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La pointeuse à l’épreuve de la dilatation des temps dans la grande distribution

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Academic year: 2022

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La pointeuse à l'épreuve de la dilatation des temps dans la grande distribution

CIANFERONI, Nicola

Abstract

Les fonctions d'encadrement qui n'enregistrent pas le temps de travail connaissent un allongement de ce dernier. Une étude dans la grande distribution en Suisse révèle cependant que la dilatation du temps de travail des cadres est liée au fonctionnement des magasins et à la coordination des flux de clients et de marchandises, dans une entreprise où les activités productives sont éclatées et décentralisées. Le travail amené à la maison ou la fatigue accumulée ont pour conséquence de placer les cadres sous tension. Ainsi, la dilatation du temps de travail et la fragmentation des activités productives présupposent une division inégalitaire du travail domestique entre les sexes et implique un « coût social » en termes de renoncement à la vie sociale et familiale. Si l'abolition de la pointeuse n'apparaît pas comme étant la cause de l'allongement du temps de travail, cet outil de mesure n'est pas sans enjeux, car son absence permet d'occulter ce phénomène. Les contraintes sociales sont intériorisées sous la forme de choix personnels et favorisent l'apparition d'une forme de fatalisme qui semble [...]

CIANFERONI, Nicola. La pointeuse à l'épreuve de la dilatation des temps dans la grande distribution. Temporalités , 2020, no. 31-32

DOI : 10.4000/temporalites.7685

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:149154

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Temporalités

Revue de sciences sociales et humaines

31-32 | 2020

Durée de l’activité et fragmentations du travail

La pointeuse à l’épreuve de la

dilatation des temps dans la grande distribution

The time clock and time dilatation in supermarkets

El reloj checador ante la dilatación de los tiempos en la gran distribución

Nʋʅʑʎʃ Cʋʃʐʈʇʔʑʐʋ

https://doi.org/10.4000/temporalites.7685

Résumés

Français English Español

Les fonctions d’encadrement qui n’enregistrent pas le temps de travail connaissent un allongement de ce dernier. Une étude dans la grande distribution en Suisse révèle cependant que la dilatation du temps de travail des cadres est liée au fonctionnement des magasins et à la coordination des flux de clients et de marchandises, dans une entreprise où les activités productives sont éclatées et décentralisées. Le travail amené à la maison ou la fatigue accumulée ont pour conséquence de placer les cadres sous tension.

Ainsi, la dilatation du temps de travail et la fragmentation des activités productives présupposent une division inégalitaire du travail domestique entre les sexes et implique un « coût social » en termes de renoncement à la vie sociale et familiale. Si l’abolition de la pointeuse n’apparaît pas comme étant la cause de l’allongement du temps de travail, cet outil de mesure n’est pas sans enjeux, car son absence permet d’occulter ce phénomène. Les contraintes sociales sont intériorisées sous la forme de choix personnels et favorisent l’apparition d’une forme de fatalisme qui semble s’imposer aux individus. Nous apportons trois explications à ce phénomène : l’idéologie de genre traditionnelle, la disponibilité temporelle corporative et/ou professionnelle spécifique aux cadres et la faiblesse structurelle du syndicalisme.

Managers that do not record their hours are experiencing an extension of working time. However, a study on retail reveals that longer working hours are related to the grocery stores functioning and the coordination of customers’ and goods’ flows. All production activities are fragmented and decentralized in a retail company. Work brought home combined with the accumulated fatigue put families under stress.

Thus, the expansion of working time and the fragmentation of productive activities presupposes an unequal division of domestic work between genders and implies a "social cost" in terms of giving up social and family life. While the abolition of the time clock does not appear to be the cause of longer working hours, the absence of a time clock is not without stakes, as that conceals this phenomenon and encourages its internalization by the managers in the form of personal choices. Social constraints are internalized and encourage the emergence of a form of fatalism that seems to be imposed to individuals.

We suggest three explanations for this phenomenon: traditional gender ideology, the specific corporate and/or professional time availability for managers, and the structural weakness of trade-unions.

Los oficios y funciones de management que no registran el tiempo de trabajo están advirtiendo un aumento en este último. Gracias a un estudio realizado en una empresa de la gran distribución suiza, donde las actividades productivas están fragmentadas y descentralizadas, vemos que la ampliación de la jornada laboral de los ejecutivos está ligada al funcionamiento singular de las tiendas y a la coordinación del flujo de clientes y mercancías. El trabajo que se llevan a casa, o el cansancio acumulado, ponen en

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tensión a los ejecutivos. Así, la dilatación del tiempo de trabajo y la fragmentación de las actividades productivas presuponen no solo una división desigual del trabajo doméstico entre sexos, sino que implican también un “costo social” en términos de retraimiento de la vida social y familiar. Si bien la abolición del reloj checador no parece ser la causa del alargamiento de la jornada laboral, puede notarse que la ausencia de dicha herramienta permite ocultar el fenómeno. Las presiones sociales se internalizan bajo la forma de elecciones personales que favorecen, en los individuos, el surgimiento de cierto fatalismo. Aportamos aquí tres elementos explicativos del fenómeno: la ideología tradicionalista de género, la disponibilidad temporal empresarial y / o profesional específica de los ejecutivos y la debilidad estructural del sindicalismo en el sector.

Entrées d’index

Index de mots-clés : cadres, fragmentation du travail, grande distribution, pointeuse, temps de travail Index by key word: fragmentation of activities, management, retail, time clock, working time

Indice de palabras clave: ejecutivos, fragmentación, gran distribución, reloj checador, tiempo de trabajo

Texte intégral

Introduction

La pointeuse est un dispositif technique dont les origines remontent à la Révolution industrielle. Elle a été introduite pour permettre l’exercice d’un contrôle social sur le temps de travail dans la production. Les deux parties liées au contrat de travail peuvent vérifier le respect des heures comptabilisées par une horloge. L’État, par le biais de ses inspecteurs, peut vérifier le respect des limites légales à la durée du travail. Alors que l’arrêt du 14 mai 2019 de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rend obligatoire l’enregistrement du temps de travail dans les entreprises1, la Suisse connaît une évolution inverse. Dans ce pays, l’enregistrement du temps de travail est certes obligatoire2, mais un régime dérogatoire existe depuis le 1er janvier 2016. Les catégories du personnel bénéficiant d’une grande autonomie dans l’organisation de leur travail et des horaires peuvent désormais effectuer, sous certaines conditions, un enregistrement simplifié du temps de travail ou renoncer complètement à la saisie des heures.

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Les cadres et les travailleurs qualifiés sont les principaux concernés par ces nouvelles dispositions3. Une enquête par questionnaire menée dans huit entreprises et prenant en compte l’avis de 2 013 personnes met en évidence que « le nombre d’heures de travail hebdomadaires habituellement prestées est fortement lié aux modalités d’enregistrement du temps de travail » (Bonvin, Cianferoni et Kempeneers, 2019). Les répondants qui renoncent à la pointeuse travaillent en moyenne 3,9 heures de plus que ceux qui enregistrent systématiquement le temps de travail. Comment expliquer qu’un allongement substantiel du temps de travail intervienne en l’absence d’un système de contrôle ? Quel est l’impact de cette dilatation du temps de travail sur la coordination des flux de clients et de marchandises placés en tension ? Quel rôle l’absence de la pointeuse joue-t-elle dans ce contexte ? À l’appui d’une étude de cas dans la grande distribution suisse, nous allons discuter l’hypothèse selon laquelle l’absence de la pointeuse peut être acceptée ou même revendiquée lorsque le temps de travail devient la variable d’ajustement pour la coordination des flux mis en tension, comme c’est le cas des clients et marchandises dans les magasins. Cet ajustement se donne à voir non seulement sur l’irrégularité des temps de travail des employés, mais surtout sur le temps de travail de l’encadrement intermédiaire.

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La grande distribution est emblématique des nouvelles réalités que connaît le monde du travail, entre pressions temporelles et production de marchandises à flux tendu (Durand, 2004). Ses origines plongent dans les prémisses de la consommation de masse (Chessel et Chatriot, 2006), mais elle n’adopte les préceptes de la production industrielle qu’à partir de la période fordiste avec la croissance démographique, l’urbanisation et la hausse du pouvoir d’achat (Moati, 2001). Un détour par le fonctionnement de la grande distribution permet de comprendre ce phénomène de dilatation du temps de travail et son impact sur la coordination des flux de clients et de marchandises placés en tension. Nous proposons de le faire par l’analyse des durées du temps de travail pour les fonctions d’encadrement.

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Nous avons enquêté dans neuf magasins, basés dans le canton de Genève, appartenant à deux enseignes de la grande distribution suisse4. Tous relèvent de la distribution alimentaire

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Les enjeux autour de la pointeuse dans une organisation à flux tendu

La fonction sociale de la pointeuse

à une exception près. Les emplois féminins représentent 55 % des emplois dans les deux entreprises. Nous avons rencontré en tout 78 personnes de tous échelons hiérarchiques entre 2012 et 2013. Les gérants ont mis à notre disposition un groupe de travailleurs qu’ils estimaient représentatifs de leur magasin, en respectant un juste équilibre entre sexe, âge et fonction (d’encadrement ou de représentation du personnel). Deux entretiens ont été organisés directement avec le syndicat sans qu’en ait été informée la direction des entreprises, afin de préserver le caractère indépendant de la recherche. Parmi les personnes exerçant une fonction hiérarchique figurent neuf gérants et un adjoint (dont une seule femme) et douze chefs d’équipe (huit hommes et quatre femmes). La grande majorité des cadres sont des hommes recrutés au sein même des entreprises, d’abord comme chefs d’équipe, puis comme adjoints ou gérants. La part des femmes est très faible dans les fonctions d’encadrement.

Nous présenterons dans la première partie la fonction de la pointeuse comme outil technique de contrôle du temps de travail en le resituant dans son contexte social, de façon à présenter l’organisation du travail spécifique à la grande distribution. Ensuite, nous décrirons l’activité des fonctions d’encadrement, c’est-à-dire les gérants et les chefs d’équipe. Leurs récits mettent en évidence le fait que l’allongement du temps de travail résulte de la nécessité d’assurer le fonctionnement des magasins et la coordination des flux de clients et de marchandises. Enfin, nous verrons que la dilatation du temps de travail et la fragmentation des activités productives présupposent une division inégalitaire du travail domestique entre les sexes et implique un « coût social » en termes de renoncement à la vie sociale et familiale.

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Définissons tout d’abord la fonction sociale de la pointeuse dans la mesure du temps de travail par rapport à son contexte social. Cet outil technique pour le contrôle du temps de travail naît lors de la Révolution industrielle et persiste longtemps dans le monde du travail.

L’enregistrement du temps de travail et les dérogations introduites pour certaines catégories du personnel ne sont pas anodins lorsqu’ils concernent une organisation du travail complexe, nécessitant la coordination de flux en tension et soumise aux contraintes de la rentabilité. La coordination d'espaces éclatés, la circulation simultanée de marchandises et de clients, ainsi que la diminution des ressources à disposition des équipes de travail placent toute l’organisation productive sous une tension constante et exercent des pressions conduisant à l’allongement du temps de travail. C’est dans ce contexte de dilatation des temps et de fragmentation des activités productives que nous allons discuter les enjeux posés par la pointeuse et son absence.

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Si la notion du temps n’apparaît qu’à partir du moment où les hommes et les femmes se sédentarisent pour produire leur propre subsistance (Elias, 1997), c’est avec la modernisation des sociétés que le rapport au temps devient l’un des éléments centraux de la vie sociale, notamment avec l’intériorisation des contraintes qui lui sont associées dans le cadre des activités productives (Grossin, 1969). La naissance de la pointeuse et son usage pour la mesure du travail sont indissociables de l’existence et de la diffusion des horloges permettant de mesurer le temps (Maitte et Terrier, 2012). Avec la Révolution industrielle, la mécanisation massive de la production nécessite la mobilisation d’une main-d’œuvre de plus en plus nombreuse, synchronisée et régulière. Ce processus favorise l’émergence d’un temps abstrait, homogène et comptabilisé (Weber, 2003 [1921], 2004 [1905]). L’indiscipline des ouvriers envers leur travail conduit le patronat à imposer une discipline basée sur le respect des dispositifs de mesure du temps (Thompson, 2004). Au ʚʋʚe siècle, lorsque le capital s’impose jusqu’à dicter les rythmes du travail aux ouvriers, ces derniers l’associent aux machines (Marx, 1999 [1873]). Le contrôle du temps de travail que permet la pointeuse s’inscrit durant cette période dans la nécessité de discipliner la main-d’œuvre industrielle.

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Ce n’est qu’aujourd’hui que la pointeuse devient l’objet d’une controverse. Les associations patronales estiment que l’enregistrement du temps de travail est devenu anachronique et

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L’organisation productive éclatée de la grande distribution

entrave l’organisation du travail avec des horaires flexibles. Les syndicats estiment en revanche que seul ce dispositif permet de contrôler et prévenir les risques pour la santé des travailleurs5. Une étude par questionnaire montre que l’allongement du temps de travail concerne davantage les catégories du personnel qui ne pointent plus leurs heures. Pour savoir dans quelle mesure c’est l’absence de cet outil technique qui favorise ces pratiques, il est nécessaire de prendre en compte les transformations de l’organisation du travail. Depuis le développement des services (Gadrey, 2003) et l’éclatement des activités productives autour de réseaux (Durand, 2004), le capital ne s’incarne plus dans une figure clairement identifiable. C’est désormais toute l’organisation du travail, éclatée et impersonnelle, qui exerce sa domination sur les travailleurs (Rolle, 1997). Dans une production fluctuante et irrégulière, le temps de travail est considéré comme une variable d’ajustement au même titre que les emplois (Pedaci, 2010). La flexibilité des horaires est synonyme d’exigence de disponibilité temporelle (Alaluf, 2000 ; Martinez, 2011). Les nouvelles contraintes liées à l’exercice d’une activité professionnelle rendent de plus en plus difficile l’articulation des sphères temporelles et géographiques. Le maintien et la coordination des flux exercent des fortes pressions, notamment sur les fonctions d’encadrement (Bouffartigue, 2012), ce qui contraint les cadres à agir sur la durée de leur temps de travail pour assurer la coordination des flux mis en tension.

L’organisation du travail de la grande distribution est inspirée des préceptes développés dans l’industrie automobile, où la production n’est plus concentrée sur un seul site (Koichi, 1999). La production prend un caractère à la fois « diffus » (diffusion à travers tout l’espace social avec le développement de la sous-traitance), « fluide » (automatisation de la production basée sur les principes du flux tendu) et « flexible » (adaptation de la production aux variations de la demande sur le marché). Cependant, l’éclatement des activités productives est supérieur dans la grande distribution en raison de nombreuses filiales permettant une distribution décentralisée des marchandises sur un vaste territoire6. Chaque magasin constitue l’unité d’un vaste réseau, un segment relié à une « chaîne invisible », où chaque pièce circule juste-à-temps, nécessitant une mobilisation permanente des cadres et des travailleurs pour assurer que le flux ne soit jamais interrompu (Durand, 2004). Les marges de manœuvre de cette organisation du travail sont par définition très restreintes.

Presque toute la marchandise est achetée par une centrale d’achat qui la distribue aux unités de vente par trains ou camions7. Les magasins reçoivent quotidiennement entre deux et six livraisons, réparties entre le matin et l’après-midi. Le nombre de livraisons dépend du volume des marchandises, mais aussi de la taille et de l’emplacement des magasins. Un seul concept de mise en rayon des articles est prévu par la direction de l’entreprise. Il en est de même avec les prix : leur fixation centralisée au niveau du groupe contribue au déploiement de campagnes publicitaires à l’échelle nationale.

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L’application des principes de la production flexible à la grande distribution permet d’accélérer le roulement des produits, car le volume de la marchandise multiplié par sa vitesse d'écoulement est le facteur déterminant de la rentabilité. Le flux des marchandises repose sur un degré d’automatisation qui varie selon les produits et sur un système d’approvisionnement combinant commandes manuelles et automatiques. Les espaces laissés à l’initiative du personnel se limitent aux animations ainsi qu’à la mise en avant des produits susceptibles d’attirer la clientèle, comme par exemple les parapluies les jours de pluie.

L’indicateur essentiel pour la gestion des magasins est le chiffre d’affaires. Il détermine en dernière instance les produits proposés à la clientèle et leur disposition dans les magasins, mais aussi les effectifs en personnel dont dispose le gérant. Les tableaux d’affichage dans les magasins, les rapports d’activité des gérants à la direction, ainsi que la récurrence de cette thématique dans le discours des cadres (et parfois des travailleurs) témoignent du suivi presque obsessionnel du chiffre d’affaires. L’attention portée à cet indicateur va jusqu’au moindre détail, c’est-à-dire qu’il inclut chaque magasin, rayon et produit.

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Le chiffre d’affaires ne représente cependant qu’une face de la médaille, l’autre étant la masse salariale. Dans la mesure où le marché tend à devenir plus concurrentiel, sans grandes perspectives de croissance à moyen terme, la rentabilité des magasins passe notamment par la réduction des coûts, sachant que la masse salariale représente environ 80 % des frais

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La durée du travail des gérants et chefs d’équipe

Une durée de travail sans limites pour les gérants ?

généraux. En raison d’une automatisation encore faible comparée à d’autres secteurs économiques, la main-d’œuvre de la grande distribution constitue toujours une part largement majoritaire des coûts d’exploitation. C’est par la baisse des effectifs, la flexibilité des horaires, la diversité des statuts du personnel et l’introduction de la polyvalence que la restructuration se déploie dans les magasins. Les gérants et chefs d’équipe sont les plus exposés à la pression de l’organisation productive en raison de leurs responsabilités. Compte tenu de la limitation des ressources disponibles et de la marge de manœuvre très limitée, le temps de travail constitue la variable d’ajustement qu’ils privilégient pour assurer le fonctionnement des magasins et la coordination des flux à moindre coût.

Les gérants et chefs d’équipe des magasins ont en commun de devoir prendre en charge des fonctions liées à l’encadrement. La plupart dispose d’un certificat fédéral de capacité, soit d’un niveau de formation équivalent au suivi de l’école obligatoire et d’une formation professionnelle duale en entreprise. Cela signifie que l’encadrement est constitué sur la base des mécanismes de recrutement internes à l’entreprise et que les fonctions de gérants et chefs d’équipe représentent une ascension sociale. Néanmoins, les salaires restent bas comparés à des fonctions comparables dans d’autres branches. Les journées de travail des cadres sont plus longues par rapport à celles des travailleurs sans fonction hiérarchique et sont fixées compte tenu des horaires d’ouverture du magasin où ils sont affectés. Les cadres ont des responsabilités sur un magasin entier, gèrent les budgets, peuvent engager ou licencier du personnel et bénéficient d’une rémunération plus élevée. Le genre masculin est presque exclusif dans cette fonction. La responsabilité des chefs d’équipe est limitée à un rayon et à sa gestion. Nous centrons notre attention sur ces deux catégories parce qu’elles sont particulièrement concernées par la dilatation du temps de travail, à la différence des travailleurs sans fonction hiérarchique (Cianferoni, 2019). Parmi les chefs d’équipe, on retrouve autant d’hommes que de femmes. Chacune de ces deux catégories du personnel est confrontée à une dilatation du temps de travail mais selon des modalités différentes.

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Les gérants sont chargés de la conduite des magasins. Ils peuvent compter, parfois, sur l’appui d’un ou plusieurs adjoints. Cette catégorie du personnel n’est pas soumise aux dispositions de la convention collective de travail (CCT) et bénéficie d’un statut de cadre au sein de l’entreprise, au même titre que certains chefs d’équipe dans les plus grandes surfaces de vente8. La durée du travail hebdomadaire maximale est fixée par la loi à 45 heures. Le cahier des charges des gérants comprend la direction et le contrôle des opérations, la gestion des finances et des effectifs, les entretiens d'évaluation et le management des absences. La conduite des opérations requiert une présence constante dans la surface de vente. Le chiffre d’affaires d’un magasin est comparable à celui d’une petite ou moyenne entreprise. Or comme celui-ci dépend de la taille du magasin, le statut social du gérant est généralement proportionnel à la surface de vente.

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Les gérants jouissent d’une certaine autonomie dans la conduite des activités. Leurs pratiques se rapprochent d’une norme temporelle dite autonome, qui concerne notamment certaines professions libérales et intellectuelles, les ouvriers très qualifiés ainsi que les cadres (Bouffartigue, 2012). L’autonomie organisationnelle de ces professions leur permet de gérer les contraintes d’un temps de travail non encadré, mais en bénéficiant d’une reconnaissance salariale et d’une plus grande autonomie. Une semaine de vacances supplémentaire est prévue pour les cadres à titre de compensation forfaitaire pour les heures supplémentaires effectuées9. Il n’en reste pas moins que les contraintes organisationnelles impliquent de longues journées et semaines de travail. Les témoignages recueillis laissent entendre qu’en dépit de l’autonomie dont bénéficient les gérants, la maîtrise des temporalités est très limitée.

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Les longues journées sont le quotidien de la plupart des gérants. Il est courant qu’ils travaillent le samedi, où l’affluence est la plus élevée. Leur entrée en service le matin s’effectue généralement une à deux heures avant l’ouverture du magasin. Ils quittent

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On fait beaucoup d’heures de travail en tant que cadre. Moi, le minimum, c'est 50 heures par semaine en moyenne officieuse, parce qu'officiellement, je fais mon planning horaire avec 45 heures ou 46 heures. Après, on est [toujours] disponibles. Moi, je prends deux heures pour manger, [parfois] qu'une heure, et c'est tout. Et puis, même si je veux partir à 17 heures, eh bien, je pars à 18 heures [Gérant, 43 ans]

Je n’ai pas besoin d’une nocturne pour terminer le travail à 22 heures10. Ça m’arrive souvent. [rire] Je n’arrive [pas] à partir avant, tellement il y a de choses à faire. Tout ce qui n’a pas été fait correctement, comme les contrôles. Je fais le tour du magasin, ce qui me permet de voir les choses de manière beaucoup plus calme. Pour partir tranquille, être serein et dormir. On est obligés. Je prends sur moi quelqu’un qui est malade, qu’il faut remplacer. On ne peut pas [embaucher] quelqu’un de plus et dépasser les budgets. On prend sur nous tous les aléas en travaillant plus. [Gérant, 40 ans]

J’essaie de compenser en étant plus performant au niveau de l’organisation à tous les niveaux. Je fais des efforts supplémentaires pour travailler sur moi. Ça demande une hygiène de vie et un travail sur soi. On est obligés psychologiquement. On ne peut pas se permettre d’arriver ici avec la tête fatiguée ou en ayant peu dormi, sinon on prend un retard de trois jours. […] Le soir, c’est se coucher direct, puis on repart [le lendemain].

[Gérant, 40 ans]

Le statut zéro [pointeuse] c'est bien beau mais ce sont les entreprises qui gagnent. Quand vous êtes cadre, ça veut dire que les heures, on va les faire et elles ne seront pas payées.

[…] Il y en a [aussi] qui ne badgent pas et ne travaillent pas 41 heures dans la semaine.

Mais le badgeage pour moi, c'est visible, c'est tangible, on le voit, c'est badgé. Si vous faites 30 heures [supplémentaires], on vous les rendra. [Gérant, 64 ans]

Les chefs d’équipe entre le marteau et l’enclume

rarement les lieux avant la fermeture, y compris le jeudi quand les commerces sont autorisés à fermer leurs portes à 21 heures. La plupart des entretiens avec les gérants indiquent que la durée effective du travail se situe entre 45 et 55 heures. La pression qu’ils subissent est variable. Elle dépend autant de la situation propre au magasin que de la possibilité de déléguer des responsabilités aux adjoints et aux chefs d’équipe. De manière générale, le nombre d’heures travaillées est plus élevé dans les petits magasins où, comme en témoigne un gérant, la semaine de 50 heures apparaît courante. La durée du travail effective dépasse généralement les heures prévues dans son planning horaire. Sa disponibilité au sein du magasin est permanente.

Les gérants terminent couramment leur travail après la fermeture du magasin. L’un d’entre eux déclare rester parfois jusqu’à 22 heures La réduction des effectifs décidée par la direction de l’entreprise le contraint à donner la priorité aux tâches de manutention durant les heures d’ouverture du magasin. Il estime avoir atteint le seuil de pression maximal qu’il peut exercer sur le personnel sans déclencher une révolte. C’est à lui de faire face, en dernière instance, aux défaillances liées aux dysfonctionnements créés par la baisse des effectifs. Il ne peut se consacrer aux tâches administratives et de gestion qu’après la fermeture du magasin, ne disposant pas du temps nécessaire durant la journée.

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Les pressions conduisent ce gérant à dépasser ses limites dans la recherche d’une efficacité maximale. Il se considère comme la seule variable d’ajustement dans le magasin, l’organisation du travail étant devenue, pour lui, inflexible. Son principal enjeu consiste à ne pas cumuler des retards durant la semaine sous peine de compromettre le dimanche, seul jour consacré au repos et aux activités familiales.

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Un autre gérant estime que le non-enregistrement du temps de travail est à l’avantage de l’employeur, même s’il pense que certains cadres travaillent moins de 41 heures par semaine.

Le fait de ne pas compter le temps de travail est censé être synonyme de liberté et représenter une promotion sociale. Ce gérant n'y voit toutefois pas d'avantages. Il considère que ses 48 heures hebdomadaires ne sont pas entièrement reconnues et dûment compensées. Le contrat de travail apparaît ainsi fragilisé et confus : la durée du travail devient en quelque sorte indéterminée en l’absence d’une pointeuse.

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Au moment de notre étude, ces pratiques de non-enregistrement du temps de travail étaient illégales. Un régime dérogatoire destiné aux cadres et travailleurs qualifiés n’existe que depuis le 1er janvier 20161 1.

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On va travailler les heures qu'il faut pour réaliser le travail. […] [Cela] dépend des semaines, des actions, si toute l'équipe est là ou pas, s’il y a des malades, s'il y en a en vacances. Ça fluctue tout au long de l'année, mais il y a effectivement une moyenne, elle est de 41 heures. C'est une moyenne théorique. De toute façon, personnellement, en tant que [cheffe d’équipe], je ne me vois pas de faire 41 heures par semaine. [Cheffe d’équipe, 40 ans]

Les chefs d’équipe sont aussi concernés par les heures supplémentaires, mais dans des proportions plus faibles. La pression que l’organisation du travail exerce sur eux est différente de celle des gérants. Une explication réside dans le fait que leur fonction n’exige pas de porter la responsabilité d’un magasin entier. Ils s’occupent généralement d’un seul rayon et ne gèrent pas le personnel avec les mêmes prérogatives que les gérants.

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Les chefs d’équipe exercent une fonction d’encadrement située au niveau intermédiaire de la hiérarchie. Ils ne bénéficient pas du statut de cadre et sont soumis, au même titre que le personnel sans fonction hiérarchique, aux dispositions réglementaires prévues par la CCT.

Dans les deux enseignes que nous avons étudiées, la durée hebdomadaire du travail est fixée à 41 heures (sans inclure les pauses pour le repas ou le café, qui ne sont pas rémunérées, à l’exception du jour de la nocturne, quand les commerces ferment à 21 heures). Les responsabilités des chefs d’équipe incluent l’organisation des horaires du personnel, la gestion des commandes, le suivi du chiffre d’affaires, la bonne tenue du rayon et la surveillance du personnel. Ils ont pour mission de transmettre les ordres du gérant aux travailleurs, d’assurer la circulation de l’information au sein du magasin et de fixer les horaires du personnel. Ils sont également en première ligne, avec les gérants, pour faire face aux défaillances pouvant émerger dans le fonctionnement du magasin. Les tâches liées à la gestion du personnel ne représentent qu’une partie restreinte de leur activité, tandis que la plupart de leur charge de travail (environ 80 à 90 %) est dédiée à des tâches de manutention.

Cette proportion varie selon les besoins du rayon et les circonstances du jour.

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Aussi, la plupart des chefs d’équipes déclarent travailler un peu plus que les 41 heures fixées par la CCT, mais tout de même moins longtemps que les gérants. Le seuil maximal se situe à 45-47 heures par semaine. Les chefs d’équipe disposent d’horaires comparables à ceux des travailleurs sans fonction hiérarchique, à la différence des gérants qui commencent plus tôt et terminent le travail plus tard. Cependant, les chefs d’équipe travaillent davantage le soir (pour les magasins qui effectuent les nocturnes) et le samedi. Durant ces plages horaires, ils peuvent également prendre la responsabilité de plusieurs rayons : ceci permet d’assurer une présence constante de la hiérarchie durant toutes les heures d’ouverture du magasin, y compris celles atypiques. Une cheffe d’équipe estime que les responsabilités dans la gestion d’un rayon et la conduite du personnel exercent une pression sur la durée du travail. Pour elle, le nombre d’heures nécessaires pour effectuer le travail est incompressible au-dessous d’un certain seuil. La dilatation du temps devient donc inévitable pour assurer que le travail soit effectué. Les chefs d’équipe sont soumis eux aussi aux objectifs de rentabilité du magasin que le gérant négocie avec la direction. Ces objectifs se déclinent sur deux plans distincts. D’une part, sur le plan quantitatif, il s’agit d’atteindre un certain chiffre d’affaires, de contenir les frais de personnel et de ne pas dépasser une certaine quantité de produits invendus. D’autre part, sur le plan qualitatif, il s’agit de s’assurer que les travailleurs sont engagés au maximum de leurs possibilités. Chacun est évalué sur son implication, l’aide qu’il apporte à ses collègues et son adhésion aux valeurs de l’entreprise.

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L’étude inclut un magasin dont l’amplitude horaire est plus élevée que celles des autres commerces. En l’occurrence, il bénéficie d’une disposition spéciale accordée aux commerces situés dans les gares et aéroports : il est ouvert tous les soirs, les dimanches et les jours fériés. La fréquentation de la clientèle est plus élevée durant les heures décalées et les jours atypiques, c’est-à-dire quand la plupart des commerces genevois sont fermés. Les récits laissent entendre que les pressions sont encore plus élevées dans ce magasin. Les plus touchés sont les chefs d’équipe parce qu’ils constituent la colonne vertébrale du magasin. Ils doivent assurer son fonctionnement avec une main-d’œuvre composée essentiellement d’étudiants disponibles aux horaires atypiques. Il n’est pas rare que leur journée de travail commence à 6 h 30 pour se terminer à 21 heures Il est courant que la limite légale de 45 heures par semaine soit dépassée ou que les heures de repos légales ne soient pas respectées. La journée de travail peut faire jusqu’à 13 heures. Une compensation financière est prévue seulement pour les heures travaillées le soir, les dimanches et les jours fériés. Les heures supplémentaires ne sont ni récupérées ni rémunérées entièrement. Comme l’explique un chef d’équipe de ce magasin, seules les demi-journées de travail supplémentaires sont

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Si on récupère toutes [les heures] ? Non, non, non, non, non. Je dirais [que] toutes les semaines, on donne entre guillemets deux à trois heures, facilement. […] On note et on récupère seulement les demi-journées que l'on fait en plus. Mais quand on fait 43, 44 ou 45 heures en une semaine, on ne va pas récupérer [une ou deux heures supplémentaires lorsqu’on les fait sur plusieurs jours]. [Chef d’équipe, 37 ans]

Il n'y a pas de semaine-type. Impossible. Je peux vous montrer mes emplois du temps.

[…] Il y a des aléas et après, on a peut-être des demandes. Moi, je dois être disponible tel ou tel soir et peut-être un autre [soir] aussi, donc, on s'ajuste. Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que l'on fait des journées de 13 heures, avec peu [de repos] entre la fermeture et la réouverture le lendemain. Typiquement, dimanche, j'ai fermé à 20 heures, je suis parti, et lundi matin, j'étais là à 6 h 30, puis j'ai fermé à 21 heures [Chef d’équipe, 26 ans]

Le collaborateur pointe obligatoirement, le chef d’équipe peut avoir une dispense. À partir de ce moment-là, on est un collaborateur comme un autre, mais sans pointer. Après, c'est toujours une histoire de rendu-rendu, donnant-donnant, gagnant-gagnant. La

compensation, nous, on ne peut pas la recevoir au niveau salarial. Donc, on peut la recevoir uniquement par les horaires. Les gens aiment bien avoir des week-ends, un samedi, un dimanche ou un lundi. [Chef d’équipe, 41 ans]

Le « coût social » de la dilatation du temps de travail

Les conséquences de la dilatation du temps de travail

notées et compensées par des congés.

Les défaillances créées par la baisse des effectifs, les aléas que connaît l’activité au quotidien et les variations imprévues de clients rendent difficile le respect du planning horaire. Les absences pour vacances ou maladie ne sont généralement pas remplacées. Tout cela conduit parfois les chefs d’équipe à travailler en dehors des périodes déjà planifiées, c’est-à-dire à effectuer des heures supplémentaires. Un certain nombre de responsables est aussi requis pour effectuer la fermeture de ce magasin aux heures tardives de la journée. Il est courant que le chef d’équipe ne dispose que de 9 heures et demie de repos entre deux journées de travail, alors qu’il devrait bénéficier d’un repos quotidien d'au moins 11 heures consécutives. La loi sur le travail (LTr) prévoit que la durée du repos peut être réduite à 8 heures au maximum une fois par semaine et pour autant que la moyenne sur deux semaines soit au moins égale à 11 heures.

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Les chefs d’équipe sont aussi concernés par le non-enregistrement du temps de travail.

Pour eux, le renoncement à la pointeuse n’est pas obligatoire, mais facultatif. Un chef d’équipe d’un rayon spécialisé présente cette modalité comme relevant d’un choix personnel, car il a dû signifier son accord par écrit. Ses heures supplémentaires ne sont pas compensées, mais lui permettent de choisir plus facilement ses jours de congé durant la semaine.

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Si les travailleurs sans fonction hiérarchique sont confrontés notamment à l’irrégularité des horaires, les gérants et chefs d’équipe ne peuvent agir que sur la durée de leur propre temps de travail. Leurs récits montrent que celui-ci se dilate sans qu’il ne soit plus mesuré par une pointeuse. La nécessité d’assurer la coordination d’une organisation productive et fragmentée, dont la restructuration place tout le personnel sous une tension permanente, requiert une grande disponibilité temporelle de la part des cadres. L’extension des heures d’ouverture des magasins et l’affluence de la clientèle durant les heures dites atypiques peuvent accroître ces phénomènes. Le personnel s’y oppose par principe, mais s’y accoutume suivant un principe de réalité (Barbier, 2012). Nous allons voir maintenant que l’abandon du contrôle social sur le temps de travail est rendu possible par un modèle familial particulier, notamment pour les gérants. La dilatation du temps de travail et la fragmentation des activités productives présupposent en l’occurrence une division sexuée du travail (Kergoat, 2012, 2014) inégalitaire et centrée sur la figure de l’homme « gagne-pain » (Seccombe, 1986).

La priorité donnée aux exigences professionnelles semble s’imposer malgré le « coût social » qui en résulte pour les fonctions d’encadrement, à savoir la réduction du temps pour se consacrer à la vie sociale et familiale. Ce phénomène est rendu possible par une division sexuée du travail considérée comme légitime.

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En tout cas, je n’ai pas de vie sociale. Pas possible. J’ai une vie juste avec mes enfants et ma femme. Le dimanche on va faire un petit tour si je ne fais pas la sieste l’après-midi, car je suis souvent très fatigué. Je cherche à pas couler pendant la semaine et à tenir une hygiène de vie correcte. Je fais en sorte d’arriver le jour de congé sans m’endormir sur la route et sans être peu présent, dans les nuages. [Gérant, 40 ans]

Je travaille aussi à la maison. Quand j’amène mes enfants, je fais les horaires dans la voiture. Je suis en gros tout le temps au travail. Je ne compte pas les heures que je fais durant les vacances, du fait que je n’ai pas le temps de les faire au boulot. J’ai toujours un classeur avec moi dans la valise. [Gérant, 40 ans]

Ma femme ne travaille que de nuit. On se croise. […] Ce n’est pas facile. On organise nos horaires en fonction des circonstances, car elle est infirmière. Pour les enfants, ça va bien.

Elle les emmène le matin, puis les récupère le soir. Il y a toujours quelqu'un avec eux. On va dire que moi, je suis plus souvent qu'elle au travail. Les enfants le disent aussi. […]

C'est un choix. [Chef d’équipe, 41 ans]

On va dire que c'était un choix de vie. Gagner de l'argent et tout ça, c'est bien, mais au bout d'un moment, je me suis dit, ça prenait quand même beaucoup [de temps]. Donc à un moment, j’ai dit : « Je veux arrêter. » C'est moi qui a pris la décision. « Je vais arrêter.

Qu'est-ce que vous me proposez ? » C’était il y a six ou sept ans. C’est moi qui l’ai demandé. [Travailleur, 47 ans]

Dans la grande distribution, la disponibilité temporelle requise pour assurer le fonctionnement et la coordination des activités productives réduit les marges de manœuvre des cadres pour l’organisation de leur vie familiale et sociale. Les longues journées et semaines de travail, dans un contexte de fortes pressions à la performance, diminuent considérablement les ressources disponibles et exposent l’individu à des risques psychosociaux (Loriol, 2012). C’est le cas lorsque les jours de congé sont envahis par la fatigue liée au travail et rendent impossible toute activité personnelle. Un gérant, par exemple, nous a expliqué qu’il n’avait pas de vie sociale en dehors de ses liens familiaux et qu’il se voyait contraint d’effectuer une sieste le dimanche après-midi, alors qu’il aurait souhaité passer son temps de manière plus profitable avec son épouse et ses enfants. La dilatation du temps repousse en l’occurrence les limites de la journée de travail au-delà de l’enceinte du magasin. Elle rend désormais plus difficile la récupération des forces vitales d’une journée à l’autre (Naville, 1972).

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Même si les frontières entre travail et hors travail semblent encore clairement définies dans la grande distribution, l’articulation des temps sociaux (Terssac et Tremblay, 2000) est plus difficile pour ce même gérant. Il lui arrive couramment de prendre du travail à la maison pour terminer ce qu’il n’a pas pu faire dans la journée, quand il est occupé à remplir les rayons et surveiller le magasin. Il profite parfois des vacances ou du temps à attendre les enfants dans la voiture devant l’école pour préparer les plannings horaires du personnel à tête reposée.

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Les pressions sont d’une intensité comparable pour les chefs d’équipe, mais dans leur cas la dilatation du temps est freinée par les tensions qui émergent dans le couple du fait que le travail salarié est plus couramment partagé entre les deux conjoints. Le récit d’un chef d’équipe, père de trois enfants en bas âge, permet de l’illustrer. Il explique qu’il doit se coordonner en permanence avec son épouse qui travaille de nuit comme infirmière. La synchronisation du temps des membres du foyer implique la coordination permanente d’activités dont les rythmes sont loin d’être uniformes : un conjoint travaille de nuit, l’autre de jour, tandis que les horaires des enfants sont dictés par les activités scolaires. Le temps de travail masculin prévaut cependant toujours sur le féminin, alors même que les contraintes et la pénibilité sont plus élevées pour l’épouse qui travaille de nuit et à temps plein.

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Seule la perspective d’une promotion dans la hiérarchie rend ces pressions acceptables sur la durée. La dilatation du temps de travail liée à la fonction du chef d’équipe est le prix à payer pour une carrière dont l’aboutissement est, pour la grande majorité, la fonction du gérant. Cela ne suffit pas toujours. Parmi les travailleurs interrogés, deux avaient été chefs d’équipe avant de renoncer à leur fonction et aux responsabilités que celle-ci comporte. C’est le cas d’un salarié engagé au rayon des produits laitiers. Il explique que la charge de travail d’un chef d’équipe exige des efforts loin d’être compensés sur le plan salarial.

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La disponibilité temporelle requise pour les fonctions d’encadrement repose sur un partage inégalitaire du travail domestique entre les sexes, comme en témoigne la sous-représentation

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Je travaille sur une base de 41 heures même si en réalité c’est 45, voire 50 heures, voire plus selon les aléas du métier. C’est compliqué, hein ! Je pense qu’il s’agit effectivement d’un frein à ce que les femmes puissent devenir gérantes. À mi-temps, il n’est

certainement pas possible [d’être gérante]. [Gérante, 45 ans]

Une régulation par une division sexuée du travail inégalitaire

Mes [deux] enfants n’étaient pas nés alors que j’étais déjà dans le commerce de détail. Ils se sont donc adaptés. [Rire] Pour eux, c’est normal. […] Mes enfants ont 20 et 25 ans, donc le choix a été fait avant. Ma femme a arrêté son travail pendant 15 ans pour élever les enfants. Voilà. C’est un choix, ça. Ce qui me permet d’avoir une présence permanente. À chacun son expérience ! [Rire] [Gérant, 55 ans]

Je fais des journées quand même assez longues, mais je prends des jours de congé aussi.

Je fais mes 41 heures par semaine, mais il y a des semaines où j’en fais 50. Je reste

des femmes dans les postes à responsabilité et leur surreprésentation dans les métiers les moins qualifiés comme les caissières (Benquet, 2013). Les difficultés dans l’articulation entre travail salarié et travail domestique peuvent donc expliquer la mise à l’écart des femmes des postes d’encadrement. La seule gérante rencontrée dans l’enquête estime que les longues heures de travail associées à la fonction de cadre ne rendent pas viable une conciliation entre travail professionnel et domestique. En plus de cela, une fonction d’encadrement serait tout à fait inconcevable à mi-temps. Seul un magasin disposant d’une grande surface de vente permettrait de déléguer une partie des responsabilités du gérant aux adjoints et aux chefs d’équipe. La gérante est mariée et mère d’un enfant en bas âge. Du fait que l’époux travaille également à temps plein, une organisation stricte est nécessaire pour la gestion du ménage et une grande partie du travail domestique est largement externalisée.

Les directions des entreprises affirment être conscientes de cette réalité et proposent d’y remédier en offrant des postes de cadre à temps partiel visant à promouvoir les femmes dans la hiérarchie. Si cette mesure peut réduire le rôle de la disponibilité temporelle dans les inégalités entre les sexes, elle sous-entend cependant que l’articulation entre le travail salarié et le travail domestique n’est qu’une affaire de femmes (Pfefferkorn, 2014). En réalité, le véritable enjeu se situe au niveau de la maîtrise du temps dont disposent les cadres.

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La dilatation du temps de travail des gérants, presque exclusivement des hommes, présuppose une disponibilité temporelle très élevée afin qu’ils puissent assurer une présence constante dans les magasins. Cette configuration les soumet à des tensions que seule une division sexuée du travail inégalitaire permet d’atténuer ou de résoudre. Le récit d’un gérant illustre cette réalité. L’abandon du marché du travail par son épouse, depuis une quinzaine d’années, avec la naissance des enfants, a permis de désamorcer les tensions liées à l’articulation des temporalités. Le gérant n’a plus aucune contrainte familiale l’empêchant d’adapter ses horaires aux besoins du magasin. Ainsi, sa fin de semaine peut être consacrée prioritairement au travail plutôt qu’à la famille, ce qui lui permet d’être présent dans le magasin les deux jours où le chiffre d’affaires est le plus élevé. Le gérant jouit d’une pleine disponibilité temporelle pour se consacrer à sa carrière. Il présente cette division sexuée du travail comme le résultat d’un choix qui s’est posé à un moment donné dans son couple et qui ne relève pas d’une contrainte sociale.

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La situation des chefs d’équipe est un peu différente. La fonction n’est pas occupée seulement par des hommes et ne permet pas d’obtenir un salaire suffisant pour maintenir au foyer une épouse chargée du travail domestique et parental. Il arrive que les chefs d’équipe soient exposés à un travail dont le niveau d’intensification devient intenable (Théry, 2010).

Ils peuvent alors souhaiter ou revendiquer une dilatation du temps de travail pour pouvoir souffler un peu ou travailler normalement. Ainsi, une cheffe d’équipe responsable du secteur des caisses estime que le renoncement à la pointeuse comporte un avantage : elle peut travailler un nombre d’heures plus élevé sans se soucier du respect des prescriptions légales sur la protection des travailleurs, car ces dispositions l’empêchent d’être présente dans le magasin les heures nécessaires pour prendre en charge une activité fragmentée et aléatoire.

Elle fait état d’un arrangement informel, non écrit, lui permettant de prendre des jours de congé quand elle le souhaite. Cet arrangement repose sur une confiance réciproque entre elle et le gérant, car aucune comptabilisation des heures n’est effectuée.

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toujours dans la balance. […] J'ai fait le choix [de ne pas pointer] parce que l'on a beaucoup plus de contraintes au niveau du pointage. Il suffit qu'il y ait un malade et je suis tout de suite hors la loi, car je dépasse [la limite légale] d’une ou deux heures. Après, voilà, c'est un contrat de confiance entre l'employeur et moi. [Cheffe d’équipe, 25 ans]

Conclusion

La durée du travail semble relever d’une volonté personnelle, c’est-à-dire d’un choix fait dans la plus totale abstraction des facteurs extérieurs à l’individu. Cette vision suppose qu’un autre choix serait tout à fait envisageable et qu’une réduction du temps de travail pourrait représenter une alternative, pour autant qu’elle soit souhaitée. Autant les heures supplémentaires que le partage inégalitaire du travail domestique sont présentés comme relevant de choix personnels ou privés, alors que les individus travaillent sous la contrainte d’un système productif éclaté et fragmenté. Ainsi, les contraintes provoquées par une organisation collective éclatée, dont découlent le dépassement des heures contractuelles et une articulation plus difficile entre travail et famille, apparaissent comme étant intériorisées et sont vécues comme des choix personnels. Autant d’indices qui laissent supposer l’existence d’une psychologisation des rapports sociaux : ces derniers sont alors appréhendés par des médiations d’ordre psychologique (Stevens, 2008). Une psychologisation des rapports sociaux signifie que les structures sociales ne sont plus prises en considération lorsqu’il s’agit d’expliquer un mal-être et que les personnes s’en prennent uniquement à des choix individuels. Le rôle de l’organisation du travail dans la dilatation des temps de travail n’est pas interrogé. Une forme de fatalisme par rapport à l’emprise du travail semble s’imposer à tous. Trois pistes permettent de comprendre ce phénomène.

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La première est liée à la persistance d’une idéologie de genre traditionnelle (Hochschild, 2003) d’après laquelle la division sexuée du travail repose sur une appropriation différente, entre les sexes, des sphères spatio-temporelles de la vie domestique et professionnelle. Seuls les gérants sont concernés par cette idéologie de genre, tandis que les chefs d’équipe montrent un rapport plus distancié avec celle-ci. Les femmes souhaitant engager une carrière sont contraintes soit d’accepter la double journée de travail (Haicault, 1984), soit de se désinvestir du travail domestique (Le Feuvre et Lapeyre, 2013). La deuxième explication est liée aux formes que peut prendre la disponibilité temporelle pour les fonctions d’encadrement : « corporative » (fondée sur une adhésion à l’entreprise et à un projet de carrière) et/ou « professionnelle » (fondée sur une vocation au sens wébérien) (Martinez, 2011). Ces conditions permettent l’instauration d’un compromis social positif (Bouffartigue, 2012), mais au prix d’une renonciation à la vie sociale et familiale. Ce « coût social » est une condition partagée par les cadres et participe à la dureté de leurs conditions de travail en dépit des gratifications et de l’autonomie dont ils sont bénéficiaires (Flocco, 2015). La troisième explication est la faiblesse structurelle du syndicalisme suisse soumis aux accords dits de « paix du travail », en vigueur depuis 1937, qui interdisent les grèves et le lock-out durant la validité d’une convention collective (Aubert, 1989). Le principal syndicat de la grande distribution mène des campagnes très actives contre l’extension des horaires d’ouverture des magasins depuis une vingtaine d’années, mais sans parvenir à se réimplanter au sein de l’entreprise et favoriser une collectivisation des enjeux liés à l’organisation du travail (Cianferoni, 2020). Aucune organisation syndicale ne dispose de structure pour organiser les cadres de la grande distribution.

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Notre article proposait de réfléchir à ce que signifie l’absence de la pointeuse comme dispositif de contrôle social face à une dilatation des temps et une fragmentation des activités dans un secteur où la production est organisée sur le principe de la mise en tension des flux.

Nous nous sommes appuyés sur une étude de cas dans la grande distribution suisse avec un regard porté sur la situation des gérants et chefs d’équipe. Ces catégories du personnel sont au cœur des tensions productives et n’enregistrent plus leurs heures. Pour eux, la dilatation des temps découle d’une présence constante dans les magasins pour prendre en charge des flux pluriels et complexes de clients et de marchandises, en plus de la gestion du personnel.

Leur disponibilité temporelle apparaît comme n’étant pas négociable. Seules les compensations (un salaire plus élevé pour les cadres, le choix des jours de congé pour les chefs d’équipe) peuvent l’être dans une certaine mesure.

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Les activités professionnelles effectuées en dehors du temps réglementaire et la fatigue accumulée au fil du temps ont pour conséquence de placer les cadres sous une tension que

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(13)

Bibliographie

Bibliographie

seule une division sexuée du travail inégalitaire au sein du couple, basée sur le principe de l’homme « gagne-pain », permet de résoudre. Le « coût social » de la dilatation des temps est donc le renoncement à la vie sociale et familiale. Pourtant, bien que cette condition soit partagée par tous les gérants, plusieurs témoignages laissent entendre que les contraintes sociales liées à cette organisation du travail sont intériorisées parce que présentées comme résultant de choix personnels et relèvent d’une « psychologisation » des rapports sociaux.

Nous avons apporté trois explications à ce phénomène : premièrement, il y a la dimension culturelle, laquelle se décline par une idéologie de genre conservatrice ; deuxièmement, la dimension matérielle et symbolique liée à la position sociale des cadres se traduit en une disponibilité temporelle corporative et/ou professionnelle ; troisièmement, il y a la dimension historique et sociale, d’après laquelle la conflictualité a fortement baissé dans les entreprises et ne permet plus aux syndicats de collectiviser les enjeux liés à l’organisation du travail.

L’absence d’une pointeuse n’apparaît pas comme étant la cause de l’allongement du temps de travail. Notre étude de cas nous permet cependant de saisir l’importance de ce dispositif : celui de garder une mesure des temps là où ils se dilatent. L’absence de cet outil technique permet d’occulter le rôle de l’organisation du travail, complexe et fragmentée, dans la dilatation des temps et ses conséquences sur la vie sociale et familiale. Dans un contexte où les contraintes sociales sont intériorisées par les individus, les gérants et les chefs d’équipe pourraient être amenés à accepter tacitement ou même à revendiquer l’abolition de la pointeuse, ceci afin de pouvoir contourner des prescriptions légales jugées trop contraignantes pour atteindre les objectifs fixés par la hiérarchie. En même temps, il serait illusoire de penser que la réintroduction de la pointeuse suffirait à freiner la dilatation.

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Cette configuration suscite beaucoup d’interrogations sur la viabilité d’une telle organisation du travail. Nous nous demandons, d'une part, à quelles limites la dilatation doit de confronter quand les dispositions légales sur la durée du travail ne sont pas appliquées et que la dilatation des temps n'est pas mesurée. Nous avons évoqué dans notre analyse certains mécanismes sociaux permettant de réguler des tensions au sein du couple et de les justifier aux yeux des personnes concernées, mais jusqu’à quel point la dilatation est-elle viable et supportable sur le plan individuel et collectif ? Y a-t-il des limites au-delà desquelles des problèmes pour la santé, des formes de rébellion ou de résistance pourraient apparaître ? La dilatation est-elle susceptible de désorganiser le travail dans les magasins quand elle devient excessive ?

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D’autre part, nous nous interrogeons aussi sur le rôle que pourrait jouer la pointeuse si la dilatation devait toucher un seuil critique. Nous avons vu que cet outil technique fait l’objet d’une controverse politique et qu’il peut favoriser ce phénomène, mais qu’en réalité c’est l’organisation du travail qui est à son origine. Les fonctions d’encadrement vont-elles revendiquer la réintroduction de la pointeuse ou une autre organisation du travail ? Comment vont-elles articuler ces deux dimensions ? Rejoindront-elles les syndicats engagés depuis plusieurs années en faveur de l’enregistrement du temps de travail ou vont-elles créer leurs propres collectifs et structures ? Ces différents questionnements ont émergé lors d’une étude effectuée durant la période qui a suivi la crise économique de 2008. Nous pensons qu’ils seront a fortiori encore plus actuels les années à venir, suivant l’impact qu’aura la pandémie provoquée par le coronavirus Covid-19 sur la grande distribution, et la manière dont la crise actuelle exacerbera les tensions déjà existantes dans les entreprises.

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Notes

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2 L’art. 46 de la loi fédérale sur le travail (LTr) et l’art. 73 de l’ordonnance 1 relative à la loi sur le travail (OLT 1) exigent que le temps de travail soit enregistré dans des pièces et registres indiquant les durées, les horaires, les pauses et les jours de repos. La documentation doit être conservée pour permettre des contrôles et veiller à l’application de ces normes légales. L’enregistrement des heures dans des registres peut se faire à l’appui d’une pointeuse ou d’autres dispositifs techniques comme les feuilles Excel.

3 Les cadres sont également soumis aux protections de la LTr, mais pas les dirigeants des entreprises.

4 Les matériaux ont été récoltés dans le cadre d’une étude financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS). L’auteur les a utilisés pour rédiger une thèse de doctorat ès Sciences de la société soutenue à l’université de Genève en 2018.

5 La revue La Vie économique n° 11/2019 a consacré un dossier à cette thématique.

6 Les chaînes d’approvisionnement de la grande distribution sont aussi éclatées et s’inscrivent pleinement dans la mondialisation. Notre étude de cas ne les prend pas en compte et se limite à la grande distribution au sens le plus étroit du terme.

7 Font exception les produits locaux.

8 Le statut de cadre n’a pas d’incidence sur les protections prévues par la loi fédérale sur le travail (LTr).

9 Cette disposition existe dans les deux enseignes étudiées pour ce travail.

10 La nocturne désigne dans le jargon la fermeture des magasins à 21 h.

11 Entrée en vigueur des art. 73a et 73b de l’ordonnance 1 (OLT 1) de la LTr.

Pour citer cet article

Référence électronique

Nicola Cianferoni, « La pointeuse à l’épreuve de la dilatation des temps dans la grande

distribution », Temporalités [En ligne], 31-32 | 2020, mis en ligne le 03 février 2021, consulté le 15 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/temporalites/7685 ; DOI : https://doi.org/10.4000

/temporalites.7685

Auteur

Nicola Cianferoni

Collaborateur scientifique, Section Travail et Santé, Secrétariat d’État à l’économie (SECO), Confédération suisse, nicola.cianferoni@seco.admin.ch

Chercheur associé, Institut de recherches sociologiques, Faculté des sciences de la société, Université de Genève, Bd du Pont-d’Arve 40, 1211 Genève 4, nicola.cianferoni@unige.ch

Droits d’auteur

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