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La guerre d un gendarme

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Academic year: 2022

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Durant dix années, dont sept de guerre, des territoires sahariens aux départements algériens, des combats dans l’Ouarsenis contre l’ALN aux enquêtes judiciaires lors des attentats du FLN ou de l’OAS, l’auteur décrit l’action quotidienne des gendarmes au contact des populations musulmanes, juives, européennes et des militaires. De la gendarmerie à cheval dans le djebel à une brigade de recherches en zone urbaine, il révèle la réalité du travail accompli en lien avec une justice civile qui laissait place au droit coranique, puis les missions d’offi cier de police judiciaire sous l’autorité des procureurs militaires.

Témoin privilégié des évènements, il explique comment sa formation de gendarme l’a écarté du recours à la torture.

Avec humanité mais sans complaisance, il dépeint une Algérie complexe et trouve des espoirs de fraternité entre les peuples dans sa confrontation avec les plus extrêmes des violences.

Adjudant honoraire de la gendarmerie nationale, ancien expert auprès des tribunaux, titulaire de plusieurs décorations, à 81 ans, Gilbert Maurel livre un témoignage inédit sur le rôle des gendarmes départementaux durant la guerre d’Algérie.

G ilb er t M au re l L a g ue rr e d ’u n g en da rm e en A lg érie

Cette collection, consacrée essentiellement aux récits de vie et textes autobiographiques, s’ouvre également aux études historiques.

Graveurs de Mémoire

ISBN : 978-2-336-00943-8

24 €

La guerre d’un gendarme en Algérie

Soldat de la loi

Gilbert Maurel

G

La guerre d’un gendarme

en Algérie

Soldat de la loi

Graveurs de Mémoire

Série : Récits de vie / Maghreb

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La guerre d’un gendarme

en Algérie

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Graveurs de Mémoire

Cette collection, consacrée essentiellement aux récits de vie et textes autobiographiques,

s’ouvre également aux études historiques

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La liste des parutions, avec une courte présentation du contenu des ouvrages, peut être consultée

sur le site www.harmattan.fr

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Gilbert Maurel

La guerre d’un gendarme en Algérie

Soldat de la loi

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Illustration de couverture : Patrouille à cheval, années 50.

© L’Harmattan, 2013

5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com

diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-336-00943-8

EAN : 9782336009438

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A mon épouse, pour son courage et son amour,

A mon fils qui m’a poussé à écrire ce livre, Aux hommes et aux femmes d’Algérie et de France,

qui croient en la fraternité

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9 Avant-propos du silence au témoignage

Mars 2012. Je crois achever le manuscrit de ce livre sans avoir eu un seul instant conscience que l’on s’apprêtait à commémorer le cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie. Le déferlement soudain d’articles de journaux, de publications, d’ouvrages et de revues hors-série, d’émissions de télévisions et de débats radiophoniques vient percuter le déroulement de la campagne des élections présidentielles françaises. On s’intéresse aux rapatriés, aux harkis* un peu moins, aux soldats du contingent, aux hommes politiques et aux officiers généraux de cette époque, aux combattants algériens et à celles et ceux qui font l’Algérie d’aujourd’hui. Je prends conscience que je suis, à mon tour, devenu un ancien combattant comme l’avaient été avant moi ceux de la première et de la seconde guerre mondiale ou les revenants d’Indochine. A mon tour je compte au nombre de curiosités historiques pour des jeunes gens nés depuis et qui ont l’âge que j’avais quand je parcourais le djebel*.

Depuis des années, mon fils me demandait de témoigner. Au gré de nos conversations où je lui racontais ces années de guerre dans le pays qui l’avait vu naître, il n’avait cessé de m’inviter, parfois m’enjoindre, d’écrire cette autre guerre d’Algérie qui fut celle des gendarmes de la République. Je ne parvenais pas à m’y résoudre.

Qu’avais-je à dire ? Saurais-je le dire ? Tout était-il dicible ? Tout ce que j’ai vécu, tout ce que mes yeux ont vu n’est pas racontable car il n’est pas aisé d’être son

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propre observateur. Comment savoir faire le choix entre ce qui sera compris par ceux qui n’ont pas vécu la même histoire, ou qui n’étaient pas là à cette époque, et ce qui ne pourra pas être compris car on n’a pas su trouver les mots justes ? L’officier de police judiciaire que j’ai été, pour avoir œuvré toute sa vie au profit de la vérité, a fini par admettre qu’il était plus important de témoigner que de garder le silence. Il appartiendrait à d’autres de juger.

En effet, la guerre d’Algérie a fait l’objet de nombreux témoignages, récits et romans de la part des légionnaires et parachutistes, officiers et appelés des diverses Armes, combattants de l’Armée de Libération Nationale, militants français favorables à un Etat algérien indépendant, femmes algériennes engagées dans le combat clandestin, membres de l’Organisation Armée Secrète qui ont raconté leurs guerres et leurs vérités sur ce que furent les affrontements des hommes et femmes qui faisaient l’Algérie d’alors.

Les gendarmes ont participé à cette guerre. Mais personne, à ma connaissance, n’a témoigné de la vie, de l’action et des combats des gendarmes départementaux alors que des études et des livres ont été consacrés à l’action des gendarmes mobiles. Ces derniers vivaient, travaillaient et combattaient en unités constituées qui furent intégrées dans le dispositif militaire et participèrent à nombre d’opérations et de combats ainsi qu’au fonctionnement des SAS*. C’est dans ce cadre que la gendarmerie mobile recourut aussi à des harkas* et des commandos de chasse qui furent d’une redoutable efficacité contre les katibas* de l’ALN*. En lien avec leurs missions traditionnelles, les gendarmes mobiles furent engagés dans de strictes actions de maintien de l’ordre public mais qui, parfois, dégénérèrent en tragédies sanglantes au cours desquels des gendarmes et des civils

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perdirent la vie. Le drame algérien les vit aussi s’interposer entre les unités militaires et les pouvoirs publics lorsque les premiers contestèrent la légitimité des seconds. Enfin, certains militaires au sein de la gendarmerie mobile furent impliqués dans l’action d’unités de renseignement chargées de contrer par tous les moyens, y compris en sortant de la légalité républicaine, le terrorisme de l’OAS* ou celui du FLN*.

Contrairement aux escadrons de gendarmerie mobile qui comptaient dans leurs effectifs de cent à cent vingt sous-officiers et officiers, les gendarmes départementaux étaient alors, comme de nos jours, dispersés dans les cantons en petites brigades de six à douze sous-officiers.

Les militaires ainsi affectés dans la gendarmerie départementale tissaient un maillage au contact de la population. Ils étaient et sont toujours chargés de maintenir la paix publique, de lutter contre la délinquance et d’élucider de rares affaires criminelles, d’assurer des tâches administratives, judiciaires et militaires. Pour remplir sa mission en étant éloigné de ses officiers qui sont au niveau de la compagnie (généralement un siège de sous-préfecture), le gendarme départemental doit faire preuve d’initiative face à des événements imprévus : un meurtre, un viol, un cambriolage, un accident mortel de la circulation, un accouchement en l’absence de tout médecin, un attroupement d’individus avinés, la disparition d’un écolier, la reddition d’un déserteur, l’évacuation d’une population confrontée à une inondation, une manifestation spontanée d’agriculteurs devant une mairie… A l’opposé du gendarme mobile qui n’avait alors de relation qu’avec ses officiers, le gendarme départemental devait, et doit toujours, savoir entretenir des contacts avec les maires, les représentants de l’autorité administrative et préfectorale, les magistrats (procureurs et juges d’instruction), les habitants les plus modestes

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comme les chefs d’entreprises et notables les plus importants. Enfin, et ce n’était pas chose négligeable dans le contexte de la guerre d’Algérie, les « mobiles » ne remplissent jamais de mission dans la ville où leur escadron est basé et, par conséquent, leurs familles vivent loin des lieux où ces militaires interviennent. Les gendarmes départementaux sont eux hébergés avec leurs épouses et les enfants dans les brigades au cœur des villages et des cantons dont ils assurent la sécurité.

La vie, les combats, la recherche du renseignement, le travail judiciaire, l’engagement constant au service des lois de la République durant la guerre d’Algérie des gendarmes départementaux ont sombré dans l’oubli. La Gendarmerie elle-même semble avoir voulu oublier cette période de son histoire. Pour moi et pour mes camarades, ces temps-là furent d’abord des années de vie au cœur de l’Algérie et de ses différentes réalités. Nous vivions, avec nos femmes et nos enfants, sur une terre aux apparences de paradis et lorsque nous fûmes plongés dans la guerre ce fut avec nos familles. Notre seul garde-fou contre les vents mauvais qui pouvaient alors ravager les esprits et conduire des hommes à se perdre dans les horreurs de cette guerre, fut toujours notre formation de gendarmes, d’agents et officiers de police judiciaire, au service des lois de la République. Nous avions reçu pour mission de maintenir la paix publique, l’ordre légal républicain sur un territoire qui, à l’époque, était celui de la République française.

Notre mission n’avait pas changé lorsque la violence des armes tenta de réduire à rien la force de la Loi.

Il n’est pas question de juger les choix que d’autres ont fait car les circonstances auxquelles ils étaient confrontés n’étaient peut-être pas celles que nous connaissions. Mais ai-je vraiment trouvé des réponses au fait que nous nous sommes accrochés aux vertus de la légalité républicaine ?

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Pourquoi l’ouvrier que j’étais, devenu soldat puis formé aux valeurs de la Gendarmerie a toujours pu refuser de recourir à ce qu’il faut bien nommer la torture ? Qu’est-ce qui a fait que face à des crimes atroces, nous n’avons pas cédé à la colère ? Comment avons-nous écarté une violence clandestine que d’autres mettaient en œuvre ? Nous n’étions pas meilleurs qu’eux, ni plus âgés, ni mieux commandés ? Nous ne savions rien d’autre que ce que la Gendarmerie nous avait inculqué : force doit rester à la loi ! Elle fut notre légitimité, notre objectif et surtout notre garde-fou.

Dans ce livre, la narration de ma vie pourrait être celle de milliers d’autres gendarmes dont tous ceux qui moururent en Algérie de 1955 à 1962. Pour fuir la triste condition d’un jeune ouvrier en usine, épris d’aventures exotiques, j’ai épousé la carrière militaire puis j’ai choisi d’être gendarme. Je m’efforce de dire dans ce livre combien cet état de gendarme m’a progressivement changé et comment, dans la tourmente c’est ma fonction de gendarme qui me permit de traverser les épreuves en conservant mon humanité.

Le temps a passé. Pourquoi est-ce maintenant que des images cauchemardesques reviennent parfois me hanter ? Pourquoi certaines frayeurs ressurgissent de temps à autre ? Faudrait-il taire que nous avons aussi été heureux en ces temps-là et qu’il existait des oasis que la guerre semblait ne pas pouvoir atteindre ? Mais lorsque vint le temps de descendre définitivement les couleurs françaises, dans les bateaux qui nous ramenaient en France il y avait aussi les veuves et les orphelins des gendarmes tombés sous les balles de l’ALN et celles de l’OAS.

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Mars 1962, le cessez-le-feu est prononcé mais les armes ne sont pas réduites au silence pour autant. Au mois de juillet suivant, l’Algérie est indépendante. Les rues se sont emplies d’une foule qui disparaît sous la multitude des drapeaux verts et blancs et l’air vibre des youyous des femmes toutes de blanc vêtues. Un groupe de jeunes algériens bat la mesure sur la tôle de ma Peugeot toute neuve. Des militaires en uniforme impeccable de l’ALN ont pris position là où il y a encore quelques jours se tenaient des soldats français désormais cantonnés dans leurs casernes ; exception faite de la base navale de Mers El Kebir, où je me trouve alors et qui reste sous souveraineté française. Avec ma famille nous resterons encore quatre mois sur le territoire de ce nouvel Etat. Nous assisterons bouleversés au drame des familles de «pieds noirs» arrachées à leur terre natale pour avoir cru jusqu’au bout à ce qui était devenu une utopie ou une illusion entretenue par des désespérés de la dernière heure. Nous verrons se mettre en place les nouvelles institutions au nombre desquelles la gendarmerie algérienne. Puis à notre tour, nous partirons pour une nouvelle vie qui devait m’amener à connaître le métier de gendarme des Marches de l’Est jusqu’à la mer des Caraïbes ou l’Océan indien en passant par l’Ile de Beauté. Après presque huit années de ma jeunesse passées en temps de guerre, hors de l’ordinaire de la Gendarmerie, à craindre pour la vie des miens et à songer à ma survie dans les combats, à constater combien les hommes peuvent se livrer aux plus abominables des atrocités, il me faudra toujours nourrir le quotidien d’un contexte qui ne soit jamais ordinaire.

Mars 2012, la France se souvient de cette guerre honnie par certains, méconnue par la plupart. La campagne pour les élections présidentielles occupe les esprits. Le cinquantenaire de cette guerre ne peut rivaliser avec les inquiétudes d’une jeunesse confrontée au chômage, aux

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angoisses des retraités dont la modeste pension ne leur permet plus de se chauffer et de se soigner correctement.

Comment commémorer utilement la fin d’une guerre entre Français et Algériens quand une part du débat politique est consacrée à l’immigration et l’islamisation d’une partie de la société ? Comment les Français peuvent regarder ces anciens combattants d’une guerre qui a tu son nom jusqu’en 1999, qui n’a rien de comparable avec les deux guerres mondiales et n’a que peu de rapport avec celle d’Indochine ? Les blessures sont encore trop vives car il y a quelque chose d’une guerre fratricide dans ce que furent les combats du djebel comme les actions terroristes sur le sol métropolitain. La « paix des braves » n’est pas aboutie.

Sommes-nous en train de manquer une occasion de construire l’avenir de l’Histoire comme surent le faire Français et Allemands soixante ans plus tôt ?

Alors, pour qu’un jour les anciens ennemis ou adversaires parviennent à se retrouver au-dessus des tombes où rien ne distingue plus les victimes des deux bords peut-être faut-il, à l’âge de quatre-vingts ans, participer à l’œuvre de témoignage ?

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1951-1954, de l’ouvrier au soldat

Alger ! Alger la blanche, enfin ! La traversée sur le

« Ville de Tunis » a été agitée. La mer semblait avoir voulu fêter mon premier embarquement. A peine étions- nous sortis du port de Marseille que l’étrave du navire s’était enfoncée dans les vagues pour mieux rebondir brusquement vers un ciel d’un gris menaçant. Réfugié dans les ponts inférieurs du bateau avec toute une cohorte de militaires de toutes les Armées et de toutes les Armes, marins et aviateurs, « tringlots »* et « biffins »*, je faisais, comme tous les autres, triste figure. Mais j’espérais le lendemain et le soleil africain. Et je ne suis pas déçu. Que c’est beau ! J’admire le paysage qui s’offre à notre vue.

Les bâtiments d’une blancheur apparemment immaculée s’échelonnent depuis le rivage vers les sommets des collines. Je découvrirai plus tard que la ville européenne et moderne fait ensuite place au quartier arabe ou ottoman de la kasbah*. Je ne sais pas encore que j’ouvre un chapitre dans le livre de ma vie qui s’achèvera, douze ans plus tard, par une même vision mais qui cette fois disparaîtra lentement dans le sillage du navire. Après les manœuvres d’accostage, nous sommes autorisés à débarquer. D’une part, les civils qui ont fait le voyage en première ou deuxième classe, hommes d’affaires et leurs épouses, fonctionnaires rejoignant leur poste. D’autre part, une masse de jeunes gens en uniforme, exaltés ou bêtement démonstratifs pour certains, curieux et observateurs pour quelques-uns dont je fais partie. La police militaire et des gendarmes veillent au grain. Je constate que des camions militaires sont stationnés sur les quais. Dans un désordre gaulois mais pourtant avec efficacité et rapidité, nous

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sommes répartis en fonction de nos affectations, dirigés vers les transports dans lesquels nous nous entassons.

Nous rejoignons aussitôt une banlieue d’Alger, El Biar, où se trouve le centre d’instruction des transmissions* de Ben Aknoun. Nous y séjournons deux jours. Le lieu n’est guère plaisant. On y procède à notre incorporation. Les formalités accomplies, c’est un nouveau départ pour un voyage inconfortable d’une centaine de kilomètres dans les GMC*. La route serpente à flancs de coteaux colonisés par le maquis jusqu’au bourg d’Aumale. En cours de route nous contemplons de magnifiques paysages et le massif montagneux des Djurdjura aux sommets couverts de neige. Nous traversons les gorges de Palestro qui, plus tard, seront de sinistre réputation pour avoir été le lieu d’une embuscade où une vingtaine de militaires français, dont de jeunes rappelés du contingent, auront trouvé la mort.

A notre arrivée à Aumale nous découvrons une ville toute en longueur. C’est une petite sous-préfecture, siège de garnison, au milieu d’une région dédiée depuis des temps immémoriaux aux cultures céréalières et à l’élevage. La grand-rue et le quartier central avec son hôtel de ville provincial sont à l’identique de n’importe quelle petite ville du sud de la métropole. On est ici dans un département français. Mais, le quartier européen, ses écoles, ses hôtels et ses commerces, ses rues droites aux trottoirs arborés, son monument aux morts, cohabite avec le quartier mozabite* aux échoppes et demeures plus modestes, où chèvres et ânes errent en quête de pitance dans les rues. C’est dans cette bourgade que je découvre progressivement l’univers algérien : fellahs* en burnous*

qui, pour les plus pauvres, semblent n’être qu’un amas de haillons malodorants, éleveurs berbères enturbannés, modestes ouvriers agricoles porteurs de sarouels* et de chapeaux de paille, Arabes aisés en djellaba* immaculée

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ou aux tenues plus occidentalisées, Juifs qui vivotent de petits métiers et dont les habitudes me les feront confondre au début avec les Arabes, Européens descendants des premiers colons et qui constituent une petite bourgeoisie locale (les grands propriétaires j’apprendrai à les connaître bien plus tard), fonctionnaires et puis des militaires.

Occident et Maghreb se côtoient mais ne se mélangent guère dans un monde qui, en toute indifférence, se construit sur une pauvreté extrême et des richesses incommensurables. L’église et la mosquée paraissent proches et tout à la fois s’ignorer. C’est déjà tout le paradoxe algérien. Ce sera peut-être l’une des causes des malheurs à venir.

*

Me voici en école de transmissions. La caserne est implantée au nord de la ville. C’est un immense bordj* où autrefois était cantonné un régiment de Zouaves*. Dans la cour principale des gradés nous prennent en compte et nous constituent en pelotons, l’un pour les élèves filistes*

et le second pour les élèves radios. C’est donc ici que je vais être formé durant plusieurs mois au métier militaire, ordre serré, parcours du combattant, tir, marches de jour et de nuit avec tout le « barda »*, actes élémentaires et réflexes au combat…

Il y a trois semaines, j’étais encore à mon poste de travail dans les usines métallurgiques du Saut du Tarn à quelques kilomètres d’Albi. C’est ce bagne pour ouvriers que j’ai voulu quitter, animé depuis toujours par un désir d’aventures, de départs lointains. Mes parents avaient, des années auparavant, quitté la ferme aveyronnaise qui leur permettait de faire vivre chichement leur famille pour permettre à mon père de trouver un salaire stable comme ouvrier métallurgiste. La famille s’était agrandie et j’étais

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l’aîné des trois garçons d’une fratrie de sept enfants.

J’avais aimé l’école et obtenu facilement mon certificat d’études. Mais nous étions en 1945, la France se reconstruisait, les salaires étaient faibles et il me fallait aider mes parents. A quatorze ans je quittais le cursus scolaire pour l’usine. En trois ans, payé à la pièce, j’étais parvenu à gagner un salaire équivalent à celui des adultes dans un enfer de bruit, de chaleur, de poussières métalliques. La culture des ouvriers métallurgistes les rend fiers du travail accompli. Elle tend à mythifier la place de l’homme face à la fournaise et la puissance des machines.

Mais à cette époque, l’usine était aussi un lieu de souffrance et la vie d’un ouvrier confronté à bien des misères dont une usure prématurée. Je rêvais d’autres univers. A dix-sept ans, en mentant sur mon âge, j’avais tenté de m’engager pour rejoindre la Légion étrangère. Les gendarmes n’avaient pas été dupes et m’avaient renvoyé chez mes parents. Mais une fois parvenu à mes vingt ans, et à l’époque je n’avais pas l’âge de la majorité légale, je pus devancer l’appel pour le service national et épouser la carrière militaire. Mes adieux faits à ma mère et mon père, sans la moindre connaissance sur le monde militaire et les spécificités de chaque Arme, je sautais sur la première proposition qui semblait m’offrir des perspectives de voyage et de carrière, les Transmissions. Mais je partais avec dans mes bagages deux biens précieux. L’éducation de mes parents pour qui tout se résumait à un seul mot l’honnêteté, une absolue exigence morale qui m’imposerait le moment venu de savoir faire des choix difficiles mais salvateurs : d’autres, emportés par les circonstances, céderaient à la perte de valeurs ou aux aspects ignorés de leur personnalité pour accepter de briser des corps et des âmes au motif – qu’il est trop facile aujourd’hui de condamner sans être plongé dans le contexte d’alors – que la fin justifiait les moyens. Une

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culture ouvrière fondée sur le respect du travail bien fait et le respect de soi qui me serait utile quand il faudrait encore une fois choisir entre faire résolument son métier comme le devoir exigeait qu’il fut exercé ou au contraire faire de son métier l’outil d’une violence, cachée dans l’obscurité de certains centres d’internement, que personne, ou bien peu, ne voulait la nommer mais que nul n’ignorait. La Gendarmerie départementale m’offrirait le troisième pilier qui soutiendrait mes choix futurs, le respect indéfectible dû aux lois de la République.

Mais quand débute ma formation militaire à Aumale nous n’en sommes pas encore là. Si le Chiffre*

m’intéresse, le Morse* n’est pas mon fort et mes chefs me spécialisent dans la téléphonie. Mais je sais déjà que j’ai besoin de plus d’action que cela et tous les prétextes pour être sur le terrain seront les bienvenus. Les mois s’écoulent et avec eux l’ennui que seule peut susciter la vie de caserne. Je continue à m’imprégner des réalités de cette nouvelle vie et apprends mes premiers mots d’arabe.

Je ne cesserai de collectionner des mots, des formules d’un parler courant acquis sur les marchés pour, les années aidant, parvenir à dialoguer sommairement et en tout cas à me faire comprendre. Cela me sera fort utile plus tard.

Nous voilà rapidement au terme de ce premier temps de notre vie militaire. C’est le printemps et dans cette région au climat rude, les couleurs du ciel, de la terre et de la végétation sont magnifiques. C’est avec joie que j’apprends mon affectation à la Première Compagnie Saharienne* de Transmissions à Colomb Bechar. C’est cette fois l’Afrique saharienne qui m’attend.

Mais auparavant nous bénéficions de quatre jours de permission. Aussi avec mon camarade Georges qui est originaire de mon village, décidons-nous de partir en

« expédition » jusqu’à la palmeraie de Bou Saada à une

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centaine de kilomètres au sud. Un car poussif mais avec peu de voyageurs nous conduit vers notre destination et nous avons l’impression d’être les aventuriers de ces romans pour adolescents qu’il nous arrivait de lire quand le travail harassant de l’usine ou la pratique intensive du sport nous en laissait le temps. Il fait une chaleur torride.

Pas de climatisation en ces années-là. Nous avançons dans une véritable fournaise. C’est avec stupéfaction que nous constatons tout au long de la route que les oiseaux restent au sol dans le strict alignement de l’ombre squelettique des poteaux téléphoniques. La nuit tombe rapidement dans cette région et nous arrivons tardivement à Bou Saada. Le seul hôtel qui soit tout à la fois dans nos maigres moyens et néanmoins fréquentable est déjà fermé. Nous devrons dormir à la belle étoile sur des bancs publics. Il en faudrait plus pour nous décourager. Notre jeunesse ne s’en formalisera pas mais le lendemain nos carcasses rompues manifesteront leur mécontentement quand le soleil matinal viendra chasser la froidure relative accrochée à nos vêtements. Première mission du jour, se rendre à l’hôtel et y prendre une chambre pour les deux jours à venir. Puis un caoua* pour se remettre en train. Nous voici maintenant déambulant en touristes dans cette bourgade saharienne.

Entourée de collines arides où ne poussent que des cailloux, l’oasis est telle qu’on peut l’imaginer. Un festoiement de verdure annoncé par les palmiers qui forment une voûte ombragée à cette modeste ville faite de maisons carrées nous semble-t-il en terre crue, de quelques cubes de béton et de tôles. Aux heures les plus chaudes de la journée, personne ne s’aventure dehors. C’est tôt le matin ou en début de soirée que l’on croise un peu de monde, de rares occidentaux, des autochtones en gandoura*. Les gens sont aimables et ont vite compris que nous sommes permissionnaires. Avec malice, on nous indique une maison où nous devrions nous rendre le soir

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venu pour assister au spectacle de danseuses du ventre.

D’ici là nous errons de part et d’autre. Dans la soirée, après un repas traditionnel et frugal pour quelques francs, nous décidons de nous rendre dans la maison des danseuses du ventre. Nous sommes accueillis par de jeunes femmes d’une beauté superbe. Certaines ont conservé leur habit traditionnel, du moins c’est ce que nous pensons, et portent des bijoux faits de pièces d’argent. Chaque soir, ces filles, issues de la tribu des Ouled Naïl, dansent pour gagner un peu d’argent et se constituer une dot. Après leur danse, elles viennent s’asseoir sur les genoux des hommes. C’est ainsi que faisons connaissance avec les plus belles filles que nous ayons vues jusque-là.

Le lendemain, en nous promenant, nous apercevons des gens qui cueillent des figues de Barbarie. Après les salutations d’usage un difficile dialogue débute, fait de quelques mots et de beaucoup de gestes. Ils nous font goûter quelques-uns des fruits puis nous invitent à boire avec eux un thé noir et sucré. Hospitalité de gens simples et probablement pauvres mais, je le saurai plus tard, dont la foi en un Islam paisible invite au partage. Nous les avons quittés comme si nous étions des amis de toujours.

Nous longeons un oued* dont les eaux baignent le village.

Dans une courbe de la rivière, nous découvrons une petite plage où l’eau cristalline nous attire. Sans rien nous dire, d’un accord tacite, nous nous déshabillons et plongeons dans la fraîcheur inattendue de ce cours d’eau. Quel délice après avoir supporté un soleil implacable ! Il nous faudra plus d’expérience pour apprendre que ce bain avait sûrement des spectateurs goguenards ; jeunes gardiens de chèvres dissimulés dans les rochers ou gamines accroupies derrière leurs fagots de branchages.

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