M. LESSIRE
INRA Station de Recherches Avicoles 37380
Nouzilly
Qualité des viandes de volaille : le rôle des matières
grasses
alimentaires
La qualité des viandes et des produits animaux est devenue
unepréoccupation majeure pour tous les partenaires de la filière avicole.
La teneur
enlipides des viandes, critère de qualité pour le consommateur, dépend des caractéristiques nutritionnelles des aliments ingérés et des quantité et qualité des matières grasses
ajoutées.
L’éleveur,
leproducteur avicole,
ont pourobjectif
deproduire
au moindre coût unequantité importante
d’animaux :poulets,
din-dons... Ces coûts de
productions dépendent largement
duprix
de l’aliment et surtout desingrédients énergétiques qui
lecomposent.
Le niveauénergétique
défini par le formulateur revêt donc uneimportance
considérable nonseulement pour le
profit
duproducteur (Pesti 1994)
mais aussi pour le choix des matièrespremières
constitutives des rations. Ainsil’incorporation
de matières grasses dont la teneur enénergie
atteint ledouble,
voire letriple
de celle des céréales et tourteaux estparticulièrement justifiée
dans les aliments concentrés modernes.Commercialiser la
plus grande proportion
de l’animal est
l’objectif
del’abattoir,
aussitoute
perte
de rendement estpréjudiciable.
Les excès de
graisse
abdominale et viscérale éliminés lors de lapréparation
et de ladécoupe (environ
35 % et 90 % despoulets
etdes dindes
produits
en France ont été décou-pés
en1994)
seront autant depertes
que l’abattoir devrarépercuter.
En outre cesgraisses
excessives accroissent les coûts denettoyage
des chaînesd’abattage
et dedépol-
lution des effluents de l’abattoir.
Enfin le
consommateur, qui apprécie
demoins en moins les aliments gras, est
égale-
ment sensible aux
dépôts adipeux qu’il
éli-mine lui-même ou
qui
fondent lors de la cuis- son, or la masse de cesdépôts
s’estlargement
accrue
depuis
30 ans(Leclercq 1989).
Abattoirs et consommateurs sont donc concernés par l’état
d’engraissement
des car-casses des volailles.
Quel
rôlejouent
lesmatières grasses alimentaires dans les quan- tités et
qualités
desdépôts adipeux
desoiseaux ? Leur nature
peut-elle
modifier laqualité organoleptique
etdiététique
desviandes de volaille ?
1 / Apport énergétique
de la ration et état
d’engraissement
Les
dépôts corporels
delipides
varient chez les oiseaux en fonction de nombreux para-mètres ;
lesplus
connus sontd’origine géné- tique
et nutritionnelle(Fisher 1984).
L’es-pèce, l’âge
et le sexe de l’oiseau sont en effetsusceptibles
de modifier l’étatd’engraisse-
ment.
Ainsi,
àl’abattage (Larbier
etLeclercq 1992),
lepoulet
renferme en moyenneplus
deRésumé
-D’année en année, la consommation de viande de volaille va croissante en France
au détriment des autres
produits
carnés. Cet engouement a pour raisons essen-tielles un
prix
resté modéré et la moindre teneur en lipides des viandes de volaille. Or, le poulet en particulier est devenu de plus en plus gras. L’objet de cetarticle est de préciser les facteurs d’origine alimentaire responsables de l’engrais-
sement des oiseaux.
L’augmentation du niveau
énergétique
de la ration, et surtout du rapport caloriessur protéines accroissent
beaucoup
plus l’engraissement dupoulet
que la quan- tité des lipides ingérés. A l’inverse, la nature de ces lipides peut modifier profon-dément les
profils
en acides gras desdépôts adipeux
et avoir ainsi un effet sur la stabilité et la qualité organoleptique etdiététique
duproduit.
A
l’abattage,
lepoulet
et le canardsont
plus
gras que le dindonneau et lesfemelles plus
grasses que les mâles.
lipides
que le dindonneau :17,2
vs8,4
% etles femelles sont
plus
grasses que les mâles :18,9
vs15,5
% et9,7
vs7,1
% chez lepoulet
etle dindonneau
respectivement.
Ces diffé-rences
d’engraissement
existentpratique-
ment dès la naissance chez le
poulet
etn’ap- paraissent qu’à l’âge
de 84jours
chez la dinde(figure 1).
L’étatd’engraissement
du canardest très
proche
de celui dupoulet.
Il en est demême de la
proportion
de gras abdominal :2,9
% chez le canard(Leclercq
et de Carville1986), 2,7
% chez lepoulet
mâle et seulement0,6
% chez le dindonneau(Kouba
et al1992).
Ce
dépôt,
éliminé àl’éviscération,
a constituéle critère
privilégié
de sélection delignées
depoulets maigres puisqu’il
est corrélé auxlipides
totaux de la carcasse(Delpech
etRicard 1965).
L’apport
de matières grasses :huiles, graisses
animales ougraines oléagineuses,
dans les rations a
permis
d’en accroître la densitéénergétique
améliorant ainsi les per- formances de croissance des oiseaux.Cepen- dant,
tout accroissement del’ingéré énergé- tique s’accompagne
d’undépôt
accru delipides corporels (Leclercq 1986).
Dans detelles
conditions,
il conviendrait deséparer
l’effet
spécifique
des matières grasses de celui d’un accroissement de la densitéénergétique
de la
ration,
et donc de raisonner(ou
formu-ler)
les aliments àrapport protéines
sur calo-ries
(P/C)
constant. Selon Combs(1962),
lacorrélation
négative
entre lerapport
P/C et lateneur en
lipides corporels
montre que le pou- let estcapable d’augmenter
soningéré
totalpour satisfaire son besoin en
protéines.
Cettehypothèse
a étéreprise
par de nombreux auteurs(voir
revue de Fisher1984).
A
l’inverse,
la réduction deslipides
corpo- rels par des aliments riches enprotéines,
et donc àrapports
P/Cplus élevés, s’explique-
rait par le coût
énergétique
élevé de l’élimi- nation sous forme d’acideurique
de l’azoteexcédentaire par
rapport
aux besoins.Cepen- dant,
des aliments renfermant desprotéines
peu
digestibles
telles que la farine deplume,
et
qui
ne conduisent donc pas à une excrétionaccrue d’acide
urique
réduisent de la mêmefaçon
lesdépôts
gras(Griffiths
et al1977).
Ilen est de même de certains acides aminés tels que l’acide
glutamique (Velu
et al1972).
Cesrésultats
qui
sont illustrés à lafigure 2,
mon-trent que la
réponse
despoulets
à une éléva-tion du
rapport protéines
sur calories est cur-vilinéaire,
le minimum delipides
totauxdéposés
est de 80g/kg
depoids vif,
le maxi-mum atteint 180
g/kg.
Un tel schémapermet
donc deprévoir
la masselipidique
desoiseaux en fonction du
rapport
P/C de l’ali- ment.Dans de telles
conditions,
modifier le niveauénergétique
de la ration par unapport
deglucides
ou delipides
à teneur constanteen
protéines
aura un effet surl’engraisse-
ment que l’on pourra estimer à
partir
du cal-cul des
rapports
P/E(Fisher
1984). A l’in- verse, modifierl’énergie
métabolisable d’un aliment àrapport
P/E constant aura desconséquences complexes
tant sur la formulealimentaire que sur la
réponse
des oiseaux.Il est
classiquement
admis que la substitu- tion desglucides
par deslipides
diminue lasynthèse hépatique
d’acides gras. Cette modi- fication est attribuéeplus
à une réduction del’apport
deglucides qu’à l’apparition
delipides
dans l’aliment(Hilliard
et al1980).
Une réduction de la
synthèse
d’acides gras devrait donc conduire à desdépôts
réduits.Or,
àquantité égale
d’alimentingéré,
la crois-sance du
poulet
et la rétentiond’énergie
aug-mentent avec des aliments dont on a substi- tué une
partie
desglucides
par deslipides (substitution isoénergétique),
mais sa compo- sitioncorporelle
n’est pas modifiée(Grimber-
gen et al
1982).
La diminution de lasynthèse hépatique pourrait
êtrecompensée
par ledépôt
direct des acides gras absorbés.Cependant,
de tels essaissupposent
une substitutionisoénergétique parfaite
entreingrédients alimentaires, qu’ils
soient d’ori-gine glucidique
oulipidique. Or,
de nombreux facteurs et interactions sontsusceptibles
defaire varier les valeurs
d’énergie
métaboli-sable des
lipides
alimentaires(Wiseman 1984),
conduisant ainsi à des substitutionsqui
ne sont pasisoénergétiques
et donc à desaliments
n’ayant
pas les mêmesrapports
pro- téines sur calories. Ce biaisméthodologique peut
être àl’origine
des nombreuses diver- gences observées dans labibliographie
et lamesure in vivo
systématique
del’énergie
métabolisable,
ou mieux del’énergie
nettedes aliments
expérimentaux
devrait être effectuéeparallèlement
aux mesures de com-position corporelle.
2 / Acides gras alimentaires et qualité des
carcassesLa
composition
en acides gras deslipides
des tissus
dépend largement
del’importance
relative de la
lipogénèse hépatique
et dudépôt
direct des acides grasingérés.
Lesdépots adipeux
depoulets
recevant un ali-ment
dépourvu
delipides (tableau
1) se com-posent
enmajorité
d’acidepalmitique (25 %)
et d’acide
oléique
(45 à 58%).
Pour ce dernieracide, la
valeur laplus
élevée est observéesur des animaux dont la ration est totale- ment carencée en
lipides (Bottino
et al 1970)et dont le taux de survie moyen est
faible,
del’ordre de 50 %. Dans l’autre cas, il
s’agit
depoulets
ne recevant pas delipides exogènes
mais l’aliment distribué renfermait une pro-
A même
apport protéique, plus
ladensité
énergétique
del’aliment est élevée et
plus
lesdépôts lipidiques
augmentent.
Le
profil
en acidesgras des
dépôts corporels reflète
en
général
celuides
lipides ingérés.
portion importante
de maïs(37
à39,7
%)qui
contient une huile riche en acides gras insa- turés. Chez ces
oiseaux,
lesprofils
en acidesgras
sont,
enoutre, identiques quel
que soit le lieu desdépôts :
gras abdominal et sous-cutané.
Une
supplémentation
de la ration enlipides
se traduit par une modification desprofils
desdépôts
d’autantplus importante
que les
caractéristiques (longueur
du chaînoncarboné et nombre de doubles
liaisons)
des acides grasingérés
diffèrent de celles deslipides endogènes.
Lacomposition
du tissugras abdominal de
poulets
recevant diffé-rentes sources
lipidiques
estprésentée
au tableau 2. Elle varie dans delarges
propor- tions en fonction de la nature et donc de lacomposition
deslipides ingérés.
Leprincipal
effet d’unegraisse
ou huile alimentaire insa- turée est de faireapparaître
dans leslipides corporels
des acides nonsynthétisés
par lepoulet : linoléique
etlinolénique.
Cesincorpo-
rationspeuvent
être massives dans des cas d’aliments riches en huile de maïs ou de lin.Des acides gras moins
classiques
à chaînecourte et saturée ou
longue
et renfermantplusieurs
doubles liaisons sontégalement incorporés,
il en est de même des acides gras de forme trans(Leclercq
et al1965).
D’une
façon générale,
leprofil
en acidesgras des
dépôts
reflète lacomposition
deslipides ingérés.
Des corrélationssignificatives
entre la nature des
lipides
alimentaires et celle desdépôts adipeux
ont été mises en évi-dence,
enparticulier
pour les acides gras insaturés(Pinchasov
et Nir1992,
Gaudron et al1993,
Scaife et al1994).
En outre il est à noter que les différentes
sources de matières grasses utilisées dans ces
essais n’ont eu aucun effet sur
l’engraisse-
ment des
oiseaux, qui
était estimé par la pro-portion
de gras abdominal et/ou la teneur enmatières grasses des cuisses et
pilons.
Ces
changements
deprofils
en acides gras desdépôts adipeux
dupoulet s’accompagnent
d’une modification de
l’aspect
des carcassesde
poulets qui
ont été notéesplus
fermes etsèches au toucher dans le cas d’animaux dont les aliments sont
supplémentés
avec du suif(Edwards
et al1973,
Gaudron et al1993).
Al’inverse,
des carcasses depoulets
nourrisavec des huiles insaturées ont des
graisses plus molles ; l’appréciation
de laqualité
de lacarcasse
peut
doncdépendre
de la teneur enacides gras saturés
(Gaudron
et al1993)
deslipides déposés
et doncingérés
par l’oiseau.Afin obtenir des carcasses considérées comme
de bonne
qualité visuelle,
ces auteurs ontpré-
conisé des rations dont la fraction
lipidique
serait constituée de 20 % d’acide
palmitique
et de 24 % d’acide
linoléique.
En dehors de
l’aspect
de la carcasse, lasaveur
peut également
être altérée par l’utili- sation de différentes sources delipides
ali-mentaires. Il en est ainsi des
lipides
riches enacides gras
polyinsaturés,
trèssusceptibles
àl’oxydation,
ou delipides déjà oxydés
avantd’être consommés par les oiseaux. Ainsi une
incorporation
de farine ou d’huile depoisson peut
provoquerl’apparition
d’ungoût
désa-gréable
que l’on attribue àl’oxydation
desacides gras insaturés à
longue
chaîne(série
n-3). Cette altération est rencontrée
principa-
lement dans des viandes cuites avant stoc-
kage (Poste 1990)
alorsqu’aucun goût
depoisson
n’est détecté sur une viandeanalysée juste après
la cuisson(Huang
et al1990,
Mil- ler etHuang 1993).
De nombreux auteurs(voir
revue deSheeby
et al1993)
mention-nent l’intérêt de
larges supplémentations
envitamine E
(160 UI/kg)
non seulement sur lesperformances zootechniques : mortalité, croissance,
efficacitéalimentaire,
mais aussisur la non altération des
qualités organolep- tiques
dupoulet pendant
lestockage. Ainsi,
une viande fraîche ou
congelée
etdégustée
aussitôt
après
cuisson estparfaitement acceptée quelles
que soient la nature deslipides ingérés
par l’oiseau et la teneur envitamine E de l’aliment. A
l’inverse,
la sup-plémentation
de l’aliment en cette vitamine contribue au maintien desqualités
organo-leptiques
dupoulet
si ladégustation
est effec-tuée
après
une conservation de 3jours (+
4!C)
de la viande
cuite,
cet effet est surtoutimpor-
tant pour une viande
préalablement congelée.
La vitamine E
(200
mgd’a-tocophérol/kg d’aliment)
distribuéependant
les 3 à 4 semai-nes
qui précèdent l’abattage,
sature les tissusgras des
poulets,
améliorant ainsi leur résis- tance àl’oxydation (Brandon
et al1993)
et leuracceptabilité (Miller
andHuang
1993).Conclusion
Il ne fait aucun doute que le
poulet
indus-triel actuel diffère de ses ancêtres récents éle-
vés il y a seulement
quelques
décennies. Il est abattuplus jeune
et sa carcasse estplus
grasse. Cette
caractéristique
que certainsqualifieront
denon-qualité
s’estdéveloppée
chez cet animal dont la
propension
àdéposer
les
lipides ingérés
est élevée. Les matières grassesincorporées
dans l’aliment ont vrai- semblablement contribué à cetengraisse- ment,
mais sans doute moins par leur rôle direct que par les modificationstechniques qu’elles
ontapportées
aux fabricants d’ali- mentscomposés,
enparticulier
en leur per- mettant d’accroître la concentrationénergé- tique
des rations.Malgré cela,
la viande de volaille resteencore
maigre
parrapport
à d’autresproduits
carnés dont la consommation décroît. En
outre,
leslipides
contenus sont riches enacide gras insaturés ce
qui
conduit encoreplus
les diététiciens à en recommander la consommation. Enfin lapropension qu’ont
lesoiseaux à
incorporer
dans leurs tissus les acides gras alimentaires ycompris
les acidespolyinsaturés
àlongue
chaîne devraitconduire le fabricant d’aliment à utiliser des matières
premières
riches en ces acides afin de suivre les recommandations du corps médical pourqui
ces acides gras diminuent le taux de cholestérolcirculant,
limitant ainsi lesrisques
cardio-vasculaires chez l’homme.Cependant
une tellepratique peut
avoir desrépercussions
surl’oxydation
desproduits
etdonc sur leur
acceptabilité,
leur «qualité
»,chez le consommateur.
L’ajout
dematières grasses à l’aliment
peut
aussimodifier l’aspect
de lacarcasse et altérer la saveur de la viande.
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content ofpoultry
meat. Chickens however have been
becoming
fat-ter over the last years. The aim of this review is to
analyze
thedietary
factors which are respon- sible of fatdeposition
inpoultry.
The increase of the
dietary
energy level and par-ticularly
of the calorie toprotein
ratio has moreeffect on fat
deposition
than the actuallipid
intake level.
Conversely,
theorigin
and the com-position
ofdietary lipids
maymodify
thefatty
acid
profiles
of theadipose
tissues and thuschange
theorganoleptic
characteristics and the resultant nutritional value of thepoultry
meat.LESSIRE