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Guillaume Blum Adjoint de recherche LabCMO, ESG-UQAM Université du Québec à Montréal Montréal (Québec), Canada

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Texte intégral

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Impact d’une culture libre sur les modes d’organisation dans une communauté virtuelle :

une étude ethnographique

de la communauté du logiciel libre Ubuntu

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Guillaume Blum Adjoint de recherche LabCMO, ESG-UQAM Université du Québec à Montréal

Montréal (Québec), Canada (blum.guillaume@uqam.ca).

Mehran Ebrahimi Professeur agrégé MATEB, ESG-UQAM Université du Québec à Montréal

Montréal (Québec), Canada ebrahimi.mehran@uqam.ca

Résumé

La société contemporaine est perturbée par de nouvelles formes d'être ensemble. De plus en plus caractérisée par une économie de la connaissance (Foray, 2000), la société immerge dans les technologies de l'information et de la communication qui prennent une importance prédominante. De nouvelles communautés, qualifiées de virtuelles apparaissent dans un territoire déterritorialisé, territoires virtuels et émergents qui forment l'internet.

Dans cette étude, nous nous interrogeons sur les nouvelles formes que prend la culture dans ces zones virtuelles. Nous serons amenés à qualifier ce que sont les communautés virtuelles, et à voir qu’elles possèdent des cultures qui leurs sont propres. Et dans la communauté étudiée, nous caractériserons, l’influence de cette culture sur son modèle d’organisation. Il s’agit de résultats provenant d’une étude ethnographique menée dans la communauté Ubuntu, une communauté virtuelle du logiciel libre.

Finalement, nous concluons sur la possible prise en considération de la liberté par les sciences de la gestion.

194 Nous tenons à remercier Jean-Pierre Dupuis pour nous avoir inspiré le thème de cet article, ainsi que ses commentaires avisés. Merci aussi à Jean-François Lalonde et Catherine Lebrun pour leurs multiples remarques et suggestions d’amélioration. Nous tenons par ailleurs à remercier Cyrille Sardais et Yves-Marie Abraham, organisateurs du colloque « les sciences de la gestion et la question de la liberté » ayant eu lieu les 9 et 10 juin 2007 à HEC-Montréal, ainsi que l’ensemble des participants pour la qualité des communications et des échanges qui ont été une source d’inspiration.

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« ‘Ubuntu’ est un ancien mot africain qui signifie «humanité aux autres». Ubuntu signifie également «Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous». La distribution Ubuntu Linux apporte l'esprit Ubuntu au monde logiciel. »

Tiré de http://ubuntu-fr.org La société contemporaine subit de profond changement (Castells, 2001), ce qui engendre de nouvelles formes d'être ensemble. De plus en plus caractérisée par une économie de la connaissance (Foray, 2000), elle immerge dans les technologies de l'information et de la communication qui prennent une importance prédominante. De nouvelles communautés, qualifiées de virtuelles apparaissent dans un territoire déterritorialisé, territoires virtuels et émergents qui forment l'internet. Il s’agit d’un monde virtuel, mais pourtant existant, concret pour ses créateurs comme pour ses utilisateurs.

Dans cette étude, nous nous interrogeons sur les nouvelles formes que prend la culture dans ces zones virtuelles. Nous serons amenés à qualifier ce que sont les communautés virtuelles, et à voir qu’elles possèdent des cultures qui leurs sont propres. Et dans la communauté étudiée, nous caractériserons, l’influence de cette culture sur son modèle d’organisation. Il s’agit de résultats provenant d’une étude ethnographique menée dans la communauté Ubuntu, une communauté virtuelle du logiciel libre.

Dans une première partie, nous définirons l'univers du logiciel libre, montrerons qu’il fonctionne sur une économie du don et présenterons l’écosystème. Dans une seconde partie, nous reviendrons sur quelques concepts anthropologiques fondamentaux, et présenterons les études ayant tenté de caractériser la culture dans les communautés libres. Nous montrerons aussi que l’analyse de la culture nationale n’est pas adaptée au terrain virtuel choisi. Dans une troisième partie, nous présenterons la méthode utilisée, suivie d’une quatrième partie présentant la culture Ubuntu. Enfin, dans une cinquième partie, nous tenterons de faire ressortir les impacts de la culture sur les modes d’organisation, avant de conclure sur la notion de liberté dans les sciences de la gestion.

Les logiciels libres

Définitions

À la base, les logiciels libres reposent sur la « gauche d'auteur », elle-même étant une forme dérivée s'appuyant sur le droit d'auteur, mais dont le but est de permettre l'usage pour tous et non pas pour un seul individu du logiciel. D'où le nom de logiciel libre. En effet, pour Stallman, l’idée selon laquelle les sociétés éditrices de logiciel disposeraient d'un droit naturel, inaliénable, à posséder le logiciel est fausse, car « la constitution et la tradition juridique des États-Unis d'Amérique rejettent toutes deux cette idée; le copyright n'est pas un droit naturel, mais un monopole artificiel, imposé par l'État, qui restreint le droit naturel qu'ont les utilisateurs de copier le logiciel » (Stallman, 1999).

La Free Software Fondation (FSF) définie ainsi le logiciel libre comme devant respecter les 4 libertés suivantes : (1) la liberté d’exécuter le programme, pour tous les usages, (2) la liberté d’étudier le fonctionnement du programme, et de l’adapter à vos besoins. Pour ceci l’accès au code source est une condition requise, (3) la liberté de redistribuer des copies, donc d’aider votre voisin, (4) la liberté d’améliorer le programme et de publier vos améliorations, pour en faire profiter toute la communauté. Cette définition implique l'ouverture du code source, c'est-à-dire le cœur du programme en langage compréhensible par le programmeur.

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Si cette définition correspond à une idéologie reposant sur l'importance de la liberté, une seconde idée s'est imposée, soit que l'ouverture du code source était une forme économique beaucoup plus efficace. C’est le cas, car le logiciel est une connaissance, et à ce titre possède les trois propriétés de la connaissance que sont (1) la non-rivalité, c'est-à-dire que le logiciel peut appartenir à plusieurs personnes en même temps, (2) la non excluabilité ou difficulté de contrôle du bien, et (3) la cumulativité, c'est-à-dire que la connaissance engendre la connaissance (Foray, 2000). Cette idée du logiciel libre a donné naissance au logiciel à code source ouvert, définit par l'Open Source Initiative (OSI) comme devant être (1) librement redistribuable, (2) inclure le code source, (3) autoriser les travaux dérivés, (4) respecter l'intégrité de l'auteur du code source, (5) ne pas discriminer des personnes ou des groupes, (6) ne pas discriminer des champs de préoccupation, (7) attacher la licence au logiciel, (8) ne pas être spécifique à une partie du logiciel, (9) ne pas restreindre d'autres logiciels, et (10) être technologiquement neutre (OSI, 2007).

Si la plupart du temps, ces définitions sont techniquement identiques, elles représentent deux courants dont l'objectif est différent : le premier revendique la liberté du logiciel, quels qu'en soient les bénéfices en termes d'efficacité, le second met de l'avant un modèle économiquement efficace, « la Noosphère195 [étant] en passe de concurrencer le marché sur son propre terrain : celui de la rentabilité et de l’efficacité » (Blondeau, 2000).

Ainsi, Stallmann, à la base du logiciel libre et de la FSF, n'hésite pas à déclarer que […] la rhétorique de l’ « Open Source » met l’accent sur le potentiel pour faire du logiciel puissant et de grande qualité, mais fait passer au second plan les idées de liberté, de communauté, et de principes […] Les termes « Free Software » et

« Open Source » décrivent tous deux plus ou moins la même catégorie de logiciels, mais correspondent à des conceptions différentes du logiciel et des valeurs qui lui sont associées. (Stallman, 1999)196.

Concernant le logiciel libre, la liberté du logiciel engendre une liberté de la personne, car celle-ci œuvre pour un bien commun relevant de la réflexion morale et politique, ce qui correspond au deuxième des trois niveaux de liberté que définit Ricoeur dans l’encyclopédie Universalis.

L’objet technique étant le même, les utilisateurs bénéficient toutefois des deux aspects, que sont l'efficacité et la liberté. Cela n'est pas sans incidence sur la culture des communautés du logiciel libre.

Un modèle basé sur le don

Dans son essai sur le don, Marcel Mauss (1923-1924) met en lumière une forme de fonctionnement de la société différent des systèmes capitalistes et communistes, qu’il qualifie de « prestations totales ». Il s’agit pour l’auteur d’un mécanisme important de régulation, avec trois obligations : de donner, de recevoir et de rendre. Pour Mauss, cette forme de fonctionnement est un phénomène proprement humain, se cachant derrière le fonctionnement traditionnel des économies modernes. En donnant, le donateur donne aussi un peu de lui, car le don touche à l’identité (Godbout, Caillé, 1992). Le don ne doit ni être considéré comme ne nécessitant pas de retour, ni comme nécessitant nécessairement un retour équivalent, car ces deux conceptions du don se concentrent sur ce qui circule et non sur le sens accompagnant ce

195 Le terme noosphère correspond à l’espace des idées. Il s’agit d’une conception très platonicienne, séparant le monde réel au monde des idées, Internet étant ici inclus dans l’espace des idées.

196 L’emphase est notre.

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qui circule, véritable enjeu du don. Ainsi, l’homo donator relève à la fois de l’individualisme et de l’holisme (Godbout, 1998).

Selon Raymond, l’univers informatique est un univers où il y a abondance (espace disque, réseau, bande passante, puissance de calcul), propre à une culture du don, c'est-à-dire un espace où le statut social n’est pas déterminé par ce qu’on contrôle, mais par ce qu’on donne, contrairement aux deux autres modèles : (1) le pouvoir centralisé où le statut social est déterminé par l’accès à un pouvoir répressif, et (2) l’économie d’échange où le statut social est déterminé par le contrôle que l’on a sur les marchandises (Raymond, 1999).

De même, pour Barbrook, l’économie du don, antithèse de l’économie de marché, s’est insinuée au cœur même de cette dernière, d’abord dans le microcosme universitaire, puis à travers ce canal dans le fonctionnement d’Internet. Ainsi, « la structure du Net rend donc la propriété intellectuelle techniquement et socialement obsolète », car « dans l’économie du don high-tech, les gens travaillent ensemble avec succès grâce à ‘‘un processus social ouvert incluant évaluation, comparaison et collaboration’’197«. Ce n’est pas la fin de l’histoire198, mais tout le contraire. L’économie du don – née au cœur de la plus puissante économie capitaliste – est devenue « la seule alternative à la domination du capitalisme monopolistique ». Toutefois, loin de s’affronter, ces modèles différents se complètent, et coexistent en symbiose.

L’économie du don et le secteur commercial ne peuvent se développer qu'en s'associant au sein du cyberespace. Le libre échange de l'information entre les utilisateurs s'appuie sur la production capitaliste d'ordinateurs, de logiciels et de télécommunications. Les bénéfices des firmes commerciales sur le Net dépendent de l'augmentation du nombre de gens qui participent à l'économie du don high-tech (Barbrook, 2000).

Cette économie par le don n’est pas seulement importante par son mode de fonctionnement efficace, mais aussi parce qu’elle permet d’organiser les relations des individus entre eux (Bergquist, Ljungberg, 2001).

Communautés et culture

La communauté

Est-il possible de considérer les communautés virtuelles – terme habituellement employé – comme de véritables communautés? Si pour Wellman et Gulia (1999), elles doivent l’être – les liens tissés entre les membres pouvant être tout aussi forts – la question n’est pas simple. Il est nécessaire de préciser ce que sous-entend le terme de communauté.

Forsyth en donne une définition extrêmement large, à savoir « un groupe d’au moins deux personnes qui s’influencent l’une l’autre à travers des interactions sociales » (1990, p. 108).

Pour Bell et Valentine, « le terme communauté n’est pas seulement descriptif, mais aussi normatif et idéologique : il est très fortement chargé » (1997, p. 93).

Toutefois, le sens originel est perdu dans cette compréhension, car pour Tönnies, la communauté, ou Gemeinschaft s’oppose à la société ou Gesellschaft. Ce qui constitue la première, « c'est une unité absolue qui exclut la distinction des parties. Un groupe qui mérite ce nom n'est pas une collection même organisée d'individus différents en relation les uns avec

197 Bernard Land, « Des logiciels libres pour tous », le monde diplomatique, janvier 1998, p.26

198 Référence à Francis Fukuyama, « La fin de l’histoire et le dernier homme »

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les autres; c'est une masse indistincte et compacte qui n'est capable que de mouvements d'ensemble, que ceux-ci soient dirigés par la masse elle-même ou par un de ces éléments chargés de la représenter. C'est un agrégat de consciences si fortement agglutinées qu'aucune ne peut se mouvoir indépendamment des autres » (Durkheim, 1889), alors que la seconde est

« un cercle d'hommes qui, comme dans la Gemeinschaft, vivent et habitent en paix les uns à côté des autres mais, au lieu d'être essentiellement unis, sont au contraire essentiellement séparés [… et] restent distincts malgré tous les liens. […] Personne ne fera rien pour autrui à moins que ce ne soit en échange d'un service similaire ou d'une rétribution qu'il juge être l'équivalent de ce qu'il donne... Seule la perspective d'un profit peut l'amener à se défaire d'un bien qu'il possède » (Tönnies, 1977). En ce sens, une partie des personnes adhèrent effectivement à la communauté, alors que d’autres y sont simplement associés. En reprenant la typologie de Tönnies, bien que celle-ci soit forte, la communauté virtuelle est à la fois communauté et société, ou plutôt ni l’une ni l’autre. Il semble y avoir une certaine similitude – bien qu’imparfaite – entre les personnes adhérant à ces deux catégories et celles concevant l’idée de logiciel libre ou de logiciel à code source ouvert. Bien que la communauté virtuelle ne regroupe pas la communauté dans son sens traditionnelle, nous utiliserons dans ce texte le terme de communauté afin de conserver la dénomination communément admise.

Evans-Pritchard (1964) rappelle que les individus ont plusieurs communautés à plusieurs niveaux d’appartenance : il identifie ainsi chez les Nouer la tribu, la section tribale primaire, secondaire, tertiaire, le village, le hameau, la concession, la hutte. Les individus se référencient de façon dynamique à l’un de ces niveaux. L’unité d’appartenance est « la communauté la plus étendue qui considère que tout différend entre ses membres doit être réglé par arbitrage et qui doit agir de concert contre les autres communautés » (p.240). Il ne s’agit pas d’entités statiques, elles peuvent fusionner ou se cliver. Par ailleurs, les différents niveaux d’appartenance s’expriment par la négative, c'est-à-dire qu’entre deux individus de la même communauté, ils se définiront l’un l’autre comme faisant partie de deux sous- communautés et ainsi de suite. Cette notion de communauté d’appartenance est très importante dans la communauté Ubuntu, qui n’est pas une communauté unifiée, mais un regroupement de multiples communautés, comme nous le verrons dans la section 5 et sur la Figure 1. Ce qui rassemble ces communautés est la culture, élément commun entre un ensemble d’individus pour en faire une communauté, ce qui explique cette enchevêtrement de communautés les une dans les autres, suivant la quantité (et qualité) de valeurs et symboles partagés.

Le concept de culture

Dans le cadre d'une recherche sur la culture dans une communauté du logiciel libre, cette définition ne permet pas de caractériser ce qui est propre à ces communautés, car elle n’est pas un outil de travail à même de signifier la dynamique et les traits caractéristiques de la culture étudiée. Dans cette optique, nous considérerons la culture comme étant « tout ensemble ethnographique qui, du point de vue de l'enquête, présente, par rapport à d’autres, des écarts significatifs [...] le terme de culture est employé pour regrouper un ensemble d'écarts significatifs dont les limites coïncident approximativement » (Lévi-Strauss, 1958, p.325).

Culture dans les communautés du logiciel libre

Medosch tente de montrer que le logiciel libre est imprégné d’une culture forte, le distinguant d’autres types de communautés virtuelles. « Quand il est enraciné dans la culture, le développement de logiciels devient une discipline distincte de l’ingénierie, et tant le social

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et que les valeurs culturelles doivent être pris en considération » (Medosch, 2005, p. 177).

Ainsi, les choix faits dans le développement des logiciels libres représentent pour l’auteur les expressions des valeurs culturelles. La technologie ne peut y être considérée comme neutre.

Cette affirmation n’est toutefois pas nécessairement vécue comme telle, car la technique est conçue selon deux modes opposés dans les communautés, certains voyant dans celle-ci des outils neutres, d’autres considérant les TIC comme des réalités culturelles (Proulx et al., 2007).

Elliott réalise une ethnographie dans la communauté GNUe (GNU enterprise) qui réalise un système de gestion intégré. Elliott montre que la culture de la communauté influence les décisions dans le développement du logiciel. Cette culture attachée à l’idée de liberté, prend racine dans les idées de la révolution américaine de 1776, de communauté libre et coopération volontaire. Ainsi, l’importance de l’attachement à la valeur que représente le libre est primordiale, car « la culture de travail de la communauté de développement du logiciel libre engendre chez les contributeurs un esprit-de-corps (en français dans le texte) qui perpétue la communauté » (Elliott, 2003, p.45, traduit).

Basset, qui réalise une monographie dans le projet libre VideoLAN (2003), prend acte de la culture de contrôle sur le projet, les contributeurs influents devant faire parti de l’École Centrale de Paris, grande école française où est né le projet. L’influence de la culture grande école n’est probablement pas étrangère à la chose.

Pour Stewart et Gosain (2001), les communautés libres sont unifiées par une idéologie cohérente composée de normes, croyances et valeurs interreliées (voir Tableau 1). Cette idéologie a pour effet d’entraîner un mode de fonctionnement particulièrement efficace au sein de la communauté (2006).

Tableau 1

Bien qu’intéressante, l’approche de Stewart et Gosain est trop calquée sur des notions de culture d’entreprise classiques (Schein, Martin), plus basées sur le discours organisationnel que sur les réalités du terrain. Aussi, cette approche de la culture ne nous semble pas suffisante.

Sur la méthode

C’est la méthode ethnographique qui a été retenue pour étudier l’impact de la culture sur les modes d’organisation. Pour Malinowski (1963), le but de l’ethnographie est d’» identifier, selon le principe de topicalité, une singularité socioculturelle exotique telle qu’elle fonctionne en opposition à l’autre » (p.52). L’objet de l’ethnographie est le groupe humain, la communauté. C’est la matière première à l’analyse anthropologique, dont le projet est « d’articuler les rapports du local et du global, de penser l’autre et le même sous leurs aspects les plus divers » (Kilani, 1989, p.21). Si Malinowski a su montrer l’importance de combiner à travers l’ethnographie, l’enquête directe à la réflexion théorique au sein d’une même étude, Kilani (1990) regrette qu’entre l’observation sur le terrain et la monographie, résultat de l’enquête, il n’y ait pas de mise à jour, d’explication des procédés qu’a employé le chercheur pour arriver de l’un à l’autre. Aussi, il plaide pour une anthropologie réflexive, se pensant elle-même, visant à éviter le principal risque de l’ethnographie : la surinterprétation (de Sardan, 1996). Cette dernière consiste à donner une trop grande importance à un seul facteur, chercher à outrance la cohérence, faire preuve d’inadéquation significative, généraliser abusivement, trouver des sens cachés n’existant que pour le seul chercheur. Pour

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éviter cette surinterprétation, de Sardan suggère l’usage de la controverse, la recherche de contre-exemples et l’enquête à plusieurs afin de recouper les données.

Pour Ward (1999), l’ethnographie virtuelle est l’outil méthodologique le plus approprié pour étudier une communauté virtuelle. Par ailleurs, Internet peut être compris selon deux sens différents, à savoir comme une culture en soi et comme un artefact culturel (Hine, 2000), ce qui permet d’y mener une ethnographie virtuelle. Cela soulève le problème de la vérifiabilité des données (Bell, 2001). En faisant là une distinction entre l’observation de la culture en ligne, et l’observation de l’usage de l’Internet, Hine arrive à la conclusion que l’étude de la première est virtuelle, la seconde nécessitant une observation réelle de l’utilisateur. En effet, dans l’étude de la communauté virtuelle, ce qui importe est ce qui se passe virtuellement, car étant symboliquement chargé de sens. Par ailleurs, il est nécessaire de respecter les pratiques des utilisateurs des communautés, car au sein de celle-ci, la plupart des utilisateurs « ne se sont jamais rencontrés en face à face et n’ont pas l’intention de le faire.

Organiser des rencontres en face à face placerait l’ethnographe dans une position asymétrique » (Hine, 2000, p. 48).

Les résultats présentés dans cette étude proviennent d’une ethnographie virtuelle effectuée dans la communauté Ubuntu, d’octobre 2005 à septembre 2006. Les données recueillies proviennent d’entrevue et de discussions entre membres de la communauté sur IRC, sur forums, sur mailing-lists, blogs, wikis, ainsi que de données provenant directement des logiciels, codes sources, et sites internet. Les entrevues ont été effectuées par courriel ou en discussions instantanées, et étaient réalisées sur un mode informel de discussion. D’autres entrevues et discussions ont été réalisées pendant la semaine de rencontre des développeurs qui a eu lieu à Montréal en octobre 2005. Nous avons aussi participé en tant qu’observateurs aux réunions de travail à cette occasion, ainsi que lors de nombreuses réunions en ligne. Les citations et extraits d’entretien en anglais ont été traduits.

Culture dans la communauté Ubuntu

Description du projet

Ubuntu est une des distributions Linux les plus récentes, mais aussi les plus en vogue depuis la sortie de la version Warty en 2004 (voir la liste des versions est synthétisée sur le Tableau 2).

Ubuntu est une distribution Linux qui réunit stabilité et convivialité. Elle s'adresse aussi bien aux particuliers qu'aux professionnels, débutants ou confirmés qui souhaitent disposer d'un système d'exploitation libre et sécurisé.

‘Ubuntu’ est un ancien mot africain qui signifie ‘humanité aux autres’. Ubuntu signifie également ‘Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous’. La distribution Ubuntu Linux apporte l'esprit Ubuntu au monde logiciel199.

La vocation première d’Ubuntu pour ce dernier est de corriger le « bug #1 », à savoir que

« Microsoft a une part de marché majoritaire dans le secteur des nouveaux PC desktop. C’est un bug, qu’Ubuntu cherche à corriger […] »200.

Tableau 2

199 Source : http://www.ubuntu-fr.org/

200 Source : LaunchPad.

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Fonctionnement en communauté

Si le terme de communauté est indistinctement utilisé au singulier ou au pluriel, c’est que la Communauté du libre est composée d’une multitude de sous-communautés, elles- mêmes divisées. Ainsi, Ubuntu est une communauté du logiciel libre, mais est divisée en de nombreuses sous-communautés (comme les Digital Team, Kernel Team, etc.). On peut dire qu’il s’agit d’une communauté de communautés (Cohendet, Diani, 2003). Par ailleurs, elles travaillent avec des communautés faisant parti de l’écosystème du libre, mais n’étant pas spécifiquement rattaché au projet Ubuntu, formant un réseau enchevêtré, tel que présenté sur la Figure 1.

Figure 1

La distribution Ubuntu a adopté ses propres façons de faire et ses valeurs, basées sur le libre. Ainsi, un code de conduite est à signer pour être considéré comme « ubunteros », qualificatif identifiant les personnes s’impliquant dans la communauté Ubuntu. Elle est composée de nombreux individus aux origines géographiques variées (France, Canada, Inde, Grande-Bretagne, États-Unis d’Amérique, Afrique du Sud, Allemagne, Chine, etc.) et provenant de milieux divers. Pour illustrer cette diversité, nous citerons à titre d’exemples : Anthony201 est membre de la communauté GNOME, venant de terminer un mémoire sur les grilles de calculs, Bertrand est développeur de logiciel destiné à Ubuntu est membre d’une association qu’il qualifie de « culture alternative et militante. Nos combats? La liberté, l'autogestion, la culture pour tous, les luttes anti-autoritaires et antifascistes, l'anticapitalisme ». Christian quant à lui est étudiant en biologie informatique alors que Denys est doctorant dans la conception et la modélisation informatique. Etienne se qualifie de

« spécialiste de la sécurité dans Internet et de la cryptographie ». Fabien, contributeur à plusieurs projets, est par ailleurs chercheur en physique, Gérald travaille dans la production mécanique, Herbert est coordonnateur dans une entreprise multinationale, Isidore, consultant IT, Jonathan chercheur en publication électronique, Kalech étudiant en droit, Ludovic chercheur en mathématique, Marc étudiant en art, Norbert, musicien professionnel, etc.

Comment une telle diversité de contributeurs, de provenances et de trajectoires si différentes est-elle amenée à travailler ensemble? Il y a certes la passion de la technique menant souvent à l’expertise, et le rythme effréné de l’innovation qui en fait un élément passionnant, d’autant plus que chacun peut y contribuer selon ses choix, mais il y a aussi un ensemble de valeurs fondamentales formant une culture partagée.

Une culture commune

Pour fédérer cette communauté, nous constatons un ensemble de valeurs partagées par celle-ci. Les contributeurs se sentent généralement profondément engagés, attachés à cette culture commune, comme l’illustre l’initiateur d’un sous-projet à Ubuntu :

Cela dit derrière linux et particulièrement, Ubuntu, il y a une éthique, un esprit de partage et à cela j'y suis attaché.

Contrairement à ce que je peux laisser croire, j'aime Ubuntu et je suis fier de ses progrès.

201 Tous les noms des intervenants ont été modifiés

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La communauté partage un ennemi commun, comme le laisse transparaître le Bug #1, proposant un système d’exploitation simple et humain, capable de faire concurrence au système d’exploitation Microsoft Windows. Notons que Microsoft représente traditionnellement dans la communauté du libre l’ennemi sur lequel se cristallise la pulsion de mort202 des utilisateurs (Ferrary, Pesqueux, 2004, p. 262).

Une des valeurs centrales de la culture Ubuntu est l’humanisme affiché – la place centrale tenue par l’humain, ce que nombre d’éléments viennent confirmer comme son propre nom, ou encore la thématique artistique :

Pourquoi le fond d’écran par défaut d’Ubuntu est-il MARRON ? Le thème général de la première série de version d’Ubuntu est

«Humanité». Ca détermine notre choix graphique autant que notre selection de paquets et les décisions autour de l’installeur. Notre thème par défaut dans les quatre premières versions d’Ubuntu est appelé «Human», et il met l’accent sur la couleur humaine chaude - le marron.

Par ailleurs, le fait que bon nombre de développeurs ainsi que le créateur tiennent des blogs et soient relativement accessibles – dans les commentaires, mailing-lists ou par courriel – contribue à ce sentiment de proximité avec les utilisateurs. Cela contribue à souder la communauté, qui à travers le code de conduite (be considerate, be respectful, be collaborative) pousse vers un certain nombre de valeurs, dont les principaux développeurs sont les représentants les plus symboliques.

Plus généralement, la culture « hacker » est à la base de celle d’Ubuntu. Pour Raymond, « les hackers résolvent des problèmes, ils construisent, et ils croient en la liberté et en l'assistance mutuelle bénévole » (Raymond, 2000). Pour Himanen (2001) être hacker relève d’un état d’esprit, une liberté de pensée, et un plaisir, ce qui n’est pas sans rappeler l’importance du jeu chez Winnicott. Est aussi associée à la culture hacker la volonté de bidouiller, comme pour faire fonctionner des choses ensembles qui n’étaient pas prévues fonctionner ensemble à la base, comme l’illustre le message suivant :

Apparemment, je cherche un appareil conçu pour une niche très particulière [... Explications]

Bien sûr, si ça n’existe pas, je vais commencer à croiser certains de mes projets favoris ensemble : téléphone SIP + Asterisk + module de scanner compatible réseau + hacking == ça rock!

La liberté est extrêmement ancrée à la culture des communautés Ubuntu, comme l’illustre le cas d’un logiciel offrant une fonctionnalité intéressante dont l’intégration à la distribution n’a pas été réalisée, car il dépendait d’une librairie disposant d’une licence qualifiée de non libre. Finalement, l’intégration a été faite après que ladite librairie ait changé de licence après discussion avec ses auteurs sur les problèmes que cela engendrait (ce cas est plus détaillé dans Blum, 2007).

Cette liberté facilite grandement le partage, qui fait aussi partie de la culture commune de la communauté. Ainsi, en est-il de ce message accompagnant un programme visant à améliorer la distribution Kubuntu :

202 La pulsion de mort est un terme psychanalytique introduit par Freud, s’opposant à la pulsion de vie, ayant pour origine le ça, et dont les caractéristiques sont la poussée, sa source, son objet et son but.

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Petit script qui permet de finaliser l'installation de Kubuntu C'est un petit script que je me suis créé pour mon utilisation personnelle, alors pourquoi pas le partager!?

Le partage d’information est très important, comme l’illustre cette discussion sur la mailing-list des traducteurs francophones, contribuant à travers ce partage d’information à l’émergence d’une nouvelle façon de faire, d’une nouvelle connaissance :

<A>203 Je viens de voir l'erreur suivante [...]

<A> Erreur : Mauvait mot de passe

<A> MauvaiT => MauvaiS

<A> J'ai cherché en vain dans Rosetta [...] faut-il remonter le pb

<A> à l'équipe de traduction de KDE ?

<B> [...] L'erreur est dans libgpg-error.po

<A> [...] Pour que je m'améliore : comment as-tu fait pour

<A> retrouver ça ??? [...]

<B> C'est une astuce dont <D> m'avait fait part: [Explications]

<B> Attention c'est sensible à la casse. [...]

<C> Tu peux ajouter l'option -i à grep pour ne pas tenir compte

<C> de la casse.

La communauté est aussi imprégnée d’autodérision. Citons à titre illustratif, le hackergotchi qui est « une image d’un auteur utilisé comme icône pour l’identifier dans un fil RSS de blogs agrégés »204, représentant une forme d’autodérision de l’image des contributeurs. La communauté Ubuntu sur planet – son agrégateur de blogs – dispose de ses hackergotchis.

Si la culture hacker est élitiste comme le laisse entendre Raymond lorsqu’il décrit les hackers comme pouvant se considérer hacker si d'autres personnes ayant contribué à cette culture le reconnaissent comme tel, cet élitisme n’est pas présent dans la communauté Ubuntu, qui au contraire, tente de diffuser les valeurs hackers en les mettant à disposition du plus grand nombre, une forme de démocratisation de ces valeurs se traduisant par exemple avec la mise en place du NUN pour New Users Network, dont le but est :

d’essayer et d’aider les nouveaux utilisateurs d’Ubuntu à prendre en main leur distribution.

L’expertise technique est très importante dans la communauté. Tous les contributeurs ne bénéficient pas du même niveau de reconnaissance. Ce niveau de reconnaissance est fonction de l’importance des contributions de ces individus. La technique a une place très importante dans le logiciel libre, d’autant plus que son usage est particulièrement facilité par rapport à d’autres domaines, tout le monde ayant accès aux outils et aux données de par la nature même du logiciel à code source ouvert, d’où l’importance qui lui est accordée. Les développeurs trouvent un plaisir certain dans le fait de coder, surtout lorsque combiné à la liberté, ils sont « maîtres de leurs destins ». Le fait de mettre « les mains dans le cambouis » – expression courante dans la communauté pour exprimer l’action de coder – est particulièrement valorisé et le contributeur souhaitant s’améliorer reçoit généralement l’aide nécessaire.

203 Lors d’une conversation entre plusieurs individus, nous identifions les individus par des lettres suivant pour suivre leur conversation.

204 Source: http://en.wikipedia.org/wiki/Hackergotchi, traduction libre

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Cela donne une importance décisionnelle plus grande aux développeurs compétents, d’autant plus grande qu’ils contribuent beaucoup. Cette importance s’exerce par l’influence.

Cela entraîne des prises de responsabilité volontaire de la part des contributeurs, qui acceptent de se contraindre à plus de travail sachant que leur influence en sera renforcée. C’est pour pallier à la prédominance des développeurs sur les autres contributeurs qu’ont été établis dans la communauté Ubuntu les deux organes décisionnels que sont (1) le Technical Board se chargeant des décisions d’ordre technique, accessibles aux personnes étant reconnues pour avoir les compétences nécessaires et étant impliquées dans la communauté, et (2) le Community Council, regroupant toute sorte de contributeurs actifs (blogueurs, graphistes, etc.) participant aux choix de la communauté.

Impacts de la culture dans la communauté Ubuntu

Dans la section précédente, nous avons décrit les spécificités formant la culture de la communauté : un ennemi commun, une volonté d’humanisme, un amour de la bidouillage, un partage de valeurs démocratiques, une dose d’autodérision, l’exaltation de la liberté, la mise en valeur du partage, l’importance de la technique. C’est ce qui forme la culture Ubuntu, que nous qualifierons de culture libre étant donné les attributs qui la compose.

Le modèle d’organisation adapté à cette culture, nous le qualifions de mérito-démocratique. Il résulte de cette culture et lui est fortement adapté. C’est lui que nous décrivons dans cette section. La volonté de démocratie se retrouve dans la structure de fonctionnement de la prise de décision de la communauté, dont la gouvernance est assurée par le quintuplet présenté en Figure 2.

Figure 2

SABDFL est le pseudonyme de l’initiateur du projet, et signifie « Self-Appointed Benevolent Dictator for Life »205. Il s’agit de l’initiateur d’Ubuntu, et le principal sponsor financier permettant de faire fonctionner la compagnie Canonical Ltd, associée à Ubuntu. Il participe activement à la vie de la distribution. Les Ubuntu teams correspondent à des équipes de personnes spécialisées autour d’un thème ou d’un logiciel spécifique, qui prennent alors part aux décisions les concernant. Ainsi, il existe des équipes s’occupant du noyau Linux, de l’esthétique de la distribution, etc. Loco signifie local community, ou communautés locales. Il s’agit de communautés regroupées autour d’une spécificité, comme la communauté francophone (communauté linguistique), ou la communauté canadienne (communauté géographique). Le technical board est un groupe d’individus s’occupant spécifiquement des aspects techniques de la distribution, d’une façon générale. Ils sont reconnus pour leurs connaissances techniques et leur appartenance à la communauté. Enfin, l’Ubuntu community council est le conseil représentant les intérêts de la communauté. Ses membres sont des personnes s’impliquant de différentes manières dans la communauté (participation technique ou non). Pour assurer le fonctionnement démocratique, il faut s’assurer de la possibilité donnée à tous de s’exprimer librement, pour être capable de faire un choix éclairé.

C’est là un des fait marquant engendré par la liberté : dans la communauté, tout le monde a le droit de s’exprimer ouvertement, cela est même encouragé, ce qui n’est pas sans effet sur les modes de gestion (Chanlat, Bédard, 1989). Ainsi, suite à la quantité de travail

205 Nous retrouvons ici une forme d’autodérision dont la communauté est imprégnée, les leaders des projets libres étant souvent qualifiés de Benevolent Dictator for Life (BDFL).

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nécessaire dans Dapper, l’initiateur du projet propose un grand débat à la communauté sur l’acceptation d’un retard de la distribution :

Je vous écris pour proposer un délai supplémentaire de six semaines à la date de sortie de Dapper [...] Je lance un appel à une réunion à la communauté «town hall» ce Mardi 14 mars une première fois à 09:00 UTC (pour les communautés russes et asiatiques) et une autre fois à 18:00 UTC (pour l’europe et les amériques)

Des discussions sur des fonctionnalités ont souvent lieu sur la mailing-list des développeurs, partant d’une idée, d’une remarque qu’un contributeur s’est permis de faire et que d’autres n’hésitent pas à commenter. Par ailleurs, les fonctionnalités donnent souvent lieu à des échanges forts construits, argumentés et bien illustrés entre plusieurs contributeurs, qui tiennent compte de l’importance de convaincre autrui.

Des communautés autogérées

Dans la distribution Ubuntu, les nouveautés sont discutées au sein de la communauté, dans les groupes community council et technical board. Toutefois, ces fonctionnalités suivent généralement un cycle bien précis pour être acceptées : il est nécessaire de rédiger la spécification en suivant le plan prévu, qui correspond à la fiche descriptive de la spécification.

Elle doit alors être enregistrée dans le logiciel de gestion de projet, lié à d’autres attributs.

Si nous sommes ici dans le domaine de la gestion de projet classique, la particularité est que l’outil de gestion de projet a été développé (et est perpétuellement en cours de développement) par ses utilisateurs. Cet outil est conçu pour, mais aussi et surtout par les développeurs d'Ubuntu, correspondant alors fortement à leurs attentes. Ainsi, les développeurs discutent sur les mailing-lists aussi bien des améliorations de la distribution que du processus de conception de la distribution :

Salut tout le monde,

Comme j’apprécierais le fait que nous soyons nous même un peu Web 2.0, je voudrais commecer une discussion sur le fait que nous utilisions des Tags dans Malone. Pour donner une bonne impression de ce que je veux dire, vous pouvez aller voir ici :

[LIEN ET EXPLICATIONS]

Je suis dans l’attente de vous entendre sur ce sujet, parce que je pense que les Tags sont un outil qui “peut” faire que nos vies soient plus simple.

Les personnes s’occupant de mettre en place les fonctionnalités sont les personnes motivées à les réaliser, qui acceptent de prendre des responsabilités plus grandes pour améliorer leurs compétences, leurs visibilités dans la communauté, leurs influences, ou pour le plaisir de contribuer.

Les individus de la communauté codifient librement les processus de fonctionnement de la distribution à travers des contributions, qui ne seront pas utilisées si elles ne sont pas jugées pertinentes par un nombre suffisant d’individus.

Comme ce sont les développeurs et la communauté qui autogèrent leurs outils de gestion, certains logiciels sont ainsi conçus ou intégrés à la distribution dans le but même de simplifier le développement et la maintenance des logiciels. Ainsi, une des fonctionnalités nouvelles de Breezy fut l’ajout dans les applications intégrées à la distribution d’un lien vers l’outil de traduction en ligne d’Ubuntu. Par ailleurs, un effort est fait pour permettre une plus grande décentralisation dans la programmation, la conception et la prise de décision à travers

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des logiciels utiliser et développés au sein de la communauté, comme Bazaar-NG qui vise ces objectifs. Il y a dans le projet Ubuntu une volonté d’indépendance technologique sur les choix concernant le processus. Cette volonté semble en effet prendre sa source dans le fait de vouloir rendre plus accessible les contributions à la communauté, ce qui résulte à la fois d’une plus grande efficacité du système, mais aussi d’un appel à plus de participation à la vie de la communauté donc une forme de démocratisation.

La décentralisation associée à la grande liberté offerte aux développeurs de la communauté permet aux projets d’être initiés parfois par de petits groupes d’individus isolés – formant des équipes de travail – pour être éventuellement intégrés plus tard.

S’il arrive que des équipes travaillent de façon indépendante, ce n’est toutefois pas le cas de la majorité. Un des avantages du logiciel libre est de pouvoir tirer profit du travail d’autres groupes. Par exemple, chaque version d’Ubuntu intègre la dernière version de l’environnement GNOME. Elle se voit ainsi gratifiée, en plus des ajouts faits à la distribution des nouvelles fonctionnalités et améliorations de chacune de ses composantes, et des composants de ses composantes, et ainsi de suite.

Conclusion

Nous avons montré comment la culture Ubuntu – une culture libre basée sur la technique, ayant un ennemi commun, une volonté d’humanisme, un amour de la bidouillage, un partage de valeurs démocratiques, une dose d’autodérision, l’exaltation de la liberté, la mise en valeur du partage – engendrait un mode d’organisation que nous qualifions de mérito- démocratique, permettant la liberté de parole. Ce mode d’organisation fait parti de ce que l’on peut caractériser de modèle d’organisation libre, rattaché aux communautés de logiciels libres.

C’est l’un des multiples modèles possibles.

Étant donné l’existence de telles cultures dans des organisations, nous nous interrogeons sur la place de la liberté dans le domaine de la gestion. En effet, l’univers de l’entreprise n’est généralement pas un lieu mettant en valeur les attributs de liberté, la hiérarchie y prédominant sur la démocratie, et ce pour une volonté d’efficacité mis de l’avant par les sciences de la gestion (Aktouf, 2002). Or nous venons de décrire le fonctionnement d’un projet libre, utilisant la liberté et la démocratie comme modèle d’organisation, offrant un modèle plus efficace que les modèles traditionnels – tout au moins quand l’objet construit est de la connaissance206. Logiciels libres, mettant de l’avant l’idéologie et logiciel à code source ouvert prônant l’efficacité sont inextricablement liés, et c’est ce mariage qui fait la force du modèle. Liberté et efficacité ne sont donc pas incompatibles. Le succès des logiciels libres montre au contraire un manque important dans l’approche traditionnelle des sciences de la gestion.

En effet, l’engagement dans le libre se fait principalement pour les raisons suivantes : par militantisme politique ou idéologique, par attrait technologique ou encore pour des raisons d’ordre économique. L’acteur participant au logiciel libre se positionnant souvent « dans l’action et dans une quête existentielle qui va au-delà du travail » (Auray et Vicente, 2006, p.4). Ainsi, pour nombre d’individus, l’engagement dans le logiciel libre se fait par opposition au monde de l’entreprise parce qu’il y a « un désintéressement ou une déception vis-à-vis de l’activité professionnelle actuelle, sur laquelle les participants n’hésitent pas à émettre des critiques virulentes » (p.5). Pour ces individus, le logiciel libre constitue une source de désaliénation, une possibilité de fuite ou de création d’un espace de partage différent,

206 Cela est du aux spécificités de la connaissance, à savoir non rivalité, non excluabilité et cumulativité (Foray, 2000).

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redonnant un sens à l’activité humaine du travail, perdu par l’approche trop liberticide du monde de l’entreprise, empêchant chacun d’être lui-même.

Il nous semble donc important pour les sciences de la gestion de renouer avec la liberté de l’individu. À ce titre, l’étude d’une communauté telle celle étudiée dans cet article devrait permettre de tisser ces liens inexistants – ou rejetés – depuis trop longtemps.

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Tableau 1 : Normes, valeurs et croyances à la base de l’idéologie dans les communautés libres. Adapté de Stewart et Gosain (2001)

Normes - Faire un fork est tabou

- Distribuer des changements sans la coopération des modérateurs ne se fait pas - Enlever le nom d'une personne de l'historique d'un projet, des remerciements ou de la liste des mainteneurs ne se fait pas sans consentement explicite

Valeurs - Les meilleurs bidouilleurs gagnent - Toute l'information doit être libre

- Vous n'êtes un hacker que lorsque d'autres hacker vous qualifient comme tel

- Les extensions non-triviales de fonction sont meilleures que les parches et le debuguage Croyances - Ce qui marche dans une grande distribution est mieux que ce qui ne marche pas

- Avec suffisamment d'yeux, tous les bugs seront repérés - La pratique est meilleure que la théorie

Tableau 2 : Historique des versions d'Ubuntu207

Version Nom Traduction

4.10 Warty Warthog Phacochère Verruqueux 5.04 Hoary Hedgehog Hérisson Vénérable 5.10 Breezy Badger Blaireau Jovial 6.06 Dapper Drake Canard Pimpant 6.10 Edgy Eft Salamandre Énervée 7.04 Feisty Fawn Faon Fougueux 7.10 Gutsy Gibbon Gibbon Culotté

Figure 1 : Organisation en réseau de la communauté du logiciel libre

Niveau macro:

Communauté du libre

Équipe de travail

Niveau méso:

CommunautéUbuntu Équipe de travail

Équipe de travail

Digital team

Équipe de travail

Niveau méso:

Autre communauté Ex. Noyau Linux Équipe de travail

Équipe de travail

Équipe de travail

Équipe de travail

Niveau méso:

Autre communauté Ex. GNOME Équipe de travail

Équipe de travail

Équipe de travail Vigra

Projet

Projet

Enblend Hugin

207 Source : http://doc.ubuntu-fr.org/versions

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Figure 2 : Gouvernance d'Ubuntu

Ubuntu Ubuntu

teams

SABDFL

Ubuntu community council

Technical board

Loco

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