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Doubler les consonnes en chant baroque français : un cas de gémination expressive ?

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Academic year: 2021

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Submitted on 24 Aug 2018

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Doubler les consonnes en chant baroque français : un cas de gémination expressive ?

Claire Pillot-Loiseau, Claudia Schweitzer, Christelle Dodane, Alice Romeo, Giuseppina Turco

To cite this version:

Claire Pillot-Loiseau, Claudia Schweitzer, Christelle Dodane, Alice Romeo, Giuseppina Turco. Doubler les consonnes en chant baroque français : un cas de gémination expressive ?. XXXIIe Journées d’Études sur la Parole, Jun 2018, Aix-en-Provence, France. pp.19-27, �10.21437/JEP.2018-3�. �hal-01858422�

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Doubler les consonnes en chant baroque français : un cas de gémination expressive ?

Claire Pillot-Loiseau

1

Claudia Schweitzer

2

Christelle Dodane

3

Alice Romeo

1

Giuseppina Turco

1,4

(1) Laboratoire de Phonétique et Phonologie (LPP) UMR 7018, Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, CNRS, 19 rue des Bernardins, 75005 Paris, France

(2) Histoire des théories linguistiques (HTL) UMR 7597, Université Paris 3 Sorbonne nouvelle, CNRS, et Université Paul Valéry Montpellier 3, Département musicologie,

Route de Mende, 34199 Montpellier cedex 5, France

(3) PRAXILING UMR5267, Université Paul Valéry Montpellier 3, CNRS, Bâtiment Marc Bloch (BRED), Route de Mende, 34199 Montpellier cedex 5, France

(4) Laboratoire de Linguistique Formelle (LLF) UMR 7110, Université Paris-Diderot, CNRS, Case Postale 7031, 5, rue Thomas Mann, 75205 Paris Cedex 13, France

claire.pillot@sorbonne-nouvelle.fr, claudia.schweitzer2@gmail.com, christelle.dodane@univ-montp3.fr, alice.romeo@coursdiderot.com,

gturco@linguist.univ-paris-diderot.fr

R ESUME

Quels sont les marqueurs acoustiques du doublement de consonnes, technique décrite au XVIII

ème

siècle en musique baroque vocale française, à des fins expressives ? Ces marqueurs s’assimilent-ils à la gémination ? Nous avons enregistré 5 chanteurs baroques produisant un air de Lully en parole et chant, sans et avec doublement consonantique. La durée des consonnes doublées rapportée à celle du mot de ces 50mn de productions a été mesurée, puis analysée statistiquement en fonction de la modalité (chanté vs. parlé), de la condition (avec doublement vs. sans doublement) et du type de consonne (/s,f,v/, /l,m/, /r/, et /p,t,k,b,d,g/). Nos résultats montrent une augmentation significative de la durée relative consonantique avec le doublement, surtout pour le chant, mais variant selon le chanteur et le type consonantique. En chant et parole, la voyelle précédente est plus courte quand elle est suivie d’une consonne doublée que quand elle ne l’est pas.

A BSTRACT

Doubling the consonants in French Baroque singing: Is it a case of expressive gemination?

What are the acoustic cues of consonant doubling, a technique mainly described in the 18th century in French vocal baroque music, for expressive purposes? Do these markers assimilate to gemination? We recorded 5 Baroque singers producing a song by Lully in speech and song modalities, with and without consonants doubling. The analysis of the duration of the doubled consonants compared to that of the word of these 50mn productions was carried out, then analyzed statistically according to the modality (sung vs. spoken), the condition (with vs. without doubling) and the type of consonant ((/s,f,v/, /l,m/, /r/, and /p,t,k,b,d,g/). Our results show a significant increase in the relative consonantal duration with the doubling, especially for singing, but varying

XXXIIe Journées d’Études sur la Parole 4-8 juin 2018, Aix-en-Provence, France

(3)

according to the singer and the type of consonant. In singing and in speech, the preceding vowel is shorter when it is followed by a doubled consonant than when it is not.

M OTS - CLES : doublement consonantique, gémination, chant baroque, français, expressivité.

K EYWORDS : consonant doubling, gemination, Baroque vocal technique, French, expressivity

1 Introduction et état de l’art

Si les études actuelles foisonnent en matière de production des voyelles en chant lyrique monodique (entre autres : Sundberg 1990), moins de travaux concernent les consonnes chantées (entre autres : McCrea et Morris, 2005). Ces dernières études montrent que le Voice Onset Time (VOT) des consonnes /p, t, k, b, d, g/ produites par des chanteurs entraînés masculins anglophones est plus long que celui produit par des amateurs pour /p, t, k/, et est plus long en chant qu’en parole pour les mêmes trois consonnes. A la croisée des chemins entre l’histoire de la prononciation du français chanté, et nos techniques actuelles d’analyse acoustique, notre but est de conduire une investigation phonétique concernant la musique vocale baroque française, et en particulier au sujet de ce que les auteurs de l’époque appellent le « redoublement des consonnes » se traduisant par leur mise en valeur. A notre connaissance, aucune étude du genre n’a encore été conduite. Comment peut-on objectiver acoustiquement ce redoublement ? Est-il analogue à la gémination ?

1.1 La gémination

Se référant usuellement au dédoublement distinctif d’un phonème consonantique (Delattre 1971) facilement perceptible, la gémination est observée dans plusieurs langues (Turco et al. 2017).

Cependant, l’allongement seul des consonnes ne suffit pas à décrire leur gémination (Ridouane 2010) : dans la plupart des langues, les voyelles précédant une consonne géminée sont plus courtes qu’avant une consonne simple. En outre, l’intensité de l’explosion des occlusives géminées, et la force de contact des articulateurs durant leur articulation (Ridouane 2007), sont plus importantes que pour des occlusives simples. Si la gémination permet une distinction phonologique, entre, par exemple, fata /

ˈ

fata/ [

ˈ

fa

ː

ta] « fée » et fatta /

ˈ

fatta/ [

ˈ

fat.ta] « faite » pour l’italien, l’allongement de la durée consonantique en français intervient dans l’accentuation d’insistance d’une part, et pour distinguer des énoncés comme Elle a dit /ɛl a di/ et Elle l'a dit /ɛl l‿a di/ d’autre part.

1.2 Le doublement de consonnes en chant baroque français

Prolongement et renforcement d’une consonne dans un mot, le doublement ou redoublement de consonnes dans le chant français est une mise en valeur d’un mot par une articulation renforcée de quelques consonnes, pratique dont parlent plusieurs sources de la deuxième moitié du XVIII

ème

siècle (Bérard 1755, Blanchet 1756, Lécuyer 1769, Raparlier 1772). Le chant étant considéré comme « une déclamation plus embellie que la déclamation ordinaire » (Bérard 1755 : 50), on comprend facilement l’importance que les auteurs accordent à la bonne prononciation du chanteur, dans laquelle les consonnes jouent un rôle essentiel. Pour visualiser la consonne redoublée, Bérard (1755), Blanchet (1756) et Raparlier (1772) utilisent deux fois la même lettre : 1) dans le mot même, 2) au-dessus de la première lettre (figure 1). Les auteurs indiquent qu’en cas de redoublement consonantique, le son de la consonne est prolongé, soutenu dans le temps.

Physiquement, les organes continuent leur mouvement articulatoire ce qui entraîne l’expression du redoublement. Son degré (en intensité et longueur) dépend du contenu du texte : il est plus fort pour

20

(4)

les émotions violentes que pour les sentiments doux et tendres. Cette prolongation peut aussi être réalisée par une préparation consciente de la consonne en question qui, à ce dessein, est « préparée » ou « retenue »

1

un petit moment. Ces deux actions s’accompagnent d’un contrôle du processus de l’articulation et de l’expiration selon le caractère voulu.

Ces auteurs soulignent cependant l’importance de l’emploi de cette technique à des fins expressives

« on doit doubler les lettres dans tous les endroits marqués au coin de la passion » (Raparlier 1772). En témoigne le commentaire initiant la partition de chaque air illustré dans le traité de Bérard (exemple figure 1) : parlant des sons à caractère pour parler des sons violens, sons entrecoupés, sons majestueux, sons légers ou sons tendres et délicats, l’auteur, pour les sons violens incarnés par l’expression de l’agitation du personnage Atys (voir figure 2 pour les paroles de ce récitatif), recommande au chanteur de « faire sortir avec une extrême rapidité l’air intérieur, prononcer d’une manière dure et obscure, et doubler assez fortement les lettres » (figure 1). En revanche, pour un son léger, « il faut chasser l’air interieur en petit volume, expirer peu de temps pour les divers sons, et préparer tres foiblement les lettres » (Bérard 1755 : Annexe : 21).

F

IGURE

1: Recommandations (gauche) et indication (droite) des consonnes doublées par Bérard (1755)

2

dans le début du récit « Ciel, quelle vapeur m’environne » d’Atys (acte V, scène 3) de Lully (1676) : les consonnes doublées (soulignées ci-dessus) se situent entre le texte et la portée musicale.

Notre but est de savoir si, dans notre corpus, la durée est un paramètre acoustique pertinent et analogue à ces modifications rencontrées dans la gémination. Pour décrire les consonnes doublées, nous présentons l’analyse acoustique du récitatif de la figure 1, produit en voix parlée et chantée sans et avec redoublement des consonnes, récitatif choisi 1) pour être souvent cité par Bérard et Blanchet (1755, 1756) afin d’expliquer la technique du doublement consonantique ; 2) parce qu’il exprime de violentes passions d’ordinaire associées à un grand nombre de consonnes doublées.

2 Méthode

Six chanteurs français ont été enregistrés

3

. Nous présentons ici l’analyse de cinq d’entre eux (âge moyen des 3 femmes (soprani) et des deux hommes (un contre-ténor et un baryon) : 41,4 ans ; ET : 14,5 ; de 27 à 63 ans). Trois sont professionnels, un est semi-professionnel et une est enseignante à l’université. Quatre enseignent le chant pratiqué depuis en moyenne 13 ans (ET: 5,8). Ces sujets effectuent de 4 à 25 concerts par an en temps que soliste (ensemble vocal pour trois d’entre eux).

Tous pratiquent le répertoire baroque pour lequel ils ont reçu une formation spécifique (cours particuliers, masterclass, stages, Centre de Musique Baroque de Versailles, université) ; deux d’entre eux ont particulièrement étudié le doublement de consonnes. Soulignons que le recrutement bénévole de personnes possédant ces compétences spécifiques ne fut pas aisé, d’où le petit nombre

1

« Les personnes, émues par quelque passion doublent, ou (ce qui est le même) préparent ou retiennent ordinairement les consonnes dans l’Articulation » (Bérard 1755:93; Blanchet 1756:53).

2

Traité librement accessible en ligne au lien suivant :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8623287n

3

Le détail des questions posées aux sujets et leurs réponses peuvent être visualisés au lien suivant :

https://docs.google.com/spreadsheets/d/1feVkXKg4dTPdPCL3og1Ptch0wPa3nUZY_tKMvA8Zdnc/edit?usp=sharing

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de sujets ayant participé à cette étude. Les sujets, ayant tous signé un formulaire de consentement, ont été enregistrés debout ou assis en chambre sourde avec un microphone électrostatique serre-tête (AKG C520L positionné à 5cm de la bouche du sujet), et avec le logiciel ProTools (fréquence d’échantillonnage : 44100Hz).

Deux airs parlés et chantés ont été enregistrés deux fois sans (normalement) puis avec doublement consonantique (en doublant cette fois-ci les consonnes au-dessus du texte). Nous présentons l’analyse du premier air (figures 1 et 2) contenant 23 fricatives, 12 /r/ (prononcée ici comme vibrante), 14 occlusives, 5 /l/ et un /m/ (figure 2). Des extraits musicaux plutôt que des phrases de laboratoire aux contextes contrôlés ont été choisis, afin de garantir une expressivité authentique dans les productions des chanteurs. Chaque sujet pouvait chanter l’air dans la tonalité qu’il voulait, mais devait garder le même ton dans les contextes sans et avec doublement. Pour cette dernière condition, il leur était juste demander de « doubler » les consonnes sans autre indication. Pour assurer une homogénéité dans les productions obtenues, il a été demandé aux sujets de parler et chanter l’air dans la prononciation actuelle, en doublant toutefois les consonnes dans le contexte

« doublé » (sans indiquer de quelle façon il fallait doubler les consonnes). Le gain a été maintenu constant pour un même contexte (parlé ou chanté, première ou deuxième répétition) sans et avec doublement. La totalité des productions dure en moyenne 10mn29 par chanteur (écart-type : 43s) mais les temps d’échanges ont abouti à un enregistrement total d’en moyenne une heure par sujet.

52mn26s de productions parlées et chantées ont ensuite été segmentées phonétiquement à l’aide de la plateforme Munich AUtomatic Segmentation (MAUS : Kisler et al. 2017), puis vérifiés manuellement (une première fois par quatre des auteurs, puis une deuxième fois par un seul auteur, pour assurer une parfaite homogénéité de la segmentation), selon les critères établis par Turk et al.

(2006). En cas de liaisons (ex. entre tout et à coup), le découpage des mots s’est effectué selon les règles phonotactiques du français (tout-ta-coup).

F

IGURE

2: paroles du récitatif « Ciel, quelle vapeur m’environne » de Atys de Lully (1676) et comptage des consonnes doublées par type : les consonnes doublées apparaissent sur le texte

4

.

4

La consonne et la semi-consonne entourées ont été retirées de l’analyse en raison d’une pause avant l’occlusive sourde, interdisant d’en calculer la durée. La semi-consonne n’a pas été analysée car elle se trouve en dehors des types consonantiques ici étudiés.

22

(6)

Les durées relatives des consonnes doublées et de leur voyelle précédente (durée / durée du mot), ont ensuite été calculées avec un script Praat (Boersma et Weenink 2017). Nous calculons ces durées relatives car nous comparons le chant et la parole, avec des vitesses d’élocution potentiellement différentes (Picket et al. 1999). La durée de la voyelle précédente a été choisie car son raccourcissement (pour l’italien par exemple) ou son allongement (comme en Japonais) durant la gémination, a été interprété comme la conséquence d’une articulation plus tendue requise par la géminée suivante, faisant de cette mesure un autre indice temporel de la gémination (Ridouane 2010). A l’exception de la consonne entourée sur la figure 2, toutes les occlusives sourdes cible ont été produites sans pauses par nos sujets. Un modèle linéaire mixte (bibliothèque ‘lme4’, Bates et al., 2014) a permis d’étudier les relations entre la durée consonantique relative, celle de la voyelle précédente et les facteurs fixes modalité (chanté/parlé), condition (sans/avec doublement), et type consonantique (/s,f,v/ /l,m/ /r/ /p,t,k,b,d,g/).

3 Résultats

3.1 Durée relative des consonnes doublées

Les facteurs modalité (χ2(1)=12.20, p<0,0001), condition (χ2(1)=12.43 p<0,0001) et type de consonne (χ2(3)= 12.26, p<0,001) ont un effet significatif sur la durée consonantique relative.

Les durées consonantiques relatives sont plus importantes en parole qu’en chant (modalité :

βparlé

=0,11, SE=0,01, t=5,94, p<0,0001), sauf pour /l,m/ chez le chanteur S4. En outre, les consonnes sont plus longues avec doublement que sans celui-ci (condition :

βsans doubl.

=-0,04, SE=0,006, t=-7,12, p< 0,0001 excepté /r/ en parole chez S3, /l,m/ chez S4 dans ce même contexte, ainsi que chez S5), avec cependant une importante variabilité, surtout en chant (figure 3

5

). De plus, l’augmentation de durée consonantique relative avec doublement est, d’après des comparaisons appariées, davantage significative en chant qu’en parole, par rapport à la condition sans doublement.

Concernant le type consonantique, les durées relatives de /r/ - le plus doublé pour 3 sujets sur 5 (sauf S2 et S3) - sont les moins variables. /l, m/ augmentent le moins leur durée consonantique relative avec le doublement en chant. Le doublement des fricatives en voix parlée n’entraîne jamais d’augmentation significative de cette durée, contrairement au chant, surtout pour S2, S3 et S5. La durée relative des occlusives augmente également significativement de la condition non doublé à doublé, surtout chez S3, S4 et S5. Indépendamment de la condition, /f,s,v/ et /l,m/ sont significativement plus allongées que /p,t,k,d,g,b/ (β

/p,t.k,b,d,g/

=-0,09, SE=0,01, t=-7,52, p<0,0001;

β/p,t.k,b,d,g/

=0,04, SE=0,02, t=2,20, p< 0,05) et /r/ (β

/r/

=0,07, SE=0,01, t= 4,14, p< 0,0001).

Nous notons également que les résultats sont variables selon les sujets : S4 (seul chanteur formé au Centre de Musique Baroque de Versailles) est celui qui double le plus en parole et chant, ainsi que S3 et S5 en chant, autres sujets ayant une formation baroque plus avancée.

La figure 3 montre une importante variabilité des durées consonantiques relatives obtenues, variabilité notamment due aux différents contextes phonétiques dans lesquels se trouvent les consonnes que nous étudions (segment précédent et suivant, position prosodique, mais aussi fréquence fondamentale, surtout en chant). Les occurrences correspondant aux augmentations de durée relative consonantique les plus importantes des conditions sans doublement à avec

5

Par souci de clarté, la modalité parlée n’y est pas représentée. Le lecteur pourra télécharger cette

information au lien suivant :

https://drive.google.com/open?id=1sucR--140wqtdEAnqP__OGUUTQ5Fjzwx

(7)

doublement pour tous les sujets, sont : les fricatives des mots « seconde, respecte, enflammer, Sangaride », les /l/ de « le, la », le /r/ de « bruit » et les occlusives de « dévorer, tonnerre » en modalité parlée. Concernant la modalité chantée, le /s/ de « seul », les /l/ de « le, la », les /r/ de

« bruit, barbare, tremble, infernale, votre » ainsi que les occlusives de « que, tout » ont été les plus allongées des conditions sans doublement à avec doublement.

F

IGURE

3: Durées consonantiques relatives (s) en modalité chantée en fonction du sujet, de la condition (sans/avec doublement), et du type consonantique (/s,f,v/, /l,m/, /p,t,k,b,d,g/, et /r/).

3.2 Durée de la voyelle précédant les consonnes doublées

F

IGURE

4 : Durées relatives de la voyelle précédant chaque consonne doublée (s) en modalité chantée, en fonction du sujet et de la condition (sans/avec doublement)

Le facteur condition (sans doublement/avec doublement) a un effet significatif sur la durée vocalique relative (χ2(1)=8,08, p<0,001), alors qu’aucun effet de la modalité (parlé/chanté) n’a été obtenu (p=2) : excepté en modalité parlée chez S5, toutes les voyelles précédant une consonne doublée sont significativement plus courtes en condition avec doublement que sans celui-ci (β

sans

doubl

=0,03, SE=0,01, t=2,79, p<0,001), que ce soit en modalité parlée ou chantée (figure 4

5

).

24

(8)

4 Discussion

Nos résultats montrent que, comme attendu, le doublement de consonnes (condition) entraîne pour tous une augmentation de la durée consonantique relative et une diminution de celle de la voyelle précédant les consonnes doublées. Ce phénomène se produit tant en parole qu’en chant : notons en effet que Bérard (1755) et Blanchet (1756) donnent aussi des exemples de tragédies, donc de textes parlés, nécessitant également un doublement consonantique. Ces paramètres temporels semblent donc, comme la gémination, également robustes pour produire une consonne doublée vs. non doublée chez nos sujets. Ridouane (2003) synthétise les paramètres acoustiques permettant de décrire la gémination pour les occlusives de 27 langues : la durée de l’occlusion, en général trois fois plus importante pour les occlusives géminées que pour leurs équivalentes simples, est le paramètre acoustique caractérisant le plus les occlusives géminées pour tous ces parlers (également perceptivement), quelle que soit la consonne occlusive et sa position dans le mot. En outre, la durée de la voyelle précédant la consonne géminée est parfois moins longue devant cette consonne géminée que devant son équivalente simple. Pour certaines langues seulement, la durée de l’explosion, mais aussi son intensité, et la durée du VOT, peuvent être majorées et plus importantes pour les consonnes occlusives géminées. Enfin, il a été rapporté que le premier formant des voyelles environnantes était plus élevé (voyelles plus ouvertes) en présence d’occlusives géminées. Pourtant, au cours de nos échanges avec nos sujets où les même questions 18 et 19 ont été posées

3

, nos locuteurs ont librement exprimé la façon dont ils pensaient doubler les consonnes, et l’avantage que cette technique représentait pour eux : selon eux, ils produisent les occlusives doublées de manière plus percussive, directive et tonique, mais aussi anticipée et accentuée par l’intensité. Pour notre population, le doublement aide à mieux chanter dans le corps par l’énergie requise, et permet de projeter la voyelle suivante et la voix en général. Il peut également créer un rythme dans ce récitatif.

Nos sujets n’ont pas mentionné un allongement consonantique et une réduction de la voyelle précédant la consonne doublée comme phénomène à la base du doublement qu’ils ont produit, mais ils ont évoqué d’autres critères que les paramètres temporels que nous avons choisis dans nos mesures, comme l’intensité (Kawahara 2015).

Les durées consonantiques relatives en parole sont plus importantes qu’en chant (modalité), en condition doublé ou non doublé : les chanteurs ne sont pas contraints par un rythme donné en parole contrairement au chant. Bien que ce chant choisi soit un récitatif donc plus proche du parlé qu’un air, son rythme chanté est plus lent qu’en parlé (ex: version chantée doublée de S4 : débit de parole : 137 syllabes/minute ; version parlée doublée de S4 : 150 syllabes/minute) : le débit de parole étant plus rapide en parole qu’en chant, les durées relatives consonantiques sont probablement majorées dans cette modalité. Nous pourrons à l’avenir affiner nos mesures rythmiques de ces modalités pour confirmer cette interprétation de nos résultats.

Concernant le type consonantique, la durée relative de toutes les consonnes augmente de la condition non doublé à doublé, avec un phénomène moins marqué pour /l,m/. Peu de travaux sur la gémination, dont aucun en chant, étudient d’autres consonnes que les occlusives. Payne (2005) obtient des durées de /f/ géminés les plus importantes en parole italienne, comme nos productions françaises de /s,f,v/ parlées, et, à un moindre degré, chantées. Ses occlusives sourdes géminées sont plus longues que les voisées. Ses consonnes /l,m/ font partie des géminées moins longues.

Il reste que la fonction de ce doublement consonantique est bien d’ordre expressive : dans ce

récitatif où le personnage Atys exprime des passions violentes, les plus importants doublements de

/r/ dans tremble, bruit, barbare, infernale, celui des fricatives dans enflammer, figuralisent

idéalement les passions exprimées par ces mots, accompagnées de l’emphase des mots

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grammaticaux le, la, que, tout, qu’il est possible d’assimiler à une « gémination expressive » comme observée dans certains parlers allemands (Sturm 2016), mais aussi aux phénomènes d’allongement liés à l’accentuation initiale en français, tout particulièrement en initiale de mot comme le sont la plupart des occurrences de consonnes doublées dans ce récitatif (Jun & Fougeron 2002).

Conclusion

Nos résultats montrent que la modification des paramètres temporels chez nos sujets en parole et chant baroque français, s’assimile à la gémination observée dans la plupart des langues (allongement de la durée consonantique et raccourcissement de la durée de la voyelle précédant une consonne géminé). Il conviendrait à l’avenir, en complément de ces paramètres temporels, 1°

d’affiner leur analyse en fonction des contextes phonétiques et prosodiques des consonne cibles et de la nature de la voyelle précédente ; 2° d’analyser l’intensité relative des consonnes doublées et non doublées ; 3° de mesurer les formants de /l,m/, ainsi que le premier formant des voyelles environnant les consonnes cibles (Kawahara 2015) car nos sujets affirment percevoir une modification de la qualité vocalique avec le doublement, même si les formants vocaliques ne se modifient pas dans tous les phénomènes de gémination (Esposito & Di Benedetto 1999).

Remerciements

Nous remercions les sujets d’avoir accepté bénévolement de se faire enregistrer. En outre, ce travail a bénéficié d’une aide du LabEx EFL (ANR-10- LABX-0083).

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