst. tel qu’adopté lors de la votation du 28 novembre 2010 prévoit que les étrangers « sont privés de leur titre de séjour, indépendamment de leur statut, et de tous leurs droits à séjourner en Suisse : a. s’ils ont été condamnés par un jugement entré en force pour meurtre, viol, ou tout autre délit sexuel grave, pour un acte de violence d’une autre nature tel que le brigandage, la traite d’êtres humains, le trafic de drogue ou l’effraction ; ou b. s’ils ont perçu abusivement des prestations des assurances sociales ou de l’aide sociale ». L’alinéa 4 de l’article 121 Cst. dispose que le législateur précise les faits constitutifs des infractions visées à l’alinéa 3 et qu’il peut les compléter par d’autres faits constitutifs. L’article 121 alinéa 5 Cst. indique que les étrangers privés de leur titre de séjour et de tous leurs droits à séjourner en Suisse en vertu des alinéas 3 et 4 « doivent être expulsés du pays par les autorités compétentes et frappés d’une interdiction d’entrer sur le territoire allant de 5 à 15 ans. En cas de récidive, l’interdiction d’entrer sur le territoire sera fixée à 20 ans ». L’article 121 alinéa 6 Cst. prévoit que « les étrangers qui contreviennent à l’interdiction d’entrer sur le territoire ou qui y entrent illégalement de quelque manière que ce soit sont punissables. »

36 VéroniqueBOILLET, « Initiative “Contre l’immigration de masse” : analyse du vote sous l’angle de la démocratie directe », Revue de droit suisse 2016 I, p. 105.

37 L’initiative populaire qui a conduit à l’adoption de l’article 121a Cst. a été acceptée à une majorité extrêmement faible des voix du peuple (1 463 854 oui contre 1 444 552 non), soit un pourcentage de 50,3 % de votes favorables, correspondant à une différence de 19 302 voix seulement à l’échelon national (voir FF 2014 3957).

38 La disposition prévoit aussi que, si les lois d’application afférentes à l’article 121a Cst. ne sont pas entrées en vigueur dans les trois ans, il revient au Conseil fédéral d’édicter provisoirement les dispositions d’application nécessaires par voie d’ordonnance.

39 Sur les problèmes juridiques que posent les articles 121 alinéa 3 à 6 et 121a Cst., voir ACHERMANN (note 11), p. 1936. Voir également Peter UBERSAX, « Artikel 121a », in Bernhard WALDMANN, Eva Maria BELSER, Astrid EPINEY (éd.), Basler Kommentar. Bundesverfassung, Bâle 2015, p. 1951.

40 FF 2016, p. 8651.

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limiter de manière ponctuelle la main-d’œuvre des travailleurs européens en Suisse dans l’hypothèse d’une absence de solution consensuelle avec l’Union européenne41. L’Assemblée fédérale a finalement opté pour une solution très différente dans le souci de respecter les principes de libre circulation qui se trouvent à la base de l’ALCP.

Des mesures ponctuelles visant à épuiser le potentiel qu’offre la main-d’œuvre en Suisse ont été prévues en collaboration avec les cantons et les partenaires sociaux (art.

21a LEtr.). La loi votée le 16 décembre 2016 ne se réfère d’ailleurs aucunement à l’article 121a Cst., mais porte le titre évocateur de gestion de l’immigration et d’amélioration de la mise en œuvre des accords sur la libre circulation des personnes.

24. Les nouvelles dispositions législatives sont, force est de le constater, extrêmement éloignées du mandat constitutionnel instauré à l’article 121a Cst. La nouvelle ne fixe en effet aucun plafond, pas plus qu’elle n’instaure de contingent annuel pour le séjour des étrangers en Suisse. Elle n’affecte pas davantage le droit d’asile, pas plus qu’elle ne limite le regroupement familial. La clause de la préférence nationale qu’énonce clairement l’article 121 alinéa 3 Cst. a été transformée en une préférence indigène, c’est-à-dire un lien de rattachement fondé sur le domicile en Suisse et non sur la nationalité, en vue de favoriser le potentiel qu’offre la main- d’œuvre présente en Suisse. Un référendum a été lancé contre cette loi mais n’a pas abouti, faute de recueillir le nombre de 50 000 signatures prescrit par l’article 141 Cst.

25. Sur le terrain spécifiquement constitutionnel, il est intéressant de relever que, alors que le Conseil fédéral a considéré que la contrariété manifeste existant entre le texte de l’initiative populaire contre l’immigration de masse et le principe de libre circulation des personnes au sens de l’ALCP ne constituait pas un élément suffisant pour éviter la tenue d’une votation populaire42, le respect des relations bilatérales entre la Suisse et l’Europe représente l’argument qui a précisément conduit à l’adoption de la loi fédérale du 16 décembre 2016.

26. Entretemps, une nouvelle initiative populaire, intitulée « Sortons de l’impasse ! Renonçons à établir des contingents d’immigration », qui demande l’abrogation pure et simple de l’article 121a Cst., a recueilli plus de 100 000 signatures et devra par conséquent elle aussi être soumise au scrutin populaire43.

27. Dans les messages qu’il a présentés à l’Assemblée fédérale au sujet de la validité juridique des deux initiatives populaires qui ont conduit à l’adoption des articles 121 alinéas 3 à 6 et 121a Cst.44, le Conseil fédéral a certes identifié et signalé les incompatibilités que celles-ci recelaient au regard du droit international.

Toutefois, aucune disposition relevant des règles impératives du droit international n’étant – de l’avis du Conseil fédéral – affectée, ces initiatives ont toutes deux été validées par l’Assemblée fédérale avant d’être soumises au vote du peuple et des cantons, qui les ont acceptées45.

41 FF 2016, p. 2835.

42 FF 2013 279, en particulier p. 306 : « L’initiative n’est pas conciliable avec l’ALCP, qui devrait selon toute vraisemblance être dénoncé en cas d’acceptation de l’initiative. En cas d’acceptation de cette initiative, il resterait ainsi à la Suisse à dénoncer l’accord, au plus tard dans les trois ans suivant le scrutin. Une dénonciation qui serait lourde de conséquences pour les relations entre la Suisse et l’UE, puisqu’elle entraînerait l’application de la “clause guillotine”, dans les six mois suivant sa notification (art. 25, par. 4, ALCP). Elle signerait donc la fin des accords bilatéraux I, c’est-à-dire de l’accord concernant les marchés publics, de l’accord sur la prévention des obstacles techniques au commerce, de l’accord relatif aux échanges de produits agricoles, et des accords sur le transport aérien et sur le transport par rail et par route. »

43 Voir FF 2015, p. 7603.

44 FF 2009, p. 4571 pour ce qui concerne l’article 121 alinéas 3 à 6 Cst. ; FF 2013, p. 279 pour ce qui concerne l’article 121a Cst.

45 À teneur de articles 138 alinéa 3 et 194 alinéa 2 Cst., seules les initiatives populaires tendant à la révision partielle de la Constitution fédérale qui s’avèrent contraires aux règles impératives du droit

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28. Les cas de ce genre ne sont guère fréquents. L’importance des questions et des problèmes qu’ils posent ne saurait pour autant être sous-estimée sur le terrain juridique. En pareille hypothèse, le Conseil fédéral et l’Assemblée fédérale s’efforcent sinon de gommer, du moins d’aplanir les contrariétés les plus manifestes entre le texte de la Constitution fédérale et le droit international lors de l’adoption de la législation d’exécution du mandat constitutionnel. Ainsi, le respect du droit international, faute d’être véritablement pris en considération lors de l’examen de la validité d’une initiative populaire, revient en force pour en atténuer les effets une fois qu’elle a été acceptée par le peuple et les cantons46.

29. C’est du moins ce qui s’est produit à la faveur de la mise en œuvre de l’article 121 alinéas 3 à 6 Cst. L’Assemblée fédérale a en effet voté, le 20 mars 2015, un train de dispositions de rang législatif complétant la législation pénale fédérale, lesquelles sont destinées à renforcer le régime du renvoi des étrangers condamnés en Suisse pour les infractions visées à l’article 121 alinéa 3 et 4 Cst., tout en s’efforçant de respecter les exigences inhérentes au principe de la proportionnalité au sens de la CEDH47.

30. Précisons encore que la place qu’occupe la juridiction constitutionnelle en matière de politique migratoire est très réduite en Suisse. D’une part, les lois votées par l’Assemblée fédérale ne sont pas passibles du contrôle juridictionnel abstrait de constitutionnalité. L’article 189 alinéa 4 Cst. dispose en effet que les actes de l’Assemblée fédérale ne peuvent pas être portés devant le Tribunal fédéral. Il n’existe par conséquent aucune forme de contrôle abstrait à l’égard de ces actes normatifs48.

31. D’autre part, le contrôle concret est lui aussi sévèrement limité. À teneur de la règle de l’article 190 Cst., le Tribunal fédéral et, à son exemple, les autres autorités judiciaires du pays sont en effet tenus d’appliquer les lois fédérales. La règle, inscrite dans la Constitution fédérale en 1874 lorsque le Tribunal fédéral devint une instance permanente, signifie que le pouvoir judiciaire n’est pas habilité à refuser de mettre en œuvre une loi fédérale au motif que celle-ci serait entachée d’inconstitutionnalité49. Dès lors que la mise en œuvre de la compétence inscrite à l’article 121 Cst. appelle, par définition, l’adoption de lois fédérales au sens de

international (« ius cogens ») peuvent être invalidées par l’Assemblée fédérale. Interprétée de manière restrictive, la règle n’est pas réputée, de l’avis du Conseil fédéral et d’une majorité de l’Assemblée fédérale, s’appliquer aux initiatives populaires contraires à d’autres règles du droit international comme la CEDH (dans le cas par exemple de l’article 8 de cet instrument) ou l’ALCP (pour ce qui concerne la libre circulation des personnes).

46 Sur un plan plus général, voir l’intéressante étude de Véronique BOILLET et de Guillaume LAMMERS, « La mise en œuvre des initiatives populaires fédérales », Schweizerisches Zentralblatt für Staats- und Verwaltungsrecht 2016, p. 511.

47 VoirFF 2015, p. 2521 ; FF 2013, p. 5373. Cette mise en harmonie ayant profondément déplu aux milieux qui avaient lancé l’initiative populaire acceptée le 28 novembre 2010, ceux-ci ont derechef lancé une nouvelle initiative. Intitulé « Pour le renvoi effectif des étrangers criminels (initiative de mise en œuvre) », ce texte ne proposait rien de moins qu’une réglementation quasiment exhaustive du sujet dans la Constitution fédérale, court-circuitant ainsi l’action du Parlement. Elle a toutefois été rejetée par le peuple et les cantons lors du scrutin du 28 février 2016 (FF 2016, p. 3557).

48 Voir arrêt du Tribunal fédéral 1C_20/2011 Ali Tüm, du janvier 2011. Les textes qui révisent partiellement la Constitution fédérale par voie d’initiative populaire ne peuvent pas non plus être attaqués devant la Cour européenne des droits de l’homme ; req. n° 65840/09 Hafid Ouardiri c.

Suisse, req. n° 66279/09 Ligue des musulmans de Suisse et autres c. Suisse, décisions sur la recevabilité du 28 juin 2011 à propos de l’article 72 alinéa 3 Cst., qui interdit la construction de minarets en Suisse, suite à l’acceptation d’une initiative populaire en date du 29 novembre 2009. Sur cette intéressante affaire, voir Vincent MARTENET, « La qualité de victime dans une affaire mettant directement en cause une règle de droit : Cour européenne des droits de l’homme, décisions Ouardiri c. Suisse et Ligue des musulmans de Suisse e.a. c. Suisse, 28 juin 2011 », RTDH 2012, p. 625.

49 Au sujet de l’origine de la clause d’immunité de l’article 190 Cst., voir l’étude de Maya HERTIG RANDALL, « L’internationalisation de la juridiction constitutionnelle : défis et perspectives », Revue de droit suisse 2010 II, p. 237 ss.

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l’article 164 Cst., les normes qui y sont contenues échappent à tout verdict judiciaire d’inconstitutionnalité.

I.- LES DROITS FONDAMENTAUX DES MIGRANTS LORS DE L’ENTRÉE ET DE LA SORTIE DU TERRITOIRE

A.- L’entrée sur le territoire

32. De longue date, le système migratoire suisse soumet la présence étrangère à un régime d’autorisation préalable, donc de contrôle étatique50. En 1970 déjà, des mesures de contingentement ont été mises en place. L’instauration de ce mécanisme faisait suite, à l’époque, au débat provoqué par une initiative populaire tendant à la révision partielle de la Constitution fédérale en vue de limiter la main-d’œuvre étrangère en Suisse51.

33. Le régime juridique actuellement en vigueur fonctionne, comme indiqué plus haut, sur une base binaire : alors que la présence de ressortissants d’États membres de l’Union européenne ou de l’AELE repose sur la liberté de circulation incluant le regroupement familial, l’entrée et la présence sur le sol suisse des autres étrangers sont soumises à l’exigence d’une autorisation lorsque leur séjour excède une durée de trois mois, quelle que soit sa finalité (art. 10 LEtr). Le système libéral de l’ALCP se distingue à cet égard du régime nettement plus restrictif que postule la LEtr.

34. L’exigence d’un visa pour pénétrer sur le territoire suisse ne relève pas de la Constitution fédérale, mais de la législation. Une quarantaine d’États y est soumise, mais aucun État européen52.

35. S’agissant des ressortissants non européens, l’article 3 alinéa 3 LEtr dispose que l’admission d’étrangers en vue de l’exercice d’une activité lucrative doit servir les intérêts de l’économie suisse. Les chances d’une intégration durable sur le marché du travail suisse et dans l’environnement social présentent un caractère déterminant dans ce contexte. Selon l’ordre de priorité qui est institué par l’article 21 alinéa 1 LEtr, un ressortissant étranger ne saurait être admis en vue de l’exercice d’une activité lucrative que s’il est démontré qu’aucun travailleur en Suisse, ni aucun ressortissant d’un État avec lequel a été conclu un accord sur la libre circulation des personnes correspondant au profil requis n’a pu être trouvé.

36. Les autorisations de séjour susceptibles d’être délivrées en application de la LEtr sont au nombre de quatre : l’autorisation de courte durée (une année au plus, prolongeable pour une durée maximale de deux ans), l’autorisation dite de séjour (de plus d’une année, elle peut être prolongée), l’autorisation d’établissement (octroyée à l’issue d’un séjour de dix ans au moins ou en vertu d’un traité d’établissement prévoyant une durée inférieure. La durée de cette autorisation n’est pas limitée et elle déploie une portée intercantonale, contrairement aux autres autorisations) et l’autorisation frontalière (de durée limitée, mais qui peut être prolongée. Ce dernier permis est réservé aux ressortissants d’États non européens, mais qui bénéficient d’un droit de séjour durable dans un pays voisin de la Suisse et dont la présence sur le sol suisse se limite à l’exercice d’une activité lucrative. Il s’agit donc d’une autorisation

50 FF 1997 I, p. 342.

51 AUER, MALINVERNI, HOTTELIER (note 3), p. 152.

52 Voir la liste des États annexée à l’ordonnance du Conseil fédéral sur l’entrée et l’octroi de visas, du 22 octobre 2008 (OEV ; RS 142.204).

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qui n’implique pas une domiciliation sur le territoire helvétique). Le régime légal de ces autorisations est régi aux articles 32 et suivants LEtr53.

37. L’article 20 LEtr habilite le Conseil fédéral à limiter le nombre des autorisations de courte durée, de même que celui des autorisations de séjour initiales qui sont octroyées en vue de l’exercice d’une activité lucrative. Sur cette base, le Conseil fédéral fixe chaque année les quotas et les répartit entre les vingt-six cantons.

Un quota est spécifiquement réservé au Secrétariat aux migrations afin de permettre à cet organe de l’administration fédérale d’octroyer lui-même certaines autorisations ou pour relever occasionnellement le contingent d’un canton54.

38. Dès lors que le régime du contingentement tout comme celui des diverses autorisations de séjour a été inscrit dans une loi fédérale sujette au référendum facultatif, le contrôle de constitutionnalité n’est pas ouvert à leur égard, en application de la clause de l’article 190 Cst. précédemment évoquée55. Le contrôle démocratique poussé pratiqué en Suisse sur les lois adoptées par l’Assemblée fédérale est ainsi réputé faire obstacle à la juridiction constitutionnelle.

39. Le contrôle du Tribunal fédéral sur le droit des étrangers est limité à un autre égard. Parmi les motifs qui permettent la saisine de la Cour suprême, une disposition légale restreint de manière importante le contrôle juridictionnel. À teneur de l’article 83 lettre c de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF)56, le recours devant la Cour suprême est irrecevable contre les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent l’entrée en Suisse, de même qu’à propos des autorisations auxquelles ni le droit fédéral, ni le droit international ne donnent droit. Sur le plan pratique, l’étranger qui est dépourvu d’un droit prévu par le droit international ou par le droit interne à séjourner en Suisse ne peut, par conséquent, pas solliciter de contrôle de la part du Tribunal fédéral57.

40. Une ligne de jurisprudence originale inaugurée en 1983 a cependant conduit la Haute Cour à reconnaître que le droit au respect de la vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la CEDH peut être mis en cause par le renvoi d’un ressortissant étranger et donc fonder la saisine du juge58.

41. Si le régime du contingentement, l’octroi de visas, d’autorisations de séjour ou encore le principe même des contrôles à la frontière ne peuvent être remis en cause en tant que tels, la question du respect des droits de la personne humaine est en revanche possible au regard des obligations auxquelles le Conseil fédéral a souscrit sur la scène internationale. Le contrôle de conventionnalité permet ainsi de pallier, en quelque sorte, l’absence de contrôle de constitutionnalité59.

42. La CEDH s’inscrit au premier rang des traités internationaux en la matière, en raison du contrôle qu’exerce la Cour européenne des droits de l’homme.

53 Pour plus de détails, voir MAHON (note 21), p. 53 ; AUER, MALINVERNI, HOTTELIER (note 3), p.

158.

54 AUER, MALINVERNI, HOTTELIER (note 3), p. 162. Les quotas d’autorisations de séjour répartis entre les cantons figurent en annexe à l’ordonnance du Conseil fédéral du 24 octobre 2007 relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative (OASA ; RS 142.201).

55 Supra, chiffre 31.

56 RS 173.110.

57 MAHON (note 21), p. 55 et les références citées.

58 ATF 109 Ib 183 (du 9 décembre 1983) et 110 Ib 201 (du 7 septembre 1984) Salaheddine und Monika Reneja-Dittli. L’affaire concernait le non-renouvellement de l’autorisation de séjour d’un ressortissant marocain qui avait été condamné pénalement, mais qui s’était marié à une Suissesse et qui vivait à Zurich. Après avoir déclaré l’affaire recevable dans un premier arrêt, le Tribunal fédéral a considéré sur le fond qu’en l’espèce, l’intérêt des conjoints à rester en Suisse l’emportait, au nom de l’unité de la famille, sur l’intérêt public à expulser l’époux. Sur le sujet, voir les développements de MALINVERNI (note 7), p. 19.

59 Sur le sujet, voir AUER, MALINVERNI, HOTTELIER (note 3), p. 657 ss. et les références citées.

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Au contrôle national de conventionnalité peut ainsi succéder le contrôle international qu’exerce la Cour de Strasbourg60.

43. Les rapports périodiques que la Suisse présente régulièrement devant les organes des Nations unies tout comme l’examen périodique universel que pratique le Conseil des droits de l’homme favorisent un débat constructif et permettent également une certaine forme de contrôle international sur le droit suisse des migrations. Ce contrôle est certes moins poussé que celui qu’exerce la Cour européenne des droits de l’homme puisque les constats et recommandations auxquels il est susceptible de donner lieu sont réputés dépourvus de caractère obligatoire, mais le forum qu’il ouvre permet néanmoins de révéler et de pointer d’éventuelles carences61.

44. En outre, le contrôle que pratique le Comité des Nations unies contre la torture à l’égard de la Suisse ne se limite pas à l’examen de rapports périodiques62. La Suisse ayant accepté de souscrire au droit de communication individuel qu’institue l’article 21 de la Convention du 10 décembre 1984, des communications émanant de ressortissants étrangers à l’égard de la Suisse peuvent être formées. Il existe ainsi une pratique fort riche et intéressante de ce comité sur le sujet63.

45. Sur le plan du droit interne, les normes susceptibles d’être appliquées en matière d’attribution des autorisations de séjour sont, au vu de ce qui précède, limitées. C’est principalement le droit au regroupement familial et le principe du non-refoulement qui, dans les conditions posées par la jurisprudence, peuvent le cas échéant commander l’attribution ou le renouvellement d’une autorisation.

46. L’ALCP prévoit pour sa part trois types de permis de séjour : l’autorisation de courte durée (séjour supérieur à trois mois, mais inférieur à une année), l’autorisation de longue durée (séjour de cinq ans au moins) et l’autorisation frontalière (laquelle concerne l’ensemble des ressortissants de l’Union, et pas uniquement ceux qui possèdent la nationalité de l’un des États voisins de la Suisse).

47. La mise en œuvre l’ALCP a généré une jurisprudence aussi riche qu’originale. Riche, en ce sens que de nombreux compartiments du droit des migrations ont été abordés, pour ne pas dire réinventés, à l’aune de l’interprétation de l’ALCP à laquelle a procédé le Tribunal fédéral. Cette casuistique est également originale, en ce sens que, pour porter sur le contrôle du respect d’un traité international, et donc procéder du contrôle de la conventionnalité, la mise en œuvre de l’ALCP n’a pas manqué de poser des questions fondamentales sous l’angle du

60 Si la jurisprudence de la Cour de Strasbourg fait partie intégrante des sources auxquelles se réfère fréquemment le Tribunal fédéral, il arrive aussi à la Haute Cour de citer la casuistique du Comité des droits de l’homme des Nations unies, alors même que la Suisse n’a pas souscrit au droit de communication individuel permettant de saisir cet organe. Voir l’arrêt 2C_1086/2015 A. c. Amt für Migration Basel-Landschaft, du 22 juillet 2016 ; arrêt 2C_140/2014 A. c. Migrationsamt des Kantons Zürich, du 24 octobre 2014 ; arrêt 2C_1026/2011 X. c. Migrationsamt des Kantons Zürich, du 23 juillet 2012.

61 Plusieurs recommandations jointes au rapport périodique universel que la Suisse a présenté le 14 mars 2012 devant le Conseil des droits de l’homme (A/HRC/22/11) concernaient précisément la politique migratoire et le statut des ressortissants étrangers. Dans le même sens, certaines observations finales qu’a formulées le Comité des droits économiques, sociaux et culturels au mois de novembre 2010 à la suite de la présentation des deuxième et troisième rapports périodiques de la Suisse portaient sur le statut des migrants et le droit d’asile (voir E/C.12/CHE/CO/2-3).

62 Par exemple, les observations finales du Comité contre la torture concernant le septième rapport périodique de la Suisse, du 13 août 2015, portent sur la pratique suisse en matière de non- refoulement et de rapatriement forcé (voir CAT/C/CHE/CO/7).

63 Voir Emre HAMDAN, The Principle of Non-Refoulement under the ECHR and the UN Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment, Leiden 2016. L’auteur relève (p. 11 s.) que, à fin octobre 2015, le Comité contre la torture avait statué au fond sur 276 communications individuelles ; sur les 78 affaires concernant la Suisse, 18 ont conduit à un constat de violation de l’article 3 de la Convention.

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droit constitutionnel suisse, d’une part, de même que sous l’angle du droit communautaire, lui-même profondément influencé par l’interprétation à laquelle se livre la Cour de justice de l’Union européenne.

48. Un arrêt prononcé le 5 janvier 201064 a par exemple conduit le Tribunal fédéral à juger que le droit au regroupement familial rattaché à la libre circulation des personnes au sens de l’ALCP ne dépend pas d’un séjour antérieur régulier, dans un État membre, du proche parent en faveur duquel le regroupement est demandé65. Ce droit s’étend aussi aux beaux-enfants qui possèdent la nationalité d’un État tiers, en vue d’assurer une situation juridique parallèle entre les États membres de l’Union européenne et entre ceux-ci et la Suisse.

49. Une autre affaire, jugée le 16 mars 200966, a permis au Tribunal fédéral de se prononcer sur la notion de travailleur salarié frontalier au sens de l’ALCP. Le cas concernait un ressortissant anglais qui, tout en travaillant en Suisse, se rendait régulièrement à son domicile en Grande-Bretagne. La Haute Cour a relevé que la définition traditionnellement retenue par les autorités locales pour qualifier les travailleurs salariés frontaliers n’était plus valable au regard de l’ALCP. La qualité de frontalier n’est, en effet, plus liée au domicile dans une zone d’un pays limitrophe de la Suisse et ces personnes peuvent parfaitement être domiciliées n’importe où sur le territoire de l’un des États parties à l’ALCP, alors même que leur lieu de travail se trouve en Suisse. De l’avis des juges fédéraux, l’élément caractéristique de la notion de frontalier réside dans le fait que l’intéressé se déplace régulièrement, c’est-à-dire au moins une fois par semaine entre son domicile et son lieu de travail. De fait, les frontaliers au sens de l’ALCP doivent plutôt être désignés comme des « pendulaires internationaux ».

B.- La sortie et l’éloignement du territoire

50. Le juge constitutionnel ne met pas en œuvre de disposition spécifique en matière de contrôle d’identité à l’égard de ressortissants étrangers. C’est le régime général des droits fondamentaux prévu par les articles 7 et suivants de la Constitution fédérale qui trouve application, en lien avec les dispositions correspondantes des instruments internationaux de protection des droits de la personne humaine.

51. Les mesures d’éloignement et leur exécution, y compris les mesures de contrainte susceptibles d’être mises en œuvre, forment une partie considérable de la législation applicable aux étrangers. Comme indiqué précédemment, l’article 121 alinéas 3 à 6 Cst, fixe un régime complémentaire extrêmement strict en la matière.

Si le régime de l’ALCP est calqué sur les règles propres au droit communautaire, celui qui gouverne les ressortissants non européens résulte de la législation pénale et de plusieurs dispositions de la LEtr.

52. Les droits susceptibles d’être invoqués dans ce contexte procèdent de garanties élémentaires telles que le respect du droit à la vie, le principe du non- refoulement et le droit au respect de la vie privée et familiale, en lien avec le respect du principe de proportionnalité. Le Tribunal fédéral a souligné l’importance qui revient à cette exigence constitutionnelle et conventionnelle dans deux arrêts de principe prononcés le 12 octobre 201267.

64 ATF 136 II 65 A. und Mitb.

65 Sur le sujet, voir aussi l’arrêt X. und Y., ATF 136 II 5, du 29 septembre 2009.

66 ATF 135 II 128 A.X.

67 ATF 139 I 16 X. ; ATF 139 I 31 X.

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53. Une importante jurisprudence remontant au début des années 1980 a par ailleurs conduit le Tribunal fédéral à juger que l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants ressortait des règles impératives du droit international (ius cogens), et faisait obstacle à l’extradition ou au renvoi des étrangers sous l’angle de l’article 3 de la CEDH68. Un autre arrêt a permis à la Haute Cour de retenir que le renvoi d’un ressortissant étranger menacé de la peine de mort ne saurait être envisagé. Dans deux arrêts successifs prononcés le 3 mai 2004, puis le 19 avril 2005, le Tribunal fédéral a précisé que la Suisse ne saurait prêter son concours à des procédures susceptibles de conduire à l’application de la peine de mort. En la matière, la Suisse subordonne sa coopération à l’assurance que cette peine ne sera ni requise, ni prononcée, ni appliquée69.

54. Une autre affaire jugée le 25 février 200870 a permis au Tribunal fédéral de préciser que l’expulsion d’un ressortissant turc qui vivait en Suisse depuis environ vingt-cinq ans et qui était suspecté d’avoir contraint sa fille à un mariage forcé n’était pas conforme au principe de proportionnalité, notamment au sens de l’article 8 paragraphe 2 de la CEDH.

55. Les migrants frappés de décisions d’éloignement du territoire peuvent être placés dans des zones d’attente. Le régime de l’admission provisoire confère aux étrangers qu’il n’est pas possible d’éloigner un statut juridique particulier. Il existe une jurisprudence fort intéressante au sujet des conditions entourant l’hébergement forcé d’étrangers dépourvus de titre de séjour en Suisse.

56. Un arrêt prononcé le 29 mai 201571 a par exemple permis au Tribunal fédéral de rappeler sa jurisprudence selon laquelle l’obligation imposée à un requérant d’asile débouté de séjourner dans un lieu d’hébergement collectif tel qu’un centre prévu à cet effet ou un abri de protection civile ne contrevient pas au droit fondamental à des conditions minimales d’existence garanti par l’article 12 Cst. ni, au reste, à l’interdiction des traitements dégradants au sens de l’article 3 de la CEDH72.

57. Un arrêt antérieur avait déjà conduit le Tribunal fédéral à juger que la fourniture de l’aide d’urgence exclusivement en nature pour le logement et la nourriture ne contrevient pas en soi à l’article 12 Cst.73. En ce qui concerne la nourriture, les juges fédéraux ont précisé qu’il convient d’opérer une distinction entre les personnes qui séjournent régulièrement en Suisse, celles dont le séjour n’est que provisoire et les personnes qui font l’objet d’une décision de renvoi et dont le séjour est illégal. Pour ces dernières, les prestations en nature doivent en principe être préférées aux prestations en espèces. En ce qui concerne plus particulièrement la violation alléguée de l’article 3 de la CEDH, les juges fédéraux ont aussi souligné qu’un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. Dans le cas d’espèce, l’inconvénient lié à un déplacement pour prendre les repas au sein d’un foyer d’accueil a été considéré comme n’atteignant pas le minimum de gravité requis

68 ATF 108 Ib 408 Bufano et consorts ; ATF 109 Ib 64, 72 Sener : « Gemäss Art. 3 EMRK darf niemand der Folter oder unmenschlicher oder erniedrigender Strafe oder Behandlung unterworfen werden. Das Bundesgericht betrachtet diese Vorschrift und in gleicher Weise auch Art. 3 Ziff. 2 EAÜ als zwingende Regeln des Völkerrechts, die beim Entscheid über ein Auslieferungsbegehren zu beachten sind, unabhängig davon, ob die Schweiz mit dem ersuchenden Staat durch das EAÜ oder die EMRK, durch einen zweiseitigen Staatsvertrag oder überhaupt durch kein Abkommen verbunden ist ».

69 ATF 130 II 217 et 131 II 228 Wang et consorts.

70 ATF 134 II 1 A.X.

71 Arrêt du Tribunal fédéral 8C_459/2014 A. c. Etablissement vaudois d’accueil des migrants. Voir AIJC XXXI-2015, p. 892.

72 Sur le sujet, voir également ATF 139 I 272 S.

73 Arrêt du Tribunal fédéral 8C_102/2013, du 10 janvier 2014, B. c. Etablissement vaudois d’accueil des migrants. Voir AIJC XXIX-2013, p. 876 ; AIJC XXX-2014, p. 897 et les autres références citées.

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par la norme conventionnelle. L’analyse des prestations alimentaires octroyées au recourant ne révélait pas non plus que ces repas représentaient une nourriture inappropriée sur le long terme.

58. La liberté d’établissement est consacrée à l’article 24 Cst. Cette garantie permet aux ressortissants suisses de quitter la Suisse en tout temps ou, en sens inverse, d’y revenir à leur guise, de même que celui de s’installer en un lieu quelconque du pays74. En outre, si la Suisse n’a pas ratifié le Protocole n° 4 à la CEDH dont l’article 3 interdit l’expulsion des nationaux, l’article 25 alinéa 1 Cst.

prévoit que les Suisses et les Suissesses ne sauraient être expulsés du pays. Ils ne peuvent être remis à une autorité étrangère que s’ils y consentent.

59. Concernant les renvois forcés de ressortissants étrangers par voie aérienne, le Tribunal fédéral a rendu un arrêt fort intéressant le 20 août 201375. En l’espèce, l’intéressé avait fait l’objet d’un rapatriement sous escorte policière depuis l’aéroport Genève à destination de la Gambie, en exécution d’une décision de renvoi. Le matin du vol, il avait été menotté. Une fois arrivé à l’aéroport, il fut ligoté sur une chaise et un casque fut posé sur sa tête en vue de son embarquement dans l’avion. Les policiers qui l’escortaient lui injectèrent un gaz dans les narines à plusieurs reprises afin de l’empêcher de crier. Le casque fut ensuite enlevé, mais l’intéressé resta attaché sur sa chaise pendant l’ensemble de la durée du vol, y compris lors du retour, l’avion n’ayant finalement pas pu atterrir en Gambie. À son retour à Genève, l’intéressé porta plainte pour contrainte, séquestration, voies de fait et lésions corporelles simples. La plainte n’ayant pas été suivie d’effet, il saisit le Tribunal fédéral.

60. La Haute Cour a admis le recours, au regard en particulier du droit à une enquête effective au sens des articles 3 et 13 de la CEDH. Les juges fédéraux ont rappelé que l’article 3 de la CEDH procure un droit autonome, de nature procédurale, à tout individu qui prétend de manière défendable avoir été torturé ou soumis à des traitements inhumains ou dégradants, indépendamment du bien-fondé susceptible d’être finalement reconnu à ses allégations. En outre, la Convention des Nations unies contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, oblige les États à se doter d’une loi qui punisse de manière appropriée les actes de torture, ainsi que les actes constitutifs de peines ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants, de même qu’à instituer des tribunaux pour appliquer cette loi. L’article 12 de cet instrument oblige aussi les États à veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un tel acte a été commis sur un territoire soumis à leur juridiction.

61. En l’espèce, l’enquête qui avait été ordonnée par le Ministère public genevois ne semblait pas avoir satisfait à l’obligation de célérité. Les juges fédéraux ont retenu que près d’une année s’était écoulée entre les faits et le prononcé de l’ordonnance de non-entrée en matière. De plus, ni le médecin, ni l’observateur indépendant qui accompagnaient l’intéressé durant le vol n’avaient été auditionnés, alors même qu’il existait des divergences importantes entre les versions des faits et que la nécessité et la proportionnalité de l’intervention médicale n’avaient nullement été démontrées. Le Tribunal fédéral a sur cette base considéré que le droit du recourant à une enquête officielle approfondie et effective n’avait pas été respecté.

62. Plusieurs cas concernant l’application des articles 3 ou 8 de la CEDH ont été jugés par la Cour à propos de la Suisse. S’agissant de l’article 3 de la CEDH, c’est

74 Andreas AUER, Giorgio MALINVERNI, Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, Les droits fondamentaux, 3e éd., Berne 2013, p. 369.

75 Arrêt du Tribunal fédéral 1B_771/2012 X. c. Ministère public de la République et canton de Genève, publié et commenté in Pratique juridique actuelle 2013, p. 1688.

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