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DE PROSPERO À SES CAHIERS. L AVENTURE D UNE REVUE

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2019/1 N° 61 | pages 44 à 71 ISSN 0980-2797

ISBN 9782907702799 DOI 10.3917/rdr.061.0044

Article disponible en ligne à l'adresse :

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La revue Les Cahiers de Prospero(1994-2002) est un objet unique. Par sa lecture, elle permet de venir au contact d’une coupe, d’un aperçu à la fois original et fidèle du contexte théâtral français de la fin du XXesiècle et de saisir dans le détail les enjeux d’une bataille qui a caractérisé cette période : celle de la recon- naissance de l’auteur de théâtreen tant que créateur à part entière et acteur essen- tiel d’un système de production qui, en revanche, semblait entièrement monopolisé par la figure du metteur en scène.

La naissance de son aînée Prospero(1991-1992) est étroitement liée à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, qui va devenir un acteur majeur dans le contexte du renouvellement de l’attention à l’égard de l’écriture théâtrale. L’histoire de la Chartreuse, métamorphose d’un espace de rassemblement religieux (le désert1 des chartreux) en un monument réhabilité en centre culturel de rencontre euro- péen permettra de mieux comprendre la création et les enjeux de la revue.

Élisabeth G

AVALDA

De Prospero à ses Cahiers.

L’aventure d’une revue.

1. La notion du désert est liée à l’ordre cartusien. Pendant la résidence, les auteurs dramatiques ont tous écrit sans se concerter sur le thème du désert.

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Création du CIRCA

C’est au cours des années soixante-dix que la restructuration de la Chartreuse s’accélère, portée par les nouvelles possibilités de financement des dernières mesures ministérielles. Jacques Rigaud, missionné par Georges Duhamel, décide d’inter- venir auprès du directeur de la Caisse nationale des Monuments historiques, Jean Salusse. Ce dernier décide alors d’alerter le directeur du Festival d’Avignon, Paul Puaux, et l’informe de la situation catastrophique du monument. Paul Puaux confie une mission d’étude à Bernard Tournois, journaliste de la télévision spécialisé dans les questions de théâtre, en reportage sur Avignon, et l’invite à aller le visiter. Le 26 juillet 1973, Bernard Tournois part à la reconnaissance de la Chartreuse et constate « un ensemble monumental en ruine avec vingt-cinq familles qui vivent en son sein »2. Suite à son état des lieux, il présente un projet de réha- bilitation du patrimoine architectural associé à un programme d’activités. Sa pro- position « axée sur des résidences de créateurs dans les maisons de chartreux restaurées »3est acceptée. Le 13 juin 1973, la création du CIRCA4, association loi 1901 qui gère encore actuellement la Chartreuse, marque le premier ancrage de cette réhabilitation culturelle. Le 1eravril 1974, il prend ses fonctions de directeur.

Grâce au Fonds d’Intervention Culturel, le FIC, mis en place par Jacques Duhamel, il commence à reconstruire et repenser la Chartreuse. Il réalise un projet trans- disciplinaire et établit un dialogue entre les différents secteurs culturels, artistiques et scientifiques, dans un désir ambitieux de les croiser et de tisser entre eux de réelles rencontres. Ensuite, profitant des bâtiments déjà existants de la Chartreuse, il crée quatre Maisons avec des activités spécifiques : la Maison de l’Image et du Son, la Maison des Jardins et de l’Environnement, la Maison de la Formation et la Maison du Livre et des Mots. Le secteur Arts Plastiques, pourtant présent à la Chartreuse, n’aura jamais sa Maison. Il sera confié à Anny Milovanoff, employée à la Chartreuse du 1eravril 1977 au 31 mars 1997 qui sera la future rédactrice en chef des deux premiers albums de la revue Prospero.

2. Entretien avec Bernard Tournois, 20 janvier 2013.

3. Jacques Rigaud.(Page consultée en ligne le 26 août 2017). Les Centres culturels de rencontre. Témoignage de Jacques Rigaud sur leur émergence, 7 janvier 2012, 3 p. [en ligne] Adresse URL : http://www.accreurope.

org/wp-content/uploads/2012/12/Naissance-des-CCR-Temoignage-de-Jacques-Rigaud.pdf 4. Centre International de Recherche, de Création et d’Animation.

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La Maison du Livre et des Mots

L’une des activités les plus qualifiantes qui a contribué à engager le processus des écritures est l’ouverture de la Maison du Livre et des Mots. En 1976, Bernard Tournois fait appel à Gil Jouanard et lui « propose de concevoir une cellule de recherche littéraire dans la Chartreuse. Il va y travailler avec sa femme Marie.

Ils créent tout d’abord la Maison de la Poésie qui deviendra très vite la Maison du Livre et des Mots »5. Ils vont mener de front une action de sensibilisation au phénomène poétique, une initiation aux écritures contemporaines et une ré- flexion sur la notion de récit, et développer tout un travail autour de l’écrivain et de son écriture.

Les mesures du ministère de la Culture

Après l’élection à la présidence de François Mitterrand le 10 mai 1981, Jack Lang est nommé Ministre de la Culture. Après quelques mois passés à ses côtés dans son cabinet, Robert Abirached est affecté au poste de directeur du Théâtre et des Spectacles en septembre 1981. Pendant six ans, il va mettre en œuvre une suite de mesures culturelles6autour du théâtre public afin de « remettre en mouvement le monde du spectacle »7.

En juillet 1981, « en application des engagements pris par le président de la République, la politique du livre et de la lecture constitue une des priorités d’action du ministère de la Culture »8. Jack Lang confie une vaste étude sur le livre à Bernard Pingaud qui, dès octobre, lui rapporte cinquante-cinq propositions

5. Entretien de Gil Jouanard par Bernard Tournois le 19 février 2013 à la Chartreuse en vue de la rédaction de l’ouvrage La Chartreuse 1973-2013. Le monument de la Chartreuse, (dir. Daniel Conrod), Montpellier, éditions L’Entretemps, collection « État des Lieux », 2013.

6. « Malgré les scandales et les difficultés, surtout au cours du deuxième septennat de Mitterrand, les années qui vont de 1981 à 1993 sont marquées par une mobilisation impressionnante de moyens pour favoriser l’éclosion de la vie culturelle et par des efforts sérieux et pleins d’imagination de la part de ceux qui, comme Abirached, continuent à croire à la mission du théâtre public. » (David Bradby, Le Théâtre en France de 1968 à 2000, Paris, Éditions Honoré Champion, 2007, p. 396.)

7. Robert Abirached, Le Théâtre et le Prince. 1. L’embellie 1981-1992, Arles, Actes Sud, 2005, p. 13.

8. « Lettre de mission de Jack Lang adressée à Bernard Pingaud, le 23 juillet 1981 », in Bernard Pingaud et Jean-Claude Barreau, Pour une politique nouvelle du livre et de la lecture. Rapports de la commission du livre et de la lecture, Ministère de la Culture, Dalloz, 1982, p. 5.

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9. Bernard Pingaud et Jean-Claude Barreau, Pour une politique nouvelle du livre et de la lecture. Rapports de la commission du livre et de la lecture, op.cit., p. 85.

10. Ibid.

11. Ibid., p. 9-10.

12. Ibid., p. 127.

13. « 50 premiers livres et 50 auteurs débutants soutenus chaque année ne représenteraient pas une charge considérable par rapport à l’effet qu’on peut attendre. » (Ibid., p. 133.)

14. Michel Vinaver, Le Compte rendu d’Avignon. Des mille maux dont souffre l’édition théâtrale et des trente-sept remèdes pour l’en soulager, Actes Sud, 1987.

dont l’« insertion des créateurs dans la vie culturelle sous la forme de contrats d’animation »9et la mise en place d’une « politique de commandes aux auteurs de la part des organismes culturels »10. Ses deux mesures innovantes vont per- mettre à la Chartreuse d’accueillir des auteurs en résidence (Bernard Noël et Hugo Lacroix). Dans un second rapport de janvier 1982, trois thématiques essentielles sont détaillées : « L’aide aux créateurs et à l’édition et le fonctionnement du Centre National des Lettres ; la réforme de la distribution ; les conditions générales d’un développement de la lecture. »11De plus, en 1982, le Centre National des Lettres octroie « 107 bourses d’encouragement, de création ou d’année sabbatique »12aux auteurs. Il apporte son concours financier à des maisons d’édition, intervient dans la modernisation ou la création de librairies, octroie des aides aux traducteurs, aux premiers livres13, s’ouvre sur la régionalisation dans le cadre de l’aide aux créateurs et à l’édition.

Les années 1981-1991 voient, à la demande de Jack Lang, l’émergence d’une politique du livre et de la lecture, concomitante avec une « embellie » financière dans le cadre de la création théâtrale portée par le ministère de la Culture. Une période qui est toutefois marquée par la persistance et même l’aggravation d’une situation morose de l’édition théâtrale. C’est pourquoi le Centre National des Lettres, sous l’impulsion de son président de la commission théâtre Michel Vinaver, déclenche alors une vaste enquête qui culmine avec le célèbre Compte rendu d’Avignonlu le 28 juillet 1986 dans la cour du Palais des Papes en Avignon. Les trente-sept remèdes proposés par ce document (qui devient dans la foulée un livre)14vont provoquer un regain de l’édition théâtrale en France et la reconnais- sance de l’écrivain de théâtre.

Le Compte rendude Michel Vinaver révèle que si majoritairement ce sont des auteurs dramatiques français qui écrivent d’abord pour le théâtre, ils n’écrivent pas

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seulement pour ce secteur et ils assument plusieurs fonctions. Dans ce paysage théâtral des années quatre-vingt, « la majorité des auteurs dramatiques français aujourd’hui sont avant tout des hommes de théâtre »15 & 16. Ce sont des auteurs multi-cartes qui exercent soit une « activité d’acteur et/ou de metteur en scène principale [ou] épisodique »17, soit « une activité accessoire d’écrivain dans un champ littéraire autre que le théâtre »18.

Les auteurs de cette seconde moitié des années quatre-vingt, constate Michel Vinaver, « sont les enfants de la révolution qui a hissé la pratique scénique au sommet de la hiérarchie des composants de la chose théâtrale, et ravalé le texte à un statut de relative dépendance [et] les écrivains généralistes se sont sentis peu ou prou exclus du champ théâtral. »19Toutefois, d’après son analyse, la courbe sem- ble s’inverser et remettre à l’honneur et sur le plateau, le texte théâtral. « Encore faut-il, pour qu’elle parvienne effectivement à se renverser, que l’édition théâtrale survive, qu’un minimum d’infrastructure demeure pour accueillir les textes de la génération présente et de celles qui se préparent. »20

Anticipant le rapport spécifique de Michel Vinaver sur l’auteur dramatique, Michèle Vessilier-Ressi a cerné plus largement le métier d’auteur entre 1979 et 1981.

Selon cette économiste, les meilleures sources pour repérer le métier d’auteur dramatique seraient la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques.21 La

15. « […] homme de théâtrefondamentalement, homo theatralis, actif dans deux branches d’activité théâtrale ou davantage, dontcelle d’auteur. » (Ibid., p. 81.)

16. Ibid., p. 83.

17. Ibid.

18. Ibid..

19. Ibid., p. 106.

20. Ibid.

21. la SACD, en 1980 […]. La ventilation des seuls droits théâtre, portant sur 2 938 comptes crédités, donne :

Moins de 1 000 F de droits : 1528 de 1 000 à 5 000 F de droits : 720 de 5 000 à 10 000 F de droits : 257 de 10 000 à 50 000 F de droits : 315 de 50 000 à 100 000 F de droits : 57 plus de 100 000 F de droits : 61

[…] Notons en passant que 834 comptes sont crédités à la fois de droits théâtre et audiovisuels. Signa- lons que dans la tranche supérieure à 100 000 francs, les revenus les plus élevés proviennent du théâtre (privé parisien, seul véritablement rentable en dépit de la décentralisation dramatique et de mécanismes correcteurs du marché). En revanche, radio et télévision font vivre un plus grand nombre d’auteurs pro- fessionnels, avec une relativement plus grande régularité. » (Michèle Vessillié-Ressi, Le métier d’auteur.

Comment vivent-ils ? Écrivains, compositeurs et cinéastes, auteurs de théâtre et de radio-télévision, Paris, Dunod, « Communications », 1983, p. 187.)

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SACD recense, en 1980, 2 938 comptes crédités pour les « droits théâtre », dont 57 auteurs seraient dans la tranche qui correspond à un revenu moyen annuel ou légèrement en dessous par ménage en France22, et 61 auteurs au-dessus de cette moyenne. Pour les 2 820 auteurs dramatiques qui restent, soit pour 96 % de l’ensemble de cette profession, les droits perçus sont bien en dessous du revenu moyen annuel en France. En conclusion, seulement 4 % des auteurs dramatiques peuvent vivre de leur métier.

Si l’édition du texte dramatique demeure portion congrue en ce début des années quatre-vingt, s’il n’est plus l’unique matériau de construction du paysage théâtral et se retrouve en concurrence avec d’autres pratiques scéniques, toute une génération de jeunes auteurs va cependant commencer à être repérée par Théâtre Ouvert et l’association Théâtrales et se spécialiser dans l’écriture dramatique.

L’enquête menée par Michel Vinaver auprès des éditeurs qui publient du théâtre permet d’identifier trois catégories23. La première méconnaît le théâtre contemporain24, ce secteur est peu rentable et le lecteur manifeste trop peu d’in- térêt à son encontre ; ce sont les éditeurs de littérature générale qui en ont prati- quement abandonné la publication : Gallimard, Minuit, Calmann-Lévy, Flammarion, Le Seuil. La seconde est freinée par les difficultés économiques ren- contrées dans ce secteur ; ce sont les éditeurs de littérature générale qui en publient occasionnellement et peuvent encore être des futurs éditeurs potentiels : Actes Sud, Christian Bourgois, Solin, Jeanne Laffitte. Et la troisième regroupe les convaincus qui continuent à publier du théâtre coûte que coûte : Théâtre Ouvert, Théâtrales et Papiers.

Deux revues rejoignent ces « militants »25de la cause, L’Avant-Scèneet Acteurs Auteursqui publient quasi mensuellement le texte intégral d’une pièce de théâtre.

Cependant, deux éditeurs font figure d’exception, L’Arche et P.O.L qui publient du théâtre mais sous certaines conditions ; quant à la maison d’édition Stock, après avoir « publié soixante-neuf titres en dix ans »26, elle a stoppé sa collection

« Théâtre ouvert ».

22. Ibid., note n°8, p. 370.

23. Condensé à partir des résultats du Compte rendu d’Avignonde Michel Vinaver, op.cit.

24. Ibid., p. 28.

25. Ibid., p. 27.

26. Jean-Pierre Thibaudat, Théâtre français contemporain, Ministère des Affaires étrangères, novem- bre 1994, p. 21.

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La désaffection pour le texte théâtral dans les années soixante-dix, qui fait suite à une crise plus profonde amorcée dans les années cinquante, entraîne par voie de fait, la diminution de la publication des textes de théâtre. Un point crucial lié à un problème économique, pierre d’achoppement, soulevé par Michel Vinaver dans son rapport, qui concerne directement les éditeurs. Le 6 juin 1973, une modification des statuts au sein de la SACD, met à mal la profession. Il s’agit de l’article 327qui interdit aux auteurs dramatiques de céder tout ou partie de leurs droits de représentation à un tiers (dont l’éditeur), ils pourront toutefois accorder une part de 5 % sous réserve que l’édition soit en amont des représentations.

Naissance du CNES et de la revue Prospero

Du côté de la Chartreuse, de plus en plus débordé par ses multiples activités, son directeur, Bernard Tournois, engage le 1erjanvier 1985, Françoise Villaume, chargée du Relais Culturel de la municipalité d’Arles, pour le seconder. Trois mois plus tard, il fait appel à Daniel Girard alors conseiller technique à l’ONDA (l’Office National de Diffusion Artistique). Si l’ambition et l’enthousiasme de Bernard Tournois ont réussi dans un tour de force à métamorphoser le monument en un Centre Culturel de Rencontre, sa propension exponentielle à créer des pro- jets aura entraîné la Chartreuse, en un rapide revers de médaille, dans un véritable gouffre financier. Le ministère s’interroge sur cette situation catastrophique28et

27. « Article 3 : Il est interdit à tous les membres de la Société : […] 5° d’abandonner partie de leurs droits, par déclaration au bulletin, à toute personne intéressée ou pouvant être intéressée à quelque titre que ce soit à l’exploitation, sous une forme quelconque, de leurs œuvres, notamment directeurs, choré- graphes, metteurs en scène, de théâtre, de radio ou de télévision, maîtres de ballets, interprètes ; éditeurs, costumiers, décorateurs, techniciens, fournisseurs, impresarii, agents littéraires, producteurs de films ou de spectacles. Toutefois, l’auteur aura la faculté de céder à l’éditeur graphique 5 % de ses droits de repré- sentation sur une œuvre dramatique, que cet éditeur aura pris le risque d’éditer antérieurement à sa ré- ception dans un théâtre. » (SACD, Statuts et règlement général mis à jour après l’Assemblée Générale Extraordinaire du 6 juin 1973, p. 23. Archives SACD.)

28. « Depuis 13 ans, la Chartreuse du Val de Bénédiction à Villeneuve-lès-Avignon est l’objet d’une entreprise originale de remise en valeur et de réutilisation d’un Monument Historique d’une rare qualité.

C’est pourquoi, il m’est apparu impératif de tout mettre en œuvre pour trouver une solution aux difficul- tés financières qui mettent actuellement en jeu l’existence du CIRCA, le Centre International de Recherche, de Création et d’Animation, qui est chargé de cette tâche. Les partenaires financiers (État, ville de Villeneuve, Départements du Gard et du Vaucluse, régions Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte d’Azur), semblent sensibilisés, mais avant de prendre les décisions qui s’imposent, ils souhaitent, à juste titre, une réponse à leur interrogation. Pour quelles raisons la situation financière du CIRCA s’est-elle dégradée de

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façon si alarmante, au point de mettre son existence en jeu ? Quelles seraient les conditions permettant d’éviter le retour des difficultés que le CIRCA connaît actuellement ? » (Rapport d’inspection du CIRCA, Juin 1986. Ministère de la Culture. Archives Nationales. Côte 19920213/70)

29. Ibid., p. 8.

30. Ibid., p. 9.

envoie un inspecteur de l’administration, Géraud de La Tour d’Auvergne, à la Chartreuse. Il remettra un rapport de quarante-deux pages en juin 1986 où il met en cause « des activités culturelles trop diversifiées »29et « une recherche tous azimuts d’activités susceptibles d’être subventionnées selon le bon plaisir – bien souvent fluctuant – de l’interlocuteur financier »30. Le CIRCA, l’association qui gère la Char- treuse, doit se restructurer et élaborer un projet clair en cohésion avec ce bâtiment patrimonial et culturel, et se donner une image lisible. Un plan de redressement financier est mis en place sur trois ans, de 1986 à 1989. Bernard Tournois laissera sa place de directeur le 31 juillet 1987, accompagné dans son départ par Gil Jouanard, créateur de la Maison du Livre et des Mots. Daniel Girard deviendra le nouveau directeur de la Chartreuse et Françoise Villaume son adjointe. Devant les injonctions de l’État, les nouveaux responsables sont obligés de repenser entière- ment la politique culturelle précédente et vont ouvrir la seconde période de la Chartreuse qui donnera naissance au Centre National des Écritures du Spectacle.

Le tournant vers les écritures théâtrales

En 1988, Jean-Pierre Engelbach, directeur des éditions Théâtrales propose au nouveau directeur de la Chartreuse, Daniel Girard, une résidence d’auteurs dra- matiques, qui sera première en son genre, où cinq auteurs « résidents » vont se re- trouver pendant quatre mois pour écrire chacun une pièce de théâtre et échanger sur les formes dramatiques contemporaines. Trois des auteurs de la revue des Ca- hiers de Prosperoy participeront : Michel Azama, Roland Fichet et Philippe Mi- nyana. Une résidence qui portera en germe les prémisses de cette revue réunie autour d’écrivains de théâtre. Les laboratoires d’écriture conduits dans les années quatre-vingt-dix à la Chartreuse par Michel Azama et Roland Fichet, ainsi que les rencontres informelles à Saint-Brieuc en Bretagne, provoquées par ce dernier et le Théâtre Folle Pensée, dont il est le codirecteur avec Annie Lucas, vont permettre des rencontres et des échanges entre les futurs auteurs du comité de rédaction, Jean-Marie Piemme, Philippe Minyana et Noëlle Renaude y seront invités.

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La Chartreuse, dans l’obligation de resserrer sa politique culturelle, va la recentrer autour des auteurs dramatiques et se donne, en 1991, sur les conseils de Bernard Faivre d’Arcier, directeur du Théâtre et des Spectacles, le label artistique de Centre National des Écritures du Spectacle. En juillet 1991, la création du CNES s’accompagne de la naissance de la revue Prospero31.

Prospero(1991-1992) : une revue institutionnelle et journalistique

Cet objet éditorial se doit d’être à l’image de la Chartreuse, monument devenu Centre culturel contemporain au rayonnement national. Son contenu éclectique par son large éventail de disciplines veut conquérir et séduire en premier lieu le lectorat du Festival d’Avignon puisqu’il paraît dans une périodicité annuelle au début du mois de juillet. Quant à sa ligne éditoriale, si le premier numéro tient sa gageure – débattre « de la place de l’écrit dans le théâtre d’aujourd’hui ? » – en s’ouvrant largement sur les écritures du spectacle, le second se resserre sur une seule thématique : la comédie.

La collection (un tirage prévu de mille exemplaires) se compose de deux grands albums32d’environ soixante-dix pages, se pare d’une couverture glacée, pelliculée, qui confirme la mise au premier plan d’une image prestigieuse. Sur la couverture du no1, s’affichent des noms : Antoine Vitez, Yannis Kokkos, Armando Llamas, Jean Jourdheuil et Jean-François Peyret, Frank Venaille auxquels s’attachent les termes « lettres inédites », « opéra », « traducteur des Comédies barbares»,

« entretien », « Ces jeux d’enfants », autant de mots lancés pour accrocher le lecteur et enclencher la vente ou l’abonnement. Une aquarelle du scénographe Yannis Kokkos, créée pour la mise en scène de l’opéra Boris Goudounov33égaye la couverture sobre.

31. « Prosperoest la revue du Centre National des Écritures du Spectacle créé en juillet 1991 à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon. Fondée pour accompagner les activités de ce centre, la revue est ouverte à des interrogations sur le théâtre, l’opéra, la radio et le cinéma, dans leurs rapports avec les auteurs et les textes contemporains. » (Prospero, n°1, juillet 1991, quatrième de couverture).

32. Deux numéros à peine plus grands qu’une feuille A4 (format 22,5 cm x 30 cm) au prix de 50,00 francs l’unité qui équivaudrait à 10,97 en 2016. À l’intérieur, un bulletin d’abonnement : quatre numéros 170,00 francs + 46,00 francs de frais d’envoi, soit un total de 216,00 francs.

33. Boris Goudounovde Moussorgsky sera présenté en 1992 à l’Opéra Bastille.

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La création de la revue Prospero intimement liée à la fondation du CNES s’affiche à la fois comme une revue institutionnelle et comme un lieu de réflexion consacré à l’actualité de théâtre. Institutionnelle, parce qu’elle est le reflet des thématiques des résidences de la Chartreuse, spécialisée, parce qu’elle convoque dans son comité de rédaction autour de sa rédactrice en chef Anny Milovanoff, trois figures fortement impliquées dans le journalisme critique et dans la pra- tique de l’art dramatique : Chantal Boiron, Jean-Pierre Han et Eugène Durif. Si Anny Milovanoff, pense la revue comme un « organe » de la Chartreuse, nos trois critiques de théâtre ne peuvent la penser que comme une revue de théâtre, cen- trée sur les questions de théâtre et non sur les activités théâtrales de la Chartreuse.

Mais, avec la présence d’Eugène Durif dans ce comité de rédaction, une troisième ligne émerge qui tend à s’écarter de l’institution, d’un côté, et des journalistes spécialisés ou critiques dramatiques, de l’autre. Elle s’ouvre sur une troisième pos- sibilité : la voie des auteurs, qui concilie l’attachement à un lieu de résidence, un regard sur l’actualité extérieure théâtrale et non théâtrale, et, par le biais de leur regard, crée un lien avec la genèse du projet d’activités de 198734à la Chartreuse, la « Cellule d’Écriture Théâtrale »35. Si Eugène Durif n’est pas le détonateur de cette rencontre d’auteurs dans Les Cahiers de Prospero, il allume l’étincelle d’une

« possible » transformation d’une revue de spécialistes en une revue conçue uni- quement par des auteurs de théâtre. Une revue qui épouserait pleinement le pro- jet centré sur le point de vue de l’écriture dramatique.

Cette hésitation, véritable dichotomie, ambiguïté de fond entre deux iden- tités (une responsable Chartreuse et trois spécialistes du théâtre), certes non conflictuelles mais quelque peu contradictoires, ne sera probablement pas étran- gère au changement de direction qui, seulement deux ans plus tard, donnera nais- sance aux Cahiers de Prospero.

34. « Pour une cellule d’écriture théâtrale », Projet activités 1987. Archives Nationales. Côte 20060378/16

35. « Cellule d’écriture théâtrale » sera le véritable déclencheur de la longue saga des auteurs dramatiques à la Chartreuse. Le projet prévu se construira en 1987 avec Jean-Pierre Engelbach, directeur des éditions Théâtrales. L’opération consiste à accueillir des auteurs dramatiques en résidence pour en priorité se consa- crer à l’écriture d’une pièce, et outre ce temps de création en solitaire, accorder des temps de rencontres, d’échanges et de lectures. Ce dispositif basé sur un échange entre le résident et l’institution, où le créa- teur se met en relation de diverses manières avec un public ciblé, rappelle celui du contrat d’animation (ou du contrat création) mis en place précédemment par le CIRCA. » (Élisabeth Gavalda, Les Cahiers de Prospero (1991-2002) Une revue d’auteurs de théâtre, Doctorat en Études Théâtrales, Thèse dirigée par Marco Consolini, Université Sorbonne nouvelle Paris 3, Soutenance : 21 novembre 2017, p. 88.)

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36. Termes de Daniel Besnehard utilisés pour nommer le périodique Cahiers du Nouveau théâtre d’Angers.

37. Marco Consolini, « Revues de théâtre et combats esthétiques au XXesiècle », La Revue des revues, no33, Ent’revues, août 2003, p. 12.

38. Ibid.

39. Marco Consolini, « Les revues du théâtre au XXesiècle : un champ de recherche à part entière. » Article inédit.

40. « Faire l’histoire du théâtre signifie tenter de reconstruire ce phénomène de relation culturelle non pas à partir des œuvresthéâtrales – qui ne sont plus disponibles […] – mais plutôt à partir des processus théâtraux. C’est-à-dire, premièrement, à partir des processus de création– car on a sous les yeux les cro- quis et les cahiers de mise en scène de Craig, les témoignages sur les répétitions et sur ses rapports avec Stanislavski, etc. ; deuxièmement, à partir des processus de réception– car on a sous les yeux les réactions de la presse, les influences sur les conceptions des autres hommes de théâtre, etc. » (Marco Consolini,

« Revues de théâtre et combats esthétiques au XXesiècle », op.cit., p. 12.)

Si la revue Prosperoest née dans le berceau du CNES, elle n’est pas à propre- ment parler « un dispositif d’accompagnement des spectacles [d’une institution] »36 – pour reprendre la définition de Daniel Besnehard à propos des publications qui se caractérisent comme les « organes » d’un lieu – puisque les spectacles et les sujets évoqués s’ouvrent sans conteste hors de sa propre programmation cultu- relle et s’interrogent sur les problématiques plus générales qui intéressent les rôles d’auteur et de metteur en scène.

Fabrique de la revue

L’objet « revue de théâtre » se construit à partir d’un « processus de création »37 et d’un « processus de réception »38et laisse une mémoire de l’acte théâtral, un trésor historique, que sont ces « entités autonomes porteuses de projets critiques et créateurs »39à la disposition du chercheur40. Les deux albums de la collection

« Prospero » s’inscrivent indubitablement dans ces deux processus décrits par Marco Consolini. La publication d’un échange épistolaire entre le metteur en scène Antoine Vitez et l’auteur René Kalisky, la présentation de plusieurs croquis du scénographe Yannis Kokkos pour la préparation d’un opéra, les impressions et extraits de textes d’auteurs en résidence à la Chartreuse, témoignent de la fabri- cation d’une matière « dramatique », d’une histoire du théâtre en gestation.

À ces inédits, études critiques ou polémiques, documents d’archives ou « d’au- jourd’hui », s’ajoute une spécificité : les numéros paraissent en amont du Festival d’Avignon. La revue s’écrit dans la période où les spectacles sont encore dans un processus de construction ou de finition, ce qui permet aux « spécialistes » d’aller

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récolter des reportages sur la fabrication des spectacles en répétition sur Avignon, d’interroger les artistes au cours de leur création, futurs acteurs, auteurs et metteurs en scène du festival à venir. Autant d’éléments qui sont donnés à lire dans la revue comme une invitation à la découverte d’un processus de production scénique, une séquence de création, un regard et une compréhension de la machinerie théâtrale, et qui engagent la revue dans un processus de création.

Par ailleurs, les propos recueillis sur les spectacles passés, les entrefilets sur les événements à venir en Avignon comme Les Vingt ans de Théâtre Ouvert41, les notes de lecture, l’album de « famille » de Mario Gonzalez42, engagent la revue dans un processus composé de « produits éditoriaux qui aspirent au rôle d’observatoires extérieurs, objectifs et omniscients de la vie théâtrale »43, le processus de réception.

À la croisée de ces deux mouvements, s’en ouvre un troisième où bourgeon- nent des articles plus théoriques, sensibles et introspectifs comme celui d’Alain Viala sur le travail de création d’écriture de Racine « le classique des classiques »44, sur la mécanique du rire dans la comédie de Philippe Minyana et Noëlle Renaude45, sur la traduction d’Armando Llamas46, sur l’invention d’une autre langue de François Tanguy47, des réflexions sur le théâtre « espace du désaccord »48 de Michel Deutsch, le manifeste « (Quoi ?) »49de Didier-Georges Gabily, articles qui enga- gent la revue dans un mouvement de la pensée auctoriale introspective, une « forme en colimaçon » qui s’entortille dans une réflexion, une mise en abyme de l’écriture théâtrale50, une démarche de compréhension de l’analyse du créateur dans l’acte d’écrire : le processus de l’écrivain écrivant.

41. Lucien et Micheline Attoun, « Théâtre Ouvert. XXeanniversaire », propos recueillis par Anny Milovanoff, Prospero, no1, juillet 1991, p. 49.

42. « L’album de Mario Gonzalez », Prospero, no2, juillet 1992, p. 14-19.

43. Marco Consolini, « Les revues du théâtre au XXesiècle : un champ de recherche à part entière », op.cit.

44. Alain Viala, « Comment travaillaient les “Classiques”? », Prospero, no1, juillet 1991, p. 36.

45. Philippe Minyana et Noëlle Renaude, « Le rire ne fait pas la comédie », Prospero, no2, juillet 1992, p. 20.

46. Armando Llamas, « Introspection en terrain étranger », propos recueillis par Chantal Boiron, Prospero, no1, juillet 1991, p. 62.

47. François Tanguy, « Déchirer l’écran », propos recueillis par Jean-Pierre Han, Prospero, no1, juillet 1991, p. 47.

48. Michel Deutsch, « Trois notes », Prospero, no1, juillet 1991, p. 8-9.

49. Didier-Georges Gabily, « (Quoi ?) », Prospero, no1, juillet 1991, p. 15-17.

50. « Trois notes » de Michel Deutsch explique la nécessité et la fonction curative du théâtre. « (Quoi ?) » de Didier-Georges Gabily interroge la fabrique du théâtre indissociable du mécanisme structurel : théâtre – texte – acteur – auteur – metteur en scène – production – institution.

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51. Résidence d’écriture « Mélodrame », 1993 : Trois librettistes écrivent un texte d’une durée de trente minutes à la suite d’une commande de l’orchestre lyrique de Région Avignon-Provence à trois compositeurs ; Résidence d’écriture « Jeune public », 1994 : Six auteurs francophones écrivent un texte destiné au jeune public.

52. « Dépenses exclues du budget. […] Suppression de 5 résidences d’auteurs de six semaines.

Suppression d’un “laboratoire” pour auteurs. Ajournement du n° 3 de la revue Prospero. Ajournement de 3 publications de la collection “Première Impression”[…]. Comité de lecture de pièces : réduction du budget. » (Budget prévisionnel 1993, Assemblée générale du 6 mars 1993, p. 6. Archives Nationales.

Côtes 20060378/12 et 200603378/16. CIRCA 1991-1996.)

De Prosperoà ses cahiers

Rien ne semblait devoir arrêter la revue Prospero. La publication d’un troi- sième numéro était en effet programmée en juillet 1993. Il aurait dû retranscrire et dialoguer avec les résidences d’écriture51programmées par le CNES, autour de la musique, du mélodrame et de la jeunesse.

En raison d’incertitudes financières, le 6 mars 1993, il est décidé, d’ajourner la publication de la revue Prospero52, de la collection « Première Impression », et de supprimer des résidences et laboratoires d’auteurs.

Du côté de la Chartreuse

En juillet 1993, Roland Fichet et Didier-Georges Gabily présentent leurs créations à la Chartreuse dans le cadre du Festival d’Avignon. Roland Fichet crée la Nuit des Naissances(une commande d’écriture de formes courtes sur le thème des Naissances), où dix-sept auteurs dont Michel Azama, Noëlle Renaude et Jean-Marie Piemme seront mis en scène. La forme courte semble propice à expé- rimenter de nouveaux genres, à risquer l’écriture dramatique hors de ses propres cadres. Une véritable conversation entre l’acteur, le texte et le plateau est en train de s’écrire.

Accompagné de son Groupe T’Chan’G !, Didier-Georges Gabily présente deux créations au Tinel de la Chartreuse, Enfonçures et Les Cercueils de zinc, un théâtre témoignage, théâtre manifeste, théâtre politique, deux pièces qui tradui- sent son profond questionnement sur un monde fracturé, secoué par les guerres et les conflits. En juillet 1993, Jean-Pierre Han lui consacrera une partie de son journal Cripurependant le Festival d’Avignon. Jean-Pierre Thibaudat lui accordera de nombreux articles dans Libérationdont une conversation avec Bernard Dort,

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personnalité qui suit le travail de Gabily depuis ses débuts et le conseille quelque- fois : « Il importe, en effet, que tu sois à la fois un écrivain et un metteur en scène mais le lieu concret de ton théâtre, c’est l’acteur. C’est sa tension qui met en rapport la parole et le spectacle. »53

Dans ces années quatre-vingt-dix, un lien spécifique se tisse avec les acteurs qui, d’une certaine façon, vont faire entendre la voix des auteurs, et surtout met- tre rapidement à l’épreuve un texte tout en évitant une « mise en trop » d’un metteur en scène. Le rapport auteur-acteur sera un des dénominateurs communs du comité de rédaction des Cahiers de Prospero.

Avant la venue de Jacques Toubon, Ministre de la Culture et de la Franco- phonie, le 10 juillet 1993 à la Chartreuse, Alain Van der Malière lui adresse un état des lieux très précis de la vie culturelle du monument. Dans une note détaillée54, il rédige une rétrospective des deux années écoulées depuis l’inauguration du CNES, récapitule les objectifs à atteindre par la Chartreuse, détaille et approuve son orientation autour de l’écriture dramatique contemporaine. Cette note invite très fortement la Chartreuse à renforcer toutes les actions qui concernent la promotion de l’écriture dramatique contemporaine et à envisager ses projets en portant un regard sur les activités du Festival d’Avignon. Elle mentionne l’importance de la revue Prosperodont la relance est indispensable pour mettre en valeur le travail de fond accompli et réalisé par le CNES depuis sa création. En ce début juillet 1993, sous couvert que toutes les clauses listées dans cette note soient respectées, une promesse d’embellie va s’ouvrir sur la Chartreuse et sur la revue.

La revue « nouvelle formule »

Dès le 30 juin 1993, une réunion organisée par Michel Azama est prévue pour la relance de la revue Prospero. Comment l’auteur se trouve-t-il en charge de

53. Bernard Dort et Didier-Georges Gabily, « Dort-Gabily, exercice de conversation », propos recueil- lis par Jean-Pierre Thibaudat, Libération, 5 janvier 1994, p. 35.

54. Note d’Alain Van der Malière à l’attention de Monsieur le Ministre sous couvert du conseiller technique René Gachet, en date du 7 juillet 1993, Ministère de la Culture et de la Francophonie. Direction du Théâtre et des Spectacles, p. 1. Archives Nationales. Côte 19980439/10.

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cette revue « nouvelle formule » ? Après sa première résidence de quatre mois à la Chartreuse en 1988, Michel Azama renouvelle l’expérience en 1992. Il y restera pendant quatre ans, rémunéré à mi-temps. De 1988 à 1996, il est présent, en tant qu’auteur dramatique et dramaturge sur de nombreux projets55 en lien avec la Chartreuse. Au cœur des problématiques du CNES, cet auteur associé devient le porte-parole de l’écriture dramatique contemporaine au sein de l’institution et s’engage résolument sur le « Projet Prospero »56dont il aura à charge de réunir le comité de rédaction.

Si la revue doit « faire connaître le travail en profondeur effectué par le CNES auprès des professionnels du spectacle, des éditeurs et du public de théâtre »57, en être lisiblement son reflet, une réserve est émise dès le 20 juillet 1993, lors de la réunion anticipant le premier comité de rédaction : « La revue est l’émanation du Centre National des Écritures du Spectacle - Chartreuse, sans que son contenu soit obligatoirement lié aux activités du CNES »58. D’un côté, les auteurs souhaitent une revue la plus indépendante possible et, de l’autre, la Chartreuse souhaite garder une mainmise sur son outil. Le rôle de médiateur sera confié à

« Françoise Villaume [qui] veillera à ce que lien reste le plus vivant possible entre les réflexions du comité de rédaction et les activités du CNES. »59 Françoise Villaume, directrice adjointe, prend en charge les auteurs, leur résidence et peut même les conseiller. Du côté de l’accueil, de la convivialité, et certainement de l’amitié, elle a réussi à établir un « lien vivant » entre le CNES et la revue. En regard des activités du CNES, le postulat de départ lui laisse peu de champ de manœuvre.

55. 1988 : Résidence d’écriture des éditions Théâtrales (Bourse du CNL). Croisades; Rencontre d’été Croisades1989 : Atelier d’écriture avec Roland Fichet ; 1991 : Analyse de texte contemporain (Michel Azama, Solange Oswald et Jean-Pierre Ryngaert) ; 1992 : Résidence « La solitude amoureuse des Adolescents » (Bourse CNES et Martigues), Zoo de nuit; Le sasRendez-vous Maison Jean Vilar ; 1993 : Rencontre d’été Zoo de nuit; Itinéraire d’auteur ; La nuit des Naissances.

56. Michel Azama, Projet Prospero. Document préparatoire anticipant la réunion du 30 juin 1993. Non daté. Archives Chartreuse. Boîte 1753.

57. Note d’Alain Van der Malière à l’attention de Monsieur le Ministre sous couvert du conseiller tech- nique René Gachet en date du 7 juillet 1993, op.cit., p. 1.

58. Michel Azama, Compte rendu de la réunion du 20 juillet 1993, lettre du 1eraoût 1993. Archives Chartreuse. Boîte 1753. [À cette réunion, étaient présents Michel Azama, Roland Fichet, Didier-Georges Gabily, Jean-Marie Piemme, Daniel Girard, Anny Milovanoff et Françoise Villaume].

59. Ibid.

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Les Cahiers de Prospero(1994-1996)

Les huit premiers numéros éclosent dans un « nid de plumes ». Sept auteurs dramatiques : Michel Azama en tant que rédacteur en chef, Eugène Durif, Roland Fichet, Didier-Georges Gabily, Jean-Marie Piemme, Philippe Minyana, Noëlle Renaude, composent le comité de rédaction. Autour de ce noyau d’auteurs, l’équipe de la Chartreuse : Daniel Girard (directeur de publication), Françoise Villaume et Anny Milovanoff qui perd son poste de rédactrice en chef, reléguée dans un rôle d’accompagnement non décisionnaire. Le parti pris est radical et la composition exclusive autour des auteurs dramatiques écarte de fait l’initiatrice de la revue et les deux journalistes, Jean-Pierre Han et Chantal Boiron. Eugène Durif, journaliste mais auteur dramatique sera contacté par Michel Azama, le grand orchestrateur de la manœuvre.

Dans le parcours de cette nouvelle formule, deux périodes se dessinent nettement. Une première, de 1994 à 1996, couvre huit numéros pensés par un collectif d’auteurs, et une seconde de 1999 à 2002 où quatre auteurs prennent à tour de rôle la rédaction de leur numéro autour d’une thématique. Sur ces deux périodes, Daniel Girard reste le chef de publication. Les huit premiers numéros constituent le cœur de cet objet unique, que sont Les Cahiers Prospero. Le 21 mars 1994, la revue est présentée publiquement au Centre National du Théâtre en présence de Jacques Rigaud, président de la Chartreuse.

Sur les huit premiers cahiers se dessine une filiation avec Michel Vinaver, qui de par sa lisibilité en tant qu’écrivain et théoricien de théâtre et sa détermination dans sa mission de sauvegarde du texte de théâtre, a marqué la fin du XXe siècle, et a permis la reconnaissance à part entière de la spécificité du métier d’auteur dramatique. Depuis la lecture de son Compte rendud’Avignon en 1986 avec tout le bouleversement qu’il a provoqué dans le domaine de l’édition théâtrale jusqu’au no 8 des Cahiers de Prospero en 1996 (dernier numéro qui lui est consacré), ce sont dix années « vinavériennes » qui se lisent en filigrane. Deux de ses articles y figureront60. Si certains auteurs peuvent lui revendiquer quelque descendance, d’autres se réclament plus volontiers d’Arthur Adamov ou de Marcel

60. Article écrit pour une conférence donnée à une réunion de l’association Noria, à Reims, le 7 janvier 1994 sur la scénographie dans le no5 et un autre tiré d’un extrait rédigé pour une soutenance pour son habilitation à diriger des recherches dans le no8 (Michel Vinaver, Mémoire sur mes travaux, Habilitation à diriger des recherches, Études Théâtrales. Paris 3, Soutenance avril 1986. Université de la Sorbonne Nouvelle).

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Proust ou de James Joyce, ou de tout un panel d’auteurs qui les ont nourris, mais tous reconnaissent l’importance de la double posture d’écrivain et de théoricien du théâtre assumée par Michel Vinaver et souhaitent dès le second comité de rédaction61réaliser un portrait de cette figure tutélaire, qui rassemble l’écriture théâtrale, la pensée sur sa propre écriture, une érudition sur l’histoire du théâtre, une réflexion dramaturgique, économique et politique sur la position de l’auteur dramatique et qui en assure sa défense. Les entrelacs, une écriture fragmentaire sont les marques de fabrique de ses pièces, et sa réflexion sur la fabrique de l’écri- ture théâtrale a généré tout un courant de pensée. De plus, sa production édito- riale ainsi que sa posture idéologique, affirment, haut et fort, que l’auteur dramatiqueest avant tout un écrivain de théâtre.

Tout est à recomposer

En choisissant Les Cahiers de Prospero comme appellation, le comité de rédaction veut « marquer le changement dans la continuité »62. En conservant le nom mythique du personnage de Shakespeare et en assumant la paternité de l’ancienne formule associée à la naissance CNES, il lui reconnaît doublement son lien de parenté. Entre le brouillon et l’exercice bien écrit, le terme de « cahiers » nous invite à interpréter l’objet dans une démarche de work in progress, de ges- tation. Dans son texte publié dans Les Cahiers de Prosperono2, Jean-Luc Lagarce avoue : « J’écris en douce. J’écris principalement mon journal dans les cafés. Je pars marcher et j’emporte mon cahier glissé sur le devant, sous le pull ou retenu par la ceinture du pantalon ou encore dans un sac. »63

Sur le plan du contenu, « cahiers » renvoie à la revue mythique des Cahiers du cinéma, à la nouvelle vague et la politique des auteurs dont la primauté re- vient à « la personnalité critique de François Truffaut, inventeur à lui seul du concept, entre 1954 et 1955, forgé telle une arme dirigée contre la critique et contre le cinéma français en place au milieu des années 50. »64 Une politique entre les auteurs qui doit naviguer en évitant les pièges de « l’auteurification

61. « Proposition de faire un portrait de Vinaver (Minyana / Azama) » (Compte rendu du comité de rédactionno2, 5 octobre 1993, p. 6. Archives Chartreuse. Boîte 1753.).

62. Compte rendu du comité de rédaction, no1, 11 et 12 septembre 1993, p. 1.

63. Jean-Luc Lagarce, « Comment j’écris », Les Cahiers de Prospero, no2, juillet 1994, p. 67.

64. Antoine de Baecque, « Présentation », La politique des auteurs. Les textes.(dir. Antoine de Baecque),

« IV. Petite anthologie des Cahiers du cinéma», no58, p. 6.

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sans mesure et l’emballementde l’éloge »65. Une façon de signifier que les auteurs

« Prospero » seront certainement aux premières lignes de la critique, de la confrontation, quitte à s’y fourvoyer.

Le premier numéro paraît le 18 mars 1994. Son sous-titre, « Le Théâtre, Les Auteurs », souligne le parti pris de la ligne éditoriale dont le concept fondamen- tal se cherche encore en 1996 : « La revue hésite entre une revue de théâtre et une revue sur les auteurs de théâtre. »66Sa couverture cartonnée est en quadrichromie.

À l’intérieur, les pages dont le volume oscille entre 100 et 138, sont en noir et blanc afin de limiter le coût par numéro dont le prix est fixé à 60 francs (10 francs de moins que sa « concurrente » Du théâtre (la revue)67). L’abonnement annuel s’élève à 200 francs pour quatre numéros. La diffusion en librairie est assurée par les éditions Théâtrales (excepté pour la librairie de la Chartreuse), la distribution par Distique et les abonnements gérés par le CNES. Jean-Pierre Engelbach, insti- gateur de la rencontre des trois auteurs de Théâtrales lors de la résidence en 1988 à la Chartreuse, propose une coédition participative à Daniel Girard. Mais le CNES-Chartreuse décide d’être le seul éditeur de la revue.

Les Cahiers de Prospero, mentionnés comme « revue signalée » par la com- mission68du Centre National du Livre du 31 mars 199569, ne percevront pas l’aide spécifique aux revues. Aucune aide ne lui sera octroyée directement. Les aides mentionnées dans l’ours du cahier no1 sont en rapport avec l’ensemble des activités Chartreuse70. La revue se feuillette sans encarts publicitaires et son rédac- teur en chef ambitionne un type de revue non commerciale.

65. Ibid., p. 11.

66. Compte rendu du comité de rédaction, no27, 22 février 1996, p. 2.

67. Du théâtre (la revue)dirigée par Claire David, est diffusée par Actes Sud. En éditrice de la maison, elle a la maîtrise des outils de conception et de diffusion et la revue perdurera sans interruption pendant six ans. Dès sa création en 1993, la revue bénéficie du soutien du Centre National du Théâtre. Elle reçoit également l’aide aux revues de la part du Centre national du Livre, notamment en 1996 une aide de 20 000 francs [Cf. Commission Revues, 13 mars 1996. Archives Centre National du Livre.]. À titre comparatif, en novembre 1995, la revue Théâtre/Publicreçoit, de ce même organisme, 65 000 francs.

68. « 121 demandes à l’ordre du jour dont 9 projets de création. 90 revues aidées dont 7 à la création […] taux d’acceptation 74,4 % ». (Commission Revues du 31 mars 1995. Archives Centre National du Livre. « Commissions Revues 1995 ».)

69. Ibid

70. « Le Centre National des Écritures du Spectacle est subventionné par le ministère de la Culture et de la Francophonie, la Caisse nationale des Monuments historiques, la région Languedoc-Roussillon, le Conseil général du Gard, la Lyonnaise de Banque, la ville de Villeneuve lez Avignon, Beaumarchais–

SACD. » (« Ours », Les Cahiers de Prospero, no1, p. 2.) [La mention Beaumarchais–SACD disparaîtra de l’ours des Cahiers de Prospero, no8.]

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Dès le départ, la fabrication de la revue paraît déficitaire. Son coût71en 1994 est conséquent : 370 104,90 francs de dépense pour un produit de 79 557,79 francs soit seulement 21,49 % du coût de production. Les recettes insuffisantes font de la revue un objet privilégié d’une institution subventionnée. Deux cent treize personnes s’abonnent dès le premier numéro72des Cahiers de Prosperoet rejoignent les vingt-six abonnés de l’ancienne formule Prospero.73

« Les Cahiers de Prospero[…] sont rédigés par des écrivains de théâtre et se consacrent à tous les aspects de l’écriture théâtrale contemporaine en France et en Europe. »74Cette formule résume le fondement de la revue à laquelle s’ajoute le fait que sa force et sa liberté viennent de ne pas être rassemblées « autour d’une idéo- logie »75mais dans une recherche et dans un essai de rapprochement entre divers corps de métiers. « La voie est plutôt celle de l’incertain, de la confrontation des pratiques entre auteurs, metteurs en scène, institutions, acteurs. »76Avant le premier comité de rédaction de septembre 1993, Michel Azama présente le cadre de la revue dans une lettre au comité de rédaction et l’invite à réfléchir sur plusieurs points.

Il s’agit d’éviter de faire une revue corporatiste, de tenir une parole artistique plutôt qu’universitaire ou journalistique. D’en faire un lieu pour une vraie parole critique, voire polémique, où l’on essayera de débrouiller ce qui se passe entre l’écriture et le plateau, où l’institution théâtrale tout entière sera envisagée et ré- fléchie à partir des écritures contemporaines. De s’intéresser à la dialectique entre répertoire et écriture d’aujourd’hui, de parler des pièces qui se publient en évitant un parler journalistique et en faisant un vrai travail de lecture, donc de s’interroger sur nos (encore faibles ?) outils critiques. De collecter les lieux de créations : dans une saison, qui monte quoi et où ?

Faut-il faire des rubriques régulières ou non ? Et si oui, lesquelles ? Certains numéros peuvent-ils être thématiques ? Si oui, quels thèmes ?77

71. Coût de la revue Cahiers de Prosperoen 1994. Rapport financier 1994, p. 12. Archives nationales.

Côte 19980439/10

72. « Graphique des abonnements ». Archives Chartreuse. Boîte 1390.

73. Dans le cahier n°3, les abonnements mentionnés dans l’éditorial sont beaucoup plus conséquents.

Ils peuvent être dus à des envois d’ouvrages gratuits à des institutions ou autres. Le comptage très précis, lui, mentionne trois cent vingt-deux abonnements au 17 octobre 1995 (Ibid.)

74. Michel Azama, « Éditorial », Les Cahiers de Prospero, no3, décembre 1994, p. 7.

75. Ibid 76. Ibid

77. Michel Azama, Lettre du 1eraoût 1993 adressée aux membres du comité de rédaction en vue du premier comité de rédaction, p. 1-2. Archives Chartreuse. Boîte 1753.

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Dans ces propos, le point essentiel pour cette revue est de tenir un point de vue d’auteur avec tout son potentiel de parole poétique et de pensée critique sur le théâtre, tout en évitant le rôle du journaliste ou du critique théâtral. Il met au premier plan la singularité de cette voix de l’écrivain de théâtre, veut refléter la pro- fession au sein de la revue et éviter l’écueil de la refermer sur leur corps de métier.

Dans cette présentation, la notion de « lieu » est essentielle comme si l’espace de pensée de la revue devait être indépendant du lieu physique de la Chartreuse, comme si déjà la revue devait avoir une démarche autonome, un espace-temps des auteurs de cet « aujourd’hui » toujours en mouvement. Une revue qui se veut ambitieuse, exigeante, à la recherche de nouveaux outils critiques et de nouvelles grilles de lecture.

De la forme rubriquée au modèle du dossier, en passant par le numéro spécial, les huit livraisons offrent une cohérence dans leur construction et forment une collection à lire dans ses moindres détails dans une attitude de détente ou d’étude plus soutenue. Dans le sommaire du no1, les rubriques sont clairement définies.

Leurs noms se maintiennent jusqu’au cahier no8, avec de temps à autre la dispa- rition d’une rubrique. Incontournable, « L’Éditorial » ouvre les numéros qui se referment tous sur une rubrique de catalogage : « Les Carnets de Prospero » où sont listées les créations et les éditions théâtrales.

Du cahier no 1 au no 8, les rubriques tissent leurs toiles autour de l’auteur dramatique, épicentre de cette nouvelle mouture. Elles se déclinent sur son écriture « Corps de métier », sur son statut « L’état des choses », sur l’évolution de la forme dramaturgique « Le feuilleton des formes », sur les lectures d’autres au- teurs « Dans la lecture, tous les émois », sur les parcours d’auteurs « Itinéraires »78, sur les auteurs dramatiques à l’étranger « Frontières », sur l’opinion d’un auteur sur un sujet spécifique « Angles de réflexion ». La rubrique « Le peintre » se des- sine dans ces huit cahiers et inscrit celui-ci au même titre que les auteurs79. Dans

« Parterre et paradis », rubrique rapporteuse des spectacles vus, l’accent sera mis sur les écritures d’auteur et de plateau, quant à la rubrique « Parcours et emblèmes », elle traverse le temps en interrogeant les figures tutélaires, Gabriel Monnet et Bernard Dort. L’entretien avec Michel Vinaver du cahier no8 aurait pu s’inscrire

78. Cette rubrique émerge dans le cahier n° 7.

79. Élisabeth Gavalda, « Les Cahiers de Prospero. Transformation de l’imagerie dans la revue théâtrale », in Marco Consolini, Romain Piana (dir.), « Scènes de papier. Les images dans les revues de théâtre (XIXe

-XXesiècles) », in Revue d’historiographie du théâtre, no2, troisième trimestre 2015. 153 p. [en ligne : http://sht.asso.fr/les-cahiers-de-prospero/].

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dans cette rubrique, si le comité de rédaction ne lui avait pas consacré un dossier plus complet de soixante-cinq pages, c’est-à-dire plus de la moitié du numéro.

Le cahier no6, fait figure d’exception. Il se cristallise autour des rencontres de Villeneuve d’Ascq80organisées par Roland Fichet. À partir du cahier no8, Michel Azama annonce une nouvelle ligne éditoriale : « Chaque numéro consacrera dés- ormais un dossier à un thème ou à un auteur. »81La solution du dossier, moins originale, ouvre une voie à la facilité et fait perdre à la revue une de ses marques spécifiques. La revue s’entoure de nouveaux contributeurs. Les auteurs du comité de rédaction en sont pratiquement absents. Ne seront publiés que l’éditorial de Michel Azama, l’entretien avec Michel Vinaver réalisé par Eugène Durif, Jean- Marie Piemme et Maurice Taszman et un article déjà édité82de Philippe Minyana.

Le cahier no 8 annonce une nouvelle ligne éditoriale et marque la suspension d’une revue réalisée par un comité de rédaction d’auteurs de théâtre.

L’atelier de confection

La place de l’auteur de théâtre « d’aujourd’hui » est centrale dans cette revue. L’expression « d’aujourd’hui » cible l’écriture théâtrale contemporaine d’auteurs vivants. En profonde mutation en cette fin des années quatre-vingt-dix, la fabrication de l’écriture théâtrale et l’étude des formes dramatiques seront la colonne vertébrale thématique de la revue. Ces deux pôles essentiels se déclinent sur deux rubriques « Corps de métier » et le « Feuilleton des formes ». Dans la première « l’écrivain s’écrit », dans la seconde « l’écrivant écrit ». Selon Roland Barthes : « L’écrivain accomplit une fonction, l’écrivant une activité »83. « La parole de l’un est un acte intransitif (donc, d’une certaine façon, un geste), la parole de l’autre est une activité. »84

La rubrique « Corps de métier », c’est la « cuisine de Prospero »85, l’antre de la fabrication de la pensée pour la retranscrire en matière textuelle. « Corps de

80. Conversations de Villeneuve d’Ascqorganisées par le Théâtre de Folle Pensée de Saint-Brieuc et la Scène Nationale la Rose des Vents.

81. Michel Azama, « Éditorial », Les Cahiers de Prospero, no8, juillet 1996, p. 5.

82. Philippe Minyana, « Le bruit du monde », Les Cahiers Sorano, no7, Toulouse, février 1995.

83. Roland Barthes, « Écrivains et écrivants », Essais critiques, no127, Éditions du Seuil, « Points », 1964, p. 148.

84. Ibid, p. 152.

85. Titre proposé pour cette rubrique qui n’a jamais vu le jour.

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métier » ouvre la porte de l’atelier, entre dans la fabrique de l’écriture, écoute l’écrivain qui s’écrit, regarde le geste d’écrire, la composition du texte, « l’artisa- nat des mots »86pour Catherine Anne, « ce que j’allais dire sur une scène »87pour Serge Valetti et le « corps du délit »88pour Didier-Georges Gabily. En associant

« du délit » au mot « corps », qui donne chair à l’acte d’écrire, il teinte l’écriture d’une notion hors-la-loi et la présente comme un acte de transgression.

Pour réaliser la rubrique « Corps de métier », le comité de rédaction a dressé

« une liste d’auteurs et [leur a posé] cette question “Comment écrivez-vous ?” »89 Parler de son geste d’écriture, c’est s’analyser dans l’acte, mais quel est l’élément déclencheur, quel est le « pourquoi de l’écriture »90.

La rubrique « Corps de métier » récolte une introspection, une intimité que les écrivains veulent bien dévoiler au lecteur. Une rubrique qui entre pleinement dans le processus de l’écrivain écrivant.

Les formes dramatiques contemporaines

Au cœur de la problématique de « l’écriture d’aujourd’hui » ou l’écriture dans le temps des Cahiers de Prospero, « Le feuilleton des Formes » est la seconde rubrique structurelle de la revue qui entre dans ce même processus. Pour commencer cette aventure, est mise en chapeau du premier feuilleton, comme une devise de la revue, la longue citation de Bernard-Marie Koltès à l’adresse des auteurs sur les écritures d’aujourd’hui91, qui remémore la vieille querelle des « auteurs d’aujourd’hui » boudés par les metteurs en scène de leur temps.

86. Catherine Anne, « La nécessité profonde et l’artisanat des mots », Les Cahiers de Prospero, no5, juillet 1995, p. 51.

87. Serge Valetti, « Comment j’écris ? », Les Cahiers de Prospero, no8, juillet 1996, p. 78.

88. Texte écrit pour la rubrique « Corps de métier » des Cahiers de Prosperoqui rejoindra À tout va (Journal, novembre 1993- août 1996). Une partie de ce texte sera également publiée dans La lettre de la Chartreuse, no34, (octobre 1996-janvier 1997) dans un dernier hommage à l’auteur décédé le 20 août 1996.

89. Entretien Noëlle Renaude, novembre 2012.

90. Ibid.

91. « Ce n’est pas vrai que des auteurs qui ont cent ou deux cents ou trois cents ans racontent des histoires d’aujourd’hui […] je pense qu’il vaut mieux jouer un auteur contemporain, avec tous ses défauts, que dix Shakespeare. […] Personne, et surtout pas les metteurs en scène, n’a le droit de dire qu’il n’y a pas d’auteur. » (Bernard-Marie Koltès, Roberto Zuccosuivi de Tabataba; Coco, Éditions de Minuit, 1990/2001, p. 138-139.)

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