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L'anthropologie et la question des droits des peuples autochtones

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Academic year: 2021

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HAL Id: halshs-00661053

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00661053

Submitted on 5 Dec 2012

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To cite this version:

Irène Bellier. L’anthropologie et la question des droits des peuples autochtones. Inditerra, 2011, pp.1-17. �halshs-00661053�

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L’anthropologie et la question des droits des peuples autochtones1 Irène Bellier

Laboratoire d'anthropologie des institutions et des organisations sociales

Centre national de la recherche scientifique/École des hautes études en sciences sociales Paris, France

ibellier@club-internet.fr

Résumé

Comment la dynamique internationale, qui se fonde sur la reconnaissance de droits collectifs pour les « peuples autochtones » (convention 169 de l’OIT, Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones), modifie-t-elle la position des peuples autochtones dans le système mondial? À partir de cette situation induite par le global-politique, les anthropologues sont amenés à adapter leur projet, leur pensée théorique et leurs manières de travailler, au moment où les autorités politiques et les médias continuent de s’appuyer sur des catégories obsolètes de l’ethnologie pour réguler les changements introduits dans les champs du social, de l’économique et du politique par les luttes autochtones.

Mots-clés

Droits; peuples autochtones; gouvernance; savoirs anthropologiques. Abstract

How are the international dynamics arising from the recognition of the collective rights of “Indigenous peoples” (ILO Convention 169, United Nations Declaration on the Rights of Indigenous Peoples) changing the position of Indigenous peoples in the world system? Because of this situation resulting from global and political circumstances, anthropologists have had to adapt their approaches, their theoretical thinking and their working methods at a time when political authorities and the media continue to use obsolete categories of ethnology to regulate changes in the social, economic and political spheres brought about through Indigenous peoples’ struggles.

Keywords

Rights; Indigenous peoples; governance; anthropological knowledge. Resumen

¿De que forma la dinámica internacional que se basa en el reconocimiento de los derechos colectivos de los “pueblos indígenas” (Convenio 169 de la OIT, Declaración de las Naciones Unidas sobre los derechos de los pueblos indígenas), transforma la posición de los pueblos indígenas en el sistema mundial? A partir de esta situación impulsada por la política global, los antropólogos son llevados a ajustar su projecto, su pensamiento teórico y su forma de trabajar, en un momento en que las autoridades políticas y los medios de comunicación siguen dependiendo de categorías obsoletas de la etnología para regular los cambios introducidos por las luchas indígenas en los aspectos sociales, económicos y políticos.

Palabras claves

Derechos; pueblos indígenas; gobernanza; conocimientos antropológicos.

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La recherche conduisant à ces résultats a été financée par le Conseil Européen de la Recherche, dans le cadre du 7e Programme Cadre de la Communauté européenne (FP7/2007-2013 Grant Agreement n° 249236).Voir les travaux de l’équipe SOGIP : www.sogip.ehess.fr

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INTRODUCTION

Nous explorerons dans cet article certaines questions qui résultent de l’émergence sur la scène publique internationale de ces groupes reconnus aujourd’hui comme des « peuples autochtones » et les effets que cette transformation du sujet induit pour une discipline telle que l’anthropologie. La consoli-dation de la catégorie relationnelle de « peuples autochtones » dans le champ politique et juridique international postule en effet d’une transformation considérable, si ce n’est radicale, de ce que l’on a considéré longtemps comme des « objets d’étude », à savoir les « groupes ethniques ». Le sens du terme « ethnie », forgé par l’ethnologie pour désigner un groupe social culturellement distinct, est critiqué notamment dans les courants théoriques postcolonialistes qui dénoncent la logique distinctive de cette altérité, et du fait que les représentants autochtones tendent à se constituer en « acteurs » en nom propre. Le vocabulaire de l’ethnie est toujours usité dans une pluralité de contextes scientifiques, médiatiques et politiques, ne serait-ce que pour alimenter la réflexion sur l’ethnicité. Mais le terme ne rend pas pleinement compte de ce qui se joue politiquement dans la dynamique des peuples autochtones.

Nous examinerons ici comment une dynamique internationale qui se fonde sur la reconnaissance de droits collectifs pour des entités reconnues comme constituant des « peuples » dans plusieurs textes inter-nationaux (convention 169 de l’OIT, Déclaration sur les droits des peuples autochtones de l’ONU) modifie la position des peuples autochtones dans le système mondial. Il nous intéresse de comprendre comment, à partir de cette situation induite par le global politique (Abélès 2008), les anthropologues sont amenés à adapter leur projet, leur pensée théorique et leurs manières de travailler, au moment où les autorités politiques et les médias de grande diffusion continuent de s’appuyer sur des catégories obsolètes de l’ethnologie pour réguler les changements introduits dans les champs du social, de l’économique et du politique par les luttes

autochtones. Cela crée une véritable confusion au détriment de la compréhension sociale du projet anthropologique d’une part, et de ce que les peuples autochtones demandent, d’autre part. Au-delà de la clarification qui s’impose sur la transformation de « l’objet anthropologique » dans le champ des sciences humaines et sociales, cela conduit à réexaminer la position des anthropologues dans les systèmes globaux de pouvoir et de gouvernance.

Il nous faut en effet prendre la mesure dans le champ scientifique de ce qui se joue dans le champ normatif international. Car après 25 ans de négociations dans différents groupes de travail, l’assemblée générale des Nations Unies finit le 13 septembre 2007 par adopter, à une large majorité des États membres des Nations Unies (149 à ce jour, l’Australie et la Colombie s’étant ralliés en 2009, la Nouvelle-Zélande, le Canada et les États-Unis, en 2010), la Déclaration sur les droits des peuples autochtones (DDPA). Ce document consacre le droit des peuples autochtones à l’autodéter-mination et inscrit les questions qui les concernent dans une approche « droits de la personne » qui tend à dépasser le seul cadre du droit et de la politique. En tant que spécialistes des cultures et des systèmes de pensée et d’action distincts de la rationalité occidentale, les anthropologues sont interpellés par ce changement de paradigme. Nous nous efforcerons ici d’identifier l’impact du changement normatif sur la conceptuali-sation des « questions autochtones » – tel qu’il résulte de l’adoption par les Nations Unies de nouvelles dispositions du droit international – et d’imaginer comment peut se développer un processus de « décolonisation mentale » susceptible de prendre en compte la recon-naissance des droits des peuples autochtones. Un tel projet de décolonisation méthodologique (Tuhiwai Smith 1999) et culturelle ne se limite pas à la sphère de l’Occident, comme si cette partie-là du monde, et seulement celle-là, représentait l’alpha et l’oméga de la domination coloniale. Il implique tous les pays où l’on peut observer des formes de colonisation « inter-ne » ou « exterinter-ne » se traduisant par des mécanismes (variables) de domination et dont l’étude conduit à l’identification de groupes

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sociaux susceptibles de relever de cette catégorie « peuples autochtones », telle qu’elle résulte de la définition proposée en 1985 par José Martinez Cobo, que nous livrons ici sous forme synthétique. Dans les conclusions de l’étude qu’il réalisa avec la collaboration de Augusto Willemsen Diaz, sur la discrimination à l’encontre des populations autochtones et qui fut publiée en anglais, il indique que par indigenous peoples, on doit comprendre :

des peuples et nations qui présentent une continuité historique avec les sociétés précédant la conquête et la colonisation de leurs territoires, qui se considèrent comme distincts des autres secteurs de la société dominant aujourd’hui ces territoires totalement ou partiellement. Ils constituent aujourd’hui, des secteurs non dominants de la société et sont déterminés à préserver, développer et transmettre aux générations futures leurs territoires ancestraux et leur identité ethnique, sur la base de leur existence continue en tant que peuple, en accord avec leurs propres systèmes cultu-rels, leurs systèmes légaux et leurs institutions sociales. (Martínez Cobo 1986 : E/CN.4/sub2/1986/7 et Add 1-4)

Du point de vue de l’anthropologie, une double problématique ressort de ces « critères » qui ont été forgés dans l’enceinte internationale. La première concerne l’identification des « peu-ples autochtones » à partir d’une catégorie générique à l’intitulé parfois équivoque (Bellier 2009) que certains collègues critiquent sans considérer les dimensions politiques, juridiques (et leurs effets épistémologiques) dans lesquelles s’inscrivent les sociétés qu’ils étudient, tandis que quelques juristes s’efforcent de préciser la définition (Wiessner 2008). Ces sociétés se situent, sauf exception, dans un contexte de domination relative par un État, des sociétés régionales, ou des colons. Sans tomber dans une dichotomie simplifica-trice du rapport dominant/dominé, la position de déni du « sujet autochtone » conduit à poursuivre des recherches sans se soucier de les adapter à un cadre qui serait défini par l’horizon des droits de la personne. Ce type d’approche pose certaines questions dont la discipline devrait débattre.

La seconde problématique porte sur le type d’influence que les anthropologues peuvent exercer en tant que « spécialistes des cultures et de l’altérité » pour contribuer au développe-ment de relations équitables, sinon égalitaires, entre tous les membres d’une communauté politique redéfinie par le jeu des processus transnationaux. En la matière, les anthropolo-gues se trouvent confrontés d’un côté aux limites inhérentes à la construction scientifique de leurs savoirs quant à l’objectivité de leur production et à la centralité de la critique dans ce processus, et de l’autre à l’usage qui peut être fait des connaissances qu’ils apportent dans des situations, parfois conflictuelles, qu’ils ne contrôlent pas. Nous nous référons ici, entre autres, aux possibilités de récupération politique du langage et des connaissances anthropologiques à des fins de contrôle militaire et social, ainsi qu’à l’emploi d’anthro-pologues dans des conditions éthiques critiquables.

1. JEUX D’ÉCHELLE : ÉVOLUTION DE LA

POSITION DES PEUPLES AUTOCHTONES DANS LE SYSTÈME MONDIAL À PARTIR DE LA RECONNAISSANCE DE DROITS COLLECTIFS LEUR APPARTENANT EN QUALITÉ DE PEUPLES

Quand le sujet de la recherche des ethnologues devient un « acteur globalisé », l’anthropologue est confronté à la nécessité d’ajuster la focale de ses études pour incorpo-rer dans son approche ethnographique ces processus internationaux qui irriguent « l’être indigène/autochtone » aujourd’hui, afin d’appréhender cette « expérience autochtone/ indigenous experience », pour reprendre le titre du livre de M. de la Cadena et O. Starn (2007). Il est clair que les peuples, sociétés ou communautés étudiés jusqu’à présent n’étaient pas déliés de toute influence internationale – les expériences de colonisation et de conquête, comme les différents moments de contacts entre sociétés occidentales et non occidentales étant par ailleurs décrits. Il est aussi clair que l’histoire de la domination d’un groupe sur un autre ne se réduit pas à l’histoire de la colonisation européenne sur le reste du monde. Mais l’histoire de ces processus, du point de vue des « subalternités autochtones », que l’on définira rapidement dans la

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prolon-gation des auteurs subalternistes (par exemple Chatterjee 1993) comme ceux qui ne figurent pas dans l’histoire officielle des États-nations, reste à écrire dans de nombreuses régions du monde, et elle demande à être connue dans les sociétés dominantes.

1.1 Universalisation des questions autochtones

Les questions autochtones ont commencé à être traitées comme un problème universel à partir de la saisine des Nations Unies qu’une coalition d’acteurs, autochtones, non gouver-nementaux et institutionnels, est parvenue à réaliser à la fin du XXe siècle, à la suite de l’échec des précurseurs autochtones devant la Société des Nations : Chef Deskaheh en 1923 (Confédération Haudenesaunee des Six Nations iroquoises, Canada), et Chef Ratana, Maori de Aotearoa/Nouvelle-Zélande, en 1925. L’institutionnalisation des questions autoch-tones, jointe aux facilités de participation concédées aux organisations de la société civile et aux délégués autochtones par les secrétariats de l’ONU, a permis que se développe une prise de conscience, à l’échelle internationale et dans les États membres des Nations Unies, de l’existence de graves problèmes de discrimination à l’encontre de certaines populations, ce qui conduisit à la négociation puis à l’adoption de la DDPA. Nous en rappelons ici les grandes étapes, le lecteur pouvant se rapporter à d’autres travaux pour plus de détail.

Durant 22 ans (1982-2004) s’est réuni, à Genève, le Groupe de travail sur les populations autochtones (GTPA), sous l’égide de la Commission des droits de l’homme et de la Sous-Commission pour la protection des minorités. En accueillant largement les représentants autochtones, il permit de recueillir quantité de faits relatifs à la discrimi-nation et de développer quelques études-clés pour lutter par la voie du droit et du dialogue contre ces formes de domination. De ce Groupe est née la Déclaration des droits des peuples autochtones, laquelle est considérée comme un instrument à valeur politique et symbolique aussi large que la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée en

1948. Cette nouvelle Déclaration est destinée à protéger les droits collectifs afin de compléter le régime de protection des droits individuels de la personne2.

Ayant réussi à pénétrer aux Nations Unies, les peuples autochtones disposent depuis 2001 d’une Instance permanente sur les questions autochtones, sise à New York, qui obéit à un autre mandat, complémentaire à la fonction tribunitienne inaugurée par le GTPA. Elle tend à ajuster la gouvernance mondiale, par la formulation de recommandations susceptibles d’avoir un effet sur la construction et la mise en œuvre des programmes des agences onusien-nes, des banques internationales (Banque mondiale, Banque interaméricaine de développement, etc.), et sur les politiques publiques des États. Cette instance recueille chaque année les rapports des agences et des États sur les progrès accomplis dans le traitement des questions autochtones, développant ainsi une fonction de suivi, particulièrement utile pour comprendre comment les discours internationaux se tradui-sent en des figures du politique et, parfois, des actions concrètes (Bellier 2009).

La tendance actuelle vise à intégrer les questions autochtones dans tous les program-mes d’action des agences onusiennes et à recommander leur intégration dans toutes les politiques publiques, à travers le processus connu sous le nom anglais de mainstreaming. Après avoir été mises en œuvre dans les politiques de genre (Merry 2006), les politiques de mainstreaming pourraient toutefois bien conduire à une normalisation susceptible de faire disparaître la spécificité autochtone. Le facteur limitant de cette normalisation, que l’on

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Le projet de déclaration, adopté par la Sous-Commission pour la protection des minorités en 1994, fut ensuite négocié durant onze ans (1995-2006) dans un groupe ad

hoc (le Groupe de travail sur le projet de Déclaration).

Dans l’esprit des délégués autochtones, il s’agissait d’introduire « le moins de transformation possible ou de renforcer le dispositif ». Dans l’esprit de nombreux représentants étatiques, comme celui de la France qui employa l’expression, il s’agissait de « déminer le terrain ». Les deux expressions illustrent l’ampleur des antagonismes entre les parties qui devaient former un consensus avant de passer à l’adoption par vote majoritaire en séance plénière de l’AG.

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pourrait concevoir comme une forme rénovée des politiques d’assimilation (dont l’objectif était bien de faire disparaître les spécificités des cultures autochtones dans le projet national), tient à la manière dont les représentants des populations autochtones, en pleine mutation du fait de leur insertion dans la globalisation, se construisent en acteurs efficaces de leur propre défense et gagnent progressivement le statut d’interlocuteur.

Les espaces internationaux de discussion occupent ainsi une fonction centrale dans l’agencement des questions autochtones et contribuent à universaliser les réponses, autant parce qu’ils permettent l’échange relativement informel d’information entre des acteurs d’origine et de statuts distincts que parce qu’ils ont permis que se forge au fil des ans une voix autochtone (Bellier 2007), laquelle est nécessairement transnationale. En effet, les peuples autochtones se distribuent dans près de 90 pays, et leurs frontières de « peuples » chevauchent bien souvent celles des États (par exemple, Yaquis sur la frontière Mexico-USA, Touaregs au Mali, Niger, Algérie, Burkina Faso), donnant ainsi lieu à la glose « ce n’est pas nous qui traversons les frontières, mais les frontières qui traversent nos peuples », par laquelle ils demandent un ajustement des politiques de contrôle frontalier.

La construction d’une voix autochtone trans-nationale conduit à l’énoncé d’un language commun, partagé par tous les Autochtones, et aussi à la formation de nouveaux concepts, comme celui de « développement auto-déterminé », exprimé par l’ancienne présidente de l’Instance permanente3 pour recentrer l’horizon du « développement avec identité et culture » accepté par les Nations Unies. Mise à part l’intelligence politique des mécanismes qui conduiraient un tel processus de « développe-ment autodéterminé », le changement fondamental résulte de ce que les intentions des peuples autochtones ne se manifestent plus par la médiation des sciences humaines et sociales qui ont, historiquement, contribué à la

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Communication de V. Tauli Corpuz au séminaire organisé par l’UNESCO sur le développement avec culture et identité, 2008.

connaissance des sociétés non occidentales. Elles s’expriment directement par la voix de leurs représentants dans les forums inter-nationaux, avec la volonté de récupérer en forme collective la dignité, le respect, l’autono-mie et la capacité d’exprimer un droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, lequel est susceptible de revêtir différentes formes : de l’indépendance à l’autonomie, en passant par le droit au consentement libre, préalable et pris en connaissance de cause.

1.2 Processus transnationaux affectant les communautés autochtones

Sans revenir sur l’histoire inachevée de la rencontre des « Autochtones » et des « autres », le moment actuel est caractérisé par un nombre croissant de processus transnationaux qui affectent les « peuples autochtones », ou dans lesquels ils deviennent protagonistes.

Nous pouvons citer le tourisme qui se développe de manière très dynamique comme secteur économique des pays développés et auquel les communautés locales des pays émergents ou en développement sont plus ou moins tenues de s’ajuster, par souci d’amé-liorer les revenus des opérateurs ou des habitants, et sans véritable moyen de s’oppo-ser à la mise en tourisme de leurs paysages protégés, de leurs cultures pittoresques, de leurs sites archéologiques. L’organisation du tourisme en zone indigène/autochtone pose la question de savoir comment sont aménagées les infrastructures d’accueil, comment sont élaborés les tarifs, comment sont formés et recrutés les guides et comment s’organise le partage des bénéfices. Il pose la question de savoir comment se fixent le choix des destinations et le parcours des touristes dans les zones que les Autochtones reconnaissent comme étant leur territoire, lequel fait géné-ralement l’objet de classifications d’usage selon que le lieu est sacré, public ou privatif.

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La question des droits autochtones est loin d’être centrale dans les négociations qui s’établissent entre les acteurs des sociétés dominantes, les entrepreneurs, les opérateurs du tourisme international et les personnes autochtones. Cette activité est souvent source de désaccord entre les segments de la population autochtone, et entre les Autochtones et les autorités locales ou admi-nistratives régionales, selon qu’ils réussissent à capter la manne du tourisme ou non. Une approche respectueuse des uns et des autres suppose de mettre en œuvre des mécanismes de concertation avec les institutions représen-tatives des sociétés autochtones, ainsi que de développer une réflexion sur les conséquences de l’insertion des Autochtones dans les circuits touristiques mondiaux en termes de change-ment social, économique et culturel.

Au-delà de cette question du tourisme qui met en contact les habitants du premier monde avec ceux du troisième ou du quatrième monde, nous pouvons penser à d’autres formes d’insertion dans les flux de la globa-lisation comme celle que provoque l’intégration des économies nationales dans des structures régionales. Le MERCOSUR, l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), SAARC, SADC ou encore l’Union européenne, encadrent et déplacent le cadre juridique d’intervention des États-nations. Les dispositifs décisionnaires peuvent conduire à l’adoption de programmes législatifs, de programmes d’aide, de réglementations ne tenant aucun compte des spécificités autochtones. On verra plus loin l’exemple du Pérou qui adopta en 2009 des décrets permettant d’allouer des concessions en Amazonie à des entrepreneurs multinationaux pour des exploitations gazières, pétrolières, minérales ou forestières, au nom des obligations de l’accord de libre-échange avec les États-Unis, tout en sachant que les peuples autochtones qui vivent dans cette région relèvent d’un traitement spécifique, en raison de leur fragilité sociale, démographique et épidémiologique, tel que reconnu par cet État signataire de la convention 169 de l’OIT. L’intégration régionale peut conduire à la décision de construire des infrastructures ayant un impact immédiat ou différé sur la situation

des populations autochtones, comme en témoigne la réalisation de grands programmes de construction d’ouvrages hydroélectriques destinés à « développer l’autonomie » énergé-tique du pays, ou de routes supposées « amener la civilisation » aux portes des populations isolées.

Le global n’est pas un simple objet rhétorique, car il envahit le terrain local, sous des formes plus complexes qu’auparavant en raison des multiples facettes qu’il revêt, mais dans la continuité d’une histoire humaine de conquête des territoires et de formation des imaginaires politiques. La position défensive des représen-tants autochtones entendus aux Nations Unies4 tend à identifier comme de nouveaux conquérants les firmes transnationales, les entreprises extractives, les fronts pionniers qui résultent des politiques de développement, ainsi que les touristes en quête d’expériences inédites. À savoir toute une série d’agents externes auxquels on pourrait ajouter les organisations internationales et les ONG qui étendent leurs réseaux d’intervention en direction des populations autochtones, dites fragiles, vulnérables et pauvres, avec les meilleures intentions du monde et le sentiment de bien faire.

1.3 Dans la globalisation, avec ou sans consentement

En relation avec la forme actuelle de la globa-lisation, on observe une pression croissante des compagnies transnationales et des acteurs de l’économie extractive sur des territoires considérés comme « vierges », ou déclarés tels par des politiques privilégiant d’autres formes de mise en valeur que celles développées par ceux qui y résident depuis des centaines d’années. Les politiques de conquête ont pris différentes formes au cours des siècles, mais leurs effets actuels placent en position défensive les communautés autochtones qui entendent rester ou revenir sur des terres ancestrales, comme si elles étaient

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Les données nourrissant ce chapitre sont tirées des matériaux collectés aux Nations Unies, dans les différents groupes de travail qui ont constitué le terrain de mes recherches depuis 2001.

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toujours colonisées, mais cette fois-ci de l’intérieur, créant ainsi ces situations de « réfugiés de l’intérieur » pour citer Barbara Glowczewski qui emploie le terme à propos des Aborigènes australiens (2007).

Les aspects juridiques du rapport au territoire et de l’usage des ressources ont été analysés par les experts onusiens, en particulier la docteure Erica-Irène Daes, qui avance le concept de « souveraineté permanente » des peuples autochtones dans l’étude qu’elle a réalisée pour le Groupe de travail sur les populations autochtones (2004). Si la question de la souveraineté est centrale pour traiter des rapports entre les États et les peuples autochtones, le concept d’une « souveraineté permanente » inhérente aux populations autochtones, qu’elles aient ou non signé des traités avec la puissance occupante, entre en tension avec deux autres principes reconnus par la communauté internationale et qui se rapportent à la souveraineté politique et à l’intégrité territoriale des États. Ne pouvant développer ici les considérants juridiques relatifs à l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mentionnons simple-ment le fait que la reconnaissance de droits en matière territoriale est vitale pour les économies de subsistance des peuples autochtones et pour la reproduction de leurs systèmes culturels et symboliques.

À partir des dispositions constitutionnelles, légales et administratives qu’adoptent les États souverains, cette reconnaissance se pose comme problème au regard de la réalisation, ou non, de consultations préalables de la part des États et des firmes, nationales ou transna-tionales, auprès des communautés concernées par le développement de tel ou tel projet, pour envisager avec elles les conséquences écologiques, économiques ou sociales. Le but de ces consultations est généralement d’obtenir des communautés concernées un consentement libre et formulé en connaissance de cause.

Dans les rapports que produisent les délégués autochtones à l’Instance permanente pour les questions autochtones, on note une augmenta-tion du nombre des plaintes dénonçant

l’irrespect des procédures de consultation, leur caractère fantaisiste ainsi que la difficulté pour les populations concernées à faire valoir, le cas échéant, une opposition. L’autisme de la part des autorités consultantes, que l’on peut consi-dérer comme une ressource stratégique, bloque toute capacité pour les Autochtones de s’opposer à des projets de grande ampleur menés par les autorités étatiques, ou avec leur accord, et ayant un fort impact économique ou écologique. Dans ce domaine des usages des ressources territoriales, deux visions du développement entrent ainsi en conflit : celle de l’État qui tend à opposer la notion d’intérêt national; et celle des Autochtones qui opposent la conception du « vivre bien / vivir bien / well-being » (Belaunde 2002) à la vision du « vivre mieux » ou du « progrès » qui sous-tend la vision du développement au niveau international (Déclaration sur le droit au développement 1986; Bellier 2008).

Par delà l’impact potentiellement négatif des forces économiques globalisées sur les sociétés et territoires autochtones qu’analysent les experts de l’International Forum on Globalization5, nous devons réfléchir à l’inégalité des pouvoirs en jeu, aux perceptions distinctes de ce qu’« économie » veut dire, à la manière dont ces disparités de sens se conjuguent dans la fabrique des normes internationales, parmi lesquelles figurent les dispositions onusiennes, qu’elles soient à valeur morale et politique (déclaration) ou juridiquement contraignantes (convention). 1.4 Spécificité des cadres nationaux Le processus de dialogue international, que j’observe depuis une dizaine d’années aux Nations Unies, met en évidence l’existence de cultures politiques et administratives distinctes, inhérentes à la construction historique des États-nations et sur lesquelles il convient de travailler pour comprendre la manière dont sont reconnues, acceptées ou niées les nations, communautés ou peuples autochtones dans les constitutions des États et selon des termi-nologies variant dans le monde.

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Il reste à mener un travail comparatif sur ces différentes modalités de reconnaissance comme « peuples », « nations », « commu-nautés », « minorités », « indigènes », « autochtones » ou « aborigènes » (Bellier 2009) allant de la non-reconnaissance jusqu’à des manifestations de déni de citoyenneté, en passant par des formes spécifiques d’inscrip-tion dans le politique, comme en témoignent les concepts de « race nationale » en Birmanie, de « nationalité minoritaire » en Chine ou de « tribu répertoriée », en Inde. Ainsi, la Constitution française précise-t-elle en son article 3 que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et la voie du référendum. Aucune section du peuple, aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». Cette expres-sion se comprend au regard du préambule qui fait référence au « peuple français », aux droits de la personne, à la souveraineté nationale, et qui, avec l’article premier, établit l’indivisibilité de la République ainsi que les principes de non-discrimination pour des raisons d’origine, de race ou de religion. Ces libellés limitent radicalement les possibilités de reconnais-sance constitutionnelle de « peuples autochtones », fussent-ils localisés dans les régions d’outre-mer ou en métropole. Le concept de « peuple » étant défini comme unitaire, en ce qui concerne les populations ultramarines dont elle reconnaît les spécificités, la République française s’appuie sur les principes de libre adhésion aux valeurs de liberté, égalité, fraternité, exposées dans le préambule. C’est ainsi que lorsque la Constitution française fait référence à plusieurs textes internationaux telle la Charte de l’environnement, dont le préambule correspond à une perspective développée par les Autochtones6, cela ne laisse d’autres options aux peuples qui cherchent une reconnaissance positive que de négocier leur indépendance, la République étant une et indivisible, ou de

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« [ ] qu’afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

changer la République pour qu’elle devienne plus inclusive.

Ce dispositif n’a pas empêché la France d’adopter la Déclaration des droits des peuples autochtones en 2007, en l’accompagnant d’une déclaration interprétative. Celle-ci fait référence aux principes régissant les politiques relatives aux populations d’outre-mer, et met l’accent sur la définition administrative du territoire pour l’organisation des consultations qui concerne-raient les communautés autochtones. C’est ainsi qu’a été organisé le processus de libre adhésion du département de Mayotte en 2008, et qu’après les accords de Nouméa (1998) mettant en place des mécanismes de transfert de compétence aux populations kanak et néo-calédoniennes, se construit le processus d’autodétermination dans les îles de la Nouvelle-Calédonie7. Ce même mécanisme, consistant à assortir l’adoption d’un texte international d’une déclaration interprétative visant à en restreindre l’application pour le contexte domestique, peut être décrit pour l’Inde ou la Chine qui ont également adopté la DDPA, ce qui montre combien les États restent aux commandes au moment où semble se développer une gouvernance mondiale. Les États membres de l’ONU peuvent ainsi adopter des normes internationales, déclara-tives ou juridiquement contraignantes, sans changer les bases philosophiques ou juridiques de leurs constitutions. Celles-ci évoluent cependant sous la pression qu’exercent de l’intérieur les membres de la communauté politique en certaines occasions, mais aussi sous l’influence de l’extérieur, comme on le voit en matière autochtone avec l’adoption de la convention 169 de l’OIT (1989) qui est ratifiée, à ce jour, par 22 États dont 15 latino-américains. Tous les États ayant ratifié la convention 169 ont fait évoluer leurs dispositifs constitutionnels et juridiques au regard des problématiques autochtones. C’est ainsi que depuis une vingtaine d’années, on observe un changement significatif des positions légales desdits peuples autochtones, notamment en

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Un référendum est prévu entre 2014 et 2018 pour l’ensemble des habitants du « Caillou », le corps électoral étant fixé aux résidents des îles en 1998.

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Amérique latine, où une série de mouvements eut lieu avec la sortie des dictatures et la démocratisation, aboutissant à l’adoption de constitutions reconnaissant les racines plurinationales et pluriculturelles de la Nation. (Bellier 2006; Yrigoyen Fajardo 2010) Le changement de paradigme en faveur de la dynamique des Premières Nations éclaire l’élection en Bolivie d’un président revendi-quant une ascendance indienne, disposant d’un large soutien même après un deuxième mandat et prêt à répondre à un certain nombre des demandes politiques des peuples originai-res. La Bolivie est sans doute à ce jour le seul pays qui a décidé de transposer la Déclaration des Nations Unies des droits des peuples autochtones directement dans la loi bolivienne. 1.5 Mobilisations internationales

Lorsque la protection légale ou constitution-nelle n’est pas octroyée, on note l’impact croissant des acteurs de la solidarité transnationale qui viennent perturber le face à face des États et des communautés autochtones dans nombre de situations d’occupation territoriale, de déplacement forcé ou de massacre.

De nombreuses études anthropologiques, de science politique ou d’économie s’attachent à décrire ou analyser la globalisation (Abélès 2008; GEMDEV 1999), le chemin vers une gouvernance mondiale, les réseaux d’action inter et transnationaux, l’internationalisation des organisations militantes et la construction de formes transnationales de solidarité (Morin et Santana 2002). Elles mettent en évidence l’existence a minima de deux options. La première tendrait vers un système homogé-néisateur, sous l’influence des mécanismes visant à instaurer un « bon gouvernement » en relation avec la notion d’état de droit et la mise en circulation de ce qui est dénommé « les bonnes pratiques », lesquelles font surtout référence à des principes validés dans l’Occident. Car on ne peut que constater la tendance visant à déconsidérer des formes alternatives d’organisation politique et sociale, à les présenter en ce qui concerne le monde autochtone comme des types de gouvernement tribal, ou comme favorisant la

corruption, jugement qui s’applique aussi à d’autres expériences politiques, notamment en Asie centrale, au Moyen-Orient et en Afrique. La deuxième option est de reconnaître le fait que s’opposent à cette homogénéisation financière, mercantile et idéologique, des mouvements sociaux qui se développent à l’échelle de la planète et qui s’expriment à certains moments de l’agenda international, par exemple, durant les sommets de la planète sur différents sujets.

À partir d’une mobilisation multiforme d’acteurs qui se connectent à l’occasion (ainsi qu’en témoignent les réseaux altermondialisation de la décennie antérieure, lesquels font écho aux mouvements écologistes, anticapitalistes ou en faveur des droits de la personne), des propositions alternatives de gouvernement ou de développement tentent de pénétrer la doxa internationale. Dans cette mouvance, le mouvement international des peuples autoch-tones occupe une place singulière. En effet, ses représentants ne se retrouvent pas simplement dans l’entre soi pour définir une plateforme politique ou échanger des idées sur des questions économiques, écologiques ou de droits de la personne les concernant directement, comme cela se produit sur le plan national ou régional (à cet égard, citons le dernier Sommet des peuples d’Abya Yala qui eut lieu à Puno, Pérou, en 2009 et regroupa plus de 2 000 délégués, hommes et femmes de tous les pays d’Amérique). Ils se retrouvent, tous les ans, entre représentants des six continents (y compris le Pacifique que les Mä’ohi de Polynésie désignent comme « continent liquide » et l’Arctique, ce « continent gelé » jusqu’à ce que le réchauffe-ment climatique entame la calotte glaciaire) dans le but d’impulser un changement normatif global qui leur serait favorable.

En se fondant sur l’analyse que les peuples autochtones souffrent de formes semblables de marginalisation (dont la ligne définie par l’étude de Martínez Cobo est suivie par la plupart des experts depuis lors), les délégués autochtones ne se limitent pas à la critique des politiques publiques affectant directement leurs communautés d’origine – qu’il s’agisse des politiques de redistribution des terres, de

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gestion des forêts ou des politiques de développement, de santé, d’éducation, de protection de la propriété intellectuelle. Leur critique converge avec la critique du néolibéra-lisme et rejoint celle qui, dans l’université et la recherche, réfléchit à la nécessité et aux conditions de possibilité d’un pluralisme démocratique – qu’il soit légal, éducatif, linguistique ou juridique. Leur option centrale, postcoloniale ou décolonisatrice selon que l’on se situe dans un courant d’idées universitaire ou dans une perspective politique, ne se limite pas à exiger la protection des cultures en voie de disparition, et le renversement du stigmate en drapeau. Leurs propositions cheminent avec les théories du multiculturalisme, (mal) compris en France comme un communauta-risme, s’accommodent des développements de l’interculturalité et sont critiquées par les tenants de la pensée universaliste (Amselle 2008) qui y voient non seulement une source de fragmentation du corps politique (Wieviorka 1997), mais aussi une réfutation de la science comme source de l’universitas. Ils entendent, sans figure intellectuelle représentative et unique, mais bien sous des formes multiples, proposer les voies d’une pensée autochtone comme une nouvelle forme d’universalisme, ce dont témoignent les convergences discursives et multilingues des délégués autochtones sur le thème de la « Terre-Mère », ou sur leur rôle de « gardiens de la terre », pour l’équilibre du monde et des écosystèmes. On peut à ce titre évoquer la constitution d’un discours politique transnational de l’autochtonie.

1.6 Tensions globales

Les normes internationales portent sur un domaine très vaste, allant des droits de la personne à la responsabilité sociale des entreprises en passant par le réchauffement climatique ou la protection des écosystèmes et de la diversité bioculturelle. Alors que les processus transnationaux ont des effets combinés et qu’il existe différents lieux de prise de décision, il s’avère très compliqué de penser les contradictions qu’engendre la globalisation en termes de gouvernance aux plans nationaux et locaux. Il est en particulier délicat de mesurer comment les formes de

dépendance économique et politique affectent les systèmes de droits de la personne qui se déploient dans le cadre légal défini par la Nation, dans différentes circonstances d’inté-gration régionale, elles-mêmes influencées par l’adoption de normes universelles.

Comme l’observe V. Stoczkowski (2009), la vision des Autochtones comme espèces de l’humanité dont la diversité doit être protégée domine l’adoption de plusieurs instruments internationaux, parmi lesquels figurent les déclarations et conventions de l’UNESCO. Cette étape définissant le contour de certains objets du droit semble influencer le cours d’un système global pour orienter, au moins idéalement, ceux qui détiennent le pouvoir sous des formes variées et contradictoires, vers l’acceptation des formes distinctes de vies et d’organisations autochtones – de pair avec les langues, les pratiques rituelles, les savoirs écologiques. Par la construction de doctrines relatives au patrimoine culturel, matériel et intangible et avec le déploiement de politiques d’inventaire dont les critères évoluent au fil des ans, ces instruments risquent cependant de ne reconnaître qu’« un état » du changement social et culturel que toute société, autochtone ou non, expérimente (Heinich 2009) en lui donnant une valeur, comme celle par exemple que confère le label « patrimoine de l’humanité ». La définition de certains rapports de « propriété » entre telle communauté autochtone et tel site, ou entre tel patrimoine archéologique et l’héritage national, ou entre tel groupe actuel et telle langue, rituel ou savoir à protéger, donne lieu à des controverses qui nourrissent des polémiques sur l’authenticité, sur les formes de la transmission ou sur la capacité à vivre selon la tradition (laquelle peut être reconnue même si elle est le fruit d’une reconstruction). Cela peut conduire à distinguer les « vrais » des « faux » Autochtones, ou propriétaires, ou ayant droits, ce qui ouvre la voie à d’innombrables discussions, parfois stériles.

Le débat n’est pas anodin puisque les Autochtones sont conduits, par les politiques publiques nationales qui fixent des critères de reconnaissance des droits à agir, à faire la preuve de leur « existence continue comme

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peuple », sur un « territoire ancestral », ainsi que de l’originalité des savoirs qu’ils maîtrisent afin de les protéger des processus de paten-tage conduits par des entreprises (par exemple, cosmétiques ou pharmaceutiques). Sans entrer dans le détail des collaborations très complexes qui engagent les représentants de la discipline, on voit les anthropologues être sollicités par les communautés autochtones ou par les tribunaux pour fournir la preuve requise. On peut aussi observer comment, au nom d’une soi-disant authenticité perdue ou réinventée, les Autochtones peuvent être délégitimés par le politique dans leurs efforts de reconstruction identitaire. Ces dynamiques fournissent la matière première des observa-tions des anthropologues sur le terrain.

2. COMMENT LES ANTHROPOLOGUES ADAPTENT-ILS LEUR PROJET ET LEUR PENSÉE THÉORIQUE À CETTE SITUATION? La « patrimonialisation » des cultures autochtones, qui pourrait bien aller de pair avec un « inventaire » des sociétés existantes et passées, est un phénomène complexe dont la compréhension passe par le développement de collaborations actives entre les représen-tants politiques autochtones qui luttent pour récupérer un contrôle sur des biens culturels qu’ils considèrent comme leur appartenant – ce qui ouvre un grand débat sur la question de la propriété, de la tradition et de la modernité – et les anthropologues qui peuvent aider à penser les formes historiques des transformations encourues. On observe en effet que des situations précaires d’ajustement entre discours globalisés et pratiques locales, en raison des intérêts économiques et sociaux que les gouvernements privilégient, notamment dans les domaines de la gestion des ressources naturelles, et entre les segments des sociétés composant le corps national, comme en témoignent les luttes autochtones sur le plan local.

La reconnaissance des représentants des peuples autochtones comme acteurs politiques d’envergure mondiale, du fait de leur partici-pation aux forums de la gouvernance mondiale et de leur insertion progressive dans les sphères académiques, nous fait pénétrer dans

un moment de plus grande complexité relative. Ce qui est en jeu, c’est la conversion de l’universalisme dont les racines occidentales sont critiquées par les auteurs postcoloniaux et subalternistes, et sur lequel s’appuient les principes généraux du droit, en un univer-salisme compatible avec la promotion dynamique de la diversité. Cela ouvre la porte à un débat philosophique qui suit différentes pistes avec le concept de « dialogue interculturel » ou la notion de « pluralisme juridique » dont les dimensions pratiques restent à être explorées de manière compa-rative, y compris pour démontrer comment elles s’articulent avec les mécanismes d’exploitation des ressources humaines et naturelles.

Dans cette section qui sera plus brève que la précédente, nous partirons d’un exemple relatif à un cas récent de violation des droits autochtones pour discuter l’usage social et politique des catégories de l’anthropologie. Il expose les difficultés auxquelles sont confron-tés les anthropologues pour prévenir de telles situations et ouvre à une réflexion sur la question de l’éthique.

2.1 Le « massacre » de Bagua

En juin 2009, je revenais à Lima vingt ans après avoir terminé mes recherches auprès de la société mai huna, apparentée à la famille linguistique tukano occidentale, et située au nord-est de l’Amazonie péruvienne (Bellier 1991). Les communautés amérindiennes du Piémont andin et de la forêt étaient alors sur un pied de guerre, tous les groupes amazoniens fédérés dans l’organisation AIDESEP soute-nant un mouvement de grève, avec blocage du transit routier, depuis le mois d’avril 2009. Ils s’opposaient à une série de décrets visant à ouvrir plus largement l’Amazonie à l’exploita-tion pétrolière et forestière, en conformité avec la signature par le Pérou de l’accord de libre-échange avec les États-Unis. (Acuerdo de Promoción Comercial Perú-EE.UU)

Le 5 juin, le gouvernement péruvien décidait de lancer les effectifs de la police pour en terminer avec une manifestation insurrectionnelle qu’il identifia comme étant manipulée de l’extérieur,

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en raison des marques d’appui que les présidents bolivien (Evo Morales) et vénézuélien (Hugo Chavez) manifestent envers les Autochtones depuis leur arrivée au pouvoir. Pour ce faire, le gouvernement péruvien se servit d’une lettre adressée par Morales au Sommet des peuples de Abya Yala qui avait eu lieu fin mai au Pérou (Puno), dans laquelle le leader bolivien appelait à une réponse coordonnée des peuples autochtones contre le capitalisme mondial. L’affrontement dans la zone de Bagua fut violent et se conclut par la mort de vingt-deux policiers, et d’une cinquantaine d’Indiens, par la disparition d’un nombre inconnu de personnes et par la perte de confiance des Péruviens à l’égard de leur gouvernement.

Face à cet événement dramatique, qui s’inscrit dans une série d’autres événements de même portée que l’on peut retracer depuis une trentaine d’années, un fait me parut nouveau dans la culture politique péruvienne. Les Métis, Criollos et Ribereños, appuyaient le mouve-ment indien pour défendre l’Amazonie à l’encontre d’un gouvernement accusé de corruption en faveur des intérêts trans-nationaux. Les gens de la rue participèrent aux manifestations orchestrées par les organi-sations autochtones et de soutien, les Métis de la région de Bagua témoignèrent en faveur des Indiens. C’est un tournant significatif.

Les médias furent pourtant extrêmement lents à donner une information exhaustive et vérifiée sur les faits et les motivations de ceux qu’ils appelèrent des « rebelles ». Leur langage sur « la rebelión de las etnías » témoignait d’une réelle indifférence à la question des droits collectifs autochtones, si ce n’est une totale ignorance alors que les autorités péruviennes avaient été directement impliquées dans la négociation de la Déclaration des droits des peuples autochtones, leur ambassadeur auprès des Nations Unies assumant la prési-dence du groupe (GTPD)8 durant dix ans. Les

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GTPD : Le groupe de travail sur le projet de Déclaration relaya de 1995 à 2006 le Groupe de travail sur les populations autochtones pour parvenir à former un consensus sur le texte de la DDPA, afin de permettre son adoption d’abord au Conseil des droits de l’homme (juin 2006) puis à l’Assemblée générale (2007).

médias proches du pouvoir dénonçaient aussi les défenseurs péruviens des autochtones comme de « purs idéologues » (tel J. de Althaus, cité par Pedro Garcia Hierro, juin 2009, dans son droit de réponse au journal Le Commerce). Ce découplage des scènes de l’État, où la main droite ignore ce que fait la main gauche et où les médias prennent parti, n’est pas propre au cas péruvien. Cela interpelle les chercheurs dans le domaine de l’anthropologie politique de l’État, sur les mécanismes et les arguments déployés pour justifier du respect des engagements politi-ques, internationaux ou nationaux, lorsqu’ils sont en contradiction.

La manière dont se déroule le processus de récupération des identités (qui se nourrit des dispositifs internationaux tels que ceux adoptés par l’UNESCO9), de défense du territoire, et d’affirmation de soi comme ensemble doté de droits collectifs pose question à la discipline au sens large. Notamment lorsque l’on observe simultanément une remise en question des catégories de l’anthropologie classique (relati-ves aux ethnies, clans ou tribus), aussi bien de la part des nouveaux anthropologues que des intellectuels autochtones. Il nous faut penser le déplacement des catégories analytiques ainsi que la nature des collaborations qui peuvent s’établir entre anthropologues et Autochtones, lorsqu’ils ne travaillent plus les uns sur les autres, mais ensemble.

2.2 Déplacements catégoriques

Les catégories de l’ethnologie sont mises à l’épreuve de la critique non pour leur pouvoir descriptif ou analytique, mais parce qu’elles ont contribué à figer la perception de la différence culturelle autour de hiérarchies en distinguant certains « autres » par leur niveau de développement ou de civilisation. Et le problème que l’on observe n’est pas tant celui de leur mise à jour dans le projet anthropolo-gique que celui du découplage existant entre les scènes scientifiques qui ajustent

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Déclaration universelle sur la diversité culturelle (2001); Convention pour la sauvegarde du patrimoine intangible (2003); Convention pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (2005).

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continûment leurs cadres théoriques et les scènes politiques et médiatiques qui les exploitent à retardement.

La relation entre les scènes scientifiques et les sociétés nationales varient selon les pays, mais il me semble que si la discipline se saisissait plus précisément du changement de paradigme qu’induit sur le plan politique la reconfiguration des « ethnies dominées » en « peuples autochtones », elle serait mieux équipée pour éclairer les transformations en cours dans la dynamique des rapports entre groupes sociaux, entre sociétés dominantes et minorités, entre États et peuples, en raison de ces phénomènes de transnationalisation qui traversent la globalisation. Alors que l’on observe certaines résistances en France et tandis que l’on voit de nouveaux travaux se développer dans les Amériques sur ces questions, il s’agirait de démontrer dans une perspective de communication vers le public que l’anthropologie n’est pas la science de l’autre, du dominé, des cultures perdues, mais bien une science sociale et une science de l’homme dans toute sa complexité et moder-nité. Ce qui pose aussi la question de la circulation des savoirs anthropologiques en dehors du milieu universitaire.

Une réflexion comparatiste dans l’espace scientifique international défini par des chercheurs, des universités, des revues, des congrès, etc., conduit à cet examen critique qui mène au constat de la disparition du monde des ethnies – en tant qu’isolats culturels que les médias mettent en scène soit comme des objets exotiques, soit comme des sources d’explication des conflits. Il s’agit bien de montrer comment les sociétés que l’on observe (ici comme ailleurs) sont prises dans des processus transnationaux qui affectent précisé-ment leur reproduction et comprécisé-ment une approche des questions autochtones par les droits de la personne s’impose pour bousculer les hiérarchies implicites ou explicites. L’enjeu est de produire de nouvelles catégories analy-tiques pour penser les formes de la domination dans un univers qui n’est plus seulement défini par l’État-nation.

L’expression « peuples autochtones » repré-sente l’une de ces catégories de pensée susceptibles de sortir ceux que l’on classe populairement dans le monde des ethnies de l’altérité radicale qui a conduit les sociétés dominantes à repousser certaines d’entre elles aux confins de l’humanité. Mais elle est problé-matique par le fait de combiner le caractère universel du terme « peuple », dont les développements politiques sont à mettre en rapport avec ceux de l’État, au caractère clivant du terme « autochtone » (indigenous/ indígenas) qui en faisant référence à un lieu d’origine introduit la perspective d’une distinc-tion sur la base d’une territorialité. Au-delà des ambiguïtés portées par le terme « autochtone » du fait de son étymologie et de l’instabilité des référents qu’il convoque dans les différentes langues dans lesquelles il peut être traduit, le fait est que la question même de l’autochtonie est contestée dans un certain nombre de pays dont les sociétés dominantes (ou maintream society) ne résultent pas d’un processus de peuplement par la colonisation occidentale, comme cela s’est produit dans les mondes américains, australien ou néo-zélandais, mais de vagues successives d’occupation humaine, comme c’est le cas en Asie ou en Afrique. Dans ces régions du monde, un travail additionnel est requis, ainsi que l’a réalisé le Groupe de travail de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP-IWGIA 2005); en effet, pour identifier ceux qui dans l’ensemble des groupes et des sociétés africaines relèvent de l’indigénéité ou de l’autochtonie (au sens international du terme), ce dernier se basa sur des façons de désigner l’autre de manière discriminatoire.

L’usage international de la catégorie « peuples autochtones » contribue aujourd’hui à poser les termes du débat sur les questions les concer-nant. L’expression correspond à un langage politiquement correct, en tous cas agréé par la communauté internationale avec l’adoption de la DDPA, pour désigner des entités qui d’une part sont reconnues comme ayant des spécificités, et d’autre part cherchent à être reconnues dans le champ du politique et de la citoyenneté. Mais les réalités sociales qu’elle recouvre sont diverses, et la conscience qu’ont

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un certain nombre de groupes d’appartenir à la catégorie « peuple autochtone » n’est pas toujours partagée dans les communautés locales qui continuent d’utiliser leur manière propre de se reconnaître et de s’auto-définir (ce qui renvoie à l’ensemble des ethnonymes dont on sait qu’ils sont susceptibles de se modifier historiquement). Par ailleurs, au moment où se discutent des projets de développement, ce sont des segments de peuples ou de communautés qui peuvent être concernés, ou des entités de formes variées qu’il s’agit de décrire de manière plus appropriée que la catégorie « peuple autoch-tone » pour comprendre leur insertion dans la société globale.

Adoptée pour reconnaître aux « indigènes » un attribut reconnu au peuple, à savoir le droit à l’autodétermination, la forme « peuple autoch-tone » relève du langage international, du discours des organisations autochtones et des ONG de soutien, de celui des quelques juristes qui se penchent sur la question (Karpe 2008) et qui suivent les transformations du côté du droit. Son usage alterne avec d’autres modes de désignation comme celle de « peuple originaire », ou d’aborigène (indépendamment du contexte australien qui marque son entrée dans le lexique français), ou encore « aborigi-naire », entendu en Amérique latine et qui semble marquer la volonté de spécifier une antériorité (Bellier 2009). Dans certains pays comme au Mexique, on voit s’opérer une distinction entre « pueblo originario » et « pueblo indígena » selon que le groupe concerné est déjà là ou résulte d’une migration. La forme alterne avec les catégories usitées par le politique pour désigner les Autochtones, comme celles de « communauté native » (en Amérique latine), de « Premières Nations » (Canada), de « Peuples Premiers » (France), et aussi avec celles qui y font des références indirectes comme on le note, par exemple, dans la Constitution du Rwanda qui vise à « éradiquer les divisions ethniques et les discriminations fondées sur la race, l’ethnie, le clan, la tribu, la couleur de peau, le sexe, la région, l’origine sociale, la religion ou croyance, l’opinion, la fortune, la différence de culture, de

langue, la situation sociale, le handicap physique ou mental ».

Le flottement sémantique qui s’assortit d’une insécurité juridique place les anthropologues, mais aussi les sciences politiques face à un double défi : celui de penser la loi pour les groupes sociaux en situation de subalternité, et celui de penser l’autodétermination lorsqu’il ne s’agit pas toujours d’organiser l’indépendance, la création d’un nouvel État ou la division territoriale. Il s’agit surtout de comprendre comment les peuples autochtones dans leurs différentes situations se positionnent par rapport à ces questions. Les années de discus-sion précédant l’adoption de la Déclaration des droits des peuples autochtones ont mis en évidence la nécessité de penser différentes modalités d’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, sur un spectre relative-ment ample allant du respect du droit au consentement libre et pris en connaissance de cause, à l’autonomie, et à la décolonisation. C’est dans cette perspective que la lutte des peuples autochtones débouche sur des perspectives théoriques et juridiques ouvrant la réflexion sur la forme de la démocratie qui se pratique dans tel ou tel pays et sur les condi-tions de possibilité d’une communauté politique plurinationale.

Si la catégorie « peuple autochtone » permet d’établir une relation entre le territoire et l’usage vital des ressources pour le maintien des économies de subsistance, elle ne permet pas de penser de manière appropriée toutes les transformations que vivent les groupes concernés, en particulier lorsqu’ils ont perdu une relation organique avec le territoire d’ori-gine ou supposé tel. Se pose en particulier la question des Autochtones urbains ou des Autochtones migrants, situation sur laquelle les anthropologues ont commencé à se pencher, mais pas nécessairement en les appréhendant comme « Autochtones ».

2.3 L’anthropologie et les droits autochtones

Une étape pour replacer l’anthropologie dans le champ des droits humains autochtones fut franchie lorsque l’Association américaine

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d’anthropologie (AAA 2008) choisit comme thème de son congrès annuel de travailler sur la « collaboration, l’inclusion, l’engagement social » et qu’elle invita, pour la session organisée par la présidence, des leaders autochtones pour évoquer les perspectives ouvertes par la DDPA. Ce n’était pas la première marque de sensibilité aux situations de violations des droits de la personne, mais le 22 juin de l’année suivante, à la suite du massacre de Bagua, le Comité des droits humains de cette Association mondiale envoyait une lettre au gouvernement péruvien réclamant le respect des droits des peuples autochtones.

On voit aussi l’Association canadienne d’anthropologie sociale ou l’Association européenne des anthropologues sociaux se préoccuper de ces questions sous l’angle du droit, du pluralisme juridique ou des études de la globalisation. Leurs derniers congrès accueillent des panels discutant des processus transnationaux, dans lesquels on voit mûrir la réflexion sur le mouvement autochtone, ses impacts politiques, les processus de production culturelle qui dérivent des articulations comple-xes entre niveaux internationaux, nationaux et locaux, pour penser les formes de la gouvernance ou décrire les processus de communication interculturelle et l’impact de la diversité sur la fabrique internationale des normes.

CONCLUSION

La « réincarnation » internationale du sujet autochtone comme acteur politique donne une visibilité nouvelle à une série d’entités que les constructions nationales avaient essayé d’assimiler. En parallèle, on assiste, dans la mouvance des études postcoloniales, à un certain nombre d’attaques qui visent à délégitimer la position savante de l’anthro-pologue, supposé héritier de l’ensemble des méfaits coloniaux. Cela peut conduire à la fermeture des terrains dont les conditions n’auraient pas été négociées avec les « objets d’étude ». La transformation des « objets » en sujets, inhérente à la ré-articulation de l’autoch-tonie dans le champ du politique et à la formation des Autochtones comme acteurs

politiques, conduit ainsi à de nouveaux processus d’explicitation, à caractère éthique, qui sont susceptibles d’affecter d’autres disci-plines que l’anthropologie dans leurs rapports aux communautés autochtones.

Après la critique formulée par A. Kuper dans The Return of the Native (2003) pour dénoncer le primitivisme qu’il repérait dans l’institution-nalisation des questions autochtones, on observe bien que « l’Indien fait retour » comme l’indique le titre d’un ouvrage récent publié par C. Salazar et V. Robin (2009) ou, précédem-ment, José Bengoa (2000) qui traite de « l’émergence indigène » (et de ses effets) dans un continent où ces sujets étaient voués à disparaître. La réflexion sur les ajustements de l’État aux perspectives politiques de l’autochtonie nous interroge aussi sur le déploiement d’imaginaires néo-indigénistes qui s’enracinent dans la tradition, alors que l’on observe des faits de la modernité et sur le clivage des positions analytiques.

Si l’on voit que les anthropologues se saisissent de ces domaines jusqu’alors réservés aux sciences du politique, des institutions et des relations internationales, parce qu’ils sont « spécialistes des cultures », mais pour appréhender les aspects « droits humains » qui concernent leurs sujets, ils disposent rarement des moyens nécessaires à la réalisation d’études de terrain globalisées ou comparatistes qui permettent de comprendre la dynamique des peuples autochtones et les transformations qu’elle induit dans le système international. Ils sont peu friands du travail en réseau et configurent rarement des équipes internationales, alors que ces méthodes sont sans doute le seul moyen de travailler sur les relations entre le global et le local qui éclairent le changement de paradigme, en montrant comment les propositions autochtones locales s’articulent dans la globalisation.

Indépendamment des conditions financières nécessaires à l’accomplissement de telles études, les anthropologues sont, de par leur formation plus ciblée sur l’ethnographie locale, mal équipés pour porter les perspectives d’une anthropologie multi-située (Marcus 1995) jusqu’à ses limites les plus extrêmes, leur

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