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Qu’est-ce que l’école devrait-elle apporter à tout élève ? 5

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L’ÉCOLE, FABRIQUE DE L’EXCLUSION, F. DUBET

COMMENT L’ÉCOLE FABRIQUE-T-ELLE DE L’EXCLUSION ?

A partir des deux rencontres avec François Dubet, réponds aux questions suivantes :

1. Comment l’école est-elle devenue une fabrique d’exclusion ? Pourquoi crée-t-elle de la violence ? Cette question demande un développement (15 lignes). Sois structuré.

2. Décris les différents types de réactions possibles des élèves.

3. Quelle erreur l’école fait-elle dans son diagnostic face à l’échec scolaire ? 4. Qu’est-ce que l’école devrait-elle apporter à tout élève ?

5. Quels sont les changements fondamentaux que l’école doit opérer, selon F. Dubet ?

Première rencontre : Sciences Humaines, Hors-série N° 47 - Décembre 2004 / Janvier - février 2005.

Rencontre avec François Dubet. École : la révolte des « vaincus » ?

Depuis quelques années, la violence scolaire est devenue un thème récurrent et préoccupant.

Certains la voient comme la conséquence d'un malaise social qui entrerait dans l'école. Quel est votre point de vue sur cette question ?

Il est certain que la massification de l'enseignement associée à de lourdes difficultés économiques a fait entrer dans l'école les violences de la « rue », les violences adolescentes, parfois délinquantes...

Cependant, s'il existe bien une violence venue du dehors, celle-ci n'entraîne pas une montée inéluctable de la « barbarie » dans l'école. Celle-ci n'est pas totalement impuissante. Par exemple, dans les établissements où il existe des groupes d'adultes cohérents, organisés et mobilisés, il y a moins de violence. Il faut donc souligner l'existence d'une réponse plus ou moins efficace de l'organisation scolaire face à l'environnement.

Par ailleurs, et très étrangement, le thème de la violence de l'institution scolaire a totalement disparu du discours des sociologues de l'éducation depuis une quinzaine d'années. Dans les années 70, quand on parlait de violence à l'école, on pensait surtout à la violence disciplinaire de « l'école caserne ». Si certains rêvent aujourd'hui du retour des internats autoritaires, des punitions et des uniformes, c'est parce que cette forme de violence s'est beaucoup réduite. Un second thème était celui de la « violence symbolique de classe » : l'école serait une institution bourgeoise dont les codes culturels heurteraient de front les enfants du peuple. Aujourd'hui, je ne pense pas que ces élèves soient humiliés par un ordre bourgeois : en tout cas, cela ne ressort pas de leurs propos. Mais, pourtant, la violence institutionnelle n'a pas disparu.

Comment expliquer les phénomènes contemporains de violence scolaire ?

La violence contemporaine manifeste un autre registre de domination. Affirmer que les élèves sont libres et responsables de leurs actes, que l'école fait tout pour leur réussite, c'est rendre les individus coupables de leurs échecs puisque, justement, ils sont libres et égaux. Cet impératif du mérite menace à proprement parler le sujet, sa personnalité. Beaucoup de travaux montrent que ce que les élèves vivent le plus mal aujourd'hui, c'est la peur du mépris, de la relégation et finalement la perte d'estime de soi. Devant cette expérience de découverte de son inégalité, il existe trois types de réaction :

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- La première consiste à dire : « Je ne joue plus » ; l'élève se retire. Cette réaction, plus fréquente que l'on ne croit, est sous-estimée car elle ne fait pas scandale puisque ces élèves-là ne font pas de bruit ; ils se protègent en considérant que la vraie vie est ailleurs...

- La deuxième consiste à jouer le jeu de manière routinière. C'est la situation « Canada Dry » : tout ressemble à l'école, mais ce n'est pas vraiment l'école. Cette stratégie conduit à faire son métier d'élève, à être présent pour assurer une sorte de survie sans vraiment s'engager... Or à l'école, si on ne s'engage pas dans l'apprentissage, on a peu de chances d'apprendre.

- La troisième réaction, souvent le fait d'enfants des « cités », surtout des garçons, consiste à sauver son honneur en rejetant un système qui vous met en échec et donc vous oblige à vous invalider. Il s'agit de renverser le stigmate : « Comme l'école m'oblige à me vivre comme étant nul, je déclare la guerre aux professeurs et au système... » Pour ces élèves, le moindre regard ambigu ou la moindre remarque blessante devient alors le prétexte à agresser l'enseignant pour ne pas perdre la face.

Même si les autres élèves n'approuvent pas forcément cette attitude perturbatrice, cette révolte bénéficie de l'indulgence due à Robin des Bois : on salue son courage, sa capacité de résistance au- delà de la condamnation de sa déviance.

Si un grand nombre d'élèves se construisent comme des sujets grâce à l'école, d'autres se construisent contre l'école.

Ne serait-ce pas dû à une conception bien française de la « réussite scolaire » ?

Paradoxalement, la société française n'est pas parmi les plus violentes. En Angleterre, par exemple, les rapports entre les classes sociales sont beaucoup plus durs, la violence juvénile y est très présente avec des phénomènes de houliganisme, de ségrégation urbaine, de bandes... Et pourtant la violence scolaire y semble moins forte. D'une part, parce que la présence des adultes est beaucoup plus massive dans les établissements ; les enseignants n'ont pas plus d'heures de cours qu'en France mais davantage d'heures de présence. D'autre part, parce que la tradition éducative est moins strictement scolaire que dans le système français. Trop souvent, dans celui-ci, la figure de l'élève est réduite à ses performances. Peu importe qu'il fasse preuve de capacités d'initiative, de vivacité, d'adresse, de sérieux dans un stage par exemple, en définitive, il sera évalué par ses résultats en mathématiques, anglais, français... La prégnance des normes scolaires fait qu'un élève faible n'a pas beaucoup de chances de maintenir une image honorable de lui-même. C'est en s'opposant au système qu'il construira sa dignité. Dans certains établissements, les bons élèves sont d'ailleurs immédiatement agressés par les autres qui les considèrent comme traîtres ou « collabos ».

Cette violence des élèves en échec ne s'explique-t-elle pas aussi par une certaine angoisse, du fait qu'en France la réussite sociale est très liée à la réussite scolaire ?

C'est à la fois un fait et une représentation. Un fait, car les diplômes jouent un rôle déterminant dans la carrière des individus. Toutes les statistiques le montrent : une année d'étude supplémentaire correspond à un gain de salaire. Mais notre croyance dans le rôle du diplôme amplifie le phénomène.

Une tradition liée à la puissance de l'Etat nous conduit à penser que la seule mobilité sociale honorable est due aux diplômes. On aura moins d'estime pour celui qui aura réussi en montant son entreprise que pour l'enfant du peuple qui aura gravi les échelons par l'excellence de ses études. La réussite sociale par l'activité économique n'est pas tenue pour vraiment digne et, comme les

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enseignants sont bien sûr l'incarnation de la réussite par le diplôme, l'école a beaucoup de mal à se détacher de cette croyance ! Tout ce qui éloigne de la voie royale des études est un profond échec et une sorte d'indignité.

Comment alors faire en sorte que le système scolaire qui génère, comme vous le dites dans votre dernier livre, des « vainqueurs » et des « vaincus » soit moins violent pour ceux qui sont en échec ? Il existe des systèmes scolaires moins inégalitaires et moins violents aussi que le système français ; par exemple les systèmes scolaires scandinaves qui fondent l'enseignement obligatoire sur la transmission d'une culture commune. Les enquêtes Pisa, qui comparent les résultats des élèves des pays de l'OCDE, montrent que le système français n'est que très moyennement performant et assez inégalitaire. Dans ces enquêtes, on demande aux élèves s'ils s'adressent volontiers à leurs enseignants lorsqu'ils n'ont pas compris ; les élèves français sont parmi les plus nombreux à répondre par la négative. En fait, le modèle d'enseignement français n'est pas réellement centré sur l'apprentissage et l'individu.

Ce modèle, hérité de l'Eglise catholique où le prêtre incarnait le sacré et où le fidèle s'agenouillait pour acquérir la foi, a été prolongé dans l'école républicaine : l'élève acquiert le savoir émancipateur en se conduisant comme un fidèle face au maître qui incarne l'universel, la raison et la grande culture. Dans l'enseignement secondaire, notre idéal scolaire reste construit - dans ses formes d'enseignement, ses programmes, ses pratiques pédagogiques - sur le modèle du lycée tel qu'il avait été conçu dans l'école républicaine de Jules Ferry. Or nous sommes passés de 2 % de bacheliers en 1902 à près de 70 % d'une classe d'âge aujourd'hui. Pourtant le système reste calqué sur des formes d'enseignement qui avaient été conçues pour une élite de fidèles : les « héritiers » auxquels venaient s'ajouter quelques boursiers...

Le problème, c'est qu'en dépit de la considérable massification scolaire, l'imaginaire pédagogique est resté le même : celui d'un modèle d'excellence construit pour l'élève qui fera une terminale scientifique et intégrera une classe préparatoire. Cela provoque des situations très tendues dans les collèges. D'un côté, les enseignants pensent que le niveau baisse, se sentent menacés par la violence et s'épuisent dans un métier de plus en plus difficile et exigeant. De l'autre, dans un discours symétrique, les élèves se sentent démotivés et méprisés... Face à ces problèmes, actuellement, deux attitudes s'affrontent : les uns pensent que les élèves qui échouent sont le produit du fonctionnement normal du système, et qu'il faut davantage de moyens pour les canaliser et les soutenir ; d'autres, dont je fais partie, estiment que, si le système produit autant d'échecs, de « déchets » pourrait-on dire, il faut changer l'organisation scolaire et remettre en question le fonctionnement « normal » de l'école.

Quels sont les changements que vous proposez ?

L'égalité des chances méritocratique est à la fois un idéal indiscutable et un modèle fort cruel car les vaincus ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes, alors que les vainqueurs peuvent transformer leur légitimité en orgueil. Cependant, il nous faut étendre et réaliser pleinement ce modèle, et le pondérer si l'on se place du point de vue des vaincus. Pour l'étendre, nous devrions répartir les ressources en fonction des inégalités sociales situées en amont de l'école bien plus résolument que nous ne le faisons. Pour le pondérer, il faut recourir au « principe de différence » selon lequel les inégalités engendrées par la concurrence des élèves ne doivent pas affecter trop le sort des plus

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faibles. Ceci conduit à insister sur l'impératif d'une culture commune acquise par tous durant la scolarité obligatoire afin que les plus faibles des élèves aient ce à quoi ils ont droit afin d'entrer dans une vie personnelle, citoyenne et sociale acceptable. La notion de « Smic scolaire » me gêne d'autant moins qu'elle n'empêche pas la hiérarchie du mérite tout en limitant le jeu « darwinien » de la méritocratie.

Mais ceci ne peut suffire car, même si le mérite scolaire produisait des « inégalités justes », celles-ci ne sont acceptables que dans la mesure où elles ne provoquent pas, à leur tour, des inégalités sociales excessives. Il importe donc que les diplômes ne ferment pas trop de portes et que les individus puissent rejouer leurs chances dans une formation tout au long de leur vie. Enfin, l'école doit offrir un bien proprement éducatif, indépendant de la performance des élèves : la confiance en soi et le sens de la solidarité par exemple. C'est d'ailleurs la seule ambition qui exige que l'école ne soit pas un marché.

François Dubet

Sociologue, professeur à l'université Bordeaux-II, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont Le Déclin de l'institution , Seuil, 2002 ; L'École des chances. Qu'est-ce qu'une école juste ? , Seuil, 2004.

Deuxième rencontre : Sciences Humaines , Mensuel N° 199 - décembre 2008.

Déscolariser la société

Rencontre avec François Dubet, Déscolariser la société.

En publiant Faits d’école, le sociologue François Dubet revient sur quinze ans d’enquêtes et d’interventions publiques autour du système scolaire, et plaide pour un véritable débat autour des objectifs à lui donner et des moyens pour y parvenir.

Des lycéens aux élèves du primaire en passant par les collégiens et les étudiants, François Dubet a dans les années 1990 scruté tous les échelons du système français d’enseignement. Dans la continuité de son enquête sur la « galère » des jeunes (1987), il a cherché à comprendre l’institution scolaire à travers l’expérience qu’en avaient tous ceux sur qui elle agissait – ou, du moins, était supposée agir. Les ouvrages qu’il en a tirés (Les Lycéens, 1991, À l’école, 1996), apportant un regard neuf et parfois cinglant sur l’enseignement en France, ont connu un succès inhabituel pour des travaux de sociologie. F. Dubet ne s’est d’ailleurs pas privé d’intervenir dans le débat public, en acceptant notamment en 1999 de piloter un débat sur le collège unique, où il prendra position contre une sélection précoce des élèves. À travers sa défense d’un socle commun de connaissances, sa réflexion sur la notion d’égalité des chances ou, très récemment, sa critique nuancée de la réforme de la carte scolaire(encadré p. 35), il a semble-t-il tenu à ce que l’on n’oublie pas, dans toute réflexion sur l’école, le sort des « perdants » de la compétition scolaire. Des positions qu’il estime assez peu populaires dans l’institution scolaire sur laquelle, il est vrai, il a jeté un regard compréhensif mais assez peu complaisant. Il s’en explique à l’occasion de la publication de Faits d’école (EHESS, 2008), un recueil d’articles qui retrace ce parcours indissociablement sociologique et politique.

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Quelle perspective était la vôtre lorsque vous vous êtes intéressé à l’éducation ?

À l’époque, la sociologie de l’éducation était dominée par deux grands modèles, ceux de Pierre Bourdieu et de Raymond Boudon qui, chacun à sa manière, s’intéressaient à la question des inégalités scolaires. Pour le premier, elles s’expliquent par la répartition très inégale parmi les élèves des capitaux culturels, économiques, sociaux… Pour le second, elles sont avant tout le résultat de stratégies familiales divergentes. Ces deux modèles ont cependant en commun d’être des sociologies sans acteurs, fondées uniquement sur des statistiques. Personne ou presque ne s’intéressait alors aux élèves. Or j’avais l’impression que c’était d’eux qu’il fallait partir. Non pas pour contredire les théories dominantes, mais pour proposer une image inversée du système scolaire : voir ce que les élèves ont dans la tête pour comprendre ce que fait l’école aux individus. Les jeunes ne sont pas simplement des séries statistiques qui réussissent ou qui échouent. Ils ont une vie à l’école, des sentiments, des relations, des motivations. Et ce d’autant plus qu’ils y passent environ quinze ans de scolarité : ce n’est pas rien dans la vie des individus.

Vous êtes donc allé interviewer des lycéens, des étudiants, des écoliers, des collégiens… Qu’est-ce qui vous a le plus étonné ?

J’ai trouvé d’abord qu’il y avait un problème majeur de motivation. Ça m’avait frappé quand j’avais enseigné en collège en 1995 : ce qu’on leur enseignait – pas seulement moi –, au fond, ne les intéressait pas. Au-delà de la plus ou moins grande distance à la culture scolaire, ça interrogeait le sens de la relation éducative.

J’ai ensuite « découvert » que l’école française ne sait pas quoi faire de la vie juvénile qui l’a envahie.

Longtemps, l’école a séparé l’élève de l’enfant et de l’adolescent. L’expérience scolaire des jeunes n’est désormais scolaire que pour une part : les relations, les amours, les amitiés viennent «  parasiter » la relation scolaire. Mais c’est aussi cela qui les forme.

Troisième et dernier constat : le système est cruel. Beaucoup d’élèves disent « on m’oblige à jouer un jeu dans lequel je perds ». À l’image de cette élève qui, à la fin du film de Laurent Cantet, Entre les murs (2008), dit au professeur : « Cette année, j’ai rien appris, je ne comprends pas ce qui se passe. » Lorsque mes livres ont paru, une réaction commune était de dire que les gamins n’étaient pas adaptés à l’école parce qu’ils venaient de milieux populaires. Selon moi, ça allait bien au-delà.

Vous voulez dire qu’au cours des années 1980-1990, on a changé de système ?

Oui. On a ouvert les portes du lycée non plus à 12 ou 15 % mais à 70 ou 80 % d’une classe d’âge. On a donc changé d’école. Mais dans notre imaginaire, celui des enseignants et de nos hommes politiques, c’est toujours la même école républicaine, qu’il faudrait simplement adapter. D’où beaucoup de souffrance chez les élèves et les enseignants, parce que l’on est dans une forme et des objectifs scolaires qui ne sont plus ceux qui conviennent.

L’école républicaine a fonctionné sur des principes assez simples. D’abord, chaque catégorie avait son école : aux classes populaires, l’école élémentaire, aux catégories intermédiaires, le collège, aux bourgeois, le lycée. Ensuite, ne faisaient des études longues que les héritiers ou les boursiers, c’est-à- dire des élèves « croyants », disposés à jouer le jeu scolaire. Enfin, c’était une école dont tous les gens n’attendaient pas qu’elle leur donne une position dans la société, qui restait largement déterminée en amont par la naissance.

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La massification a transformé l’école républicaine en école méritocratique, en disant aux élèves : vous deviendrez ce que vous avez fait à l’école. Cela change complètement la règle du jeu, qui se tend et devient beaucoup plus cruelle. Car l’échec scolaire ne signifie plus seulement « je ne suis pas doué pour l’école », mais « je vais rater ma vie ». D’où des comportements utilitaristes chez les élèves, qui passent leur temps à calculer ce qu’il est rentable de faire ou pas : ils ne travaillent pas la physique par amour du savoir mais pour aller en terminale scientifique.

Face à cela, une tendance réactionnaire s’est affirmée dans l’école, qui estime qu’il faudrait retrouver la culture d’avant, les élèves d’avant, les professeurs d’avant. Ce qui me paraît tout à fait raisonnable, à condition d’exclure 70 % des élèves… Et pourquoi pas de rétablir un examen d’entrée en sixième ! Vous avez pourtant critiqué la notion d’« égalité des chances », qui est au cœur de l’école méritocratique. Pourquoi ?

J’ai en effet mené une réflexion un peu générale (les Britanniques la menaient depuis longtemps) sur les principes de justice à l’école. J’en ai tiré deux conclusions. La première, c’est que dans une société non aristocratique, l’égalité des chances est le seul principe de justice sur lequel peut s’appuyer l’école : il faut bien que les individus se hiérarchisent selon leur mérite.

La seconde, c’est que ce principe est extrêmement difficile à mettre en œuvre. D’une part, les élèves n’ont pas les mêmes chances au départ, en raison de leur origine sociale, de leur capital culturel, d’autre part, c’est un principe très cruel, qui dit aux bons « vous avez droit à tout » et aux mauvais «  tant pis pour vous ».

Comment faire alors pour rendre « l’égalité des chances » moins injuste ?

On peut pondérer ce principe, en faisant par exemple valoir ce que John Rawls appelle le principe de différence (1) : il faut faire en sorte que le déroulement de la compétition méritocratique ne dégrade jamais le sort des vaincus. D’où ma défense du collège unique, qui ne doit pas servir à sélectionner des enfants, mais à les amener tous au même niveau.

Ensuite, si les inégalités scolaires ne sont pas parfaitement justes, il est injuste qu’elles déterminent à leur tour les inégalités sociales. L’école ne devrait pas être la seule institution susceptible de distribuer les individus dans la société. Il y a des moyens de détendre un peu le jeu, comme par exemple le développement d’une véritable formation professionnelle, pour que les enfants qui échouent à l’école puissent se dire que leur vie ne s’arrête pas là.

Enfin, je m’inquiète actuellement du fait que l’école française n’a pas, ou plus, de projet éducatif. Les seules questions sont désormais : « les élèves ont-ils un bon niveau ? » et « la sélection est-elle juste ? » Ce que l’école fabrique comme individu, la totalité de l’échiquier politique s’en désintéresse.

Pourtant, la seule manière d’éviter que l’école devienne complètement un marché serait de fixer à l’école des objectifs éducatifs : tout élève qui sort de l’école doit par exemple avoir le sentiment d’avoir de la valeur, ou être capable de s’exprimer en public sans avoir honte… En France, ces propositions sont marginales et suscitent de formidables résistances.

Pourquoi justement est-il si difficile de réformer l’école ?

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Deux hypothèses sont possibles. Soit le politique est très faible, soit la société française a trouvé un consensus autour de l’école et ne souhaite pas qu’on y touche. Je crois que les deux jouent. On n’a en tout cas jamais pu, comme les pays scandinaves tant admirés, se dire « l’école a changé de nature, changeons les règles ». Par exemple, tout le monde sait que certains établissements dans les «  quartiers en difficulté » sont dans des situations impossibles. On leur donne quelques moyens financiers en plus (très peu !), mais on ne touche ni au mode de recrutement des enseignants, ni à leur mode de formation, ni au statut des établissements. On refuse de toucher à la forme même de notre système scolaire.

L’école tendrait-elle à penser que « le mal vient de l’extérieur » ?

Oui, l’institution a le réflexe d’externaliser ses problèmes. Je l’ai encore vu lors des débats autour d’Entre les murs auxquels j’ai participé : les enseignants rejetaient la faute sur les parents, le capitalisme, la crise, la société. Bien sûr, la société n’est pas parfaite, mais ce type de croyances peut, même avec les meilleures intentions, être catastrophique. Marie Duru-Bellat a par exemple soulevé clairement un problème de dévaluation des diplômes (2). Dans l’Éducation nationale, on vous répond que ce n’est pas le problème de l’école mais celui du marché du travail, qui n’a qu’à créer des emplois qui correspondent aux diplômes produits. Non ! Car on peut agir politiquement sur la création de diplômes plus facilement que sur la création d’emplois qualifiés !

Avez-vous des réformes à proposer ?

Ce serait présomptueux de ma part. Je rappelle juste que dans un monde globalisé, où nos capacités d’action politique sont plutôt faibles, il reste un domaine où nous avons une capacité d’action totale : l’éducation. Or l’éducation est sortie du débat public. Bien sûr, Philippe Meirieu, le « pédagogue » prônant l’adaptation des méthodes d’enseignement à la diversité des élèves, s’oppose à Alain Finkielkraut, le « républicain » défenseur de l’autorité et du savoir académique. Mais on ne peut pas dire que l’on a, dans le champ politique en particulier, une confrontation de projets. On y a renoncé.

Pourtant, il y a des pistes pour améliorer l’école. Sans idolâtrer les enquêtes comparatives de l’OCDE (enquêtes Pisa), on ne peut pas faire comme si d’autres pays n’avaient pas une école meilleure et plus équitable. Par exemple, dans la plupart des pays qui fonctionnent bien, ou mieux, les établissements sont plus autonomes qu’en France, en particulier sur le recrutement des enseignants. De son côté, le ministère a une capacité de contrôle des résultats beaucoup plus forte. En France, ce serait perçu comme une volonté de « privatiser » l’école, ou de rompre avec « l’égalité républicaine » – même si chacun sait que c’est une vaste plaisanterie.

La sociologie de l’éducation a aujourd’hui cumulé beaucoup de résultats. Quelles questions devrait-elle chercher à élucider dans les années à venir ?

Après avoir analysé ce que la société fait à l’école (P. Bourdieu, R. Boudon), puis ce que l’école fait aux élèves (M. Duru-Bellat, Agnès Van Zanten, moi-même), la sociologie devrait se demander ce que l’école fait à la société, c’est-à-dire analyser les conséquences de l’organisation des systèmes éducatifs sur la vie sociale. Ce que permettent les méthodes comparatives internationales. Tout le monde dit par exemple qu’il faut développer l’enseignement supérieur. On peut en discuter : ne faudrait-il pas plutôt développer la qualité de l’enseignement élémentaire ? Ne serait-ce pas meilleur pour la société ?

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Ma conviction, c’est qu’il faut déscolariser la société, c’est-à-dire sortir de l’idée que l’école doit fabriquer une « bonne » société. L’école doit fabriquer une bonne école. Si on veut réduire les inégalités, réduisons les inégalités entre cadres et ouvriers. Ce sera plus efficace que de permettre à des enfants d’ouvriers de devenir cadres !

À la fin de votre ouvrage, vous dites que les enseignants « ne croient pas les sociologues », et qu’ils ont raison. Pourquoi ?

Pour enseigner – je suis enseignant –, il faut vivre avec des fictions. Il faut être convaincu, au moment où l’on fait son cours, que ce que l’on va dire va transformer les gens, que tout le monde peut apprendre, que le savoir a une valeur en soi. Sinon on ne le fait pas. Or la sociologie a pour effet de refroidir ces illusions : « ne vous racontez pas d’histoire, tout cela est déterminé »…

Je connais par exemple des professeurs de lycée très imprégnés des thèses de P. Bourdieu. Mais quand ils sont face aux enfants, ils les laissent de côté. Ils ne vont jamais dire à un enfant d’ouvrier en échec « c’est normal, c’est à cause de ton faible capital culturel ». Ils vont lui dire qu’il est aussi intelligent que les autres et qu’il peut réussir s’il le veut. Il y a un devoir d’espérance dans l’école.

Donc je crois qu’il ne faut pas trop écouter les sociologues. Il faut entendre ce qu’ils disent, mais sans que cette connaissance détruise les illusions nécessaires à l’action. Les enseignants ont raison de résister, y compris à mes propres discours.

Notes :

(1) John Rawls, Théorie de la justice, 1971, rééd. Seuil, coll. « Points essais », 1997.

(2) Marie Duru-Bellat, L’Inflation scolaire. Les désillusions de la méritocratie, Seuil, 2006.

COMMENT JUGER LE SYSTÈME SCOLAIRE ?

A partir du texte de F. DUBET, Justices scolaires dans Sciences Humaines, n°spécial 5. Réponds aux questions suivantes :

1. Présente les différents principes permettant d’évaluer la justice du système scolaire et explique pour chacun de ces principes leurs limites.

2. Quel est le double axe de réflexion à se poser sur l’école selon F. Dubet ? 3. Comment le sociologue conclut-il sa réflexion sur la justice scolaire ? F. DUBET, Justices scolaires

Comment reconnaître la diversité des talents et respecter la dignité de chacun ? L’école est-elle la seule instance légitime pour classer socialement les individus ? Autant de principes de justice plus ou moins conciliables et qui relèvent à terme de choix politiques…

Faut-il favoriser l’accès des élèves les plus défavorisés aux grandes écoles ou bien garantir à tous l’acquisition d’une culture commune ? Faut-il aider prioritairement les établissements les plus défavorisés ou veiller à la stricte égalité de l’offre scolaire ? Est-il plus juste de sélectionner les élèves précocement ou faut-il établir cette sélection le plus tard possible ? Faut-il considérer que les positions sociales doivent être fixées par les diplômes ou doit-on desserrer le lien entre ceux-ci et l’emploi ? Faut-il abandonner ou renforcer la carte scolaire ?

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Les réponses à ces questions et à bien d’autres ne sont jamais simples parce qu’il existe plusieurs manières de concevoir la justice d’un système scolaire et que toutes nos réponses renvoient à des principes de justice différents et pas forcément cohérents entre eux. Par exemple, nous admettons aisément qu’une école ouvrant largement le recrutement des élites scolaires aux enfants du peuple est une école juste en termes d’égalité des chances, mais nous avons plus de mal à penser que cette école serait juste si les moins bons élèves étaient rapidement relégués hors de l’école et de la formation. Pour définir ce que serait une école juste, il faut donc essayer de distinguer clairement les critères de justice à partir desquels il est possible d’en juger.

L’égalité d’accès ou les progrès de la démocratie

Dans la mesure où l’éducation scolaire a longtemps été réservée aux seules élites sociales, on a pu considérer que la justice scolaire était d’abord définie comme une égalité d’accès à l’école élémentaire, celle capable d’alphabétiser l’ensemble des enfants et de les introduire dans une culture nationale. Ce critère vaut encore dans un grand nombre de pays pauvres. Rappelons que l’alphabétisation de tous a été considérée comme la plus grande réussite de l’école républicaine française, s’attachant à ce que chacun sache lire, écrire et compter afin d’entrer dans la modernité et dans la nation au-delà des inégalités scolaires et sociales qui se maintenaient, ceci sans que l’école ait directement vocation à les réduire. Aussi s’est-on longtemps accommodé d’un système scolaire dual, l’un réservé au peuple, l’autre aux classes cultivées, l’inégalité supposée des dons justifiant cette organisation où seuls quelques enfants du peuple particulièrement doués et vertueux pouvaient

continuer leurs études au nom de l’élitisme républicain.

Au fil du xxe siècle, notamment à partir des années 1960-1970, le principe de l’égalité d’accès a laissé place au principe de l’égalité des chances considérant que, tous les individus étant fondamentalement égaux, ils avaient tous le même droit à la réussite scolaire. S’installe alors un principe de justice méritocratique visant à produire des élites en fonction de la seule réussite scolaire des individus, indépendamment de leur naissance et des inégalités sociales. Si l’égalité des chances a tant de force, c’est parce qu’elle est la conséquence logique de l’égalité démocratique, étant la seule manière juste de répartir des individus a priori égaux dans une structure sociale restée inégalitaire à cause de la division du travail. C’est ce principe de justice qui a commandé la massification scolaire des 40 dernières années et justifié la gratuité des études, les systèmes des bourses, la formation du collège unique… afin que chacun échoue ou réussisse en fonction de son seul mérite. Il faut bien convenir que le modèle de l’égalité des chances reste central en France parce que nous attendons de l’école, plus que du marché, qu’elle redistribue les cartes et finisse par établir une sorte de mobilité sociale pure dans laquelle les individus ne devraient leur place qu’à leurs mérites scolaires.

L’équité de l’offre

On connaît les résultats de cette politique. Si l’on en juge par le taux de bacheliers, le nombre d’enfants de milieux populaires accédant à l’enseignement supérieur, la réduction des écarts entre les sexes, cette politique a incontestablement élargi l’égalité d’accès aux études longues. En revanche, l’égalité des chances elle-même n’a pas été atteinte car l’école n’est pas parvenue à se protéger des inégalités sociales situées en amont de la scolarité. Ce sont toujours les mêmes qui réussissent le mieux et les mêmes qui réussissent le moins bien, comme le montrent les statistiques scolaires qui révèlent que l’école n’a pu neutraliser le poids des inégalités sociales sur les performances des élèves.

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La plupart des sociologues ont expliqué cet échec par le poids des « handicaps » culturels des groupes les moins favorisés. En multipliant les diplômes, l’égalité d’accès a eu un effet inflationniste conduisant les élèves à en acquérir de plus en plus pour « faire la différence (1) ». En même temps, les capacités stratégiques des familles pour s’orienter dans le système scolaire ont maintenu l’emprise des inégalités sociales sur les parcours scolaires. Pourtant, en dépit des déceptions engendrées par l’égalité des chances, il reste que ce modèle de justice structure la plupart des dénonciations des inégalités et nous la retrouvons dans l’intitulé même de la loi pour « l’égalité des chances » proposée à la suite des émeutes de banlieue de l’automne 2005. Tout se passe comme si l’école juste était d’abord celle qui permettrait aux enfants du peuple d’accéder équitablement à l’élite.

Toutes les inégalités scolaires ne découlent pas mécaniquement des inégalités sociales, elles s’expliquent aussi par l’organisation même du système scolaire incapable de mettre en œuvre l’équité de l’offre éducative. Ainsi, indépendamment des qualités et des performances des individus, tous les établissements et filières ne se valent pas. Les plus favorisés des élèves accèdent aux meilleurs établissements, formations et filières. On observe aussi que le coût des formations longues et prestigieuses payées par la collectivité procède d’une redistribution inversée en faveur des plus favorisés : les meilleurs élèves, qui sont aussi les plus favorisés socialement, font des études plus longues et plus coûteuses. La carte scolaire, tenue a de favoriser la mixité sociale, fonctionne souvent comme un facteur de ségrégation puisque les plus pauvres sont contraints de fréquenter les établissements de leur secteur alors que les autres parviennent à choisir leur établissement dans le public ou dans le privé. Au bout du compte, la réflexion sur l’égalité de l’offre conduit vers une double conclusion. D’une part, l’offre scolaire reste profondément inégale : il faut donc agir en faveur de son égalité. D’autre part, la pure égalité de l’offre scolaire ne suffit pas à établir l’égalité des chances : il importe donc d’offrir de meilleures conditions d’éducation aux moins favorisés par diverses mesures de discrimination positive comme les politiques de zep, les recrutements ciblés sur certains publics dans les grandes écoles et peut-être, à terme, une politique de quotas comme celle que les université américaines ont mise en place dans les années 1970 ou le dispositif de l’IEP-Paris destiné aux élèves de zep. Mais, dans tous les cas, le critère de l’équité de l’offre reste soumis au principe d’égalité des chances et vise à l’accomplir en permettant aux moins favorisés d’accéder aux meilleures formations.

L’égalité de base : creuser ou combler les écarts ?

Cependant, même dans un système juste, tous ne réussissent pas. Alors que faire pour les autres ? Imaginons que demain notre système scolaire s’approche de l’égalité des chances, et que les filles et les enfants issus des quartiers difficiles soient équitablement représentés dans les grandes écoles et les formations prestigieuses. La réalisation du principe méritocratique de l’égalité des chances serait sans doute un grand succès. Mais ce triomphe ne serait-il pas une victoire à la Pyrrhus s’il s’accomplissait au prix d’un creusement considérable des écarts de performances entre les meilleurs élèves et les moins bons, les premiers étant de plus en plus savants, les seconds, de plus en plus ignorants ? Une école juste n’est-elle pas aussi celle qui traite les plus faibles le mieux possible ? Il apparaît donc nécessaire de juger de la justice d’un système scolaire en s’interrogeant sur les compétences et la culture des élèves les plus faibles. Le « principe de différence » énoncé par John Rawls (2) affirme que les inégalités issues de l’égalité des chances sont justes dans la mesure où elles ne dégradent pas le sort des plus faibles, voire élèvent le niveau des moins favorisés. C’est pour cette raison que l’on peut évaluer la justice d’une école en mesurant l’évolution des performances entre plus faibles et plus forts, et en considérant que l’école juste est celle qui creuse le moins les écarts et

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garantit le meilleur niveau aux plus faibles. Alors que l’égalité des chances vise à construire une compétition équitable dans l’accès à l’élite, l’égalité de base conduit à consacrer plus de moyens à l’école élémentaire et au collège unique afin d’élever le niveau des plus faibles. Pourtant, dans la France scolaire, ce principe de justice est bien moins populaire que celui de la stricte égalité des chances car certains craignent souvent qu’il fasse « baisser le niveau » et beaucoup préfèrent le mot d’ordre de « l’excellence pour tous », même si cette formule s’avère un parfait oxymoron.

Compétition scolaire et darwinisme social

Par ailleurs, plus on est convaincu que l’égalité des chances scolaires est la seule façon de produire des inégalités justes car ne tenant qu’au mérite des individus, plus on peut penser qu’il est juste que les diplômes définissent strictement les positions sociales des individus. Alors qu’il importe que l’origine sociale des élèves ne détermine pas la réussite scolaire, il semble juste que les inégalités scolaires déterminent à leur tour les inégalités sociales situées en aval de l’école dès lors qu’elles ne devraient rien aux inégalités de naissance. Ainsi, parce qu’elles sont justes, les inégalités scolaires engendreraient des inégalités sociales justes parce que fondées sur le seul mérite.

On peut cependant douter de la justice de cette conception méritocratique. Non seulement les plus diplômés ont une sorte de monopole sur les positions les plus prestigieuses et les mieux rétribuées, mais les moins diplômés se trouvent condamnés au chômage, à la précarité et aux plus grandes difficultés. Et même si l’attribution des diplômes était parfaitement juste, il n’y aurait pas de bonnes raisons de penser que l’emprise de la sphère scolaire sur celle des positions sociales soit totalement juste, sauf à croire que les diplômes sont une forme d’élection participant d’un darwinisme social qui ne dit pas son nom. Ce problème, que mesurent aisément les statistiques d’entrée dans l’emploi, conduit vers deux axes de réflexion sur la justice scolaire. L’un est de savoir s’il est juste et bon que, sous prétexte d’égalité des chances, l’école devienne le terrain d’une compétition accrue pour obtenir les diplômes les plus utiles et sélectifs, les perdants étant alors de plus en plus démunis. L’autre est de savoir si les qualités dégagées par cette compétition scolaire sont un capital social dont bénéficie l’ensemble de la société, ou une valeur privée n’ayant d’utilité que pour les individus les plus diplômés. Toutes les formations scolaires sont-elles utiles à la collectivité et la société n’a-t-elle pas besoins des qualités personnelles et professionnelles que l’école ne développe pas et ne saurait même ni reconnaître ni développer ? Ici, la réflexion sur la justice scolaire ouvre vers des interrogations qui portent sur le contenu même des formations privilégiant des compétences spécifiques et en ignorant d’autres. Est-il juste que l’orientation vers l’enseignement professionnel se fasse par l’échec ? Peut-être faut-il cesser de croire que l’emprise des diplômes sur la hiérarchie sociale est fatalement juste.

L’égale dignité de tous les élèves

Le thème des inégalités de compétences et de parcours n’épuise pas la question de la justice scolaire.

En effet, une école qui frapperait et humilierait les élèves, qui les sélectionnerait sur des contenus dénués d’intérêt culturel, ne serait sans doute pas une école juste, même dans le cas où cette formation spartiate serait conforme à l’égalité des chances. Ainsi, la manière dont l’école traite les élèves, dont elle leur donne de l’autonomie, des droits, des devoirs, un sens de la solidarité et de la discipline, participe pleinement de la justice scolaire. De ce point de vue, la nature des relations pédagogiques participe de cette justice. Si l’on admet que toute école classe et hiérarchise les élèves, mais qu’elle doit aussi former des sujets autonomes, la manière dont elle traite ces élèves,

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notamment les moins bons et les moins favorisés, contribue pleinement à la justice de l’école. Or, sur ce plan, l’école française n’est pas particulièrement exemplaire (3), l’obsession de la sélection s’y manifestant de plus en plus tôt, les vaincus s’y sentant particulièrement humiliés et incompétents, parfois d’autant plus méprisés que la croyance dans l’égalité des chances en fait les responsables de leurs propres échecs. Au fond, puisque chaque système scolaire crée des inégalités, plus ou moins justes, l’école juste est celle qui préserve la dignité et le respect de ceux qui n’y réussissent guère. Et pour atteindre à cette justice-là, celle des« capabilités » dont parle Amartya Sen (4), il faudrait que l’école n’oublie pas qu’elle est d’abord chargée de former des sujets capables de mener la vie qu’ils jugent bonne avant même que de les sélectionner, fût-ce de manière juste.

Les principes de justice que nous venons d’évoquer, les diverses manières d’évaluer la justice d’un système scolaire ne sont pas que des principes philosophiques. D’un côté, ils engagent des manières de poser des problèmes sociologiques, de construire des données et des représentations critiques de l’école organisant un débat public. D’un autre côté, ces principes définissent des enjeux et des conflits puisque chacun d’eux favorise tel ou tel groupe et définit qui gagne et qui perd dans les arbitrages qu’il appelle. Si les conflits qui se nouent autour de l’école sont si virulents, c’est que derrière chaque principe abstrait se tiennent des intérêts bien tangibles. En fait, ces principes de justice définissent des choix politiques parce qu’ils imposent des arbitrages et des combinatoires entre des modèles différents, voire opposés. En effet, s’il est évident que l’égalité des chances reste le modèle de justice cardinal des sociétés démocratiques et plus encore en France, l’application de ce seul idéal peut aisément engendrer des situations et des pratiques parfaitement injustes. L’école juste n’est pas l’école parfaite qui appliquerait une seule conception de la justice et de l’égalité, elle ne peut être qu’une école combinant des principes de justice différents, ce qui nous éloigne des jugements et des propositions trop simples qui font parfois office de remèdes miracles. Sans doute devons-nous tendre vers l’égalité des chances méritocratiques. Mais pour que ce principe de justice ne se retourne pas contre lui-même, l’école juste ne doit pas creuser indûment les écarts, mais assurer le meilleur niveau au plus grand nombre et aux plus faibles, faire que les formations soient utiles à tous et, en dépit des mécanismes sélectifs, garantir l’autonomie et la dignité de tous.

NOTES

(1) M. Duru-Bellat, L’Inflation scolaire. Les désillusions de la méritocratie, Seuil, 2006.

(2) J. Rawls, Théorie de la justice, Seuil, 1987.

(3) P. Merle, L’Élève humilié. L’école, un espace de non-droit ?, Puf, 2005.

(4) A. Sen, Repenser l’inégalité, Seuil, 2000.

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