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Rapport complémentaire de. Mme Aurélie Prache et M. François Le Masne de Chermont, conseillers (chambre sociale)

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Texte intégral

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Rapport complémentaire de

Mme Aurélie Prache et M. François Le Masne de Chermont, conseillers (chambre sociale)

assistés de Mme Saliha Safatian et M. Arnaud Gilquin-Vaudour, auditeurs au service de documentation, des études et du rapport.

Arrêt n° 428 du 14 avril 2021 Pourvoi n° X 16-16.713

Décision attaquée : arrêt du 4 mars 2016 de la cour d'appel de Paris La société Vueling airlines

C/

M. A... X...

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Dans le présent rapport, des observations complémentaires sont faites sur le deuxième moyen du pourvoi, suite à l’arrêt CRPNPAC contre Vueling Airlines du 2 avril 2020, C-370/17 et C-37/18, rendu par la Cour de justice de l’Union européenne sur demande de décision préjudicielle de la Cour de cassation par arrêt du 10 janvier 2018.

Pour de plus amples développements, notamment sur les premier et troisième moyens, il est renvoyé au rapport initial.

1 - Rappel des faits et de la procédure

La société Vueling Airlines est une société commerciale de droit espagnol créée en 2004 dont le siège social est situé à Barcelone. Elle exerce une activité de transport aérien international de passagers. Le 21 mai 2007, cette compagnie a commencé à opérer des vols vers plusieurs destinations espagnoles depuis l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. À ce titre, elle a fait inscrire au registre du commerce et des sociétés de Bobigny le 31 mai 2007 la création d’un fonds de commerce de « transport aérien et l'auto assistance en escale », implanté dans cet aéroport.

M. X... a été engagé par la société Vueling Airlines en qualité de co-pilote à compter du 21 avril 2007 par contrat rédigé en langue anglaise et de droit espagnol. Par un avenant du 14 juin 2007, il a été détaché à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle à Paris.

Un certificat E101 a été délivré par l’institution compétente espagnole qui, après avoir été annulée par une décision en date du 1er août 2014 de cette institution, faisant suite à une demande de l’Urssaf en date du 4 avril 2012, a été maintenu à la suite d’un recours hiérarchique formé contre cette décision par la société Vueling Airlines. Par décision modificative du 5 décembre 2014, l’autorité hiérarchique compétente a considéré qu’il convenait de laisser sans effet l’annulation des certificats E 101.1

Par lettre du 30 mai 2008, le salarié a démissionné en invoquant notamment l’illégalité de sa situation contractuelle, puis s’est rétracté par courriel du 2 juin 2008. Il a ensuite pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 9 juin 2008.

Le 28 mai 2008, à la suite de contrôle qui avaient été effectués à partir du mois de janvier de cette même année, l’inspection du travail des transports de Roissy III aéroport a dressé procès-verbal du chef de travail dissimulé à l’encontre de la société Vueling.2

La société Vueling a été poursuivie devant le tribunal correctionnel de Bobigny du chef de l’infraction de travail dissimulé, au sens de l’article L. 8221-3 du ct pour avoir, à l’aéroport de Roissy- CDG, intentionnellement exercé, au cours de la période comprise entre le 21 mai 2007 et le 16 mai 2008, l’activité de transporteur aérien de passagers sans avoir procédé aux déclarations requises aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale.3

Par arrêt du 31 janvier 2012, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Paris a condamné la Société Vueling pour travail dissimulé à une amende délictuelle de 100 000 euros, infirmant ainsi le jugement de relaxe rendu par le tribunal correctionnel de Bobigny le 1er juillet 2010, et l’a condamnée à verser à onze salariés, dont M. X..., une somme de 3 500 euros chacun à

1Cf. point 31 à 33 de l’arrêt du 4 avril 2020 de la CJUE (C-370/17) 2Cf. point 17 de l’arrêt précité

3Cf. point 23 de l’arrêt précité

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titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par l’infraction retenue, outre la somme de 7500 euros à titre de dommages-intérêts à l’URSSAF.

Par un arrêt rendu le 11 mars 2014 (Crim. 11 mars 2014, n°12-81.461, Bull. n°75), la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté, sans qu'il y ait lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, le pourvoi formé par la société Vueling.

Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny, le 9 octobre 2009, en sollicitant que sa prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et que la société soit condamnée au paiement de diverses indemnités à ce titre, ainsi que pour travail dissimulé en application de l’article L. 8223-1 du code du travail pour défaut d’affiliation à la caisse de retraite complémentaire du personnel naviguant de l’aéronautique française civile. Il a également sollicité, en application du droit français, le paiement de rappels de salaire, congés payés afférents et dommages-intérêts pour congés non pris.

Par jugement du 14 avril 2011, le conseil de prud’hommes de Bobigny a condamné l’employeur à payer au salarié diverses sommes, avec intérêts au taux légal, au titre des salaires de mai et juin 2008, des congés payés afférents, et de l’article 700 du code de procédure civile, condamné le salarié à verser à l’employeur diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour non-exécution du préavis et au titre de l’article 700 du code de procédure civile, le déboutant du surplus de ses demandes au vu du certification E101 délivré par l’institution espagnole.

Par arrêt du 4 mars 2016, la cour d’appel de Paris a déclaré irrecevables les demandes relatives au sursis à statuer et à la question préjudicielle, formulées par l’employeur, confirmé le jugement mais seulement en ce qu'il a condamné l’employeur à payer au salarié diverses sommes au titre des salaires de mai et juin 2008 et des congés payés afférents.

Infirmant le jugement en toutes ses autres dispositions, et statuant à nouveau sur les chefs infirmés, elle a condamné l’employeur à payer au salarié, avec intérêts au taux légal, diverses sommes à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, de régularisation de ses salaires d'avril 2007 à mai 2008 au regard du droit français outre les congés payés afférents, de dommages-intérêts pour compenser les congés payés, dit que la rupture du contrat de travail du salarié est imputable à l’employeur, et qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné l’employeur à verser au salarié diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, ainsi que d’indemnité de licenciement.

Y ajoutant, elle a condamné l’employeur à payer au salarié diverses sommes, avec intérêts au taux légal, à titre de dommages-intérêts pour absence de cotisations sociales en France et de prime de précarité contractuelle, déboutant les parties de leurs demandes plus amples et contraires.

La société Vueling s’est pourvue en cassation contre cet arrêt. Le deuxième moyen de son pourvoi pose la question de l’effet d’un certificat E101 valide et non retiré établi en application de l’article 13 du règlement CEE n°1408/71, valant présomption d’affiliation du salarié au régime de sécurité sociale de l’État émetteur, sur l’existence d’une infraction de travail dissimulé par dissimulation d’activité, ainsi que la question de l’autorité de la chose jugée au pénal sur ce point au regard de l’obtention frauduleuse d’un tel certificat.

Compte-tenu des critiques formulées par ce moyen et de la lecture même dudit certificat, permettant de considérer qu’il avait été obtenu de manière frauduleuse par la société Vueling, dans son arrêt Soc., 10 janvier 2018, pourvoi n° 16-16.713, Bull. 2018, V, n° 1, la chambre sociale a décidé de poser à la CJUE une question préjudicielle rédigée en ces termes :

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1°) l'interprétation donnée par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 27 avril 2017, A-Rosa Flussschiff, C-620/15, à l'article 14, § 2, a, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, s'applique-t-elle à un litige relatif à l'infraction de travail dissimulé dans lequel les certificats E101 ont été délivrés au titre de l'article 14, § 1, a, en application de l'article 11,

§ 1, du règlement (CEE) n° 574/72 du 21 mars 1972 fixant les modalités d'application du règlement n° 1408/71, alors que la situation relevait de l'article 14, § 2, a, i, pour des salariés exerçant leur activité sur le territoire de l'État membre dont ils sont ressortissants et sur lequel l'entreprise de transport aérien établie dans un autre État membre dispose d'une succursale et que la seule lecture du certificat E101 qui mentionne un aéroport comme lieu d'activité du salarié et une entreprise aérienne comme employeur permettait d'en déduire qu'il avait été obtenu de façon frauduleuse?

2°) dans l'affirmative, le principe de la primauté du droit de l'Union européenne doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'une juridiction nationale, tenue en application de son droit interne par l'autorité de la chose jugée par une juridiction pénale sur la juridiction civile, tire les conséquences d'une décision d'une juridiction pénale rendue de façon incompatible avec les règles du droit de l'Union européenne en condamnant civilement un employeur à des dommages-intérêts envers un salarié du seul fait de la condamnation pénale de cet employeur pour travail dissimulé ? La Cour de cassation a sursis à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne, laquelle a répondu à la question préjudicielle, par arrêt du 2 avril 2020, C-370/174 et C-37/18 , en ces termes :

1) L’article 11, paragraphe 1, sous a), du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, doit être interprété en ce sens que les juridictions d’un État membre, saisies dans le cadre d’une procédure judiciaire diligentée contre un employeur pour des faits de nature à révéler une obtention ou une utilisation frauduleuses de certificats E 101 délivrés au titre de l’article 14, point 1, sous a), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 118/97, tel que modifié par le règlement (CE) n° 631/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, à l’égard de travailleurs exerçant leurs activités dans cet État membre, ne peuvent constater l’existence d’une fraude et écarter en conséquence ces certificats qu’après s’être assurées :

4Affaire jointe avec la demande de question préjudicielle introduite parle tribunal de grande instance de Bobigny, par décision du 30 mars 2017 (C-370/17) : « 1) L’effet attaché au certificat E 101 délivré, conformément à l’article 11, paragraphe 1, et à l’article 12 bis, paragraphe 1 bis, du règlement [n° 574/72], par l’institution désignée par l’autorité de l’État membre dont la législation de sécurité sociale demeure applicable à la situation du salarié, doit-il être conservé alors même que le certificat E 101 a été obtenu à la suite d’une fraude ou d’un abus de droit, définitivement constaté par une juridiction de l’État membre où le salarié exerce ou doit exercer son activité ?

2) Dans le cas où la réponse à cette question serait positive, la délivrance de certificats E 101 fait-elle obstacle à ce que des personnes victimes du préjudice qu’ils ont subi du fait du comportement de l’employeur, auteur de la fraude, en obtiennent réparation, sans que l’affiliation des salariés aux régimes désignés par le certificat E 101 soit remise en cause par l’action en responsabilité exercée contre l’employeur ? »

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– d’une part, que la procédure prévue à l’article 84 bis, paragraphe 3, de ce règlement a été promptement enclenchée et l’institution compétente de l’État membre d’émission a été mise en mesure de réexaminer le bien-fondé de la délivrance desdits certificats à la lumière des éléments concrets soumis par l’institution compétente de l’État membre d’accueil qui donnent à penser que les mêmes certificats ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse, et

– d’autre part, que l’institution compétente de l’État membre d’émission s’est abstenue de procéder à un tel réexamen et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur ces éléments, le cas échéant, en annulant ou en retirant les certificats en cause.

2) L’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 574/72, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 118/97, tel que modifié par le règlement n° 647/2005, et le principe de primauté du droit de l’Union doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, dans le cas où un employeur a fait l’objet, dans l’État membre d’accueil, d’une condamnation pénale fondée sur un constat définitif de fraude opéré en méconnaissance de ce droit, à ce qu’une juridiction civile de cet État membre, tenue par le principe de droit national de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, mette à la charge de cet employeur, du seul fait de cette condamnation pénale, des dommages-intérêts destinés à indemniser les travailleurs ou un organisme de retraite de ce même État membre victimes de cette fraude.

2 - Analyse succincte du deuxième moyen

➣Le deuxième moyen du pourvoi de la société Vueling Airlines fait grief à l’arrêt de la condamner à payer à M. X... diverses sommes au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, de la régularisation de ses salaires d'avril 2007 à mai 2008 au regard du droit français, des congés payés y afférents, des dommages et intérêts pour compenser les congés payés, et des dommages et intérêts pour absence de cotisations sociales en France alors, selon le moyen : 1°) que le délit de travail dissimulé n'est constitué que si l'entreprise ou l'entrepreneur n'a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l'administration fiscale ; qu'en vertu du principe d'unicité de la législation en matière de sécurité sociale, et en vertu de l'article 13 du règlement CEE n° 1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul État membre ; que selon le règlement CEE n° 574/72, la personne qui exerce son activité sur le territoire de deux ou plusieurs États membres informe de cette situation l'institution désignée par l'autorité compétente de l'État membre sur le territoire duquel elle réside, laquelle lui remet un certificat E 101 (devenu formulaire A1) attestant qu'elle est soumise à sa législation ; qu'aussi longtemps que le certificat E 101 n'est pas retiré ou déclaré invalide, la délivrance de ce certificat vaut présomption de régularité d'affiliation ; que le juge français, saisi d'une demande de condamnation pour travail dissimulé, ne peut remettre en cause la validité de l'affiliation de travailleurs à un organisme de sécurité sociale d'un autre État, qui a délivré à l'entreprise ou l'entrepreneur un tel certificat ; que l'autorité de la chose jugée d'une décision pénale ne saurait faire obstacle à ces dispositions de droit européen ; qu'en l'espèce, la société Vueling Airlines a versé aux débats le certificat de détachement (E 101) délivré par l'administration espagnole pour M. X... et a soutenu que, par application de la réglementation européenne, ce certificat, valide et non retiré, attestait de l'affiliation du salarié au régime de sécurité sociale espagnole, ce qui excluait toute dissimulation d'activité en raison d'un défaut d'affiliation en France ; qu'elle a soutenu en conséquence que le principe de l'autorité de la chose jugée ne permettait pas de déroger au droit européen qui devait primer ; qu'en se fondant néanmoins, pour condamner la société Vueling Airlines

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pour travail dissimulé, sur l'autorité de la chose jugée d'un arrêt de la cour d'appel de Paris du 31 janvier 2012, sans répondre à ce moyen déterminant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°) qu'en se fondant, pour condamner la société Vueling Airlines pour travail dissimulé, sur l'autorité de la chose jugée de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 31 janvier 2012, sans rechercher si la délivrance par l'administration espagnole à M. X... d'un certificat E 101 attestant de son affiliation au régime de sécurité sociale espagnole n'excluait pas son affiliation au régime de sécurité sociale français et ne faisait pas obstacle, en conséquence, à la condamnation de la société Vueling Airlines pour dissimulation d'activité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de l'article 11 paragraphe 1er du règlement n° 574/72/CE du 21 mars 1972, des articles 13 et 14 du règlement communautaire n°

1408/71, des articles 11 et 12 bis du règlement communautaire 574/72, et de l'article 5 du règlement CE n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 ;

3°) que la chose jugée au pénal s'impose au juge civil relativement aux faits qui constituent le soutien nécessaire de la décision pénale ; qu'en l'espèce, dans son arrêt du 31 janvier 2012 la cour d'appel de Paris s'est bornée à considérer que les salariés de la société Vueling Airlines intervenant sur le site de l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle auraient dû, selon elle, être rattachés à la législation française de sécurité sociale ; qu'une telle décision ne privait pas le juge civil du pouvoir d'apprécier la portée de la délivrance par l'autorité espagnole de sécurité sociale à M. X... d'un certificat E101, et en conséquence de la faculté d'écarter la qualification de travail dissimulé au regard des critères de droit civil ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil et les articles 4 et 4-1 du code de procédure pénale, ensemble le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil.

3 - Identification du ou des points de droit faisant difficulté à juger

Compétence du juge de l’État membre d’accueil pour constater la fraude et écarter un certificat E 101 – Coopération entre institutions compétentes – Autorité de la chose jugée au pénal sur le civil – Primauté du droit de l’Union - Droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (la Charte) et l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la CEDH).

4 - Discussion citant les références de jurisprudence et de doctrine

Il convient de rappeler le contexte normatif et jurisprudentiel dans lequel s’inscrit le point de droit posé par le deuxième moyen (4.1) avant d’examiner les observations complémentaires des parties, notamment celles du salarié invoquant le droit à l’accès à un tribunal garanti par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (4.2).

4.1.1 - Les règlements de coordination des systèmes de sécurité sociale

Eu égard à la période d’activité du salarié, la détermination de la législation qui lui est applicable en matière de sécurité sociale répond aux prescriptions du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 631/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, ainsi que du règlement (CEE) n° 574/72, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n°

118/97, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005.

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À compter du 1er mai 2010, ces règlements ont été remplacés par le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et par le règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement n° 883/2004.

La Cour de justice de l’Union européenne répète avec constance que les dispositions du titre II du règlement 1408/71 constituent un système complet et uniforme de règles de conflit de lois dont le but est de soumettre les travailleurs qui se déplacent à l'intérieur de l’Union au régime de la sécurité sociale d'un seul État membre, de sorte que les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités (voir, notamment, CJCE arrêt du 24 mars 1994, Van Poucke / Rijksinstituut voor de Sociale Verzekeringen der Zelfstandigen e.a., C-71/93, point 22, et arrêt du 10 février 2000, FTS, C-202/97, point 20).

Ce système peut être ainsi décrit :

- la règle générale est celle de l’application de la législation de l’État d’exercice de l’activité salariée5, - font, en particulier, exception à la règle lex locis laboris, les situations de travail détaché où le travailleur reste soumis à la législation de l’État membre d’exercice antérieur de son activité salariée au service d’une entreprise dont il relève normalement6.

En vertu de l’article 11 § 1 du règlement n° 574/72 l’institution désignée par l’autorité compétente de l’État membre dont la législation reste applicable délivre, à la demande du travailleur salarié ou de son employeur, un certificat attestant que le travailleur salarié demeure soumis à cette législation et jusqu’à quelle date.

Ainsi qu’il résulte de l’article 84 bis §1 du règlement n° 1408/71, l’employeur couvert par ce règlement est tenu à une obligation d'information et de coopération avec les institutions compétentes pour assurer la bonne application dudit règlement. Les personnes concernées sont tenues d'informer, dans les meilleurs délais, les institutions de l'État compétent et de l'État de résidence de tout changement dans leur situation personnelle ou familiale qui affecte leur droit à des prestations au titre du même règlement.

L’article 15 du règlement n° 987/2009, qui explicite les modalités de cette délivrance spécifie, désormais, que celle-ci se fait, en particulier, sur la base des informations délivrées par l’employeur à l’institution compétente de l’État membre dont la législation est applicable.

À cet égard, la Cour de justice des Communautés européennes relève aux points 42 et 43 de l’arrêt du 4 octobre 2012, Format (C-115/11) que la description de la nature du travail telle qu’elle ressort des documents contractuels revêt une importance particulière pour l’appréciation des faits pertinents par l’institution émettrice pour l’application des règles relatives à la détermination de la législation applicable.

Par ailleurs, le système complet et autonome institué par les règlements de coordination ne prévoit pas de possibilité de saisine par le travailleur de l’institution compétente de l’État d’accueil pour contester la validité du certificat émis.

En raison du principe selon lequel les travailleurs doivent être affiliés à un seul régime de sécurité social, ce certificat implique nécessairement que le régime d’un autre État membre n’est pas susceptible de s’appliquer (voir, en ce sens, CJCE, arrêt du 10 février 2000, FTS, C-202/97, point 49).

5 Article 13 § 2, sous a), du règlement de base n° 1408/71.

6 Article 14 point 1, sous a) du règlement de base n° 1408/71.

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Il crée une présomption de régularité de l’affiliation des travailleurs concernés (voir, en ce sens, CJCE, arrêt du 10 février 2000, FTS, C-202/97, point 53).

Aussi longtemps que le certificat n’a pas été retiré ou déclaré invalide, il s’impose à l’institution compétente de l’État membre d’accueil qui ne saurait, par conséquent, soumettre les travailleurs en question à son propre régime de sécurité sociale (voir, en ce sens, CJCE, arrêt du 10 février 2000, FTS, C-202/97, points 53 et 55), quand bien même cette institution a procédé à l’affiliation à sa législation de ces travailleurs avant la délivrance du certificat, ce dernier pouvant avoir un effet rétroactif (CJCE, arrêt du 30 mars 2000, Banks e.a., C-178/97, point 56, ainsi que CJUE, arrêt du 6 septembre 2018, Alpenrind e.a., C-527/16, point 73).

Il s’impose également aux juridictions de l’État membre d’accueil qui ne sont pas habilitées à vérifier la validité d’un certificat E 101 en ce qui concerne l’attestation des éléments sur la base desquels un tel certificat a été délivré (CJCE arrêt du 26 janvier 2006, Herbosch Kiere, C-2/05, point 32, et CJUE arrêt du 6 septembre 2018, Alpenrind e.a., C-527/16, point 47).

Il lie tant les institutions de sécurité sociale de l’État membre dans lequel le travail est effectué que les juridictions de cet État membre, même lorsqu’il est constaté par celles-ci que les conditions de l’activité du travailleur concerné n’entrent manifestement pas dans le champ d’application matériel de la disposition sur la base de laquelle le certificat a été délivré (CJUE, arrêt du 27 avril 2017, A- Rosa Flussschiff, C-620/15, point 61) ou lorsque les autorités compétentes de l’État membre dans lequel l’activité est exercée et de l’État membre dans lequel ce certificat a été établi ont saisi la commission administrative et que celle-ci a conclu que ce certificat avait été émis à tort et qu’il devrait être retiré (CJUE, arrêt du 6 septembre 2018, Alpenrind e.a., C-527/16, point 64).

L’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil n’est pas de nature à faire obstacle à l’effectivité des certificats et à la présomption de régularité qui en découle (voir, en ce sens, CJUE, arrêt précité du 2 avril 2020, Crpnpac, C-370/17 et C-37/18, points 96 et 97)7.

Pour autant le certificat n’a pas de caractère définitif. Il incombe à l’institution compétente de l’État membre qui l’a délivré de le retirer lorsque sa délivrance n’est pas fondée (voir, en ce sens, CJCE, arrêt du 10 février 2000, FTS, C-202/97, point 56).

Ainsi le système de coordination repose, dans son ensemble, sur le principe de coopération loyale qui impose à l’institution de sécurité sociale compétente de procéder à une appréciation correcte des faits pertinents pour l’application des règles relatives à la détermination de la législation applicable et, partant de garantir l’exactitude des mentions figurant dans le certificat délivré (CJCE, arrêt du 10 février 2000, FTS, C-202/97, point 51).

Ce principe implique également, pour les autorités de l’État membre d’accueil, celui de confiance mutuelle (voir, en ce sens, CJUE, arrêt du 6 février 2018, Altun e.a., C-359/16, point 40).

En cas de doute sur la validité du document qui atteste de la situation d’une personne au regard de la loi à laquelle elle est soumise en matière de sécurité sociale ou sur l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, l’institution de l’État membre qui reçoit le document demande à l’institution émettrice les éclaircissements nécessaires et, le cas échéant, le retrait dudit document.

L’institution émettrice réexamine ce qui l’a amenée à établir le document et, au besoin, le retire (CJCE, arrêt du 10 février 2000, FTS, C-202/97, point 57).

7Voir également, en ce sens, les point 165 à 168 des conclusions de l’avocat général Oe

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Cette procédure de dialogue entre institutions est désormais codifiée à l’article 84 bis § 3 du règlement n° 1408/71.

Cependant la Cour de justice de l’Union européenne a admis, en l’absence de décision de retrait de l’institution compétente, une exception de fraude à l’incompétence des juges de l’État d’accueil à caractériser une situation de détachement pour les besoins de la détermination de la loi applicable en matière de sécurité sociale.

La caractérisation de la fraude de l’employeur a été très strictement encadrée tant par son objet que par le dialogue administratif entre institutions compétentes qui doit la précéder. En effet, selon la Cour de justice de l’Union européenne les éléments objectif et subjectif de la fraude, s’ils sont établis, ne constituent, en l’absence de dialogue entre institution, que des indices concrets donnant à penser que les certificats ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse par l’employeur (voir, en ce sens, CJUE arrêt précité du 2 avril 2020, Crpnpac, C-370/17 et C-37/18, point 60).

Ainsi, dans l’arrêt du 6 février 2018, Altun e.a. (CJUE, C-359/16, point 61), elle a soumis la caractérisation de la fraude à la saisine préalable et motivée, par l’institution compétente de l’État d’accueil, de l’institution émettrice et à l’absence de réponse de cette dernière en considération des éléments avancés.

Cette condition a été durcie par l’arrêt Crnpac, du 2 avril 2020, qui impose désormais une « prompte

» saisine par l’autorité compétente de l’institution émettrice d’une demande de réexamen.

La juridiction de l’État membre d’accueil saisie de la question de la validité de certificats E101 est tenue de rechercher au préalable si la procédure prévue par l’article 84 précité a été, en amont de sa saisine, enclenché par l’institution compétente de l’État membre d’accueil par le biais de la demande de réexamen et de retrait de ces certificats présentée à l’institution émettrice de ceux-ci, et si tel n’a pas été le cas, de mettre en œuvre tous les moyens de droit à sa disposition afin d’assurer que l’institution compétente de l’État membre d’accueil enclenche cette procédure (CJUE 2 avril 2020, Crpnpac, C-370/17 et C-37/18, point 79)

À la lecture du point 83 du même arrêt, il semble que le caractère tardif soit à apprécier au regard de la date à laquelle non pas l'institution compétente mais l'administration du travail a identifié des indices concrets de l'obtention ou de l'invocation frauduleuse du certificat.

Aussi, désormais la fraude n’est constituée que :

- d’une part, si l’institution émettrice a été promptement saisie d’une demande de réexamen par l’institution de l’État d’activité et si la première institution a ainsi été mise en mesure de réexaminer le bien-fondé de la délivrance desdits certificats à la lumière des éléments concrets soumis par l’institution compétente de l’État membre d’accueil qui donnent à penser que les mêmes certificats ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse, et

- d’autre part, si l’institution compétente de l’État membre d’émission s’est abstenue de procéder à un tel réexamen et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur ces éléments, le cas échéant, en annulant ou en retirant les certificats en cause8.

Soulignons ici que cette solution ne suit pas celle qui était proposée par l’avocat général ØE qui concluait que “le juge de l’État membre d’accueil est compétent pour écarter un certificat E 101 obtenu ou invoqué frauduleusement. Le déroulement du dialogue entre institutions compétentes prévu à l’article 84 bis, paragraphe 3, du règlement nº 1408/71 est sans incidence sur cette

8Voir en ce sens CJUE, arrêt du 2 avril 2020, Crnpac, C-370/17 et C-37/18, point 86.

(10)

compétence. Que ce dialogue n’ait pas encore été initié par l’institution de cet État, qu’il soit en cours, ou que l’institution émettrice ne partage pas l’avis de la première institution, ce juge doit écarter ce certificat dès lors qu’il dispose des éléments établissant la fraude. L’arrêt Altun ne saurait, à mon sens, être interprété comme posant des conditions contraires à cette interprétation.”9

4.1.2 - Les commentaires doctrinaux de l’arrêt Crpnpac de la CJUE

La doctrine est partagée sur la solution dégagée par la CJUE dans cet arrêt. Selon Jean-Claude Fillon,10 la Cour de justice “enfin interrogée sur une série de questions liées à la validité des certificats E101 délivrés”, souligne “les risques que font courir une approche unilatérale à l'égard des certificats E101 : une affiliation simultanée avec deux États membres, et le paiement de doubles cotisations sociales, en contradiction flagrante avec les principes des règlements de coordination”.

Pour cet auteur, “cet arrêt permet à nouveau à la Cour d'affirmer sa jurisprudence sur la validité des certificats E101 et sur les conditions strictes dans lesquelles ces certificats peuvent être écartés par une juridiction de l'État d'accueil des travailleurs en cas de fraude avérée. On soulignera l'analyse longue et détaillée des faits, des circonstances et des procédures judiciaires effectuées, ainsi que de la procédure de règlement amiable des différends en cas de contestation de ces documents par l'institution de l'État d'accueil et des justifications d'une telle procédure, sans doute parce que l'avocat général suggérait une solution différente remettant cette jurisprudence en question en cas de constatation d'une fraude avérée. La Cour de justice a certainement souhaité répondre clairement et complètement aux controverses auxquelles cette jurisprudence a donné naissance en France et dans d'autres États membres.

On notera également que la Cour, dans son analyse des spécificités de l'activité des personnels navigants effectuant des vols internationaux, fait concurremment appel au règlement de coordination des législations de sécurité sociale et aux dispositions applicables “en matière de contrats individuels de travail du règlement 44/2001 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, ayant déjà jugé que la relation de travail du personnel navigant d'une compagnie aérienne présente un rattachement significatif avec le lieu à partir duquel ce personnel s'acquitte principalement de ses obligations à l'égard de son employeur, lieu qui peut coïncider avec celui de sa base d'affectation. Elle laisse ainsi peu d'incertitudes sur la façon dont elle réglera une autre série de questions préjudicielles posées par la chambre criminelle de la Cour de cassation 11.

In fine, on regrettera le piètre résultat pour l'administration française, 12 années après les premières constatations par l'inspection du travail, d'une affaire mal engagée et mal poursuivie, puisque si la condamnation pénale de la compagnie aérienne n'est pas remise en cause, on ne peut pas en tirer les conséquences au civil, faute d'avoir respecté le droit de l'Union (sauf, peut-être, si son action est recevable et non forclose, pour la compagnie condamnée à tort au pénal en ne respectant pas le droit de l'Union !). Les faits et les procédures suivies montrent à l'envie le syndrome d'Azincourt trop souvent à l'œuvre dans ce genre de situations : l'institution du régime général agit sans se préoccuper de l'institution de retraite complémentaire qui elle-même agit de manière unilatérale sans se préoccuper de l'action de la première, l'une agit au pénal, puis l'autre au civil, alors qu'une seule

9 Point 104

10RJS 2020 - Actualité de la jurisprudence européenne et internationale - Force probante des certificats A1 : fraude avérée versus obligation de dialogue administratif transfrontalier.

11Voir ci-après, aff. 17/19. Voir J.-C. Fillon " Transposition possible dans le droit du travail des effets des certificats E101/A1 désignant la législation de sécurité sociale applicable à des travailleurs occupés en France " : JCP G 2019 n°

171.

(11)

action conjointe et globale (droit du travail - droit de la sécurité sociale) aurait dû être engagée, d'abord pour initier une procédure de règlement du différend conforme aux dispositions de l'article 84 du règlement puis, en cas d'échec de cette procédure, pour saisir le juge pénal pour sanction pénale et réparation civile en découlant.”

Pour Francis Kessler12, “L’arrêt Vueling est surtout une confirmation d’une jurisprudence constante fondée sur le principe de coopération loyale et de confiance mutuelle. En effet, la Cour met non seulement fin aux démarches engagées tant par la CRPN que par le salarié, mais elle met également fin aux spéculations d’un éventuel revirement de jurisprudence qui se développaient à la suite de l’arrêt Altun et des conclusions de l’avocat général dans cette affaire qui avait proposé que les règles sur les formulaires de détachement « doivent être interprétées en ce sens que le juge de l’État membre d’accueil est compétent pour écarter un certificat E 101 dès lors qu’il dispose des éléments établissant que ce certificat a été obtenu ou invoqué frauduleusement »

La Cour fixe, bien au contraire de ce que proposait son avocat général, la ligne à suivre dans le prolongement de sa jurisprudence constante en la matière. Toute contestation de détachement doit être promptement enclenchée et l’institution compétente de l’État membre d’émission a été mise en mesure de réexaminer le bien-fondé de la délivrance desdits certificats à la lumière des éléments concrets soumis par l’institution compétente de l’État membre d’accueil.

Elle confirme ainsi non seulement la primauté des procédures administratives de dialogue mises en place par les règlements de coordination lorsqu'une contestation s'élève autour d'un formulaire E 101 sur toute procédure interne et en particulier juridictionnelle, mais elle y ajoute un cadre temporel (promptement) et nourrit la coopération en faisant peser clairement la charge de la preuve du non- respect des règles de détachement en matière de coordination des législations nationales de sécurité sociale sur l’administration qui conteste la validité du formulaire. La Cour en fait au point 78 de l’arrêt « des conditions cumulatives ».

Ces exigences complètent la solution déjà dégagée dans l’arrêt Altun19 et répétée ici, qui a admis une remise en cause des formulaires lorsque l’institution émettrice du formulaire, saisie d’une demande de réexamen et de retrait des certificats en cause, s’est abstenue de prendre en compte ceux-ci aux fins d’un réexamen du bien-fondé de la délivrance de ces certificats et n’a donc pas coopéré loyalement. (...) Il n’en reste pas moins que la fraude aux certificats de détachement existe bel et bien. La France, pays aux cotisations et contributions sociales élevées, est évidemment l’objet de ces pratiques, véritables fléaux pour les entreprises nationales ou étrangères respectueuses de la loi ainsi victimes d’une concurrence déloyale.

L’arrêt Vueling est également, et c’est aussi probablement une leçon à tirer, une invitation aux États membres à moderniser de façon concertée le contrôle de l’application des règles du détachement de sécurité sociale. (...)”

A l’inverse, pour Hervé Guichaoua13, qui rappelle que “la décision Vueling du 2 avril 2020 de la CJUE est radicalement opposée aux conclusions de l’avocat général”, “ la différence de philosophie et de sensibilité sur la façon la plus appropriée de lutter contre le travail illégal est remarquable et interpelle, d’autant que l’Union européenne, relayée par nombre de dirigeants politiques, insiste sur la nécessité de lutter efficacement contre le dumping social.”

12BJT mai 2020, n° 113m9, p. 12

13 Certificat de détachement frauduleux - arrêt Vueling du 2 avril 2020 de la CJUE -Commentaire paru sur son propre site internet

(12)

Selon lui, “1. (...) cette décision représente, dans son principe, et à tout le moins, un geste de défiance marquée à l’égard du juge national, et en tout état de cause à l’égard du juge français qui avait constaté, au plus haut niveau de l’ordre juridictionnel, l’existence, non seulement d’une fraude, mais d’un délit commis sur le territoire français par la compagnie Vueling.

Par ailleurs, la sémantique utilisée par la CJUE dans sa décision est en décalage complet avec les faits relevés par les services de contrôle et l’analyse du juge français, à la fois dans cette affaire et dans toutes celles où le certificat de détachement a été écarté ou à vocation à être écarté. Ainsi, la CJUE emploie le terme « d’indices » de fraude (par. 60, 61, 67, 68, 71, 72, 75, 77) ou de « doute » (par. 64, 66), alors qu’il s’agit de preuves factuelles. Le juge français ne condamne pas, notamment au pénal, sur la base de simples indices et encore moins lorsqu’il a des doutes.

.2 Le principal argument donné par la CJUE pour justifier le passage obligé par la procédure de demande de retrait du certificat de détachement est la volonté de garantir le principe de l’unicité de la protection sociale du salarié en mobilité transnationale. Mais ce principe peut être bien entendu garanti par le juge de l’État d’accueil et d’emploi qui dispose des aptitudes, des connaissances et des compétences pour statuer de façon éclairée sur le bien-fondé de la non affiliation de ce salarié au régime de sécurité sociale de cet État. De surcroît, il ne faut pas oublier que le certificat de détachement n’est pas demandé par le salarié à l’institution de sécurité sociale émettrice, mais par son employeur. Le salarié se voit donc remettre par son employeur un formulaire qui, dans les cas de fraude soumis au juge français, est un document contraint, voire imposé (ce qui est le cas de l’affaire Vueling, où par ailleurs le principe de l’unicité du régime de protection sociale français du salarié n’était pas respecté). Dans ces situations de fraude, le respect du principe de l’unicité du régime de protection sociale du salarié est le dernier des soucis de son employeur.

.3 La CJUE interdit au juge français de constater d’office l’existence d’infraction à la loi commise sur le territoire français, et, de façon plus générale, de veiller au respect de l’ordre public social. Alors que tous les éléments de l’infraction et de la fraude sont constitués, sa mission est bridée, voire empêchée, par la décision d’une instance administrative d’un autre État. Si cette instance administrative refuse de retirer ou d’annuler le certificat de détachement, le juge français est mis dans l’impossibilité de sanctionner une infraction qui existe.

.4 Le juge français est de fait substitué dans sa mission de contrôle de l’ordre public social par une institution de sécurité sociale située dans un autre État, qui n’a aucune légitimité pour le faire et qui ne connaît pas l’état du droit du travail français applicable au cas d’espèce, que ce soit la législation résultant des dispositions normatives ou la jurisprudence relative à la requalification contractuelle.

C’est cette instance administrative d’un autre État qui dira quel est le droit social applicable en France. Cette désappropriation du juge français sur ce sujet n’est pas concevable.

.5 La CJUE considère qu’une coopération loyale entre les deux institutions de sécurité sociale va nécessairement aboutir au retrait ou à l’annulation du certificat de détachement frauduleux par l’institution émettrice. Cette assertion et cette perspective ne sont pas réalistes.

Le dialogue entre les deux institutions est objectivement déséquilibré puisque la CJUE, dans son arrêt Alpenrind du 6 septembre 2018 (voir la décision et son commentaire), donne tout pouvoir à l’institution émettrice, qui a le dernier mot ; la commission administrative de coordination de sécurité sociale ne donne qu’un avis qui ne lie pas l’institution. Par ailleurs, l’institution émettrice est juge et partie dans la procédure de demande de retrait du certificat de détachement qu’elle a délivré, ce qui est peu favorable à la sérénité de l’examen de la demande. Enfin, l’institution émettrice n’a aucun intérêt financier à retirer le certificat de détachement, voire des dizaines ou des centaines pour certains dossiers de fraude à la prestation de services et au détachement.

(13)

Refuser de retirer ou d’annuler un certificat de détachement ne présente aucun risque, ni préjudice, pour l’institution émettrice.

Le juge français, qui est sommé d’attendre l’épilogue de ce dialogue déséquilibré pour statuer, et par suite les victimes de ces pratiques, vont ainsi se heurter à de nombreux refus de retrait de certificat de détachement injustifiés, tout aussi opposables que le formulaire.

.6 La procédure de demande de retrait du certificat de détachement est sommairement décrite par la CJUE, ce qui va ouvrir des perspectives de nouveaux contentieux, multiples et sans doute dilatoires, en complète contradiction avec la volonté de lutter efficacement contre le travail illégal et le dumping social.

Ainsi, la durée du délai d’examen de la demande de retrait du formulaire n’est pas précisée (par. 72)

; qui la détermine et l’apprécie ? Le formalisme de la demande de retrait n’est pas indiqué, pas plus que la qualité de celui qui peut en demander le retrait ; une caisse de retraite complémentaire, telle que la CRPNAC, a-t-elle qualité ? La CJUE n’exige pas que l’institution émettrice retire ou annule le certificat de détachement ; elle invite ladite institution à procéder un nouvel examen du bien-fondé de la délivrance du formulaire et, le cas échéant, à le retirer ou à l’annuler (par. 72).

Le juge français doit-il attendre la saisine de la commission administrative si l’institution émettrice refuse de retirer le formulaire, voire la publication de son avis, voire la réponse de l’institution émettrice après la publication de l’avis de la commission administrative ?

Autant de sujets que le juge français devra prendre en considération puisque la décision Vueling du 2 avril 2020 lui confie désormais la mission de s’assurer que l’institution émettrice du certificat de détachement s’est abstenue de procéder à un nouvel examen de la délivrance du formulaire et de prendre position, dans un délai raisonnable.

Est-ce à dire que cette formule, très elliptique dans sa rédaction, autorise le juge français à apprécier la loyauté de la coopération de l’institution émettrice, et à en tirer les conséquences?

.7 Le juge français ne disposera pas des moyens techniques et opérationnels pour assurer cette nouvelle mission, c’est-à-dire pour vérifier que telle institution de sécurité sociale lettone ou chypriote a fait correctement son travail. Concrètement, on voit mal comment il va procéder, sans évoquer, ce qui n’est pas anodin, la nature des actes et des outils juridiques qu’il devra mobiliser.

Cette nouvelle mission va ajouter des délais aux délais et ouvrir de nouvelles fenêtres de contentieux, retardant encore davantage la décision du juge.

.8 Le grand oublié, si ce n’est le grand perdant, de cette jurisprudence de la CJUE est le salarié prétendument détaché, qui n’est jamais cité ou mentionné comme acteur de cette procédure. Il est mis en possession, malgré lui, d’un document qu’il n’a pas demandé et qu’il ne peut pas contester personnellement et directement, alors qu’il lui fait grief. La reconnaissance de ses droits sociaux est en effet conditionnée par deux décisions administratives préalables qu’il ne maîtrise pas : d’une part, celle de l’institution française de sécurité sociale de saisir son homologue émettrice, et à supposer que l’institution française accepte d’accomplir cette démarche, ce qui n’est pas acquis ; d’autre part, celle de l’institution émettrice de retirer ou d’annuler le certificat de détachement. Ce n’est qu’après avoir levé ces deux obstacles que le salarié pourra obtenir du juge français une décision le rétablissant dans ses droits sociaux. À défaut, il en sera privé, quelle que soit l’évidence de la fraude dont il est victime.

Il est assez exceptionnel qu’un salarié ne puisse pas faire valoir personnellement et directement ses droits sociaux devant un juge, voire en soit privé.

(14)

.9 La CJUE doit encore statuer sur une autre question préjudicielle, en relation avec le chantier de l’EPR de Flamanville, posée le 8 janvier 2019 par la chambre criminelle de la Cour de cassation (voir la décision et son commentaire). La question soumise à la CJUE est de savoir si les effets de l’opposabilité du certificat de détachement s’étendent aux obligations sociales de l’employeur prévues par la législation du travail, et notamment à la déclaration préalable à l’embauche, dont le défaut est susceptible de constituer le délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié.

Une réponse positive de la CJUE obérerait encore davantage le dispositif juridique français de lutte contre le travail illégal et le dumping social.

.10 En conclusion, il est permis de regretter que la CJUE n’ait pas suivi les conclusions prometteuses de l’avocat général qui suggérait que le juge de l’État d’accueil et d’emploi soit compétent pour apprécier le bien-fondé de la délivrance ou de l’utilisation du certificat de détachement. Cette défiance a priori à l’égard du juge de l’État d’accueil et d’emploi n’est pas justifiée.

Les entreprises étrangères et leurs donneurs d’ordre français qui fraudent peuvent se réjouir d’une telle jurisprudence, qui offre des perspectives de contentieux multiples et sans fin pour se soustraire à leurs obligations sociales, et qui est de nature à décourager tous ceux qui sont impliqués dans la lutte contre le travail illégal et le dumping social et toutes les victimes de ces fraudes.

Il appartient à la France de peser de tout son poids dans les négociations en cours pour obtenir une modification des règlements communautaires de coordination de sécurité sociale afin de donner compétence au juge de l’État d’accueil et d’emploi du salarié détaché pour apprécier la pertinence de la délivrance ou de l’utilisation du certificat de détachement présenté comme frauduleux.”

Pour Laetitia Driguez14 également, “bien que compréhensible, cette conclusion laisse un sentiment de déséquilibre. La présomption de validité des certificats E101 ressort confortée, y compris en cas de fraude et l'employeur jouit en ce sens de ce qu'on pourrait nommer privilège du précédent qui, en cas de mauvaise application des procédures institutionnelles, lui restera favorable, y compris au détriment des salariés ou des organismes sociaux légitimes à percevoir des cotisations. Il aurait alors été souhaitable que la Cour compense cet avantage en encadrant davantage la procédure obligatoire, en donnant plus de gages de son efficacité, ce qui aurait pu passer par un encadrement strict du délai de réponse de l'institution émettrice. L'acceptabilité sociale de la décision rendue y aurait certainement gagné.”

Selon Konstantina Chatzilaou15, “l'arrêt Vueling va bien au-delà d'une simple confirmation de la jurisprudence antérieure. Il met au grand jour la difficile conciliation entre, d'une part, l'impérativité des règles de rattachement prévues par les règlements de coordination des systèmes de sécurité sociale et, d'autre part, la nécessaire coopération entre les institutions nationales compétentes. Il en résulte une décision empreinte de contradictions. Bien que la CJUE constate une fraude au droit de l'Union (I), elle adopte un raisonnement qui aboutit, in fine, à tolérer l'existence de cette fraude (II).”

(...)

On le voit, dans son arrêt du 2 avril 2020, la CJUE fait d'une pierre deux coups : en plus de considérer que le personnel navigant de Vueling aurait dû, en application du règlement n° 1408/71, être affilié au régime de sécurité sociale français, elle constate une fraude commise par la compagnie aérienne au droit de l'Union. Pourtant, ces constatations ne sont pas suffisantes pour permettre au juge

14JCP Europe n° 6, Juillet 2020, comm. 191

15Revue de droit du travail 2020 p.380- La lutte contre la fraude sociale éclipsée par le dialogue administratif À propos de l'arrêt CJUE 2 avril 2020, Vueling, aff. C-370/17 et C-37/18

(15)

français d'écarter les certificats et de soumettre les travailleurs concernés à la législation de sécurité sociale française. (...)

Ainsi, ceux qui s'estiment lésés dans leurs droits du fait de telles manœuvres sont confrontés à une double difficulté : outre qu'ils n'ont aucune prise sur le déroulement du dialogue administratif entre les institutions compétentes, leur accès au juge est subordonné à une éventuelle décision de retrait des certificats par l'institution émettrice ou, inversement, à une inertie totale de la part de celle-ci (62).Certes, comme l'avait observé la Commission européenne lors de l'audience, les travailleurs en question avaient la possibilité de saisir le juge de leur prétendu État d'origine, à savoir, en l'occurrence, le juge espagnol. Cependant, dans des circonstances telles que celles de l'affaire Vueling - où la plupart des travailleurs « détachés » habitaient et travaillaient en France et n'avaient jamais vécu en Espagne - cette possibilité apparaît largement illusoire. Il en résulte une grande difficulté, pour les travailleurs concernés, de faire valoir leurs droits devant le juge en cas de fraude, voire, comme l'avait soutenu l'avocat général, une atteinte au droit à un recours effectif (63).

(...) Plus généralement -, on peut s'étonner de la passivité attendue de la part du juge de l'État d'accueil face à une fraude au droit de l'Union européenne, alors que, dans d'autres décisions, la CJUE déclare avec force que les juridictions nationales doivent refuser aux opérateurs économiques le bénéfice de droits accordés par le droit de l'Union, lorsque ceux-ci sont invoqués de manière frauduleuse ou abusive (67). En définitive, plus que jamais, il est urgent que le législateur européen se ressaisisse de la question, pour restituer au juge national son rôle crucial dans la lutte contre la fraude sociale (68).”

Enfin, selon Hélène Nassom-Tissandier16, “la Cour de justice poursuit sans dévier la construction jurisprudentielle garantissant l'opposabilité du certificat E101 et renforçant, à l'excès, l'importance d'une telle procédure entre institutions administratives qui en viennent à avoir un rôle qui prime celui du juge national qui a pourtant, comme en l'espèce, réunit les preuves de la fraude et des éléments constitutifs de l'infraction. On ne peut s'en réjouir, les travailleurs détachés et leur protection étant très largement absents de la très longue démonstration de la Cour. Une autre interprétation des textes était possible (v. concl. av. gen. rendues le 11 juill. 2019).

Le contentieux semble inépuisable sur ce sujet. La prochaine étape sera la réponse apportée par la Cour de justice a la question préjudicielle posée par la Cour de cassation dans l'affaire de l'EPR de Flamanville (Cass. crim., 8 janv. 2019, n° 17-82.553) sur la constitution du délit de travail dissimulé en présence d'un certificat E101 frauduleux- donc l'impact de celui-ci sur l'application de la législation du travail et non plus de sécurité sociale.”

Ces critiques rejoignent celles de certains auteurs étrangers. Ainsi, Nicolas Rennuy17, professeur à la York Law School, est opposé au contrôle du certificat E101 par les autorités d'émission exclusivement et défend un transfert d'une partie du contrôle à l'État destinataire de la prestation.

Il considère que le système actuel est problématique car les certificats sont émis sans vérification, il existe un manque de coopération, l’État d'origine manque de raison d'incitation et de capacité pour contrôler ces certificats. Il ajoute que l’accès à un réexamen par le juge est souvent refusé dans le pays de destination et difficile dans le pays d’origine.

16Jurisprudence Sociale Lamy, n° 498, 18 mai 2020. Lutte contre le détachement frauduleux : la CJUE multiplie les obstacles

17 Posting of Worker : Enforcement, Compliance, and Reform ", Special Issue on the Future of Coordination of Social Security in the European Union, European Journal of Social Security, Vol. 22, Issue 2, June 2020, pp. 212-234

(16)

Selon un auteur espagnol18, la CJUE aurait pu retenir une interprétation plus souple du droit communautaire, dans la mesure où, lorsque la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu son arrêt, les échanges entre les administrations française et espagnole avaient déjà commencés. Il regrette que la Cour n'ait pas opté pour cette solution, préférant considérer comme pertinent le fait que la Cour de cassation ait statué " sans chercher à s'informer de l'état du dialogue initié entre l'institution émettrice espagnole et l'institution française compétente ni attendre l'issue de cette procédure " (§ 84). Il fait valoir que d'autres arguments en faveur d'une interprétation plus souple auraient pu être retenus par la CJUE : l'administration espagnole a mis plus de deux ans à répondre à la demande d'annulation ; elle y a répondu favorablement. L'auteur regrette que la CJUE ait choisi de faire prévaloir le retard - 4 ans - avec lequel l'autorité française a formulé sa demande. In fine, l'auteur estime que l'arrêt de la CJUE ne va pas dans le sens d'une certaine flexibilité dans l'application du droit communautaire en matière de coordination des systèmes de sécurité sociale car il continue de limiter dans une large mesure l'action des États membres d'accueil de travailleurs prétendument détachés afin d'établir l'existence d'une violation du droit communautaire constitutif de dumping social.

4.1.3 - La jurisprudence de la Cour de cassation relative aux certificats E101 depuis les arrêts A-Rosa et Altün de la CJUE

Tirant les enseignements des arrêts A-Rosa et Altün précités, la 2ème chambre civile a eu l’occasion de faire application des principes qu’ils dégagent. Ainsi, on peut citer : 2e Civ., 20 décembre 2018, pourvoi n° 17-21.706, diffusé

“Vu l'article 12 bis, point 1 bis, du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, et l'article 14, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1408/71, dans leur version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n°

647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, dans leur rédaction applicable au litige ;

Attendu qu'il résulte du premier de ces textes, tel qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 27 avril 2017, A- Rosa Flussschiff GmbH, C-620/15), qu'un certificat E 101 délivré par l'institution désignée par l'autorité compétente d'un État membre, au titre du deuxième texte, lie tant les institutions de sécurité sociale de l'État membre dans lequel le travail est effectué que les juridictions de cet État membre, même lorsqu'il est constaté par celles-ci que les conditions de l'activité du travailleur concerné n'entrent manifestement pas dans le champ d'application matériel de cette disposition du règlement n° 1408/71 ; que les institutions des États amenés à appliquer les règlements n° 1408/71 et 574/72, doivent, même dans une telle situation, suivre la procédure fixée par la Cour de justice en vue de résoudre les différends entre les institutions des États membres qui portent sur la validité ou l'exactitude d'un certificat E 101 ;

Attendu que pour valider le redressement, l'arrêt relève que, par des motifs qui sont le soutien nécessaire de la décision, le juge pénal a retenu que, dans les faits, la filiale slovaque STJ-SK après avoir mis à disposition de la société Transports Jeantet STJ des véhicules avec conducteur, perd toute maîtrise sur le transport qui lui est confié ; que les conducteurs salariés de la société slovaque,

18Eduardo Rojo Torrecilla, " UE. Nuevamente sobre la importancia de la intervención previa a la vía judicial de la comisión administrativa para la seguridad social de los trabajadores migrantes. ¿ Se combate realmente el dumping social ? Notas a la sentencia del TJUE de 2 de abril (asunto C-370/17 y 37/18), y recordatorio obligado de la jurisprudencia anterior ", note de blog.

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pendant le temps du transport, n'ont aucun contact avec elle, mais sont sous la totale dépendance de la société Transports Jeantet STJ laquelle ne leur donne pas seulement des directives générales mais toutes les directives nécessaires à l'exécution de leurs missions ; qu'en réduisant ses effectifs français à trois conducteurs, la société Transports Jeantet STJ s'est dans les faits privée des moyens de répondre aux commandes qui lui sont passées au point qu'elle est effectivement contrainte de recourir aux services de sa filiale slovaque dont la création n'a ainsi jamais eu pour objet de disposer d'une attache en Slovaquie afin de développer le transport dans les pays de l'Est, mais uniquement de prêter de la main-d'œuvre meilleur marché à sa société mère ; que si les conducteurs slovaques sont embauchés et licenciés par la filiale slovaque, apparaissant ainsi comme ses préposés juridiques, ils sont dans les faits, les salariés de la société Transports Jeantet STJ ; qu'il retient que l'analyse de la situation de détachement, au sens de la réglementation européenne qui constitue l'essentiel de l'argumentation de la société Transports Jeantet STJ, suppose le maintien d'un lien de subordination entre l'employeur du pays d'envoi et le salarié ; que la juridiction pénale, dont la décision a par nature autorité absolue de la chose jugée, ayant retenu l'absence de lien de subordination entre les chauffeurs concernés et la filiale slovaque, il ne pouvait donc exister de situation de détachement au sens de ces dispositions, de sorte que la validité des certificats de détachement n'a pas lieu d'être examinée ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle ne pouvait écarter les certificats E 101 en constatant que les conditions de l'activité des travailleurs concernés n'entraient pas dans le champ d'application matériel des dispositions dérogatoires définies à l'article 14, paragraphe 2, sous a), et qu'il incombait à l'URSSAF qui émettait des doutes sur le caractère sincère des documents produits d'en contester la validité ou d'en demander le retrait auprès de l'institution slovaque qui les avait délivrés, et, en l'absence d'accord sur l'appréciation des faits litigieux, de saisir la commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;”

- 2e Civ., 24 janvier 2019, pourvoi n° 17-20.191, publication en cours,

Sommaire : “Il résulte de l'article 11, § 1er, du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non- salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, de l'article 14, § 2, sous a), du règlement n° 1408/71, dans leur version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, de l'article 5 du règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, des principes de primauté et d'effectivité du droit de l'Union européenne et de l'article 88-1 de la Constitution qu'un certificat E 101 délivré par l'institution désignée par l'autorité compétente d'un État membre lie tant les institutions de sécurité sociale de l'État membre dans lequel le travail est effectué que les juridictions de cet État membre, même lorsqu'il est constaté par celles-ci que les conditions de l'activité du travailleur concerné n'entrent manifestement pas dans le champ d'application matériel de cette disposition du règlement n° 1408/71.

Dès lors, les institutions des États amenés à appliquer les règlements n° 1408/71 et 574/72, doivent, même dans une telle situation, suivre la procédure fixée par la Cour de justice en vue de résoudre les différends entre les institutions des États membres qui portent sur la validité ou l'exactitude d'un certificat E 101 .

En conséquence viole ces textes, la cour d'appel qui, pour rejeter la demande d'annulation du redressement de cotisations sociales, retient que la validité des certificats de détachement des

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