J AN G REGOROWICZ
The theory of definitions in the polish logical literature
Mathématiques et sciences humaines, tome 116 (1991), p. 23-27
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LA THÉORIE DES DÉFINITIONS
DANS LA LITTÉRATURE LOGIQUE POLONAISE
Jan GREGOROWICZ1
RÉSUMÉ - Analyse
de certainesréponses
aux questions suivantes : y a-t-il une notiongénérique
dedéfinition ?
Quelle est ladifférence
entre"définition analytique"
et"définition synthétique" ? Qu’est-ce qu’une
bonne
définition ?
SUMMARY - The theory of definitions in the
polish logical literature.
Analysis of
some answers to thefollowing questions :
is there a generic notionof definition ?
What is thedifference between
"analytic definition"
and"synthetic definition" ?
What is agood definition ?
La
problématique
de la théorie des définitions s’est tellementdéveloppée
àl’époque
récente etelle est si riche
qu’il
estimpossible
de laprésenter
dans le cadre limité d’un article. C’estpourquoi je
ne désireparler
que desproblèmes
et desopinions qu’on peut
trouver dans la littératurelogique polonaise.
En
Pologne,
divers théoriciens écrivent sur les définitions. Les uns sontd’origine mathématique,
les autresd’origine philosophique.
Dans monexposé, je parlerai
seulement de certainesopinions
des penseurs issus de laphilosophie. Quant
à celle des théoriciensd’origine mathématique, je
lesprésenterai
à l’occasion.Les
logiciens polonais d’origine philosophique
abordent lesquestions
suivantes :1. Existe-t-il une notion
générique
dedéfinition,
dont lesspécifications
seraient les définitions ditesréelles, distinguées depuis longtemps (les
définitionsportant
sur unobjet quel qu’il soit)
etles définitions nominales
(les
définitions de certainesexpressions) ?
2. Le deuxième
problème
absorbant vivement leslogiciens polonais qui appartiennent
à cegroupe est la
question
des définitions ditesanalytiques
et des définitions ditessynthétiques.
3. Le troisième
problème
très discuté dans lalogique polonaise
est laquestion
de savoir dansquels
cas la définition est bonne et dansquels
cas elle est mauvaise.Ad.l - S’il
s’agit
dupremier problème,
leslogiciens polonais
attirent l’attention sur le fait que la constructiongrammaticale
des termes "définitionréelle",
"définition nominale"suggère
que les notionsqui
leurcorrespondent
sont desspécifications
d’une notiongénérique (genus)
"définition",
enrichie à l’aide de différencesspécifiques
convenables(differentia specifica).
1 Université de L6dZ
(Pologne).
nominales,
réelles ou autres. Pour motiver cetteaffirmation,
on attire l’attention sur l’existence de trois notions différentes de définition : la notion de définitionréelle,
la notion de définition nominale et celle de définition dite arbitraire. La définition réelle d’unobjet
est sacaractéristique équivalente,
c’est donc l’énoncé serapportant
à cetobjet, qui
en dit cequ’on peut
dire d’unobjet unique
conformément à la vérité. Peuvent servird’exemple
lespropositions :
"Varsovie est la villequi
en 1991après
Jésus-Christ est lacapitale
de laPologne" (c’est
lacaractéristique équivalente
deVarsovie).
"Le sel de cuisine est le corps decomposition chimique
NaCI"(c’est
la
caractéristique équivalente
du sel decuisine,
c’est-à-dire d’une certaine classe decorps).
Leterme "définition réelle"
n’exige qu’un
seulrapport,
à savoir celui àl’objet
dont la définitionréelle est en
question.
Cequi
diffère de cesdéfinitions,
ce sont les définitions nominales. Cesont
toujours
les définitions de certains mots ou de certainesexpressions.
Le terme "définition nominale"exige
unrapport
au mot défini et outre cela à une certainelangue.
Autrementdit,
aucun énoncé n’est une définition nominale d’un mot tout
simplement,
mais l’est seulement sur leplan
d’une certainelangue.
On ditdonc,
de la définition nominale : la définition du mot W surle
plan
de lalangue
L est l’énoncépermettant
detraduire,
enexploitant
les thèses et lesrègles
dela
langue L,
touteproposition
construite des mots de lalangue
L et d’un motqui n’appartient
pas à cette
langue,
enpropositions
construites des seuls mots de cettelangue.
La troisième notion
qui
se lie au terme "définition" et àlaquelle
onpeut
soumettre le terme"définition
arbitraire",
c’est la notion de définitioncomprise
comme uneproposition
dontl’authenticité est
garantie
par certaines conventionsterminologiques,
donc par certaines décisionsqui précisent quels objets
on veutsymboliser
à l’aide de certains termes. Uneproposition
estappelée
définitionarbitraire,
eneffet,
doncpostulat
d’une certainelangue,
si dans cettelangue
est
obligatoire
la conventionterminologique
décidant que les termesemployés
dans cetteproposition symbolisent
ceux desobjets qui,
à laplace
de ces termes, satisfont cetteproposition.
Il faut remarquer que les définitions de ce genre sont
prises
enconsidération,
parexemple,
parPoincaré, qui appelle
les axiomes de lagéométrie :
définitionsdéguisées.
Si l’on consent aux trois notions de définition
présentées ci-dessus,
concluent lespartisans
de la thèse
examinée,
il n’existe pas uneunique
notiongénérique
àlaquelle
troisespèces
seraientassujetties,
mais il y a au moins trois notionsdifférentes, auxquelles correspondent
les troistermes
différents, qui
secomposent grammaticalement
du mot "définition" et d’uneépithète
convenable.
Ad.2 - La deuxième
question, qui
absorbe leslogiciens polonais
issus de laphilosophie,
c’estcelle des définitions dites
analytiques
etsynthétiques.
Les intuitionsprincipales,
liées à la notion de définitionanalytique
et à celle de définitionsynthétique,
sont conçues comme suit : "les définitionsanalytiques
sont cellesqui répondent
à laquestion :
quesignifie
le terme donné dansle
système
duparler déjà
existant?" ;
les définitionssynthétiques,
enrevanche, répondent
à laquestion :
quesignifie
le terme donné dans lesystème
duparler projeté
?".Ensuite,
on essaie deprésenter
de diversesfaçons
cesintuitions,
enexploitant rigoureusement
à cette finl’appareil
notionnel de la
syntaxe
moderne et de laméthodologie.
Ces essais pourpréciser
les notions dedéfinition
analytique
et de définitionsynthétique
sontrapportés
à la notion delangue
et dans lesdéterminations de celles-ci s’introduit le
rapport
aux directives dusystème,
ainsiqu’au
sens de laproposition.
L’une de cesprécisions
a la forme suivante : on dit quel’expression
D est ladéfinition
analytique
du mot d parégard
auxpropositions
Z et parégard
auxpropositions
Z1 lorsque (et
seulement dans cecas) :
1°)
chacune despropositions
sensées parégard
àZ,
est uneproposition
sensée parégard
àZ,
et non
réciproquement,
2°)
dans une despropositions
Zapparaît
le mot dqui n’apparaît
dans aucune despropositions zl,
3°) l’expression
D est la définitionsynthétique
du mot d parégard
auxpropositions Zl.
Cette détermination peut mener à la conclusion
qu’on emploie
la notion de définitionanalytique
en larapportant
doublement : auxpropositions
Z et auxpropositions ZI,
l’ensemble des
propositions Z,
faisantpartie
de l’ensemble despropositions
Z.On détermine les définitions
synthétiques
comme suit :l’expression
Dcomprenant
un motd,
nouveau parégard
auxpropositions Z, jointe
auxpropositions
Z et considérée commeproposition
parégard
à la directive dedéfinir,
estappelée
définitionsynthétique
parégard
auxpropositions
Z.Les considérations suivantes consacrées aux définitions
analytique
etsynthétique
visent àorganiser
tout cequ’on
dit à propos de ces définitions. On attire l’attention sur le fait que les différents auteurs divisent les définitions enanalytiques
etsynthétiques
parégard
à desprincipes
bien divers. Le
premier
de cesprincipes
est lafaçon
de formuler la définition. La définitionanalytique
est cellequi
a la forme d’uneproposition
dutype :
"la locution Z estemployée
danstelle et telle
langue
et ellesignifie
ceci et cela" ou bien "estl’équivalent
de telle et telle locution"(par exemple,
le mot"hypocrite"
a enfrançais
la mêmesignification
que "hommefaux").
Laquestion
se pose de savoir si ceprincipe
doit être admis dans le cas de la définitionsynthétique.
A
l’opposé
de la définitionanalytique,
constatant l’état réel deschoses,
elle a le caractère d’une annonce, d’unprojet.
Enparlant
de la définitionsynthétique,
les uns ont dans l’idée uneexpression
du type :"j’emploierai l’expression
Z en tel et telsens",
les autres uneexpression
comme
"employons
le mot ’marchandise’ au sens’produit
du travail humain destiné à êtreéchangé"’.
Le deuxième
principe
de la division des définitions enanalytiques
etsynthétiques
estl’intention avec
laquelle
nous lesconstruisons,
ou bienquelle
tâche nous avons en vue :essayons-nous de saisir la
signification déjà
existante et del’indiquer
dans la définition - nous avons alors affaire à la définitionanalytique,
ou bien s’il nes’agit
pas de cela - nous donnons alors une définitionsynthétique.
Parexemple,
si nous réfléchissons à lasignification
du mot"mensonge"
et si nous essayons enquelque
sorted’ajuster
différentesdéfinitions,
parexemple,
"le mensonge est l’acte de mentir" ou "le mensonge est l’acte conscient de ne pas dire la
vérité",
à la
simple pratique d’employer
ce mot et si nousrejetons
certaines de ces définitions commecontraires à la
compréhension acceptée,
en nous arrêtant sur l’une d’ellesqui
nousparaît ajustée
à cette
compréhension,
alors nous donnons la définitionanalytique
du mensonge ;lorsque
nousne tenons pas à donner à ce mot la
signification déjà
existante - une définitionsynthétique.
Le troisième
principe pris
en considération dans la division des définitions ensynthétiques
etanalytiques
est lerapport
entretenu avec lasignification déjà
existante. Si elle est conforme àcelle-ci,
la définition estanalytique,
sinon - elle estsynthétique.
Parexemple,
la définition :"l’amende est une
peine pécuniaire"
estanalytique
parrapport
aulangage
courant, et la définition : "la force est lagrandeur
mesurée par leproduit
de la masse et de l’accélération" estsynthétique
par rapport aulangage
courant.Évidemment,
la même définitionpeut
êtreanalytique
eu
égard
à unelangue
etsynthétique
euégard
à une autre.Le
quatrième principe
de la division est l’action dedéfinir,
c’est-à-dire ayant pourpoint
dedépart
le termedéfini ;
nous arrivons à la définition par voied’analyse
de sasignification
et de ladistinction des traits
qui
concourent à cettesignification,
oubien,
aucontraire,
nouscommençons par la distinction d’un certain ensemble de traits essentiels et ensuite nous
troisième sont considérées comme les
plus importantes.
Lapremière
division n’a pasd’importance,
parce que la notion de définitionqu’on
ydistingue,
en tant queproposition
rendant
compte
del’emploi
de la locution définie dans unelangue concrète,
n’est pas une définition. C’estplutôt
une affirmationsociologique, puisque
ladescription
des traditionslinguistiques appartient
à lasociologie
ainsi que ladescription
d’autres habitudes etcomportements
des hommes. Dans le cas où l’on rendcompte
de certains termes dans lasphère
d’une
discipline scientifique donnée,
c’est une affirmation du domaine de laméthodologie descriptive
dessciences,
mais pas une définition nonplus.
La
quatrième
division est peuimportante,
car elle n’est pas utile et elle est finalement tombéeen désuétude.
Ad.3 - La troisième
question
discutée vivement dans lalogique polonaise,
ausujet
de ladéfinition,
est celle-ci : dansquels
cas la définition est-elle bonne et dansquels
cas est-ellemauvaise ? Les termes "bon" et "mauvais" ne sont nullement
univoques.
Enlogique,
laplus fréquente compréhension
de ces termes est tellequ’on appelle
bonne cette définitionqui
estvraiment démontrée telle. La deuxième
compréhension
des termes "bon" et "mauvais" rencontrée dans laméthodologie
est telle que "bon" est ceci dontl’usage
peut être utile dans un certainbut,
et "mauvais" est cela
qui
ne sert pas ce but. Lesadjectifs
"bon" et"mauvais",
si on lescomprend ainsi,
sont les abréviationselliptiques
des termes relatifs "bon pour unobjectif C",
"mauvais pour unobjectif
C". Ainsi les uns trouvent bonnes les définitionsanalytiques
donnant auxmots définis les définitions
d’après lesquelles
ils sontemployés
dans lalangue
courante. Il estfacile de
comprendre pourquoi
les définitionsadaptées
aux traditionslinguistiques
ordinairessont
spécialement distinguées, quand
on tientcompte
du fait que lalangue
sert às’entendre,
etque le rôle des définitions est de faciliter cette entente. Si l’on construisait à volonté la définition des mots
employés
couramment, sansprendre
en considération lasignification existante,
onarriverait,
biensûr,
au résultat diamétralementcontraire,
enproduisant
un malentendu au lieu d’une entente. Les autres trouvent bonnes ces définitionsqui
concourent à la formation des notions convenant auxobjectifs scientifiques.
Et cesobjectifs
sont différents dans les sciences différentes. Les sciencesthéoriques,
aussi bien naturellesqu’humaines,
se donnent unobjectif principal :
découvrir lesrégularités naturelles,
lesexpliquer
en vertu des faits connus del’observation et
prévoir
les événements non observésjusque
là. Dans cessciences,
on trouvebonnes les définitions
qui
donnent une tellecaractéristique
del’objet qu’on peut
endéduire,
surle
plan
d’une théorieadoptée,
par la voie de la déductionlogique,
d’autresparticularités
del’objet
défini et, si c’estpossible,
toutes cellesauxquelles
il donne droit dupoint
de vueintéressant le chercheur. Autrement
dit,
les bonnes définitions sont cellesqui
constituent lasynthèse
de notre savoir sur lesobjets
définis. Une bonne définition au XIX~me siècle a été la définition de lalumière,
la caractérisant comme une ondeélectromagnétique
à lalongueur comprise
dans certaineslimites,
car ellepermet
sur leplan
de la théoriemagnétique
de Maxwellde déduire toutes les
particularités
de la lumière connues alors. Lesexigences
sont différentes dans le domaine des sciencespratiques.
Le devoirprincipal
de ces sciences consiste àindiquer
des moyens d’atteindre certains buts définis. Dans ces
sciences,
on trouve bonnes les définitionsqui distinguent,
dans les éclaircissementsqu’elles donnent,
les traitspermettant
la réalisation desobjectifs
à atteindre. En médecinepratique,
parexemple,
on trouve bonnes ces définitions danslesquelles
sont cités d’un côté lessignes diagnostiques
facilitant la détermination laplus
sûrepossible
d’unemaladie,
de l’autre lessignes qui
permettent de déduire une indication sur le moyen deguérir
cette maladie.Ainsi
donc,
on trouve bonne cette définition d’une maladiecontagieuse qui indique
le virusqui
a causé lamaladie,
au lieu de ne donnerqu’une image clinique.
Leslogiciens, qui
entrentdans les considérations
présentées ci-dessus, proposent d’examiner,
ens’appuyant
sur l’histoiredes
sciences,
ledéveloppement
des notions dans le détail desdisciplines
et de trouverquelles
raisons ont fait que certaines notions ont contribué au
progrès
de la science dans le domainedonné,
tandis que les autres n’ontjoué
aucun rôle et même ontfreiné,
d’unefaçon distincte,
leprogrès.
Ilsproposent
aussi d’arriver en vertu de cesanalyses
à desgénéralisations quant
aux conditions de l’utilité des définitionsqui
servent à former les notions. C’est unproblème
peuexaminé, exigeant beaucoup
d’étudesanalytiques
etcritiques,
maisqui, semble-t-il,
vaut lapeine
d’être étudié.
On a
envisagé
laproblématique inépuisable
des définitions abordée par leslogiciens polonais.
Leslogiciens
issus de lamathématique pratiquant
la théorie deslangues
formaliséesont une
opinion
différente sur cesproblèmes.
On sait que,lorsqu’on emploie
le terme dedéfinition dans la théorie des
langues formalisées,
on lecomprend
commeéquivalent
à celui de"définition nominale".
Ensuite,
enparlant
des définitionsnominales,
on pense seulement à cellesqui
sont des définitionsarbitraires,
donc despostulats appuyés
sur les conventionsterminologiques
du typesyntaxique
décidantqu’on peut
se servir de certainesexpressions
enéchange
de certaines autres. Un telrapport
à la définition fait naître d’autresproblèmes
que ceux abordés ici. Pourprésenter
cesproblèmes
et lespropositions
faites par lalogique polonaise
pour lesrésoudre,
on aurait besoin d’un autre article.BIBLIOGRAPHIE