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Les archives radiophoniques du théâtre. Du théâtre pour les aveugles à un théâtre de sourds ?

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6 | 2019

L’Écho du théâtre 2

Les archives radiophoniques du théâtre. Du théâtre pour les aveugles à un théâtre de sourds ?

Theatre Radio Archives: from a Theatre for the Blind to a Theatre for the Deaf?

Marion Chénetier-Alev

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/rsl/1843 DOI : 10.4000/rsl.1843

ISSN : 2271-6246 Éditeur

Éditions Rue d'Ulm Référence électronique

Marion Chénetier-Alev, « Les archives radiophoniques du théâtre. Du théâtre pour les aveugles à un théâtre de sourds ? », Revue Sciences/Lettres [En ligne], 6 | 2019, mis en ligne le 10 décembre 2018, consulté le 29 juillet 2021. URL : http://journals.openedition.org/rsl/1843 ; DOI : https://doi.org/

10.4000/rsl.1843

Ce document a été généré automatiquement le 29 juillet 2021.

© Revue Sciences/Lettres

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Les archives radiophoniques du théâtre. Du théâtre pour les

aveugles à un théâtre de sourds ?

Theatre Radio Archives: from a Theatre for the Blind to a Theatre for the Deaf?

Marion Chénetier-Alev

1 « Tout devrait opposer le théâtre à la radio1 » écrivait en 1946 Pierre Schaeffer. Avant lui, dès la fin des années 1920, Paul Deharme suggérait de « rayer le mot “théâtre” du vocabulaire radiophonique2 ». Pourtant, en 2022, radio et théâtre fêteront le centenaire d’un compagnonnage intermédiatique qui n’a peut-être pas d’équivalent. Cette étude souhaite poser quelques jalons de l’histoire des relations entre ces deux modes d’expression, et s’attacher à comprendre les raisons qui ont pu maintenir un lien actif, inventif, durable sinon familier, entre ces deux médias dont le dialogue perdure depuis un siècle. Ce dialogue a déplacé les modes de l’écoute et du parler au théâtre, il a transformé l’écriture et la représentation des œuvres dramatiques, il a conduit à l’apparition d’une nouvelle temporalité, d’un nouvel espace, d’une nouvelle phénoménologie du sonore qui appartiennent en propre à la radiophonie, il a engendré des centaines d’œuvres désormais suspendues dans les airs, et qui voudrait venir à bout de la question devrait s’immerger dans leur examen détaillé. Traiter un tel sujet dans le cadre d’un article s’apparente à vouloir faire rentrer la mer dans une bouteille. Nous avons pris le parti de ne tendre qu’un nombre restreint de filets au-dessus de cette vaste étendue, espérant éclairer quelques zones plus méconnues de l’intrication du théâtre et de la radio, et de privilégier, au détriment d’un discours plus complet mais plus général et plus abstrait, une plongée dans les titres oubliés de l’immense production des ondes.

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Une rencontre intermédiale favorisée par le contexte historique, culturel et artistique

2 Dans l’article d’ouverture qu’il donne à l’ouvrage collectif dirigé par Marie-Madeleine Mervant-Roux et Jean-Marc Larrue, Le Son du théâtre, Alain Corbin rappelle qu’« il ne pourrait y avoir d’histoire du sonore, sans l’histoire des modalités de l’attention3 ». Si le théâtre et la radio se rencontrent instantanément, c’est d’abord que le théâtre du début du XXe siècle est encore un théâtre des voix et, jusqu’aux années 1960, encore très largement un théâtre du verbe. À l’instar des acteurs de textes qu’il réclame, il a formé des générations de « spectateurs de textes », un public éduqué à l’écoute des voix portant la parole des dramaturges et des poètes, un public aussi d’oreille et de rythme, très consommateur de chants et de chansons. D’autre part, les premières applications du téléphone aux auditions théâtrales ont eu lieu en 1881 à Paris, et le théâtrophone puis les disques gravés depuis 1898 ont habitué les amateurs de théâtre et d’opéra non seulement à entendre les transmissions depuis chez eux4, mais surtout à une écoute acousmatique des voix, écoute également « ouverte vers un ailleurs5 ». Ainsi lorsqu’en 1921 sont lancées les premières émissions radiophoniques, il y a quarante ans que les voix retentissent détachées de leurs sources. Enfin le vieux rêve humain de conserver les voix, l’antique commerce des hommes avec des voix sans corps a été très tôt lié au théâtre6. Jonathan Sterne montre que la réflexion sur l’archive est réactivée par l’apparition des nouvelles technologies de captation du son7.

3 Autant de raisons qui conduisent d’emblée la radio à diffuser du théâtre. Les premières voix qui s’y font entendre relèvent des domaines lyriques et dramatiques. La station radio de la Tour Eiffel est inaugurée officiellement le 6 février 1922 en présence de trois comédiens parmi les plus médiatiques de l’époque : le grand Lucien Guitry et le couple que forment son fils Sacha et Yvonne Printemps. Les premiers speakers viennent du théâtre et du music-hall, à l’instar du populaire Marcel Laporte, créateur du métier à Radiola (la future station Radio-Paris) et qui se baptise Radiolo ; de Paul Castan, speaker au poste de la Tour Eiffel ; ou du contesté Jean Roy qui officie à Radio-Toulouse. Vis-à- vis de ces voix dont on imagine combien elles étaient prégnantes puisque jusqu’à la Seconde Guerre « les stations offr[ai]ent en général la même voix du matin au soir8 », les auditeurs se comportent comme avec les vedettes de la scène : les speakers ont leurs admirateurs, leurs détracteurs, à l’un on reprochera son cabotinage, on accusera l’autre d’élitisme avant l’heure. Comme au théâtre, à travers les voix et les dictions des animateurs s’expriment bientôt les divisions sociales et régionales. Jean Toscane, passé par la troupe de Louis Cognet, devient le représentant de la diction classique, type

« Comédie-Française », que l’on s’amuse à imiter et que d’aucuns trouvent guindée et pesante, mais c’est lui que réclame Pierre Schaeffer pour présenter au public sa musique concrète, afin que son élocution policée atténue le choc de l’audition9. À l’inverse Jean Roy est passionnément défendu ou critiqué pour sa diction particulière que domine l’accent régional : « Quand donc annexera-t-on Toulouse à la France ? » écrit un Parisien outré10. La question des radios régionales est posée, nous y reviendrons. Après la Seconde Guerre, les speakers sont les détenteurs du parler officiel et concurrencent les comédiens du Français en tant que « conservateur[s] de la langue française parlée », comme se définit Jean Toscane en 194911. De nombreuses émissions radiophoniques sont consacrées à la diction, ainsi ramenée au premier plan.

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4 Étant affaire de voix, de mots, de musique et de sons, la radio emprunte sans surprise au modèle culturel et social dominant que reste le théâtre jusqu’aux années 1960. Elle suit le principe énoncé par McLuhan selon lequel le contenu d’un médium est un autre médium12 : Cécile Méadel montre comment, la radio n’existant pas encore à ses débuts comme médium, « le message théâtral va lui donner épaisseur et contenu13 ». La radio reprend au théâtre son répertoire, ses comédiens, parfois ses salles, comme le Théâtre de l’Alhambra où sont diffusées de nombreuses émissions publiques, mais aussi les Noctambules, le Vieux-Colombier et le Récamier où seront enregistrées les séances du Masque et la plume à partir de 1955. À l’instar du théâtre, elle réclame des spécialistes du dire. Les troupes radiophoniques se constituent, presque chaque station a la sienne14, y compris en région. La programmation théâtrale de la plupart des stations métropolitaines jusqu’à la guerre est constituée pour l’essentiel « de comédies tirées du répertoire de boulevard de l’entre-deux-guerres (Marcel Achard, Marcel Pagnol, André Roussin, Henry Bernstein, Édouard Bourdet, Georges Neveux, etc.) ; de grands mélos ; de classiques en vers ou en prose du répertoire français15 ».

5 Entre la situation des théâtres et des acteurs parisiens, et ce qui se passe en région, l’écart est extrême. Il explique la percée foudroyante de la radio en province où l’activité dramatique était à peu près inexistante et où le nouveau média donne soudain accès à des œuvres et des spectacles autrement hors de portée. Le poète et écrivain Georges-Emmanuel Clancier, responsable des programmes de Radio-Limoges depuis la Libération jusqu’en 1955, et dont la carrière radiophonique s’étendra jusqu’en 1970, a rendu compte de cette révolution :

Le Parisien était alors, comme il l’est aujourd’hui, convié à un spectacle permanent.

[…] L’apparition de la radio n’était donc pour lui qu’un élément supplémentaire d’information et de divertissement […]. Le Parisien semble être, par essence, un spectateur : le provincial allait devenir, lui, l’Auditeur avec un grand A. On conçoit l’enthousiasme de ce provincial des années 1925 à 1930 […] qui va pouvoir […] vivre enfin au rythme du monde16.

6 Si la rencontre entre théâtre et radio a lieu, c’est aussi sur la base de cette inégalité culturelle caractéristique du paysage français de l’époque. En ce sens, la radio d’après- guerre accompagne pleinement l’effort décentralisateur qui s’accomplit alors en France, profitant de la présence en région des artistes qui, du fait de la guerre, n’ont pas gagné Paris mais sont restés dans leur province natale et donnent à la vie régionale un rayonnement inhabituel. Parce que les chaînes régionales (y compris dans les colonies) continuent de faire entendre ce que programment les théâtres parisiens, des réflexions s’élèvent sur ce que devraient être les radios régionales. Ainsi s’exprime Clancier dans une conférence donnée en 1953 :

Un programme régional ne saurait […] donner dans le « provincialisme » au sens péjoratif du mot, c’est-à-dire dans l’amateurisme, dans les fausses gloires locales, dans l’érudition morne et vaine […]. La plupart des émissions régionales devraient avoir d’authentiques racines dans la ou les provinces qu’elles ont à exprimer, dans la vie historique aussi bien que présente, économique et sociale, aussi bien qu’artistique. Elles doivent permettre aux auditeurs de prendre une conscience aussi nette et aussi profonde et aussi riche que possible de la réalité complexe d’une province. […] Deux idées directrices, à savoir, d’une part, que ces émissions doivent refléter avec intelligence, avec attention et avec sincérité, les caractères d’une province ou groupe de provinces et d’autre part, qu’elles doivent être dignes d’être écoutées loin, fort loin du pays qu’elles entendent exprimer17.

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7 Les troupes de théâtre radiophonique, sur lesquelles il n’existe aucune étude, témoignent de la place essentielle accordée aux dramatiques sur les chaînes, dans les années 1935-1965. Le théâtre s’écoute, intensément. Et comme l’a analysé Marie- Madeleine Mervant-Roux, l’intermédialité qu’il génère est encore auditive18. Les témoignages sont nombreux d’auditeurs qui découvrent le théâtre par la radio, et deviendront grâce à elle spectateurs assidus, ou acteurs. La radio suscite des vocations19. Les dramatiques radiophoniques présentent d’autant moins de solution de continuité avec le théâtre qu’elles sont diffusées en direct jusque dans les années 1950, ce qui présuppose un véritable engagement physique des interprètes et une prise de risque équivalente à ce qui se produit sur un plateau, sinon plus grande. Auditeurs et interprètes ressentiront longtemps cette émotion du direct, que jamais ne procureront l’enregistrement et ses multiples reprises.

8 Durant cette période, les relations entre théâtre et radio sont placées sous le signe de la diffusion des grandes œuvres dramatiques et poétiques de la culture classique française, pour servir une visée explicitement pédagogique. Les émissions éducatives sont nombreuses et durables. Elles accordent une place majeure au théâtre : citons parmi d’autres Les Grandes Conférences (1947-1972) ; L’Heure de culture française (1949-1959) ; L’Université radiophonique internationale (1949-1962), Pleins feux sur les spectacles du monde (1950-1961) et surtout Théâtre et université (1952-1974), destinée à promouvoir la culture classique française à l’étranger, qui retransmet à la fois les spectacles du TNP, ceux de la Comédie-Française, mais aussi les créations d’autres théâtres de Paris, de sa banlieue et de la province, et fait entendre tant les metteurs en scène confirmés que les artistes scéniques émergents (P. Debauche, J. Lassalle, J.- M. Villégier, J.-P. Vincent, A. Vitez…). Après-guerre, la radio, comme le théâtre de la décentralisation, vient combler une immense soif, donnant aux auditeurs le

« sentiment qu’ils n’étaient pas seuls mais entourés d’aînés [les auteurs] qui avaient œuvré pour leur intelligence, pour les amener à une connaissance de la vie plus grande, tournée vers la beauté et l’humanisme20 ».

9 Au nombre des attentes et des courants dramatiques que la radio rencontre tout en contribuant à leur émergence et à leur formulation, comment ne pas mentionner ces recherches sur l’intériorité, le flux verbal interne, la vie psychique, la parole et la temporalité du quotidien que développent les nouvelles écritures du théâtre au tournant du siècle, notamment scandinaves et russes, ainsi que les recherches scéniques qu’elles entraînent, concernant en particulier l’interprétation de l’acteur ? Suzanne Becker le rappelle, « les inventions techniques ne sont jamais des découvertes accidentelles mais sont intimement liées aux courants intellectuels qui les précèdent21 ». Jacob Smith a décrit la manière dont le micro a bouleversé les conventions vocales de la scène et dont l’écoute radiophonique a déplacé les critères techniques et esthétiques qui s’appliquaient aux types de voix et aux modes de parler22. Mais en France ou en Russie, les réflexions sur la nécessité de réformer la diction de l’acteur, son rapport au texte et au public anticipent l’apparition du micro. Elles expliquent que, considérée avec inquiétude, comme concurrente potentielle, ou avec condescendance par des théâtres qui la regardent du haut de leur antiquité, la radio ne l’a pas moins été avec intérêt dès son apparition. Les tenants du renouveau théâtral sont aussi ceux qui se sont emparés le plus tôt du nouveau médium, soit que leurs recherches personnelles les aient déjà menés du côté des changements que la radio

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allait accélérer, soit qu’ils aient aussitôt ajouté l’outil radiophonique à leur panoplie expérimentale23.

10 Antoine et Copeau sont du premier groupe. Les deux grandes figures de la modernité théâtrale ont pensé leur réforme du jeu avant l’avènement de la radio, et les changements qu’ils réclament vont dans le sens de cette « école de la sincérité24 » que Copeau identifie à la radio, école de l’antispectacularité et de l’anticabotinage. La famille Antoine constitue un cas remarquable et ignoré de dynastie radiophonique, où trois générations se succèdent : il y a là la matière d’un article. Indiquons simplement qu’Antoine assure dès 1928 à Radio-Paris la mise en ondes de pièces écrites ou adaptées pour la radio, en alternance avec Denis d’Inès et Roger Monteaux de la Comédie- Française, Georges Colin, Lugné-Poë et Charles Dullin25. Le constat est similaire du côté du Cartel. Passé par les États-Unis durant la Première Guerre avec Jouvet et Copeau, très au fait des nouvelles technologies, adorant le cinéma américain, il eût été curieux que Dullin se montrât indifférent aux possibilités offertes par le nouveau médium.

Odette Aslan écrit qu’il « détestait le micro et pour rien au monde il n’en aurait admis l’intrusion dans son théâtre26 ». Il entre pourtant en contact avec la radio dès 1924, comme comédien et metteur en scène sur le Poste de la Tour Eiffel. En 1927, il est engagé pour diriger le service du théâtre radiophonique de Radio-Paris27, et il ne refusa pas d’enregistrer certains de ses spectacles : en 1935, Georges Mandel lui confie douze émissions de théâtre sur les ondes28. Mais Dullin aura surtout, à l’instar de Copeau, admirablement analysé la nature et les effets de la voix à la radio29. Nous aborderons ultérieurement le cas de Jouvet. D’une manière générale, les théâtres du Cartel concluent en 1939 des accords avec la Radiodiffusion nationale pour retransmettre leurs mises en scène des pièces du grand répertoire. Ainsi, soit raison économique, soit compréhension plus profonde des enjeux artistiques, médiatiques et politiques de la radio, les éléments progressistes du théâtre s’emparent du média.

11 Les relations de la Comédie-Française avec la radio devront faire l’objet d’une étude à part. La position de monopole de la Maison et le prestige dont jouissent ses comédiens ont rendu ces derniers peu attentifs aux mutations technologiques, historiques et esthétiques du nouveau siècle. Si la collaboration s’engage entre le Français et la radio, c’est tardivement et sur fond de marasme budgétaire, au point que Guy Robert a pu parler de « mariage forcé de la Comédie-Française avec la Radio d’État30 ». Bornons- nous à signaler que dans ce contexte se détachent les acteurs avant-gardistes de la Maison qui s’emparent très tôt du micro, à l’instar de Suzanne Desprès, De Féraudy, par la suite Denis d’Inès, Béatrix Dussane, Georges Le Roy, qui entreprennent de réformer le jeu à l’intérieur de l’institution. Dès 1911, Le Roy fait paraître son premier ouvrage sur la diction. Ces acteurs seront ainsi les professeurs de ceux dont les voix compteront parmi les plus marquantes à la radio : citons schématiquement Delorme pour Desprès ; Casarès, Ivernel, Reggiani, Gélin pour Dussane ; Desailly, Meyer, Philipe, Marielle, Rich pour Le Roy... Et l’on constate sans étonnement que les « acteurs radiophoniques » sont aussi ceux qui font carrière au cinéma. Pour ne dire qu’un mot de la radio comme mémoire du théâtre (dont nous ne pourrons traiter ici), extirpons un seul document de la masse des archives sonores : Suzanne Desprès joue Poil de Carotte. Elle a créé le rôle en 1900, et le reprend pour la radio en 194931. Son interprétation fait d’elle une figure exemplaire de passation entre la formation qu’elle reçoit d’Antoine jusqu’en 1902 et les voix dénudées, familières, intimes, que la radio fait entrer au théâtre.

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Un art sonore d’abord au service des textes

12 Parallèlement la radio est en quête de son autonomie. L’histoire entre la radio et le théâtre en France est faite de cette durable tension entre un média qui affirme très tôt sa nature singulière, et un pays où la tradition textocentrée et la richesse des auteurs dramatiques opposent durablement l’art des mots à l’art sonore. Alors que sont diffusées dès 192432 les premières créations radiophoniques33 (par opposition au

« théâtre radiophoné34 ») qui explorent les moyens d’expression spécifiques du média, on note l’égale rapidité avec laquelle la radio se théorise et tente de se différencier du théâtre. Le volume pionnier de Pierre Cusy et Gabriel Germinet date de 192635, l’ouvrage essentiel de Paul Deharme, Pour un art radiophonique36, paraît en 1928. Dès 1930, Pierre Descaves, qui a fondé en 1926 une chronique de critique radiophonique dans Les Nouvelles littéraires, formule à nouveau les bases esthétiques de l’expression radiophonique à l’occasion de la diffusion d’un sketch de Gaston Revel, La Voix. Comme le rappelle André Timponi, « Descaves condamne l’utilisation, dans cette pièce, de la parole comme seul moyen d’expression, en affirmant que dans une pièce radiophonique une voix “ne peut produire des effets en profondeur, […] que si elle est incorporée dans un ensemble de sons”37 ». Descaves conclut alors : on est « à l’âge des sons, non plus à l’âge de la parole38 ».

13 En 1930 donc, huit ans après sa mise en service officielle, la radio a accompli sa révolution artaudienne. S’arrachant à la mainmise des autres arts, elle a défini le périmètre de son langage propre, en des termes que Yann Paranthoën reprend tels quels en 1984 et 1990 :

Il faut d’abord convaincre les gens de cette idée que la radio n’est pas le véhicule d’autres expressions39. Maintenant la radio doit se passer du texte et de la musique.

Trop longtemps le support magnétique a été un lieu où venaient se poser des gens d’une autre expression […], des gens de formation littéraire ou musicale. Et ces gens gravaient sur ce ruban magnétique des expressions qui venaient d’ailleurs, qui ne venaient pas directement de la radio. Je crois qu’il faut épurer, aller de plus en plus vers la radio [en tant que] moyen d’expression complet, la radio : son écrit et sa musique. Donc je ne fais plus du tout de citations ni littéraires ni musicales. Je ne travaille qu’avec des sons40.

14 Il ne restait à la radio que de dissocier le sonore des mots et de la musique. C’est à quoi s’emploie avec rigueur Rudolf Arnheim en 193641. La voie à suivre est donc très tôt indiquée pour la radio qui se veut « huitième art42 » mais il faudra presque trente ans, en France, pour que de telles œuvres radiophoniques voient le jour. Dans l’intervalle, les recherches poussées en ce sens par Pierre Schaeffer le conduisent à inventer la musique concrète :

Si, à force de répétitions, on en vient à écouter ce fragment comme celui d’une partition, à n’être plus sensible qu’au rythme, au noir et blanc de la parole et du silence, à la ponctuation des bruits de l’auditoire, on en viendra à n’attacher plus d’importance qu’à tel ou tel élément sonore […]. On sera parvenu au stade phénoménal, à une considération objective de tout le contenu du disque, entendu non seulement dans son aspect désigné, conventionnel, c’est-à-dire de langage, mais dans sa teneur sensorielle la plus complète, c’est-à-dire de « musique concrète ». […] Jusqu’à présent, y compris la musique, nos enregistrements sont ceux d’un langage. On nous donnait à comprendre plutôt qu’à entendre ; or, nous n’entendions pas tout, persuadés de comprendre assez. Et nous n’étions pas tentés de penser. […] L’auditeur, cette fois, est provoqué par un objet sonore, non

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seulement inouï mais irrationnel ; pas seulement inhumain, peut-être cosmique.

Que serait cet Art radiophonique radical43 ?

15 Mais Pierre Schaeffer, poursuivant ses recherches dans le domaine musical et télévisuel, délaissera progressivement le théâtre et la radio. Celle-ci entre alors dans une ère paradoxale où, sous la houlette de Wladimir Porché, directeur général de la Radiodiffusion française à partir de 1946, et de Paul Gilson nommé la même année à la direction des services artistiques de la Radiodiffusion, elle connaît à la fois sa période de recherches la plus intense, et une activité de création étroitement subordonnée à la production littéraire, Porché, Gilson et Tardieu étant les écrivains que l’on sait.

16 Gilson opère pourtant un geste décisif en 1948, en instituant un concours des réalisateurs du son44. Conscient que les techniciens imposent souvent leur conception en matière de prise de son, il juge indispensable que les réalisateurs reçoivent une solide formation technique afin de garantir la qualité et la cohérence des créations radiophoniques, tout en maintenant l’exigence de la recherche et d’une programmation ambitieuse. La formation dure une année : un tiers est consacré à la technique, un tiers à l’histoire du théâtre, un tiers à la musique. Comme le théâtre a vu naître ses metteurs en scène, la radio a désormais ses réalisateurs (le titre initial de

« metteur en ondes » était encore calqué sur le théâtre) et s’appuie sur une politique volontaire d’expérimentation qui s’était déployée à partir de 1942 au Studio d’Essai, animé par Pierre Schaeffer. Supprimé en 1945, le Studio d’Essai est remplacé par Radio- Laboratoire, dirigé par Albert Riéra et Roger Veillé. Une nouvelle école de la mise en ondes y naît, influencée par la technique de la réalisation cinématographique (découpage, travail en séquences, assimilation des plans sonores aux plans visuels, mixage, etc.), d’où sortiront Maurice Cazeneuve, Jean-Jacques Vierne, Gérard Herzog, Henri Soubeyran, René Wilmetz, René Guignard, Guy Delaunay, Jean-Wilfrid Garrett45. Ce laboratoire devient le Studio 46, avant la création en avril 1946 du Club d’Essai confié à Jean Tardieu. En liaison étroite avec le Club d’Essai, le Centre d’études radiophoniques est créé en 1948, spécialement chargé des activités expérimentales. En son sein, Étienne Fuzellier, directeur du Groupe de recherches sur la voix, y conduit des études vocales méthodiques à partir de 1957.

17 Le premier stage organisé par Schaeffer, qui se déroule à Beaune du 14 septembre au 19 octobre 1942, veut contribuer à l’émergence d’un nouveau type d’interprétation radiophonique, et former une troupe de jeunes comédiens qui constitueraient un chœur familier des techniques des ondes. C’est à Jacques Copeau que Schaeffer s’adresse pour le conseiller : à celui qui depuis l’ouverture du Vieux-Colombier et l’épisode des Copiaus fait autorité en matière de formation novatrice46, et qui n’a pas attendu la radio pour réformer le jeu vocal des comédiens. Ce stage devenu mythique se conclut par l’enregistrement de trois productions dont il ne semble presque rien subsister : Le Retour d’Ulysse, une version d’un conte d’Edgar Poe, et La Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres de Charles Péguy. L’Inathèque conserve deux documents qui mériteraient à eux seuls un article. Disons seulement que l’un est un enregistrement de quelques séances de travail à Beaune, où l’on entend les comédiens47 travailler à différents exercices présentés par Pierre Schaeffer. On ne saurait tirer de conclusions à partir de cet unique document mais, considéré isolément, il fait apparaître les limites du stage en termes d’exploration du langage radiophonique. Les meilleures créations de la radio d’avant 1942 avaient déjà été bien au-delà. Reste à savoir si Copeau et Schaeffer les avaient entendues. Le deuxième document, daté, sans autre précision, de 1942, fait entendre Copeau travaillant au micro avec des élèves

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parmi lesquels se trouve Jean Léonard, un des acteurs de Beaune48. Il s’agit probablement de l’émission que préparait Copeau pour le Studio d’Essai, « Les voix et la radio49 ». Il est frappant que Copeau s’y saisisse des questions du chœur, de la tragédie, de la voix intime, qui occupent une place essentielle dans le texte qu’il rédige à l’issue du stage de Beaune, « Pour une esthétique de la radio50 ».

18 Ce texte n’est pas sans contradictions. Copeau commence par y dénier au nouveau média toute prétention à devenir « un art en soi » et conteste qu’il puisse exister un

« théâtre radiophonique51 », avant d’esquisser le programme d’une rénovation complète de la radio, destiné à produire « une élite52 », un répertoire, des méthodes...

Copeau donne l’impression de vouloir reproduire, avec la radio, ce qu’il a fait traverser au théâtre de son temps : repartir de zéro, épurer et affermir ses moyens par la création d’outils et d’interprètes appropriés, pour les mettre au service de grands textes. Ce faisant, Copeau énonce certes, avec une clairvoyance et une précision remarquables, les lois de la voix et de la diction à la radio, en des formules devenues définitives ; mais il ne considère la radio que sous l’angle du théâtre et de l’élucidation des textes, et il l’oriente vers une pratique, la lecture53, qui connaîtra une grande fortune jusqu’à nos jours alors qu’elle cantonne le médium radiophonique bien en-deçà de ses possibilités expressives. Les réalisateurs auront vite fait de réagir54.

19 Ce moment symbolique de l’entrée en recherches de la radio aura donc été placé à nouveau sous le signe du théâtre et du texte. Ainsi se poursuit le compagnonnage paradoxal du théâtre et de la radio en ces années d’après-guerre, où la présence de Gilson joue un rôle décisif : sa vision est identique à celle de Copeau, il s’agit pour lui et pour la radio de « servir les textes55 ». De même Paul-Louis Mignon, issu du théâtre, directeur des émissions dramatiques de la Radiodiffusion puis du Club d’Essai, pouvait- il déclarer :

À la radio, il n’y a plus bien sûr les prestiges du spectacle, c’est simplement l’écoute et c’est l’écoute intense du texte. Et je souhaite dans ces cas-là que la radio oublie même ses prestiges, c’est-à-dire ses possibilités à l’aide de musique, de bruitage, d’entourer le texte. Il me paraît important d’en arriver au texte tout nu, ce que souvent la radio a cherché à la suite peut-être de ce qu’avait fait pour le théâtre Copeau dans ses fameuses lectures56.

20 La période de « l’âge d’or radiophonique » (1946-1962) désigne donc ce moment où auteurs et artistes convergent rue de l’Université, à l’invitation de Tardieu. L’aspect économique est (encore une fois) présent. C’est un des rares endroits où l’on trouve quelque argent, assorti de la liberté de créer. La fièvre créatrice de la radio stimule la production de pièces pour alimenter les « dramatiques » ; en échange, les textes donnent à la radio les moyens d’éprouver ses découvertes techniques et surtout de leur donner forme, des formes audibles pour le public. La gamme d’appareillage sonore57 se développe, avec laquelle auteurs et réalisateurs jouent de plus en plus librement.

Indéniablement, les possibilités techniques de la radio vont faire émerger de nouvelles formes d’écriture dramatique, pour peu qu’elles entrent en résonance avec les interrogations profondes des auteurs. Mais la production d’avant 1962, celle de Pinget, Ionesco, Salacrou, Obey, Ghelderode, Obaldia, reste essentiellement littéraire et poétique, à l’exception très notable d’auteurs tels que Beckett, Tardieu, Dubillard, qui exploitent pleinement les possibilités offertes par l’art sonore.

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Entrée des comédiens par la radio

21 Au vrai, les pivots de la création radiophonique de ces années sont les comédiens. On note sur ce plan une osmose presque totale entre théâtre et radio, dans la mesure où les grands interprètes radiophoniques sont ceux qu’on acclame sur scène dans le même temps : de Blin à Casarès, de Cuny à Bouquet, de Jean Marchat à Madeleine Renaud, de Jean Topart à Michel Vitold, la liste est très longue. Ils s’emparent activement de la radio et la font vivre. Les rares véritables créations radiophoniques de cette époque leur doivent presque tout, parmi lesquelles Les Femmes du bœuf (J. Audiberti, réal. J.- J. Vierne, 1947), Le Livre de Christophe Colomb (P. Claudel, réal. M. Cazeneuve, 1947), Archibald le danseur de corde et Le Soleil de minuit (T. Fleischman, 1948), Gogh et Magog (A. Vidalie, réal. Vierne, 1949), Frédéric Général (J. Constant, réal. Vierne, 1949), Le Soleil se lève sur Assise (A. Vidalie, réal. Vierne, 1950), Au bois lacté (D. Thomas, réal. A. Trutat, 1954), C’est vrai mais il ne faut pas le croire (C. Aveline, réal. A. Riéra, 1955), Jacques Cœur (Audiberti, réal. Vierne, 1956). Odette Aslan livre la seule description détaillée du concours d’embauche et de la technique du comédien à la radio58, témoignant ainsi du complexe savoir-faire que le laconisme général des acteurs sur le sujet tendrait à faire oublier.

22 Pour compléter cette liste (aucunement exhaustive), il convient de faire une mention spéciale à un projet expérimental mené par Gérard Herzog avec une poignée d’acteurs (Juliette Jérôme, Denise Bonal, Daniel Lecourtois du Français, Raymond Bussières, André Le Gall, Michel Bouquet, Jean Topart et Jean d’Yd), autour de l’improvisation : à partir d’un canevas dont ils s’étaient bien imprégnés, les comédiens improvisaient en direct au micro, sans le secours d’une seule ligne écrite. L’intérêt et la valeur des émissions produites (une dizaine) reposent non sur la virtuosité mais sur l’engagement des acteurs dans les situations, où ils cherchent et révèlent ce qu’eux- mêmes auraient fait dans un tel cas59. À ma connaissance, l’INA ne conserve que deux de ces émissions, dont la première, Mathilde (1947), et Noël Herbuvault (1948). Les résultats sont saisissants, exemplaires de la singularité de la démarche de Herzog, qui cherchait à inventer… « une moderne Commedia dell’arte60 ». Très curieusement, Herzog retrouve ainsi les termes mêmes employés par André Gillois analysant le prodigieux succès rencontré par son émission La Demi-heure en correctionnelle (Poste Parisien, 1934-1940) : une série de sketches inspirés de procès réels dans lesquels les comédiens improvisaient à partir de l’indication de leur personnage et d’une situation.

Y participaient les meilleurs acteurs et les plus populaires de l’époque : Marguerite Moreno, Pauline Carton, Michel Simon, Claude Dauphin ou l’animateur Jean Nohain.

C’est Marguerite Moreno qui avait conseillé à Gillois l’improvisation. Revenant sur le succès de cette émission, Gillois l’attribuait à « cette espèce de commedia dell’arte », à ses yeux la méthode la plus adaptée au goût du public de son temps :

Les gens […] veulent assister à une naissance libre. […] Et je pourrais faire un parallèle entre ce genre d’émissions et les spectacles sportifs. Un spectateur d’un spectacle sportif sait très bien que la fin n’est pas écrite, qu’il y a l’incertitude […].

Dans une émission dont il se dit elle n’est pas écrite à l’avance, il a aussi l’impression de quelque chose de libre et qui le libère en même temps61.

23 Il faudrait tirer le fil de l’histoire du « direct » à la radio. En dépit des enregistrements et des différés, le direct, ou son illusion, est encore aujourd’hui ce que réclame le public des ondes. Mais il est à présent devenu l’un des facteurs du recul de la production et de l’audience des créations radiophoniques62.

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24 Pour achever cette présentation du rôle des acteurs dans les relations entre théâtre et radio, il convient de souligner qu’ils ne sont pas présents sur les ondes en tant qu’interprètes seulement. Ils prennent tôt la mesure de ce média en lequel leur métier trouve un moyen autre que le papier pour échapper à l’évanescence. Jouvet fait preuve d’une appropriation singulière de l’outil pour lancer avec Léon Chancerel son entreprise d’historiographie du théâtre dans l’émission Prestige du théâtre (1949-1973), qui seconde les recherches réalisées au sein de la Société d’histoire du théâtre : grâce à la radio le théâtre peut transmettre des formes vivantes du souvenir, sous la forme d’entretiens, de lectures de pièces et, déjà, d’archives sonores. Jouvet fait du média l’instrument d’une appropriation collective et populaire du théâtre, capable de modifier l’image que les gens se font de l’art dramatique. Comme il le formule lui-même dans la première émission : « Vous comprenez maintenant pourquoi nous pratiquons l’histoire du théâtre ? En même temps qu’une mise à jour, c’est une mise en considération du théâtre. Je dirais plus : c’est une reconsidération du théâtre, une réinvention63. » Béatrix Dussane, éminente sociétaire du Français, oratrice à la voix enjouée dont le propos est extraordinairement vivant, commence ses causeries à la radio dès 1941 et assurera jusqu’à sa mort la réalisation de deux émissions consacrées à l’histoire, ancienne et récente, du théâtre : Au jour et aux lumières (1955-1969), Des chandelles aux projecteurs (1956-1968). De son côté madame Simone fait entrer les auditeurs dans la fabrique du jeu dramatique avec L’Art du comédien (1952-1968), où des acteurs travaillent sous sa direction des scènes du répertoire français. La radio donne là trois exemples d’une histoire du théâtre élaborée par les comédiens eux-mêmes.

25 Enfin les expérimentations radiophoniques ne manquent pas d’influencer l’esthétique des metteurs en scène. Odette Aslan a recensé les créations les plus marquantes de ces années :

On ne compte plus les pièces où auteurs et metteurs en scène branchent un poste de radio au cours de l’action – fond sonore ou informations de nature à infléchir l’action scénique. Au début des années soixante, les metteurs en scène expérimentant au Service de la recherche de Pierre Schaeffer importent au théâtre des idées et du matériel. Ils utilisent des micros, des « disques de bruits » puis la bande-son qui permet de regrouper tous les bruitages d’un spectacle ; ils recrutent des bruiteurs et bientôt des preneurs de son venant de la radio et du cinéma. Roger Blin a employé très tôt la musique concrète de Pierre Schaeffer. Des truquages s’insèrent là où il n’y avait que la voix humaine, naturelle […]. Le magnétophone devient le meuble principal dans l’espace scénique et la voix enregistrée constitue un second personnage aussi important que l’acteur en chair et en os. De son côté, Roger Planchon introduit dans La Mise en pièces du Cid un gag de sonorisation inspiré des techniques d’enregistrement : au milieu d’une scène de tragédie, les comédiens continuent à jouer sans qu’on les entende, comme si on avait coupé le son64.

26 De même est-il probable que l’univers radiophonique, qui a fait redécouvrir la portée expressive des silences et des voix, aura nourri dès cette période le travail d’un metteur en scène comme Claude Régy65.

27 Voici par quels mots André Veinstein attaque son bilan des relations entre théâtre et radio en 1965 : « Que la radio ait une production dramatique foncièrement originale ; que cette production dramatique fasse de la radio un art véritable, ce sont là, aujourd’hui encore, des questions controversées66. » Retenons de son étude que pour le théâtre, la radio est devenue, avec la télévision, la plus importante entreprise théâtrale dans le monde, par l’abondance de la production dramatique et l’étendue de son public.

Quelques chiffres se suffisent : on compte 834 « originaux radiophoniques » pour la

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seule année 1955, soit « beaucoup plus que n’ont produit, dans le même temps, l’ensemble des théâtres de comédie de toutes les grandes villes du monde entier67 » ; en 1962, 85 % des ménages français écoutent quotidiennement la radio, et en 1965 la radio propose quinze heures et demie d’émissions dramatiques par semaine. Mais les ondes cherchent encore et leur terminologie et leur répertoire propres. L’évolution technologique qu’elles ont connue n’a pas encore fondamentalement modifié la donne.

Vers un « Art radiophonique radical »

28 De fait, les tentatives d’aller vers l’« Art radiophonique radical » dont rêvait Schaeffer sont rares de 1945 à 1962. Et la situation semble devoir se dégrader à la mort de Gilson en 1963, puisque Roland Dhordain engage au même moment une sévère réforme des programmes : « l’ère des poètes se clôt », la radio se voit « assujettie à des impératifs de technologie et d’audimat plus que de culture et de création68 », même si France Culture est fondée cette année-là.

29 C’est pourtant dans cette troisième période qui va des années 1960 à la fin du siècle que l’art radiophonique va s’épanouir. Les relations entre théâtre et radio connaissent derechef un mouvement paradoxal. La tendance s’inverse : ce n’est plus la radio qui fait appel aux auteurs dramatiques pour stimuler sa création, ce sont les auteurs qui désormais dépendent d’elle pour faire entendre leurs pièces, dans un contexte bien connu de rejet du texte au profit d’une dramaturgie des corps, d’un théâtre d’intervention et de créations collectives. Ainsi la radio n’aura-t-elle jamais tant diffusé les auteurs de théâtre, alors qu’elle-même entre dans une ère de créativité inégalée, en produisant des œuvres qui « en finissent » avec les « citations littéraires et musicales ».

Deux personnalités incarnent les deux pôles de cette activité radiophonique et dramatique du dernier tiers de siècle : Alain Trutat, Lucien Attoun, dont les émissions respectives, l’Atelier de création radiophonique (ACR) et le Nouveau répertoire dramatique (NRD) naissent toutes deux en 1969.

30 Entré jeune à la radio comme comédien et très lié au milieu poétique, Alain Trutat opère la transition entre une radio à visée didactique et vouée au champ littéraire, et une radio où l’art sonore trouve sa place. Il distingue « la “radiodiffusion” qui regroupe la plupart des émissions de radio, celles qui ont une forme un peu élaborée69 », et la

« radiophonie » rassemblant les œuvres où le travail formel est prépondérant. De fait, l’ACR introduit de nouveaux formats d’émission et de nouveaux contenus, en rupture avec les conventions de réception. Le langage radiophonique peut ainsi « s’y déployer trois heures durant70 ». L’émission, parfois inaudible, peut déstabiliser, ne pas toujours définir son thème, mélanger les genres, rompre avec la composition linéaire, se passer de tout médiateur venant guider l’écoute. Cette incitation à détacher la création radiophonique du texte littéraire et de l’accompagnement musical donne tôt ses résultats, faisant apparaître une nouvelle génération de réalisateurs qui sont aussi auteurs des œuvres qu’ils produisent, tels José Pivin, René Farabet, producteur et coordonnateur de l’ACR jusqu’en 2000, René Jentet, Andrew Orr, Yann Paranthoën, Kaye Mortley. Leurs créations sortent du vacuum des studios grâce au magnétophone71, ouvrent à la radio un espace encore peu ouï, font prendre conscience des sons, de leur matérialité et de leur feuilleté, interrogent le statut des langues et des bruits, transforment la temporalité et la spatialité de l’écoute, c’est-à-dire le sens de l’écoute, dans ses diverses acceptions (sémantique, spatiale, sensorielle). Trutat avait montré

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l’exemple avec son merveilleux Bonjour monsieur Jarry, dès 1951. Citons, à titre de réalisations emblématiques, les brèves de l’émission Aquarium de José Pivin à partir de 1971 et son Transcamerounais (1977) ; les créations inégalées de René Jentet (Pour quoi, 1972 ; Sonno, 1974 ; Rouge, 1976) ; Questionnaire pour Lesconil (1980) qui inaugure l’œuvre personnelle de Yann Paranthoën. Se met en place une réflexion sur ce que serait la dramaturgie d’un art acoustique, une « technique de fracture », que René Farabet a approfondie et décrite dans ses textes72.

31 Cette créativité sonore coïncide avec les coups de boutoir renouvelés que continuent de porter les mouvements d’avant-garde aux formes classiques de l’art et du littéraire. La radio est ainsi de plain-pied avec les dramaturges les plus audacieux. La Radiodiffusion suisse programme en 1962 la pièce radiophonique d’Obaldia, qui marque une nette rupture avec les productions antérieures : Le Damné saisit toutes les possibilités disruptives et suggestives du verbe et du son pour dramatiser l’angoisse qui saisit l’homme moderne face aux mots, au moyen d’un nouveau langage sonore. Suivront, du même auteur, les non moins innovantes créations radiophoniques Les Larmes de l’aveugle (Cl. Mourthé, 1962) et Urbi et orbi (J.-J. Vierne, 1967), une mise en scène (auditive) critique du média radio lui-même73. Les auteurs, et pas seulement dramatiques, trouvent désormais dans la nouvelle expression de la radio un creuset où forger leur style (comme Billetdoux que « la manipulation radiophonique pousse progressivement à trouver sa voie dans la création théâtrale74 » et dont l’étonnant Pilaf (1972) fait entendre toutes les ressources sonores des langues étrangères, du verbe, et de l’appareil phonatoire) ; mais aussi le moyen de faire sortir la littérature de ses cadres génériques et de ses limites disciplinaires (citons de Michel Butor Réseau aérien, réal.

d’Alain Barroux, 1962 ; et6 810 000 litres d’eau par seconde, réal. de Guinard, 1967 ; mais aussi Régression de Claude Ollier, réal. R. Jentet, 1967) ; ou encore le média qui permet de donner corps à leurs écrits et d’approfondir leurs recherches formelles : c’est littéralement le cas pour Sarraute qui entre au théâtre par la radio.

32 Le mouvement historique bascule : ce ne sont plus les pièces déjà mises en scène qui font l’objet d’une diffusion radiophonique, mais les œuvres écrites pour la radio qui intéressent les metteurs en scène. Ainsi Sarraute écrit en 1964 Le Silence pour répondre à l’invitation de Werner Spiess, responsable d’une radio allemande, et Le Mensonge (réal.

J.-J. Vierne, 1966). Ces deux radiocréations seront montées par Jean-Louis Barrault en 1967, tandis que Claude Régy mettra en scène C’est beau (réal. J.-P. Colas, 1972) en 1975, et assurera à la fois la mise en scène (en 1978 et 1980) et la mise en ondes (en 1980) d’Elle est là. Pour un oui ou pour un non (réal. R. Farabet, 1981) est créé en 1986 par Simone Benmussa. C’est encore l’ACR qui ne craint pas d’accueillir en 1980 les expériences logoclastes d’un auteur alors inconnu, Valère Novarina, pour une émission intitulée Le Théâtre des Oreilles, dans la lignée de Jean Dubuffet et de sa saisissante mise en ondes de La Fleur de barbe en 1961.

33 Avant d’étudier l’apport de Lucien Attoun et du NRD à la vie théâtrale, mentionnons la réalisation de la série « Théâtre noir » entreprise par Georges Godebert. De 1964 à 1968, il met en ondes des textes issus du concours théâtral interafricain, et les voix des comédiens africains et antillais qui travaillent à Paris pour Radio France internationale, avec qui il collabore dès les années 50 : Habib Benglia, Morena Casamance, Théo Legitimus, Robert Liensol, Douta Seck, Ibrahim Seck, Tim Sori, Bachir Touré, et la célèbre Toto Bissainthe, fidèle interprète des spectacles de Jean-Marie Serreau et de Roger Blin entre 1958 et 1976. Parmi les auteurs : Mongo Beti, Wole Soyinka, Es’kia

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Mphahlele, Mouloud Feraoun, Chinua Achebe… Chaque réalisation de « Théâtre noir » est un acte engagé, et le générique de l’émission, inconcevable sur les ondes aujourd’hui, est à lui seul un programme politique contre le racisme et l’apartheid. La radio continue d’œuvrer à la décentralisation et à la décolonisation Aux côtés de Godebert, c’est l’écrivain marocain Driss Chraïbi qui réalise, produit et adapte les textes.

Le NRD (1969-2002) : une entreprise d’édition radiophonique

34 « C’était une époque où France Culture (avec Alain Trutat, Lucien Attoun) jouait un rôle important pour nous tous : la radio était le premier endroit où l’on pouvait faire entendre ses textes75. » Valère Novarina n’est pas seul à témoigner de l’importance que revêt la radio pour les auteurs dramatiques, dans ces années où, d’abord menacée par la télévision, elle « est sauvée par le transistor [qui] modifie considérablement les conditions de réception des émissions76 ». « Léger, indépendant et transportable », ainsi Brochand décrit-il le transistor. On pourrait dire que l’intuition profonde de Lucien Attoun à l’orée des années 1970 est d’inventer à son tour une forme légère, indépendante et mobile de production et de diffusion du théâtre, en faisant de la radio la demeure aérienne des textes dramatiques contemporains, et en renouant avec le direct en public. Dans le sillage de l’entreprise vilarienne et de son désir de créer les conditions favorables à l’émergence des nouveaux auteurs du théâtre d’« aujourd’hui », il s’agit pour Attoun d’offrir aux jeunes auteurs dramatiques une structure où faire lire leurs textes, les discuter, les mettre en voix et en espace grâce à la collaboration d’une équipe de comédiens, enfin les donner à entendre au public, soit directement (lectures données par l’auteur lui-même, par les acteurs, ou mises en voix supervisées par un metteur en scène), soit par le biais de la radio : en somme, une plate-forme qui multiplie les mises à l’épreuve du texte, son entrée dans les corps et les oreilles, pour lui faciliter l’accès à la scène, et pour former le public de ce nouveau théâtre qui n’est pas lu77.

35 Au moment où les grands metteurs en scène entrent en action, où de Grotowski à Mnouchkine le statut du texte sur scène change radicalement, Lucien et Micheline Attoun réactivent le rapport auditif au théâtre et revalorisent le texte, en faisant porter leur attention et leurs dispositifs sur l’amont de la représentation. Homme de radio, né dans la radio78, Lucien Attoun met les atouts du média (rapidité d’intervention, force du direct, proximité avec les acteurs et les auditeurs, résonance de l’imaginaire) au service du jeune théâtre et fait du NRD une pépinière d’auteurs qui ont constitué le répertoire des XXe et XXIe siècles : de Bayen à Cormann, de Durif à Danis, de Gabily à Gatti, en passant par Koltès, Lagarce, Minyana, Renaude, Vinaver, Wenzel… Ces auteurs bénéficient à nouveau de distributions remarquables, par des comédiens souvent engagés dans la découverte et la défense des nouvelles écritures. De leur côté, les acteurs trouvent à Théâtre Ouvert et au NRD des conditions de travail et une liberté rarement rencontrées au théâtre. La radio diffuse aussi les textes refusés par les salles, prenant désormais « le relais d’un théâtre commercial qui ne fait plus de recherche et qui n’a plus – ou ne veut plus se donner – les moyens matériels et esthétiques de courir des risques79 ». Elle continue de la sorte à assurer sa fonction de laboratoire du théâtre contemporain, en y ajoutant celle d’éditeur, comme en témoigne Liliane Atlan :

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Après 68, il suffisait d’être auteur dramatique pour être piétiné, et à ce moment-là, France Culture et le NRD nous ont permis de survivre, la diffusion sur France Culture était devenue une forme d’édition, et je dirais même la seule forme d’édition où on puisse encore jouir d’une vraie liberté80.

36 « Liberté », le terme est emblématique des transformations que connaissent les écritures dramatiques dans cette collaboration étroite avec la radio. Nous renvoyons de nouveau aux écrits de René Farabet qui dresse la liste de ces mutations81. La radio a rendu caduque la facture traditionnelle des pièces, elle a favorisé l’hybridité générique des textes dramatiques, entre théâtre, roman, et poésie, entre récit, dialogue et lyrisme.

Dès ses débuts, frayant un nouvel accès vers l’intériorité, elle a donné une nouvelle vigueur au monologue, et permis de circonscrire les problèmes soulevés par la recherche d’un autre langage de profération au théâtre, après que radio, cinéma et télévision ont fait paraître faux celui qui régnait avant sur les scènes. La radio a accompagné le théâtre dans son cheminement progressif vers l’implicite, l’elliptique, et toutes les dramaturgies de l’antithéâtre, tandis que des auteurs comme Georges Perec et Peter Handke en Allemagne marquaient les années 1960 en ne concevant plus leur texte comme œuvre mais en privilégiant la méthode : trame narrative sabotée, interprètes livrant des bribes de discours, des fragments d’histoire, des messages cryptiques, contraignant l’auditeur à s’éveiller, réagir, comprendre : un effort que presque aucune pièce ne lui avait demandé dans les années 1950. On peut encore faire l’hypothèse que la radio n’a pas été sans influence sur la naissance du théâtre documentaire et des pièces écrites à partir d’interviews, et a fait naître au théâtre le goût des lectures. Ce n’est pas un hasard si Lucien Attoun, nourri au lait de la radio, est celui qui fonde le principe de ces lectures à Théâtre Ouvert.

De l’écoute au casque aux podcasts : une nouvelle rencontre intermédiale ?

37 De 1963 aux années 2000, cependant, la tendance amorcée en 1963 se poursuit impitoyablement, la part réservée à la « création radiophonique » est sans cesse réduite. Quelques chiffres à nouveau : de quinze heures et demie d’émissions dramatiques hebdomadaires en 1965, on passe à sept heures de « fiction » par semaine en 2013. En 1980 Yves Jaigu, alors directeur de France Culture, propose cette analyse :

[U]n des problèmes de France Culture par rapport à cette utilisation des sons, aussi bien en théâtre que dans les documents, la poésie ou autres programmes, vient du fait qu’elle est immergée au sein d’un ensemble radiophonique qui ne favorise pas l’éducation de l’oreille des citoyens. Nous avons l’impression de ramer en sens contraire et d’être au milieu d’un univers de sons un peu cacophoniques, une espèce de lieu suffisamment silencieux pour qu’on puisse entendre ce que les sons peuvent apporter de nouveau dans la vie théâtrale, poétique et documentaire82.

38 Presque quarante ans après, ces problèmes continuent de caractériser les relations entre théâtre et radio, à commencer par le flou terminologique qui entoure le champ de la création/fiction radiophonique. Le décret de 1987 tentait de définir les trois genres ressortissant de cette catégorie, respectivement la création radiophonique, le documentaire et la fiction83. Or le texte, loin de dissiper la confusion, semble y ajouter.

Les essais de typologie lancés depuis les débuts de la radio n’ont pas abouti.

Retransmissions, captations, théâtre radiodiffusé, pièces radiophoniques, créations radiophoniques, « dramatiques », « fiction » que Blandine Masson définit comme étant

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ce qui représente « tous les genres et toutes les formes d’écriture et de création radiophonique, y compris les scénarios radiophoniques84 », tout est mêlé. La notion de

« création sonore » ou d’« art sonore » en revanche n’apparaît pas. Cette indétermination, dissolvant les cadres d’écoute et les enjeux esthétiques, ne favorise ni l’écriture dramatique ni la reconnaissance d’un langage sonore. Le lissage des différentes rubriques sous une seule appellation facilite d’autre part la réduction horaire des plages dévolues à la création radiophonique, et la propagation d’un modèle unique d’émission et d’écoute que Christophe Deleu a précisément décrit85. En 2013, l’ACR « subsiste mais a été profondément modifiée : devenue mensuelle, elle ne dure plus qu’une heure, et doit respecter les cadres de productions, au même titre que les autres émissions86 ».

39 Assiste-t-on à la reproduction d’un mécanisme intermédial ? Comme les théâtres se sont déchargés sur la radio du soin de faire entendre les nouvelles écritures dramatiques, de même aujourd’hui France Culture est tentée de se décharger sur les podcasts (la radio délinéarisée) de la création radiophonique exigeante, pariant sur le fait que le podcast, n’étant pas soumis aux impératifs horaires des programmes de flux, peut trouver des conditions d’écoute qui autorisent à nouveau les créations longues, audacieuses, complexes, libres. Ainsi Arteradio prend-elle le parti de ne jamais faire entendre les voix de l’interviewer, du speaker ou du narrateur, et d’utiliser « les ressources de l’écriture sonore, sans musique ni commentaires mais avec un travail insistant sur la qualité de la prise de son, du montage et du mixage87 ». Comme la radio avait endossé la fonction de laboratoire de la création dramatique, une fonction qu’elle a désormais renoncé à assurer pour des raisons économiques, la webradio devient aujourd’hui le laboratoire de la radio.

40 En ce premier quart du XXIe siècle, la radio n’existe plus guère comme outil ou lieu d’expérimentation pour les écritures, qu’elles soient dramatiques ou radiophoniques.

Elle se borne à diffuser des textes, une diffusion réduite même si une politique de commande aux auteurs se poursuit, « participant ainsi à une économie du théâtre contemporain88 ». Le bureau de lecture de France Culture continue à assumer « son rôle de défricheur, de repérage et de filtre dans le domaine de la littérature dramatique89 », et les auteurs continuent à confier la lecture de leurs textes à de grands comédiens (Radio France déclare être aujourd’hui encore le premier employeur de comédiens en France). De laboratoire, la radio est surtout passée conservatoire de la mémoire dramatique. Le dépôt légal de l’audiovisuel est confié à l’INA en 1992, qui met progressivement en place une réflexion sur la valorisation et l’accessibilité des archives sonores. Les rediffusions d’archives se multiplient.

41 Sur le versant théâtral, même s’il « paraît évident qu’un très large éventail du théâtre contemporain […] exploite des ressources technologiques que la radio a rendues familières90 », force est de reconnaître que les scènes actuelles explorent globalement peu les possibilités originales, esthétiques et artistiques, offertes par ces technologies, en dehors des procédés de sonorisation de la voix et du développement du théâtre musical. Pas plus que la radio, le théâtre ne travaille à éduquer l’oreille du public. La dimension sonore et acoustique des représentations reste pauvre, le spectacle n’étant ni réfléchi ni réalisé en termes de poétique sonore. Celle-ci demeure l’apanage d’une poignée d’artistes dont l’apport est cependant décisif et les réalisations exceptionnelles, parmi lesquels : Carmelo Bene, Claude Régy, Robert Wilson, Richard Foreman, François Tanguy, Heiner Goebbels, Robert Lepage, Alexis Forestier, Joël

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Pommerat, Denis Marleau, Gisèle Vienne et Jonathan Capdevielle (citons en particulier Jerk, conçu d’abord pour la radio avant d’être mis en scène), les Castellucci… Et l’on notera, en guise de conclusion provisoire, un regain d’intérêt tout à fait récent pour la radio elle-même dans la création théâtrale, comme l’attestent des spectacles tels que Hate Radio de Milo Rau91, Longueur d’ondes, histoire d’une radio libre de Bérangère Vantusso92, Radio Live #1 et #293.

[Lien au dossier pédagogique multimédia en ligne « Entendre le théâtre », à venir début juillet 2019]

Figure 1 – Logo INA

NOTES

1. Pierre Schaeffer, Machines à communiquer. I. Genèse des simulacres, Paris, Seuil, 1970, p. 99.

2. Paul Deharme, Pour un art radiophonique, Paris, Le Rouge et le Noir, 1930, p. 22.

3. Alain Corbin, « Historiographie de l’écoute », in Jean-Marc Larrue, Marie-Madeleine Mervant- Roux (dir.), Le Son du théâtre (XIXe-XXIe siècle), Paris, CNRS Éditions, 2016, p. 29.

4. Voir Julien Lefèvre, L’Électricité au théâtre, Paris, A. Grelot, 1894, p. 322 sq ; Melissa Van Drie,

« De nouvelles figures de l’écoute (1878-1910) », Le Son du théâtre. 1. Le passé audible, Théâtre/Public, n° 197, 2010, pp. 38-39 ; Giusy Pisano et Marie-Madeleine Mervant-Roux, « Pour une histoire des disques de théâtre », Le Son du théâtre. 1, op. cit., p. 62-65.

5. Giusy Pisano, « La discographie théâtrale I. Pour une archéologie des sons reproduits », in Le Son du théâtre (XIXe-XXIe siècle), op. cit., p. 330.

6. Voir Patrick Feaster, « Les débuts de la phonographie et le son théâtral », Le Son du théâtre. 1. Le passé audible, Théâtre/Public, n° 197, op. cit., p. 32.

7. Voir dans Jonathan Sterne, Une histoire de la modernité sonore, Paris, La Découverte, 2015 [The Audible Past : Cultural Origins of Sound Reproduction, Durham/Londres, Duke University Press, 2003], le chapitre intitulé « Une tombe résonnante ».

8. Christian Brochand, Histoire générale de la radio et de la télévision en France, t. I, 1921-1944, Paris, La Documentation française, 1994, p. 385.

9. Pierre Schaeffer, archive INA n° 01312374, « Qu’était-ce qu’un speaker ? », émission Tire ta langue, enregistrée le 1er janvier 2001, production France Culture.

10. Courrier des lecteurs de L’Antenne de mars à juin 1931, cité par Christian Brochand, op. cit., p. 387.

11. Archive INA n° PHD99239245 : « Les speakers, premières voix de la radio », émission Il était une fois la radio, enregistrée le 10 août 1981, réalisation de Monique Desbarbat, production de Claude Villers et Roland Dhordain.

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12. Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias, Paris, Seuil, « Points », [1968, éd. française]

1977, p. 36.

13. Cécile Méadel, « Les images sonores. Naissance du théâtre radiophonique », Techniques et culture, n° 16, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, juillet-décembre 1990, p. 136.

14. Je renvoie à l’article de Christophe Deleu pour la distinction entre les stations privées et publiques, et l’évolution de la teneur de leur programmes : « Y a-t-il une spécificité du service public en matière radiophonique ? », Les Enjeux de l’information et de la communication, vol. 14, n° 2, 2013, p. 95-110, en ligne sur https://www.cairn.info/revue-les-enjeux-de-l-information-et-de-la- communication-2013-2-page-95.htm

15. Blog d’André Limoges, http://andrelimoges.unblog.fr/2010/02/25/la-troupe-de-radio-alger/

#more-80, et transcription d’un entretien téléphonique réalisé le 30 juin 2018 avec André Limoges que nous tenons à remercier pour son témoignage sur la troupe radiophonique d’Alger et sur son activité de réalisateur à Radio-Bordeaux.

16. Georges-Emmanuel Clancier, « Province et radiodiffusion », in Pierre-Marie Héron (dir.), Les Écrivains hommes de radio (1940-1970), Montpellier, université Paul-Valéry, Centre d’étude du

XXe siècle, 2001, p. 190-191.

17. Ibid., p. 192. Cette conférence est prononcée le 3 avril 1953 et reprise dans les Cahiers d’études de Radio-Télévision.

18. Giusy Pisano et Marie-Madeleine Mervant-Roux, « Pour une histoire des disques de théâtre », art. cit., p. 69.

19. Ainsi en est-il pour Jean Rochefort : « J’avais le goût du théâtre, que je connaissais uniquement par la radio d’ailleurs, parce que j’écoutais une fois par semaine les retransmissions théâtrales qu’il y avait en direct des théâtres, et je trouvais ça absolument admirable. Pour un adolescent, l’atmosphère à la radio était rendue merveilleusement, j’entendais grincer le plancher de la scène quand les acteurs se déplaçaient et c’est ça qui m’a donné immédiatement l’attirance pour le théâtre, que je ne connaissais pas, que je n’avais jamais vu. » (Archive INA n° PHD99001314, « Entretien avec Jean Rochefort », émission Images et visages du théâtre d’aujourd’hui enregistrée le 3 avril 1969, production et réalisation de Moussa Abadi, ORTF.) 20. Michel Bouquet, archive INA n° PHD98034559, Le Bon Plaisir, émission réalisée par Thierry Pons, produite par Marie-Berthe Servier, diffusée le 7 juin 1986 sur France Culture.

21. Suzanne Becker, « Le théâtre radiophonique de René de Obaldia ou la radio comme outil idéal au service des avant-gardes », in Les Écritures dramatiques et la radio, dossier coordonné par Pascal Lécroart, Skén&graphie, n° 3, Annales littéraires de l’Université de Franche-Comté, Besançon, 2015, p. 68.

22. Jacob Smith, Vocal Tracks: Performance and Sound Media, Berkeley, University of California Press, 2008.

23. Citons dans cette catégorie, parmi d’autres, le laboratoire « Art et Action » d’Édouard Autant et Louise Lara. Voir Chistopher Todd, « Gabriel Germinet and the “Livre d’or du théâtre radiophonique français (1923-1935)” », in Modern & Contemporary France, vol. 10, 2002, p. 229.

24. Jacques Copeau, « Pour une esthétique de la radio », Cahiers d’études de Radio-Télévision, n° 9-10, Paris, PUF, 1956, p. 29.

25. René Duval, Histoire de la radio en France, Paris, Éditions Alain Moreau, 1979, p. 87.

26. Odette Aslan, L’Acteur au XXe siècle. Éthique et technique, Vic-la-Gardiole, L’Entretemps, 2e éd.

2005, p. 233.

27. René Duval, op. cit., p. 87.

28. Voir par exemple Comœdia du 26 juillet 1935 : « Charles Dullin joue Richard III pour la radio », par Paul Dermée.

29. Charles Dullin, « De la diction radiophonique », La Chambre d’Écho, Cahiers du Club d’Essai de la Radiodiffusion française, Paris, 1947, p. 44-45.

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