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LETTRE
! ; ?Du
sieurDesbrunieres
, inspec- teur
de
police,au
sieurd’Agoult,
capitaine
aux gardes françaises
.
Paris , ce 15 Mai 1788.
J E
suis accusé par desmédians
,mon
cher camarade , de vous porter envie , et-
de chercher
, par toutes sortes de
moyens
,
à diminuer lagloire
que
vous vous êtes ac- quise le 6 de ce mois.r
Le
soin demon honneur
et demon
at- tachementpour
vous,
mon ami
,me
pres- crivent également l’obligation de détruire cette calomnie; etc’est le but déma
lettre:puisse-t-elle apprendre à tous les honnêtes gens,à quel pointvous avez subjugué
mon
estime et
mon
admiration !Ma
réputation est assez bien établie,
pour
être crue au-TH£NEWftâfiUMf
dessus d’une basse jalousie
; je suis trop
modeste ,
mon
cher camarade,
pour me
permettre de rappellerici leshauts faits qui ont rendu à-la-fois
mon nom
célèbre et re- doutable. Les annales de la police en con- servent assez lamémoire
: laBastille,Vin-
cennes et Bicètre
me
doivent toutFhonneur
de leurscachots.Mais
j’aime à en convenir,mon ami,
enun
seul jour vous avez sur- passémes
exploits ; et les siècles futurs auront peut-être oublié lesDesbrunieres et le Bicètre, qu’on parleraencore avec éton-
nement
des d'Agoult etdu fameux
siège.Oh
! journéemémorable
;oh
! valeu- reux capitaine,oh!
d’'Agonit, immorteld’Agonit, qui pourra jamais croireque,seul avec quinze cens
hommes
, vous avezpu
vous rendre maître d’un magistrat en robeet bonnet quarré ?
Vous
n’avez craint ni fausse honte , ni les vains propos d’un public révolté , ni les mépris de ceque
l’on appelle honnêtes gens , ni l’horreurde
la postérité. Brave Erostrate
, plus sage et
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plus hardi
que
lecomte d’Apché
,vous
avez tout bravépour
parvenir à lagloire.Vous
marchez , et à l’instant tous les re- tranchemens sont forcés , et toutes les ave- nues gardées : vous entrez dans la grandesalle
, à la tête de vos sapeurs à large tt effroyable
moustache
; et cette place,qu’on avoitcrueimprenablejusqu’alors,estforcée à capituler. Tel, et
moins
étonnant encore,Lowendal
, après soixante-cinq jours de tranchée ouverte, réduisitl’invincible gar- nison de Bergoppoom. Tel, etmoins
redou- table, le maréchal deSaxe, dans leschamps
de Fontenoy, rompit l’intrépide bataillon britannique. Tel , etmoins
....Oh
! d’Agoult,que
vous parûtes grand,
lorsque , tenant par la
main
lefougueux
d’Espremenil, vous l’amenates sans insis- tance, malgrél’indignationpublique!Avec
quelle intrépidité je vous vis
monter
enfiacre
, et affronter les huées de la
popu-
lace ; et conduire le rebelle en vainqueur, au milieu d’une escorte d’espions
,au quar-
tier de notre général!
/
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4
)Mais
, dois-je l’oublier?avec quellepré- sence d’espritdonniez-vous , aumilieu des alarmes etdu
péril , les ordres nécessaires!Un
procureur se présente-t-il àune
porte,il est repoussé ;
un
avocatveut-il se glisser par la porte opposée , trente bayonnettes sont dirigées sur sa poitrine ;un
huissier,un
recors viennent-ils à la découverte , mille mousquets leurprésentent leursbou-
ches prêtes à s’enflammer: nullecommu-
nication avec les assiégés.
Vous
êtes par- tout à-la-fois : à la grande salle, au greffe, dans les corridors , dans la cour , sur l’es- calier , à la buvette , à la pissotière.
Autant
vous avezmontré
de courage etde grandeur d’arne dans l’assaut , autant vous témoignez de clémence et de géné-
rosité à l’égard des vaincus, D’Aligre, d’Qrmesson , Luynes,
d’U
, pairs, pré-
sidens, évêques , conseillers
, je vous in-
terroge : êtes-vous allés à la garde-robe,
que
d'Agoultne vous aitaccompagnés avec cette politesse qui caractériseun
chevalier français?0
< 5 )
Oh
!mon
ami, si la journéedu
8 n'a pas eu lemême
éclat , elle ne vous a pas faitmoins
d’honneur ; et je tiens pour certain qu'un habile capitaine peutmontrer
autant de savoir-faire dansune
retraite ,que
dansla conduited’un siège. Celle
que
vous fîteschez les bijoutiers Parisse, sera générale-
ment
louéedesmaîtresdetactique,lorsqu’un Folard l’aura décrite.Ala
vérité,vous dûtes beaucoup , dans la circonstance , au che- valierDubois
, lequel,monté
surun
beau chevalque
tout lemonde
connoît , soutint long-temps avec sa troupe tout le feu de l’ennemi.Jouissez de votre gloire, cher camarade;
méprisez les clameurs impuissantes de l’en- vie.
Ah
! sans doute, vous avezdû
l’exciter,M.
deLamoignon
vousaime
; il vous adonné
legouvernement du
palais ; vous couchez sousun
beau pavillon, dans la
place dauphine ; vous avez la garde
du
pont-neuf, de la samaritaine ,du
quai des orfèvres, de celui desmorfondus
; il n’y( 6 )
a point jusqu’au cheval de Henri
IV, que
vous ne fassiez trembler.Tout
celafait des jaloux ; et c’est bien ftaturel.Mais
ne vous découragezpas,mon
brave confrère ; vousêtes destiné à de grandeschoses.
Dans peu
M.
le lieutenant-général vous ordonnera peut-être d’arrêterM.
deLamoignon
lui-même
: oui,mon
ami ; et, si ce n’est pas vous , ce seramoi
; et, si ce n’estpasmoi
,
ce sera
M.
votre frère.M.
votre frère !Ët
oui ,mon ami
:n’est-ce pas lui qui eut lagloire d’arrêter le cardinal ?
Comme
vous , il a des sen- timens distingués ;comme
vous , il aune
noblesse ,une
élévation d’ame ,un
front qui ne rougit jamais ;comme
vous enfin,il ira à lagloire.
»
Des
chevaliers d\Agonit tel est le ca-» ractère
m
Je suis,
mon
cher camarade, avec tous les suppôts de lapolice, votre très-humble
( 7 )
et très-obéissant serviteur. Signé, Des-' BRUNIERES.
P. S.
Mes
complimens, je vous prie,au duc
de Charost, àmadame
la courplénière etàM.
soncher fils,, le déficit.
Adresse de cette lettre :
A
monsieur,monsieurd’Agoult,exempt- de-police , au quartier-général, place dau- phine , à Paris.