La fatigue : un fléau pour les pièces de structure (1/4)
90% des défaillances d’origine mécanique fatigue Amorçage et propagation insidieuse d’une fissure
sous l’effet d’un chargement mécanique variable
Problème détecté et traité depuis les années 1950
cf. dimensionnement en « tolérance au dommage » Rupture d’un ressort de camion : expertise
fissures de fatigue repérées sur la surface de rupture
La fatigue : un fléau pour les pièces de structure (2/4)
Fissures de faïençage thermique,
Tuyauterie de refroidissement de la centrale nucléaire Civaux-1 De petites fissures... pour de gros dégâts !
Ces fissures sont liées à des gradients de température faibles mais variables dans le temps
« fatigue thermique »
N. Haddar, thèse ENSMP, 2003
La fatigue : un fléau pour les pièces de structure (3/4)
???
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La fatigue touche de nombreuses applications :
- ce qui tourne (1 à 103 Hz) : moteurs, véhicules... 15000 tr/min ~ 250 Hz - ce qui vibre (103 à 106 Hz)
- ce qui amortit : ressorts, tampons...
- ce qui subit des chargements lentement variables : fuselage aéronautique, centrales électriques soumises à des variations de puissance...
- ce qui subit des gradients de température répétés : culasses de moteur, tuyauteries...
La fatigue : un fléau pour les pièces de structure (4/4)
La fatigue concerne de nombreux matériaux :
- ceux subissant un chargement cyclique sévère en déformation élastomères (pneumatiques, semelles, tampons...) cf. PC
- ceux subissant une déformation plastique faible mais qui s’accumule métaux et alliages métalliques
Comment aborder le problème de la fatigue ?
Dimensionner de manière sûre
- estimer la durée de vie (chargement fixé)
- échelle macroscopique : essais mécaniques détection d’une fissure expertise simple des éprouvettes testées
Combattre les effets de la fatigue
- connaître les mécanismes physiques responsables de la fissuration - échelle de la microstructure
Améliorer les matériaux vis-à-vis de la fatigue
- estimer le chargement admissible (durée de vie fixée)
Dimensionnement et durée de vie : principe La vraie vie de la pièce...
Comment utiliser des critères simples de durée de vie ? On se ramène au cas d’essais plus simples
???
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???
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- essais isothermes, le plus souvent sous air
- chargement : traction-compression, flexion, flexion rotative...
en multiaxial !!!
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Définition des cycles de fatigue
2σa σ
temps σ = σm
σmin
σmax
σa : contrainte alternée (demi-amplitude du cycle) σm : contrainte moyenne
Exemple : chargement en contrainte imposée
max
R min
σ
= σ
N : nombre de cycles à rupture : rapport de charge
Définition des cycles de fatigue
2σ a 2σ a
Sollicitation dans le domaine « élastique » d’où vient la rupture ?
Durée de vie élevée
combien de temps ? combien de cycles ?
à rupture, N > 106 à 107 cycles
Déformation plastique 2 fois par cycle
Ecrouissage : cinématique ? isotrope ? Durée de vie plus faible
< 105 à 106 cycles
Fatigue à grand nombre de cycles Fatigue oligocyclique
Durée de vie en fatigue : courbes S-N (de Wöhler) (1/2)
avec asymptote : limite de fatigue
N visé (107 cyles)
S (MPa) : σa ou 2 σa
log N
à N fixé : limite d’endurance
Limite de fatigue : pour les aciers et certains alliages de Ti
les essais sont très longs : 108 cycles à 10 Hz 27778 h > 3 ans ! approximation linéaire aux grands nombres de cycles
Autres matériaux : comment dimensionner ?
Durée de vie en fatigue : courbes S-N (de Wöhler) (2/2)
Franck Alexandre, Thèse ENSMP (2004)
102 103 104 105 106 107
N Courbes de Wöhler réelles
Forte dispersion expérimentale (facteur 10 sur N) état de surface de l’éprouvette part intrinsèque au matériau Etudier les mécanismes pour remédier aux points les plus bas
Méthodes statistiques de dimensionnement : courbe médiane + coef. de sécurité
Dimensionnement aux grands nombres de cycles (1/2)
Approximation linéaire de la courbe de Wöhler à partir d’essais plus courts
limite d’endurance à 107 cycles en uniaxial :
50% de Rm (aciers), 35% de Rm (alliages Al) En l’absence d’essais on utilise la résistance en traction (Rm)
« abattement en fatigue »
loi de Basquin : Nσ ap = C p ~ 0.12, C = f (matériau) loi puissance
σa
log N pente (–p) ~ -0.12
ou encore :
( )
R b' f él
a E ∆ε σ N
σ = =
2
Dimensionnement aux grands nombres de cycles (2/2)
Fort effet des irrégularités géométriques : concentration de contraintes (KT)
rainures, rayures d’usinage, font de filets de vis, congés de raccordement...
Effet de la contrainte moyenne
défauts de surface du matériau (inclusions, porosités, oxydes...)
−
=
x u e m
a σ
σ σ
σ 1
σa σe
σu σm parabole (Gerber)
droite (Goodman) essais à R = -1
(Rm)
x = 1 : simple, sûr
mais pénalisant
x > 1 : déterminer la courbe expérimentalement
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Dimensionnement en fatigue oligocyclique (1/3)
ε σ
∆εél
∆εp
A chaque demi-cyele :
- une partie élastique - une partie plastique
raisonnement en déformation
C’est la déformation plastique qui est nocive
Effet favorable de l’écrouissage Ecrouissage cyclique
« Les mous durcissent... »
∆σ/2 (MPa)
∆ε/2 (%) F (Ν)
ε (%)
acier inoxydable, D. François, A. Pineau, A. Zaoui,
monotone (traction) cyclique
Dimensionnement en fatigue oligocyclique (2/3) ... « les durs s’adoucissent !!! »
σa (MPa)
cycles 0,5%
0,2%
0,25%
0,3%
0,35%
Acier au chrome pour centrales thermiques Mécanismes d’adoucissement cyclique :
- restauration de la structure de dislocations - croissance des grains
- cisaillement voire redissolution de précipités durcissants
B. Fournier, Thèse ENSMP, 2007 M. Clavel, A. Pineau,
Mater. Sci. Eng. 55, (1982) 157-171 1 µm
T = 550°C
Alliage base Ni pour disques de turbine
couloirs de
déformation facile
Dimensionnement en fatigue oligocyclique (3/3)
Approximation de la courbe en déformation par une loi puissance loi de Manson-Coffin :
c ~ -0.5 à -0.7
σa
log N
pente (c) ~ -0.5 à -0.7
log N
∆εp
log 2
( )
c'f
p ε N
ε
∆ =
2
'f
ε
= ~ ductilité en fatigue
(réduction d’aire à rupture, en traction)
(A.S. Bilat, Thèse ENSMP, 2007) section
initiale
aire à rupture
Dimensionnement en fatigue : synthèse
b 'f
c 'f él pl
totale
E N N σ ε ε
ε ∆
∆ ε
∆ = + = +
2 2
2
log N log (∆ε)
-b 1
-c 1
fatigue oligocyclique
(ductilité)
fatigue polycyclique
(résistance)
'f
σ ~ Rm (traction)
Mécanismes physiques de défaillance en fatigue
Défaillance en 4 étapes : 1. Amorçage d’une fissure
2. Propagation d’une fissure « courte » 3. Propagation d’une fissure « longue » 4. Rupture finale (brutale)
100 µm
A. Laurent, 2008
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Mécanismes physiques de défaillance en fatigue
Un exemple : fatigue thermique des collecteurs d’échappement en acier
essai au banc moteur
avant... après !
expertise : oxydation + fissuration
essai de laboratoire
cycle effort-température
F (daN)
T (°C)
F (daN)
cycles
critère de durée de vie
L. Bucher,
thèse ENSMP, 2004
Mécanismes physiques de défaillance en fatigue
Défaillance en 4 étapes : 1. Amorçage d’une fissure
microstructure
2. Propagation d’une fissure « courte » (stade I) microstructure
3. Propagation d’une fissure « longue » (stade II) mécanique (plasticité)
4. Rupture finale (brutale)
mécanique (ténacité)
Amorçage
Rupture finale Propagation
(stades I et II)
21
1. Amorçage de fissure (1/5)
Phénomène de surface pour les matériaux métalliques Défaut de corrosion
piqûre (ressort de suspension)
oxyde (alliage pour disque de turbine)
Autre défaut métallurgique (inclusion, porosité,
gros précipité)
Plasticité localisée
amorçage sur carbure (alliage pour disque de turbine)
20 µm
vue de côté
100 µm
surface de rupture
10 µm
surface de rupture
amorçage sur bande de glissement plastique (alliage pour disque de turbine)
F. Alexandre, thèse ENSMP, 2007 A. Laurent, 2008
20 µm vue de côté
1. Amorçage de fissure (2/5)
Amorçage par plasticité localisée : échelle d’un seul grain (monocristal)
éprouvette avant essai
Essai de fatigue oligocyclique : plastification à chaque cycle Traction, puis compression
pour revenir à la longueur initiale
apparition de défauts de surface par plasticité
1. Amorçage de fissure (2/5)
éprouvette avant essai
déformation en traction : glissement de dislocations
sur un plan
création de surfaces fraîches adsorption chimique glissement
irréversible
Amorçage par plasticité localisée : échelle d’un seul grain (monocristal)
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1. Amorçage de fissure (2/5)
éprouvette avant essai
déformation en compression : glissement inverse extrusion
intrusion
Intrusions et extrusions induisent des concentrations de contraintes locales Amorçage par plasticité localisée : échelle d’un seul grain (monocristal)
déformation en traction : glissement de dislocations
sur un plan
Accumulation des cycles bandes de glissement persistantes (BGP ou PSB)
1. Amorçage de fissure (3/5)
Illustration : monocristal d’alliage pour aubes de turbine aéronautique (AM1) essai de fatigue à 20°C, ∆εp = 0,2%, éprouvette polie
déformation
temps
¾ cycle 2 cycles 11 cycles
F. Hanriot, thèse ENSMP, 1993
plan de glissement
nombre de cycles
1. Amorçage de fissure (4/5)
Amorçage par plasticité localisée : observations expérimentales (acier inoxydable)
Vue schématique d’une extrusion Mesure du relief de surface
(microscopie à force atomique)
5 µm 5 µm
0.5 µm
Structure de dislocations
« en échelle » dans une PSB
dislocations coin peu mobiles dislocations vis
plus mobiles
P. Villechaise, L. Sabatier, J.C. Girard, Mater. Sci. Eng. A323 (2002) 377-385
Mécanisme d’adoucissement local à fort caractère cristallographique
1. Amorçage de fissure (5/5) L’amorçage par plasticité est inéluctable
sauf si un autre mécanisme d’amorçage s’active plus tôt Fatigue oligocyclique : amorçage sur de nombreux grains
Fatigue à grand nombre de cycles :
amorçage sur concentrations de contraintes locales
joints de grains, proximité d’un précipité « dur », d’un oxyde...
L’amorçage est l’étape limitante pour les grands nombres de cycles
B. Jacquelin, thèse ENSMP, 1983 Alliage 718 pour disques
de turbine cycles à
rupture
102 103
104 105
103 104 105
102
cycles à l’amorçage T = 20°C
part de l’amorçage propagation
2. Propagation de fissure courte (stade I)
La fissure se propage dans un premier grain Franchissement du joint de grains ?
renforcement (cf. Hall-Petch en plasticité)
Une taille de grains faible est bénéfique en stade I
blocage à un joint de grains Longueur de
la fissure (µm)
103 cycles J-Y. Buffière, S. Savelli, P.H. Jouneau, E. Maire,
R. Fougères, Mater. Sci. Eng. A316 (2001) 115–126
???
Alliage Al de fonderie
3. Propagation de fissure longue (stade II) (1/3) Mécanisme physique : pincement de la fissure à chaque cycle
Effet possible de l’environnement chimique ou du fluage
propagation plus rapide et/ou changement de mécanisme
1 µm
Acier inoxydable biphasé,
V. Calonne, thèse ENSMP, 2001
on voit souvent des stries sur la surface de rupture
entailles qui induisent de la propagation // glissement des dislocations
La fissure est déjà dangereuse
difficile à détecter, elle se propage jusqu’à la rupture catastrophique une réserve d’écrouissage est bénéfique
3. Propagation de fissure longue (stade II) (2/3)
Fissure dans un matériau polycristallin hétérogène
Fissure dans un milieu continu homogène représentation
simplifiée
Loi de Paris (cf. PC sur la tolérance au dommage)
( )
K mdN C
da = ∆
Loi de Paris : m = 2 à 5
C = constante
coefficients
« matériau » C dépend de l’environnement chimique et thermique
et peut aussi dépendre de la microstructure
y = 1.50948E-10x4.35719E+00
1 10 100 1000
10-7 1
10-6 10-5 10-4 10-3 10-2 10-1
da/dN (m/cycle)
∆K (MPa√m) 1
m
3. Propagation de fissure longue (stade II) (3/3)
Limitation de ∆K par la fermeture de la fissure pendant une partie du cycle écraser l’une contre l’autre les lèvres de la fissure
- rugosité (chemin tortueux) : une taille de grains élevée est bénéfique - plasticité : un écrouissage fortement cinématique est bénéfique
- oxydation/corrosion (si le mécanisme de propagation est inchangé)
- branchement de la fissure (écrantage par les autres fissures)
1 mmvue en coupe
1 mm vue en coupe
Acier inoxydable biphasé, V. Calonne,
thèse ENSMP, 2001
4. Rupture finale catastrophique (ténacité) Elle n’est généralement pas « dimensionnante »
- sauf si on dimensionne en tolérance au dommage
(on accepte une fissure qui se propage de manière contrôlée)
Les matériaux les plus durs ne sont pas les plus tolérants exemple : ressorts de suspension automobile :
- aciers très durs (Rm ~ 1900 MPa) - rupture brutale pour a > 200 µm !
- dans de nombreux cas on ne tolère pas de propagation en stade II voire pas du tout de fissuration (safe life)
- PC sur les élastomères : on tolère des fissures millimétriques
Synthèse : vivre aujourd’hui avec la fatigue ?
La fatigue affecte les matériaux qui présentent de la déformation plastique et/ou qui sont sévèrement cyclés
Elle est liée aux concentrations de contraintes (géométrie, microstructure) fort effet de surface sur l’amorçage de fissure dans les métaux
Il existe des lois empiriques simples (lois puissance) pour le dimensionnement durée de vie : Basquin, Manson-Coffin
propagation de fissure : Paris
Forte dispersion : effet de microstructure en amorçage et en stade I moindre effet de microstructure en stade II
L’environnement chimique et la température peuvent faire s’effondrer la tenue en fatigue !
Synthèse : vivre sans la fatigue ?
Introduire des contraintes moyennes de compression en surface grenaillage (bombardement mécanique en surface)
exemple : trous de rivets des fuselages métalliques pour l’aéronautique traitement thermochimique
durcit ET introduit des contraintes résiduelles de compression en surface Utiliser des matériaux durs pour limiter la plasticité
gare à l’adoucissement cyclique et aux effets d’environnement chimique !!!
Soigner l’état de surface
bien connaître les mécanismes à l’échelle de la microstructure