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L'analyse culturelle : un horizon, pas un point de départ, en réponse à Philippe d'Iribarne

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L'analyse culturelle : un horizon, pas un point de départ, en réponse à Philippe d'Iribarne

BOURRIER, Mathilde

Abstract

Dans son article "Analyse stratégique et culture : un nécessaire retour aux sources", Philippe d'Iribarne considère que l'analyse stratégique des organisations s'est progressivement fermée aux approches culturelles. Prisonniers d'une conception vieillotte de la culture qui verrait dans celle-ci un facteur d'influence mécanique des comportements, des valeurs ou des attitudes, les tenants de l'analyse stratégique se priveraient alors des apports de l'anthropologie culturelle.

BOURRIER, Mathilde. L'analyse culturelle : un horizon, pas un point de départ, en réponse à Philippe d'Iribarne. Revue française de sociologie , 2005, vol. 46, p. 171-176

DOI : 10.3917/rfs.461.0171

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:48266

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L'ANALYSE CULTURELLE : UN HORIZON, PAS UN POINT DE DÉPART

En réponse à Philippe d'Iribarne

Mathilde Bourrier

Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) | Revue française de sociologie

2005/1 - Vol. 46 pages 171 à 176

ISSN 0035-2969

Article disponible en ligne à l'adresse:

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http://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2005-1-page-171.htm

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Pour citer cet article :

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Bourrier Mathilde, « L'analyse culturelle : un horizon, pas un point de départ » En réponse à Philippe d'Iribarne, Revue française de sociologie, 2005/1 Vol. 46, p. 171-176. DOI : 10.3917/rfs.461.0171

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DÉBAT

L’analyse culturelle :

un horizon, pas un point de départ

En réponse à Philippe d’Iribarne

par Mathilde BOURRIER

Dans son article « Analyse stratégique et culture : un nécessaire retour aux sources », Philippe d’Iribarne considère que l’analyse stratégique des organi- sations s’est progressivement fermée aux approches culturelles. Prisonniers d’une conception vieillotte de la culture qui verrait dans celle-ci un facteur d’influence mécanique des comportements, des valeurs ou des attitudes, les tenants de l’analyse stratégique se priveraient alors des apports de l’anthro- pologie culturelle. Selon Iribarne, une conception renouvelée de la culture permettrait au contraire de réconcilier les déterminants culturels et la contin- gence des jeux d’acteurs, chère à l’analyse stratégique. Cette possibilité ferait ainsi tomber l’essentiel des préventions de l’analyse stratégique à l’encontre de l’analyse culturelle. Il regrette que les ponts demeurent coupés et que l’analyse stratégique manque ainsi une occasion de s’enrichir.

Pour illustrer son argumentation, il prend appui sur notre étude du fonc- tionnement de quatre centrales nucléaires, en France et aux États-Unis (Le nucléaire à l’épreuve de l’organisation, 1999). Il justifie son choix en préci- sant que grâce à notre travail adossé à un « riche matériau ethnographique » il peut facilement démontrer, citations à l’appui, qu’une autre lecture – cultu- relle – était possible. Il déplore enfin que notre recherche, dont il dénonce

« l’anti-culturalisme militant », « n’apporte pas de réponse, même partielle, aux interrogations relatives au rôle précis de la culture dans le fonctionnement des organisations ».

Nous répondrons sur trois plans. Tout d’abord, nous reprendrons quelques points cruciaux de son analyse afin de montrer que son interprétation demeure incompatible avec nos données.

Puis nous questionnerons le jugement que Philippe d’Iribarne porte sur les rapports entre interculturalité et analyse stratégique. Selon nous ce n’est pas tant que l’analyse stratégique est fermée à l’analyse culturelle qui pose 171

R. franç. sociol., 46-1,2005, 171-176

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problème, mais plutôt qu’elle est elle-même culturellement située. Ce point semble avoir été mal apprécié par Philippe d’Iribarne.

Enfin, nous montrerons que l’objet de notre recherche n’était en aucun cas d’analyser l’influence de la culture sur le fonctionnement de quatre centrales nucléaires. Il s’agissait de mieux comprendre les conditions de production des règles, de leur suivi et de leur infraction dans les univers à risque. La thèse défendue était la suivante : l’infraction aux règles n’est en réalité pas plus naturelle que leur suivi. Elle est déterminée par le type de ressources organi- sationnelles allouées au travail réglé par des procédures et à leur modification selon les éventualités. Sous cet angle, chaque centrale était unique et le clivage France-Amérique n’avait guère de portée explicative.

Les faits sont têtus

Philippe d’Iribarne a vu les choses autrement. Pour lui, les deux centrales américainesDiablo CanyonetNorth Annasont identiques : « On est, àNorth Annacomme àDiablo Canyon, dans un univers où un rôle central est donné à la responsabilité personnelle de chacun, aux comptes qu’il a à rendre à ceux pour qui il travaille […]. » Il dit avoir retrouvé « l’échangefairentre égaux » de son analyse de l’usine américaine dePatrick City: chacun s’attend à être traité de façon équitable et reconnu dans son travail quelle que soit sa position hiérarchique. En échange, chacun veille à apporter sa pleine contribution à l’œuvre commune.

Pour nous, au contraire, les différences étaient frappantes. À Diablo Canyon, l’ouvrier qualifié comme le cadre n’avaient aucune latitude. De surcroît, ils ne souhaitaient prendre aucune initiative, qui n’aurait pas au préa- lable été suggérée par un ordre écrit ou qui ne figurerait pas dans une job description. Ils se conformaient strictement à ce qui leur était demandé. À North Anna, c’était tout l’inverse. Les employés disposaient d’un large pouvoir d’initiative, qui leur était officiellement concédé. Ils en usaient sans restriction, se conformant aux prescriptions s’il leur était possible de le faire, ou improvisant des réponses sinon. Ce sont là deux conceptions opposées de la contribution de l’homme au travail collectif. Dans un cas, l’action est toujours dirigée, dans l’autre elle demeure pour une large part à la main des acteurs eux-mêmes. Cette différence fondamentale de philosophie de gestion n’a pas été relevée par Philippe d’Iribarne. Or elle permet de prendre la mesure de la spécificité de chacun des modèles.

Deuxièmement, contrairement à ce que Philippe d’Iribarne suggère, il n’y a pas de régularité nationale dans la manière dont les ressortissants des deux pays envisagent la règle. Commençons par les États-Unis. Les règles àNorth Annaet à Diablo Canyonne sont pas « tout autant prises au sérieux dans un cas que dans l’autre ». Ainsi à North Anna, les personnels de maintenance adoptaient un comportement dual. Sur les chantiers, ils suivaient les procé- dures car ils en étaient les créateurs et avaient les moyens de les modifier en 172

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cas de difficulté. En revanche, quand ils n’avaient pas été associés, notam- ment à la définition des plannings d’activités, ils opéraient de façon opaque, contournant allègrement des dispositions qui ne leur convenaient pas. À Diablo Canyon, les acteurs obéissaient point par point aux règles prescrites parce que non seulement ils étaient associés très en amont à leur validation mais également parce qu’en cas d’écart, ils pouvaient séance tenante les faire modifier sans délai.

Côté français, Philippe d’Iribarne observe que les fonctionnements de Bugey et Nogent différaient mais se rejoignaient sur un point crucial : l’ajus- tement informel des règles, typique de la manière dont des Français envisa- gent leur relation « désinvolte » à la règle. Comment dès lors accommoder nos observations, attestant à Nogent que les prestataires suivaient strictement les procédures, avec son interprétation ? Fallait-il en déduire que les presta- taires de Nogent n’étaient pas français ? Ces observations nous avaient d’ailleurs incitée à étudier de plus près les conditions de la production des ajustements sur les sites français. Les prestataires avaient par le passé l’habi- tude d’amender les procédures, encouragés en cela par les contremaîtres d’EDF. Or la modification des conditions juridiques de l’insertion des presta- taires sur les sites français au début des années quatre-vingt-dix avait changé la donne. Des changements dans leurs comportements étaient notables. La protection de leurs contrats et leur refus de faire les frais des difficultés internes de l’organisation des activités à EDF les conduisaient à un respect strict des procédures.

Si, effectivement, le suivi des règles avait été aussi systématique àDiablo Canyon qu’à North Anna et si la légèreté à leur endroit avait été aussi marquante à Bugey qu’à Nogent, alors une analyse culturelle aurait été sans nul doute plus difficile à récuser.

Enfin, Iribarne se trompe sur le rôle des syndicats dans nos deux cas améri- cains. Contrairement à ce qu’il indique, l’acteur syndical est marginal àNorth Anna, État du sud, baigné par une longue tradition anti-syndicale. Il ne

« collabore pas avec la direction ». La section des automaticiens avait mêmevoted out the union, c’est-à-dire décidé d’exclure le syndicat. Il se trompe également sur l’absence de référence aux métiers dans les organisa- tions américaines : elle existe, mais pas où il l’attend ! Elle est justement présente via le canal syndical, quand il existe. Les prestataires, disposant d’un métier, welders (chaudronniers) ou carpenters (charpentiers) par exemple, sont employés par la centrale californienne par l’intermédiaire de syndicats de métiers (craft-unions), qui veillent à ce que certaines tâches, associées à l’exercice du métier en question, leur soient réservées.

C’est pourquoi, à la lumière de toutes ces différences fondamentales, il est apparu qu’avant même d’envisager la question culturelle, on pouvait avec profit s’attacher à comprendre les modalités concrètes de production de suivi ou d’infraction des règles : elles étaient spécifiques de certaines conceptions organisationnelles. Sous cet angle, Bugey était plus proche deNorth Annaque de Nogent. Nogent se rapprochait deDiablo Canyon. Les lignes de partage culturelles s’embrouillaient.

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Une contingence bien culturelle

Après avoir répondu sur ces éléments factuels, concentrons-nous sur l’analyse stratégique. Si effectivement elle justifie une critique des cultura- listes, il nous semble que ce n’est pas à cause de son refus de prendre en compte le phénomène culturel comme matrice de sens, mais plutôt à cause de ses attendus empiriques. Ainsi, contrairement à ce qu’avancent les partisans de l’analyse stratégique et ce que leur prête Philippe d’Iribarne, la contin- gence qu’ils accordent aux jeux d’acteurs est en réalité limitée.

Il y a quelque temps, à la demande de Henri Mendras, nous avions écrit un texte – « L’analyse stratégique à l’épreuve de l’Amérique » (2000) – qui rendait compte des surprises de notre parcours. Nous y précisions comment notre détour par les États-Unis nous avait finalement instruite du fait que l’analyse stratégique était, en réalité, une théorie culturellement située.

Dans les années cinquante, Michel Crozier avait été influencé par les grandes enquêtes de terrain américaines et les avait ensuite introduites en France. Si, aux États-Unis, la sociologie s’était quelque peu éloignée de ce canon, préférant un ancrage théorique sans cesse plus encyclopédique, le terrain ne servant plus qu’à tester des hypothèses théoriques, la maison de la rue Amélie avait maintenu le dogme et « le terrain avant tout » était resté la loi. La discussion serrée de la littérature demeurait secondaire. Forgée au cœur de la bureaucratie et des grandes entreprises industrielles françaises, l’analyse stratégique s’est retrouvée bornée par ses terrains originels. Elle a fini par ériger en loi universelle des régularités toutes contingentes. Paradoxa- lement, la multiplication des terrains n’a pas joué en la faveur d’un élargisse- ment théorique. Et Iribarne a raison quand il affirme que l’attention exclusive à la contingence des jeux d’acteurs prive souvent d’une mise en perspective des données empiriques.

C’est ainsi que l’analyse stratégique telle qu’elle était enseignée véhiculait des hypothèses fortes sur la manière dont les acteurs devaient exercer leur autonomie : le contournement à la règle, son ajustement permanent dans l’opacité étaient progressivement devenus une norme sociale, que l’apprenti sociologue devait retrouver sous tous les cieux et dans tous les univers, quels qu’ils soient. L’écart, dûment constaté, entre le prescrit et le réel permettait de vérifier cette loi sociale, ad nauseam.

Les années ayant passé, il nous semble aujourd’hui que cette vision domi- nante a empêché les praticiens de l’analyse stratégique de continuer à docu- menter, systématiquement, à la fois les conditions sociales et politiques de la production des écarts et celles de l’élaboration des cadres formels ou de la

«formality» dirait Arthur Stinchcombe (2001). Ce faisant, elle a délaissé toute discussion critique sur les pathologies organisationnelles éventuelles qui leur sont associées. Or certaines régulations sociales sont plus « dange- reuses » que d’autres. Finalement, c’est tout un pan de l’analyse des organisa- tions, tant dans la comparaison de leurs conceptions que dans celle de leurs fonctionnements, qui a été négligé. L’analyse stratégique telle qu’elle est 174

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traditionnellement pratiquée s’arrête toujours au moment où se pose la ques- tion de l’objectivation des coûts induits par telle ou telle régulation sociale.

Le refus de ses fondateurs d’articuler les constats analytiques avec une réflexion à la fois sur les faiblesses et les forces des modèles décryptés a empêché l’émergence d’une prospective sociologique réaliste – prospective qui serait agnostique quant aux résultats, mais lucide sur leurs implications.

La question de la déviance dans les univers à risque

Enfin la contribution de la culture n’était pas notre question de recherche de départ. Ce qui nous importait c’était de comprendre les facteurs influen- çant les phénomènes de suivi et de transgression des règles. Ainsi, dans ces univers fortement régulés, comportant des risques importants en cas d’erreurs, contrairement aux attendus de l’analyse stratégique, le contournement systé- matique des règles n’était pas toujours vérifié. De même leur suivi strict, fruit d’une sécurité procéduralea priori, rêve de technicien, éloigné des réalités du terrain, ne se vérifiait pas plus. Le travail des personnels était très fortement contraint par deux éléments-clés : 1) la latitude qu’ils avaient (ou pas) de pouvoir modifier officiellement les règles quand ils ne pouvaient pas les appliquer en l’état ; 2) le degré d’implication formelle (ou son absence) dans le processus de création des règles elles-mêmes. Ainsi, plus les personnels étaient associés à la définition, à la validation et à la modification des règles de travail, moins ils transgressaient. Enfin, plus les acteurs étaient associés à la définition des règles, moins elles étaient éloignées de la réalité du terrain.

Cette question de la déviance est au cœur des réflexions sur ce que l’on appelle les « violations nécessaires » (Reason, 1987) ou la « normalisation de la déviance » (Vaughan, 1996), c’est-à-dire des phénomènes qui sont induits par les choix organisationnels et – pourquoi ne pas le dire – par le type de culture qui s’y développe. Y-a-t-il des organisations qui sont plus inductrices d’erreurs, de violations, de transgressions que d’autres ? Quels pourraient être les fondements d’une évaluation sociologique des phénomènes de contourne- ment et de suivi des règles dans ces univers ? Comment pourrait-on mieux comprendre la contribution relative de ces phénomènes à la sécurité de l’ensemble ? Telles sont quelques-unes des questions qui continuent de nous intéresser aujourd’hui.

L’analyse sociologique que nous pratiquons permet d’interroger les liens entre conceptions organisationnelles et pratiques au travail. Elle permet de penser les coûts induits, de façon la plus large possible, par tel ou tel choix d’organisation en anticipant sur ces évolutions possibles. Dans les univers à risque aujourd’hui, les attentes vis-à-vis de cette exigence de prospective sociologique grandissent. Nous pensons qu’il est possible d’y répondre avec les armes de l’analyse sociologique des organisations, à condition de s’astreindre à penser le coût des régulations en place et d’imaginer celui d’alternatives à construire.

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C’est pourquoi nous restons attachée à une pratique modeste de la socio- logie. Il est difficile de bien comprendre les ressorts de sa propre culture et de se prémunir des effets insidieux de l’ethnocentrisme. L’enquête de terrain dans d’autres pays permet presque toujours cette prise de distance minimale avec des phénomènes que l’on a appris à considérer comme normaux. Les terrains fouillés de l’analyse stratégique, mais disons plus généralement de l’anthropologie organisationnelle, sont encore notre meilleure chance d’échapper à une pratique « touristique » du terrain.

Pourtant, malgré cette plongée consistante dans d’autres univers, il nous semble que de bien comprendre les ressorts culturels d’un autre pays est toujours ardu. Philippe d’Iribarne a sans doute la chance de pouvoir naviguer dans des communautés variées (le Maroc, le Mexique…) et de comprendre leurs modalités d’influence sur le fonctionnement des organisations. Pour notre part, bien des éléments que nous avons recueillis et que nous continuons de recueillir en France, aux États-Unis, ou ailleurs restent sinon mystérieux, du moins suffisamment complexes, pour réclamer une interprétation plurielle des phénomènes.

La culture n’est donc pas un impensé, elle reste cependant pour nous un horizon, jalonné par des stations intermédiaires, dont l’étude progressive permet des pas plus assurés vers sa compréhension. En cela, nous serions d’accord avec le cap fixé par Iribarne, c’est-à-dire accéder à une compréhen- sion toujours plus globale des phénomènes sociaux. Mais nous avons des réserves sur le chemin qu’il emprunte. Tenir les postes intermédiaires avant de s’envoler vers les sommets nous paraît une stratégie de recherche empi- rique plus féconde. Elle nous préservera sans doute de toutes les hégémonies réelles ou supposées.

Mathilde BOURRIER

Université de Technologie de Compiègne Département Technologie et Sciences de l’Homme Centre Pierre Guillaumat – BP 60319 – 60203 Compiègne cedex mathilde.bourrier@utc.fr

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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— 2000. – « L’analyse stratégique à l’épreuve de l’Amérique »,Revue Tocqueville,21, 1, pp. 55-61.

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Reason J., 1987. – « The Chernobyl errors », Bulletin of the British psychological society, 40, pp. 201-206.

Stinchcombe A. L., 2001. –When formality works : authority & abstraction in law and organizations, Chicago (Ill.), The University of Chicago Press.

Vaughan D., 1996. –The challenger launch decision, Chicago (Ill.), The University of Chicago Press.

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Revue française de sociologie

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