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Agriculture, alimentation et réchauffement climatique – A2C le site de l'agriculture de conservation

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Academic year: 2022

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Par Bruno Parmentier

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Table des matières

L’AGRICULTURE EST UNE DES PREMIERES VICTIMES DU RECHAUFFEMENT DE LA PLANETE ... 2

EN FRANCE, ON DEVRAIT POUVOIR SADAPTER A DES CONDITIONS SENSIBLEMENT DIFFERENTES ... 2

MAIS DES ETES CHAUDS PEUVENT AUSSI PROVOQUER DES PRODUCTIONS RECORD ... 5

LA PECHE RISQUE DETRE FORTEMENT COMPROMISE, PARTICULIEREMENT EN ZONES TROPICALES ... 9

L’AGRICULTURE DE NOMBREUX PAYS TROPICAUX SERA FORTEMENT MENACEE ... 13

Des cyclones plus violents ... 13

Les glaciers remplissent la mer et élèvent son niveau ... 14

Les déserts avancent ... 15

Les nappes phréatiques se tarissent ... 16

De nouveaux risques sanitaires ... 17

Une baisse des rendements des céréales, au Sud ... 18

MAIS L’AGRICULTURE MODERNE EST AUSSI UN ACTEUR MAJEUR DU RECHAUFFEMENT DE LA PLANETE, ET NOS HABITUDES ALIMENTAIRES AGGRAVENT FORTEMENT CETTE SITUATION ... 19

L’AGRICULTURE, ET SURTOUT LELEVAGE EMETTENT DE 20 A 25 % DES EMISSIONS DE GAZ A EFFET DE SERRE ... 19

NOUS AVONS DES HABITUDES ALIMENTAIRES FAITES DE GASPILLAGE, CE QUI AGGRAVE ENCORE CETTE SITUATION ... 23

Nous mangeons trop de nourriture produite loin de chez nous ... 24

Nous mangeons trop de viande et de produits laitiers ... 25

Nous gâchons énormément de nourriture dont la production a ponctionné beaucoup de ressources et émis beaucoup de gaz à effet de serre ... 26

L’AGRICULTURE PEUT AUSSI APPORTER DES SOLUTIONS EN FIXANT DANS LES SOLS LE CARBONE DE L’ATMOSPHERE ... 31

BILAN DU CARBONE SUR LA PLANETE ... 31

SEQUESTRER LE CARBONE DANS LA MER ... 32

CAPTER LE CARBONE A LA SOURCE... 33

ARRETER DE BRADER LE CARBONE DE NOS FORETS ... 34

FIXER DAVANTAGE DE CARBONE DANS LA BIOMASSE ... 37

Augmenter la taille et l’efficacité des forêts françaises ... 40

Implanter une agriculture agroforestière ... 41

Arrêter de labourer et développer les prairies permanentes ... 42

L’IMPERIEUX DEVOIR D’AGIR ... 43

POUR ALLER PLUS LOIN… ... 44

1Auteur de Nourrir l’humanité et Faim zéro (éd. La Découverte) et Manger tous et bien (éd. du Seuil), Administrateur de diverses ONG -Blog : http://nourrir-manger.fr/

AGRICULTURE, ALIMENTATION ET

RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE

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2 L’agriculture et le climat sont intimement liés et interdépendants. L’agriculture est ainsi triplement concernée par le phénomène actuel du réchauffement climatique, alors qu’elle devra fournir un effort considérable pour augmenter de 70 % sa production dans les prochaines décennies, pour faire face à la hausse de la population (nous devrions être plus que 9,5 milliards en 2050) et à celle des classes moyennes, qui se mettent à consommer de façon immodérée les produits animaux (viande, laitages et œufs). En fait, l’agriculture en est tout à la fois :

Victime : c’est une des activités humaines qui va le plus souffrir des effets du réchauffement, lequel compromettra gravement son développement dans de nombreuses régions du monde.

Cause : elle est un des acteurs majeurs de ce réchauffement, car elle émet à elle seule entre 20 et 25 % des gaz à effet de serre d’origine humaine.

Solution : elle détient un des seuls outils disponibles pour contribuer à résoudre le problème : la réduction de la teneur en gaz carbonique via sa fixation dans les arbres et le sol.

L’agriculture est une des premières victimes du réchauffement de la planète

L'agriculture est une activité qui au sens strict « occupe » la planète en utilisant à plein les éléments naturels (soleil, pluie, vent, température) ; elle est donc particulièrement sensible aux changements climatiques. Bien entendu, ce phénomène aura des conséquences dans les pays tempérés. Mais elles resteront néanmoins… tempérées ! Il n'en est pas de même en Afrique subsaharienne, au Moyen-Orient, ou en Asie, qui vont subir de plein fouet les conséquences de nos inconséquences : cyclones, canicules, avancée des déserts, inondation des deltas fertiles, baisse des rendements, augmentation du risque sanitaire etc.

Cela va rendre beaucoup plus difficile à atteindre l’objectif de tripler la production agricole en Afrique et de la doubler en Asie d'ici le milieu du siècle…

Notre mode occidental de vie, avec ses biftecks, ses 4/4 et son air conditionné, risque bien de faire avancer la faim dans le monde, ou tout du moins d'empêcher de la diminuer.

E

N

F

RANCE

,

ON DEVRAIT POUVOIR S

ADAPTER A DES CONDITIONS SENSIBLEMENT DIFFERENTES

L’agriculture française devrait pouvoir s’adapter, moyennant de nombreux ajustements. Ainsi le climat océanique qui baigne l’ouest de la France va disparaitre progressivement. Le tiers sud du pays souffrira de plus en plus de problèmes d’eau et d’étés beaucoup plus chauds. Les agricultures irriguées du sud des Alpes et du nord des Pyrénées vont souffrir, et les conflits pour l’utilisation de l’eau s’exacerber. Dans ces régions, la culture intensive du maïs irrigué sera menacée à terme. D'ici quelques décennies, quand il n'y aura plus d’eau l'été dans la Garonne, à l'image des rivières du sud-est, une bonne partie de l'agriculture du sud-ouest devra se transformer.

Dans les deux tiers nord de la France, on aura à la fois davantage d’eau l’hiver (et d’inondations), et davantage de sécheresse et de chaleur l’été. Le Bassin parisien ou le Pas de Calais devraient connaitre le climat actuel de Midi-Pyrénées, et on sera probablement obligé de mieux y gérer l’eau pour en stocker davantage l’hiver afin d’en disposer l’été

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3 (notamment dans le sol, via les techniques d’agroforesterie et de couverture permanente des sols, ou dans des retenues collinaires), et dans tous les cas de mieux l’économiser (par exemple via les techniques d’arrosage au goutte-à-goutte, y compris pour le maïs).

La première canicule hexagonale de l'année 2015 s’est produite avant la récolte de blé, une occasion de prendre conscience que même cette culture emblématique de la civilisation française peut être menacée. N’oublions pas que la canicule française de 2003 n’avait pas touché que les personnes âgées : elle avait également provoqué entre 20 % et 30 % de baisse de la production agricole. Plus généralement, on estime que la progression des rendements du blé et du maïs a été amputée respectivement de 5,5 % et de 3,8 % entre 1980 et 2010, à cause des vagues de chaleur et de la modification des régimes pluviométriques. Ce phénomène va se poursuivre et s’accélérer et ce sont les régions tropicales qui vont souffrir le plus. Les experts estiment néanmoins que dans les pays industrialisés, les effets positifs pourraient dominer, grâce par exemple à la mise en culture d’une partie de la Sibérie et du Nord canadien, et que la production totale des pays développés pourrait augmenter de 5 à 10 %.

On va probablement assister à un développement important des maladies cryptogamiques ou fongiques (causées par des champignons parasites) : rouille, oïdium, tavelure, mildiou, gravelle, fusariose... et par des attaques de parasites tropicaux, sans savoir si nous trouverons rapidement des parades efficaces et sans danger. Par exemple, on a vu depuis 2014 que la production européenne d’huile d'olive (qui représente 73 % du total mondial), est extrêmement menacée par des attaques bactériennes et d’insectes parasites favorisées par une succession d'été chauds et humides. De même, des arbres qu’on croyait durablement installés et emblématiques dans leurs régions, comme les palmiers de la Côte- d’Azur ou les platanes de Midi-Pyrénées, commencent à subir les attaques dévastatrices du charançon rouge tropical ou du chancre coloré. Le buis lui-même, qui ornait les jardins « à la française » depuis des siècles, semble menacé par la pyrale.

L'élevage français souffrira aussi, de la chaleur bien sûr, et de la raréfaction du fourrage en cas de déficit ou d’excédent d’eau au printemps. C’est ainsi qu’en 2003, puis en 2011, on a manqué gravement de fourrage et que, faute de mieux, les agriculteurs se sont solidarisés pour transporter des milliers de tonnes de paille issue des zones céréalières vers les zones d'élevage. La paille est un aliment pauvre en sucres solubles, en matières azotées, en minéraux et en vitamines, encombrant et peu digestible, mais elle permet de faire face au plus pressé, en y ajoutant des compléments alimentaires. On a utilisé également au maximum les sous-produits de l’industrie agro-alimentaire (pulpes de betteraves, lactosérum, drêches de brasserie, pommes, carottes, pommes de terre), une pratique qui pourrait devenir courante.

Mais le risque le plus important pour l'élevage est le risque sanitaire, car plus il fera chaud, plus on aura droit à toutes les maladies des pays chauds. Dans son rapport d'avril 2005, l’AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments)2 identifiait déjà six

2L’AFFSA est maintenant devenue ANSES, Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail www.anses.fr/ Le rapport est disponible à l’adresse :

https://www.anses.fr/fr/system/files/SANT-Ra-Rechauffementclimatique.pdf

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4 affections dont l'incidence est susceptible d'être modifiée par le changement climatique (cette liste n’est pas exhaustive3) :

 La fièvre catarrhale ovine, ou maladie de la langue bleue, propagée par un diptère suceur de sang, qui progresse nettement ces dernières années sur le pourtour méditerranéen ; on estime que l'augmentation de 1 °C de la température moyenne permet à l'espèce de remonter de 90 km vers le nord et de 150 m d'altitude. Cette fièvre peut tuer de 2 % à 30 % des animaux infectés. En 1956 elle a tué 200 000 animaux en Espagne et au Portugal. En 2006-2008, elle est remontée dans le nord de l’Europe (Allemagne, Pays-Bas, Belgique, et, en France le Nord-est et le Pays basque), où elle a tué plusieurs milliers d’animaux.

 La peste équine se transmet selon un schéma proche mais tue, actuellement, 90 % des animaux infectés ; elle est pour le moment cantonnée en Afrique centrale et Afrique du Sud. En Europe, la maladie a pour le moment été éradiquée depuis 1991 grâce à de nombreuses vaccinations mises en place en Espagne et au Portugal, les deux pays touchés.

 La fièvre de la vallée du Rift se transmet par différentes espèces de moustiques susceptibles de remonter en Europe avec le réchauffement ; endémique en Afrique, elle peut également affecter l'homme, comme en 1977 où elle a touché 200 000 personnes en Égypte, dont 598 sont mortes.

 Tout aussi dangereuse, la fièvre du Nil occidental, également transmise par des moustiques après incubation sur des oiseaux migrateurs venant d’Afrique. Elle a été repérée durant l’année 2000 en Camargue, où elle a tué 21 chevaux. En 2003, 2 chevaux ont succombé dans le Var et 7 humains ont été infectés. Depuis, elle a frappé au Canada, en Grèce, en Russie et aux Etats-Unis…

 Autre maladie qui prend de l’ampleur avec le changement climatique, la leishmaniose. Transmise par des diptères, elle se développe très rapidement en Afrique du Nord et touche désormais régulièrement les canards du sud de la France. Les hommes qui sont piqués développent des boutons provoquant des lésions irréversibles. Non soignée, cette maladie devient mortelle. On enregistre actuellement de l’ordre de 2 millions de nouveaux cas humains par an, répartis dans 88 pays.

 Enfin, la leptospirose, véhiculée par une bactérie présente dans l'urine des rongeurs, pourrait se diffuser dans les cours d'eau durant les années où il ne gèlera pas suffisamment. En 2003, on a enregistré en France 37 hospitalisations et 2 décès. On estime à plus de 500 000 le nombre de cas sévères de leptospirose par an dans le monde avec un taux de mortalité supérieur à 10 %...

Et ne parlons pas des risques de voir les invasions de criquets se répandre au nord de la Méditerranée, avec les désastres écologiques que provoquent ces nuages de dizaines de millions d’insectes qui peuvent parcourir 200 Km en une journée, dévastant la flore naturelle et les champs cultivés !

3 Extrait de mon ouvrage Nourrir l’humanité, les grands problèmes de l’agriculture mondiale au XXIe siècle, éditions La Découverte.

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M

AIS DES ETES CHAUDS PEUVENT AUSSI PROVOQUER DES PRODUCTIONS RECORD

L'homme n'a pas dit son dernier mot, et on trouvera certainement des variétés génétiques de plantes qui résisteront davantage aux nouvelles conditions atmosphériques (chaleur, sécheresse, humidité).

On pourra également adapter nos pratiques culturales : arrosage au goutte-à-goutte, couverture permanente des sols, agro foresterie, etc. De même pour les animaux : par exemple les troupeaux laitiers issus du croisement de zébus Gir indiens avec des vaches hollandaises Prim’holstein (race Girolanda) se révèlent à la fois productifs et résistants à la chaleur au Brésil4. Sans compter que mettre les vaches à l’ombre, via l’agroforesterie, a fait ses preuves depuis longtemps, par exemple en Normandie où elles se regroupent spontanément sous les pommiers aux heures chaudes de la journée !

Si l’on met au point des protections sanitaires efficaces dans les pays européens, on peut également assister à un fort développement de la production, preuve que rien n’est joué. Car, si les plantes disposent de suffisamment d’eau, davantage de soleil peut signifier aussi davantage de photosynthèse. Passons en revue certaines productions emblématiques de l’agriculture française :

Là où le maïs disposera d’assez d’eau, on pourra espérer une bonne production, car cette plante originaire d’Amérique centrale tropicale humide supporte soleil et chaleur.

Mais, contrairement au blé qui, sous nos latitudes « boit quand il pleut » (entre mars et mai), elle a besoin d’eau en juillet-août5. En conséquence, sans eau l'été, plus de maïs ! Il est donc probable que cette culture sera menacée dans le sud-ouest, sauf variétés moins gourmandes en eau, ou irrigation au goutte à goutte. Le plus raisonnable risque d’être le passage à une autre plante tropicale, mais provenant du tropique aride, le sorgho, qui a naturellement moins besoin d’eau l’été.

La situation du blé, plante originaire de pays plus tempérés, est fort différente, car elle supporte mal la grande chaleur et risque de voir sa production baisser. En effet, au-delà de 25°C les grains risquent « l’échaudage » (arrêt plus ou moins total de leur remplissage ou de leur maturation, ce qui conduit à des grains ridés et de faible poids spécifique). D’après l’institut de recherche Arvalis, chaque jour où les températures maximales excèdent 25°C peut pénaliser les rendements de l’ordre de 1,5 quintaux/hectare. Rappelons que, rétrospectivement, ce phénomène est considéré comme une des causes principales du déclanchement de la Révolution française !

La vigne, elle, déjà menacée en Espagne et en Italie, va progressivement remonter d’Europe du sud à l’Europe du nord. En Languedoc, dans le Bordelais et dans la vallée du Rhône, on note une augmentation du taux d’alcool, signe de grande chaleur. Il faudra probablement autoriser une certaine irrigation, pratique quasiment interdite en France, sauf

4La chaleur stresse les vaches des pays tempérées… ce qui provoque une restriction de la production de lait lors de chaque vague de chaleur. Dans le sud de l’Europe la perte peut aller jusqu’à 5,5 kilos par vache et par jour, et en Bretagne 2 kilos.

5Il faut considérer que les plantes consomment énormément d’eau pour pousser : la sève n’y monte que par capillarité, ce qui suppose que le haut de la plante soit sec. Donc, sans transpiration, pas de capillarité. Le ratio moyen est le suivant : il faut fournir une tonne d’eau pour produire un seul kilo de céréales ; quand on passe du blé au maïs dans les régions où il ne pleut pas l’été, il faut donc conserver l’eau de pluie du mois de janvier à mars (dans le sol ou des réserves collinaires) pour la mettre à disposition de la plante en juillet-août.

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6 pour les « vins de pays », et procéder à certaines adaptations génétiques, car l’échaudage, ou « grillage », affecte les grappes de raisin au cours des journées très chaudes d'été, qui font que les baies se flétrissent et se dessèchent sous l'action de la sécheresse et de l'insolation. En revanche en Champagne6, en Bourgogne et dans la vallée de la Loire, on devrait voir la production augmenter à la fois en qualité et en volume. Mais de nouveaux concurrents vont apparaître… par exemple en Angleterre, Belgique ou Danemark, voire même en Suède et en Norvège.

Evolution de la limite nord de la culture de la vigne en Europe avec le réchauffement climatique Une production aussi spectaculaire que celle de la forêt landaise, la plus grande forêt d’Europe, mérite d’être réévaluée de près. Notons que le nom de cette région, les Landes, montre bien que ce n’était pas historiquement une zone forestière. Dans cette région de végétation herbacée et de marais, on pratiquait l'élevage extensif de moutons, au milieu des moustiques, et on avait même inventé les échasses pour que les bergers ne se mouillent pas trop les pieds. C'est alors qu'on a trouvé un produit de substitution prodigieux : le pin maritime, qui pousse facilement dans cette zone sablonneuse grâce à ses racines horizontales, ce qui a permis d'assécher les marais et d'assainir la région. Mais il s’agit d’une production « en dur » et de long terme, et il faut compter une quarantaine d'années avant de récolter le bois (car dorénavant, la récolte de la sève pour l'industrie chimique est passée de mode). En revanche, la situation de cette région, adossée à l'océan Atlantique avec des vents dominants de l'ouest, la rendent particulièrement sensible aux tempêtes. Celles de décembre 1999, Lothar et Martin, ont détruit près de 30 % des pins, et Klaus, 10 ans plus tard, en janvier 2009, a abattu plus de la moitié de ce qui restait. Qui va croire, avec le réchauffement de la planète, qu’il n'y aura plus de tempête dans les Landes dans les 40 ans qui viennent et qu'on pourra récolter sans problème les arbres qui ont été replantés après

6Les rendements du vin à Reims ont augmenté de 30 % depuis 2050, et le taux d’alcool de 1°, tandis dans le Languedoc les crus ont pris 2 à 3° d’alcool en 20 ans, d’après Valérie Laramée et Yves Leers, Menace sur le vin : les défis du changement climatique, Buchet-Castel 2015

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7 Klaus ? La menuiserie est donc maintenant sérieusement menacée dans cette région. Il faudra probablement y relire nos classiques comme la fable du Chêne et du roseau, et y produire dorénavant des plantes qui « plient mais ne rompent pas », comme les taillis à croissance rapide destinée à produire des agrocarburants de deuxième génération…

Le chêne et le roseau, de Jean de La Fontaine Le Chêne un jour dit au roseau :

Vous avez bien sujet d'accuser la Nature ; Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.

Le moindre vent qui d'aventure Fait rider la face de l'eau, Vous oblige à baisser la tête.

Cependant que mon front, au Caucase pareil, Non content d'arrêter les rayons du soleil, Brave l'effort de la tempête….

Votre compassion, lui répondit l'Arbuste, Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci.

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables.

Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans courber le dos ;

Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots, Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.

L'Arbre tient bon ; le Roseau plie Le vent redouble ses efforts, Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

D’une manière générale, les forêts sont à l’aube d’une gigantesque mutation en Europe. D’ici la fin du siècle, la Normandie, aujourd’hui couverte de hêtres, pourrait bien devenir la patrie des pinèdes. Ayant besoin de beaucoup d’eau, le hêtre se montre peu résistant à la sécheresse et s’avère incapable de lutter contre l’augmentation du gaz carbonique. Au cours du XXIe siècle, cette espèce risque donc fort de migrer vers le nord-est de la France, puis de l’Europe. Le chêne-vert, lui, déserterait la Provence pour s’imposer en Bretagne et les derniers pins montagnards gagneraient les plus hauts sommets. On sait que de telles « migrations d’arbres » se sont déjà produites dans le passé : nord-sud lors des refroidissements, puis sud-nord lors des réchauffements. Elles sont beaucoup plus problématiques que celles des oiseaux, en particulier parce qu’elles sont très lentes (de l’ordre de quelques centaines de mètres par an) et que les « conditions naturelles » se sont beaucoup dégradées. L’action humaine peut faciliter cette migration, mais, concernant la biodiversité, l’homme est loin de maîtriser l’ensemble des paramètres permettant une bonne adaptation des espèces à un nouveau milieu.

Par ailleurs, les phénomènes liés à l’arrivée du printemps surviennent en moyenne deux à trois jours plus tôt à chaque décennie. Par exemple, les arbres fruitiers de la vallée du

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8 Rhône fleurissent entre une et trois semaines plus tôt depuis ces dernières trente années.

De même, dans la même région, la date des vendanges a avancé de 19 jours en 50 ans.

Enfin, les arbres gardent plus longtemps leurs feuilles. Le problème est de s’assurer que l’ensemble des paramètres écologiques maintiennent leur calendrier à la même vitesse car par exemple si les arbres fleurissent avant que ne commencent à travailler les insectes qui les fécondent, il y aura problème, sans parler du risque accru d’exposition aux coups de gel tardifs.

Prenons un autre exemple particulièrement significatif : la pomme de terre.

Originaire des hauts-plateaux andins, froids et secs, elle supporte mal les étés chauds et humides. Elle est alors très sensible à une maladie « cryptogamique » causée par un microorganisme, qui attaque également, entre autres, la tomate et la vigne : le mildiou.

Celui-ci se manifeste par des taches brunes ou une apparence de moisissures blanches et cotonneuses, suivies d'un flétrissement général de la feuille, puis de toute la plante. Le tubercule atteint pourrit rapidement, tout en dégageant une odeur désagréable et forte.

Dans une période relativement récente, le mildiou tuait ! Le cas le plus spectaculaire se produisit en Irlande entre 1845 et 1848 quand la production de pommes de terre, aliment de base de la population, dégringola de 14 000 à 2 000 tonnes. Les décès par anémie, malnutritions et sous-nutritions engendrèrent une épidémie de choléra, que les colons anglais traitèrent avec une attitude surréaliste. Ils expulsèrent les paysans incapables de payer l’impôt sur leurs terres, refusèrent d’utiliser les réserves alimentaires de l’armée, et maintinrent les exportations irlandaises de nourriture : des convois de nourriture appartenant aux landlords, escortés par l'armée, continuaient à partir vers l'Angleterre. Pire, ils refusèrent ou diminuèrent l’aide internationale. Résultat, l’Irlande passa de 8 millions à 4 millions d’habitants ; on estime que près de 2 millions de personnes périrent, et qu’autant émigrèrent aux Etats-Unis, mais aussi en Australie, en Nouvelle Zélande et au Canada.

Aujourd’hui, la haine de certains Irlandais envers les anglais est restée vivace.

Désormais, on sait traiter le mildiou, et on ne risque donc plus la famine. Y compris en agriculture biologique, où les fongicides à base de sulfate de cuivre ou d’iode, ou encore de bicarbonate de soude, avec du savon à vaisselle, font merveille, sans oublier les fongicides de synthèse pour les non bios.

Mais… un nouveau phénomène se fait jour lors des étés chauds et humides, comme celui de 2014 : l’augmentation de la productivité à l’hectare, aux conséquences également désastreuses, non plus pour la vie des consommateurs, mais pour les revenus des producteurs. En effet la plante, lorsqu’elle n’est plus attaquée, profite largement de ces conditions climatiques qui lui permettent un meilleur développement.

Dans l’Irlande du XIXe siècle, la productivité à l’hectare était de l’ordre de 3 tonnes (et, en 1846, elle était tombée à seulement 1 tonne). Entre 1960 et 1990, en France, le rendement moyen était déjà passé de 20 à 33 tonnes. En 2000 il avait encore grimpé à 42 tonnes. En 2014, année chaude et humide, on a dépassé les 50 tonnes en France, et même les 56 tonnes en Belgique !

On peut ainsi mesurer les progrès accomplis par l’agriculture : actuellement l’agriculteur qui sème 2 tonnes de pomme de terre en récolte 25 fois plus (en moyenne, car certains affichent des pointes à 40 fois plus). Rappelons que, pour le blé, on en est déjà à un facteur 80 : 100 kilos de semence, 8 tonnes de récolte, soit de quoi faire 38 000 baguettes sur un seul hectare.

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9 Mais le problème est que la pomme de terre, contrairement au blé, ne peut pas être conservée d’une année sur l’autre. Du point de vie de sa commercialisation, elle ressemble davantage à un légume : une mauvaise récolte ou une légère baisse de la production provoque une envolée des prix, tandis qu’à l’inverse, les prix chutent brusquement les

« bonnes » années, surtout si les cours soutenus les années précédentes avaient incité les producteurs à augmenter les surfaces de production. Dans les pays producteurs du nord- ouest européen, la production totale est passée en 2014 de 24,2 millions de tonnes à 28,6 (+

18 %), alors que la demande n’a absolument pas bougé. Résultat, le prix de vente de la pomme de terre de consommation, qui était de l’ordre de 300 € la tonne en 2012, et de 200 € en 2013, est tombé entre 35 et 90 € la tonne fin 2014, ce qui parfois ne paye même plus le coût de la récolte. Preuve que tout reste possible avec le réchauffement climatique : la ruine des paysans… ou celle des consommateurs.

Cependant, au prix d’un certain nombre de changements de pratiques agricoles ou de types de production qu’il est maintenant urgent de mettre en œuvre, rassurons-nous donc : la faim n’est quand même pas prête de menacer les Français.

L

A PECHE RISQUE D

ETRE FORTEMENT COMPROMISE

,

PARTICULIEREMENT EN ZONES TROPICALES

Les animaux à sang froid sont très sensibles aux modifications de la température puisqu'ils sont incapables de la réguler eux-mêmes ; tous leurs processus fondamentaux tels que la reproduction, la croissance, la maturation et la migration en sont fortement dépendants. L'augmentation de la température de l'eau se traduit par une diminution de la quantité d'oxygène qu'elle contient, ce qui conditionne purement et simplement la survie des poissons. En ce qui concerne les fleuves, ces phénomènes sont toujours amplifiés par d'autres changements, tous directement imputables à l'homme : surpêche, aménagements des cours d’eau, pollutions, dégradation de l’habitat, introductions d’espèces, fragmentation liée aux barrages, etc.

Il faut prendre conscience que dorénavant, la plupart des espèces de poissons migrateurs effectuant leur cycle de vie entre la mer et la rivière sont en danger. En 2015 par exemple, les Américains ont constaté une baisse de moitié de la population de saumons dans le fleuve Columbia7. Cela nous rappelle qu'il n'y a pas si longtemps, les rivières françaises regorgeaient elles-aussi de saumons, à tel point que l'on précisait dans certains règlements d'entreprise que le patron ne pouvait pas servir du saumon à la cantine plus de trois fois par semaine. On estime que les petits fleuves côtiers bretons produisaient 4 millions de tonnes de saumon au début du XXe siècle !8

Aujourd’hui les Suisses, par exemple, s’inquiètent sérieusement du devenir de leurs truites9. Par rapport à la nourriture des populations locales en Europe, ces disparitions restent néanmoins anecdotiques, car cette activité est dorénavant essentiellement récréative et non plus alimentaire.

Mais il y a plus grave, les menaces sur le poisson de mer. Sans parler de la surpêche, phénomène largement incontrôlable et tout à fait dramatique (voir encadré), on observe

7http://ur1.ca/nkq0r

8Article Saumon atlantique de Wikipédia

9http://ur1.ca/nkq13

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10 trois facteurs limitants dus aux conditions atmosphériques : migration, réduction de la taille et augmentation de la toxicité. Le tout risque fort de faire disparaître purement et simplement la majorité de la ressource halieutique. Il ne nous restera plus que le poisson d'élevage…

Surpêche et réchauffement climatique se conjuguent pour faire disparaître le poisson Une bonne partie de la pêche mondiale s’effectue au sein d’un monde sans foi ni loi.

En effet, à 800 km des côtes, on ne trouve pas beaucoup de policiers mais plein de bateaux immatriculés dans des paradis fiscaux, avec des équipages internationaux dépourvus de protection sociale, parfois réduits à l’état d’esclaves. Ce n’est pas la pêche hors quota qui les impressionne beaucoup. On ne parle pas là de petits pêcheurs artisanaux qui poussent leurs barques sur la plage. En 1970, quelques 600 000 navires marins avec pont (la plupart avec moteur à l’intérieur) étaient immatriculés, et aujourd’hui plus de 2 millions, dont 70 % en Asie. Les chalutiers industriels, qui ne représentent que 1 % de cette flotte, ramènent la moitié des prises, et l’essentiel des 20 à 40 millions de tonnes gaspillées (espèces non ciblées, mammifères marins, tortues, oiseaux de mer, poissons trop petits, etc., qui sont rejetés morts, sans être commercialisés ni consommés). En particulier, ils pillent les côtes des pays peu équipés pour se défendre dans les instances internationales, dont celles des pays africains. La plus grosse « usine à poisson » du monde, le Lafayette, a une longueur de 228 mètres, jauge 50 000 tonnes et peut « traiter », à l’aide de ses 320 hommes d'équipage et de ses 50 chalutiers associés, jusqu'à 1 500 tonnes de poisson par jour !

On a consommé 158 millions de tonnes de poisson en 2013, contre 18 millions en 1950 (dont 91 venaient de la pêche et 67 de l’aquaculture, laquelle utilise beaucoup de poissons pêchés, utilisés pour nourrir les poissons élevés). Croire qu’on peut prélever une telle quantité de ressources halieutiques sans s’occuper sérieusement du renouvellement, et sans dépeupler la mer, est une opinion bien naïve ! Le poisson de mer est en fait tellement menacé qu’il est proche d’être condamné.10 Certains états s’en préoccupent et tentent d’établir des réglementations internationales, qui, sous la pression des lobbies, sont souvent trop laxistes, et qui de toute façon sont loin d’être respectées.

Pourtant l’histoire est là pour nous rappeler les conséquences de nos inconséquences. En 1945, on a pêché jusqu’à 235 000 tonnes de sardines au large de Monterey, Californie, faisant tourner les 30 conserveries qui avaient transformé cette ville en capitale mondiale de la sardine… Cette activité a subitement et définitivement disparue11 : déjà les prises de 1948 ont à peine atteint 15 000 tonnes. Et il y a longtemps qu’il n’y a plus de conserverie dans cette ville, qui s’est transformée, mais un peu tard, en centre d’une zone de protection maritime ! Les pêcheries de morue/cabillaud de Terre-Neuve au Canada, qui se sont effondrées en 1993, ne s’en sont pas remises non plus.

Aujourd’hui, 29 % des espèces de poissons et crustacés sont en passe de s’éteindre, et 90% de la population des grands poissons (thon, maquaire, requin, cabillaud et flétan) a

10Voir Atlantico : « Idées de menus pour océans en danger : la liste des poissons que vous pouvez manger sans contribuer à leur disparition », du 18 juillet 2014, ou « Préserver les océans, la clé pour nourrir la planète ? » du 19 octobre 2014, ou encore « Accepterez-vous de manger du faux poisson pour sauver l'environnement ? », du 29 janvier 2015, ou mes contributions présentées sur mon blog http://nourrir-manger.fr/

11John Steinbeck a fort bien décrit cette catastrophe dans son roman « Rue de la sardine »

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11 déjà disparu. Ce phénomène est encore largement accentué par le réchauffement climatique12. La morue de l’Atlantique nord semble avoir atteint le point de non-retour. Le thon rouge, lui, fait l’objet d’une attention particulière ; alors que l’on ne devrait pas en pêcher plus de 15 000 tonnes par an, les quotas internationaux sont fixés de façon tout à fait excessive (32 000 tonnes en 2005, 28 500 en 2008, 22 000 en 2009, et on prévoit 23 000 tonnes en 2017), sans parler des quantités réelles atteintes (probablement deux à quatre fois ces limites).

Malgré le fait que les eaux de surface des océans se réchauffent trois fois moins vite que les milieux terrestres, les mouvements y sont très rapides, en moyenne de 75 Km par décennie, car il y est plus facile pour les organismes vivants de s’y déplacer pour retrouver des eaux plus fraîches. Ceci n’est qu’une moyenne : le phytoplancton migre actuellement à la vitesse incroyable de plus de 400 km par décennie, et certains poissons osseux comme la morue ou le zooplancton invertébré de plus de de 200 km. Même les crustacés, les mollusques et les algues vivant au fond de la mer franchissent plusieurs dizaines de kilomètres par décennie (alors que les animaux terrestres migrent en moyenne de 6 km au cours de cette période)13. Mais cette fuite en avant aura une fin : on ne pourra pas stocker tous les poissons de l'océan près des pôles. De plus, les coraux des mers tropicales, qui eux ne peuvent pas bouger, ne pourront donc plus servir de nourricerie pour les poissons brouteurs ; il faut donc s’attendre à de graves difficultés pour la pêche tropicale qui est une source essentielle de nourriture pour les pays du sud (et pour ceux du nord qui vont y piller la ressources avec leurs bateaux usines). Alors qu’ils sont aujourd’hui des capteurs nets de carbone atmosphérique, les récifs coralliens pourraient devenir émetteurs dès 2030.

Le manque d'oxygène devrait également diminuer le développement et donc la taille des poissons, dans une fourchette comprise entre 14 et 24 % d'ici 205014.

De plus, le quart du CO2 émis par les activités humaines (25 millions de tonnes par jour) est absorbé par les océans. Avec le réchauffement, l’océan en absorbe davantage, ce qui est en soi une bonne chose… sauf que cela accentue l’acidité des eaux. Cette dernière a augmenté de 30 % depuis le début de la période industrielle, il y a 250 ans15. Si, comme il est prévu, ce phénomène s'accélère au cours des 4 prochaines décennies, elle pourrait augmenter de 120 % d'ici à 2060, soit un niveau supérieur à ceux qu'a connu notre planète au cours des 21 derniers millions d'années16. Or, les précédents épisodes d'acidification de l'océan ont donné lieu à des extinctions massives d'espèces17.

D’ores et déjà, de nombreux organismes fabriquant un squelette ou une coquille calcaire ont été affectés, comme les moules et les huitres. Mais il y a plus grave : la disparition des coraux, où vivent 30 % des poissons et qui protègent les côtes de la houle et des tempêtes : ils blanchissent, puis s’effondrent rapidement. Cela a commencé par les coraux les plus superficiels, qui ont diminué de moitié dans les trente dernières années, mais

12 Voir « Comment nos menus vont (rapidement) évoluer à cause du dérèglement climatique » dans Atlantico du 3 août 2015

13 Voir dans Le Monde du 10/8/2013 Pierre Le Hir : Avec le réchauffement, les espèces marines migrent vers les pôles.

14 Voir dans Le Monde du 1/10/2012 : Le changement climatique va réduire la taille des poissons ? 15Le PH moyen des eaux de surface est passé de 8,2 à 8,1

16Voir le projet EPOCA (European project on ocean acidification) : http://ur1.ca/nkq0h

17Il y a 250 millions d’années, d’intenses éruptions volcaniques intenses ont acidifié les océans, et on estime que 95 % des espèces sous-marines ont disparu.

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12 d'ici 2100, 70 % des coraux profonds se trouveront également baignés dans des eaux corrosives pour leur squelette.

Changements attendus pour les poissons vivant au sein d'une région définie (encadré rouge) dans le futur, en fonction de la latitude et de la profondeur. À la suite de la réduction de la concentration en oxygène dissout dans l’eau causée par le réchauffement climatique, les poissons pourraient devenir plus petits et migrer vers

les pôles18.

Mais ce n'est pas tout : lorsque les eaux se réchauffent19, les poissons absorbent davantage les polluants, et en particulier le mercure, lequel se concentre tout du long de la chaîne alimentaire. Rappelons que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) met en garde contre leur consommation excessive, plus particulièrement de ceux qui se nourrissent d’autres poissons, accumulant alors les produits toxiques ingérés par leurs proies20. L’espadon, le marlin, le siki, le requin et la lamproie sont maintenant fortement déconseillés à la consommation.

18 Quentin Mauguit, Futura-Sciences : http://ur1.ca/nkq01 © adapté de Cheung et al. 2012, Nature Climate Change

19http://ur1.ca/nkpzo

20 Chaque gros poisson multiplie par 10 la concentration stockée dans la chair de ses proies ; en bout de chaîne, de chaine, on peut donc avoir des concentrations multipliées par 100, 1 000 ou 10 000 !

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13

L’

AGRICULTURE DE NOMBREUX PAYS TROPICAUX SERA FORTEMENT MENACEE21

Le problème du réchauffement climatique sera particulièrement grave dans les pays tropicaux. D’après les experts22, les pays les plus menacés par le réchauffement climatique sont, dans l’ordre : Bangladesh, Inde, Madagascar, Népal, Mozambique, Philippines, Haïti, Afghanistan, Zimbabwe et Birmanie. Tous sont des pays qui connaissant déjà largement la faim. Or les deux zones critiques, où il faudra augmenter le plus la production, sont justement celles qui seront le plus touchées par les effets du réchauffement : l’Afrique subsaharienne, qui doit impérativement tripler sa production alimentaire et l’Asie qui doit la doubler, particulièrement la péninsule Indo-pakistanaise.

Cela suppose de faire à la fois des investissements considérables d’amélioration et d’adaptation des agricultures tropicales, et de continuer à augmenter la production dans les zones comme l’Europe, où l’on se nourrit déjà correctement et où on ne fait plus d’enfants.

Dans les deux cas, deux grands types de solutions peuvent être mis en œuvre : celle qui est à la mode en Amérique, les OGM, technologie qui est à peine au début de son développement, et celle que l’on doit mettre impérativement en œuvre en Europe (puisque l’on y refuse les OGM) : l’agroécologie, ou agriculture écologiquement intensive23, qui consiste à intensifier les processus écologiques, comme avant on intensifiait les processus chimiques et mécaniques. Le but est d’arriver à produire au moins autant mais avec beaucoup moins d’intrants dans les pays d’agriculture efficace comme la France, et de profiter des forces considérables de la nature pour augmenter de façon importante la productivité dans les pays tropicaux, avec des méthodes à faible intensité de capital et faible ponction sur les ressources naturelles.

Des cyclones plus violents

Une des premières conséquences du réchauffement climatique est la hausse de la température des eaux des mers tropicales, qui est le moteur de la puissance des cyclones (appelé aussi ouragans dans l’Atlantique Nord et typhons en Asie). Ces phénomènes météorologiques extrêmes sévissent depuis toujours dans les zones tropicales. Pour qu’ils se forment, il faut être suffisamment éloigné de l’Équateur, mais avec une mer à plus de 26°C sur 50 m de profondeur. L’air, sur une très grande zone, se met alors en rotation de plus en plus rapide et violente autour d’un cœur en forte dépression. Ces phénomènes se passent pendant l’été, c’est-à-dire de juin à novembre dans l’hémisphère nord et de janvier à avril dans l’hémisphère sud. On estime que le nombre des cyclones restera à peu près stable année après année, mais que leur violence aura tendance à augmenter parallèlement à l’élévation de la température de la mer. Mais le réchauffement modifiera dans ces régions d’autres phénomènes mal connus, dont certains pourront au contraire atténuer la force des cyclones dans certains bassins : phénomène « El Nino », cisaillement des vents à certaines altitudes, courants atmosphériques, etc. La question, qui revient d’actualité à chaque cyclone dévastateur, divise encore profondément la communauté scientifique, qui reste donc prudente.

21 Ce développement sur les menaces à l’agriculture tropicale est extrait de mon ouvrage Faim zéro, en finir avec la faim dans le monde, éditions La Découverte 2014.

22 Voir par exemple http://maplecroft.com/ ou www.ipcc.ch/

23 Voir par exemple : www.aei-asso.org/fr

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14 Ce qui est acquis, c’est qu’ils provoquent sur leur passage des dégâts d’autant plus importants que la surpopulation côtière et la déforestation augmentent et que les infrastructures se développent. Plus il y a de gens, plus il y a de choses à casser, et plus c’est dramatique.

En matière agricole, les cultures sont détruites, soit par la violence du vent qui les a couchés (après le passage d’un cyclone, le problème n’est pas tant qu’il n’y ait plus de bananes mais bien qu’il n’y ait plus de bananiers), soit par les inondations catastrophiques, provoquées par les ruptures des digues (ou par leur absence) dans les terrains plats situés au bord de la mer. Cela affecte en particulier les deltas des grands fleuves qui sont extrêmement fertiles et donc très utilisés pour l’agriculture. La situation est aggravée par le fait que, très souvent, il s’agit d’inondations d’eau salée, laissant des résidus de sel, néfaste à la pousse des plantes et qui met des années à disparaître. Il est clair que dans les années qui viennent, l’agriculture, et plus généralement le développement économique, sera particulièrement menacé par ce phénomène dans les Caraïbes, en Inde, aux Philippines et en Indonésie, dans la péninsule indochinoise24, à Madagascar et La Réunion, et dans bien d’autres endroits. On se souvient par exemple qu’en octobre 2012, le cyclone Sandy, après avoir détruit 70 % des cultures d’Haïti, s’est déchainé jusqu’à New York, où l’eau de mer est montée de plus de 4 m. Ou qu’en novembre 2013 Haiyan, le plus violent de l’histoire moderne, a envoyé des vents de 380 Km/h sur les Philippines, un pays de 7 000 îles et 36 000 km de côtes, où 40 % des 100 millions d’habitants vivent avec moins de 2 $ par jour.

Dans les pays peu préparés à résister, les cyclones sèmeront de plus en plus souvent la désolation, la pauvreté, les épidémies, puis la faim.

Les glaciers remplissent la mer et élèvent son niveau

Indépendamment de ces phénomènes extrêmes, le réchauffement climatique provoque une fonte des glaces, ce qui fait monter le niveau de la mer (sauf pour les glaces du pôle nord, qui flottent déjà !). Ceci met en péril l’agriculture des grands deltas de toutes les rivières du globe, puisque la mer va regagner du terrain. Ce phénomène menace en France des régions comme la Camargue (delta du Rhône, soit 150 000 ha qui sont à moins de 1 m d’altitude), ou la Vendée. En Europe, sont concernés par exemple la quasi-totalité des Pays-Bas (delta du Rhin, où des investissements considérables sont effectués chaque année dans la création et l’entretien de barrages et de digues), et le Sud-ouest de la Roumanie (delta du Danube).

Mais ces inconvénients ne sont rien à côté de ce qui risque de se passer dans les grands deltas tropicaux, puisque les fleuves y sont beaucoup plus importants, et ont charrié énormément de limon à travers les siècles. Il s’agit donc de zones à la fois très fertiles, très peuplées et très étendues. Le delta du Nil par exemple, un triangle d’un peu plus de 100 km de côté entre Alexandrie, le Caire et Port-Saïd, regroupe un tiers de la population de l’Égypte et produit la moitié de son agriculture ; il risque d’être largement amputé par la montée des eaux. Au Vietnam, le delta du Mékong abrite 17 millions d’habitants et produit la moitié de l’agriculture du pays ; si le niveau de la mer monte de 1 m, il perdra 38 % de sa surface. Le même phénomène menace le Pakistan avec le delta de l’Indus, et la Birmanie avec le delta de l’Irrawaddy.

24 En Mai 2008 par exemple, le cyclone Nargis a provoqué au moins 130 000 morts en Birmanie est submergé 570 000 ha de bonnes terres agricoles.

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15 Le Bangladesh est installé sur le double delta du Gange et du Brahmapoutre ; ce pays, qui compte actuellement près de 150 millions d’habitants et devrait approcher les 200 millions en 2050, n’aura jamais les moyens d’effectuer les travaux titanesques qu’ont fait les Pays-Bas ; il est donc menacé de devoir évacuer purement et simplement le tiers de son territoire.

Autre effet inverse mais tout aussi dramatique, la fonte des glaciers, dans les plaines en dessous des montagnes, où une agriculture irriguée s’est développée au XXe siècle. D’ici la fin du siècle, au rythme où s’opère cette fonte, nombre de glaciers vont purement et simplement disparaître. Il n’y aura presque plus d’eau l’été dans les rivières, à l’époque où les agriculteurs en ont justement besoin (une part importante de l’eau de ces rivières l’été provient de la fonte des neiges et des glaces). Ceci menace directement la survie des populations dans d’immenses régions, et en premier lieu ceux qui se nourrissent via l’eau des fleuves qui descendent de l’Himalaya, qui permettent une agriculture productive parce qu’irriguée, nourrissant carrément un tiers de l’humanité. Par exemple l’Amou-Daria et le Syr-Daria au Nord, recueillent l’eau de 17 000 glaciers et traversent l’Afghanistan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan et le Kazakhstan. Des pays qui ont développé une agriculture tellement irriguée que ces fleuves n’approvisionnent presque plus la mer d’Aral, laquelle, autrefois 4e étendue d’eau du monde, a perdu depuis 1960 75 % de sa surface, 14 mètres de profondeur et 90 % de son volume. Mais aussi l’Indus au Sud-Ouest de l’Himalaya, qui nourrit le Pakistan, ou le Gange et le Brahmapoutre au Sud, dont dépendent l’Inde et le Bangladesh ; si le seul Gange s’assèche l’été, l’approvisionnement en eau de 500 millions de personnes de juillet à septembre ainsi que de 37 % des cultures irriguées en Inde sera directement menacé, d’autant plus qu’en dessous, le niveau de la nappe phréatique souterraine a déjà baissé de 60 m ! On peut poursuivre avec l’Irrawaddy, le Salween et le Mékong au Sud Est, dont dépendent tous les pays de la péninsule indochinoise, puis le Yangzi (Fleuve Bleu) et le Huang He (Fleuve Jaune) à l’est, dont vit l’immense Chine…

Les déserts avancent

Une autre conséquence dramatique du réchauffement climatique, cette fois-ci dans les régions semi arides et en particulier les savanes habitées par des éleveurs nomades, est l’avancée du désert. Dans le Sahel par exemple, une bande très aride de 5 500 km de long au sud du Sahara en Afrique, on estime qu’on ne peut rien cultiver sans disposer d’un minimum de 300 mm de pluie par an. La limite des 300 mm s’est déplacée de 200 km plus au sud dans les dernières décennies. On peut donc dire que le désert a avancé de façon « naturelle » sur une bande de 200 km de large sur 5500 km de long, ce qui, pour donner un ordre de grandeur, représente déjà deux fois la superficie de la France. Que s’est-il passé ? Les populations qui vivaient sur ces territoires ont évidemment migré plus au sud. Dans la bande limite, celle des 300 mm de pluie, la population a donc fortement augmenté, à la fois à cause de la natalité locale25 et de l’immigration des gens du Nord. La situation écologique de cette région est donc devenue critique. La cohabitation des troupeaux a provoqué un surpâturage qui a empêché la reproduction de la végétation (en fait le cheptel a triplé !). Les maigres arbres qui subsistaient ont été systématiquement coupés pour servir de combustible pour la

25 La population du Sahel est passée de 16 millions en 1950 à 65 millions en 2010. La seule ville de Niamey, capitale du Niger, est passée de 25 000 habitants en 1950 à 250 000 en 1980 et à 1,3 millions en 2010. Bamako, capitale du Mali, de 62 000 habitants en 1950, à 486 000 en 1980, et 1,8 millions en 2009.

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16 cuisine. On estime donc que le désert a avancé une deuxième fois de 200 km, cette fois-ci pour des raisons de surpopulation, des hommes et des chèvres !

Donc au total le désert du Sahara a avancé de 400 km, et on a perdu en terres habitables l’équivalent de quatre fois la France. Les tensions économiques provoquées par cette situation se sont transformées en tensions sociales (éleveurs nomades contre agriculteurs sédentaires), raciales (Africains du Nord à la peau blanche contre Africains à la peau noire), religieuses (islam chiite contre islam sunnisme, islamisme radical contre islam modéré, animisme ou christianisme), et politiques, car, dans cette région, les frontières héritées de la décolonisation ne recouvrent pas les réalités locales… Les conflits armés se sont multipliés, en Mauritanie, au Mali, au Soudan (Darfour), au Sud Soudan, au Tchad, au nord du Nigéria, au Cameroun, au sud de l’Algérie, etc. Et bien évidemment, dans ce contexte, la faim fait des ravages, et la situation a toutes les chances d’empirer dans les décennies qui viennent. De plus, une fois que les derniers arbres ont disparus, les tempêtes de sable s’installent ; l’Afrique de l’Ouest émet à elle seule la moitié des poussières du monde entier (qui parfois, après un long détour par l’Atlantique, finissent par arroser la France) ; inutile de préciser que ces poussières entrainent des maladies respiratoires considérables dans la région.

Il se passe la même chose en Chine : tout le nord du pays, où vivent 300 millions de personnes, est dans une situation tendue de sécheresse chronique ; les déserts progressent de 2 500 km2 par an, la Mongolie se transforme rapidement en désert de Gobi et les tempêtes de sable atteignent maintenant régulièrement Pékin26, une ville de 20 millions d’habitants où l’approvisionnement en eau devient un problème aigu.

De même l’Australie se transforme en un gigantesque désert ; ce pays, qui rêvait d’être un grand pays exportateur de grains, aura de plus en plus de difficultés à l’être. Et le sud des Etats-Unis, qui était soumis à des tempêtes de sable épouvantables dans les années 1930 (les « Dust bowls »), en retrouve également aujourd’hui…

Les nappes phréatiques se tarissent

Une autre conséquence du réchauffement climatique couplé à une agriculture intensive est l’abaissement, et même le tarissement des nappes phréatiques et l’impossibilité de poursuivre l’extension, voire l’exploitation, des surfaces irriguées qui les utilisent, avec pour conséquence une exacerbation des conflits. Les experts, qui observent une augmentation très forte des prélèvements dans plusieurs nappes importantes (+ 144 % en trente ans aux États-Unis, + 300 % en dix ans en Arabie saoudite, + 100 % en dix ans en Tunisie) prévoient l’épuisement rapide de certaines d'entre elles. L’immense nappe de l’Ogallala, dans le Sud des Etats-Unis (elle a la superficie de l’Espagne), où 200 000 puits ont été creusés pour irriguer 3,3 millions ha, est déjà à moitié épuisée, l’épaisseur de l’eau étant passée de 60 à 30 m. A Islamabad (Pakistan), Guanajuato (Mexique) ou Chanaran (Iran) et dans le Hebei en Chine, le niveau d’eau baisse de plus de 2m/an dans les puits. La conséquence est simple : ces zones, où l’on produit beaucoup de nourriture actuellement, vont à terme baisser fortement leur production. Il est probable qu’on continuera à y manger, mais leur capacité à exporter de la nourriture vers les régions avoisinantes va décliner fortement.

26 D’après l'académie des Sciences chinoises, le nombre des tempêtes de sable à Pékin a été multiplié par six en 50 ans, pour atteindre une douzaine par an.

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17 D’une manière générale, la quantité d’eau douce sur Terre reste à peu près constante, soit 3 % seulement de l’eau totale, le reste étant salé, donc impropre à l’agriculture. Et les deux tiers de cette rare eau douce est gelée. Il reste donc en fait à peine 1 % de l’eau réellement utilisable, et la fonction essentielle de cette eau est l’agriculture.

Mais la répartition planétaire de cette eau « douce et liquide » va changer. Le réchauffement climatique provoquera une accentuation des extrêmes : toujours plus d’inondations dans certaines zones, et toujours plus de sécheresses dans d’autres27 ; dans les deux cas cela rendra plus compliquée la production agricole, et multipliera les conflits régionaux, et probablement internationaux, la plupart des bassins des grandes rivières étant partagés entre plusieurs pays.

Le coût mondial de la sécheresse de l'année 2014 attribué à l'intensification du phénomène El Nino s'élèverait, selon le courtier en réassurance AON Benfield28, à 8 milliards de dollars, dont 3 milliards dans la seule Californie, en raison des dommages subis par l'agriculture.

De nouveaux risques sanitaires

Mais cette liste peu réjouissante n’est pas encore terminée. Le réchauffement provoquera également un risque sanitaire accru, et une aggravation des épidémies et des invasions de criquets. La cohabitation d’un toujours plus grand nombre de personnes et d’animaux dans des régions humides et chaudes favorise l’apparition de virus et de microbes et leur passage des espèces animales à l’homme. L’avion et l’oiseau migrateur se chargent alors de les diffuser « équitablement » sur la planète (voir ci-dessus dans le chapitre sur la France)… Mais c’est bien entendu dans les régions où les gens sont nombreux, pauvres, déjà mal nourris et sans accès aux soins médicaux que les dégâts seront les plus graves.

Les insectes nuisibles remontent vers le nord à raison de 3 km/an depuis 1960.

Sachant qu'entre 10 et 16 % des cultures mondiales sont déjà perdues à cause de l'action de ces espèces ravageuses qui s'attaquent aux récoltes, une dissémination plus importante constitue une menace croissante pour la sécurité alimentaire mondiale.

Le criquet pèlerin se reproduit à une vitesse considérable lorsque les conditions sont réunies : une femelle peut pondre au cours de sa vie une dizaine de grappes d’une centaine d’œufs, enterrées à quelques centimètres dans le sol ; lorsque les conditions météorologiques sont favorables, ils éclosent tous ensemble. Il se forme alors des essaims qui peuvent rassembler jusqu’à plusieurs dizaines de milliards d’individus, dont chacun mange son poids de végétation chaque jour (environ 2 g), soit des milliers de tonnes de végétation absorbée chaque jour par un gros essaim ! Inutile de dire que là où le criquet passe, la faim règne ensuite. L’invasion qui a sévi en Afrique entre septembre 2003 et juillet 2004 a annihilé la végétation sur 65 000 km² répartis sur neuf pays, des pays qui avaient déjà du mal à se nourrir : Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad, Algérie, Libye, Maroc et Tunisie.

27 Songeons par exemple à ce qui s’est passé pendant l’été 2010 : sécheresse historique en Russie qui a flambé quasiment de Moscou jusqu’à Vladivostok, et inondations non moins historiques au Pakistan. S’en est suivi un triplement du prix mondial du blé… et les révolutions arabes.

28 http://ur1.ca/nokh2

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18 Une baisse des rendements des céréales, au Sud

Signalons enfin que les rendements des principales céréales consommées dans le monde seront affectés négativement par le réchauffement climatique. D’un côté l’augmentation de la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère donnera un coup de fouet aux plantes, et le rayonnement solaire accru également, mais ces effets bénéfiques seront plus que compensés pas des « externalités négatives ». D’une part, pour chaque degré au- dessus d‘une température moyenne annuelle de 26°, le rendement des céréales chute de 10 % ; d’autre part les insectes prédateurs, sans la régulation naturelle exercée par le froid en hiver, se multiplierons, ainsi que les adventices (mauvaises herbes)29, et les maladies fongiques, comme le mildiou ou la rouille.

L’Asie pourrait perdre 5 à 10 % des récoltes, et l’Afrique plus de 15 %. Là encore, dans ces régions critiques, la lutte contre la faim deviendra donc probablement plus complexe.

Donnons deux exemples tropicaux. Le café Arabica représente actuellement 60 % de la production mondiale de café (4,86 millions de tonnes ont été produites en 2012 pour un montant de 13 milliards d'euros). Or les graines d’arabica poussent dans une fourchette de températures restreinte, de 19°C à 25°C. Quand le thermomètre grimpe davantage, la photosynthèse s'en voit affectée et, dans certains cas, les arbres s'assèchent. Les caféiers pâtissent en outre de la multiplication des périodes de fortes précipitations et de sécheresses prolongées. Au total, les experts estiment que les rendements pourraient baisser de 38 à 90 % d’ici la fin du siècle.30

Autre exemple, encore plus stratégique : le riz, base de la nourriture des populations locales, est cultivé sur 142 millions d’hectares en Asie. Les experts estiment que sur ce total, 16 millions sont menacés par la salinité, 22 millions par les inondations et 23 millions par la sécheresse31. Et d’ici 2050, on prévoit entre 15 et 20 % de baisse des rendements de la culture irriguée de riz dans les pays en développement (et 30 % pour le blé irrigué)32

Il reste encore plus de 800 millions d’affamés sur la planète ; nous attendons 2 à 3 milliards de terriens de plus dans les décennies qui viennent. Ces immenses défis devraient remettre l’agriculture au centre des préoccupations des dirigeants de la planète, et finalement de chaque citoyen !

29 14 des 18 adventices les plus répandues à travers le globe sont d’origine tropicale ; le réchauffement pourrait donc les rendre plus agressives.

30 Source : Royal Botanic Gardens de Kew (GB) 2012

31 Le riz consomme énormément d’eau ; ses rendements peuvent atteindre 8 tonnes/hect lorsqu’il est inondé, mais guère plus de 5 tonnes/hect lorsqu’il est seulement humide, et sans eau, rien !

32 Source : IFPRI

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19

Mais l’agriculture moderne est aussi un acteur majeur du réchauffement de la planète, et nos habitudes alimentaires

aggravent fortement cette situation

On le dit peu, pour ne pas achever de démoraliser les agriculteurs et notamment les éleveurs, mais ce secteur économique est l'un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre, et donc l’un des plus gros contributeurs du réchauffement climatique, davantage par exemple que le secteur des transports. Et nos fâcheuses habitudes alimentaires, faites de gaspillage, aggravent considérablement cette situation.

L’

AGRICULTURE

,

ET SURTOUT L

ELEVAGE EMETTENT DE

20

A

25 %

DES EMISSIONS DE GAZ A EFFET DE SERRE

Il ne s'agit pas tant du gaz carbonique CO2, dont l'émission excessive provient essentiellement de la combustion des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz). Bien entendu, lorsqu'on brûle des plantes (par exemple de la paille ou du bois), on émet aussi du gaz carbonique, mais c'est un jeu à somme nulle puisqu'on rend à l'atmosphère le gaz carbonique que la plante a fixé dans les mois ou les années précédentes. Ce n'est pas du tout la même chose avec les énergies fossiles, car, dans ce cas, on remet dans l'atmosphère à grande vitesse le carbone qui avait été fixé par les forêts tropicales il y a des millions d'années ! Il y a encore quelques années, l'agriculture en émettait peu, mais maintenant elle s'y met de plus en plus, à cause de la mécanisation et des transports incessants engendrés par la division mondiale du travail qui a également touché ce secteur. Par exemple, dans les années 1950 et 1960, le passage de la traction animale à la généralisation du tracteur a permis d'augmenter la production agricole de façon très importante, car auparavant on estimait que près du tiers des surfaces agricoles était destiné à produire le fourrage qui nourrissait les bœufs et les chevaux de trait. Mais le prix à payer a été triple : forte baisse de l'emploi dans l'agriculture, grande dépendance aux énergies fossiles33, et forte augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Il y a à peine un siècle, en plus de l’énergie solaire et des énergies humaines et animales, il fallait ajouter 1 calorie fossile pour produire 1 calorie alimentaire, maintenant il en faut 100 fois plus ! Un exemple particulièrement caricatural est fourni par la production de légumes de contre saison dans des serres chauffées.

Mais d’autres activités produisent ce gaz dorénavant nocif : l’utilisation de fertilisants de synthèse, la déforestation et le changement des couverts végétaux, l’oxydation de la matière organique dans les sols, l’abattage des animaux et transformation des produits issus de l’agriculture et l’élevage.

Au total, on estime que l’agriculture produit de l’ordre de 9 % des émissions de CO2

(soit un peu moins de 3 milliards de tonnes sur plus de 30), un gaz responsable à lui tout seul de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine. Elle est donc à l’origine, à ce seul titre, de l’ordre de 5 % du réchauffement global. Et ceci est principalement dû aux agricultures « modernes », dont celle de l’Europe de l’ouest, comme on peut le voir sur la carte suivante (les agricultures intensives américaines le sont néanmoins beaucoup moins que les européennes).

33 Les cours du blé, des engrais et du pétrole ont été historiquement fortement corrélés depuis plusieurs décennies.

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