DE NOUVEAUX ENJEUX, DE NOUVELLES mÉDIATIONS
Créer un service public culturel en milieu rural
Fabrice Creux
directeur de l’ADDIM 70 (Association départementale pour le développement et l’initiative de la musique et de la danse). Passionné par le développement local, il est élu en 2002 Président du conseil de développement du Pays des Vosges Saônoises. De 2006 à 2009, il initie et porte la création de la Bulle, scène gonflable itinérante, labellisée Pôle d’excellence rurale. Le Conseil général de la Haute- Saône reçoit pour cette réalisation exemplaire le Prix Territoria d’Or 2010 pour la Culture, la plus haute distinction française dans le domaine de l’innovation publique. En janvier 2008, le Ministre de la Culture et de la Communication le nomme Chevalier dans l’Or- dre des Arts et des Lettres.
Rencontré à l’occasion d’un séminaire portant sur l’expérimentation du nouveau protocole Culture/Agriculture en Franche-Comté, Fabrice Creux, directeur de l’ADDIM 70 nous propose quelques pistes de réflexion sur le rôle de la culture en milieu rural, en prenant notamment appui sur La Bulle, scène itinérante gonflable labellisée pôle d’excellence rurale.
1/vous dirigez l’ADDIM 70, association départementale pour le développement et l’initiative de la musique et de la danse en Haute-Saône. Quels sont les objectifs de cette association ?
Créée en 1983 à l’initiative du Conseil général de la Haute-Saône, l’ADDIM 70 s’est d’abord positionnée comme un outil de soutien et d’accompagnement de la vie musicale et chorégraphique (ac- compagnement des pratiques en ama- teur, musique à l’école, développement des enseignements artistiques). A cette époque, comme dans beaucoup de terri- toires ruraux, la vie culturelle est plutôt
« sporadique » : absence d’équipements culturels et de structures qualifiées et organisées d’enseignement artistique, des pratiques artistiques peu qualifiées.
L’ADDIM 70 au cours de sa première dé- cennie d’existence s’est donc attachée à apporter des réponses pérennes à ses besoins de structuration et de déve- loppement. À l’aube des années 2000, la naissance de l’intercommunalité et son développement sur le territoire dé- partemental a permis l’ouverture d’un chantier totalement inédit en faveur de l’accès à la culture des populations rurales. S’appuyant sur cette nouvelle organisation territoriale, l’ADDIM 70 a
progressivement dépassé sa sphère tra- ditionnelle d’intervention, destinée à des publics spécifiques, pour adopter une posture plus ouverte en direction des populations.
2/Quel sens donne l’ADDIM 70 à son action de développement culturel sur les territoires, particulièrement les ter- ritoires ruraux ?
L’ADDIM 70 porte aujourd’hui de nou- velles démarches et expérimentations en direction des populations rurales du département, souvent éloignées des lieux d’accès aux pratiques culturelles.
La Bulle, montage
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Ce processus principalement situé dans une perspective de médiation culturelle s’inscrit également dans le cadre de la rénovation des politiques publiques et plus spécifiquement dans le contexte de la réforme sur l’intercom- munalité en cours.
La culture est un vecteur incontesta- ble de lien social entre les habitants d’un territoire. En ce sens, les projets culturels doivent nécessairement impliquer les populations et les élus politiques des territoires concernés. Il s’agit donc bien d’un projet social où chacun tient une place importante. Les lieux de dialogues entre chaque acteur deviennent alors très importants : avec l’ingénierie de projet, les projets territoriaux concer- nent le plus grand nombre d’habitants.
La dimension culturelle est primordiale dans le développement du territoire car elle implique l’ensemble d’une popula- tion dans un projet collectif. Cependant un projet culturel nécessite beaucoup de facteurs pour être réellement ouvert comme des besoins de formations ou du soutien aux associations. Les démarches envisagées croisent trois problématiques :
De quelle manière la culture joue
• un rôle dans l’implication des popu- lations lors de projets territoriaux ? Comment et dans quelles conditions peut-elle créer du lien social et s’inscrire véritablement comme un service à la population ?
Comment conjuguer développe-
• ment culturel et développement local ?
Quelles actions artistiques peu-
• vent s’intégrer dans ce projet de développement ?
3/Dans le volet « arts vivants et terri- toires » du projet de l’ADDIM 70, il est question « d’accompagner les nouveaux territoires ». De quel type d’accompa- gnement s’agit-il ?
L’ADDIM 70 traduit son engagement en faveur de développement de l’in- tercommunalité culturelle sur la base de contrats locaux de développement culturel, en fondant son action autour de
plusieurs orientations conjuguées : Expertise (évaluation des ressources
• locales) et concertation (groupes d’action locale)
Conception et conduite de projets
• artistiques participatifs et innovants à caractère expérimental
Coordination culturelle et technique
• Médiation auprès des populations
• et des acteurs locaux
En effet, la plupart des établisse- ments de coopération intercommunale situés en zone rurale ne disposent pas des moyens humains et techniques adaptés à la mise en œuvre d’un projet culturel clairement identifié.
Aussi, l’action de l’Addim 70 consiste à apporter un soutien méthodologique, technique et artistique permettant, à partir des besoins expri-
més, d’intégrer la culture dans le processus du dé- veloppement local. À titre d’exemple, nous venons d’accompagner la future communauté de commu- nes du Triangle Vert dans l’élaboration de son pro- jet culturel. Ce processus a mobilisé l’ensemble des acteurs du territoire pen- dant plusieurs semaines
et s’incarne dès à présent dans la mise en œuvre d’un projet artistique partici- patif (résidence chanson avec Laurent Madiot). L’Addim 70 dispose d’un savoir- faire adapté, qu’elle met à la disposition des Communautés de communes parte- naires pour la mise en œuvre d’un projet partagé. Ce processus a pour ambition de :
Créer un véritable service culturel en
• milieu rural : formation/diffusion/
pôle ressources
Intégrer la culture comme un élé-
• ment à part entière et constitutif des projets locaux de développe- ment durable
En d’autres termes, il s’agit pour l’es- sentiel de parvenir à l’élaboration d’un projet culturel « sur mesure » reposant sur une vision partagée des enjeux.
4/La Bulle, scène gonflable itinérante a été créée à l’initiative de l’ADDIM. Pou- vez-vous nous expliquer l’origine de ce projet et son rôle aujourd’hui ?
Inaugurée en octobre 2009, la Bulle, scène gonflable itinérante, créée par l’agence Scen & Act avec la complicité de l’architecte Hans-Walter Müller, a permis d’apporter une réponse spectaculaire et particulièrement bien adaptée aux besoins d’accès à la culture des zones rurales. « Pôle d’excellence rurale » en 2006 et « Prix Territoria d’Or » en 2010, ce signal culturel en mouvement au cœur de la ruralité, a montré rapidement sa capacité à s’inscrire pleinement dans les enjeux du développement local.
Il s’agissait de trouver une réponse à l’absence d’équipements culturels adap-
tés, en privilégiant une approche « éphémère » qui agisse comme un véritable « symbole » ! Ainsi, la création d’un tel équipement participe très concrètement à la stra- tégie de développement culturel en milieu rural portée par l’ADDIM 70, comme une étape indis- pensable à la pérennité des actions engagées de- puis de nombreuses années au bénéfice des territoires ruraux.
Dans un contexte où la territoriali- sation de l’action culturelle est particu- lièrement manifeste, cette réalisation s’inscrit dans des enjeux essentiels, en favorisant notamment l’émergence de projets artistiques en prise directe avec les besoins de la population, comme avec celles des artistes désireux de trou- ver de nouveaux espaces d’expression.
Outil de développement culturel des territoires ruraux, la mise en mouvement de la Bulle repose sur un projet artisti- que et culturel conjuguant l’ensemble des thématiques artistiques et culturel- les portées au quotidien par l’ADDIM 70 (éveil et éducation artistique, musiques actuelles, danse, enseignement musical spécialisé, pratiques en amateur).
Il s’agissait (avec la Bulle. NDLR) de trouver une réponse à l’absence d’équi- pements culturels adaptés, en privilé- giant une approche
« éphémère » qui agisse comme un vé- ritable « symbole » !
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5/A quelles transformations assis- tez-vous dans les territoires ruraux aujourd’hui ?
La culture devient progressivement un véritable « marqueur » dans les pro- cessus de développement. Ainsi, la pré- sence de projets culturels, sous la forme d’un « pack culture » dans les contrats PACT 2014-2019 (Programme d’Action Concertée Territoriale), signés entre le Conseil général de la Haute-Saône et les établissements publics de coopération intercommunale montre que la culture se situe désormais dans le processus du développement comme un axe d’inter- vention considéré comme prioritaire par les gouvernances locales.
Par ailleurs, j’observe des sollicita- tions croissantes des exécutifs inter- communaux qui recherchent des outils d’ingénierie pour les accompagner dans l’élaboration d’une véritable stratégie de développement culturel.
La culture, telle qu’elle est codifiée, n’est pas immédiatement accessible à chacun. L’approcher et la rapprocher requiert par conséquent l’intercession de « médiateurs » (informateurs, ac- compagnateurs, pédagogues) et, simul- tanément, l’élaboration de projets de médiation (depuis les textes explicatifs jusqu’au balisage de parcours).
La médiation est le moyen permet- tant de rapprocher culture et population dans un enjeu d’épanouissement de la citoyenneté. Il y a donc un impératif politique lié à la médiation. Il s’agit pour le médiateur qu’est l’ADDIM 70 de tisser un lien entre la culture et une popula- tion en agissant sur les critères sociaux, économiques ou géographiques qui l’en éloigne.
En cherchant à déconstruire l’image élitiste que l’on associe souvent au mon- de de la culture, peut-être pouvons-nous aider à franchir une nouvelle étape de la démocratisation culturelle ?
La Bulle, extérieur
La Bulle, intérieur
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