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La hiérarchie comme management

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Academic year: 2022

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Grosse inquiétude des hôpitaux universitaires.

D’une même voix (chose rare), leurs respon- sables affirment que le nouveau système de fi- nancement hospitalier s’apprête à leur faire perdre plus de 350 millions de francs par an.

Pourquoi les grands hôpitaux seraient-ils les seuls perdants, et pas les autres, les plus pe- tits et les cliniques ? Parce qu’ils prennent en charge les cas complexes que, justement, les institutions de taille inférieure leur transfèrent.

Or, le système suisse de DRG ne tient pas suf- fisamment compte du surcoût lié à ces cas.

Sans compter qu’il ne rémunère pas non plus la formation qu’assurent les hôpitaux universi- taires au profit de tous.

Dans une tribune publiée par Le Temps du 17 avril, Werner Kübler et Olivier Peters, deux responsables d’hôpitaux universitaires, rappel- lent que l’Allemagne, dont le système de DRG a inspiré le nôtre, a affiné son modèle bien au- delà de ce que nous avons choisi de pratiquer.

Ce pays n’est pas le seul : parmi ceux qui utili- sent le système de DRG, la quasi-totalité appli- que des systèmes plus différenciés que le nôtre.

Conclusion de Kübler et Peters : la Suisse doit reprendre en urgence la méthode de pondéra- tion allemande. C’est une éviden ce. Son gou- vernement le déciderait-il (ce qui serait une première étape), notre pays serait trop petit, au plan statistique en particulier, pour affiner les DRG par ses propres moyens.

Absurde, mais surtout typique d’une réforme bâclée, cet épisode suscite trois réflexions.

D’abord, pourquoi les hôpitaux universitaires ne réagissent-ils que maintenant ? Leurs obser- vations pouvaient être faites depuis des années.

Le choix ridicule d’appliquer à la lettre des DRG à peine compensés a été pris par une société, Swiss-DRG AG, dans la plus stricte intimité non démocratique, certes, mais était connu de tous. C’est l’ensemble des hôpitaux et des po- liticiens qui a soutenu l’application, en Suisse, du système de DRG le plus rigoriste, archaï que et fermé à la complexité qui soit.

Ensuite, il ne faut pas oublier que, derrière les DRG se trouve un vaste projet managérial dont la mise à plat de la complexité constitue l’un des buts (cachés, et peut-être même in- conscients). On peut d’ailleurs déjà prédire le discours des caisses maladie, grandes tireu ses de ficelles de ce projet. Ce sera non à l’affine- ment des DRG demandé. Elles vont moucher les grands hôpitaux de leur morale prétentieu se :

«vous parlez de complexité, de cas en majori- té plus lourds chez vous, mais vos jérémiades ne sont que des excuses destinées à éviter la comparabilité et la concurrence». C’est déjà, en substance, la réponse de santésuisse.

On se trouve donc devant le phénomène sui-

vant : plus s’accumulent les couches de ges tion – la société Swiss-DRG représentant l’ultime – plus le système produit sa propre complexité.

Mais une complexité désincarnée, déshuma- nisée. D’où le paradoxe : la complexité de l’en- semble du dispositif gestionnaire ne cesse de croître et, en même temps, la complexité hu- maine et clinique se trouve de moins en moins prise en compte.

Enfin, troisième réflexion : ce qui est menacé, dans ce réductionnisme des critères de rem- boursement, c’est la part fragile et intelligente de la médecine. Tels qu’ils sont con çus, les DRG suisses incitent les hôpitaux à refuser l’admission des patients polymorbides, âgés, gravement malades, vulnérables.

Mais le phénomène de l’emprise gestionnaire ne s’arrête pas aux DRG. D’une manière beau- coup plus profonde, c’est un projet de pouvoir qui s’organise. Car enfin, soyons curieux, fouil- lons un peu le phénomène. Ce qui s’établit, par la pratique même de la simplification, c’est un pouvoir hiérarchique. Dans la version aboutie de la gestion hospitalière, les médecins n’ont plus qu’une place d’exécutants. La plupart des tensions actuelles viennent d’une planification non concertée, d’objectifs niant la complexité, certes. Mais elles procèdent encore davantage d’un pouvoir qui ne s’intéresse plus aux compé- tences et au savoir des professionnels, parce qu’il n’en a plus besoin pour diriger.

Des signes parmi d’autres. Rien que la se- maine dernière, deux groupes de médecins- cadres ont manifesté leur mécontentement face à l’attitude autoritaire de l’administration de leur hôpital. Les médecins-chefs de l’Hôpital Riviera se plaignent de leur «mise sous tutelle» par la direction. A Genève, 57 médecins chefs de ser- vice ont signé une lettre où ils exigent d’être entendus et considérés comme «des parte- naires à part entière» dans la procédure de recrutement du nouveau directeur des HUG.

La tendance du système hospitalier est au ren- forcement de la hiérarchie (l’ambulatoire aussi : c’est une autre histoire). Mais, comme l’expli- quent deux excellents penseurs des métho- des de gestion, Alain Dupuis et Luc Farinas, la hiérarchie classique ne suffit pas lorsqu’il s’agit de gouverner un grand nombre de person nes.1 A la supervision directe, le système, pour assu- rer le contrôle, doit ajouter une bureaucratie : normalisation des processus et des résultats, plans, règlements, cibles quantifiées, indica- teurs, benchmarking, etc.

En découle une autorité puissante, brandis- sant sans cesse des chiffres, mais en réalité dénuée de justification. Prenant appui sur de nombreux travaux, Dupuis et Farinas montrent

en effet que ce type d’organisation hiérarchi- que et mécaniste n’a d’efficacité prouvée que dans le cadre très précis de tâches répétiti- ves, stables et faciles à mesurer. Cadre auquel n’appartient évidemment pas la médecine avec ses pratiques complexes, ambiguës, incertai- nes, sa science mouvante et ses limites en perpétuel changement. Autrement dit, le «ma- nagérialisme» – fondé sur le hiérarchisme et l’approche mécaniste – n’a pas d’argument ra- tionnel pour s’exercer dans le domaine médi- cal. Sans compter qu’il ne permet absolument pas à l’organisation clinique dans ses dévelop- pements éthiques les plus récents – en parti- culier à la codécision soignant-patient – de se déployer.

D’autres types de systèmes organisationnels se montrent plus adéquats, affirment Dupuis et Farinas : le modèle professionnaliste et organi- que en particulier. Dans ce modèle, soignants et administrateurs sont considérés comme des pairs «porteurs de la mission et conjointement responsables de sa réalisation». Cette collabo- ration semble une évidence : une médecine efficiente et de qualité a besoin du jugement constant des soignants. Ce qui requiert de faire appel à leur collégialité et à leur profes- sionnalisme. C’est d’abord par conviction qu’un soignant doit agir et «non pour répondre aux commandes d’un dirigeant». Une forme d’obéis- sance est certes nécessaire à la bonne mar che de l’ensemble, mais son fondement ne peut être que professionnel (respectant les compé- tences et le savoir) et éthique (basé sur des va- leurs partagées et sans cesse discutées).

Un des dangers des techniques de manage- ment, c’est qu’elles permettent une fuite hors de la réalité. La gestion par les résultats, le rende- ment et les indicateurs mesurables revient à une sorte de contrôle «à distance», sans que soit nécessaire de comprendre ce que font les soignants. Elle constitue un gigantesque dis- positif de pouvoir, aux conséquences contrai- gnantes pour les collaborateurs. Elle donne toujours plus d’assurance à des dirigeants qui ne se rendent plus compte qu’ils sont décon- nectés de la vie de ceux dont ils se disent res- ponsables. C’est de cela – de cette hiérarchie infondée, de cette dépersonnalisation crois- sante – dont souffrent les médecins hospita- liers suisses.

Bertrand Kiefer

Bloc-notes

1032 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 9 mai 2012

1 Dupuis A, Farinas L. Une critique des modes managé- rialistes dans la gestion des organisations de services humains complexes de santé et de services sociaux.

Cahier de recherche du Cergo, 2009. http://benhur.

teluq.uqam.ca/SPIP/cergo/IMG/pdf/Cahier_du_

Cergo_2009-02.pdf

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