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TD PHILOSOPHIE MORALE ET POLITIQUE MORALE

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…….. Dr.

KOUADIO KOFFI DECAIRD

……….

TD PHILOSOPHIE MORALE ET POLITIQUE MORALE

LICENCE 2 2018-2019

Par Prof. Kouadio Koffi Décaird/ Maître de Conférences de Philosophie. UFHB Contact : 07721830. Mail : decairdk@yahoo.fr

COURS DE MORALE TD L2/ Année académique : 2018-2019. 2è semestre UE/ Philosophie morale et politique - ECUE/ Morale

Titre du cours : LA MORALE ENTRE REJET ET INDISPENSABILITÉ : LA RECONSTRUCTION NORMATIVE DU SENS

Objectif du cours:

Dans ce cours, l’étudiant est amené à comprendre les raisons du rejet de la morale d’une part, et d’autre part, saisir l’indispensabilité de la morale dans notre société actuelle.

Plan du cours : Introduction

I. Du rejet de la morale

II. sens et compréhension du rapport morale et éthique III. Morale et éthique : objets et objectifs

Conclusion

MINISTÈRE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

Université Félix Houphouët-Boigny

UFR Sciences de l’Homme et de la Société Département de Philosophie

RÉPUBLIQUE DE CÖTE D’IVOIRE Union-Discipline-Travail

Abidjan, le 07 juin 2020.

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Introduction

Ce cours dont nous avons la charge d’expliciter le sens et la portée dans nos travaux dirigés prend appui sur Morale et axiologie d’Aké Patrice, d’où il est question d’éclairer les étudiants sur les raisons qui ont entrainé la morale à sa décadence, puis poser la question de l’indispensabilité de la morale non sans traduire le rapport existant entre morale et éthique.

Mais avant, pourquoi la morale est-elle devenue caduque ? Quels rapports existent-ils entre morale et éthique ? Quels en sont leurs objectifs et leurs objets ? N’est-il pas illusoire de vouloir rejeter la morale ? Telles sont les questions que nous avons choisies d’examiner dans ce cours. Ainsi, nous examinerons les points suivants : I. Du rejet de la morale, II, sens et compréhension du rapport morale et éthique et enfin creuser l’objet et les objectifs de la morale et de l’éthique.

I. Du rejet de la morale

Aké Patrice s’appuie sur Nietzsche pour affirmer que la morale est vilipendée. Justement Selon F. Nietzsche, « la morale est la forme la plus maligne de la volonté de mentir, la véritable Circé de l’humanité : c’est ceci précisément qui l’a corrompue »1. En effet, Nietzsche voit dans morale, la Circé de l’humanité, la vertu des médiocres, l’apanage des faibles. Cette morale platonicienne et judéo-chrétienne du Bien est devenue obsolète aux yeux de Nietzsche et des anarchistes. Cette morale est selon lui, l’instinct même de la décadence. Il écrit ceci : « la morale contre nature, c’est-à-dire presque toute morale enseignée, honorée, prêchée jusqu’à ce jour, va, bien au contraire, contre les instincts de la vie »2. Le jugement moral ne traduit pas la vérité : il ne traduit que du non-sens. La morale est récusée à cause de son abstraction et le mensonge qu’elle incarne. Nietzsche va donc déprécier la morale de son époque qu’il juge démodée, car elle est la perversion de la raison. Elle empêche l’homme de jouir de sa liberté. On pourrait se demander pourquoi la morale est-elle récusée de la sorte ? De même, pour Aké Patrice, « mieux vaut se demander pour quelles raisons notre époque soupçonne la morale, et nargue les donneurs de leçon comme si la morale n’était plus crédible »3. La morale est récusée à cause de son abstraction. En effet, dans notre monde actuel attaché à la matérialité des choses, à ce qui est réel et concret, la morale a du mal à convaincre, dans la mesure où elle est fondée sur les choses abstraites. Les différentes révolutions étaient suscitées par le désir d’émancipation et la volonté de rompre avec l’ordre

1 NIETZSCHE Friedrich, La volonté de puissance, Essai d’une transmutation de toutes les valeurs (Etudes et fragments), Paris, Mercure de France, 1903, Trad., Henri Albert, Tome I, p. 222.

2 FRIEDRICH Nietzsche, Crépuscule des idoles, Paris, Gallimard, 1974, Trad., Jean-Claude Hemery, p. 50.

3 Aké Patrice Jean, Morale et axiologie, Abidjan, UCAO, 2013, p. 11.

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social établi. Car, la société occidentale par exemple était fondée sur l’ordre bourgeois d’inspiration judéo chrétienne. Or, les révolutionnaires avaient pour souci d’imprimer un ordre nouveau qui prend en compte les aspirations de l’instinct déchainé qui interdit les interdits, c’est-à-dire qui revendique une société sans règle morale : ils penchent pour la libéralisation des mœurs et le libre exercice des pulsions. Et pourtant, le jugement, le conformisme, l’obligation et le devoir qui constituent la sacralité de l’ordre social, l’absolutisent et gangrènent les libertés. Aké Patrice le souligne clairement ainsi : « la morale sociale réelle, conformiste par définition, dénuée de jugement, cynique, paresseuse ou grégaire, apparait immorale ou amorale en tant que mécanisme de la tradition, automatisme de l’habitude, irréflexion »4. De la sorte, « on comprend que le mot « vertu » soit devenue ridicule ou tabou, comme qualité innée… la vertu faisait de la moralité une sorte de capital, une qualité atavique ou innée, un don de Dieu, par morale sociale interposée »5. Comme on peut le constater, l’ordre moral conformiste épris de « morale », qui surveille l’agir, tue les libertés et confine l’homme dans une soumission dogmatique en le terrorisant.

Dans le cours de morale de Niamkey Koffi, portant « cours de philosophie morale duel I des années 2004 », il montre que dans les années 60, le débat philosophique était dominé par le structuralisme et le marxisme avec les oppositions Sartre - Raymond Aron, Sartre – Lévi- Strauss. Il indique que Marx et Freud sont les semeurs de graines. Marx avec sa notion d’idéologie, reflet des infrastructures, a posé les prémisses d’une théorie de l’illusion. Quant à Freud, en découvrant l’inconscient, il a détruit l’image d’une conscience libre. Ébranlée d’un côté par la notion d’idéologie et de l’autre par l’idée d’inconscient, la glorieuse statue de la liberté s’effondre6. De la même manière, Nietzsche va déprécier la morale de son époque qu’il juge démodée. Elle empêche l’homme de jouir de sa liberté.

Aké Patrice relève pour sa part que « la morale est un problème classique parce que la vie et l’action consistent à reprendre le problème, à révoquer la tradition et les mœurs pour répondre à l’appel du présent, à dépasser une tradition inapte à résoudre les difficultés »7. Pour Aké Patrice, la contestation de la morale est aussi ancienne que le Gorgias et la république de Platon8. C’est dire que les échecs de la tradition en appellent toujours à la réécriture de l’ordre moral. Ce qui est contesté, ce sont les mœurs et valeurs du passé jugées dépassées. Si tel est le cas, c’est parce que l’homme actuel n’a plus confiance dans cette

4 Ibidem, pp. 26-27

5 Ibidem, p. 27.

6 Niamkey Koffi, « Cours de philosophie morale », Duel 1, Université de Cocody, 2004.

7 Aké Patrice Jean, Morale et axiologie, Abidjan, UCAO, 2013, p. 10.

8 Ibidem, p.11.

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morale qui ne répond plus aux exigences du présent. L’homme semble ne plus supporter qu’on lui fasse la morale, il refuse qu’on lui impose toujours ses choix et ses orientations. Il se sent sous la domination de donneurs de leçons qui lui dictent son agir.

Ce qui semble être en cause, c’est le jugement moral. En vertu de quoi telle action peut- elle être jugée bien ou mal ? Qui a le droit de juger ? Qui établit les règles morales pour que je les applique ? Selon Aké Patrice, « juger moralement consiste à se réclamer d’un absolu pour séparer le juste de l’injuste. C’est donc se mettre du côté de l’absolu, ou mettre l’absolu de son côté, c’est-à-dire trop souvent s’arroger abusivement la propriété du Bien, et donc trop souvent transformer ses intérêts propres en lois, en devoirs, en règles, en vérité et en Bien absolus »9. C’est dire que le jugement moral est la posture adoptée par une tierce personne pour dire à l’autre ce qu’il a à faire et les reproches faits quand il n’agit pas dans le sens qu’on voudrait qu’il agisse. Ce genre de morale est alors « la ruse pour s’accaparer la force du juste : ruse dont le vrai nom est fanatisme, consistant à vaincre l’adversaire par le moyen détourné et fantasmatique des idéaux, des absolus »10. Cette ruse n’est rien d’autre que l’hypocrisie du jugement moral qui impose à l’autre de faire ce qu’il (le moralisateur) se refuse de faire, il le blâme pour la même faute qu’il commet. Il feint d’être quelqu’un de sage, juste, honnête, bien. « Faire la morale, c’est rappeler à quelqu’un ses devoirs, le réprimander de les avoir négligés ou transgressés »11. C’est toujours l’autre qui est réprimandé, jamais moi comme si j’avais atteint le sommet de la parfaititude. Tel est l’attitude des moralistes ou moralisateurs qui en fin de compte étouffent l’autre.

C’est pourquoi Aké Patrice donne la définition du moralisme en ces termes : « on appelle moralisme, l’ordre moral que l’hypocrisie veut imposer par la contrainte et le fanatisme à l’aide d’une logorrhée mielleuse et d’un épanchement de sentiments faciles sous lesquels pointent des réactions assez répugnantes en ce qu’elles bafouent la morale même qu’elles invoquent : mépris, hargne, apitoiement, condescendance, hostilité, intolérance, condamnation, vanité, suspicion, autosatisfaction »12. De la sorte, la morale est un prétexte, pure mensonge qui mérite d’être vilipendée.

II. Sens et compréhension du rapport éthique et morale

9 Ibidem, p. 13.

10 Ibidem, p. 13.

11 Ibidem, pp. 39-40.

12 Ibidem, p. 14.

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Après avoir examiné les raisons du rejet de la morale, nous restons préoccupés et perplexes sur les fondements d’une société exempte de morale. Ceux qui méprisent la morale en ont-ils le droit ? Pour sortir de l’impasse, nous allons analyser le concept d’éthique, c’est-à- dire ce qu’il est, son lien avec la morale et ce qui les distingue. Cette tâche nous conduira à plonger notre recherche dans la source du concept d’éthique et de la morale, afin d’éviter tout malentendu et toute mauvaise interprétation qui pourraient susciter la déchirure du sens13. En effet, ces deux termes ne sont pas toujours faciles à distinguer, dans la mesure où leur usage prête souvent à confusion. On ne sait pas toujours de façon sure à quel moment utilise- t- on éthique ou morale ou éthique et morale. Ces deux termes concurrents sont souvent mal différenciés du fait de l’équivalence de leur origine étymologique. C’est pourquoi, il y a par moment une hésitation dans le choix du vocabulaire.

L’origine étymologique du terme éthique vient du Grec et le terme « morale » a une origine latine. Le terme « morale » a été proposé par Cicéron pour traduire le mot Grec éthikos (éthique). C’est dire à ce niveau que éthique et morale ont une même signification. Du Grec ethos, c’est-à-dire « mœurs », « coutume », « usage », « caractère »), principes ou critères d’évaluation de la conduite humaine, parfois appelés mœurs (latin mores) et, par extension, étude de tels principes. Le sens ordinaire est synonyme de morale. Ce sens nous dit que l’éthique est l’art ou la pratique ayant pour fin la vie bonne et heureuse. Un deuxième sens nous fait savoir que l’éthique est la théorie ou la doctrine ayant pour objet la détermination des fins de l’existence humaine, ou les conditions d’une vie heureuse. Chez les Grecs, « l’éthos » signifie l’habitude, la coutume, la façon d’agir. L’éthique se présente ainsi comme la réflexion sur l’action de l’homme, recherche du bonheur et de la vertu. Ce qui est à rechercher, c’est un mode de vie capable de traduire le bien-être de l’homme. Justement, pour Aristote, le Bien humain suprême à rechercher, c’est le bonheur, car il se suffit à lui-même.

Ainsi, « avoir une vie de qualité ou réussir, c’est la même chose, dans leurs conceptions, qu’être heureux ». (Aristote, 2004, pp. 53-54). L’éthique aristotélicienne vise la vie bonne et juste, c’est-à-dire une vie réussie qui découle d’un bon comportement. Cette manière de se conduire n’est rien d’autre qu’une conduite par la vertu qui mène nécessairement au Bien. Il s’agit d’apprendre à bien vivre. De ce point de vue, nous dit Aristote, (2004, p. 76), « ce qui est beau et bon dans l’existence échoit à ceux qui agissent correctement ». Ceux donc qui agissent correctement réussissent généralement leur vie et sont bienheureux. C’est dire que le bonheur est relatif aux actes que nous posons. De cette façon, selon Aristote, le bonheur

13 Kouadio Koffi Décaird, Jürgen Habermas, l’éthique de la communication : vers une théorie discursive de la démocratie, Saarbrücken/Allemagne, Presses Académiques Francophones, 2015, p. 17.

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dépend de nous. Par conséquent, « le bonheur ne pourrait être affecté après la mort (…) nous ne voulons pas dire que c’est une fois mort qu’on est heureux ». (Aristote, 2004, p. 82). Le bonheur est une réalité terrestre vivante qui peut ou doit avoir lieu pendant l’existence humaine et non après la mort. C’est pourquoi, pour Aristote, le concept de Bienheureux doit être attribué aux vivants et non aux morts. Vivre bien chez lui, c’est vivre avec l’autre dans une république à institutions justes, rationnellement établies. Ce qui veut dire que le vivre- bien se mesure à la relation interpersonnelle structurée par des institutions justes. Qu’en est-il de la morale ?

Du Latin mores, c’est-à-dire « mœurs » et spécialement de moralis, qui traduit l’éthos grec (relatif aux mœurs), signifiant morale, le sens ordinaire nous fait savoir qu’elle est l’ensemble des règles de conduites et de valeurs au sein d’une société ou d’un groupe. Elle se présente comme la doctrine raisonnée indiquant les fins que l’homme doit poursuivre et les moyens d’y parvenir.

Ainsi libellé, il nous est difficile de marquer une différence sémantique entre ces deux termes. C’est la remarque qu’a faite Paul Ricœur dans son ouvrage Soi-même comme un autre. Selon Ricœur, en effet, « rien dans l’étymologie ou dans l’histoire de l’emploi des termes ne l’impose. L’un vient du grec, l’autre du latin ; et les deux renvoient à l’idée intuitive de mœurs, avec la double connotation que nous allons tenter de décomposer, de ce qui est estimé bon et de ce qui s’impose comme obligatoire »14. Cependant, la démarche du Dictionnaire étymologique Larousse fait une précision sur les dates d’apparition. Ainsi, la première apparition de « l’éthique » se situe en 1265 alors que celle de « la morale » se situe en 1530.

Ethos et mores signifient mœurs. Le vocable ‟mœurs” constitue les habitudes d’une société, d’un individu. On peut le caractériser par l’ensemble des comportements sociaux. La morale, chez les Latins, a une connotation impérative et formelle. Kant épouse donc ce caractère impératif de la morale qui prend le sens du devoir. « Le principe de cette morale était le principe de la perfection, auquel le concept d’obligation était subordonné. Le devoir consiste pour nous à nous perfectionner et à concourir au perfectionnement de nos semblables »15. La morale, vue sur cet angle, fait allusion à la moralité, au moralisateur ou moralisme. « Cet impératif peut être nommé l’impératif de la moralité ». (E. Kant, 1994, p.128). De ce fait, l’agir humain doit se conformer aux exigences des règles codifiées,

14 RICŒUR Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 200.

15DELBOS Victor, “Avant Propos”, in Kant fondements de la métaphysique des mœurs, Paris, Delagrave, 1994, Trad., Victor Delbos, p. 21.

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édictées de l’extérieur. Cette morale donc s’impose aux consciences individuelles et aux comportements. Pour Kant, c’est un devoir de souscrire et d’obéir à l’impératif catégorique afin de construire une société véritablement humaine et juste fondée sur la raison. La loi morale est pour Kant (2003, p. 129), « un impératif qui ordonne catégoriquement, parce que la loi est inconditionnée ; le rapport d’une telle volonté à cette loi est la dépendance, désignée par le terme d’obligation qui signifie une contrainte, imposée toutefois par la raison seule et sa loi objective, à une action qui est appelée devoir ». La morale de ce point de vue consiste à agir par devoir. C’est la raison pure qui donne à l’homme la loi universelle qui selon Kant est la loi morale. « Kant juge moralement justes uniquement les choix auxquels chacun est tenu de souscrire en tout temps. Pour Kant, l’impératif catégorique constitue une injonction, à laquelle on doit obéissance par devoir moral, sans égard aux tendances personnelles, afin de construire une société véritablement humaine fondée sur la raison et reposant sur le libre arbitre »16. L’impératif catégorique est donc posé par Kant comme le principe moral et le médium d’une société humaine parfaitement constituée en raison. L’homme pour être libre doit se soumettre à la loi morale.

Cependant, devant une société en pleine mutation où nous assistons au relativisme des valeurs, cette morale monologique et catégorique suscite doute et méfiance. Selon Habermas,

« Kant n’a pas mené à bien le passage à la morale autonome de façon suffisamment conséquente. Il a présenté l’impératif catégorique comme étant une réponse à la question concrète « que dois-je faire ? », et n’a pas suffisamment mis en évidence le fait que s’orienter vers des problèmes de fondation signifiait en même temps une stricte séparation entre les questions de fondation de normes et celles de leur application »17. Habermas, en portant ce regard critique sur l’impératif catégorique, se propose de dépasser Kant en fondant une morale débarrassée du rigorisme dans laquelle l’a plongé Kant et la reconstruire par la force de l’argumentation.

Selon Arno Münster, dans la tentative habermassienne d’esquisser les grandes lignes d’une éthique postconventionnelle, ce dépassement de Kant est en réalité une reformulation de l’impératif catégorique. En effet, il « déconnecte la question de la validité et de la détermination des normes morales des impératifs kantiens du devoir et du respect inconditionné à l’égard de la loi morale, mais en même temps, il s’efforce de reformuler, dans une perspective entièrement nouvelle, l’impératif catégorique de la philosophie morale

16 Microsoft ® Encarta ® 2007. © 1993-2006 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

17 HABERMAS Jürgen, De l’éthique de la Discussion, Paris, Cerf, 1992, Trad., Mark Hunyadi, p.88.

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kantienne à l’aide des concepts-clef d’une théorie communicationnelle où le langage et l’argumentation rationnelle et libre entre participants à une situation de parole idéale, jouent un rôle capital pour la détermination démocratique des normes »18.

Dans notre analyse sur le rapport éthique et morale, il est apparu une même signification sémantique. À dire vrai, il y a, tout de même, une distinction entre ces deux termes. Nous partirons des travaux de Paul Ricœur sur la question, ensuite nous définirons le contenu éthique et moral du point de vue habermassien.

Paul Ricœur traite les déterminations éthiques et morales de l’action comme des prédicats d’un nouveau genre et leur rapport au sujet de l’action comme une nouvelle médiation sur le chemin de retour vers le soi-même. Il estime que l’agir doit accéder à des préceptes qui guident la réussite de l’action. Pour lui, « il appartient à l’idée d’action qu’elle soit accessible à des préceptes qui, sous la forme du conseil, de la recommandation, de l’instruction, enseignent à réussir, donc à bien faire, ce qu’on a entrepris. Les préceptes ne sont certes pas tous d’ordre moral – loin de là : ce peuvent être des préceptes techniques, stratégiques, esthétiques, etc., du moins des règles morales s’inscrivent-elles dans le cercle plus vaste des préceptes, lesquels sont intimement liés aux pratiques qu’ils concourent à délimiter »19. Pour distinguer ces deux notions, Ricœur procède par convention et met le thème d’éthique pour la visée d’une vie accomplie et celui de morale pour l’articulation de cette visée dans des normes caractérisées à la fois par la prétention à l’universalité et par un effet de contrainte. « On reconnaîtra aisément dans la distinction entre visée et norme l’opposition entre deux héritages, un héritage aristotélicien, où l’éthique est caractérisée par sa perspective téléologique, et un héritage kantien, où la morale est définie par le caractère d’obligation de la norme, donc par un point de vue déontologique »20. Sur ce point, la distinction entre l’éthique et la morale commence à se faire sentir. Nous avons d’une part l’héritage aristotélicien qui caractérise l’éthique d’un point de vue téléologique, c’est-à-dire la recherche du bien-vivre et d’autre part l’héritage kantien qui caractérise la morale d’obligation normative et déontologique, c’est-à-dire l’agir par devoir.

Nous pouvons conforter la démarche de Paul Ricœur avec celle de Jürgen Habermas qui fait aussi signe à ces deux héritages. Pour Habermas, en effet, « l’éthique classique, qui a trouvé sa maturité dans l’œuvre d’Aristote, était déterminée par l’ambition, assumée par la philosophie, de répondre à une question fondamentale : « comment dois-je, comment doit-on

18 MÜNSTER Arno, Le principe « Discussion », Habermas ou le tournant langagier et communicationnel de la théorie critique, Paris, Kimé, 1998, p.131.

19 RICŒUR Paul, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 200.

20 Ibidem.

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vivre ? » par cette décision préalable, les questions pratiques acquièrent un sens téléologique.

Les questions « que dois-je faire ? », ou « qu’est-ce qui est juste pour moi ? » sont subordonnées à la question plus englobante : « en quoi consiste la vie bonne ? » ; ce virage en direction de l’éthique du bien a pour conséquence un découplement de la raison pratique et de la connaissance théorique »21. Nous assistons non seulement à une distinction entre éthique et morale, mais aussi à la primauté de l’éthique sur la morale, dans la mesure où le champ de la morale reste limité, celui de l’éthique est vaste et englobe la morale.

Selon Ricœur, dans « l’hypothèse de travail proposée, la morale ne constituerait qu’une effectuation limitée, quoique légitime et même indispensable de la visée éthique, et l’éthique en ce sens envelopperait la morale. On ne verrait donc pas Kant se substituer à Aristote en dépit d’une tradition respectable. Il s’établirait plutôt entre les deux héritages un rapport à la fois de subordination et de complémentarité, que le recours final de la morale à l’éthique viendrait finalement renforcer »22. Pour Ricœur, l’objection de Hume d’un fossé logique entre prescrire et décrire, entre devoir être et être, est une réponse à la distinction entre éthique et morale. « On peut attendre de la conception téléologique par laquelle on caractérisera l’éthique qu’elle enchaîne de façon directe sur la théorie de l’action prolongée par celle de la narration. C’est, en effet, dans des évaluations où estimations immédiatement appliquées à l’action que s’exprime le point de vue téléologique. En revanche, les prédicats déontiques relevant d’une morale du devoir paraissent s’imposer du dehors – ou de haut – à l’agent de l’action, sous les espèces d’une contrainte que l’on dit précisément morale, ce qui donne du poids à la thèse de l’opposition irréductible entre devoir-être et être »23. La distinction entre éthique et morale débouche donc sur la distinction entre description et prescription, entre

jugements de valeur et jugements de fait.

L’éthique se rapporte à un jugement de valeur et c’est ce que tente de signifier Wittgenstein dans la définition qu’il donne de l’éthique : « je traite, comme vous le savez, de l’éthique et j’adopterai l’explication que le professeur Moore a donnée de ce terme dans ses principia Éthica. Il dit : l’éthique est l’investigation générale de ce qui est bien. » (…). Ainsi, au lieu de dire : « l’éthique est l’investigation de ce qui est bien », je pourrais avoir dit qu’elle est l’investigation de ce qui a une valeur, ou de ce qui compte réellement, ou j’aurais pu dire encore que l’éthique est l’investigation du sens de la vie, ou de ce qui rend la vie digne d’être

21 HABERMAS Jürgen, De l’éthique de la Discussion, p.76.

22 RICŒUR Paul, Op. Cit., p. 201.

23 Ibidem, pp. 201-202.

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vécue, ou de la façon correcte de vivre »24. Selon Wittgenstein, l’éthique consiste dans la recherche de ce qui a de la valeur et de ce qui est bien. Cette définition se rapporte à la position Aristotélicienne, alors que la morale se rapporte aux faits. L’éthique de Kant pourrait-on dire, se rapporte aux problèmes de l’agir juste ou équitable. De ce point de vue, nous comprenons aisément la distinction entre éthique et morale. L’éthique désigne ainsi la réflexion théorique des fondations rationnelles de bien agir, les bases mêmes des prescriptions ou jugements moraux. Mieux, l’éthique est une réflexion sur les fondements de la morale.

L’éthique désigne par ailleurs des valeurs adoptées librement par un individu. Elle est réflexion sur l'ensemble des règles de conduite d’une société. L’éthique est perçue comme un dynamisme, une préoccupation générale et créative de donner sens à l’action qu’on mène, de choisir en conséquence ses valeurs et ses priorités, afin d’y conformer sa pratique. En revanche, la morale se présente comme l’ensemble des moyens mis en œuvre pour agir de façon humaine. Elle est l’ensemble des prescriptions concrètes adoptées par des agents individuels et collectifs. La morale constitue ainsi, tout ce qui relève de l’obligation, du précepte, de l’impératif catégorique, c’est-à-dire l’ensemble des principes à dimension universelle, normative, inconditionnelle, voire dogmatique, fondée sur l’arbitraire entre le bien et le mal. La morale caractérise donc des règles imposées par une autorité à l’ensemble des membres de la société. On pourrait donc dire qu’agir par morale, c’est agir selon les exigences du devoir.

Dans l’agir éthique on fait abstraction de l’obligation et on met l’accent sur les valeurs de référence qui donnent sens à l’action. Pendant que la morale commande, l’éthique recommande. Nous pouvons le résumer ainsi : l’éthique désigne, dans un premier temps, la disposition individuelle à agir selon les vertus, dans un deuxième temps, la réflexion sur les comportements qui en découlent ou sur la perception et les jugements de valeur dont ils font l’objet. Ce qui distingue l’éthique de la morale est la prise en compte des caractéristiques propres de la situation dans laquelle a lieu la décision. Alors que la morale insiste sur la conformité impérative de l’action avec la loi, l’éthique fait davantage appel aux ressources de l’individu. Il appartient à l’individu de chercher la bonne décision à partir d’une réflexion sur l’ensemble des éléments déterminants de la situation.

III. Morale et éthique : objets et objectifs

24 WITTGENSTEIN Ludwig, Leçons et conversations, Paris, Gallimard, 1992, Trad., Jacques Fauve, pp.143- 144.

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Le renouveau de la philosophie morale se laisse saisir par la détermination de l’objet et les objectifs mêmes de la morale et de l’éthique. La morale porte sur l’agir humain. Pour Aké Patrice, « l’objet primaire des jugements moraux sont les actions ; de telle manière que tous les autres jugements se trouvent en connexion avec les jugements moraux à propos des actions. Les personnes sont jugées selon leurs actions »25. Le jugement moral porte pour ainsi dire, sur l’action de l’homme. Mais, Niamkey Koffi souligne que la morale est une affaire de tous. « Toute morale est relation à autrui, mais de soi à soi. Agir moralement, c’est prendre en compte les intérêts de l’autre, certes, mais « à l’insu des dieux et des hommes, comme dit Platon, c’est-à-dire sans récompense ni châtiment possible et sans avoir besoin pour cela de quelque autre regard que le sien propre »26. Ce qui veut dire que la norme morale concerne les individus socialement constitués qui s’imposent ensemble des normes intersubjectivement partagées.

Contre Kant qui pense que la morale doit commencer par tu, c’est-à-dire à la deuxième personne, Niamkey Koffi pense que « la morale n’est légitime qu’à la première personne. La morale ne vaut que pour soi. C’est le fait d’être en règle avec soi-même, avec sa conscience »27. Elle commence certes par soi pour faire signe à l’autre. Notre agir et notre acte de parole doivent pouvoir prendre en compte l’autre. « On a tendance à penser que la morale est faite pour punir. Son objet et son objectif ne sont ni la punition, ni la répression ni la condamnation. La morale n’est ni un tribunal, ni une police, ni une prison. Elle en est tout le contraire ! »28. Pour lui, c’est la liberté qui est le commencement de la morale. Car la liberté constitue la faculté de se juger soi-même, de se commander soi-même, de s’autodéterminer.

C’est la faculté qu’a l’homme de s’évaluer. Aké Patrice dans morale et axiologie précise dans ce contexte que « l’homme est placé donc dans l’état de décider quel sera son bien, de le réaliser dans le monde et de l’approprier personnellement. Ma morale consiste à réaliser tout cela de manière droite »29. Dans cette optique, l’homme est un être de liberté, responsable des actes qu’il pose. De sa nature surgit la morale qui structure son action. Pour ce faire, il doit agir par la raison, en tenant compte des exigences normatives de la société, faute de quoi il se met à la périphérie de celle-ci.

La finalité de la morale, nous dit Niamkey Koffi, c’est le refus d’être un salaud, c’est la volonté de rester fidèle à une certaine idée de l’humanité et de soi. La peur, la malhonnêteté et

25 Aké Patrice Jean, p. 198.

26 Niamkey Koffi, « Cours de philosophie morale », Duel 1, Université de Cocody, 2004.

27 Idem.

28 Idem.

29 Aké Patrice Jean, p. 102.

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les faux semblants ne sont capables de morale ; aucune moralité n’y siège. Il pense que la morale, c’est la loi que je m’impose à moi-même indépendamment du regard d’autrui et de toute sanction ou récompense attendues, qu’on soit invisible ou invincible.« Ce qui est décisif pour la morale, c’est le fait de se soumettre personnellement à une loi qui nous paraît valoir, ou devoir valoir pour tous »30.La morale ambitionne de normaliser les rapports sociaux. En cela, elle invite l’homme à être responsable dans les actes qu’il pose en ne se coupant pas des exigences morales sociétales. « L’homme doit être moral, c’est-à-dire, il doit conduire sa vie ; c’est pourquoi la vie a toujours un sens. Et, c’est justement ce sens de la vie que nous appelons moral »31. C’est dire que l’objet de la morale, c’est la réalisation de la vie, la visée de l’action humaine. En clair, « la morale porte sur toute la vie humaine : ses idéaux, ses mœurs, ses jugements, ses actions, ses malheurs et ses souffrances, ses crimes et ses exploits, ses mesquineries ou ses hauts faits »32.La raison d’être de la morale, est d’aider l’homme à bien se conduire dans la perspective de réussir l’acte qu’il pose en société, en distinguant le bien du mal. En se préoccupant de la question comment doit-on vivre, l’éthique classique fait du bonheur la quête effrénée de l’homme, c’est-à-dire que l’homme vise la vie bonne. En quoi consiste donc la réflexion éthique ? Quelle définition pourrait-on donner à l’éthique aujourd’hui ?

Selon Robert Misrahi, « l’acte de naissance de la réflexion éthique se situe au cœur même de l’existence ordinaire, quelle qu’elle soit. Cette naissance de l’éthique se manifeste comme insatisfaction. L’individu que nous pouvons déjà considérer comme un sujet puisqu’il parle et se pose lui-même dans son insatisfaction, constate ou affirme une distance entre son désir et la situation qui est la sienne »33. Pour lui, en effet, c’est la condition de vie tragique de l’homme structurée par la souffrance et le manque qui crée en lui l’insatisfaction de sa situation. Il manifeste ainsi le désir de se projeter dans un ailleurs paradisiaque exempt de souffrance.

C’est dire que « dans le cours ordinaire de l’existence, l’individu commence par la critique et la contestation de sa situation, avant de se projeter dans l’invention et la réalisation d’une situation nouvelle. C’est l’insatisfaction qui devient le motif de l’action, avant que celle-ci ne s’ordonne réellement à un but »34. Dans l’insatisfaction, l’homme conteste l’état de choses qui se présente à lui. De là, comme dit Misrahi, il s’exprime une activité réflexive dont la signification est éthique. Ce qui veut dire que le premier acte de réflexion de l’éthique réside

30 Niamkey Koffi, « Cours de philosophie morale », Duel 1, Université de Cocody, 2004.

31 Aké Patrice Jean, p. 75.

32 Ibidem, p. 19.

33 MISRAHI Robert, Qu’est-ce que l’éthique ? Paris, Coll.Armand Colin/ Masson, 1997, p.119.

34 Idem, pp.119-120.

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dans l’inquiétude, dans le sentiment de n’être pas « en paix » avec soi-même et le monde. De cette façon, « la réflexion éthique est donc la conscience d’un problème, avant d’en être la solution. Et, c’est l’insatisfaction et la douleur qui « produisent » cette réflexion et qui révèlent ce problème »35. L’homme manifeste toujours le désir de vivre heureux dans un cadre de bien-être social où règnent l’ordre, la justice et la liberté. Sa raison d’être devient, de ce fait, la recherche effrénée du bonheur. C’est cette valeur qu’il veut atteindre et réaliser. Ainsi, Misrahi définit l’éthique comme l’ensemble des principes purement humains qui devraient permettre au plus grand nombre d’accéder à une existence pleinement satisfaisante et pleinement significative, c’est-à-dire que l’éthique est la satisfaction réflexive de tous nos désirs. Autrement dit, elle est la réflexion sur le sens et la destination de l’existence humaine.

La réalité aujourd’hui, c’est que « le domaine de l’éthique s’est peu à peu défini en se distinguant de la « morale » et en se posant comme la recherche de principes pour la conduite de l’existence et de l’action ; d’autre part, le but essentiel de l’existence humaine s’est lui- même manifesté comme étant le bonheur. L’éthique souhaite définir des principes pour l’action et, dans le déroulement même de sa réflexion, elle découvre et construit le but de cette action : il s’agit du bonheur lui-même, à la fois valeur ultime, expérience fondamentale et moteur de la recherche »36.

Dans tout agir et dans tous les domaines de connaissance, l’éthique joue le rôle d’éclaireur et de réglementation normative. Le souci de sortir de la souffrance et de l’inquiétude suscite en l’homme une réflexion profonde sur l’action à mener. Il y a donc une prise de conscience qui amène à comprendre que l’homme lui-même est source de malheur et de bonheur. Il doit, pour ce faire, creuser en lui et mener une action nouvelle afin de réaliser le bonheur qu’il désir. Changer la condition humaine déplaisante est la tâche de l’éthique voire de la morale.

L’éthique, comme fondement de la morale va investir tous les domaines de la vie et toutes les disciplines. Se demander « ce qu’il y a à faire maintenant », c’est décider de changer de perspective et emprunter le chemin de la justice, de la vérité et de la liberté. C’est pourquoi, Aké Patrice souligne que « l’objet matériel de l’éthique semble être constitué par le caractère (éthos), les habitudes et les actes humains »37. Si le caractère et les habitudes constituent l’objet matériel de l’éthique dans l’agir humain, son objet formel est le bien moral qui est constitutif du bonheur.

35 Idem, p.125.

36 Idem, p.116.

37 Aké Patrice Jean, p. 108.

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Mais, dans la perspective habermassienne, c’est dans les conditions d’une éthique procédurale de la discussion que l’éthique prend tous son sens et oriente l’action humaine. La pensée d’Habermas prône “une procédure discursive,” qui précise des règles dialogiques, qui définissent des normes de conduite entre les acteurs de la société. Dans un premier temps, les normes de conduite valables n’existent pas ; ou si elles existent, leur objectivité est en souffrance. C’est pourquoi, les règles communes sont considérées comme le produit d’un processus social, interactif et interpersonnel. Si tel est le cas, c’est pour éviter l’arbitraire, la subjectivité ou le rapport de force afin de donner à l’objectivité tous son sens et toute sa légitimité. Ce qui signifie que la construction des normes qui se rapporte à une valeur universelle, est issue d’un principe procédural de la discussion.

Dans sa tentative de reconstruire les conditions de l’intégration sociale, Habermas tourne vers le langage qui se révèle comme première source de l’intégration sociale. Il met en évidence l’importance de la communication dans la recherche du bien-être collectif.

Dans Morale et communication, les étapes de l’argumentation visent à combattre tout d’abord le point de vue sceptique selon lequel il n’est pas possible de parvenir, dans le domaine éthique, à un consensus de qualité comparable à celui que l’on peut observer dans le domaine scientifique. Pour Habermas, il est essentiel que les hommes puissent échanger des arguments rationnels concernant leurs intérêts dans un espace public de libre discussion. Habermas va reformuler et donner un sens nouveau à la question relative à l’éthique et à la morale. Cette reformulation tient au contenu de réalité des expériences morales. Cette nécessité de l’effectivement vécu, de l’expérience éprouvée (et commune) est un des aspects essentiels de l’éthique de la discussion habermassienne.

Comme on peut voir avec Arno Münster, Habermas est hostile aux approches religieuses et fondamentalistes de la moralité fondées sur des dogmes théologiques. Dans cette sphère, ni Dieu ni aucune divinité transcendantale ne peuvent être au fondement de la morale. Il est également hostile aux tentatives de réactualisation de la problématique éthique, dans une perspective néo-aristotélicienne. Mais, « extrêmement réceptif à l’égard de la théorie de la discussion proposée par Karl-Otto Apel, Habermas nous propose ainsi une éthique éminemment laïque et séculière, amenée sans cesse à modifier et à infléchir la moralité sociale en la faisant évoluer vers une véritable moralisation des rapports sociaux »38.

Pour fonder ainsi son concept d’éthicité et de moralité, Habermas s’appuie sur l’éthique de la discussion d’Apel, qui l’a fortement inspiré dans sa théorie philosophique. L’éthique de

38 MÜNSTER Arno, Le principe « Discussion », Habermas ou le tournant langagier et communicationnel de la théorie critique, p.132.

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la discussion qu’il propose est le socle de l’élaboration de toute norme éthique et morale.

Ainsi, « selon l’éthique de la discussion, une norme ne peut prétendre à la validité que si toutes les personnes qui peuvent être concernées sont d’accord (ou pourraient l’être) en tant que participants à une discussion pratique sur la validité de cette norme »39. Toute validité normative doit faire le test de l’argumentation, dans lequel des proposants et des opposants y soumettent leurs avis. « C’est donc parmi les théories morales en concurrence, à celle qui résistera le mieux à un tel test que l’on donnera la priorité »40. Dès cet instant, l’impératif catégorique kantien sera substitué, progressivement, par un principe d’argumentation morale selon lequel seules sont valables les normes éthiques qui ont obtenu le consentement, suite à une discussion libre et argumentée, de tous les participants à la discussion et à la situation de parole idéale.

L’acceptation de la norme éthique ou morale viendrait donc de la validité consensuellement obtenue : « Cela signifie que l’impératif catégorique de Kant est tout simplement reformulé par Habermas, sous la forme d’une règle d’argumentation du discours pratique, c’est-à-dire en tant que principe d’argumentation morale »41. La morale est conçue en fonction des rapports interactifs entre des sujets capables d’agir, et non en fonction de biens, donc de quelque chose dans le monde qui peut acquérir valeur et signification pour des sujets singuliers capables d’agir. « Ainsi, la morale est-elle dès l’abord considérée comme un phénomène social, et elle est coupée des attentes de bonheur individuel, des problèmes existentiels et des besoins de signification »42.

La discussion est l’essence de l’éthique qui relève d’une pratique argumentative, où viennent se mesurer les contradictions d’intérêts divergents. Son principe méthodologique réside dans la critique, au sens du questionnement et dans la recherche permanente de la justification. « La morale se rapporte à des interactions réglées par des normes. Celles-ci obligent les destinataires à satisfaire des attentes de comportement reliées réciproquement les unes aux autres, en choisissant, au sein d’un plus large spectre, quelques orientations axiologiques et en en faisant une obligation générale. Par là, la morale est, dès l’abord, limitée à ce qui peut être normativement valide ou non valide, donc aux droits et devoirs, et elle est coupée du domaine axiologique de ce qui est préférable et optimisable »43.

39 HABERMAS Jürgen, Morale et Communication, Paris, Cerf, 1986, Trad., Ch. Bouchindhomme, p. 87.

40 Idem, p. 132.

41 MÜNSTER Arno, Op. Cit. , p.134.

42 HABERMAS Jürgen, De l’éthique de la Discussion, p.159.

43 Ibidem, p.159.

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C’est pourquoi pour Rainer Rochlitz, la morale habermassienne est inscrite dans la grammaire apprise par tout sujet capable de parler et d’agir, et il suffit d’en reconstruire la compétence intuitive. Les normes valides sont les normes qui peuvent trouver l’accord de tous les participants à une discussion pratique, ouverte, exempte de contrainte. Dans ce principe moral donc, « les normes qui ne pourraient pas rencontrer d’adhésion qualifiée de toutes les personnes concernées sont considérées comme non valides et, dès lors, exclues »44. La question morale n’est plus liée à la question existentielle de savoir comment mener une vie bonne, mais la question déontologique de savoir à quelles conditions une norme peut être dite valide. Il y a donc une mutation de la philosophie, à savoir que la question du juste se substitue à la question du bien. Dès lors, ce n’est plus la recherche du bonheur qui est privilégiée, mais la validité prescriptive des normes. Ainsi, les questions d’ordre éthique passent nécessairement par des échanges entre les hommes.

Les hommes doivent se mettre d’accord sur ce qu’il faut tenir pour bien, en participant, par leur raison et leur liberté individuelle, à la constitution du corps social. Chacun pourra faire des concessions où les normes créées seront acceptables par tout le monde. Il appartient alors aux membres d’une société, par l’échange verbal et la confrontation effective des points de vue, de délibérer sur les valeurs, afin de dégager celles sur lesquelles s’opère un consensus raisonnable. L’éthique est donc fondée sur le principe de la réciprocité. Pour Habermas, la moralité résulte d’une structure communicationnelle qui doit favoriser une justification des normes, non par entrecroisement d’intérêts égoïstes, mais par la volonté de chacun d’assumer pleinement sa responsabilité de sujet social.

CONCLUSION : L’indispensabilité de la morale

Aujourd’hui, dire de la morale qu’elle est désuète est une ruse des libertins de rejeter toute norme et de vivre selon bon leur semble. Ils en appellent au bouleversement des valeurs morales et éthiques qui régulent les comportements sociaux. À la vérité, ils veulent exercer leurs penchants et les désirs qu’ils se donnent en brisant la censure. Interdire les interdits et autoriser tous les excès de la liberté compromet la liberté, creuset de la morale. Les libertins ou scientistes veulent imprimer leurs propres morales, malheureusement sans fondement éthique. La menace djiadiste, les rébellions armées, l’homosexualité et toutes ces dispositions renversées du réel en sont la parfaite illustration. L’humanité doit-elle céder à ces nouvelles passions qui la prennent en otage ?

44 HABERMAS Jürgen, Morale et Communication, p. 84.

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Aucune société ne peut tenir longtemps aux antipodes des normes éthiques et morales. Une société sans règles morale s’expose au désordre et à la déchéance. C’est une société dans laquelle tout serait permis, où la dépravation des mœurs risque d’être la chose la mieux partagée. Notre monde perturbé par le relativisme sans limite à besoins de se redéfinir des repères normatifs intersubjectivement partagés. La morale comme l’intuition que j’ai a bien me comporter doit pouvoir être une affaire de tous afin de maintenir l’humanité dans l’éthos d’une sérénité de bon augure. Elle est donc indispensable pour toute société en quête du bien- être et de la liberté. Nous avons ici affaire à la coexistence avec des normes qu’il faut satisfaire pour mériter la qualité de membre de la communauté. Selon Habermas, « celui qui contrevient à des normes morales ne s’expose pas seulement au mépris des autres, mais, puisqu’il a intériorisé cette sanction, il se méprise aussi lui-même. Une norme n’est alors

« fondée » que dans la mesure où chacun peut, de sa perspective propre, avoir un intérêt à ce que tous s’engagent dans une praxis réglée par l’échange de témoignages de respect »45. De cette façon, le respect est un principe nécessaire à l’accomplissement des normes et des comportements souhaitables. Il appartient à chacun de faire une introspection et réguler à l’intérieur de lui-même les penchants déviationnistes qui ne rencontrent pas l’adhésion de tous, dans la mesure où il n’y a de liberté que la liberté conditionnée par la liberté de l’autre.

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45 HABERMAS Jürgen, De l’éthique de la Discussion, pp, 134-135.

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