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DES FRENCH DOCTORS À LA PÉNURIE, UN TRAGIQUE DÉRÈGLEMENT

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DES FRENCH DOCTORS À LA PÉNURIE, UN TRAGIQUE DÉRÈGLEMENT

Yannick Bartélémi

L’

incroyable pandémie qui s’est développée ces der- niers mois, à partir de la Chine, a mis en lumière les difficultés d’organisation de notre système de santé, en particulier de notre système hospitalier. Et les faiblesses d’une organisation administrative où les divers échelons, des agences régionales de santé à la Direction géné- rale de la santé, ne savent plus ce qui est de leur compétence et ce qui ne l’est pas. Et aussi le défaut d’anticipation révélé par la pénurie de masques. Mais outre l’inadaptation de notre système hospitalier face aux transitions épidémiologiques, outre l’augmentation des maladies chroniques, les effets du vieillissement de la population et l’accroisse- ment des précarités à prendre en charge cette crise a souligné les écarts de plus en plus flagrants entre les systèmes de santé des pays du Nord et ceux des pays du Sud, impérities dont nous ne sommes pas exempts de responsabilité.

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Il est important de souligner à quel point nos choix et nos défi- ciences accentuent les faiblesses des systèmes de santé de pays qui sont à l’origine d’une pression migratoire dont les effets se font sentir jusque dans nos hôpitaux.

Une médecine compradore

Un des aspects de la crise liée au Covid-19 est d’avoir mis en lumière que le bon fonctionnement des systèmes de santé, en particu- lier hospitaliers, des pays de l’Organisation de coopération et de déve- loppement économiques (OCDE) dépend de la présence de praticiens issus de pays qui arrivent à les former mais pas à les garder. La presse s’est ainsi fait l’écho des remerciements adressés par Boris Johnson en quittant l’hôpital londonien Saint-Thomas, où il venait de passer une semaine en soins intensifs, à une infirmière néo-zélandaise et à un infirmier portugais. Cette anecdote est révélatrice, même si, du fait des nationalités de ces soignants, elle est loin du cœur du sujet.

La situation globale des pays de l’OCDE est éloquente. Plus du quart des médecins en activité qui exercent dans ces pays n’en sont pas natifs. Ils sont 41 % en Irlande, 38 % au Canada, 33 % au Royaume- Uni et 30 % aux États-Unis. Ils sont près de 20 % en Allemagne, qui compte plus de médecins syriens que ceux qui exercent toujours en Syrie (pays où les études médicales étaient de grande qualité) : on en dénombre 4 000, le double d’avant l’arrivée massive de demandeurs d’asile syriens en 2015. Mais les pays de l’OCDE ne sont pas les seuls à attirer les médecins formés dans le monde arabe. L’attrait qu’exercent les salaires dans les pays du Golfe fait aussi de cette zone un débouché attractif pour des médecins formés, mais mal payés. La grande majorité des médecins exerçant dans les pays du Golfe, qui sont une grande zone d’immigration, ne sont pas natifs de ces pays.

Au-delà du fait que l’immigration des personnels médicaux résulte aussi de l’attrait qu’exerce la qualité de vie des pays de l’OCDE, et de l’Europe en particulier, elle a été facilitée par les effets d’une erreur majeure qui a consisté à théoriser que l’augmentation continue des

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dépenses de santé à partir des années cinquante n’était pas liée à un besoin, par exemple à l’augmentation de l’espérance de vie et à une meilleure prise en compte des besoins de santé, mais à l’augmentation du nombre de médecins.

En France se met ainsi en place, à partir de 1971, un numerus clau- sus pour l’accès aux études de médecine, afin de réduire drastiquement le nombre de médecins avec le soutien d’une profession qui y a vu son intérêt, espérant que la sélectivité accrue assurerait en contrepartie des rémunérations élevées. Mais, comme dans d’autres pays, cela a eu des conséquences sur le profil global de la démographie médicale.

En France aujourd’hui, près de 20 % des médecins inscrits à l’ordre ne sont pas nés en France. Ils sont immigrés au sens de l’Insee, c’est-à-dire nés étrangers à l’étranger. Mais près de 45 % d’entre eux sont aujourd’hui de nationalité française. Depuis 2007, les effectifs des médecins exerçant en France sans avoir été diplômés par une faculté française a ainsi aug- menté de 60 %. Sur les plus de 215 000 médecins exerçant en France, plus de 30 000 exercent avec un diplôme qui a été obtenu ailleurs. Même si parmi ces nouveaux arrivants certains ont été formés en Europe, en Roumanie par exemple – pays sur lequel nous reviendrons –, la part des non-Européens domine. À cela s’ajoutent des médecins en situation pré- caire, employés sans avoir un titre de séjour de longue durée. La dernière loi de santé de juillet 2019 a lancé un processus de régularisation des médecins étrangers, autorisés à exercer temporairement en France grâce à un décret de novembre 2017, ce qui souligne la dépendance de notre système de santé envers ces praticiens qui n’ont pas seulement l’« avan- tage » de pallier le manque de médecins issus de nos facultés, mais aussi celui d’être moins bien payés, en particulier quand ils exercent à l’hôpital.

Des études censitaires

Cette politique malthusienne de longue durée en France a trois effets qui pèsent sur notre système global de santé : une démographie médicale entraînant dans certains territoires une pénurie de médecins, en particulier généralistes ; l’affaissement du système de santé de pays

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qui nous sont particulièrement proches ; et une pression accrue sur notre système de santé du fait de l’arrivée de personnes qui suivent en France les médecins qu’ils n’ont plus sur place pour se soigner.

Malgré le déplafonnement du numerus clausus ces dernières années, la pénurie médicale ne cesse de s’accentuer au regard des besoins. Car les statistiques médicales sont, à ce sujet, trompeuses. En France, on dénombre environ 320 médecins pour 100 000 habitants. C’est infé- rieur à la moyenne dans l’Union européenne, qui se situe aux alentours de 370 médecins pour 100 000 habitants. Par rapport à la France, l’Alle- magne a 100 médecins de plus pour 100 000 habitants. Et l’Autriche bat en Europe les records, avec 500 médecins pour 100 000 habitants.

La France a un autre handicap : son vivier de praticiens compte autant de généralistes que de spécialistes. Cela explique la faiblesse de la prise en charge généraliste dans beaucoup de territoires – comme en Seine- Saint-Denis, qui ne compte que 54 généralistes pour 100 000 habitants, alors que l’Île-de-France en compte plus de 71 – avec comme corollaire l’utilisation des urgences hospitalières en lieu et place de l’accès à un généraliste. Cette pénurie de généralistes a aussi un impact sur les zones rurales, où la démographie médicale est globalement en baisse.

Au regard des besoins, les effets du malthusianisme médical vont s’ac- centuer ces prochaines années du fait qu’actuellement plus de 25 % des médecins ont plus de 60 ans. Du reste, 23 % d’entre eux sont déjà retrai- tés tout en continuant d’exercer, comme la loi le leur permet, cumulant ainsi honoraires et retraite. Considérant le nombre d’années nécessaires à la formation des médecins (entre six et dix ans), la situation ne peut qu’empirer, ce qui justifie l’appel à des médecins formés à l’étranger.

Profitant de la reconnaissance mutuelle des diplômes, à l’œuvre depuis 2005 au sein de l’Union européenne, la Roumanie est deve- nue une véritable plate-forme de formation à la médecine à destina- tion du reste de l’Europe, ce qui se révèle pour elle une économie de niche. Elle est devenue le lieu de formation de nombreux étudiants français en médecine qui, recalés en première année, s’inscrivent à grands frais en Roumanie pour y faire leurs études. Une fois leur diplôme obtenu, ils peuvent exercer en France ou dans n’importe quel pays de l’Union. Dans presque toutes les écoles de médecine

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roumaines – onze publiques et deux privées – les formations se font en anglais ou en français. Depuis son entrée dans l’Union euro- péenne, la Roumanie a vu le nombre d’étudiants en médecine aug- menter de 520 % sur son sol. En parallèle, entre 2007 et 2014, le nombre de médecins originaires de ce pays et exerçant en France a augmenté de 377 % pour atteindre près de 3 000 médecins. Car c’est aussi cela le paradoxe : la Roumanie est un lieu de formation pour de jeunes Français, et la France un lieu d’immigration pour des médecins roumains – comme elle le fut pour nombre d’intellectuels sous Ceaușescu, car en Roumanie la francophonie et la francophilie sont développées de longue date.

L’arrière-cour médicale de la France

Mais la France est aussi le lieu d’immigration de médecins formés dans des pays francophones d’Afrique et du Maghreb. Ainsi, chaque année, plus du tiers des médecins camerounais, congolais ou séné- galais s’expatrient. En France d’abord, mais aussi dans d’autres pays comme le Canada.

C’est le Maghreb qui fournit à la France la grande part de ses méde- cins étrangers  : 25 % viennent d’Algérie, 12 % du Maroc, 8 % de Tunisie. Grâce à un assouplissement des règles de reconnaissance des études médicales par les autorités françaises – sous réserve d’accom- plir trois ans de fonction hospitalière en France –, le phénomène s’est accentué. Il permet de limiter le nombre des postes non pourvus dans les hôpitaux. Ainsi, en pleine crise du Covid-19, des hôpitaux ont recruté en urgence des médecins tunisiens pour faire face à la pression médicale.

Ces départs ne vont pas sans susciter des tensions avec les pays d’origine. Ainsi, les islamistes d’Ennahdha, force politique domi- nante en Tunisie, ne cessent d’accuser les anciens « protecteurs » français d’organiser sciemment la fuite des compétences. Il en va de même au Maroc, où les conservateurs musulmans du Parti de la jus- tice et du développement, dont est issu l’actuel Premier ministre, ne

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cessent de protester contre la fuite vers la France des compétences, au point de demander qu’il soit mis un terme à l’enseignement du français au lycée.

Mais c’est en Algérie que l’effet de la fuite des médecins a actuel- lement le plus d’impact. Le Conseil national de l’ordre des médecins d’Algérie s’inquiète de ce qu’il définit comme une « saignée » d’un corps médical qui voit ses médecins quitter par milliers leur pays pour s’installer à l’étranger. Ainsi, en 2019 ce sont 4 000 médecins qui ont fait des démarches pour rejoindre la France.

Les effets négatifs sur le système de santé français

Cette fuite des médecins vers la France a de toute évidence des effets négatifs sur le système de santé des pays d’origine dès lors que, du fait de leur impéritie, des pays se révèlent incapables de prendre en charge leur population, et pas seulement la partie la plus démunie de celle-ci.

L’Algérie dans ce domaine est caractéristique. La défiance de la population envers son système de santé vient du cœur même de l’appa- reil d’État qui est censé en organiser l’efficience. Or, comment donner confiance dès lors que les plus hautes autorités de cet État, président de la République en tête, préfèrent depuis des années se faire soigner chez l’ancien colonisateur plutôt que dans un hôpital à Alger ? Une attitude inverse de celle d’un Fidel Castro, dont on n’imagine pas un seul instant qu’il ait pu demander un jour à se faire soigner à Miami.

Et qui, au contraire des autorités algériennes, a su particulièrement développer son système de santé. À défaut de la liberté, le système de santé est l’un des rares acquis du régime castriste, au point de faire des médecins cubains un instrument diplomatique central. Il est vrai que Che Guevara était médecin et que ceci explique en grande partie cela.

La déliquescence du système médical algérien amène très concrè- tement notre système de santé à devoir prendre en charge des patients qui, dans leur pays, ne peuvent accéder effectivement aux soins qui leur sont nécessaires. En plus des accords particuliers avec la Sécu-

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rité sociale, les Algériens sont les premiers bénéficiaires des plus de 32 000 titres de séjour pour soins que la France délivre ou renouvelle chaque année, dans le cadre d’une procédure unique en son genre, à des étrangers qui sont sans titre sur son territoire. Encore ces chiffres ne tiennent-ils pas compte de ceux qui viennent par nécessité dans une structure hospitalière dans le cadre d’un visa de séjour. Et comme une mise en parallèle, les premiers bénéficiaires des soins médicaux délivrés à des étrangers dans le cadre de la procédure relative aux étrangers malades sont, après les ressortissants du Maghreb, ceux de l’Afrique subsaharienne. Les patients suivent ainsi dans un exil médical leurs médecins émigrés.

Les anciens pays de l’Est

La marchandisation des médecins a, depuis la chute du Mur, des effets sur la situation sanitaire de pays qui pendant longtemps étaient convenablement lotis en matière de soins. Il s’agit des anciens pays de l’Est. Plus encore que dans le cas roumain, des pays comme l’Albanie, la Géorgie et la Moldavie voient une partie de leurs ressortissants tenter de bénéficier des services d’une médecine française à l’excellente répu- tation, en particulier pour des actes techniques qui nécessitent un très grand savoir-faire et des infrastructures de haut niveau. Au-delà de la dialyse, c’est notamment le cas de la demande de greffes – ce qui pose un réel problème car les propositions de greffons sont loin de pouvoir satisfaire les besoins propres à la France. Ces migrations médicales sont accentuées du fait que le modèle qu’ont développé les anciens pays de l’Est est celui d’une médecine ultralibérale dont la pierre angulaire est le développement de cliniques privées onéreuses, où la qualité de la chirur- gie esthétique ou dentaire attire une clientèle étrangère, mais dont le coût pour les locaux est d’autant plus élevé qu’il n’y a pas de système de prise en charge sociale comparable à notre Sécurité sociale.

Tous ces éléments soulignent à quel point les choix faits au début des années soixante-dix pèsent aujourd’hui considérablement sur nos systèmes de santé. Il ne s’agit pas seulement de la pénurie de médecins

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formés pour les besoins propres à la France. Il s’agit d’une spirale qui concerne l’ensemble des pays dits riches et qui, négligeant toute vision prospective sur les besoins de santé dans leurs pays comme dans les pays du Sud, se sont affaiblis doublement. Dès lors qu’il apparaissait comme une évidence que l’incurie des élites locales allait nécessaire- ment avoir des effets pervers, les choix auraient dû être inverses. C’est d’autant plus dommageable pour la France, qui avait « inventé » les French doctors, une diplomatie de l’humanitaire qui fit notre renom- mée. La France se retrouve aujourd’hui à soustraire à ceux qui en ont particulièrement besoin les médecins qu’elle importe faute d’avoir continué à en former suffisamment.

Références

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