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Le retour de la comédie italienne?

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Academic year: 2022

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Le Porteur deserviette deDaniele Luchetti

Miami Blues de George Armitage

Patrick Brion

Le retour

de la comédie italienne?

es années cinquante et soixante consacrèrent indiscutablement le cinéma italien comme le meilleur cinéma européen. Son originalité, la qualité de ses cinéastes et de ses interprètes, l'aisance avec laquelle il s'attaquait - contraire- ment au cinéma français, toujours frileux - à tous les sujets lui donnaient une exceptionnelle vita- lité, les grands succès populaires étant en même temps souvent d'authentiques chefs-d'œuvre. La disparition de certains de ses plus grands auteurs (Lucchino Visconti, Pier Paolo Pasolini, Vittorio de Sica) et l'absence de relève, aussi bien en ce qui concerne les metteurs en scène que les acteurs, coïncidèrent avec le développement anarchique de la télévision privée sous l'impul- sion de Silvio Berlusconi, «Sua Emittenza )). En quelques années, la fréquentation - autrefois importante - s'effondra et les salles de cinéma fermèrent les unes après les autres. Le public français, habitué à découvrir chaque année une dizaine de brillants films italiens, finit peu à peu par oublier presque l'existence d'une cinémato- graphie autrefois éblouissante. De temps en temps, pourtant, quelques films isolés, souvent produits dans des conditions difficiles, apparais- sent et rappellent ce qu'a été autrefois le cinéma italien.

C'est le cas, aujourd'hui, du Porteur de serviette, de Daniele Luchetti, produit d'ailleurs en partie avec des capitaux français, dont une double participation de la télévision (la Cinq et Canal Plus). Professeur de lettres préférant Rimbaud à D'Annunzio, Luciano Sandulli arrondit ses diffi- ciles fins de mois en servant de «nègre »àun romancier dont il a en réalité totalement écrit les

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trois derniers livres. L'aisance avec laquelle il écrit lui vaut d'être convoqué par le ministre de l'Indus- trie, Cesare Botero, le plus jeune ministre du gouvernement, qui lui propose de rédiger ses discours et ses communiqués de presse. Il accepte et fait désormais partie de l'équipe de Botero, une équipe où se côtoient gardes du corps et vieux routiers des arcanes de la politique. Innocent et naïf, Luciano découvre bientôt les multiples avan- tages que lui confère son appartenanceàl'entou- rage du ministre. Des manuscrits anciens, in- consultables, lui sont prêtés sans le moindre problème, on lui communique les sujets des examens que vont devoir passer ses élèves et sa maison, délabrée, est restaurée aux frais de l'Etat.

Luciano croit encore qu'il peut profiter de son poste pour le bien des autres, mais, lorsque Botero froisse et lui jette au visage la demande de retraite établie en faveur du vieux poète Speranti, il comprend peu à peu qu'il n'a, en réalité, aucun pouvoir et qu'il n'est qu'un pion sur l'échiquier électoral de son maître. Producteur du film, Nan- ni Moretti, le cinéaste deLa messe estjinie et de Palombella rossa, s'est réservé le rôle de Botero qu'il interprète - selon les propres mots de Daniele Luchetti - «avec un beau ton de prince de la Renaissance ou d'empereur romain - fût-ce un empereur grave et songeur comme Marc Au- rèle ». Ambitieux, calculateur et prêt àtous les mensonges, Botero est le premier à récupérer à son avantage la mort du vieux Speranti en faisant au cours de la messe d'enterrement un discours remarquablement habile en forme d'autocritique.

Interrogé sur les problèmes posés par le scénario - auquel il collabora - Nanni Moretti reconnais- sait:«Nous cherchions une troisième voie entre la rudesse du film-dénonciation et le burlesque de la comédie. Nous souhaitions une dureté qui ne soit pas de la farce, une dureté qui ne soit pas schématique. )) Ce ton juste - brillamment trouvé - est exactement celui que possédait la

La description d'un univers corrompu et grangrené parla volonté de puissance

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Une démarche critique de la comédie italienne d'hier

grande comédie italienne d'hier, l'époque des Monstres et du Fanfaron, de Mes chers amis et de laGrande Guerre, d'Une vie difficile et de la Marche sur Rome. Dino Risi, Mario Monicelli, Luigi Comencini et les autres pratiquaient avec génie le mélange des genres, égratignant - sou- vent avec virulence - les fondements mêmes de la société italienne, dénonçant les compromis- sions du monde politique, les déviations ecclé- siastiques et toutes les formes de magouille. Le Porteur de serviette retrouve - comme par mira- cle - cette verve iconoclaste, et la composition de Moretti dans le rôle de ce jeune ministre à la mode, qui reconnaît n'avoir jamais terminé un livre de sa vie et dont le cauchemar est de se regarder un jour dans une glace sans y voir son propre reflet, est parfaite. Cinéaste, Moretti avait décrit dansLa messe est/mie (1985) le drame du curé Don Giulio devenu incapable de donner l'absolution et pour qui la charité était devenue une forme insupportable de l'indulgence et du laxisme. Quatre ans plus tard,Palombella rossa dénonçait le discours suranné d'un député communiste, aussi éloigné que possible des réali- tés de son pays. La même année, Luchetti, ancien assistant de Moretti, bénéficiait - déjà - de l'aide financière de ce dernier pour réaliser son premier filmDomani, domani, un «western philosophi- que »qui retraçait les aventures picaresques de deux gardiens de chevaux à travers l'Italie en mutation de 1848.Un curieux film, où l'on décou- vrait une communauté utopique à la Fourier et où l'électricité était une source de conflits.

Contrairement à la plupart de leurs confrères qui se satisfont de comédies de série destinées à un public peu exigeant, Moretti et Luchetti - il semble difficile de les séparer - poursuivent la démarche critique de la comédie italienne d'hier.

«La satire du film, avouait Moretti, est dirigée contre une certaine manière de faire de la politique, que je définirais par euphémisme "dé-

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sinvolte et indépendante': telle que le préconise le PSI C'est le régime de l'arrogance qui arrive même à s'étonner qu'il puisse exister quelqu'un qui pense différemment. )) A la suite d'une crise gouvernementale, Botero doit repartir à la conquête de son siège de député et Luciano voit s'écrouler ses dernières illusions. L'un de ses anciens élèves - l'un des meilleurs - a renoncé àses ambitions culturelles pour devenir un avocat prêt àtoutes les compromissions, et l'existence d'un fichier électoral, toujours démentie, prouve àquel point Botero, les siens - et sans doute tous ses collègues qui font la même chose - ont sciemment caché la vérité. La mise au jour d'une véritable fraude électorale risque-t-elle de faire chanceler Botero? Fidèle àla tradition d'amer- tume de la comédie italienne, Luchetti est un témoin désabusé et déçu. Botero sera naturelle- ment réélu. Le journaliste courageux qui l'avait dénoncé assistera àla fermeture de son journal.

La boucle est bouclée. Le petit monde de la politique continueraàvivre comme auparavant.

Sans Luciano, dégoûté.

** *

Luxueusement installé en avion, un jeune homme séduisant savoure le champagne que l'hôtesse vient de lui servir. Il s'essaie àimiter la signature d'une carte de crédit qui n'est visiblement pas la sienne. A son arrivée à Miami, il est importuné, alors qu'il vient de voler une valise, par un mem- bre de la secte Krishna, auquel il brise sauvage- ment un doigt. L'homme succombe. En quelques minutes, le décor et l'action sont en place. Alors que son titre pourraitàtort faire croire qu'il s'agit d'une comédie de série, Miami Blues se révèle au contraire un film inquiétant, d'une violence sourde et terrifiante. Le sympathique héros joué par Alec Baldwin, l'analyste d'A lapoursuite d'Oc- tobre rouge, est en réalité un tueur et un sadique.

Miami Blues:un mauvais titre pour unfilm intéressant

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Une Amérique plusinquiétante que jamais

Affublé d'un mauvais titre,Miami Blues a pour metteur en scène George Armitage, un des mem- bres de la prolifique équipe de Roger Corman.

Autre collaborateur de Corman, Jonathan Demme, le réalisateur duSilence des agneaux, est d'ailleurs le producteur de ce film sorti àParis dans une unique salle et sans la moindre publicité.

Armitage avait signé en 1976 un curieux film intituléVigilante Force qui racontait comment un vétéran duVièt-nam,appelé pour maintenir l'or- dre dans une petite ville minière de Californie, étaitàson tour devenu indésirable, comme l'avait été Henry Fonda, le«régulateur» del'Homme aux colts d'or. Miami Blues s'inspire d'un roman de Charles Willeford, suivant parallèlement la suc- cession de délits commis par le jeune Frede- rick Frenger jr., dit Junior, et les tentatives d'un policier aigri, joué par Fred Ward, l'Henry Miller de Henry et June, pour l'arrêter. Décrivant une Amérique plus inquiétante que jamais - le soleil resplendissant de Miami ne semble être qu'un argument faussement rassurant -, le film possède une atmosphère violente que l'on a justement comparée à celle des premiers films de Mar- tin Scorsese. Jouant sur le thème des doigts - Junior se plaîtàbriser etàretourner les doigts de ses victimes avant d'avoir lui-même, àla fin, trois de ses doigts brutalement tranchés par la gérante d'un magasin de pièces anciennes qu'il voulait voler -, Armitage ne se contente pas pour autant d'accumuler les moments de violence. Il crée parallèlement un univers inhabituel - c'est l'une des grandes qualités du film - dans lequel policiers et prostituées échangent des recettes de cuisine, chacun se confiant àl'autre tout en le soupçonnant...

Comme Détour, le Démon des armes ou le Cambrioleur, classiques du«film noir» de série B,Miami Blues retrouve les obsessions chères à l'un des genres les plus importants du cinéma américain. Bourré de notations curieuses - le

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policier à la recherche de son dentier, la tarte au vinaigre volontairement immangeable faite par la jeune prostituée pour l'homme avec qui elle vit -, le film est tout à la fois le portrait de trois personnages inhabituels - même Susie, la prosti- tuée, est un caractère original - et, en filigrane, celui de la société américaine, inquiète, malade et peuplée de marginaux vivant d'expédients. Les policiers sont corrompus, les parieurs paient les policiers pour bénéficier de leur protection et cet univers soigneusement organisé est brusquement mis en péril par l'arrivée d'un jeune psychopathe, individualiste et imprévisible. Le réalisme de cer- taines scènes - celle où Junior se fait recoudre son sourcil ouvert est presque insoutenable - permet àGeorge Armitage de placer la totalité du film sous le signe de l'inquiétude et, parfois même, de la terreur. Les moments d'intimité ne sont alors plus de vrais instants de repos mais des plages de temps où les protagonistes s'épient devant le spectateur. Curieux film....

Un véritable

«filmnoir»

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