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UNE FÉDÉRATION EN AFRIQUE 1N0IRE LE MALI

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U N E FÉDÉRATION E N AFRIQUE 1N0IRE

L E MALI

Des douze anciennes colonies qui composaient naguère I'A.O.F.

et l ' A . E . F . , chacune forme aujourd'hui une République autonome.

Exception faite pour la Guinée, qui s'est retranchée elle-même de l'ensemble franco-africain, ces diverses Républiques constituent,

avec la République française, ce qu'on est convenu d'appeler la Communauté. Celle-ci, selon la Constitution consacrée par le réfé- rendum du 28 septembre dernier, «st fondée sur l'égalité et la soli- darité de tous les peuples qui la composent ainsi que sur la « Décla- ration universelle des Droits de l'Homme ». Comme la métropole, les territoires français d'outre-mer ont approuvé, à une forte majo- rité, les termes de la nouvelle Constitution qui établit leur statut.

Ainsi se trouve renforcée l'idée panafricaine, si chère aux nationa- listes noirs, qui disposent désormais de tous leurs droits politi- ques, y compris celui de se retirer, s'ils le désirent, de la Commu- nauté où ils ont librement choisi d'entrer. C'est en raison de cette liberté que, parallèlement à la Communauté franco-africaine, qui compte maintenant parmi les grands ensembles mondiaux, a pris naissance, à l'échelon africain, une nouvelle Fédération dite primaire qu'a confirmée, le 4 avril, le vote solennel de l'Assemblée fédérale à Dakar. Composée à l'origine de quatre Etats (Sénégal, Soudan, Dahomey, Haute-Volta), elle ne groupe plus maintenant que les deux grands territoires du Sénégal et du Soudan. L a Fédéra- tion du Mali a à sa tête M . Modibo Keita, chef du gouvernement fédéral, le pouvoir législatif étant exercé par les quarante députés de l'Assemblée, vingt pour chaque Etat. L a Mauritanie, sollicitée de faire partie du Mali, a répondu par la voix de son jeune et sympa- thique Premier ministre Moktar Ould Daddat qu'elle se réservait, quitte à conclure avec la nouvelle Fédération des conventions et des

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accords particuliers dans les domaines, économiques et culturels.

Après plusieurs mois de confusion et de fièvre électorale, qui suivirent la mise en place des nouvelles institutions, les leaders africains ont pris conscience de la nécessité de ne pas laisser péri- cliter ce qui constitue, qu'on le veuille ou non, l'œuvre coloniale de la France. A u delà des rivalités et des amours-propres, i l leur est apparu qu'il convenait de conserver et de faire fructifier ce qui peut être mis en commun, sans pour autant sacrifier la personnalité de chaque Etat.

Répondant au vœu de Léopold Senghor, de Lamine Guèye, de Modibo Keita, de Mamadou Dia, ardents promoteurs de l'unité africaine, la Fédération du Mali avait été mise sur pied à la confé- rence de Bamako, avant d'être proclamée à Dakar. Elle tire son nom du vieil empire noir du x ne siècle, fondé par les Mandingues, empire qui s'étendait dii Sénégal aux frontières actuelles du Daho- mey. Converti en partie à l'Islam, ce vaste royaume, qui commer- çait avec l'Egypte et le Maroc, entretenait aussi des relations avec l'Europe, et le roi Jean II du Portugal lui envoya des ambassadeurs.

Suivant une loi qui s'est vérifiée plus d'une fois dans l'évolution de l'Afrique, le mouvement qui va du village à l'empire fut suivi d'un mouvement de retour vers le village originel (1). L'empire du Mali s'effondra après quatre siècles sans laisser de traces. Il avait pour capitale Niani, sur le Niger.

Malgré sa réduction aux seuls Etats du Sénégal et du Soudan, la Fédération malienne constitue une entité réelle de 1.400.000 km2 et de 6 millions d'habitants. Elle a déjà son drapeau et a fait choix d'une fière devise qui témoigne de sa volonté unificatrice : Un peuple, un but, une foi. Dans cette vaste Afrique, sensible et secrète, on peut croire qu'une nouvelle ligne de force a pris ici son appui.

L'union des deux pays est commandée par la nature des choses.

Cette vocation d'unité est confirmée par le fait que le Sénégal est pour le Soudan une porte sur l'Océan. Dakar, pivot du Mali par son port important (8.000 entrées et sorties de navires par an, alors que Marseille en compte 17.000), est aussi le terminus de la longue voie ferrée Dakar-Niger qui pénètre jusqu'au cœur du Soudan.

Mais un lien d'une autre sorte rapproche les deux Etats : la religion musulmane. Elle l'emporte de très loin sur la religion chrétienne.

(1) L'histoire — ou la l é g e n d e — rapporte que le dernier souverain <!e la l i g n é e Kelta (dont Modibo Kelta, l'actuel ehef du gouvernement soudanais, se dit le descendant) se serait r e t i r é , au d é c l i n de l'empire, dans le village de Kangaba sur le Niger, d ' o ù sont sortis les gens du Mali et qui vit n a î t r e sa dynastie.

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Il est prévu que la Fédération est ouverte à tout Etat autonome d'Afrique occidentale qui y veut entrer. Sa langue est le Français.

Son siège sera Dakar, mais pourra être transféré par une loi partout ailleurs.

L a Fédération du Mali affirme sa détermination d'entretenir des relations amicales avec les Etats voisins qui n'ont pas opté pour elle. Il faut donc prévoir que d'autres territoires pourront être tentés d'en faire partie. Le préambule de la Constitution du Mali annonce, en effet, la volonté du législateur de « réaliser l'unité africaine sur une base nationale, garante de la cohésion et de la pérennité de la communauté ». Mais les termes d'unité africaine et de base nationale indiquent nettement quelle sera la tendance du gouvernement fédéral et les objectifs qu'il ne manquera pas d'assigner à sa politique. On peut s'en remettre à M . Bakary Djibo du soin d'agir dans le même sens unitaire. Habile manœuvrier, il a toujours soutenu, au nom de l'Union Générale des Travailleurs d'Afrique Noirs (U.G.T.A.N.), les positions extrémistes, quand ce n'était pas directement l'action subversive ou révolutionnaire.

Formé à l'école de Prague, i l s'appuie à Dakar sur les éléments communisants de la jeunesse et des syndicats qu'il représente au sein du nouveau Parti de la Fédération Africaine (P.F.A.), dont Léopold Senghor est président et lui-même vice-président.

L'influence soviétique, qui a profondément pénétré l'Afrique noire au cours de ces dernières années, n'a pas de meilleurs garants que les dirigeants de l ' U . G . T . A . N . , de même qu'au Maroc on voit l'Union Marocaine du Travail favoriser les menées de la Russie contre le monde occidental. Toutefois, des craquements se font sentir à l'intérieur de l ' U . G . T . A . N . , que Sekou Touré à Conakry tient sous sa férule et ne se prive pas de mettre au service de ses ambitions panafricaines. Les dirigeants syndicaux du Soudan, qui répugnent à subordonner leur action aux exigences de la poli- tique guinéenne, viennent de reprendre leur liberté. Ceux du Sénégal en feront autant. Ils se concertent actuellement en vue de former une nouvelle centrale syndicale dont les communistes seront exclus.

Animateur très actif de l'unité africaine, M . Mamadou Dia, président du Conseil du Sénégal, sait donner du mordant à la cam- pagne qu'il mène en faveur du Mali. Mais i l s'efforce en même temps de dissiper les craintes qu'éveille, parmi les membres de la Com- munauté, la nouvelle Fédération. Beaucoup redoutent en effet — et tel est le point de vue du sage M . Houphouet-Boigny — de voir

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les dirigeants du Mali céder à la surenchère nationaliste et chercher dans des revendications plus ou moins démagogiques un dérivatif aux difficultés qui les guettent.

Mamadou Dia avait longuement hésité avant de faire voter

« oui » au référendum. Attiré par le prestige de Sekou Touré, i l avait un moment songé à lier le sort du Sénégal à celui de la Guinée.

Mais l'emprise d'un « appareil » communiste sur ce pays, emprise qui s'est accentuée aussitôt après la proclamation de l'indépen- dance, avait beaucoup fait réfléchir le leader sénégalais. Son choix décisif en faveur de la Communauté semble avoir été décidé sous la pression d'un fort courant d'opinion entraîné par les marabouts.

Depuis neuf mois, ses convictions n'ont fait que s'affirmer dans le même sens et c'est avec ardeur qu'il s'efforce aujourd'hui d'asso- cier l'idée du Mali au principe de la Communauté. Prenant la parole récemment devant de jeunes nationalistes qui protestaient de leur désir d'émancipation et scandaient, à son adresse, des slogans menaçants, i l leur dit :

« Regardez le monde avec attention, vous vous apercevrez, que nous sommes plus indépendants que beaucoup de pays qui ont une indépendance nominale. Je dirai même plus : nous sommes aussi indépendants que la République française au sein de la Com- munauté. Les controverses qui persistent au sujet de l'indépendance ne sont que des disputes d'intellectuels. L'heure n'est plus aux discours : l'heure est à la construction du Mali ».

L'évolution des jeunes Républiques africaines, depuis qu'elles sont nées à la vie politique, tend à prouver que les formules de coordination répondent à la nature des choses et que ce sont ces formules qui s'imposeront finalement aux Etats de l'ex-A.O.F.

Toutefois, les forces centrifuges qui entraînent tout l'Ouest-Afri- cain dans les voies de l'indépendance ne sont pas seulement d'ordre politique. Elles se doublent'de visées et de convoitises internatio- nales, non moins vives. Les leaders extrémistes d'Accra, de Cona- kry, de Lagos, tout comme ceux de Dakar et d'Abidjan, résiste- ront difficilement aux prétentions hégémoniques, qui pourraient remettre en question l'équilibre d'aujourd'hui. Depuis que le Ghana et la Guinée ont proclamé leur union théorique, la Côte d'Ivoire risque de se trouver en beaucoup moins bonne posture, en dépit de sa situation économique privilégiée. Comment des terri- toires séparés pourraient-ils résister à l'attraction de voisins plus puissants qui, eux-mêmes, subissent l'influence de telle ou telle

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nation européenne fortement implantée en Afrique ? Le Togo, par exemple, sera vraisemblablement attiré par la Fédération de la Nigeria britannique, bientôt indépendante, qui ne compte pas moins de 35 millions d'habitants. L'Angleterre, qui a soutenu sous main l'entreprise de Sekou Touré et encouragé le rapprochement du Ghana et de la Guinée, se montre favorable à la création de ces grands ensembles qui constituent de nouvelles et vastes zones d'influence ouvertes à ses intérêts.

C'est pour répondre à cet état de fait que les leaders africains du Sénégal et du Soudan ont conçu l'idée de la Fédération du Mali afin que les deux pays entrent jumelés et, par conséquent, plus forts dans la Communauté • franco-africaine. A cet égard, l'appa- rition du Mali a sans doute constitué une réaction instinctive de défense. Il existe en effet, dans cette partie de l'Afrique occidentale, une coupure qui n'est pas due seulement à la structure du sol, ni au caractère particulier des populations, si tranché soit-il, mais à la formation des élites africaines.

Dès le début dé l'ère coloniale, celles-ci se trouvèrent dans l'obligation de recourir à une langue européenne et, par conséquent, de parler soit le français, soit l'anglais, se conformant ainsi aux usages et aux lois de la puissance occupante. Il en résulta, pour les populations, des méthodes d'enseignement et des modes de vie différents, selon que les territoires dépendaient de la Grande-Bre- tagne ou de la France. L a Communauté franco-africaine est née en parti de cela, tandis que les fondateurs du Mali concevaient, dans un sentiment nationaliste, leur projet fédératif. E n raison du principe de « libre détermination » sur lequel repose la Fédération du Mali, ses dirigeants ne renoncent pas à l'espoir de la faire évo- luer vers une « confédération multi-nationale » conforme à leurs vœux. Elle est devenue, pour les autres pays de l'ancienne A . 0 . F., le symbole des aspirations africaines a l'unité. Il faut donc prévoir que les chefs des nouvelles Républiques seront tôt ou tard amenés à élargir les regroupements déjà existants, voire à les souder entre eux, afin de réaliser non plus seulement des unions locales, mais l'unification de toute l'Afrique.

* *

Deux tendances s'affrontent au sujet de la formation du Mali, qui réveillent la vieille querelle du fédéralisme. Sur le plan des personnes, ce sont les tendances de Léopold Sedar Senghor, écri-

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vain réputé, actuellement président du P. F . A . et sénateur de la Communauté, qui se heurtent à celles d'Houphouet-Boigny, maire d'Abidjan, fondateur et président du Rassemblement Démocra- tique Africain (R. D. A.), hier encore secrétaire d'Etat dans l'actuel cabinet Debré. Chacun cherche, à sa manière, les voies de l'unité africaine, qu'il serait imprudent pour les Puissances occidentales de vouloir entraver. C'est aux intéressés eux-mêmes et aux intéres- sés seuls qu'il incombe de décider de leur avenir. Une course de vitesse se livre entre Dakar et Abidjan, les deux capitales de l'Ouest-Africain. Leur rivalité n'est pas seulement inscrite dans la géographie, comnYe l'est, par exemple, celle de Gênes et de Marseille, elle oppose aussi deux conceptions politiques, deux courants d'idées qui animent les principaux leaders africains. Les uns ont le désir que la Communauté s'affirme comme une étroite union franco- africaine, les autres voudraient la voir évoluer vers une confédé- ration. Tandis que pour Léopold Senghor ou Mamadou Dia l'objec- tif demeure la pleine indépendance dans une association écono- mique avec la France. Houphouet-Boigny, très ferme sur sa position, entend faire prospérer la Côte d'Ivoire en prise directe avec Paris.

Sans prendre parti en ce débat qui concerne les seuls Africains, citons ces paroles de Senghor dont le ton élevé montre bien que, pour lui, le problème n'est pas moins psychologique que politique :

«On nous critique en France parce que nous ne sommes pas des

« beni-oui-oui ». Les opportunistes nous blâment en Afrique parce que nous préférons garder la tête froide, parce que nous préférons la réalité de l'indépendance, préparée et organisée dans l'associa- tion, à l'aventure de l'indépendance immédiate qui ne serait que nominale. Contre vents et marées nous nous maintiendrons dans la voie moyenne. Elle seule répond aux réalités de l'heure et à l'idéal humaniste qui est le nôtre ».

Les capacités politiques d'un grand nombre d'hommes d'Etat noirs ne sont plus à démontrer..Certains tiennent sans doute un ' langage différent selon qu'ils s'expriment dans la métropole ou chez eux. C'est qu'ils doivent s'efforcer de prévenir, en présence de leurs compatriotes, les surenchères des leaders extrémistes.

Ceux-là n'ont pas échappé à la grande vague nationaliste qui, depuis la dernière guerre mondiale, déferle sur les peuples colonisés, de la mer de Chine à l'Atlantique. Dès lors l'Afrique noire ne pou- vait rester insensible à l'indépendance du Maroc et de la Tunisie, à Dien Bien Phu, à Bandoeng, au Caire, et encore moins à la trans-

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formation du continent africain. C'est sur les moyens dont se servent et se serviront les Africains eux-mêmes pour opérer cette transformation que les opinions divergent. Ici, on tient pour la Communauté (Houphouet-Boigny), là, on s'en méfie parce qu'on lui reproche de « balkaniser » l'Afrique noire au lieu d'instituer un système confédéral (Senghor).

Le fait que la Guinée s'est prononcée, lors du référendum de 1958, pour l'indépendance pure et simple renforce chez certains leaders politiques noirs leur volonté de constituer une unité terri- toriale, voire nationale, aussi large que possible. Us ont hâte, maintenant que l'autonomie de leur pays se trouve constitution- nalisée, d'exercer des fonctions représentatives au niveau le plus élevé et de gérer seuls leurs affaires. Ils souhaiteraient, en consé- quence, dépasser le cadre étroit de l'échelon local et créer une com- munauté raciale et culturelle ouverte à tous les ressortissants afri- cains. Beaucoup ont le sentiment qu'une fédération de cette sorte s'étendant à une même zone géographique les libérerait de leur douloureux complexe d'infériorité issu de l'époque coloniale, leur permettrait d'épanouir leur personnalité, et de réaliser ainsi leur rêve panafricain.

Tâche difficile s'il en est, qui constituera une étape vers cette africanisation réclamée avec insistance par les congressistes de Bamako et d'Ibadan (1), auxquels le récent colloque des écrivains et artistes noirs réunis à Rome à apporté une adhésion enthou- siaste, dépourvue, i l est vrai, de toute aménité à l'égard des audi- teurs européens. On ne s'étonnera pas que plusieurs orateurs, sans renier pourtant leur attachement à. la culture occidentale, soient allés jusqu'à dénoncer l'intervention coupable des Blancs dans la vie des Noirs et à souhaiter, selon le mot qui a fait fortune, la renaissance de la « négritude », c'est-à-dire un avenir « noir ».

Il fallait sans doute qu'un tel congrès se réunît pour qu'on apprît cette chose stupéfiante : l'Europe est tenue par les intel- lectuels africains pour responsable d'avoir divisé l'Afrique non seulement dans l'espace, mais dans le temps, et détruit, dans les pays de couleur, la vraie culture autochtone...

Si M . Houphouet-Boigny, pour sa part, rejette des idées de cette sorte et en combat la contagion parmi ses compatriotes de la Côte d'Ivoire, c'est parce qu'il continue de mettre sa foi pro-

(1) Capitale de la Nigeria occidentale, o ù se sont tenues, au mois de mars dernier, les assises intellectuelles du monde noir. F i n a n c é par la Fondation F o r d , ce c o n g r è s r é u n i s s a i t aussi un certain nombre de p e r s o n n a l i t é s internationales.

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fonde dans l'avenir de la Communauté franco-africaine. I l sait que les mots, si magique que soit celui d'indépendance, n'ont pas la vertu qu'on leur prête. « A ceux, a-t-il dit, qui veulent des ambas- sadeurs sans ambassades et des maréchaux sans armée, j'objecte que la Communauté apporte des réalisations concrètes et ouvre à la jeu- nesse des perspectives nouvelles ». Son pari africain repose tout entier sur l'amitié avec la France et sur la politique de coopération qu'il désire poursuivre. Conscient des exigences économiques qui pressent les Etats africains de la Communauté, i l préconise la formation d'un

« Conseil d'entente », d'un « Fonds de solidarité » auxquels la riche Côte d'Ivoire apporterait sa contribution, Chaque Etat, pour témoi- gner de son désir de coordination, accepterait d'abandonner une part('de ses propres ressources. L a répartition serait inversement proportionnelle aux apports : celui qui verse le plus recevrait le moins. Le Niger, la Haute-Volta, le Dahomey entrent si parfaite- ment dans ces vues que ces trois pays ont déjà décidé d'instituer * avec la Côte d'Ivoire une union douanière totale. Des commissions paritaires seront créées pour établir chaque année une répartition forfaitaire du produit des droits et des taxes. Ce regroupement a un nom : on l'appelle l'Union Sahel-Bénin. E n dehors de tout caractère officiel, i l concrétise les thèses de M . Houphouet-Boigny sur la solidarité inter-africaine. A l'encontre du Mali, le leader ivoi- rien ne prétend pas instituer un « super-gouvernement », mais seu- lement nouer entre les Etats africains des liens plus souples, confiés à un organisme de coordination.

Cette solidarité des membres de la Communauté, liés par des intérêts communs, nul n'en est plus partisan, en effet, que le maire d'Abidjan. S'il rejette, cependant, aujourd'hui la Fédération du Mali, qui prétend viser au même but, c'est parce qu'il pense qu'elle pourrait être un jour la cause d'un conflit entre les deux Commu- nautés, ou, plus exactement, entre la Communauté et la Fédéra- tion, dont l'union, au sommet, restera toujours vuirîérable.

L a conciliation est donc malaisée. Tant que la lutte d'influence continuera entre Houphouet-Boigny et Léopold Senghor, i l y a peu de chance pour que supporters et adversaires du Mali s'ac- cordent. Il n'est pas possible, en effet, de présumer des intentions des leaders africains, qui seront eux-mêmes déterminées dans l'ave- nir par l'évolution générale de tout le continent noir (1).

(1) L a chronique d'Outre-Mer de G . - R . Manue qu'on lira plus loin, apporte, a la l u m i è r e des r é c e n t s é v é n e m e n t s , un utile c o m p l é m e n t & ces observations.

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Depuis quelques mois, l'Afrique entière en quête d'indépendance est prise dans un tourbillon politique qui bouleverse les cartes et modifie les données jusqu'ici admises du problème africain. Sur toute l'étendue de la ceinture tropicale on a pu constater cette fermentation. Conflits violents à Brazzaville, qui témoignent de la persistance des haines tribales entre les M'bochis et les Balalis, émeutes au Tchad où les Arabes s'en prennent aux Saras, à Cona- kry où les Soussous attaquent les Foulbés, au Nyassaland et en Rhodésie du Nord où les insurgés tiennent le pays plusieurs semaines sous la terreur : les mêmes passions exacerbées s'emparent des populations africaines. De l'Ouest atlantique à la Somalie, qui fut italienne, le continent noir est en proie à divers. mouvements nationalistes qui ne se contentent plus de revendiquer l'indépen- dance, mais songent déjà à la restauration des grands conglo- mérats noirs de jadis — tel celui du Mali ou du Bénin — dont

• les jeunes élites africaines gardent la nostalgie. D'énormes obs- tacles attendent le fonctionnement de la démocratie sur ces terres brûlantes où les passions raciales demeurent explosives. Cependant, pour rendre la Communauté vivante et forte, pour préparer let évolutions intérieures nécessaires, les élus locaux doivent savoir que ce n'est pas avec des exhortations à la surenchère que le but sera atteint.

L a plupart des élites africaines sè félicitent de la Constitution qu'elles ont votée le 28 septembre dernier et acceptent volontiers les règles proposées par la métropole en ce qui concerne les compé- tences communes : affaires étrangères, défense, finances, enseigne- ment supérieur, contrôle de la justice, etc. Si, dans l'état actuel des choses, ce sont des ministres métropolitains .qui se trouvent chargés automatiquement des affaires communes, la désignation annoncée de ministres-conseillers autochtones associera ces der- niers aux affaires de la Communauté. Il est prévu qu'ils pourront faire partie des missions diplomatiques de la République française et représenter celle-ci dans les conféreaces internationales. Cette satisfactipn accordée aux élus africains et malgaches ne manquera pas de renforcer leurs liens avec la Communauté, dont le1 chef de l'Etat français est le président en titre. Le général de Gaulle a voulu, en se rendant une nouvelle fois à Madagascar, rehausser par sa présence la réunion du Conseil exécutif qui s'est tenu à Tananarive le 7 juillet dernier, marquant par là l'égalité et la solidarité des diverses Républiques entre elles.

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Le désir d'africanisation, en soi fort légitime, que ressentent vivement les élus des ex-territoires français d'Afrique, ne les retient pas de siéger aujourd'hui dans les organismes de la Communauté et. d'y représenter avec autorité, et souvent avec talent, leurs intérêts propres. M . Lépold Senghor, qui parle volontiers de « Com- monwealth à la française », revendique, au nom de son parti,

ce qu'il appelle « l'indépendance àu sein d'une association confédé- » raie avec la. France ». Formule ambiguë, qui demanderait à être

précisée, mais qui semble exclure — du moins en l'occurrence — toute velléité de sécession avec la métropole.

Maintenant que la Communauté franco-africaine est née, ne verra-t-on pas s'effectuer en Afrique d'autres regroupements, d'autres fédérations, et quel sera, alors, leur pôle d'attraction ? C'est une question qu'il convient de se poser, car, à l'heure où nous écrivons, Washington, Moscou, Londres, le Caire et même Pékin ne manquent pas d'exercer, ou cherchent à exercer leur influence propre sur le Continent africain.

Entre la tentation d'une union afro-asiatique répondant au vœu des nationalistes extrémistes, union qui signifierait pour l'Afrique noire une régression certaine, et la possibilité d'une Eura- frique qui leur est offerte, i l faut espérer que les Africains sauront choisir leur meilleure chance. On peut affirmer, toutefois, que des troubles plus graves encore que ceux qui ont ensanglanté Abidjan au mois de décembre dernier, et plus récemment les deux rives du Congo, menaceraient la Communauté si les Républiques africaines ne se montraient pas d'abord capables de s'entendre entre elles.

L'Afrique en expansion a la chance de pouvoir trouver dans l'Eu- rope l'aide qui lui permettra de relever son niveau de vie encore très bas. Cette aide européenne, si nécessaire, sera d'autant plus appréciée qu'elle empruntera les caractéristiques de l'assistance technique. C'est dans ce domaine, et dans ce domaine essentielle- ment, qu'elle sera sans réserve acceptée des autochtones. Il y va de l'avenir de la Communauté, qui ne se construira pas avec des souvenirs et dès regrets, mais avec la bonne volonté réciproque des Africains et des Européens. Leur cohésion, dans la grande tâche commune qui les attend, rendra possible la naissance de PEurafrique.

J E A N D E S A I N T - C H A M A N T .

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